A Marc
Présentation
L’internationalisme est un principe fondamental du mouvement ouvrier depuis ses origines. “Les ouvriers n’ont pas de patrie”, “Prolétaires de tous les pays, unissez-vous !” Ce sont-là deux phrases clé du Manifeste communiste de 1848. Pour sa part, la bourgeoisie est capable de créer des alliances entre nations, des blocs militaires ou des unions économiques associant plusieurs pays. Mais tous ces regroupements de certains secteurs nationaux de la classe dominante sont toujours dirigés contre d’autres secteurs de celle-ci : bloc de l’Est contre bloc occidental lors de la guerre froide, Union européenne contre la concurrence commerciale des Etats-Unis et du Japon, etc. Même si les principaux Etats du monde sont capables de manifester une réelle solidarité lorsque la domination de la bourgeoisie est directement mise en cause par son ennemi mortel, le prolétariat, la société bourgeoise ne peut échapper aux affrontements entre nations, que ce soit dans le domaine commercial ou celui de la guerre des armes. Il en est ainsi parce que le mode de production capitaliste est inséparable de la concurrence et donc du conflit d’intérêts entre secteurs de la classe dominante. En revanche, la base même de la lutte du prolétariat est la solidarité de classe, une solidarité dont la portée est nécessairement mondiale puisque le but ultime du mouvement prolétarien est l’abolition d’un mode de production basé sur la concurrence et son remplacement par une communauté humaine abolissant la concurrence entre individus ou nations, abolissant les nations elles-mêmes, les frontières et la guerre. Ainsi, l’internationalisme du prolétariat n’a rien d’une utopie morale, d’une démarche volontariste visant à unir tous les “hommes de bonne volonté” mais correspond à son être profond : l’internationalisme n’est pas autre chose que l’expression de l’unité mondiale du prolétariat et de sa lutte. C’est pour cela que toutes les organisations que s’est données le prolétariat au cours de son histoire étaient internationales, ou visaient à l’être. C’est déjà le cas de la Ligue des communistes de 1847 qui, bien que constituée principalement d’ouvriers allemands, avait des membres dans plusieurs pays d’Europe (Allemagne, Belgique, France, Suisse, Angleterre). Fondée en 1864 par des ouvriers des deux principaux pays industriels d’Europe, l’Angleterre et la France, l’Association internationale des Travailleurs (AIT) allait rapidement regrouper au sein d’une même organisation les forces vives du prolétariat de ce continent et d’Amérique du Nord, c’est-à-dire l’essentiel du prolétariat mondial à cette époque. Le mot d’ordre qui concluait le Manifeste communiste, “Prolétaires de tous les pays unissez-vous”, concluait également l’adresse inaugurale de l’AIT et c’est avec cette dernière que ce mot d’ordre a connu sa première concrétisation.
Nous n’allons pas revenir ici sur toute l’importance de l’internationalisme dans les différents moments de l’histoire du mouvement ouvrier. Nous nous bornerons à souligner que la fidélité aux principes internationalistes a constitué, au cours de cette histoire, la pierre angulaire de l’appartenance au camp du prolétariat des organisations qui se réclamaient de ce dernier.
Ainsi, lors de la Première Guerre mondiale, c’est la question de l’attitude à adopter par rapport à la guerre qui détermine clairement la frontière entre les courants politiques qui restent fidèles au prolétariat (et qui plus tard soutiendront la révolution) et ceux qui trahissent (et qu’on retrouvera du côté des bourreaux de la révolution).
Cette question de l’internationalisme est également cruciale lors de la montée de la contre-révolution stalinienne en Russie et dans l’Internationale communiste puisque les courants qui tentent de rester sur le terrain de classe du prolétariat sont en même temps ceux qui dénoncent radicalement la “théorie” de la “construction du socialisme dans un seul pays”.
Enfin, la Seconde Guerre mondiale constitue un nouveau test : c’est encore une fois la question de l’internationalisme qui est déterminante pour le maintien dans le camp du prolétariat. En abandonnant l’internationalisme au profit de la “défense de l’URSS” voire de la “Résistance”, le trotskisme signe son passage dans le camp bourgeois alors que les différents courants de la Gauche communiste, lorsqu’ils subsistent, se distinguent par leur refus de toute participation au conflit impérialiste.
