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Internationalisme no.335

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Allemagne, grève des machinistes: La combativité et la solidarité croissantes de la classe ouvrière

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16 novembre: l'actuelle grève des machinistes en Allemagne est un superbe exemple de la combativité et de la volonté de lutter grandissantes de la classe ouvrière. Depuis sept mois déjà, le conflit s'amplifie autour des revendications salariales des machinistes et d'une partie du personnel ferroviaire. Depuis sept mois déjà, la société de chemins de fer (Deutsche Bahn), au travers de menaces, de représailles et de démonstration de force, tente d'intimider les membres du personnel. Depuis sept mois déjà, les médias font de la propagande contre les grévistes. Depuis sept mois déjà tribunaux et politiciens tentent d'interdire la grève à ceux qui résistent, ou de les en dissuader. Depuis sept mois déjà, les syndicats ne participant pas à la grève mènent une campagne de dénigrement contre les grévistes, et cela d'une façon qui, sur le plan de l'hostilité et du dédain éclipse tout, ce que patrons et politiciens utilisent à leur profit. Depuis sept mois déjà, le GDL (syndicat des machinistes) essaye de freiner la combativité des machinistes, essaye de la limiter à des actions symboliques, où celles-ci sont à peine une occasion de regretter que pour le GDL il ne s'agit pas en premier lieu de hausses de salaires ou de conditions de travail pour les machinistes, mais du droit du syndicat lui-même, qui peut signer des conventions collectives indépendantes. Mais les cheminots ne se sont pas laissés décourager. Maintenant, après sept mois, ils ont mené la plus grande grève des chemins de fer dans l'Allemagne de l'après-guerre. Trois jours durant, le trafic de marchandises a été paralysé, et pendant deux jours le transport de personnes dans toute l'Allemagne. Les conséquences: un tiers des trains de longue distance et la moitié des trains régionaux supprimés. Dans l'Est, 10 % seulement des trains ont roulé. Dans les ports maritimes, les containers ont commencé à s'empiler, et chez Audi à Bruxelles, les chaînes de production se sont arrêtées parce que les pièces fabriquées en Slovaquie étaient bloquées dans l'Est de l'Allemagne. D'accord: le « grand chaos » annoncé n'est pas survenu. Pas étonnant! Le chaos qui était proclamé était l'œuvre de seulement 6.000 cheminots et accompagnateurs, alors que les membres des autres syndicats, au nom de la soi-disant défense de leurs intérêts, étaient tenus à l'écart de la grève, le personnel ferroviaire restant employé par l'Etat craignant les plus graves représailles de la part de l'Etat s'il osait prendre part à la grève. La leçon la plus importante à tirer de cette grève -et en fait de toute grève- n'est pas la mesure du chaos survenu, mais la mesure dans laquelle elle offre une perspective contre le chaos dans lequel le capitalisme a précipité l'humanité.

La lutte de classe s'impose au centre de la société

La grève dans les chemins de fer allemands n'a pas seulement démontré la combativité des salariés, elle a fait voir la combativité de toute notre classe. Elle a rappelé à la société entière que nous vivons dans une société de classes, où tout dépend du travail de la population laborieuse, privée de droits et de propriété. La situation désespérée des cheminots, qui les oblige à résister, montre clairement que cette classe dans la société est non seulement maltraitée, mais aussi exploitée. En même temps, elle montre également la force potentielle de cette classe, de par le fait que les salariés portent toute la société sur leurs épaules du fait de leur travail. En plus, ces producteurs ne sont pas indépendants les uns des autres, mais liés par la production, le transport et la société. Après la chute du mur de Berlin, régnait l'idée que la société de classes, la lutte de classe, le socialisme étaient issus du mouvement ouvrier du dix-neuvième siècle, en un mot: les idées du marxisme seraient mortes et enterrées, vive la société de prestations sans classe. Aujourd'hui, cela commence à apparaître clairement pour beaucoup de personnes: nous vivons dans une société de classes. La lutte de classe est vivante. C'est pour cela également que le combat de classe vivant des cheminots est aussi important. A cause de la dépendance de la société moderne vis-à-vis de ses moyens de transport, cette grève n'a pas pu être passée sous silence. Chacun a été touché. Chacun s'est senti poussé à prendre position. Ainsi, cette lutte menace de modifier la voix sociale dans la société de manière non négligeable. De plus, deux données sont d'une importance particulière.

La lutte ouvrière est internationale

Il se fait qu'en Allemagne et en France, une grève simultanée a eu lieu dans les chemins de fer. Qu'il se soit agi des retraites à l'Ouest du Rhin et des salaires et conditions de travail sur l'autre rive ne fait que montrer l'ampleur des attaques actuelles du capital. Mais la simultanéité des grèves montre surtout que la lutte de la classe ouvrière est vraiment internationale, comme l'exprimait à l'époque le Manifeste du Parti Communistede Marx et Engels ("Prolétaires de tous les pays, unissez-vous!"). En Allemagne, le GDL a essayé de présenter la situation des cheminots comme une exception. Les salaires des machinistes des chemins de fer allemands seraient incroyablement plus bas que dans le reste de l'Europe. Et donc, on pourrait accorder à ce secteur quelques suppléments spéciaux sans remettre en cause le besoin général pour les salariés de se serrer la ceinture. En France par contre, le gouvernement Sarkozy a prétendu que les cheminots français représenteraient une minorité de privilégiés, dont on pouvait sans complexe exiger de travailler plus longtemps pour arriver à la retraite. Seul le contexte international de la lutte de classe démontre que tous les ouvriers dans le monde sont confrontés aux mêmes mesures draconiennes.

Le secret de la lutte ouvrière réside dans la solidarité

D'autre part, la popularité de la grève dans les chemins de fers allemands est visible. Même les grands médias en sont déconcertés. Comment est-il possible qu'un petit groupe, qui en plus appartient à une profession particulière, dont on a prétendu qu'il exigeait jusqu'à 31 % d'augmentations, et qui en plus organise une grève qui touche la population travailleuse, surtout les navetteurs, soit l'objet d'autant de sympathie? Au troisième jour de la grève, un sondage demandé par ARD (radio et télévision allemandes) montrait que 61 % des personnes interrogées se déclaraient solidaires de la grève, malgré toute la propagande de la classe dominante! Interrogé à ce sujet, le rédacteur en chef de la télévision d'Etat ARD répondait: "La tendance dans la population s'est inversée ces dernières années. Jusqu'à présent, la nécessité d'une «modération salariale» était acceptée, même si c'était à contre-cœur. Entre temps, une exaspération générale s'est développée par rapport au fossé grandissant entre riches et pauvres. On applaudit la grève des cheminots parce qu'on voit celle-ci comme un combat d'avant-garde, qu'on aimerait imiter. Et alors que les politiciens avaient déjà expérimenté depuis plus longtemps une réprobation générale et croissante suite aux attaques contre les allocations des chômeurs (qu'on essaye maintenant de corriger par des petites mesures annexes), on a jusqu'ici sous-estimé l'ampleur du mécontentement, en particulier par rapport à l'évolution salariale des dernières années". Ce brave homme a raison. C'est exactement là que se trouve le cœur de la grève: ce que de nombreux commentateurs ont appelé le paradoxe de la grève des cheminots. Le GDL, comme organisateur de la grève, propage ouvertement l'abandon de la solidarité dans la classe ouvrière. Chaque catégorie professionnelle devrait mener la lutte pour elle-même. Il y a une tendance qui est relativement nouvelle dans l'Allemagne de l'après-guerre, mais qui est très répandue au niveau international: la tendance à voir éclore des syndicats sectoriels. Après l'association Cockpit pour les pilotes et l'union de Marbourg pour les médecins cliniciens, arrive maintenant le GDL, avec la promesse du paradis sur terre pour les machinistes. Leur mot d'ordre, proféré ouvertement, est: "Ce qui concerne les autres professions n'est pas notre problème!". Les syndicats unitaires du DGB, à leur tour, dénoncent, au nom de "l'unité" et de la "solidarité", les pilotes, les médecins ou les machinistes en grève et les traitent de "privilégiés", d'ennemis des autres groupes professionnels. Voici ce qui se cache derrière cette tendance aux syndicats sectoriels. D'une part, on tente de piéger dans des syndicats "alternatifs" les ouvriers qui se détournent massivement des syndicats existants, pour éviter que la classe ouvrière ne recommence, comme dans les années qui ont suivi 1968, à lutter de façon autonome et auto-organisée. En même temps, on veut mettre les salariés devant le faux choix, de se faire embrigader soit dans les syndicats unitaires de la social-démocratie, soit dans des actions isolées et non solidaires sous la direction des syndicats sectoriels. Que le SPD et la DGB réagissent mal au nouveau pouvoir des syndicats sectoriels, parce qu'ils conduisent à un affaiblissement de leurs propres pouvoir et avantages dans l'appareil d'Etat, ne change rien au fait que ce faux choix entre deux formes syndicales sert l'ensemble de la classe dominante dans sa lutte contre la classe ouvrière. Au contraire, cela renforce la crédibilité de ce faux choix, et en particulier pour le moment, celle du syndicat sectoriel. Le fait que la classe dominante puisse enregistrer certains succès en adoptant cette attitude démontre la nature du GDL. Si on y regarde de plus près, on se rend compte que la population travailleuse ne rêve pas de groupes professionnels luttant indépendamment les uns des autres, ce qui serait un cauchemar pour les ouvriers. Derrière la grève des cheminots se dessine un sentiment croissant de solidarité ouvrière. Le simple fait que non seulement des machinistes, mais aussi des accompagnateurs de trains sont passés au syndicat de machinistes montre que pour les personnes concernées, il ne s'agit pas de prétentions professionnelles, mais de la recherche d'alternatives aux syndicats existants. Et la sympathie de la population pour la grève montre la même chose. Ce que la classe ouvrière cherche à tâtons et avec hésitation, elle ne le trouvera pas auprès d'un syndicat, quel qu'il soit, mais bien dans la lutte commune, solidaire.

Que faire?

Ces tâtonnements, ce potentiel derrière la résistance contre les attaques capitalistes, ne peut pas masquer le fait que les cheminots en lutte sont conduits par les syndicats à un isolement tactique. Ils doivent maintenant mener leur lutte sans la grande majorité de leurs collègues des chemins de fer, isolés et séparés des autres parties de leur classe. Il s'agit maintenant de développer des initiatives pour tenir tête à cet isolement, en allant discuter avec d'autres travailleurs des chemins de fer, en ne voyant plus la population travailleuse comme "des clients des chemins de fer", comme le fait le GDL, mais comme des camarades de lutte, qui en tant que salariés ont tous les mêmes intérêts. La sympathie spontanée de la population montre à quel point il serait faux de considérer la lutte contre les salaires de misère et les mauvaises conditions de travail comme une particularité des chemins de fer. Si la classe dominante a appris ces dernières semaines à avoir peur de la lutte des cheminots et ne menace plus de prononcer une interdiction de la grève, c'est surtout parce qu'elle sait que derrière cette grève, il y a le mécontentement généralisé de la classe ouvrière. Par-dessus tout, nous devons être vigilants sur les "solutions" qui sont mijotées aux dépens des personnes concernées. Pour la classe ouvrière dans son ensemble, il s'agit de prendre exemple sur la combativité des cheminots, de façon à faire surgir d'une confrontation isolée une lutte plus générale et solidaire.
CCI / 16.11.2007

Heritage de la Gauche Communiste: 

  • La lutte Proletarienne [1]

D'importantes mesures d'austérité s'annoncent: La crise politique n'empêche pas une attaque unifiée contre la classe ouvrière

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Après plus de 6 mois (192 jours pour être précis) de négociations, de querelles, de ruptures, après un explorateur, deux informateurs et deux formateurs, la bourgeoisie belge n'est toujours pas arrivée à former un gouvernement définitif et elle a dû mettre sur pied un gouvernement intérimaire pour 3 mois sous la direction de l'ex-premier ministre Verhofstadt pour prendre les mesures urgentes, en se donnant jusqu'à Pâques pour aplanir les tensions entre les diverses fractions. Pendant ces derniers mois, la situation politique en Belgique a été régulièrement à la une des médias en Europe, elle a inquiété les pays voisins et irrité jusqu'aux médias bourgeois belges eux-mêmes. D'où la nécessité de comprendre la signification de ces faits, d'expliquer comment un des pays les plus développés d'Europe a pu en arriver là, mais aussi de déterminer l'impact de l'imbroglio politique sur la situation de la classe ouvrière.

