Comme un jour d'affluence aux caisses d'un supermarché, les bureaux de vote du premier tour de l'élection présidentielle en France avaient eux aussi leurs files d'attente. Et pour cause : le taux de participation s'est envolé pour atteindre un des niveaux de participation les plus importants de la 5e République et même égalant presque le record de 1965, année de l'instauration de l'élection présidentielle au suffrage universel. Ces élections présidentielles, quel qu'en soit le résultat final, nous auront été surtout présentées comme une belle victoire de la démocratie... d'après les médias et ses commentateurs avisés.
La bourgeoisie a pleinement de quoi se satisfaire de cet engouement citoyen qui sonne toujours à son oreille comme un doux plébiscite à l'égard de son système.
Cerise sur le gâteau, on nous racontait au soir du 22 avril que cette forte mobilisation électorale avait permis de barrer la route à Le Pen. Depuis des mois, la bourgeoisie martelait l'appel "Votez, votez !" dont les agents recruteurs, mouvements associatifs ou citoyens, personnalités en particulier de gauche et d'extrême-gauche en tous genres -rappeurs, chanteurs, footballeurs, acteurs inclus- n'ont cessé de sillonner les banlieues depuis un an. Elle s'est vantée d'avoir poussé à l'inscription sur les listes électorales 3 millions de nouveaux électeurs, en particulier les jeunes.
Y a-t-il lieu de se réjouir ? Qu'avons-nous gagné dans ce vote, derrière la défense de cette démocratie ?
Il faut se souvenir des élections de 2002 où la gauche, au nom de cette démocratie et de sa défense, avait appelé à se mobiliser massivement et à voter Chirac précisément pour "barrer la route à l'extrême-droite" et à "choisir le moindre mal". Pour quel résultat ? Cinq années dominées notamment par l'attaque contre le régime des retraites en 2002, la série de remises en cause des dépenses de santé et l'accélération du démantèlement de la protection sociale depuis 2003, le "contrat nouvelle embauche" (CNE) en 2005, accélérant la précarité, les provocations policières débouchant sur l'explosion des banlieues, la tentative de faire passer en force le CPE en 2006, qui a jeté des centaines de milliers de jeunes (et de moins jeunes) dans la rue, les plans de licenciements à la pelle, le blocage des salaires et la diminution du pouvoir d'achat tout au long de ces années, la prolifération des sans-abri et des mal-logés et un bouquet de nouvelles lois répressives animées par Sarkozy en tant que ministre de l'Intérieur.
Aujourd'hui, elle vient nous refaire le même coup avec son mot d'ordre pendant toute la campagne électorale: "Tout sauf Sarkozy !" C'est pourtant la gauche, en appelant à se rallier à la clique Chirac en 2002, qui a favorisé la promotion de ce même Sarkozy pour nous effrayer et nous pousser vers l'isoloir.
Cela n'est pas nouveau. Dans les années 1980, c'était bien Mitterrand et le PS qui avaient favorisé l'apparition du "phénomène" Le Pen et l'ascension du Front National (FN) en instituant une dose de proportionnelle dans les élections législatives permettant au FN de constituer un groupe parlementaire afin de mettre les bâtons dans les roues de la droite. Bien avant, c'est la social-démocratie au pouvoir au sein de la "république de Weimar" qui a fait le lit du nazisme en écrasant dans le sang la révolution en Allemagne dans les années 1919-1923 et préparé ainsi l'accession légale d'Hitler au pouvoir au nom de la démocratie. La gauche a toujours été le marchepied nécessaire à la montée de la droite et de l'extrême-droite.
Croire qu'il faudrait toujours choisir "le moindre mal" prôné par la gauche et les gauchistes, c'est une pure illusion. La bourgeoisie s'appuie aujourd'hui sur le sentiment de crainte qu'inspire Sarkozy, notamment parmi beaucoup de jeunes, dans les banlieues comme ailleurs. Pour eux, l'élection de Sarkozy signifie plus de chômage et de précarité, la suppression des retraites et de la Sécurité sociale, plus de répression. Cette inquiétude est tout à fait légitime. Ces derniers temps, une large partie des médias bourgeois ont montré Sarkozy du doigt en disant : cet homme-là est dangereux. Et c'est vrai. Le personnage est antipathique, brutal, violent, imbu de lui-même, cynique, autoritaire, voire despotique. Le problème, c'est que les attaques anti-ouvrières ne sont nullement une question de personnalité mais c'est la logique même du capitalisme qui pousse ses politiciens à adopter telle ou telle mesure.
De manière générale, les fractions de droite de la bourgeoisie sont plus aptes à manier un langage de vérité et à mettre en avant plus crûment les besoins réels du capital national qu'elles imposent à la classe ouvrière au nom de la loi et de la défense de l'ordre public. Une des caractéristiques propres aux fractions de gauche, et en particulier chez les sociaux-démocrates, consiste à s'appuyer sur un discours beaucoup plus idéologique, mystificateur et hypocrite pour parvenir aux mêmes fins. En réalité, la gauche n'a rien à envier à la droite en matière de brutalité. Souvenons-nous que c'est Mitterrand qui affichait le pire des cynismes dans sa défense des intérêts de l'impérialisme français en Afrique quand il déclarait, après avoir poussé au déclenchement des massacres au Rwanda en 1994 : "Les génocides dans ces coins-là, ça n'a pas tellement d'importance." La formule de Rocard : "La France ne peut pas accueillir toute la misère du monde" a servi de modèle à toute la politique anti-immigration et à justifier l'expulsion des travailleurs clandestins pour tous les gouvernements successifs qu'ils soient de gauche ou de droite. En matière de répression, les quartiers des mineurs dans les prisons se sont retrouvés déjà totalement saturés sous Jospin.
Il en est de même pour la détermination dans toutes les attaques que la gauche a portées contre la classe ouvrière quand elle était au pouvoir. Il n'y a pas de différence et l'expérience a largement montré que droite et gauche agissent en pleine continuité. En fait, les prolétaires ont tout autant à craindre de la gauche que de la droite. C'est sous l'ère de Mitterrand et des gouvernements PS-PC que le chômage a connu une brutale accélération et que les grands plans de licenciements industriels ont été pilotés et poursuivis. Les lois Aubry sur les 35 heures étaient un masque pour généraliser la flexibilité et rendre les prolétaires plus corvéables. C'est encore la gauche qui, à chaque fois qu'elle était au pouvoir, a bloqué les salaires et provoqué la diminution du pouvoir d'achat, notamment chez les fonctionnaires. C'est encore Rocard qui a publié "le livre blanc" sur les retraites, rampe de lancement à l'attaque de 2002 ; c'est son gouvernement qui a institué la Contribution Sociale Généralisée au nom de la "solidarité nationale" ; c'est un ministre "communiste" qui a introduit le paiement obligatoire d'un forfait hospitalier ; c'est la gauche qui a développé et multiplié les "stages parkings" pour les jeunes fournissant aux entreprises de la main-d'œuvre gratuite ou sous-payée. De même, c'est au sein de gouvernements de gauche ou dans le cadre de la "cohabitation" qu'ont été mises en place les mesures contre les chômeurs, les économies sur les dépenses de santé ou l'aggravation de la précarité des emplois.
Quel que soit le résultat du second tour, cela montre à quoi vont faire face les prolétaires. le vainqueur du 6 mai ne pourra que continuer à appliquer un seul et même programme, seule réponse que puisse donner le capitalisme face à l'aggravation de sa crise économique comme le font tous les gouvernements de gauche comme de droite dans tous les pays : attaquer toujours davantage la classe ouvrière. La bourgeoisie n'attend plus que la fin de la période électorale pour se lancer à corps perdu dans de nouvelles vagues de licenciements et de suppressions d'emploi, pour mettre en œuvre la suppression des régimes spéciaux sur les retraites et pour annoncer dans les mois à venir un nouvel allongement de la durée des cotisations avec des pensions de retraite encore plus réduites, pour poursuivre de plus belle le démantèlement de toute protection sociale, pour relancer de nouvelles formes du CPE (dont le fameux "contrat première chance" imaginé par Royal donne un avant-goût), etc. Il ne fait aucun doute que la classe ouvrière sera attaquée simultanément sur tous les plans.
Dans le faux choix « droite-gauche » du cirque électoral, seule la bourgeoisie a la parole et le pouvoir de décision. C'est toujours la bourgeoisie qui gagne les élections et les prolétaires n'ont rien, absolument rien à attendre de cette mascarade. Ils n'ont qu'une seule façon de faire entendre leurs voix et d'exprimer leurs intérêts et leurs besoins contre les attaques toujours plus fortes que la bourgeoisie cherchera à leur imposer toujours davantage. C'est seulement à travers le développement de leurs luttes, en manifestant leur profonde solidarité de classe, en exprimant l'unité de leurs intérêts de classe exploitée qu'ils peuvent édifier ensemble un rapport de force capable de faire reculer les attaques capitalistes, comme l'ont montré les jeunes prolétaires qui l'an dernier ont contraint la bourgeoisie à retirer son projet de CPE.