Comme on l’a déjà vu, si l’internationalisme constitue un principe aussi important du mouvement ouvrier, c’est que la classe ouvrière est une, qu’elle constitue un seul corps collectif à l’échelle de tous les pays. En ce sens, chacune de ses expériences historiques, en quelque lieu qu’elle se déroule, constitue une contribution à l’expérience globale du prolétariat mondial. C’est pour cela, par exemple, que la Commune de Paris de 1871, ou pour la première fois de son histoire la classe ouvrière a été conduite à prendre momentanément le pouvoir, a eu une répercussion immense parmi les ouvriers du monde entier. C’est en prenant comme référence la Commune, en étudiant son histoire et ses enseignements que les ouvriers de Russie se sont lancés dans la Révolution d’Octobre près d’un demi-siècle plus tard. De même, il n’est pas besoin de rappeler l’immense retentissement de cette révolution parmi les masses ouvrières de tous les pays, à commencer par l’Allemagne, où le prolétariat s’est lancé également dans la révolution un an plus tard en s’inspirant de l’exemple russe.
Ce qui vaut pour l’expérience des luttes pratiques de la classe vaut également pour son expérience théorique. En fait, Marx et Engels n’ont jamais caché à quel point leurs propres conceptions, qu’ils ont développées notamment dans le Manifeste communiste, étaient redevables des efforts théoriques accomplis avant eux par les “socialistes utopiques” de différents pays. Il était clair pour eux que les progrès accomplis par le mouvement ouvrier en Allemagne, et qui permit à la classe ouvrière de ce pays de se trouver à la tête du prolétariat mondial jusqu’à la première boucherie impérialiste, n’avaient été possibles que grâce à la contribution tant pratique que théorique du prolétariat des autres pays d’Europe :
“De même que le socialisme allemand théorique n’oubliera jamais qu’il s’est élevé sur les épaules de Saint-Simon, de Fourier et d’Owen, trois hommes qui, malgré toutes leurs idées chimériques et leurs vues utopiques, comptent parmi les plus grands cerveaux de tous les temps et ont anticipé génialement d’innombrables choses dont nous démontrons à présent scientifiquement la justesse – de même le mouvement ouvrier allemand pratique ne doit jamais oublier qu’il s’est développé sur les épaules du mouvement anglais et français, qu’il a pu simplement profiter de leurs expériences chèrement acquises et éviter maintenant leurs erreurs, alors inévitables pour la plupart. Sans le passé des trade-unions anglaises et des luttes politiques ouvrières françaises, sans l’impulsion gigantesque donnée particulièrement par la Commune de Paris, ou en serions-nous aujourd’hui ?” (Engels, “Préface” de juillet 1874 à la Guerre des paysans en Allemagne) ([1] [3]).
Si la classe ouvrière allemande a exercé pendant plusieurs décennies une influence théorique et pratique prépondérante sur l’ensemble du mouvement ouvrier mondial, elle a passé à son tour le relai, comme on l’a vu, au prolétariat de Russie lors de la révolution de 1917. Après que les prolétariats anglais et français aient exercé un rôle déterminant à la tête de la Première internationale, après que le prolétariat allemand ait exercé un rôle équivalent à la tête de la Deuxième internationale, ce rôle est revenu au prolétariat russe dans la Troisième internationale alors que pendant de nombreuses années ce dernier avait eu justement comme modèle le prolétariat allemand.
Cette influence réciproque des différents secteurs nationaux du prolétariat ne s’est pas achevée avec la fin de la vague révolutionnaire ouverte par la révolution de 1917. En fait, même au cours de la période de contre-révolution qui a suivi cette vague révolutionnaire, les fractions de gauche qui ont tenté dans les différents pays de préserver les acquis prolétariens face à la dégénérescence de l’Internationale et à la trahison des partis communistes se sont inspirées mutuellement. C’est ainsi, par exemple, que la Fraction de gauche du Parti communiste d’Italie qui a publié Prometeo en italien à partir de 1929 puis Bilan en français à partir de 1933, non seulement a eu comme volonté de confronter ses positions avec celles des autres courants de gauche, principalement l’Opposition de gauche inspirée par Trotski et la Gauche germano-hollandaise, mais a repris à son compte certaines des positions de ce dernier courant. Ainsi, l’analyse des luttes de libération nationale, telle qu’elle avait été élaborée avant 1914 par Rosa Luxemburg au sein de la social-démocratie allemande et polonaise et reprise par la Gauche allemande, a été intégrée dans les positions de Bilan à la fin des années 30.