Les tensions au sein de la bourgeoisie sont l'expression du pourrissement du système

Avec la disparition des blocs russe et américain, les tendances centrifuges au sein de la société capitaliste décadente, jusqu'alors contenues à grands efforts à travers la hiérarchie des deux blocs, commencèrent à se libérer rapidement, laissant la place au chaos, au "chacun pour soi", à des poussées irrationnelles, et ceci jusque dans les systèmes politiques des grands pays développés. Ainsi, le fait que la bourgeoisie la plus puissante du monde, la bourgeoisie US, ait laissé gouverner le pays pendant deux législatures par la bande de gaffeurs incompétents que constitue l'administration Bush est en réalité révélatrice de la crise profonde des classes dirigeantes et a en retour participé à engendrer une exacerbation effroyable du "chacun pour soi" et une explosion de chaos et de barbarie sur toute la planète. Dès lors, l'impact de la décomposition de la société bourgeoise et la nécessité d'y faire face devient une préoccupation de premier plan au niveau de la vie politique de la bourgeoisie. Les difficultés de la bourgeoisie à recruter des équipes gouvernementales sont des expressions particulières de ce "chacun pour soi", du développement de la décomposition, et deviennent des facteurs décisifs dans la vie politique de la bourgeoisie (1). La bourgeoisie belge n'échappe pas à cette tendance générale du système capitaliste en crise à entraîner tous les pays dans la décomposition sociale. Dès lors, la "crise politique belge" n'est pas une manifestation belgo-belge, un peu folklorique, mais exprime pleinement le poids de plus en plus lourd du pourrissement du système sur les structures politiques de la bourgeoisie de l'ensemble des pays développés, comme l'ont bien mis en évidence la poussée électorale de partis populistes ces dernières années en Autriche, au Danemark et dernièrement en Suisse ou le vote de protestation lors du referendum sur la constitution de l'Union Européenne en France et en Hollande. Ainsi, chez les voisins hollandais, les poussées du "chacun pour soi" et les votes de protestation se sont multipliés ces dernières années : après la déstabilisation du système des partis de la bourgeoisie par le populisme de droite de Pim Fortuyn et son parti, on a assisté à un raz-de-marée du ‘populisme de gauche' du Socialistische Partij (ex-gauchiste) qui est devenu le troisième parti des Pays-Bas lors des dernières élections. Par ailleurs, un nouveau populisme de droite se développe avec le PVV férocement anti-islamiste de Geert Wilders et le mouvement de l'ex-ministre de l'intérieur Rita Verdonck, connue pour ses positions intransigeantes en matière de droit d'asile. A tel point que faute de partis traditionnels suffisamment forts et stables, il a fallu aller chercher un parti religieux intégriste (La "Christen Unie") pour constituer l'actuelle majorité gouvernementale. En Belgique, particulièrement en Flandre, ces poussées centrifuges et irrationnelles se sont exprimées par le développement foudroyant d'un parti populiste et ultra-nationaliste, le "Vlaams blok/ belang", qui est devenu le deuxième parti de Flandre et plus récemment par la montée d'un autre parti populiste poujadiste de droite, la liste De Decker.

Blocage post-électoral : accentuation du poids de la décomposition sur le système politique belge

Cette tendance générale à la décomposition est accentuée en Belgique par le poids spécifique des tensions entre les fractions "régionales" de la bourgeoisie belge, tensions qui existent potentiellement depuis la création artificielle de l'Etat belge. L'extension de la décomposition et du "chacun pour soi" dans le monde à la fin du 20e siècle a rendu la recherche et l'imposition d'un fragile équilibre entre les fractions régionales de plus en plus illusoires et incertaines, les tensions et les contradictions encore plus explosives, en particulier avec une partie de la bourgeoisie flamande qui veut se défaire "de ce gouffre à millions qu'est l'industrie wallonne non rentable". Ces tensions régulières ont produit une série de phénomènes qui rendent la vie politique de la bourgeoisie belge particulièrement complexe à gérer : - il y a tout d'abord la fragmentation du paysage des partis, avec, depuis la fin des années 1960, la "communautarisation" des grandes familles politiques traditionnelles (le dédoublement des partis socialiste, libéral, social-chrétien en un parti wallon et un parti flamand), la lente érosion des grands partis populaires socialistes et sociaux-chrétiens qui dominaient largement la vie politique et l'avènement de partis régionalistes. - La bourgeoisie a essayé d'éliminer ces partis régionalistes en les faisant absorber par les partis traditionnels, mais cela lui est revenu à la figure tel un boomerang. En effet, cette politique n'a eu comme résultat qu'une déstabilisation de ces mêmes partis traditionnels, comme on a pu l'observer ces dernières années avec le parti libéral flamand de l'ex-premier ministre Verhofstadt, le parti socialiste flamand ou aujourd'hui même avec le "vainqueur" des élections, les sociaux-chrétiens du CD&V de "l'ex-formateur" Yves Leterme, prisonniers de leur cartel avec une petite formation séparatiste flamande, la NVA. La crise politique actuelle est le produit de l'exacerbation de ces tensions entre les fractions "régionales" de la bourgeoisie belge face à l'approfondissement de la crise du capitalisme mondial. En effet, pour faire face à la mondialisation, elles proposent des orientations différentes pour la politique de l'Etat belge: - la bourgeoisie flamande, représentant la région économiquement la plus forte et une des régions les plus performantes d'Europe, revendique une politique d'autonomie et de flexibilité économique, qui doit lui permettre de se maintenir dans le peloton de tête en réduisant au minimum le ballast des régions moins performantes. L'attribution de compétences et de leviers économiques plus importants aux régions devrait permettre de limiter la solidarité envers la région plus faible afin de concentrer les moyens financiers sur ses propres secteurs performants; - la bourgeoisie francophone, qui représente la région plus en difficulté économique, tient au contraire à consolider les flux de subsides de l'Etat central et à maintenir au maximum les mécanismes de "solidarité" économique entre régions. Ceci dit, diverses déclarations de dirigeants d'entreprise ainsi que des études économiques publiées récemment indiquent que les composantes principales de la bourgeoisie n'envisagent pas d'un point de vue rationnel l'option d'une scission pure et simple du pays. Les chiffres avancés soulignent que le coût d'une telle opération serait extrêmement lourd et onéreux pour les deux parties : - pour la Wallonie, la séparation serait catastrophique : l'arrêt des subsides et des transferts venant de Flandre (5,6 milliards d'euros) représenterait une réduction immédiate de 15% à 20% des prestations sociales et un recul de 4% du niveau de vie général de la population ; - mais pour la Flandre, également, l'impact se révélerait en fin de compte négatif. Ainsi, elle perdrait les revenus des impôts des 200.000 flamands qui travaillent actuellement à Bruxelles ; elle perdrait aussi son principal marché "extérieur" pour les secteurs de consommation (Bruxelles et la Wallonie), tandis qu'elle devrait abandonner Bruxelles, majoritairement francophone, et céder plusieurs communes autour de la capitale aux francophones. C'est en particulier la perte du "moteur de croissance économique" qu'est Bruxelles qui risque de coûter cher à la Flandre. Bref, si la perspective d'une scission semble écartée pour le moment, le bras de fer entre les deux fractions continue et rend les négociations particulièrement complexes et la situation politique toujours plus inextricable.

Campagnes nationalistes : la bourgeoisie exploite intensément ses faiblesses contre la classe ouvrière

Le CCI a largement argumenté que le développement de la décomposition ne favorisait en rien le développement de la lutte de classe. La situation politique récente en Belgique montre comment la bourgeoisie exploite ses contradictions internes pour déclencher des campagnes d'une intensité extrême, dans le but de mobiliser "l'opinion publique" derrière des alternatives, tout aussi nationalistes et patriotardes l'une que l'autre. En particulier, la fraction la plus faible, la bourgeoisie francophone, a mené des campagnes intenses. Il y avait déjà eu fin 2006 la fameuse émission de "politique-fiction" à la télé belge francophone (RTBF) sur la séparation de la Belgique ; plus récemment, il y a eu la floraison de drapeaux tricolores à Bruxelles et la manifestation de 35.000 personnes à Bruxelles le 18 novembre "pour l'unité du pays". Quant aux fractions dominantes de la bourgeoisie flamande (en particulier le CD&V du formateur Leterme), elles ont centré leur discours sur la conviction qu'elles pourraient imposer par la pression une régionalisation poussée de la gestion financière et sociale, et les franges les plus radicales (autour de la NVA et du Vlaams Belang) ont même laissé entendre que l'heure de "l'union de tous les Flamands pour une Flandre indépendante" avait sonné. Ces campagnes d'une intensité jamais vue en Belgique depuis les années '60 soulignent combien nous avons raison de souligner que la décomposition ne profite pas au prolétariat mais que la bourgeoisie retourne habilement ses difficultés contre la classe ouvrière. En effet, - ces campagnes sont particulièrement pernicieuses dans la mesure où elles se centrent plus spécifiquement sur une thématique centrale pour le développement de la lutte ouvrière, la solidarité, pour la détourner vers un plan nationaliste ou sous-nationaliste : la solidarité de tous les Belges, la solidarité de tous les Flamands ou de tous les francophones; - de plus, elles détournent aussi l'attention de la classe ouvrière des attaques qui continuent à pleuvoir sur elle et qui s'expriment en particulier aujourd'hui par une hausse sans précédent de l'essence et du gasoil de chauffage, du gaz et de l'électricité, ainsi que de certains produits alimentaires de première nécessité.