Ce chemin se situe diamétralement à l'opposé de ce qui leur est proposé aujourd'hui au nom de la pseudo-"mobilisation citoyenne" et de la "défense de la démocratie" qui ne les conduit qu'à l'atomisation dans les isoloirs de la bourgeoisie.
Wim (28 avril)
On aurait pu croire l'horreur réservée au Moyen-Orient, à l'Irak ou à la Palestine, sans oublier les génocides quotidiens d'Afrique noire ou du Sud du Caucase. Mais non, la réalité capitaliste est toujours pire que tout ce que l'on peut s'imaginer. Le Maghreb est venu nous rappeler qu'il ne fallait pas l'oublier lui non plus. Là aussi, la barbarie sévit au quotidien. Souvent passée volontairement sous silence par les médias français, la «guerre civile» en Algérie aurait fait au cours des années 1990 plus de 150 000 morts. Mais en ce printemps ensoleillé, la réalité barbare du capitalisme est de nouveau revenue dramatiquement sur le devant de la scène.
Mercredi 11 avril, deux attaques kamikazes à la voiture piégée ont été perpétrées à Alger. Il y aurait officiellement 33 personnes tuées et plus de 220 blessées. Dès le lendemain, la télévision Al-Jezira a annoncé avoir reçu un appel téléphonique dans lequel un interlocuteur se présentant comme un porte parole du mouvement Al-Qaïda au Maghreb revendiquait ces attentats.
En Algérie, depuis quelques années, les groupes terroristes, minés par les guerres entre fractions et traqués par une partie de l'armée et le gouvernement sanguinaire du président Bouteflika, étaient sur la défensive. Ceux qui ne s'étaient pas réfugiés dans les régions montagneuses avaient officiellement déposé les armes. Les redditions de l'AIS (Armée Islamique du Salut, aile militaire du Front Islamique du Salut) et des derniers éléments survivants du GIA ( Groupe Islamiste Armé) semblaient promettre une accalmie sur le front des attentats et des massacres terroristes. Mais tout cela n'était que pure illusion.
A nouveau, les groupes salafistes resurgissent, les armes à la main. Ils sont désormais prêts à utiliser les moyens militaires les plus traditionnels mais également à appliquer les méthodes et la logistique propres à la nébuleuse Al-Qaïda. Cette remontée en puissance du terrorisme ne concerne pas que l'Algérie mais également le Maroc et la Tunisie. Son terreau, c'est avant tout la misère, le chômage et le désespoir de masse. Ce sont tous ces jeunes qui s'entassent dans les bidonvilles de Tunis ou d'Alger. En Algérie, le taux de chômage des jeunes dépasse largement les 50%. Al-Qaïda peut alors puiser sans vergogne dans les rangs de cette jeunesse totalement déboussolée et sans avenir.
«Les relations entre la France et l'Algérie peuvent être bonnes ou mauvaises, en aucun cas elles ne peuvent être banales». Cette déclaration prononcée par l'ancien président algérien Houari Boumediene en 1974 traduit parfaitement que depuis la fin de la colonisation de l'Algérie par la France en 1962, jamais les impérialismes algérien et français n'ont cessé d'avoir des relations politiques extrêmement resserrées. Dans ce pays, depuis son indépendance, l'armée a toujours été la pièce maîtresse du pouvoir par-delà la succession des différents chefs d'Etat. L'histoire interne de l'Algérie, depuis plus de 40 ans, est faite de coups d'Etat et de putschs militaires, exprimant la faiblesse et la division historique de la bourgeoisie algérienne. Même le FLN (Front de Libération Nationale), issu de la guerre coloniale, et son aile armée l'ALN n'ont pas échappé à cette instabilité croissante. Durant toutes ces décennies, au milieu du marasme, la France va défendre bec et ongles ses intérêts dans un pays qu'elle considère comme faisant partie de sa chasse gardée.
Mais au début des années 1990, la bourgeoisie française, malgré tous ses efforts, va peu à peu céder du terrain face à une offensive de son plus grand ennemi, la bourgeoisie américaine. En effet, cette décennie est marquée par une aggravation meurtrière des tensions inter-impérialistes entre la France et les Etats-Unis. Depuis lors, jamais les Etats-Unis n'ont relâché leurs efforts en Algérie afin de tenter d'y renforcer leur influence au détriment direct de l'impérialisme français. Leur soutien actif aux brigades armées islamistes va ainsi s'imposer publiquement.
En 1992, le gouvernement algérien, en réaction à cette situation, décrètera alors l'état d'urgence. Face aux tueries aveugles des terroristes, instrumentalisés par les Etats-Unis, les forces de «l'ordre» algériennes feront disparaître de 1992 à 1998 plus de 7000 personnes. En faisant ainsi couler le sang, la France reprendra alors peu ou prou la main, le début des années 2000 étant marqué par l'apparence de la paix et de la stabilité.
Si ces toutes dernières années, l'impérialisme américain semblait donc moins pouvoir s'impliquer en Algérie, il apparaît clairement que cette situation est à nouveau en train de connaître une dramatique évolution. En effet, début mars, le général d'armée Raymond Hénault, président du Comité militaire de l'Alliance Atlantique, effectue une visite officielle en Algérie. «Le but de cette visite va être immédiatement connu par la réaction du gouvernement algérien. L'Algérie déclare alors par la voix de son ministre des Affaires étrangères que son territoire ne servira pas de base à l'armée américaine. On imagine donc aisément l'objet de cette visite officielle et la position du gouvernement algérien, craignant d'affronter un véritable problème de souveraineté nationale. Sur le plan militaire du moins.» (Ahmed Saifi Benziane, cité par Courrier international du 19 avril 2007). A son tour interrogée au sujet d'éventuelles bases américaines au Maghreb, Condoleeza Rice (secrétaire d'Etat du gouvernement américain) avait déclaré : «Nous essayons juste d'établir une plate-forme de coopération avec ces pays à travers l'échange du renseignement et l'organisation d'exercices militaires avec les gouvernements pour lutter efficacement contre le terrorisme.» (ibid.) Les intentions américaines ne peuvent pas être plus clairement énoncées. L'affaiblissement accéléré de la première puissance mondiale, son enlisement dans le bourbier irakien n'amenuisent en rien ses appétits impérialistes et sa fuite en avant sur le plan militaire. Malgré l'ampleur de ses difficultés, depuis l'Algérie au nord du continent africain jusqu' aux portes du Golfe persique et au Moyen-Orient, rien ne peut laisser les Etats-Unis indifférents.
Le cheval de bataille de la politique impérialiste américaine dans le monde est la lutte contre le terrorisme. C'est sous ce prétexte fallacieux que les Etat-Unis défendent en Algérie et partout dans le monde leurs sordides intérêts.
Pourtant, il est évident que les derniers attentats qui viennent de se dérouler à Alger profitent pleinement à l'Amérique. De manière cynique et hypocrite, le 6 février dernier, les Etats-Unis ont fait état de leur intention de créer un commandement chargé de l'Afrique au Pentagone pour mettre prétendument un terme à l'implantation des groupes terroristes au Maghreb. Le 14 avril, soit trois jours après les attentats d'Alger, l'ambassade américaine dans ce pays déclarait officiellement : «Selon des informations non confirmées, des attentats pourraient être planifiés à Alger le 14 avril dans la zone pouvant inclure entre autres la grande poste et le siège de l'ENTV (télévision publique), dans le boulevard des Martyrs». Ces déclarations de l'ambassade américaine ont été immédiatement comprises pour ce qu'elles sont par la presse algérienne : «Que les Américains veuillent se substituer aux services de renseignements algériens, il y a comme une faute de goût. A moins que les Américains n'aient d'autres idées derrière la tête en voulant instaurer un climat de psychose» (Le Jour d'Algérie, cité par Le Monde du 15 avril 2007). Que les Américains aient d'autres idées dans la tête, c'est une évidence. Celles-ci sont parfaitement claires et peuvent s'énoncer ainsi : «Ce que l'on ne peut pas contrôler, il s'agit tout simplement de le déstabiliser ou même de le détruire.»
La bourgeoisie algérienne, son gouvernement ainsi que les mouvements terroristes, tous instrumentalisés chacun à leur tour par un impérialisme ou un autre, se moquent totalement des souffrances infligées à la population en Algérie. Le nouveau développement au Maghreb des tensions impérialistes, de la barbarie et du chaos, va ainsi faire un lien géographique continu depuis le Moyen-Orient jusqu'aux régions les plus éloignées de l'Afrique centrale et de l'Est.
Tino (26 avril)
Après les annonces de 10 000 suppressions d'emploi ces derniers mois chez Airbus et autant dans le groupe Alcatel-Lucent, l'accélération de la crise économique mondiale contraint la bourgeoisie de tous les principaux pays industrialisés à d'autres plans de licenciements massifs qui se préparent à toucher tous les secteurs, en particulier l'automobile. En France, les restructurations des grands groupes qui sont en train de tomber préfigurent le niveau des attaques auxquelles va être confrontée la classe ouvrière au lendemain des élections.