La terrible contre-révolution qui s’est abattue sur le prolétariat mondial à partir de la fin des années 20 a provoqué une dispersion tragique des forces qui ont tenté de maintenir le cap de la perspective communiste. Mais même dans une telle situation, c’est le mérite de la Gauche italienne d’avoir conçu son effort comme un effort du prolétariat international et d’avoir su reprendre à son compte les apports des autres secteurs nationaux du prolétariat. Cet effort s’est particulièrement concrétisé en France où, comme nous le verrons plus en détail, le surgissement des courants de gauche devait bien peu aux courants politiques provenant du Parti communiste lui-même et beaucoup plus à la présence, comme réfugiés politiques, d’éléments provenant d’autres pays. La Gauche communiste qui s’est finalement développée en France à partir de 1944, tout en se considérant comme un courant de la Gauche communiste internationale impulsée par la Gauche italienne, a poursuivi l’effort de cette dernière, s’est inspirée de sa méthode, pour intégrer pleinement les acquis des différents courants de la Gauche communiste issue de la Troisième internationale. Ce travail de synthèse a été critiqué par certaines organisations qui se revendiquaient exclusivement de tel ou tel courant de la Gauche communiste (Gauche italienne ou Gauche germano-hollandaise). Mais en qualifiant “d’éclectique” la méthode de la Gauche communiste de France (GCF), ces organisations faisaient surtout la preuve qu’elles avaient oublié une des leçons fondamentales de l’histoire du mouvement ouvrier : la participation de l’ensemble des secteurs nationaux du prolétariat (et non d’un seul d’entre eux) à l’élaboration de ses positions politiques et de son programme ([2] [4]).
Et il n’y a aucune raison pour que ce qui a été toujours valable par le passé ne le reste pas aujourd’hui et demain. C’est en se basant sur l’ensemble des acquis historiques du mouvement ouvrier, et non seulement sur certains d’entre eux, que pourra se constituer le futur parti mondial du prolétariat.
C’est pour cette raison que le CCI a entrepris de publier des contributions à l’histoire des différents courants de la Gauche communiste. Il a commencé par le courant le plus fécond de celle-ci, la Gauche communiste d’Italie ([3] [5]) et il a continué avec la Gauche communiste hollandaise ([4] [6]), c’est-à-dire le courant qui fut capable de donner un cadre théorique plus élaboré aux apports de la Gauche allemande et de poursuivre le combat dans la même orientation après que cette dernière ait été anéantie par le nazisme. Avec la présente brochure, notre organisation entend poursuivre ce travail de réappropriation par les nouvelles générations de révolutionnaires de l’histoire dont elles sont issues ([5] [7]).
Mais si la publication de la présente brochure s’inscrit logiquement dans notre politique de contribution à l’histoire des Gauches communistes, elle poursuit également deux autres objectifs principaux :
1) rétablir l’histoire du mouvement ouvrier révolutionnaire en France durant l’entre-deux-guerres ;
2) continuer à défendre le nécessaire regroupement des énergies révolutionnaires.
Concernant le premier objectif, il est inutile évidemment de s’apesantir sur les ouvrages – assez nombreux – examinant cette période avec les lunettes du stalinisme ou de la “recherche universitaire”. Ces ouvrages, au mieux, lorsqu’ils sont sincères, sont imprégnés de préjugés démocratiques et incapables, de ce fait, de lire les faits historiques d’un point de vue de classe prolétarien, mais ce sont souvent des textes “militants” de défense du capitalisme où l’on s’emploie de façon consciente et intéressée à masquer la réalité ([6] [8]). Les socio-démocrates, les staliniens et les staliniens défroqués à la Stéphane Courtois (le principal auteur du Livre noir du communisme) sont évidemment les grands spécialistes de ce genre de littérature. Ces auteurs ont cependant pour excuse de ne pas se présenter comme des militants révolutionnaires continuateurs du combat des courants de Gauche au sein de l’Internationale communiste. Mais cette excuse ne vaut pas pour les auteurs qui se réclament du trotskisme. Ce courant qui a rejoint le camp bourgeois durant la Seconde Guerre mondiale dispose aujourd’hui d’historiens patentés, tel Pierre Broué, qui ont publié des ouvrages traitant de l’opposition au stalinisme durant cette période. Mais eux aussi ne sont que des falsificateurs, alors qu’ils cherchent à se faire passer pour des esprits scientifiques et impartiaux. Par exemple, de façon totalement mensongère, ils réduisent l’histoire du mouvement ouvrier et révolutionnaire de cette période en France au seul courant qui se situait derrière Trotski ([7] [9]). Or, ce courant représente, en fait, 35 personnes après 1933. Par contre, la Gauche communiste, même faible, représente une centaine de personnes, à laquelle il faut ajouter les membres de la Gauche italienne présents en France.