Malgré les querelles internes, la bourgeoisie ne perd pas de vue ses intérêts

L'absence prolongée d'un capitaine au gouvernail de l'Etat tend en fin de compte à nuire à la crédibilité de l'Etat belge et à la compétitivité de l'économie nationale (donc aux profits mêmes de la bourgeoisie) dans l'âpre lutte pour les marchés au niveau international. Par ailleurs, le prolongement sans fin de la crise politique laisse une impression de chaos et d'abandon des responsabilités de gestion de l'Etat au moment où les infos sur la hausse du coût de la vie (chauffage, essence, alimentation) et la baisse du niveau de vie se multiplient, ce qui a fort alimenté ces dernières semaines un sentiment de ras-le-bol parmi les travailleurs. Il n'est donc pas surprenant de retrouver précisément ces trois volets dans la mission attribuée au gouvernement intérimaire, "avec un programme limité", mis en place par la bourgeoisie jusqu'à Pâques : - dans le but de défendre l'intérêt national, la position de la bourgeoisie belge dans le jeu d'empoigne entre puissances rivales, le gouvernement a reçu le mandat de renforcer l'image et la crédibilité de la Belgique à l'étranger (pour le moins mise en question à travers de nombreux articles dans la presse internationale), en accentuant sa présence au niveau européen et dans les missions internationales; - continuellement menacée par la concurrence exacerbée entre économies nationales sur un marché saturé, la compétitivité des entreprises devra être garantie par un contrôle renforcé du budget de l'Etat, une flexibilisation accrue des conditions de travail et du marché de l'emploi; - enfin, si le gouvernement promet aussi quelques mesures marginales pour "sauvegarder le pouvoir d'achat des citoyens", telles des baisses d'accises sur des produits énergétiques ou des accords avec le secteur de l'énergie et de la distribution pour modérer les hausses, sa mise en place doit surtout servir à engager la "concertation sociale" avec les organisations syndicales et permettre ainsi à ces dernières de pleinement jouer leur rôle de désamorçage de la grogne sociale qui se développe et de mobilisation des travailleurs dans "l'effort citoyen pour défendre l'intérêt national". Il est clair que, par rapport aux conditions de vie des travailleurs, cette politique n'a rien d'intérimaire, les mesures nullement limitées. Les vagues d'attaques de plus en plus hautes qui déferlent depuis plusieurs années correspondent simplement aux intérêts vitaux de la bourgeoisie nationale pour sauvegarder ses parts de marché et garantir ses profits. Quel que soit le gouvernement qui se mette en place pour Pâques, quel que soit son programme, quelles que soient les querelles communautaires qui surgiront encore d'ici là, la classe ouvrière doit comprendre qu'elle n'a rien à attendre de ces convulsions au sein des fractions bourgeoises. Bien au contraire, c'est par ses luttes, par le renforcement d'une solidarité entre tous ses membres dans le combat, qu'elle seule pourra avancer une perspective face à ce système pourrissant.
Jos / 29.12.07
(1) voir aussi la "Résolution sur la situation internationale" dans la Revue internationale n° 130

Situations territoriales: 

  • Situation sociale en Belgique [2]

Diviser pour régner! Discussion à propos de la manif étudiante du 6 décembre à Bruxelles

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Nous publions ci-dessous un compte-rendu d'une réunion de discussion qui s'est tenue à l'université de Bruxelles (VUB) le 19/12 pour discuter des perspectives de la lutte des étudiants. Cette rencontre organisée par un cercle de discussion d'étudiants à la VUB, qui organise depuis quelques mois régulièrement des discussions sur différents thèmes, fait suite à des discussions avec d'autres étudiants à la manifestation du 6/12 et à une série d'autres actions contre le plan Vandenbroucke, un plan du ministre flamand de l'enseignement qui prévoit une restructuration du financement des universités flamandes et qui suscite beaucoup d'émoi . Quelques jours avant la manifestation, un élément d'un autre cercle d'étudiants à Anvers a lancé un appel autour de lui à participer à cette manifestation avec le slogan : « Non à l'insécurité ! Tous ensemble contre la pauvreté ! Pour un avenir plus sûr ! Ensemble, on est plus fort !». Il soulignait le lien entre les mesures prises envers les étudiants, ces futurs travailleurs, et celles envers les travailleurs, mesures qui ne promettent qu'un futur de plus en plus incertain et précaire pour les conditions de vie et de travail de tous. Plusieurs éléments des cercles s'étaient aussi rendus, le 12 décembre, à une soirée « Debat financieringsplan Hoger Onderwijs » (débat sur le plan financier concernant l'enseignement supérieur) organisée par des organisations estudiantines officielles d'Anvers où ils ont pris une part active dans la discussion pour dévoiler la signification réelle du plan Vandenbroucke. Le compte-rendu montre bien comment la discussion du 19 décembre, ouverte à tous, arrive à tirer les enseignements de ces événements. Nous saluons très fortement les initiatives prises par ces étudiants et nous les encourageons à les poursuivre car elles font partie intégrante de la démarche à suivre pour combattre le système capitaliste qui entraîne de plus en plus l'humanité dans la misère. Le 19 décembre 2007, une discussion était organisée en collaboration avec [le journal étudiant de la VUB] « de Moeial » autour du thème des ‘manifestations étudiantes'. Cette discussion trouve son origine dans la manifestation du 6 décembre 2007 contre le plan Vandenbroucke. L'article tente de donner un aperçu des positions qui s'y sont exprimées.

Nous ne sommes pas seuls

La manif étudiante du 6 décembre n'est pas un événement isolé : tandis que les étudiants français manifestaient en 2006 pour dénoncer leur avenir incertain ( lutte contre le décret à propos du Contrat Première embauche, CPE), les étudiants grecs protestaient pendant des mois contre des mesures similaires. Les étudiants français ont réussi à repousser complètement le décret sur le CPE. Aujourd'hui, ils manifestent à nouveau contre un autre décret : celui qui vise à la constitution d'universités d'élite et d'universités ‘poubelles'. Aux Pays-Bas aussi, les lycéens manifestent contre la détérioration de la qualité de leur enseignement. Les restrictions budgétaires du gouvernement flamand ne touchent pas seulement les étudiants, les travailleurs dans les services publics et dans les entreprises voient aussi leur niveau de vie baisser rapidement. Du côté wallon, l'enseignement est encore plus mal en point qu'en Flandre. Il est donc clair que l'austérité du plan Vandenbroucke fait partie d'un problème global. Mais que contient en fait le plan Vandenbroucke ?

Le décret

Le décret est un labyrinthe de portes de sortie étendu sur près de neuf cents pages. Il est impossible de faire un bilan précis des conséquences réelles du décret. Seuls les spécialistes du ministère de l'enseignement savent que, d'un point de vue quantitatif, il s'agit d'une rationalisation. Pour nous, c'est la bouteille à encre. Néanmoins, on peut tirer des conclusions générales : les

institutions d'enseignement supérieur ne seront plus financées sur la base du

nombre d'étudiants (financement ‘input') mais sur la base des résultats

(financement ‘output'). Il est difficile de prédire exactement les

conséquences, mais on peut s'attendre à une plus grande rivalité entre

départements. La pression sur le personnel et l'incertitude vont augmenter. On

peut lire l'analyse suivante sur le site de VVS, l'association des étudiants

flamands : « Le ministre veut bientôt financer les universités et

les hautes écoles sur la base des crédits et des diplômes obtenus. Cela met la

qualité de l'enseignement sous pression et rend les groupes sociaux qui ont

moins de chance de progresser, financièrement moins attractifs. Dès lors, les

manifestants exigent que tous les groupes cibles soient reconnus et qu'ils

reçoivent des moyens supplémentaires : en particulier les étudiants

allochtones, ceux avec des parents peu formés et les étudiants provenant de

l'enseignement technique et professionnel. Le fonds d'encouragement pour

l'égalité des chances ne représente avec ses 1% du budget une goutte dans un

océan. Le refus de financer les crédits délibérés va pousser les institutions à

appliquer la tolérance zéro et à refuser de délibérer des notes insuffisantes.

Vandenbroucke ne veut plus financer que quelques formations complémentaires.

Les droits d'inscription des autres formations post-master augmenteront jusqu'à

5400 euros ou même 25000 euros, sans aucune compensation sociale pour les

étudiants boursiers ou pour les chômeurs. De même, celui qui ne termine pas

dans les délais impartis sa formation, aura des problèmes. Il perd son droit

d'inscription et devra payer le double pour arriver à se réinscrire. Le nouveau

décret de financement constitue également une grande menace pour la qualité de

l'enseignement. Près de la moitié du financement de base sera fondé sur les

résultats de recherche. Les professeurs accorderont encore plus d'importance à

la publication d'articles au détriment de leurs tâches d'enseignement. Enfin,

le problème du sous-financement structurel de l'enseignement supérieur en

général et des hautes écoles en particulier, n'est pas résolu. Les formations

artistiques et en sciences humaines sont même menacées dans leur survie ».
La division et la concurrence entre étudiants est accrue en leur accordant un ‘poids' différent dans le modèle de financement. Les étudiants dans les sciences ‘inhumaines' (les scientifiques ou les ingénieurs) sont également traités de manière différente. Les étudiants sont isolés, chacun dans son coin : d'après la filière, le background social (allochtone ou autochtone, le diplôme et les revenus des parents), les résultats (réussi ou non et avec quel grade), l'université, la langue, la région. Le gouvernement flamand veut que ses universités soient mieux classées dans les ‘rankings' internationaux et qu'elles puissent mieux engager la concurrence sur le plan international. En France, le gouvernement tente pour le moment de faire passer un plan similaire : la constitution de quelques universités d'élite avec un maximum de moyens et d'autre part des universités ‘poubelles'. Des moments de sélection seront alors organisés, de sorte que seuls les lycéens brillants pourront jouir d'un enseignement de qualité. Les sélections seront dures et les frais d'inscription élevés. Les similitudes entre les situations française et belge sont frappantes. En Flandre aussi, on ne veut plus que financer les universités et les étudiants performants. Aux Pays-Bas, ce type de scénario est déjà depuis longtemps en vigueur dans l'enseignement secondaire. Il y a un manque de professeurs à cause des salaires bas : depuis des années, certaines écoles n'ont plus de prof de maths . Les lycéens veulent des cours pertinents et cela demande plus de profs, non pas plus d'heures de cours. Il n'y a rien de ‘démocratique' à l'enseignement tel qu'il existe : les gens avec plus d'argent peuvent étudier dans de meilleurs lycées et poursuivre leurs études. Les étudiants avec un arrière-fond social moins privilégié ont moins de chances. Et la teneur ‘démocratique' de celui-ci est encore réduite : il ne suffit plus d'être motivé et de disposer de conditions sociales acceptables, il faut encore avoir de l'argent. Comme en France ou aux Pays-Bas, les droits d'inscriptions augmentent en Belgique (En France, ils représentent déjà mille euros et une même augmentation est attendue en Belgique). A la manif, peu de gens savaient ce que le plan Vandenbroucke contenait. Ce n'est pas étonnant: les médias donnent une image confuse du décret et on n'organisa pas de sessions de discussion ou d'information afin de faire prendre conscience du problème. Malgré cela, beaucoup de gens à la manif paraissaient inquiets.

Conscience et manifestation

Lorsqu'on considère les conséquences possibles de ce décret, la manif du 6 décembre apparaît comme terriblement ‘molle'. Comment l'expliquer? De toute évidence, il est difficile de comprendre un décret si compliqué seul dans son coin ; dans une discussion, il est plus facile de l'appréhender et d'en avoir une image cohérente. C'est alors que des opinions sont échangées et que la conscience se forme ; la discussion entre individus est un premier pas. C'est cependant au cours d'une manif qu'on se rend compte combien de personnes partagent la même opinion. C'est un encouragement énorme, cela confirme et renforce les convictions. Il apparaît aussi clairement qu'on ne manifeste pas pour soi : certains manifestants vont peut-être tirer profit du décret, mais peut-être pas leur co-manifestant, leur frère, sœur, collègue, ami ou futur enfant. C'est aussi une opportunité pour entrer en contact avec d'autres, échanger des opinions et organiser des assemblées générales où sera discutée la suite à donner au mouvement. Un mouvement ne se termine pas avec une manif, il se poursuit. La manif du 6 décembre était encadrée. Elle a commencé et s'est terminée le même jour.