Paru sur son site informatique, l'article de la revue économique Capital dont nous publions un extrait a fait l'effet d'une petite bombe : "Christian Streiff, le nouveau PDG de PSA, met la dernière main à un plan de restructuration conduisant à la suppression en France et en Europe de 10 000 emplois dans le groupe et parmi ses sous-traitants. Il aurait souhaité le mettre en œuvre "avant la campagne présidentielle" car, dit-il en privé, "il en va de la survie de PSA", mais sous la pression de certains de ses administrateurs et de Matignon, il s'est dit résolu à attendre le lendemain de cette élection (...) A peine arrivé, début février, à la tête de PSA, Christian Streiff a lancé un audit du constructeur automobile. Tout en demandant, dans le même temps, au gouvernement "un geste" pour aider les sous-traitants qui risquaient de se retrouver rapidement "sur le carreau". Ce qui fut fait : avec l'aval de Dominique de Villepin, il déposa très vite un dossier auprès de la Commission européenne pour que les sous-traitants de PSA puissent bénéficier des aides européennes pour "les victimes de la mondialisation". (...)En contrepartie de "son geste", Streiff s'engagea auprès de Gérard Larcher, le ministre délégué à l'Emploi et au Travail à ne pas "annoncer ces charrettes en pleine période de campagne présidentielle", ces suppressions de postes étant "d'autant plus sensibles électoralement" qu'elles risquaient de toucher en France les sites d'Aulnay en région parisienne ou de Rennes. Voire les deux. Le hic, c'est qu'il affirme aujourd'hui en privé que "la mise en œuvre de son plan ne peut plus attendre l'été". Et sans doute même pas le deuxième tour des législatives fixé au dimanche 17 juin. Ajoutant : "l'idéal serait d'annoncer ces suppressions d'emplois après le deuxième tour de la présidentielle". C'est-à-dire après le 6 mai. Quel que soit le prochain président de la République." On sait aujourd'hui que malgré les démentis officiels de la direction, la "nouvelle" s'est propagée très vite. Si bien que l'annonce de la suppression de 4800 emplois en France (qu'on promet comme uniquement sur base "de départs à la retraite ou de départs volontaires") était faite dès le 25 avril sans attendre la réunion du conseil d'administration prévue le 9 mai. Ce plan vient s'ajouter aux 10 000 suppressions d'emploi en cours d'exécution depuis fin 2006, notamment en Grande-Bretagne. Dans la foulée, un éditorialiste de La Tribune déclarait que la situation se présentait de façon aussi critique pour les mêmes motifs chez le constructeur Renault et aurait les mêmes conséquences avec à la clé des réductions d'effectifs comparables. En fait, tout le secteur automobile est au cœur de la tourmente. Dans la même période, le 18 avril, était annoncée la suppression de 1700 emplois à Bochum chez Opel pour le compte de General Motors (3 ans après un précédent plan de restructuration où près d'un tiers des effectifs avaient été supprimés). En même temps, ces suppressions d'emplois qui concernent certaines branches d'activité et pas d'autres sur un site qui marche bien (comme on l'a vu aussi chez Airbus) tentent de relancer la concurrence entre ouvriers et d'alimenter un chantage à la délocalisation et à l'acceptation de contrats d'embauche nouveaux à plus bas salaires.
Une étude du 16 mars intitulée "Les défis de la restructuration mondiale du secteur automobile" commandité à un groupe d'experts économiques à l'assureur Euler-Hermes dressait un tableau sans appel : 117 000 emplois ont disparu de la filière automobile européenne entre 2000 et 2006 (dont 70 000 depuis 2004). En France, 28 000 emplois salariés ont été perdus dans la même période chez les constructeurs et leurs équipementiers dont 9000 dans la seule année 2006. Entre 20 000 et 30 000 emplois devraient disparaître dans les 3 ans chez les constructeurs tandis que les équipementiers devraient sacrifier 5000 emplois par an. Et les chiffres sont encore plus impressionnants dans l'industrie automobile américaine, notamment avec ses géants : General Motors, Ford ou Chrysler. Au total, 300 000 emplois supprimés entre 2000 et 2006 et pour la période 2006-2009, 285 000 le seront à leur tour.
L'automobile n'est pas le seul secteur touché. Dans l'électronique, Philips a supprimé 41 000 emplois entre 2004 et 2006 dans le monde. Le groupe pharmaceutique allemand Bayer a annoncé le mois dernier la suppression de 5000 emplois.
Récemment, BN Amro, première banque des Pays-Bas, et la britannique Barclays, ont annoncé lundi 23 avril leur fusion qui créera la deuxième banque européenne et la cinquième mondiale, avec 220 000 employés et 47 millions de clients ... A quel prix ? La fusion des deux banques va entraîner la suppression de 12 800 emplois, tandis que 10 800 autres seront sous-traités.
Les services publics ne sont pas en reste : dans les télécoms, les transports (comme notamment à la SNCF) ou chez les fonctionnaires, des milliers d'emplois disparaissent chaque année. En France, il y a eu entre 6000 et 9000 suppressions d'emplois à La Poste en 2006, et 874 bureaux de poste ont été supprimés. D'ici 2010, toujours à la Poste 30 000 suppressions d'emplois seraient d'ores et déjà prévues.
Voilà l'avenir que le capitalisme réserve aux prolétaires et à leurs enfants. Seul le développement des luttes ouvrières à l'échelle internationale pourra s'y opposer.
W (27 avril)
A l'heure où nous mettons sous presse, et au lendemain du premier tour des présidentielles, nous apprenons que les ouvriers des usines Airbus ont de nouveau exprimé leur colère contre les attaques du capital.
Mercredi 25 avril, la direction annonce le montant des primes pour cette année: 2,88 euros ! 1 L'année dernière, ces mêmes primes se situaient autour de 4500 euros. La perte de salaire est brutale, il s'agit d'une coupe claire dans les budgets de ces familles ouvrières.
Se sentant traités comme des chiens à qui on daigne jeter quelques miettes, les salariés d'Airbus ont immédiatement réagi. A Toulouse d'abord, dans les ateliers, la colère s'est transformée en lutte. Une chaîne décide d'arrêter spontanément et sans préavis le travail, puis les ouvriers demandent aux autres ateliers de les suivre jusqu'au bureau de la direction. D'atelier en atelier, le courage et la volonté de ne pas se laisser faire se répandent. Un ouvrier raconte ainsi ce qu'il a vécu : "Hier en arrivant à 16h00, tous les gens de ma vacation ont pris connaissance de la prime de 2,88 euros. Les compagnons ont refusé de bosser, et un mouvement spontané de grève a démarré. Toute la FAL [atelier de montage] a suivi". Et ce gréviste pointe avec insistance la spontanéité de la réaction contre l'avis des syndicats : "Un responsable syndical a d'ailleurs pris la parole [...] pour tenter de nous faire reprendre le travail, en disant que le symbole de ce mouvement avait été noté, mais que maintenant c'était bon il fallait gentiment revenir bosser". Ce que dévoile clairement ce témoignage, c'est que les syndicats sont des saboteurs patentés de la lutte et que les ouvriers vont être contraints de plus en plus à ne compter que sur eux-mêmes pour développer leurs ripostes. Ainsi, un responsable syndical s'inquiétant de son manque de maîtrise, a tenté de s'informer "discrètement" auprès de ses syndiqués sur l'ampleur de la combativité en leur demandant implicitement de calmer leurs ardeurs : "Cette action n'était pas à l'initiative d'un syndicat, il faut faire attention à ce que l'on fait [sic !].Veuillez nous donner un peu la tendance de ce matin".
Même scénario sur les sites de Saint-Nazaire et de Nantes. L'indignation se répandant comme une traînée de poudre, les ouvriers ont suivi leurs collègues de Toulouse en réalisant à leur tour des débrayages "sauvages". Ils sont alors sortis massivement de l'usine pour en bloquer l'entrée. Et là encore, ce fut sans et même contre les officines syndicales : "Ce n'est parti d'aucun syndicat. Ça vient d'un ras-le-bol des salariés eux-mêmes" a affirmé un salarié aux journalistes. Sur ces deux sites, là aussi, l'annonce d'une prime dérisoire a été reçue comme une véritable insulte, faisant rejaillir les souffrances et les pressions quotidiennes : "On nous demande de faire des heures supplémentaires le samedi alors que toutes les embauches sont fermées et les contrats intérimaires ne sont pas renouvelés" témoignait, la rage au ventre, un autre ouvrier. 2,88 euros... ce chiffre est devenu pendant quelques heures le symbole de l'inhumanité de la condition ouvrière.
Évidemment, à Toulouse comme à Saint Nazaire, les syndicats n'étant pas parvenus à empêcher l'explosion de colère des ouvriers, ont très rapidement repris le contrôle de la situation en prenant le train en marche. Ainsi, comme l'a fait remarquer un travailleur de l'usine Airbus de Toulouse : "quelques heures plus tard, avant le repas de midi dans mon atelier, FO a organisé un simulacre de débrayage en évitant d'inviter tous les ouvriers".