De plus, si l’on veut être complet sur la réalité et l’importance de la Gauche communiste dans cette triste période contre-révolutionnaire, on doit également compter des oppositionnels tels le groupe de Souvarine, celui de la Révolution prolétarienne ou de la Fédération de l’Est (groupes considérés comme se situant à la “droite” de l’Opposition internationale de gauche).
Concernant le second objectif, il importe de souligner que l’étude des efforts visant à la constitution d’un courant de la Gauche communiste en France met clairement en relief la participation de premier plan de la Gauche communiste italienne à ces efforts ainsi que la méthode qui était la sienne. Nous ne saurions trop insister sur la méthode défendue, durant cette période, par la Gauche italienne – dans Prometeo et Bilan – qui, même au moment le plus défavorable de l’histoire, a toujours cherché à regrouper les énergies révolutionnaires et à resserrer les rangs pour que les éléments révolutionnaires ne se perdent pas, en même temps qu’elle poussait inlassablement au débat et à la réflexion au sein du milieu prolétarien.
La Gauche italienne a, en effet, toujours recherché la clarification politique notamment en tirant les enseignements et en faisant le “bilan” des événements révolutionnaires des années 1920. Il n’a jamais été question, pour elle, de taire ses divergences avec les autres groupes pour afficher une unité de façade. Pour la Gauche italienne, au contraire, l’unité ne pouvait passer que par le maximum de clarté politique et théorique. Cependant, pour cette organisation révolutionnaire, il n’était pas question non plus de rester confinée dans sa tour d’ivoire et de mener une réflexion en chambre, de façon sectaire, en ignorant les autres groupes et courants révolutionnaires.
Par trois fois, la Gauche italienne a mis en pratique cette méthode :
– dans les années 1920 alors que les premières oppositions apparaissaient au sein des Partis communistes (PC) ;
– puis, en 1929, au sein de l’Opposition internationale de gauche (OGI) ([8] [10]) ;
– enfin, en 1933, en participant activement au regroupement des forces communistes à la gauche du courant trotskiste.
A travers la publication de cette brochure, c’est, en fin de compte, au rappel et à la réappropriation de cette histoire et de cette tradition communiste que le CCI compte contribuer.
C’est l’ensemble des préoccupations que nous venons d’exprimer qui a déterminé le plan que nous avons choisi pour la présente brochure.
Ainsi, nous consacrons une place relativement importante aux conférences qui se sont tenues à la fin des années 20 et au début des années 30 en vue d’une unification de la Gauche communiste en France parce qu’elles sont mal connues et sont rapportées souvent de façon frauduleuse par ceux qui se réclament du courant trotskiste lequel avait été présent lors de ces conférences. Ces tentatives de regroupement font l’objet du premier chapitre de notre brochure : “Les tentatives avortées de création d’une Gauche communiste de France”, et nous donnons en annexe les documents qui avaient été présentés à la dernière d’entre elles dans la mesure où, à notre connaissance, ces documents n’ont pas été publiés jusqu’à présent dans leur intégralité et qu’ils permettent de se faire une idée précise des positions en présence, notamment celles de la Gauche italienne. Il peut paraître étrange que nous n’évoquions les efforts de la Gauche communiste en France qu’à partir de la fin des années 20 alors que nos livres sur les gauches italienne et germano-hollandaise traitent amplement de ces courants dès le début des années 20. En réalité, il n’y avait pas en France de tradition marxiste d’une “Gauche” antérieurement aux années 1930. Il s’agit d’une faiblesse historique ([9] [11]) qui remonte à la situation d’avant-guerre au sein du socialisme français.
L’histoire de la social-démocratie en France, lorsque celle-ci était encore le parti de la classe ouvrière, n’a pas connu l’existence d’un véritable courant marxiste ni d’une tradition de gauche comme cela a été le cas dans d’autres pays tels l’Allemagne, l’Italie ou la Russie. Cette faiblesse a empêché notamment que s’exprime, au sein du Parti socialiste, une opposition conséquente à la dérive opportuniste de la direction, à sa politique de trahison de l’internationalisme prolétarien et de défense des intérêts du capital national dans la Première Guerre mondiale. Au lendemain de celle-ci, quand la perspective était partout à la construction de nouveaux partis du prolétariat, il y a bien eu, en France, une tentative de regroupement de forces de gauche autour de Raymond Péricat ([10] [12]) pour former un parti communiste. Mais cette tentative constituait essentiellement une réaction contre la trahison de la social-démocratie et non la création d’une organisation s’appuyant sur des fondements théoriques sérieux. S’il ne fait aucun doute que le PCF, à sa fondation, quelques temps plus tard, fut un authentique parti du prolétariat, un produit de la vague révolutionnaire internationale, sa formation était déjà marquée par l’opportunisme. C’est son rattachement à l’Internationale communiste (IC) qui lui conféra tout son contenu et sa légitimité révolutionnaires.