Sabotage et chantage

Pourquoi n'a-t-on organisé aucune discussion, aucune session d'information? Pourquoi la manif a-t-elle été organisée si tard? Pourquoi distribuait-on de la bière et était-on divisé? Pendant la discussion, il est apparu clairement que les syndicats et le gouvernement avaient saboté un mouvement constructif et massif : - le 29 novembre, à Gand, une manif organisée par la COC (centrale chrétienne de l'enseignement), le VSOA (Syndicat libre de la fonction publique) et VVS (Association flamande des étudiants) a réuni 4000 étudiants et membres du personnel (‘De Morgen' n'en relevait que 2000). Tous les étudiants et membres du personnel seront tôt ou tard les victimes de ce décret, pourquoi alors tenir une manif séparée de la manif centrale ? La division entre étudiants est ainsi encore renforcée et cela réduit le nombre de personnes qui manifestent ensemble; - le VVS voulait organiser la manif plus tôt mais ‘certains détails' devaient encore être discutés entre Vandenbroucke et les syndicats, de sorte que la date de la manif était constamment reportée. Il n'a jamais été clair quels étaient ces ‘certains détails' mais le report de la date était une mauvaise chose pour les manifestants : les examens approchaient, le temps devenait plus mauvais et il subsistait de moins en moins de temps pour se réunir après la manif. En d'autres mots, les organisateurs de la manif n'ont pas choisi eux-mêmes la date mais l'ont laissée dépendre du ministre; - de plus, l'endroit de la manif (Bruxelles-Nord et le ministère flamand de l'enseignement) était une entrave à une assistance massive et à la discussion. Alors qu'on était dehors sous la pluie, on aurait pu discuter dans les auditoires et aller demander un soutien à d'autres étudiants ou à des membres du personnel. On aurait pu aller vers d'autres universités pour renforcer les liens entre nous. Mais devant et derrière les manifestants, les rues étaient bloquées par la police, de façon à éviter tout contact avec le monde extérieur; - les hautes écoles n'avaient pas appelé à manifester parce que Vandenbroucke leur avait promis 7 millions d'euros une semaine avant la manif (la condition étant de ne pas participer à la manif). Après des années de sous-financement des hautes écoles, une offre unique de 7 millions est incroyablement peu et montre comment le gouvernement use ouvertement de chantage; - la distribution de bière, de sifflets et de klaxons, la multiplication de discours fantaisistes (comme par exemple celui d'un personnage déguisé en Saint Nicolas), et la diffusion plein tube de musique ne favorisaient pas la discussion entre les participants. La manif ressemblait plus au défilé étudiant de la St-Vé qu'à une occasion unique pour échanger des opinions ou discuter de perspectives. La transformation d'une manif en un cirque avec une explosion de couleurs et de slogans ‘politiques' est typique des manifs syndicales. Les conséquences du décret sont sérieuses, pourquoi alors la manif ne l'était-elle pas? - le syndicat socialiste ACOD(CGSP) n'appelait officiellement pas à manifester parce que le ministre de l'enseignement Vandenbroucke est lui-même un ‘socialiste'. Quels intérêts est-ce que les syndicats défendent, ceux du gouvernement ou ceux des étudiants? - tous les étudiants et membres du personnel sont victimes du décret. Pourquoi circulions-nous alors dans des couleurs différentes (rouge, verte ou bleue) ? Qui distribue gratuitement ces sacs poubelles et ces casquettes ? Toute la préparation de la manif était caractérisée par la technique de ‘diviser pour régner', diviser en notre défaveur. Le conseil étudiant (StAL) de l'association autour de l'université de Louvain (KUL) n'a pas appelé à manifester parce que cette université pourrait tirer profit du décret. Cela est non seulement un signe d'égoïsme, mais aussi de naïveté : dans quelques années, Vandenbroucke présentera un plan qui ‘redressera' les inégalités entre l'université de Louvain et les autres. Ainsi, le ministre peut s'attaquer d'abord aux petites universités avant de s'en prendre aux grandes. - les syndicats chrétien, socialiste et libéral (soit la CSC, la FGTB et la CGSLB) ont organisé le 15 décembre une manifestation nationale en défense de la solidarité et contre la baisse du pouvoir d'achat. Le plan Vandenbroucke brise la solidarité entre les étudiant en leur donnant un ‘poids' différent dans le financement des universités, et le coût de l'enseignement augmente. Pourquoi alors la manif étudiante ne s'est-elle pas tenue en même temps que l'autre, alors qu'il y avait ces convergences? On ne peut qu'en conclure que les syndicats et le gouvernement sont des partenaires perfides. Il y a deux ans, les étudiants manifestaient aussi contre ce plan et peu de choses ont changé entre temps. N'est-il pas temps de manifester autrement? Un exemple d'un mouvement étudiant réussi est le mouvement anti-CPE en France en 2006.

Un exemple

En 2006, le gouvernement français essayait d'imposer le Contrat de Première Embauche. Pour les étudiants qui entrent sur le marché du travail, ce contrat signifiait une diminution du nombre de leurs années d'ancienneté (les premières années de travail ne comptent pas pour le calcul du salaire). Les étudiants ont organisé des assemblées générales dans les auditoires pour expliquer les mesures et pour discuter des actions à entreprendre. Ces assemblées ont été organisées dans toutes les universités et des contacts ont été établis entre universités pour mener des actions conjointes. Ces assemblées ont permis aux étudiants de décider eux-mêmes de la manière de mener des actions et d'impliquer d'autres étudiants dans les mouvements. Très vite, les étudiants français ont compris qu'un mouvement ne pouvait réussir que s'il pouvait compter sur le soutien de l'ensemble de la population. C'est pourquoi les étudiants sont allés vers les entreprises et le secteur public pour expliquer leurs problèmes et demander du soutien. Les travailleurs comprirent bien que ces étudiants étaient de futurs travailleurs et qu'ils défendaient les intérêts de leurs propres enfants. C'est pourquoi de nombreux travailleurs décidèrent de participer aux manifestations. La participation massive d'étudiants et de travailleurs, conscients du futur précaire (manifestations des 18 mars, 24 mars, 4 avril 2006 avec en moyenne 700.000 manifestants) a effrayé de telle sorte le gouvernement français que l'ensemble du décret sur le CPE a été retiré. La peur avait également contaminé les gouvernements sur un plan international: en Allemagne, le gouvernement voulait introduire des lois similaires, mais les réactions en France étaient un avertissement. Le CPE allemand fut également retiré, sans que les étudiants allemands ne manifestent.

Que faire maintenant ?

A la fin de la discussion, un sentiment d'impuissance prédominait: les examens approchaient, la manif était derrière nous et le décret sera approuvé par le parlement flamand en janvier. Il n'est plus possible d'encore organiser quelque chose. Ce qu'il faut faire de plus important maintenant, c'est de tirer les leçons de l'échec et ne pas les oublier. Ce n'est qu'en apprenant du passé qu'on peut aller de l'avant. Les conclusions sont fondamentalement: - le premier pas est la discussion. Sinon, il est impossible de com-prendre les choses et d'appréhender de manière cohérente la situation. Pendant la discussion, nous prenons conscience et saisissons le sé-rieux de la situation. Il faut tenir des assemblées générales où chacun peut s'exprimer et où les décisions sont prises par les étudiants et les membres du personnel; - on ne peut pas se laisser diviser par filière, région, origine ou lan-gue. C'est ensemble qu'il faut discuter et mener des actions. Toute division constitue un affaiblissement du rapport de force. C'est la politique de ‘diviser pour régner' qui a mené la manif passée à l'échec; - l'organisation doit être prise en main par les étudiants et les membres du personnel eux-mêmes, pas par les syndicats. C'est nous qui décidons quand et comment nous voulons manifester. Pas ques-tion d'encadrer ou de diviser les actions: tous les étudiants (des hautes écoles comme des universités), lycéens, ouvriers au travail ou chômeurs seront tôt ou tard victimes des mesures. Il nous faut al-ler demander le soutien à toutes les couches sociales et à toutes les générations. Seul un large mouvement, massif et conscient, peut aboutir au succès, à l'exemple du mouvement anti-CPE en France. Il y a deux ans, les étudiants manifestaient contre le plan Vanden-broucke. Cela n'a pas été un succès, tout comme la manif du 6 décembre. Néanmoins, quelque chose a changé: des gens sont venus à la discussion du 19 décembre et ont exprimé leur mécontentement. Ensemble, nous avons pu tirer des conclusions importantes qui constituent une base pour la prochaine fois. Et ça, c'est nouveau!

Situations territoriales: 

  • Situation sociale en Belgique [2]

Flambée des prix du pétrole, des produits alimentaires: L'aggravation de la crise économique

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Tout augmente ! La flambée des prix de l'énergie alourdit les factures de chauffage et renchérit le coût des déplacements domicile-travail. Le prix des produits de première nécessité, comme le pain et le lait, explose littéralement. Au supermarché, le même budget remplit de moins en moins le chariot ! Tout augmente... sauf les salaires. « Le problème est universel. Pour la première fois peut-être, que l'on habite un pays riche ou pauvre, on parle la même langue : les Italiens s'inquiètent du prix des pâtes, les Guatémaltèques de celui de la galette de maïs, les Français et les Sénégalais de celui du pain. »1  Le prix du porc, la viande la plus consommée en Chine, a presque doublé en un an, tandis que s'envolent les cours des autres produits agricoles comme la volaille et les œufs. Au Japon, dépendant à 60% de produits importés, la flambée des prix touche presque tous les aliments.

Pourquoi cette flambée des prix ?