En se dressant collectivement contre leurs exploiteurs, en refusant d'être traités comme du bétail, les travailleurs d'Airbus ont montré ce qu'est la dignité de la classe ouvrière. Ils viennent de rappeler que, face aux attaques incessantes, dans toutes les boîtes, des patrons et de l'État, il n'y a pas d'autre solution que de lutter tous unis. Malgré toutes les manœuvres de la bourgeoisie visant à monter les ouvriers les uns contre les autres, à développer la concurrence entre eux, la situation sociale est marquée par une tendance croissante à la solidarité active entre les prolétaires. Un ouvrier de Saint-Nazaire l'a d'ailleurs dit explicitement : "On voulait être aussi solidaire du mouvement à Toulouse" ! En se propageant ainsi de chaîne en chaîne, d'atelier en atelier, puis de site en site, cette réaction des travailleurs d'Airbus a montré le chemin que doit prendre toute la classe ouvrière face aux attaques et aux provocations incessantes de la bourgeoisie. Elle a mis en évidence que les syndicats sont bel et bien des forces d'encadrement de l'ordre capitaliste. Dans les mois et les années à venir, les ouvriers n'auront pas d'autre choix que de se confronter toujours plus fortement au sabotage syndical, pour pouvoir développer leur solidarité et leur unité dans la lutte.
Enfin, ces explosions de colère à Airbus (de même que la multitudes de petites grèves dans l'automobile, à la Poste, chez les enseignants, etc.) viennent de révéler que, malgré le battage électoral et le "triomphe de la démocratie", il n'y a pas de trêve réelle dans la lutte de classe.
Béatrice (28 avril)
1 Cette annonce particulièrement scandaleuse pourrait être une provocation pour mieux faire passer l'annonce le 27 avril du détail des suppressions de postes sur les sites. Il n'en demeure pas moins que la réaction spontanée des ouvriers est exemplaire.
Au soir du premier tour électoral, la joie des journalistes, des analystes, des responsables politiques était visible, presque palpable. Tous avaient au coin des lèvres le sourire des bienheureux. Pour cause, ils célébraient leur victoire commune, celle de la participation massive des « citoyens français ». Pour sa part, et malgré des scores au ras des pâquerettes (excepté pour Olivier Besancenot), « la gauche de la gauche » n'a pas été étrangère à cette belle réussite du camp... du capital. Elle y a même grandement contribué en allant dans les quartiers populaires et les usines faire croire aux ouvriers qu'ils pouvaient se faire entendre par les urnes, pour « protester », pour « résister", pour « faire pression », pour « exprimer leur ras-le-bol »... Tout fut bon pour véhiculer en réalité un seul et même message : « pour votre avenir, pour lutter contre les attaques et la dégradation des conditions de vie..., votez !!! ».
La tournée des banlieues de tous les représentants de cette gauche « anti-libérale » n'avait d'autre but que de faire le plein de jeunes pour les envoyer, le moment venu, dans les isoloirs comme du bétail que l'on convie au saloir. C'est pourquoi, Olivier Besancenot, le facteur « jovial et sympathique », s'est appliqué consciencieusement « à parler jeune et à se référer aux rappeurs plutôt qu'à l'orthodoxie trotskiste » (Libération). Les programmes d'éveil à la citoyenneté de l'Education nationale peuvent en prendre de la graine...
Ainsi, c'est avec zèle et dextérité que l'extrême gauche a tenu son rôle de rabatteur vers les urnes électorales et, à l'heure du second tour, vers le vote socialiste organisé sous couvert de « référendum anti-Sarkozy ».
Avant le 22 avril, les Buffet, Bové, Laguiller et Besancenot, tous ces chantres du « 100% à gauche », critiquaient sévèrement la gauche « molle et timorée » de Ségolène Royal, une « gauche du renoncement » « inféodée aux intérêts du capital ». Tout cela pour quoi ? Simplement pour mieux appeler au second tour, dans un magnifique élan d'hypocrisie collégiale, à voter pour cette même candidate socialiste à l'image d'une Marie-George Buffet qui « sans hésitation [a appellé] tous les hommes et toutes les femmes de gauche, toutes et tous les démocrates, à voter et à faire voter le 6 mai, Ségolène Royal. »
Mais, ce que peut dire sans détour la chef de file d'un PCF qui s'est, à n'en plus compter, allègrement compromis au pouvoir avec le PS, doit être évidemment amené avec plus de tact et de subtilité par les organisations de la gauche « anti-capitaliste » peintes d'un vernis plus « radical ».
Ainsi, la LCR d'Olivier Besancenot n'appelle pas à voter « pour Royal » mais « contre Sarkozy » : « Le 6 mais nous serons du côté de ceux et celles qui veulent empêcher Nicolas Sarkozy d'accéder à la présidence de la République. » Belle nuance, en effet !
Quoi qu'il en soit, ce tortueux effort de rhétorique n'en reste pas moins une façon de rendre plus présentable aux yeux des travailleurs le soutien indéfectible de la gauche « radicale » à la vieille social-démocratie... car, au bout du compte, c'est bien de cela qu'il s'agit : faire croire à la classe ouvrière que « quelque part la gauche, c'est quand même pas pareil que la droite ». D'ailleurs, en 1981, la LCR ne s'encombrait pas de tant de manières quand elle appelait sans scrupule dans son journal Rouge à « VOTEZ MITTERRAND pour chasser Giscard ».
Si aujourd'hui, la LCR fait mine de paraître plus intransigeante, afin de séduire une jeunesse au mécontentement grandissant, le fond, lui, reste le même.
Au lendemain des résultats du premier tour, un auditeur de la station RMC livrait son témoignage : « j'ai voté Besancenot parce qu'il parle vrai... quand il vous cause, c'est dans les yeux... ». Il faut ajouter ici, pour être tout à fait complet, que depuis sa consigne de vote pour le 6 mai, le regard louche furieusement (à s'en faire exploser les orbites) du côté de Ségolène Royal. Et pourtant, c'est bien le même Besancenot qui n'a cessé depuis des mois de justifier sa présence dans la course présidentielle et l'avortement d'une candidature unique du camp dit « anti-libéral » (LCR, PCF, altermondialistes) par le fait que son « profil et [sa] candidature présentent une spécificité par rapport à toutes les autres : elle incarne avec le plus de netteté le renouvellement, l'indépendance vis-à-vis du PS... » (Rouge du 25 janvier ), parce qu'« entre la politique défendue par Royal et celle que [LCR] nous appelons de nos vœux, il n'y a pas le plus petit commun dénominateur. » (Rouge du 12 avril).
Voilà, en tout cas, qui résume assez bien le genre de sincérité de ceux qui se targuent à tout bout de champ d'être d'authentiques partisans du camp des travailleurs.
Ainsi, Arlette Laguiller, pour son dernier tour de piste présidentielle, n'a pas manqué l'occasion de faire à nouveau la preuve de la constance politique de son organisation (Lutte Ouvrière) qui pousse, chaque fois que nécessaire, les ouvriers dans les bras de la gauche : « ... je souhaite de tout mon cœur que Sarkozy soit battu... Je voterai donc pour Ségolène Royal. Et j'appelle tous les électeurs à en faire autant. Mais si je fais ce choix, c'est uniquement par solidarité avec tous ceux qui, dans les classes populaires, déclarent préférer ‘tous sauf Sarkozy'. » Ce dévouement fut vite récompensé par Ségolène Royal en personne qui, lors de son meeting à Valence, a pris soin de faire acclamer Arlette Laguiller pour qui elle a eu "une pensée particulière", la salle en effervescence se mettant alors à scander "Arlette, avec nous!" (Le Nouvel Observateur du 25 avril 2007 sur Internet). On ne pouvait rêver plus belle sortie ! Elle symbolise d'ailleurs à la perfection toute la ligne politique suivie par LO depuis sa fondation.
Arlette Laguiller finit en effet sa carrière de candidate comme elle l'avait commencé, en appelant à voter socialiste. En 1974, le journal Lutte Ouvrière inscrivait sur sa première page « le 19 mai tous les travailleurs doivent voter MITTERRAND ». Puis en 1981, Lutte Ouvrière titrait à nouveau en pleine Une « le 10 mai sans illusion mais sans réserve VOTONS MITTERRAND ».
A l'époque, il s'agissait selon LO d'un mal nécessaire pour que la classe ouvrière fasse l'expérience, dans sa chair, de la véritable nature anti-ouvrière du Parti socialiste. Bref, « tire-toi une balle dans le pieds, tu verras comme ça va faire mal... », l'argument vole en éclats !