Pour la bourgeoisie, l'explication principale résiderait dans... une trop bonne santé de l'économie asiatique : « La diminution de la production (aggravée par la sécheresse et le boom du biogazole, entre autres) et l'augmentation de la demande (provenant surtout de pays émergents comme l'Inde et la Chine, désireux d'imiter le mode alimentaire occidental) ont alors entraîné une flambée de prix tout aussi extraordinaire qu'inattendue. »2  Bref, un problème ordinaire de déséquilibre entre l'offre et la demande ! Pure intox ! Les hausses de prix découlent directement de la crise économique. Elles constituent le premier contrecoup, sur les conditions de vie de la classe ouvrière mondiale, de la crise des désormais célèbres subprimes3  qui a débuté cet été aux Etats-Unis, . Pour faire face au « trou noir » des dettes du marché américain, toutes les banques centrales n'ont eu pour seule réponse que d'injecter massivement de l'argent à bas coût (en prêtant aux spéculateurs avec des taux très faibles), espérant ainsi limiter la contagion et les dégâts à court terme. Mais cette politique n'est même pas un cautère sur une jambe de bois ; elle est une énième fuite en avant dans l'endettement4  qui ne fait, en réalité, qu'alimenter et aggraver encore la crise elle-même. En déversant une immense masse de monnaie sur les banques menacées de faillite et les bourses, à coups de centaines de milliards de dollars, la bourgeoisie, les banques centrales  n'ont fait que relancer une profonde spirale inflationniste au niveau  international5 . Mais pourquoi ce « processus inflationniste » touche-t-il
particulièrement les matières premières et les denrées alimentaires de base,
indispensables à des millions d'êtres humains ? La réponse est à l'image
de ce système en putréfaction : inhumaine. « Les matières
premières attirent les spéculateurs, qui alimentent la hausse en cherchant,
après la crise de l'immobilier américain cet été, des débouchés porteurs sur
d'autres marchés. »
6 . Ainsi « l'exubérance
irrationnelle »
de la flambée des carburants s'explique par les
investissements spéculatifs « qui se sont retirés de certains marchés
(actions, obligations, monnaies) pour se rabattre sur les
‘commodities', notamment le pétrole. »7  Même chose concernant les céréales :
après le krach d'août, « Goldman-Sachs et Marc Faber, suivis de
pratiquement tous les groupes de spéculateurs, conseillent d'investir sur les
marchés agricoles, avec des instruments de levier pour pouvoir jouer plusieurs
fois sa mise. »
8  Pour sauver leur capital, tous ces vautours
n'hésitent pas à se transformer en véritables affameurs ! Comme l'avoue
avec un cynisme sans bornes l'un d'entre eux, « si nous vivons un
ralentissement mondial, ça n'affectera pas les produits agricoles car les gens
mangent quand même »
9  ! L'ONU estime que « nous allons perdre du terrain face à la faim. »10  Doux euphémisme ! Dans les 82 pays les plus pauvres, où les dépenses alimentaires représentent couramment 60 à 90% du budget, la hausse attendue du blé de 20% condamne à la famine pure et simple - et donc à la mort - toute une partie de la population ! Depuis 2006, au Mexique, au Yémen, au Brésil, au Burkina Faso, ou encore au Maroc, des émeutes de la faim ont déjà éclaté. En Chine, « la valse des étiquettes remet en question l'amélioration des conditions d'existence. »11  Dans les pays occidentaux, se nourrir correctement devient un luxe. En France, quand la consommation d'environ 400 grammes de fruits et de légumes (préconisée par l'OMS) par personne et par jour représente entre 5 et 12% du SMIC, il est clair que de nombreux ouvriers ne seront plus en mesure de faire face à la satisfaction des besoins les plus élémentaires.

Vers un «nouveau 1929» ?

A lire la presse, il est clair que le spectre du krach de 1929 et de la Grande Dépression hante toute la bourgeoisie, avec une angoisse : « Va-t-on vers un nouveau 1929 ? ». Il est vrai qu'hier et aujourd'hui présentent des analogies : les bourses qui vacillent et dont les mouvements de yoyo masquent mal la chute ; les montagnes de dettes qui se révèlent insolvables,  la crise de confiance entre les banques qui, toutes, multiplient les pertes ; la panique des petits épargnants formant devant leur banque d'interminables queues pour retirer leurs économies, aux Etats-Unis, en Allemagne et en Angleterre ; la perspective pour toute une partie de la classe ouvrière aux Etats-Unis de se retrouver du jour au lendemain privée à la fois de toit et d'emploi. En 1929, le krach de la Bourse de New York, le célèbre « jeudi noir » (24 octobre 1929), a inauguré la première crise économique majeure du capitalisme en déclin, la Grande Dépression des années 1930. Cet effondrement révéla la crise de surproduction de marchandises chronique dans la phase de décadence du capitalisme. Cette crise de 1929 a pris la forme d'un effondrement complet qui a marqué les mémoires parce que la bourgeoisie a appliqué les vieilles recettes qui avaient prouvé leur efficacité lors des crises... du 19e siècle (c'est à dire quand le capitalisme était encore en plein développement, en période d'ascendance) mais qui là, non seulement restèrent sans effets, mais jouèrent un rôle aggravant dans la nouvelle situation historique (la décadence du capitalisme). Concrètement, la restriction par la Banque Fédérale américaine de la quantité de monnaie sur le marché a eu pour conséquence la faillite de la plupart des banques, le recul du crédit et un coup de frein énorme sur l'activité économique. Les mesures protectionnistes en faveur de l'économie nationale, bientôt imitées partout, ont eu pour conséquence la fragmentation de l'économie mondiale, le blocage du commerce international et, finalement, un recul encore plus grand de la production. Depuis la crise des années 1930, si la bourgeoisie n'a pas trouvé de réelle solution à la crise économique historique de son système12 , elle s'est par contre adaptée à cet état de crise permanente, en parvenant à l'étaler dans le temps. En quelque sorte, son vaisseau continue de sombrer, mais plus lentement. Elle a ainsi compris comment utiliser les mécanismes étatiques pour faire face aux crises financières en jouant sur les taux d'intérêts et l'injection de liquidités dans le système bancaire. C'est pourquoi la crise économique actuelle qui fait rage depuis 1968, n'a pas pris la forme de l'effondrement brutal de 1929. Le déclin a été plus graduel. La crise a titubé d'une récession à l'autre, encore plus grave et plus étendue, passant d'une pseudo-reprise à l'autre, plus brève et plus limitée encore. Ce lissage de la crise dans une spirale descendante a permis à la bourgeoisie de nier l'existence même de la crise et de la faillite de son système, mais au prix d'une surcharge du système capitaliste sous des montagnes de dettes et de l'accumulation de contradictions de plus en plus dangereuses pour le capitalisme. La fragilisation extrême du système financier mondial témoigne de l'usure de tous ces palliatifs utilisés par la bourgeoisie. La crise actuelle n'engendrera donc certainement pas un arrêt brutal
de l'économie comme en 1929. Pourtant, à bien des égards, elle est encore plus
grave et profonde. Dans les années 1930, aux Etats-Unis, lorsque le New Deal inaugure le programme de relance de l'économie pour tenter de faire face à sa crise de surproduction, le financement de l'ensemble des mesures à crédit par des emprunts d'Etat ne représente qu'une part infime du revenu national annuel (l'équivalent de moins de trois mois de dépenses militaires lors de la Seconde Guerre mondiale) ! Aujourd'hui, la dette américaine atteint déjà 400% de son PNB ! La certitude de certains milieux capitalistes « que la
‘Très Grande Dépression US
(...) va avoir des conséquences sans commune
mesure avec la crise de 1929
, (...) même si 1929 reste le dernier point de
comparaison possible dans l'histoire moderne
 »13  témoigne de l'inquiétude de la
bourgeoisie ! La crise de 2007 a un impact directement mondial. « Comme
la contagion à l'économie réelle est déjà en cours non seulement aux Etats-Unis
mais également sur l'ensemble de la planète, c'est désormais l'effondrement des
marchés immobiliers britannique, français et espagnol qui est au programme de
cette fin d'année 2007, tandis que l'Asie, la Chine et le Japon vont devoir
faire face simultanément à la chute de leurs exportations vers le marché
américain et à la baisse rapide de la valeur de tous les actifs en dollars US
(devise US comme bons du trésor, actions d'entreprises US, etc.)
 »14  Cette perspective d'une sévère récession assortie d'une poussée de l'inflation va se traduire par une dégradation brutale des conditions de vie et d'exploitation pour la classe ouvrière partout dans le monde et une paupérisation croissante irréversible. Malgré toutes les promesses des politicards de tous bords, le capitalisme, ayant épuisé ses palliatifs, est aujourd'hui incapable de trouver la moindre  porte de sortie et de masquer sa faillite ouverte. La seule perspective qu'il puisse offrir à l'humanité, c'est encore et toujours plus de misère. L'avenir, l'espoir et le salut de l'humanité appartiennent à la lutte de la classe ouvrière!
Scott  / 26.11.07
(1) Le Monde du 17 octobre 2007. (2) La Reppublica, cité par Courrier International n°888. (3) Subprimes : crédits hypothécaires à risques. (4) Après l'éclatement de la bulle spéculative Internet en 2000-2001 et face au risque d'un plongeon brutal dans la récession, l'État américain a, à l'époque, délibérément et consciemment créé de toute pièce une nouvelle bulle pour soutenir la consommation, la bulle immobilière, en systématisant les prêts aux ménages américains les plus pauvres. Il aura suffit de quelques années pour que celle-ci éclate à son tour, avec des risques bien plus grands encore pour l'économie mondiale (lire notre article « La crise immobilière, un symptôme de la crise du capitalisme » sur notre site web : internationalism.org). (5) « La masse de l'argent circulant est déterminée par la somme des prix des marchandises (pour une valeur constante de la monnaie), et cette somme des prix par la masse des marchandises en circulation. » (Engels, Sur le capital) L'augmentation de la quantité de monnaie en circulation sans augmentation de la production de marchandises constitue une dévaluation ; les prix (expression monétaire de la valeur) doivent donc augmenter dans la même proportion pour exprimer la valeur des marchandises, qui, elle, ne change pas.  (6) Libération, 2 novembre 2007.  (7) Le Monde, 20 octobre 2007.  (8) Nouvelle solidarité, 3 septembre 2007.  (9) Bloomberg, 19 aoüt 2007.  (10) J. Sheeran, directrice exécutive du programme alimentaire mondial des Nations Unies.  (11) Nanfang Zhoumo, journal de Canton.  (12) Et pour cause, puisqu'il n'en existe nulle autre que la destruction du capitalisme !  (13) Global Europe Anticipation, bulletin n°17.  (14) Id.

Questions théoriques: 

  • L'économie [3]

France, lutte des cheminots, mouvement des étudiants: Gouvernement et syndicats main dans la main contre la classe ouvrière

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La grève des travailleurs des transports (SNCF et RATP) qui s'est terminée le 22 novembre (et s'est déroulée simultanément avec la lutte des étudiants contre la loi "d'autonomie des universités" visant à accentuer les inégalités entre les enfants de la classe ouvrière et ceux de la bourgeoisie) constitue la première riposte significative de la classe ouvrière en France contre les attaques du gouvernement Sarkozy/Fillon/Pécresse et consorts. Le démantèlement des régimes spéciaux des retraites n'était qu'un début puisque le gouvernement a annoncé clairement que la perspective était à l'allongement de la durée des cotisations pour tous. En ce sens, et la presse était assez claire aussi là-dessus, il était de première importance pour la bourgeoisie de réussir à faire passer cette première attaque sous peine de compromettre la réussite de toutes les suivantes. C'est pour cela que les travailleurs des transports ont rejeté la réforme en exigeant non seulement le maintien de leurs régimes spéciaux mais aussi l'abolition de ce "privilège" qui ne peut que mettre les travailleurs en concurrence les uns avec les autres. Le mot d'ordre des cheminots et travailleurs de la RATP était donc : "37,5 annuités POUR TOUS !"

La préparation du "bras de fer" de la bourgeoisie

 L'attaque contre les régimes spéciaux a fait l'objet d'un consensus de toutes les forces du capital. Le PS ne s'en est d'ailleurs pas caché : il a clairement affirmé qu'il était favorable à la réforme. La seule "divergence" avec le gouvernement portait sur la forme (comment la faire passer ?) et non pas sur le fond. Pour faire passer cette attaque et préparer le terrain à celles qui vont venir, la bourgeoisie se devait de monter une gigantesque manœuvre pour casser les reins de la classe ouvrière et lui faire comprendre que "lutter ne sert à rien". Et pour faire mieux passer ce message, la classe dominante s'est donnée également comme objectif d'effacer dans la conscience des prolétaires les leçons de la lutte des jeunes générations contre le CPE au printemps 2006. La bourgeoisie savait que ce passage en force allait se heurter à la résistance de la classe ouvrière. Cela s'est confirmé lors de la journée d'action du 18 octobre (utilisée par le gouvernement et les syndicats pour "prendre la température") où s'est manifestée une très forte combativité : taux record de participation à la grève des transports et, malgré celle-ci, participation importante des travailleurs de tous les secteurs aux manifestations. A pied, en vélo ou en utilisant le "co-voiturage", il fallait montrer le refus des mesures du gouvernement. Pour briser cette combativité, la bourgeoisie s'y est prise en deux temps. Face à la volonté des travailleurs de poursuivre la grève après la journée du 18 octobre, la CGT a freiné des quatre fers et a dit : "Une journée et pas plus", en programmant une deuxième journée d'action pour le 13 novembre. L'objectif du 18 octobre était de "lâcher un peu de vapeur" pour éviter l'explosion de la cocotte-minute. De ce fait, la grève du 13 novembre, malgré son fort taux de participation, a été moins suivie que celle du 18 octobre. Pour casser les reins de la classe ouvrière et empêcher ses luttes futures, la bourgeoisie a utilisé une stratégie classique (qui avait fait la preuve de son efficacité dans les années 1980 et 1990) : elle a "choisi" un secteur cible pour développer sa manœuvre, celui des transports et notamment la SNCF. Un secteur numériquement assez minoritaire et dont la grève ne peut que créer une gêne pour les autres travailleurs (les "usagers"). L'objectif visé était de rendre la grève des transports impopulaire afin de monter les "usagers" contre les grévistes, diviser la classe ouvrière, briser la solidarité au sein de celle-ci, empêcher toute tentative d'élargissement de la lutte et culpabiliser les grévistes. La deuxième raison pour laquelle la bourgeoisie a décidé d'attaquer spécifiquement les secteurs disposant d'un "régime spécial" c'est que, dans ces derniers, les syndicats (et notamment la CGT) sont particulièrement forts, permettant ainsi de garantir un plus grand contrôle de la combativité et d'éviter tout "débordement". Enfin, la troisième raison justifiant le choix de ces secteur "cibles" résidait dans le fait qu'ils sont traditionnellement marqués par un fort esprit corporatiste (notamment à la SNCF) qui a toujours été alimenté par les syndicats.

Le partage des tâches entre gouvernement et syndicats

La bourgeoisie devait jouer "très serré" car elle a porté des attaques de façon simultanée contre tous le secteurs de la classe ouvrière (franchises médicales, loi Hortefeux, loi sur "l'autonomie" des universités, régimes spéciaux des retraites, augmentation des prix, suppressions de postes dans la fonction publique et notamment dans l'Éducation nationale, etc.). La classe dominante s'est donc préparée à faire face au danger d'une simultanéité des luttes dans plusieurs secteurs. En particulier, les étudiants étaient déjà mobilisés lorsque les travailleurs des transports sont entrés en lutte. La manœuvre de division et de saucissonnage des luttes devait donc se dérouler suivant un calendrier très précis : - La journée d'action des fonctionnaires du 20 novembre avait comme objectif non seulement d'être une "soupape de sécurité" face au mécontentement qui monte dans leurs rangs mais aussi de servir de journée d'enterrement de la grève des cheminots et des travailleurs de la RATP ; des "funérailles nationales" en quelque sorte ; - Il fallait que chaque syndicat joue sa propre partition dans ce concert. Dans un premier temps, jusqu'à la journée du 18 octobre, il fallait donner un sentiment de "force" aux cheminots en jouant la carte de l'unité de tous les syndicats. Après cette journée, les syndicats ont commencé à abattre les cartes de la division. C'est à la FGAAC (syndicat strictement corporatiste de conducteurs) qu'il revient de faire le premier pas : elle signe avec la direction un accord séparé au bénéfice des seuls conducteurs et appelle à la reprise du travail. Il s'agit de semer la zizanie parmi les cheminots. Dans certains dépôts, les autres conducteurs explosent : "les autonomes nous ont lâchés !". Ce premier coup bas a été évidemment très bien relayé par les médias ; - Le deuxième coup est porté à la veille de la grève qui a démarré le 13 novembre. Alors que les cheminots et les travailleurs de la RATP commencent à comprendre la manœuvre de division (et exigent "37,5 annuités pour TOUS" !), Bernard Thibault, secrétaire général de la CGT annonce qu'il renonce à une négociation globale de tous les secteurs concernés par les régimes spéciaux et propose de négocier entreprise par entreprise. Ce mauvais coup ne peut qu'affaiblir la riposte des cheminots ; - Le troisième acte peut alors se dérouler : le front syndical se désunit, notamment avec l'appel à la reprise du travail lancée par la CFDT mais aussi avec le clivage entre la CGT, majoritaire, qui accepte (sans le claironner) le principe du passage aux 40 annuités et les syndicats "radicaux", Sud et FO, qui continuent d'exiger le retrait de cette mesure. En même temps, Fillon, le premier ministre, affirme qu'il est hors de question qu'il recule sur les 40 annuités tout en posant comme préalable à l'ouverture des négociations la reprise du travail. Cette politique de maître chanteur n'est pas nouvelle : les grévistes sont appelés à d'abord déposer les armes (et accepter la "loi du plus fort") avant de "négocier" quelques miettes. C'est inacceptable pour les travailleurs en lutte mais cela va permettre aux syndicats de présenter "l'ouverture des négociations" comme une première victoire. C'est là un "grand classique" du partage des tâches entre patrons et syndicats. En réalité, les dés sont pipés à l'avance puisque syndicats et patronat n'attendent pas les "négociations" officielles pour discuter en permanence dans le dos des travailleurs : il s'agit notamment pour les syndicats de rendre compte aux patrons de la "température" afin de définir ensemble dans quel sens il faut manœuvrer. Lors de cette dernière lutte, ces manœuvres se sont vues comme le nez au milieu de la figure, au point qu'elles ont été relatées en détail par certains organes de la presse bourgeoise !1  C'est pourquoi l'ouverture des "négociations" reportée au 21 novembre, après la journée de grève de la fonction publique, était totalement bidon. Si la CGT et le gouvernement avaient repoussé le début des discussions officielles, c'était non seulement pour que cette journée d'action puisse servir d'enterrement à la grève des traminots parisiens et des cheminots mais aussi pour "faire durer" le mouvement afin de le "pourrir" en montant les ouvriers les uns contre les autres, tout cela sur fond de campagne médiatique de criminalisation des grévistes afin de rendre la grève impopulaire. De cette table des "négociations", la CGT en sort en annonçant des "avancées importantes" avec la mise en place d'un "calendrier de négociations" jusqu'au... 20 décembre. Prévoir de faire durer celles-ci pendant un mois, c'est donner le signal de la reprise du travail : les cheminots ne sont évidemment pas disposés à poursuivre leur mouvement 4 semaines supplémentaires. La CGT, syndicat majoritaire chez les cheminots, annonce qu'elle "laisse" les assemblées "décider elles-mêmes". Elle n'appelle pas officiellement à la reprise du travail mais c'est tout comme.2  De leur côté, Sud et FO appellent, dans un premier temps à poursuivre le mouvement dans la mesure où la revendication principale, le maintien des 37,5 annuités, n'a pas été satisfaite. Mais la reprise se fera progressivement dépôt par dépôt pour la SNCF et ligne par ligne pour la RATP. Cette opposition entre syndicats "modérés" et syndicats "radicaux" n'a rien de nouveau ni d'improvisé. C'est une vieille tactique qui s'est révélée efficace dans toutes les luttes ouvrières depuis la fin des années 1960. Une tactique qui avait été expérimentée déjà en 1968 (et dont le "vieux sage" Chirac, ainsi que l'ex-maoïste Kouchner, se souviennent parfaitement). Ainsi à la fin du mouvement de la classe ouvrière de 1968, la CGT, majoritaire, a déjà joué le rôle du "modéré" en appelant à la reprise du travail. Et c'est à la CFDT (!), minoritaire, qu'il est revenu de jouer celui du "radical" en s'opposant à la reprise. L'expérience des ouvriers de la vieille génération montre que ce n'est pas parce qu'un syndicat est plus "radical" qu'il ne participe pas aux manœuvres de division et de sabotage. Ce n'est pas parce qu'on est "jusqu'au boutiste" qu'on défend les intérêts de la classe ouvrière. Car ce qui fait la force des ouvriers, ce ne sont pas des mouvements minoritaires prolongés dans lesquels on perd inutilement son énergie et énormément d'argent, tout en renforçant la division (entre ceux qui travaillent et ceux qui ne travaillent pas) et la rancœur de ceux qui se sont battus avec le sentiment que les autres les ont "lâchés". La force de la classe ouvrière, c'est d'abord et avant tout son unité. C'est la massivité et l'extension du mouvement et non pas l'enfermement jusqu'au boutiste d'une minorité (qui peut conduire certains ouvriers à des réactions de désespoir, telles que le sabotage de l'outil de production, ouvrant la porte à des campagnes de criminalisation des grévistes). Dans tous les secteurs, du public comme du privé (de même que chez les étudiants), les prolétaires seront nécessairement amenés à comprendre que le "radicalisme" de syndicats minoritaires qui préconisent des actions isolées n'en fait pas plus des "vrais défenseurs" de la classe ouvrière que les appels à la reprise des grandes centrales les plus influentes.