Aujourd'hui, après le passage au pouvoir de la gauche mitterrandienne puis jospinienne, les socialistes ont amplement fait étalage de leur appartenance au camp bourgeois en attaquant massivement les conditions de vie de la classe ouvrière (vagues de licenciements, suppressions de postes dans la fonction publique, précarisation de l'emploi, réforme du système de santé...). Et malgré cela, Arlette Laguiller revient à la charge avec, à peu de choses près, la même formule qu'en 1981 : « Alors, si c'est sans réserve que j'appelle à voter Ségolène Royal, c'est absolument sans illusion... ». S'agit-il là encore de faire l'expérience de la gauche au pouvoir ?
Décidément, c'est une vieille habitude chez les trotskystes que de prendre les ouvriers pour des pigeons de la veille.
Si avant le premier tour, le « camp anti-libéral » à grands renforts de « collectifs unitaires » n'a pas réussi à s'entendre pour présenter une candidature unique, force est de constater, qu'après le 22 avril, tous ce petit monde (y compris LO) se trouve réuni pour chanter religieusement et à pleins poumons que « sans hésitation » et « de tout notre cœur » il faut voter Royal.
Souvenons-nous, pour notre part, qu'à chaque fois que le PS est arrivé au pouvoir pour frapper à grands coups de massue la classe ouvrière, l'extrême gauche s'est empressée de se faire le « critique radical » de « cette gauche vendue au patronat » dans l'unique espoir de faire oublier à la fois le soutien mutuel qu'ils se portent et le lien infaillible qui les relie.
Mitterrand, à sa façon, avait d'ailleurs salué ce lien lorsque, s'adressant à Cambadélis (ex-trotskyste devenu membre influent du PS), il lui dit : « Vous avez évolué et agi en parallèle avec nous ».
La bourgeoisie a toujours su à qui adresser ses meilleurs remerciements.
Azel (26 avril)
Dans l’hebdomadaire Marianne du 14 avril, une brève intitulée "Expulsion pas ordinaire" nous apprend que "les sans- papiers qui occupaient la Bourse du Travail du 10e arrondissement de Paris, depuis le début du mois de février, ont été expulsés." Jusque-là rien de nouveau sous le triste ciel capitaliste. En revanche, ce qui l’est nettement plus, c’est que la plupart de ces pauvres diables "ont été expulsés par les syndicats CGT, CFDT et FO qui ne pouvaient plus utiliser leurs locaux.".
Le monde s’est-il mis subitement à tourner à l’envers ? Les syndicats marcheraient-ils désormais la tête en bas pour envoyer leurs militants faire évacuer séance tenante des sans-papiers ? Et tout ça "parce qu’ils avaient transformé plusieurs salles de la Bourse en squat" selon la déclaration de Didier Niel, secrétaire général de l’Union départementale de la CGT de Paris, à l’agence de presse Reuters.
Les syndicats, "forces vives du progrès social", prétendus "avocats des faibles contre les puissants", ne sont évidemment pas devenus fous mais nous donnent à voir ici un témoignage poignant de l’humanisme qui les habite.
Ironie du sort, c’est dans cette même Bourse du Travail à Paris que le 26 juin 2004 fut fondé (avec la participation de la CGT, de la CFDT et le soutien de FO) le Réseau Education Sans Frontières (Resf) en faveur de la régularisation des sans-papiers scolarisés et en opposition aux lois anti-immigrés de Sarkozy. Et ce sont encore les mêmes que l’on retrouve dans la liste des membres du collectif "Uni(es) contre une Immigration Jetable" dont l’appel dénonce solennellement "les politiques mises en œuvre par le gouvernement à l’encontre des sans-papiers… faites de répressions, rafles, rétentions, condamnations, expulsions, ce qui fait vivre des conditions inhumaines à de nombreuses familles." Au prochain festival de l’hypocrisie, il ne faudra pas chercher bien loin à qui décerner la palme d’or.
Habituellement, ce sont les forces de l’ordre qui donnent la chasse aux travailleurs immigrés, maintenant on sait qu’il y a aussi les syndicats.
"Comprenez bien", nous implore Didier Niel, « ce n’est pas dans nos habitudes d’appeler la police. »… alors ils font le boulot eux-mêmes !
Non contents d’inciter les sans-papiers à aller se faire recenser auprès des préfectures comme l’été dernier (voir notre article "Expulsion de sans-papiers : quand la gauche prête main forte à la droite" paru dans RI n°371 et disponible sur notre site Internet
www.internationalism.org [6]), les syndicats passent à l’action… : expulsion manu militari des "indésirables".
Si nos préfets viennent un jour à manquer de bras pour leurs futures rafles et ratonnades contre les travailleurs immigrés et leurs familles, ils sauront toujours vers qui se tourner !
La gauche syndicale peut bien crier haro sur un Sarkozy "dernier des salopards", le fait est qu’elle ne vaut guère mieux.
Jude (28 avril)
Mercredi 18 avril fut un jour ordinaire à Bagdad. Ce jour-là, comme presque tous les jours de la semaine, des bombes ont explosé en Irak. Ces attentats ont tué plus de 190 personnes, essentiellement des femmes et des enfants. Comme bien souvent auparavant, la cible principale était un marché, celui d'Al-Sadriyah, tout près d'un chantier où travaillaient des ouvriers, venus gagner, au péril de leur vie, le salaire de misère nécessaire à la survie de leur famille. Ces attentats, qui comptent parmi les plus sanglants depuis la chute de Saddam Hussein en 2003, ont été perpétrés sur le même marché qui avait déjà été frappé le 3 février dernier et qui avait fait 130 morts. La volonté de ceux qui perpètrent de tels crimes est de tuer un maximum de personnes. Leur seul objectif est la destruction, l'annihilation d'autres êtres humains, dont l'existence seule est perçue comme celle d'ennemis. C'est le règne de la haine, de la bestialité, d'une société de plus en plus ravagée, dominée par la sauvagerie et la décomposition sociale.
Au mois de février dernier, l'administration américaine annonçait à grands renforts de déclarations médiatiques un nouveau plan de sécurité pour Bagdad, dénommé Fardh al-Qanoon (Imposer la loi). On allait assister alors à un nouveau déploiement spectaculaire de 85 000 soldats américains et irakiens, dont 30 000 arrivant directement des Etats-Unis. Ce plan avait abouti à l'arrestation de plus de 5000 personnes recherchées par le gouvernement irakien et les Etats-Unis. Pendant quelques semaines, les sanguinaires et tristement célèbres « escadrons de la mort et autres milices lourdement armées » avaient comme par miracle disparu des faubourgs de Bagdad, sans que cela ne ralentisse réellement le rythme des attentats. L'échec de ce dernier plan de sécurité de Bagdad est criant de vérité, à savoir que les assassinats à la chaîne vont pouvoir reprendre leur terrifiant rythme de croisière. Après les attentats au marché d'Al-Sadriyah, lorsque les forces de l'ordre irakiennes ont tenté de se rendre sur place, en principe pour aider la population, elles ont été reçues par des jets de pierre, de la part d'une population totalement désespérée et qui tente, lorsqu'elle le peut, de prendre le chemin de l'exil. Toute la nuit, des affrontements armés ont eu lieu, dans le quartier sunnite d'Al-Adhamiya, sans que personne ne soit en mesure de les interrompre. Le gouvernement américain vient d'annoncer une nouvelle stratégie qui démontre s'il en était encore besoin l'inhumanité et l'impasse totale de la situation. En effet, le 10 avril, l'armée américaine a commencé la construction d'un mur de béton à Bagdad. Les forces américaines érigent depuis de nombreux mois des barrières autour de bastions d'insurgés, comme autour de la ville de Tal Afar, à la frontière avec la Syrie. Mais il s'agit là de la première tentative d'emmurer complètement des quartiers entiers de Bagdad, tels que celui de Dora. Ces murs ne peuvent que nous rappeler ceux qui existent déjà à Gaza ou en Cisjordanie et qui n'ont jamais conduit à un arrêt de la violence et n'ont fait que l'exacerber à une puissance sans cesse renouvelée. Par contre, ils permettent d'y enfermer et d'y laisser crever des populations entières sous le contrôle de la soldatesque de tel ou tel pays ou fraction de la bourgeoisie mondiale.
Le chef de la majorité démocrate au Congrès américain, Harry Reid, a reconnu pour la première fois officiellement le jeudi 19 avril « [qu'il] croyait que la guerre en Irak était perdue et que l'envoi de renforts décidé en janvier ne parvenait à rien » ( Le Monde du 19 avril 2007). La bourgeoisie américaine est aujourd'hui plus divisée que jamais, devant l'impasse totale de toute politique constructive pour elle-même, en Irak. Le Congrès essentiellement démocrate doit voter la semaine prochaine la loi destinée à financer les opérations militaires en Irak et en Afghanistan pour 2007, texte qui prévoit un retrait programmé dans le temps des troupes américaines d'Irak. Mais, d'ores et déjà, l'administration du président Bush a affirmé qu'elle opposerait à ce vote son droit de veto, réagissant immédiatement à la nouvelle vague d'attentats à Bagdad par l'envoi précipité, le jeudi 19 avril, du secrétaire à la défense américain, Robert Gates. A propos de toutes ces violences, celui-ci a cyniquement déclaré : « Les rebelles vont augmenter la violence pour convaincre le peuple irakien que ce plan est voué à l'échec, mais nous avons l'intention de persister et de prouver que ce ne se sera pas le cas. » (Ibid.) Le message est clair, nous allons poursuivre la même politique en Irak.