La journée enterrement du 20 novembre

Cette gigantesque manœuvre visant à casser les reins de la classe ouvrière a été couronnée par la planification de la manifestation-enterrement du 20 novembre qui a rassemblé 750 000 travailleurs. La stratégie des directions syndicales a consisté à appeler les travailleurs de la fonction publique à descendre dans la rue (notamment pour protester contre la réduction des effectifs et la perte du pouvoir d'achat) tout en sabotant leur mobilisation. Ainsi, les syndicats ont lancé des appels à participer à cette manifestation dans des tracts qui sont arrivés sur les lieux de travail ... après le 20 novembre ! Dans la plupart des hôpitaux, ils ne se sont même pas donnés la peine d'indiquer l'heure et le lieu du rendez-vous. Pour savoir si cette manifestation avait bien lieu comme prévu, il fallait se débrouiller pour aller chercher les informations (sur Internet, dans les journaux ou par le bouche à oreille). Pourquoi un tel sabotage ? Parce que le "thermomètre" indiquait que la température dans la fonction publique avait monté. La grève des cheminots et des travailleurs de la RATP, loin d'être impopulaire (malgré toutes les campagnes diffusées à la télé) gagnait au contraire de plus en plus la sympathie de nombreux "usagers". Les médias et le gouvernement (avec ses déclarations de plus en plus "musclées", relayées par les propos ridicules des présidents d'université accusant les étudiants grévistes d'être des "Khmers rouges") en ont un peu trop fait. Plus le gouvernement brandissait le bâton contre les grévistes, plus la grève suscitait de la sympathie (et même le sentiment qu'il fallait être "solidaires" et ne pas se laisser "entuber par les manipulations des médias à la solde de Sarkozy"). D'autre part, les contorsions de Thibault étaient si évidentes qu'il passait partout pour le grand "collabo" de service, le "traître"3 . Si les syndicats ont dû saboter la mobilisation des fonctionnaires, c'est pour éviter que tous les secteurs de la fonction publique ne se retrouvent côte à côte et unis dans la rue. Par contre, tous les syndicats de la police nationale avaient mobilisé un maximum leurs troupes4  : le 20 novembre, c'était la première fois qu'on voyait autant de flics manifester dans Paris5 . De plus, les directions syndicales (qui ont organisé cette manifestation avec la préfecture de police) avaient pris soin de placer le cortège des flics en plein milieu de la manifestation. Ainsi, beaucoup de travailleurs et d'étudiants qui ne voulaient pas défiler derrière les forces de répression avaient préféré ne pas se joindre à cette mascarade et étaient restés sur les trottoirs. En particulier, c'était un bon moyen pour dissuader les étudiants, qu'on avait de plus obligés de faire le pied de grue pendant trois heures sous la pluie, de faire la "jonction" avec les salariés. Lors de son intervention télévisée du 29 novembre, "l'omniprésident" Sarkozy a rendu "hommage à tous les partenaires sociaux", saluant TOUS les syndicats pour "leur sens des responsabilités" et précisant qu'il "avait besoin d'eux pour réformer"6  (ou, dit plus clairement, qu'il avait besoin d'eux pour mener à bien toutes les attaques prévues pour 2008). Il savait de quoi il parlait et, pour une fois, nous ne dirons pas qu'il mentait. La grève des travailleurs des transports, en ce mois de novembre 2007, est venue confirmer une nouvelle fois ce que les révolutionnaires affirment depuis de nombreuses décennies: TOUS les syndicats sont des organes de défense des intérêts non pas de la classe ouvrière, mais de la bourgeoisie n
Sofiane / 30.11.07
  1  Voir notamment Marianne n° 553, "Pourquoi Sarkozy veut sauver la CGT". Chérèque, le patron de la CFDT, a lui-même vendu la mèche : "Il y a une forme de coproduction entre le gouvernement et la CGT pour montrer ses muscles". C'est vrai que ses propres troupes acceptaient mal qu'il ait joué le rôle du "traître".  2  Une des raisons pour lesquelles le mouvement a pu être "suspendu" (comme le dit Bernard Thibault), réside dans le fait que la CGT a "négocié" des "avancées" sur la pénibilité du travail permettant de gagner quelques miettes : des augmentations de salaires en fin de carrière (cela ne mange pas de pain : d'ici là, tout le monde sait que les salaires et le pouvoir d'achat vont encore baisser !). Encore une grosse arnaque pour justifier la reprise et tenter de sauver les meubles car la bourgeoisie a encore besoin de la CGT. Si le gouvernement n'avait pas prévu de "lâcher" cette aumône, le patron de la CGT n'aurait pas pu claironner : "il y a eu des avancées". Et cette obole avait également été discutée à l'avance, à travers les coups de téléphone destinés à mettre au point et ajuster les mesures permettant à la CGT de continuer à faire son travail de sape. Ainsi, bien avant la rencontre entre la CGT et le gouvernement, Thibault avait déjà annoncé la reprise. Ce qui montre bien que les annonces faites par les patrons et le gouvernement dans les "négociations" n'étaient que du pipeau !  3  D'autant que des délégations d'étudiants sont allées un peu partout à Paris comme en province faire ce qu'ils appelaient la "jonction" avec les salariés pour qu'il y ait une "convergence des luttes".  4  En effet, les étudiants n'ont envoyé aucune délégation dans les commissariats et les autres services du ministère de l'Intérieur pour faire la "jonction" avec les flics car ils ont pu se rendre compte par eux-mêmes que les fonctionnaires de la police ne sont pas de leur côté.  5  Même le syndicat de droite "Alliance", proche de l'UMP (et qui avait entonné La Marseillaise au début de la manifestation) était massivement présent aux côtés du syndicat UNSA (proche du PS).  6  Toutes ces citations sont disponibles sur lemonde.fr

Heritage de la Gauche Communiste: 

  • La lutte Proletarienne [1]

Pour l'unité et la solidarité dans la lutte, les travailleurs ne peuvent compter que sur leurs propres forces

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Le 15 décembre dernier, plusieurs dizaines de milliers de travailleurs participaient à la manifestation nationale que tous les syndicats, fraternellement unis, avaient organisé à Bruxelles pour la sauvegarde du pouvoir d'achat et pour la solidarité ("sauvons le pouvoir d'achat et la solidarité "). Et indéniablement, pour les travailleurs, une large mobilisation et un développement de la solidarité s'imposent afin de faire face aux attaques contre leurs conditions de vie et de contrer le battage médiatique autour des chimères nationalistes.

  • Depuis l'été plus spécifiquement, les attaques contre le niveau de vie de la classe ouvrière se multiplient (lisez dans Internatio-nalisme n° 334: Qu'il soit belge, flamand, wallon ou bruxellois. Derrière la solidarité avec le système, l'explosion de la misère):

- hausse sans précédent de l'essence et du gasoil de chauffage, du gaz et de l'électricité, ainsi que de certains produits alimentaires de première nécessité : ainsi, en un an, les prix des produits alimentaires ont augmenté en moyenne de 4,4% (De Standaard, 12.12.07) et certains annoncent déjà le double pour 2008 (De Morgen, 13.12.07);

- détérioration continuelle des conditions de travail des travailleurs (hausse de la productivité, baisse de la norme salariale, réduction graduelle du système de la sécurité sociale) ;

- vagues incessantes de rationalisations et de licenciements, dans tous les secteurs.

En réalité, l'année 2008 annonce une sévère récession dans l'ensemble des pays industrialisés, illustrant une fois de plus le cancer qui ronge le système capitaliste, et la confusion actuelle au sein des forces politiques de la bourgeoisie ne fait qu'accumuler les nuages de tempête et les promesses d'austérité sur nos têtes : le dernier rapport de la Banque Nationale prédit déjà une augmentation de l'inflation, un déficit budgétaire pour 2007 et 2008 et un ralentissement de la croissance industrielle (De Morgen, 13.12.07).

  • De fait, après 6 mois de négociations, de disputes, de ruptures, après un explorateur, deux informateurs et deux formateurs, la bourgeoisie belge a dû mettre en place un gouvernement provisoire pour gérer les besoins urgents. Toutefois, les événements de ces derniers mois ont également montré comment la bourgeoisie est capable d'exploiter ses contradictions interne (cf. Internatio-nalisme n° 333, Les problèmes de la bourgeoisie ne sont pas ceux des travailleurs) pour déclencher des campagnes d'une intensité extrême, dans le but de mobiliser "l'opinion publique" derrière des alternatives, tout aussi nationalistes et patriotardes les unes que les autres.

Depuis 6 mois en effet, les travailleurs subissent un déchaînement sans précédent des campagnes nationalistes et sous-nationalistes, les appelant à prendre parti comme citoyen wallon, flamand, bruxellois ou belge. Ces campagnes sont particulièrement pernicieuses dans la mesure où:

- elle détourne l'attention de la classe ouvrière des attaques qui continuent à pleuvoir sur elle et qui s'expriment en particulier aujourd'hui;

- elles se centrent plus spécifiquement sur une thématique centrale pour le développement de la lutte ouvrière, la solidarité, pour la détourner vers un plan nationaliste ou sous-nationaliste : la solidarité de tous les Belges, la solidarité de tous les Flamands ou de tous les francophones.

Bref, la nécessité d'une large mobilisation ouvrière et d'un développement de la solidarité apparaît plus que jamais. Ils s'imposent d'autant plus que les infos sur la hausse du coût de la vie et sur la baisse du niveau de vie, combinées avec une impression croissante de chaos et d'irresponsabilité de la classe politique, ont alimenté ces dernières semaines un sentiment grandissant de ras-le-bol parmi les travailleurs. En même temps, des grèves isolées contre les rationalisations, les licenciements, les réductions de salaires se multiplient : Janssens Pharma Beerse, Volvo Cars Gand, Bayer Anvers, employés communaux d'Anvers, conducteurs de train ... et un mouvement étudiant contre le plan de rationalisation des universités se dessine aussi en Flandre. Cette tendance vers une montée de la colère et de la combativité était nettement perceptible lors de la manif du 15 décembre. De plus, la situation en Belgique doit être placée dans un cadre plus large : la période actuelle est caractérisée par une situation d'effervescence sociale dans divers pays européens : grèves des conducteurs de trains en Allemagne, grèves de la SNCF, de la RATP, des fonctionnaires et des étudiants en France, mouvements sociaux importants en Hongrie et en Grèce, manifs lycéennes importantes en Hollande avec des comités d'étudiants qui surgissent spontanément, etc.

C'est dans ce contexte qu'il faut apprécier l'objectif visé par l'organisation de cette manif syndicale du 15.12 : constituait-t-elle véritablement un jalon vers de larges mobilisations et vers un développement de la solidarité pour la lutte?

  • A-t-elle favorisé l'extension et l'unification de la résistance? A aucun moment, l'appel à la manif ne renvoyait aux diverses luttes simultanées mais éparpillées qui se déroulaient en Belgique, à la combativité qui s'exprimait dans divers pays d'Europe, cet ensemble de mouvements de lutte qui mettaient en évidence les potentialités croissantes pour l'extension des combats et l'ampleur des enjeux face à l'absence de perspectives de ce système à l'agonie. Bien au contraire, les commentaires des porte-parole syndicaux dans les journaux bourgeois en disaient long sur les objectifs que se donnaient les syndicats:

- "Trouver des manifestants un samedi à la mi-décembre n'est pas chose aisée. (...) ils ont toute sorte de choses à faire ce samedi" (De Standaard, 12.12.07). Loin de mettre l'accent sur la dynamique collective de lutte, les syndicats semaient le découragement parmi les ouvriers individuels, confrontés aux difficultés d'un week-end juste avant les fêtes de fin d'année, moment que ces mêmes syndicats ont par ailleurs consciemment choisi pour organiser leur manif ;

- "Une deuxième menace pèse sur la manif. Le petit syndicat indépendant des machinistes - en dispute avec les grandes centrales - menace de faire grève samedi" (Id.). Une fois de plus, tout en se présentant sous un drapeau unitaire, les syndicats jouaient de la division entre eux pour provoquer une immobilisation des transports ferroviaire, ce qui permettait d'éviter toute convergence massive de travailleurs "non contrôlés" vers le lieu de la manif;

- "la mobilisation se développe difficilement. Les syndicats tablent sur 25.000 participants. Pour cela, ils ont convenu de ‘contingents' : la FGTB et la CSC devront ‘livrer' chacun 15.000 manifestants, le syndicat libéral CGSLB 5.000. S'ils restent quelque peu en deçà des chiffres requis, ils atteindront malgré tout le chiffre de 25.000" (Id.). Pouvait-on avouer plus clairement ses intentions ? Les syndicats ne visaient nullement à stimuler une mobilisation massive. Afin d'éviter tout ‘débordement', ils s'arrangeaient même entre eux pour fournir de la ‘piétaille', ils fixaient entre eux les quotas de participants!!

Il n'était donc nullement surprenant qu'après la manif, les chiffres des organisateurs et de la police concordaient (20.000 participants), sous-estimant consciemment le nombre des manifestants : on n'en voulait pas plus et donc il ne pouvait pas y en avoir plus ! De toute évidence, derrière les grands discours sur la nécessité de faire barrage au recul du pouvoir d'achat, l'objectif des syndicats n'était clairement pas de stimuler la lutte mais, au contraire, de prendre les devants, d'occuper le terrain social afin de l'encadrer et de décourager toute velléité de développement ou d'extension.

  • La manif a-t-elle favorisé alors le renforcement de la solidarité? Le besoin de solidarité entre les travailleurs dans leur combat était détourné par les organisations syndicales vers une mobilisation contre la scission de la sécurité sociale, demandée par une partie de la bourgeoisie flamande, et vers un appel à "un gouvernement responsable" qui puisse prendre des mesures "pour une sécurité sociale forte et fédérale". Ils réorientaient de cette manière une prise de conscience croissante parmi la classe ouvrière de l'importance de la solidarité entre les travailleurs en lutte vers une mobilisation nationaliste derrière une des fractions bourgeoises en confrontation, vers un soutien et une défense de l'Etat national, celui-là même qui est à la base des vagues d'austérité et de rationalisations que les travailleurs subissent depuis des années. C'est d'ailleurs à ce même Etat national que les syndicats adressaient leur revendications, afin de prendre les mesures de défense du pouvoir d'achat des travailleurs ... en concertation avec ces mêmes syndicats ("lier toutes les allocations au bien-être en concertation avec les partenaires sociaux, mener une politique vigoureuse pour l'emploi, mettre en place une fiscalité plus équilibrée, ..."). En d'autres mots, pour les syndicats, développer la solidarité, c'est instiller au sein de la classe ouvrière les pires mystifications nationalistes et démocratiques, c'est lier la classe ouvrière à son pire ennemi, l'Etat bourgeois.

Derrière un discours de défense du pouvoir d'achat et de solidarité, les syndicats ont en réalité organisé cette manifestation pour saboter toute tendance vers l'extension et l'unification des luttes et pour détourner la question cruciale de la solidarité ouvrière vers un engagement ‘citoyen' en soutien à l'Etat national démocratique. De cette manière, ils ne font que prolonger la tactique qu'ils ont développée dans des luttes comme celles à VW Forest, Opel Anvers, à la Poste ou chez les fonctionnaires communaux : prendre les devants et occuper le terrain social pour encadrer la combativité, pour éviter toute extension du mouvement et étouffer dans l'œuf toute réflexion sur le besoin de solidarité entre travailleurs. Sur ce plan, la manoeuvre de la manif du 15.12 est particulièrement habile dans la mesure où l'opération d'encadrement social et de détournement nationaliste s'opère au travers un langage de défense des conditions de vie et de maintien de la solidarité.

Pour développer un combat massif et uni de l'ensemble des travailleurs, indispensable face à la poursuite inévitable des attaques, il faut tirer les leçons du sabotage syndical. Et une des leçons centrales, c'est que, pour pouvoir se battre efficacement, opposer une riposte unie et solidaire en recherchant toujours plus l'extension de leur lutte, les travailleurs ne peuvent compter que sur leurs propres forces. Ils n'auront pas d'autre choix que de prendre eux-mêmes leurs luttes en mains et de déjouer tous les pièges, toutes les manœuvres de division et de sabotage des syndicats.

CCI / 27.12.07

Situations territoriales: 

  • Lutte de classe en Belgique [4]

Tract de l'EKS - A l'ordre du jour de la bourgeoisie turque: guerre, terreur, chaos et barbarie

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Le 17 octobre, le parlement turc votait massivement en faveur du droit de l'armée turque de poursuivre la guérilla kurde du PKK jusqu'à leurs bases établies dans le Nord de l'Irak. Quatre jours plus tard, treize soldats turcs étaient tués dans une embuscade tendue par le PKK, mettant le feu aux poudres d'une campagne belliciste qui avait déjà commencé. Des manifestations nationalistes, parfois très nombreuses, ont été organisées partout en Turquie, avec le soutien total de l'armée, de la police, de la majorité des partis politiques et des syndicats, des médias et du système d'éducation nationale. Chaque citoyen est invité à arborer un drapeau turc à la fenêtre ou aux matches de football. Magasins et bureaux rivalisent pour déployer le plus grand drapeau.

Pour la bourgeoisie turque, cela fait partie de la "guerre contre le terrorisme", qui bénéficie du label US. Mais la bourgeoisie américaine, qui considère la Turquie comme un allié majeur dans sa stratégie militaire au Moyen-Orient, n'est pas entièrement satisfaite de ces développements. Peu avant la déclaration du Parlement turc, la majorité Démocrate au Congrès américain avait soulevé la question du massacre des Arméniens en 1915, le cadavre dans le placard de la Turquie. Les Républicains, avec Bush à leur tête, ont demandé de ne pas indisposer les Turcs en qualifiant le massacre de "génocide". Mais suite au vote du Parlement turc le 17 octobre, Bush lui-même a prévenu qu'une escalade de la présence turque en Irak (puisque Bush lui-même a laissé échapper que l'armée turque y avait déjà quelques hommes) pourrait saper la fragile stabilité de la région autonome kurde, le seul "havre de paix" en Irak depuis que l'invasion US et la destitution de Saddam ont plongé le pays dans un désarroi total. Les Turcs accusent les partis dirigeants kurdes de cette région d'aider et d'encourager le PKK, et bien que Barzani et Talabani (les principaux politiciens kurdes d'Irak) aient appelé le PKK à cesser ses attaques, la situation demeure extrêmement tendue. Barzani, par exemple, a déclaré que, bien que ne souhaitant prendre part à aucun conflit, ils (le gouvernement du Kurdistan irakien et des troupes intactes de peshmergas) se défendraient certainement.

Cette guerre larvée à la frontière turco-irakienne est un chapitre de plus dans le film d'horreur qui inclut maintenant la guerre ouverte en Irak, en Afghanistan, au Liban et en Israël/Palestine, et la menace d'autres conflits en Iran et au Pakistan. Confrontés à ce glissement dans la barbarie et le chaos, les camarades de EKS (Gauche Communiste Internationaliste) en Turquie ont répondu en publiant la position internationaliste que nous reprenons ci-dessous. Ils l'ont distribuée sous forme de tract avec leur récent bulletin "Night Notes", qui fait également état de la grève militante dans les Telecom de Turquie et souligne le fait que de telles luttes sont l'unique alternative au militarisme et à la guerre.

Les camarades de EKS interviennent dans un climat d'hystérie belliciste alimenté par l'Etat, dans un pays où (comme le savent ceux qui ont lu Show de Orhan Pamuk) le meurtre politique est une tradition établie depuis longtemps. Ils méritent la solidarité et le soutien des révolutionnaires partout dans le monde.

Amos / 31.10.07

Nous publions ci-dessous le tract que nous avons reçu de nos camarades d'Enternasyonal Komünist Sol (EKS [5]) en Turquie et qui prend position contre les menaces de guerre de l'Etat turc contre les Kurdes aux frontières avec l'Irak. La version complète de ce tract peut se lire sur notre site web, en langues turque [6], allemande [7] et anglaise [8].

Tract de EKS: A l'ordre du jour de la bourgeoisie turque: guerre, terreur, chaos et barbarie

Une fois encore, nous avons récemment appris que des enfants d'ouvriers étaient sacrifiés pour la guerre brutale dans le Sud-Est. La bourgeoisie et ses médias réclament comme toujours plus de sang et de chaos. En conséquence, les gens cherchent maintenant des "terroristes" dans les rues. Mais pourquoi de telles choses se sont-elles passées ?

Parce que l'Etat bourgeois est dans une situation de crise à un niveau qu'on n'avait pas vu depuis longtemps. La raison économique à la base de tout cela, c'est que les ouvriers en Turquie n'ont plus de sang pour la sangsue bourgeoise; et en plus, comme à Turkish Airlines hier et encore plus dans les grèves chez Türk Telecom et Novamed aujourd'hui, ils commencent à résister. Dette internationale croissante, capital devenant de plus en plus fictif, fragilité grandissante sur les "marchés monétaires", les conséquences pèsent sur les épaules des ouvriers. La bourgeoisie exploite le racisme pour laisser perdurer cette situation; ce qui fait que les ouvriers kurdes sont employés à moindres frais et les ouvriers turcs sont laissés pour compte, dans la rue. La conséquence politique de cette situation sont les cris de guerre que nous entendons toujours, mais qui ne sont en rien une solution. Les murs idéologiques de l'Etat bourgeois se fissurent tous les jours davantage. Plus l'indignation que vivent les ouvriers est remise en question, plus le capitalisme poussera la société vers la dégénérescence, la décadence et la décom-position, et plus il perdra la légitimité sociale qui était sa première signification. (...)

Pour la fraction nationaliste de la bourgeoisie, la question est, comme toujours, la "conspiration" orchestrée par les Etats-Unis. Selon eux, si les Forces armées turques envahissent l'Irak, "la terreur sera éradiquée". En réalité, il y a seulement trois ans que les Etats-Unis eux-mêmes voulaient envoyer se battre des fils de la classe ouvrière de Turquie contre d'autres ouvriers en Irak. Mais la bourgeoisie turque a été incapable de mener à bien ce projet, à cause de son incapacité à convaincre les ouvriers d'aller à la guerre et à cause de son impuissance et de sa faiblesse. La vérité est que la bourgeoisie turque s'est toujours alignée derrière les Etats-Unis et que les forces armées turques se tiennent prêtes à tuer des ouvriers au Liban et en Afghanistan si nécessaire. Aussi, contrairement au mensonge de l'aile nationaliste destiné à le faire croire aux ouvriers, il n'y a pas de conflit d'intérêts entre elle et l'impérialisme américain. Tout au contraire, il existe des intérêts communs et l'armée turque est un exécuteur armé de cette alliance. De plus, non seulement chaque massacre perpétré dans le Nord de l'Irak provoquera la mort de "soldats" et l'exode de "civils" repoussés dans des camps de concentration ou assassinés dans les champs de bataille, mais aussi plus de bombes exploseront dans les villes principales.

La fraction islamique et libérale de la bourgeoisie à son habitude, ne soutient pas la guerre de manière très sérieuse. Bien sûr, le fait qu'elle ait des doutes sur la façon dont se déroulera l'opération n'est que l'expression de sa tentative de recevoir la permission qu'elle souhaite de la part des USA. Pour cela, elle n'a pas d'autre choix que d'attendre "patiemment" d'obtenir un compromis avec Barzani et Talabani.

La fraction de gauche de la bourgeoisie alors, ne fait rien d'autre que se lamenter depuis ses tribunes. Elle s'en fout carrément de la faim, la misère, la pauvreté ou de la mort d'ouvriers. Elle adapte de plus en plus sa rhétorique face à ses maîtres pour protéger sa position. En bref, elle prouve une fois de plus l'inutilité des parlements.

En conséquence, les ouvriers de Turquie sont aussi poussés dans la spirale infernale de plus de guerre, de destructions, de terreur et de chaos qui sont infligés au Moyen-Orient par une bourgeoisie qui ne se soucie ni de leur vie ni de leur mort. Parce que le capitalisme ne peut repousser l'éclatement de sa crise insolvable qu'en entraînant l'humanité vers plus de destructions.

La réponse du prolétariat met en lumière la perspective d'avenir comme on a pu le voir dans la grève de Telekom. Une simple grève qui n'a duré que quelques jours a suffi pour faire trembler la bourgeoisie. Ce n'est que si les ouvriers manifestent leur solidarité avec leurs frères de classe pour étendre leurs luttes, et que s'ils disent Non internationalement à la guerre, que le massacre impérialiste pourra prendre fin. Le moyen d'arrêter la guerre et les massacres n'est pas de les approfondir ni de les élargir, mais de forger la solidarité de classe par-delà les frontières, touchant chaque terrain de bataille militaire. L'ennemi n'est pas chez nos frères et nos soeurs de classe mais chez les capitalistes ici, assis dans leurs maisons, bien au chaud!

Géographique: 

  • Turquie [9]

Questions théoriques: 

  • Internationalisme [10]

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