Il y a quelques jours, le chef religieux et militaire chiite Sadr a fait retirer ses six ministres du gouvernement irakien pour appeler, quelques jours après, à des manifestations massives contre la construction de murs à Bagdad. Ces gestes politiques sont autant de gages irréfutables de l'accélération des combats, massacres et attentats que l'Irak va subir dans les semaines à venir. L'unité nationale de l'Irak relève du passé. La confrontation entre les différentes communautés vivant dans ce pays, et notamment sunnites et chiites est appelée à se développer. Il est maintenant bien connu de tous que l'Iran participe activement au développement de la guerre en Irak, et ceci notamment en armant massivement de très nombreuses milices chiites. Et ceci dans le seul but de défendre ses propres intérêts impérialistes dans la région face aux Etats-Unis. L'Iran ne néglige aucun effort pour entretenir la haine entre les communautés chiites et sunnites, dans un Irak déjà complètement ensanglanté. C'est la très grande majorité du monde arabo-musulman qui est ainsi en train de se scinder en deux camps ennemis. La montée accélérée et totalement folle des tensions dans l'ensemble de la région et plus particulièrement entre l'Iran et les Etats-Unis, aux côtés d'Israël, ouvrent la voie à la pire fuite en avant dans la guerre, la barbarie et un chaos généralisé.
Rossi
« A l'image de ces cavaliers de l'Apocalypse, qui fondent à l'aube sur les villages rebelles en ne laissant de leur passage qu'une trace des cases brûlées, tout, dans ce conflit, est en clair-obscur. Combien de morts depuis quatre ans ? Dix mille selon les autorités soudanaises, quatre cents mille selon les ONG. Comment qualifier la tragédie du Darfour ? Guerre de contre-insurrection, dit-on à Khartoum ; crime de guerre, estime l'ONU ; crime contre l'Humanité, assure l'Union européenne ; premier génocide du XXIe siècle, renchérissent les intellectuels occidentaux, auteurs récemment d'un appel à leurs gouvernements respectifs. Quelle solution pour y mettre un terme ? Désarmer les forces rebelles, assène le général-président Omar el-Béchir ; armer les forces rebelles rétorquent les intellectuels et les lobbies ; négocier et sanctionner le régime soudanais, soutient l'ONU...De ce maelström de passions, d'arrière-pensées, de manipulations et parfois d'irresponsabilités émergent cependant quelques certitudes. » (Jeune Afrique du 1er au 14 avril 2007).
En effet, il y a certitude sur les responsables de ces crimes : il s'agit des grandes puissances impérialistes et de leurs bras armés locaux, le gouvernement de Khartoum et les rebelles. Ce sont ces brigands capitalistes (en particulier les Chinois et, alliés objectifs et de circonstance quand ils s'étripent ailleurs, les Américains et les Français) et leurs valets locaux qui ont commis et commettent impunément encore ces odieux massacres, qui sont des « crimes contre l'humanité ».
« Face à cette chronique d'un désastre annoncé, l'Organisation des Nations unies (ONU) et l'Union africaine adoptent essentiellement des mesures symboliques et dilatoires. Depuis deux ans, une force interafricaine de sept mille cinq cents hommes, la Mission de l'Union africaine au Soudan (MUAS, en anglais African Union in Sudan ou AMIS) est déployée au Darfour. (...) Cette force s'est révélée parfaitement inefficace. En effet, ses effectifs sont trop faibles : il faudrait au moins trente mille hommes pour couvrir les cinq cents mille kilomètres carrés du Darfour. En outre, la MUAS, sous-équipée, ne dispose que d'un mandat ridiculement restrictif : les soldats n'ont pas le droit d'effectuer de patrouilles offensives, ils doivent se limiter à « négocier» et se contentent, en fait, de recenser les tueries.(...) Les soldats africains, désolés, déclarent eux-mêmes en privé : « Nous ne servons à rien. » (Le Monde diplomatique de mars 2007).
S'il en était encore besoin, ce propos illustre l'ignoble hypocrisie des puissances impérialistes qui gouvernent le monde, qui étalent au grand jour au Darfour leur vrai visage de cyniques barbares capitalistes. Ces dirigeants qui votent des « résolutions de paix » et envoient, sous les couleurs de l'ONU, des soldats au Darfour dont la mission consiste, en fait, à « recenser les tueries » et non celle de les empêcher comme annoncé en tamtam. Mais qu'attendre de plus de l'ONU, ce repaire où se retrouvent tous ces brigands, ces vautours immoraux qui se battent pour les restes d'une Afrique en putréfaction ?
Là, le masque tombe, mais le comble du cynisme, c'est quand les bourgeoisies des grandes puissances s'efforcent de camoufler leurs vraies responsabilités dans la tragédie du Darfour à coups de «pèlerinages » médiatiques incessants au milieu des victimes agonisantes.
Pour mieux étouffer toute réflexion et toute prise de conscience par rapport aux buts réels de leurs agissements au Darfour, les « grandes démocraties » organisent régulièrement des « safaris humanitaires » au Darfour et des meetings dans les métropoles en « soutien aux victimes du génocide soudanais ». En effet, dans le sillage des stars hollywoodiennes (comme George Clooney et compagnie), le 20 mars dernier, un meeting a été organisé à Paris à l'initiative d'un collectif d'associations baptisé « Urgence Darfour », composé principalement de célébrités médiatiques (Bernard Kouchner, Bernard-Henri Lévy, Romain Goupil et autres représentants de lobbies nationaux «humanitaires ») se fixant « l'objectif de mettre le Darfour sur l'agenda des présidentiables ». Et effectivement ces derniers (Ségolène Royal, François Bayrou en tête) ont répondu à l'appel en signant un texte qui préconise (entre autres mesures) l'intervention des troupes françaises (en action au Tchad et en Centrafrique), pour faciliter la mise en place « de corridors humanitaires » au Darfour. Et en grands démagogues, les présidentiables en question ont voulu aller plus loin dans le cynisme :
« D'une fermeté inédite en France, le document n'a pas empêché certains prétendants à l'Elysée d'aller plus loin, à l'instar de Ségolène Royal (Parti socialiste) et de François Bayrou (UDF) qui ont proposé de boycotter les Jeux Olympiques de Pékin en 2008 pour faire pression sur la Chine, présentée comme le principal soutien de Khartoum au Conseil de sécurité des Nations unies. » (Jeune Afrique)
Quels hypocrites, quels mystificateurs sans scrupule, cette classe bourgeoise française ou américaine ! Bref, ces défenseurs déguisés des intérêts de leur propre impérialisme, qui font comme si la France n'était pas déjà impliquée en tant qu'alliée puis aujourd'hui, par son soutien au régime tchadien, adversaire du régime soudanais « génocidaire ». D'ailleurs, c'est bien le sens de l'appel des lobbies « politico-humanitaires » en préconisant ouvertement l'intervention de l'armée tricolore pour ouvrir prétendument « un corridor humanitaire » dans la zone des combats. Et ce n'est pas par hasard si la Chine est nommément dénoncée comme le « principal soutien » de Khartoum, car : « Loin derrière les Etats -Unis et la Chine, la France se démène dans l'ombre pour aider ses clients locaux régionaux que le régime soudanais menace. Paris a longtemps protégé Khartoum de l'hostilité « anglo-saxonne », mais cela ne lui a guère valu de gratitude de la part du régime islamique. Les permis pétroliers de Total dans le sud du Soudan demeurent toujours bloqués par des arguties juridiques, et les miliciens du régime s'emploient à déstabiliser, à partir du Darfour, les alliés de la France : le président tchadien Idriss Déby Itno et son homologue centrafricain François Bozizé. » (Le Monde diplomatique de mars 2007).
Et pour finir, certains secteurs de la bourgeoisie française se demandent carrément si, en équipant les milices à la solde de Khartoum qui sont parvenues jusque dans les faubourgs de N'Djamena, Pékin ne chercherait pas à renverser les régimes pro-français en place dans la zone de l'Afrique centrale. Et, effectivement, Pékin est aujourd'hui le premier fournisseur d'armes et le premier acheteur du pétrole soudanais. On voit là pourquoi la Chine ne veut pas voir appliquer une telle résolution qui ne « respecte pas la souveraineté nationale soudanaise » dont elle se contrefiche.
Voilà un élément supplémentaire d'inquiétude pour l'impérialisme français, qui explique le but véritable des mobilisations « médiatiques et humanitaires » contre les autres impérialismes concurrents, la Chine et les Etats-Unis. Il est vrai que ces derniers ne sont pas en reste et excellent aussi dans le cynisme outrancier. Ainsi, Bush a donné, le 18 avril dernier, « une dernière chance au gouvernement soudanais de tenir très vite ses engagements pour mettre fin au ‘génocide' au Darfour ».
Dans les faits, on sait que, tout en fermant les yeux sur les atrocités des cliques sanguinaires, Washington ménage Khartoum, son partenaire dévoué dans la « lutte antiterroriste ». En clair, ce ne sont là que des manœuvres pour tendre la main à une alliance renforcée avec le Soudan tout en ayant l'air de le menacer.
Au bout du compte, ce qui se cache derrière les discours et les actions de « paix » et autres « corridors humanitaires » pour le Darfour, ce sont en réalité de sordides luttes de charognards capitalistes au milieu des cadavres qui s'accumulent infiniment.
Amina (23 avril)
Trois morts au Technocentre de Renault de Guyancourt en quatre mois, quatre chez EDF-GDF à la centrale de Chinon en trois ans, une chez le restaurateur Sodexho début avril, encore un dans une usine PSA du Nord de la France dans le courant du même mois. Ce bilan, c'est celui de la vague de suicides qu'ont connu certaines entreprises récemment. A chacun d'entre eux, ce sont la pression et le harcèlement des chefs, la peur du chômage et le chantage au licenciement systématisé, la surcharge de travail grandissante qui sont invoqués. Rien de moins étonnant. Avec les licenciements massifs des années 1980 et 1990, dans toutes les entreprises et les services, les cadences ont été multipliées par deux ou trois, et, avec cette "grande victoire" de la gauche qu'a représenté la loi sur les 35 heures, cela n'a fait qu'empirer. Car cette dernière a permis de justifier une accélération terrible de l'exploitation et une aggravation sans précédent des conditions de travail. Les centres de production capitalistes ont toujours été des bagnes, ils sont aujourd'hui clairement des enfers où les ouvriers sont plus que jamais condamnés à rôtir puis à être jetés au rebut. "Marche ou crève !", voilà bien la devise immuable de cette société d'exploitation et de misère.
Au Technocentre de Renault-Billancourt par exemple, le "contrat 2009" décidé par l'entreprise exige des salariés, cadres, techniciens, ouvriers à la chaîne, des cadences de travail infernales, avec à la clé des licenciements secs si les "objectifs" ne sont pas respectés. Tout est bon pour réduire les coûts de production. Ainsi, un projet baptisé "nouveaux environnements de travail", adopté à l'unisson par les syndicats CFDT, CGC, CFTC et FO, a mis en place le télétravail lié à une nouvelle notation, dont dépend le salaire, qui double aux résultats de chaque salarié et de la "façon" dont il les a obtenus. Il s'agit en fait d'un véritable flicage dont la pression sur chacun est énorme et porteuse de désastres psychologiques pour certains.
Chez EDF-GDF, c'est la concurrence entre les CDD et les employés en CDI qui est la règle, la direction demandant aux employés "fixes" de s'aligner sur le rythme de travail exigé envers ceux qui espèrent être embauchés et "donnent donc le meilleur d'eux-mêmes".
Mais au-delà de ces entreprises en particulier, les exemples de l'aggravation des conditions d'exploitation partout, dans tous les secteurs, sont innombrables. Les pressions des directions et des petits chefs pour contraindre les ouvriers à accepter de se rendre corvéables à merci se transforment en véritable harcèlement, avec l'utilisation de plus en plus généralisée des méthodes les plus méprisables comme la menace ouverte du chômage ou les "mises au placard" pour faire pression sur les récalcitrants. C'est le règne de la peur, la règle étant encore de diviser pour mieux régner, mettant certains employés à l'index et en quarantaine, quitte à les pousser au suicide, pour mieux effrayer les autres et les rendre plus dociles. Dans certaines entreprises, l'insulte quotidienne, presque la menace physique, sont même la tasse de thé de l'encadrement.
Selon l'Inserm, 12 000 personnes se suicident chaque année en France, sur les 160 000 tentatives répertoriées dans l'ensemble de la population. Parmi ceux-ci, 300 à 400 le sont sur leur lieu de travail, sans exclure que de nombreux autres suicides "hors travail" sont directement liés aux conditions de travail et plus généralement à leur répercussion immédiate sur les conditions de vie. Jusqu'il y a peu, les études effectuées par les spécialistes des risques suicidaires se tournaient ainsi essentiellement vers les "populations à risque", principalement les toxicomanes, les homosexuels, les chômeurs ou encore les adolescents. Le phénomène d'épuisement professionnel décrit par un psychanalyste américain, ou "burn out" (1), apparu à la fin des années 1970 et au début des années 1980, n'est plus une curiosité de chercheur, c'est une réalité endémique.
Alors que, grâce à la mise en place de réseaux médico-sociaux permettant un dépistage plus précoce dans la population, il n'y a pas d'augmentation globale du suicide, le nombre de suicides au travail et de ceux liés directement aux conditions de travail est en constante augmentation. Ainsi, les onzièmes journées nationales pour la prévention du suicide qui ont eu lieu début février 2007 se sont particulièrement intéressées à ce "phénomène nouveau" apparu officiellement il y a une vingtaine d'années, et "en augmentation depuis dix ans et en croissance régulière depuis quatre à cinq ans", selon le vice-président du Conseil économique et social, Christian Larose.
Autre fait "nouveau" : alors que jusqu'il y a dix ans, seules certaines professions étaient particulièrement touchées, comme les agriculteurs et les salariés agricoles croulant sous les dettes, aujourd'hui toutes les catégories professionnelles sont concernées, avec une exposition plus fréquente pour les cadres, les enseignants, les personnels de santé, les gardiens de prison, les policiers, ou encore les pompiers, et les salariés du secteur privé, c'est-à-dire la plus grande proportion des salariés de l'Hexagone.
Cette vague de suicides liés au travail n'est pas une spécificité franco-française, loin de là. S'il est difficile de pouvoir obtenir des estimations précises, on sait par exemple qu'en Europe, 28% des gens avouent que leur travail est source de stress grave. En Chine, le nombre de suicides a littéralement explosé avec l'industrialisation sauvage et les conditions de vie inhumaines des ouvriers. Ainsi, 250 000 personnes entre 18 et 35 ans se sont suicidées en 2006, c'est-à-dire une partie représentative des forces vives au sein de la classe ouvrière chinoise.
La bourgeoisie essaie bien sûr de se servir de ce "malaise social" pour démoraliser la classe ouvrière : elle veut nous faire croire que le désespoir et la concurrence font partie de la "nature humaine" et que la classe ouvrière ne peut qu'accepter cette situation comme une fatalité. Les révolutionnaires, quant à eux, doivent mettre en avant que c'est la barbarie du capitalisme qui est responsable des suicides. Le fait que des prolétaires soient aujourd'hui acculés à se donner la mort à cause des conditions de travail est une révolte désespérée contre la sauvagerie de leurs conditions d'exploitation. Cependant, nous ne devons pas voir dans la misère que la misère : les conditions d'exploitation et la concurrence que connaît aujourd'hui le prolétariat dans le monde n'ont pas comme seule perspective le désespoir individuel, les suicides ou les dépressions. Car la dégradation vertigineuse des conditions de vie des prolétaires porte avec elle la révolte collective et le développement de la solidarité au sein de la classe exploitée. L'avenir n'est pas à la concurrence entre les travailleurs mais à leur union grandissante contre la misère et l'exploitation. L'avenir est à des luttes ouvrières de plus en plus ouvertes, massives et solidaires.
Ainsi, dans le Manifeste Communiste de 1848, Marx et Engels écrivaient : "Parfois les ouvriers triomphent ; mais c'est un triomphe éphémère. Le résultat véritable de leurs luttes est moins le succès immédiat que l'union grandissante des travailleurs. (...) Cette union grandissante du prolétariat en classe (...) est sans cesse détruite de nouveau par la concurrence que les ouvriers se font entre eux. Ainsi elle renaît toujours chaque jour plus forte, plus ferme, plus puissante."
Mulan (28 avril)
1 Phénomène dépressif grave : « incendie intérieur », en référence à un feu qui aurait pris à l'intérieur, ne laissant plus que le vide.
En mai 2006, deux sympathisantes du CCI en Allemagne sont venues à Paris afin "d'éprouver personnellement sur le terrain l'énergie et le sérieux avec lesquels les étudiants et les travailleurs s'engageaient dans le mouvement [contre le CPE]". Participant à l'une de nos réunions publiques consacrées à cette lutte, l'une d'elle a affirmé "j'ai été très touchée par ce que j'ai entendu et vu ; il y avait là l'optimisme et la conscience, qui m'ont été communiqués, que la classe ouvrière n'est pas morte" ou encore "Nous avons pu à nouveau constater à quel point le débat mutuel est important. Comme nous sommes si souvent isolées au quotidien dans notre conviction politique, constamment à contre-courant, à Paris, vivre cette atmosphère, où beaucoup de travailleurs et d'étudiants se rassemblent et discutent de façon vivante, nous a tout particulièrement impressionnées."
Le mouvement des étudiants du printemps 2006 en France appartient à toute la classe ouvrière, il est un exemple pour toutes les luttes à mener, sur tous les continents. Ces camarades venues d'Allemagne l'expriment parfaitement : "Nous avions le désir de témoigner notre attitude internationaliste aux étudiants, aux lycéens et aux travailleurs et de les assurer de notre solidarité sans restriction." Et pour que justement cette leçon de lutte traverse les frontières, elles ont pris la plume et ont exprimé toutes deux à leur façon ce qu'elles ont perçu et retenu de ce mouvement. C'est ce texte, traduit de l'allemand et déjà diffusé largement dans nos publications que nous reproduisons ci-dessous presque intégralement. Ce soutien internationaliste est d'une grande importance, il révèle une fois encore que la classe ouvrière n'a pas de patrie, qu'elle a partout les mêmes intérêts et le même combat. Elle seule est capable d'éprouver ainsi un profond sentiment de solidarité par-delà les frontières, les couleurs de peau ou les religions !
Le mouvement des étudiants était spontané. Les étudiants se sont mobilisés contre le projet du CPE, qui devait autoriser le licenciement sans motif et sans préavis des jeunes travailleurs de moins de 26 ans. Dans leur lutte, ils ont laissé de côté les revendications spécifiquement estudiantines et engagé le combat contre l'attaque de la bourgeoisie dirigée contre la classe ouvrière dans son ensemble. C'est ainsi qu'ils purent gagner la solidarité de toute la classe ouvrière et convaincre les travailleurs de lutter avec eux, ensemble. Ce que les travailleurs firent ensuite aussi en France. Par centaines de milliers, ils ont participé aux manifestations des 18 et 19 mars. [...] C'est là que réside le secret du succès de cette lutte. Les étudiants se sont conçus comme une partie de la classe ouvrière ; très souvent déjà, ils travaillent pendant leurs études comme prolétaires et savent ainsi quel avenir les attend. Ils ont une conscience profonde du fait qu'ils feront partie du prolétariat. C'est l'expression de la solidarité et de l'unité de la classe qui a contraint la bourgeoisie à la capitulation. Le projet du CPE a été retiré le 10 avril. [...]
Les assemblées générales des étudiants ont été ouvertes aux différentes couches de la classe ouvrière et de la population (travailleurs, retraités, parents, grands-parents, chômeurs). Tous ont été invités et encouragés à prendre la parole, à faire des propositions et à apporter leurs expériences de lutte. La jeune génération a écouté avec attention et grand intérêt. Cet échange et ce type de rapports entre les gens ont établi spontanément une relation solidaire entre les générations de combattants.
La bourgeoisie s'efforce dans le monde entier de minimiser l'importance de ce mouvement en le présentant comme une particularité de la France. Le fait que tactiquement la bourgeoisie française n'a justement pas agi de façon intelligente, en voulant imposer cette loi par tous les moyens, peut avoir contribué en partie à ces événements. Mais le plus important est quand même que ce mouvement ne constitue en rien une particularité de la France, mais une expression de la maturation souterraine mondiale dans la classe ouvrière. Avec l'aggravation de la crise mondiale, dans laquelle le système capitaliste s'enfonce depuis désormais plus de 30 ans, les conditions de vie qui deviennent de plus en plus dures pour la classe ouvrière contraignent les travailleurs à réfléchir à leur situation. Les étudiants prennent conscience de ce que sera leur avenir professionnel, avec des contrats de travail de plus en plus précaires. Ce qui est caractéristique des nouvelles luttes de défense de la classe ouvrière (comme la lutte des étudiants en France), c'est la solidarité et la reconnaissance que ce qui concerne une partie de la classe ouvrière, concerne la classe ouvrière dans son ensemble. Il ne s'agit pas ici seulement des étudiants en France. Cette lutte s'inscrit dans toute une chaîne de luttes de défense des travailleurs, depuis celle des ouvriers du métro à New York jusqu'à celle des employés de l'aéroport d'Heathrow à Londres. La classe ouvrière est une classe internationale, c'est pourquoi sa lutte de défense ne peut connaître aucune frontière nationale. C'est pourquoi il est moins important de voir dans quel pays ces luttes ont lieu, que de voir qu'elles ont lieu et qu'elles sont menées par la classe ouvrière.
Les luttes en France ne sont pas isolées. Aux USA, en Angleterre, en Allemagne, etc. il y a eu une série de luttes ces dernières années contre la crise croissante et ses effets sur les travailleurs [...]
Les camarades ont souligné que le mouvement possède la plus haute importance pour la classe ouvrière internationale ce que la bourgeoisie cherche naturellement à minimiser. Cela montre, en plus des exemples cités, que la classe ouvrière est prête à engager la lutte contre l'intensification de la crise. Cela présage l'expression de la solidarité internationale, pour les générations suivantes avec le message : on peut combattre. On peut gagner. Qui ne combat pas, ne peut pas gagner.
Les jeunes des banlieues sont venus aux manifestations à Paris, principalement pour se battre avec la police 1. Dans les manifestations, les syndicats les ont refoulés à coups de matraque dans les bras de la police. À la différence des syndicats, les étudiants ont envoyé de fortes délégations dans les banlieues, pour parler avec les jeunes et pour leur expliquer que les étudiants ne défendent pas de quelconques intérêts spécifiquement estudiantins mais des revendications générales de la classe ouvrière, qui sont aussi dans l'intérêt des jeunes des banlieues. Il était important pour les étudiants de convaincre les jeunes de l'absurdité des émeutes et de se démarquer de ces formes de luttes. Les étudiants ont ainsi exprimé le principe prolétarien, de n'user d'aucune violence au sein de la classe ouvrière.
Il n'y a pas d'organisations de chômeurs. [...] Lorsque les luttes de la classe ouvrière iront plus loin, les chômeurs s'y intégreront. Les chômeurs constitueront en effet une partie importante des luttes. Ils ne sont reliés à aucune entreprise, ils peuvent donc ainsi s'opposer à toute division de la classe. Vu qu'ils reçoivent directement leur soutien de l'État, leur lutte pour l'existence prend directement un caractère politique. Par leur propre situation, l'absence de perspective dans le système capitaliste, les chômeurs se heurteront très rapidement aux racines du mal capitaliste. La lutte des chômeurs provoquera alors une radicalisation, une nouvelle extension et une importante dynamique dans la lutte des classes.
Les femmes se sont activement associées, se sont montrées très intéressées à la discussion. Dans la discussion ne se sont exprimés ni une mise en relief particulière du rôle de la femme ni aucun rabaissement. Les étudiantes ont participé au mouvement. Elles ont apporté des contributions particulièrement importantes, là où il s'est agi d'un travail de conviction d'argumentation, d'explication, d'organisation, de discipline ou de réflexion collective. Parce que les étudiantes dans les manifestations, mises à part quelques exceptions, n'utilisèrent pas la violence, malgré les provocations de la police, les femmes n'ont pas non plus été reléguées au rôle « d'infirmières des barricades » qui leur était encore très typiquement réservé dans le mouvement étudiant de 1968. Ce sont surtout les femmes qui ont fait de l'agitation parmi les policiers des brigades anti-émeute françaises, les CRS, et qui ont bien ébranlé leur assurance. Le fait que les femmes dans ces luttes ont joué un tel rôle, témoigne de la profondeur du mouvement. [...]
Les camarades du CCI étaient dès le début dans le mouvement, dans les manifestations, y compris celles qui ont été organisées par les syndicats. Ils y ont distribué leur presse et sont intervenus dans les différentes discussions avec beaucoup d'étudiants et travailleurs intéressés. [...] Le CCI, dans son soutien, s'était donné deux tâches essentielles. D'abord, il s'agissait de rompre la politique de black-out et les mensonges concernant la nature des discussions dans les assemblées générales. Puis de faire l'analyse précise du mouvement avec pour objectif de tirer les principaux enseignements de ces importantes expériences pour les perspectives des luttes futures.
Les médias officiels ont essayé de présenter les choses de telle sorte que les syndicats auraient dirigé et contrôlé le mouvement. [...] Il y a eu des manœuvres de sabotage par exemple de la part du syndicat étudiant UNEF qui a essayé de verrouiller les assemblées générales, de refuser de les ouvrir à tous les intéressés et d'interdire à certaines organisations [...] d'y prendre la parole. Cette attitude a surtout amené les étudiants non organisés dans des syndicats ou sans appartenance à une organisation politique, à empêcher avec détermination ces manœuvres. Ainsi, les étudiants ont-ils pris, là où ils étaient les plus avancés, leur lutte eux-mêmes en main.
1 Note du CCI : en réalité, ce comportement fut le produit d'une minorité de jeunes ; les lycéens des banlieues ont au contraire participé de plus en plus massivement à la lutte, au fil des manifestations... grâce au travail de solidarité réalisé par les étudiants décrit fort justement par nos camarades.
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[3] https://fr.internationalism.org/en/tag/recent-et-cours/crise-economique
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