Le PCF fut le fruit d’un compromis que l’IC encouragea commettant ainsi une lourde erreur. Ce compromis fut passé entre une Gauche très faible (ses deux principaux porte-parole, Loriot et Souvarine étaient en prison au moment de sa création) et un fort courant majoritaire qui était, au mieux, “centriste”.
Ce Parti communiste a d’abord été dirigé par un centre infesté d’opportunistes, peu ou prou “repentis” d’avoir trempé dans l’Union sacrée pendant la guerre ([11] [13]). Ses représentants les plus typiques étaient Frossard, conciliateur né et habile manœuvrier, et Cachin, ex-émissaire du gouvernement français chargé d’entraîner l’Italie dans la guerre ([12] [14]). Cependant, durant une très courte période, en 1924, le PCF a été dirigé par un courant que les historiens du mouvement ouvrier ont coutume d’appeler la Gauche du parti communiste ([13] [15]), avant d’être “bolchévisé” puis de devenir un pur parti stalinien.
Si une véritable Gauche communiste a existé en France, elle est apparue en opposition à la dégénérescence stalinienne du parti et elle est née d’une greffe de l’Opposition russe ainsi que des Gauches communistes italienne et germano-hollandaise, via les éléments révolutionnaires dans l’immigration.
Entre les deux guerres mondiales, les tentatives pour regrouper les forces révolutionnaires et créer une Gauche communiste unifiée en France, n’ont rien donné. C’est donc lentement et à la suite d’un long et patient travail que ce processus aboutira, sous l’impulsion de la Fraction italienne de la Gauche communiste notamment, avec des éléments en provenance de l’Union communiste. Cette décantation s’effectuera pendant et du fait de la guerre d’Espagne. Cette ultime tentative va finalement donner naissance à la Fraction française de la Gauche communiste durant la Seconde Guerre mondiale.
Et c’est justement l’objet du deuxième et du troisième chapitre de notre brochure que de rendre compte de ce processus et de souligner l’énorme contribution apportée par la Gauche italienne à la formation d’une Gauche communiste en France.
Ainsi, le deuxième chapitre, intitulé : “Pour une Fraction française de la Gauche communiste, un accouchement difficile”, est pour l’essentiel constitué par une résolution de la Gauche communiste internationale (regroupant la Fraction italienne et la Fraction belge formée en 1937 sur les bases de la première) et qui met en évidence la méthode préconisée par la Gauche italienne pour parvenir à un tel résultat.
Quant au troisième chapitre, intitulé : “La création de la Gauche communiste de France, une naissance réussie”, il retrace les différentes étapes ayant abouti à la fondation d’une organisation de la Gauche communiste en France à partir des bases programmatiques auxquelles était parvenue la Fraction italienne pendant la Seconde Guerre mondiale et reprenant la méthode de construction d’une organisation telle que l’avait défendue la Fraction depuis sa constitution. Ce chapitre met en évidence un fait indiscutable : alors que la Fraction italienne elle-même, épuisée, a abandonné le combat qu’elle avait mené pendant près de 18 ans en prononçant son auto-dissolution en mai 1945, c’est la Fraction française de la Gauche communiste, fondée en décembre 1944 et rebaptisée par la suite Gauche communiste de France, qui a repris le flambeau politique de la Fraction italienne.
Cette continuité entre la méthode de la Fraction italienne et celle de la GCF est particulièrement illustrée par le quatrième chapitre, intitulé “Pour le développement d’une aire de la Gauche communiste internationale, la Conférence de la Gauche communiste de 1947”, et qui est principalement constitué de documents publiés par Internationalisme, organe de la GCF, à propos de cette conférence appelée par les Communistes de conseil hollandais. On pourra aisément comparer ces documents et ceux rédigés par la Fraction italienne lors des conférences de la fin des années 20-début des années 30, qui sont retracées dans le premier chapitre de notre brochure. La méthode basée à la fois sur la rigueur et sur l’ouverture en direction du camp prolétarien, méthode dont se revendique aujourd’hui le CCI, est bien la même en 1928-33 et en 1947.
Enfin, on ne peut clore cette présentation sans évoquer le nom de Marc Chirik qui fut présent aux différents moments de l’histoire du mouvement ouvrier qui sont retracés dans la présente brochure.
La période historique couverte par celle-ci est celle de la pire contre-révolution de l’histoire. Dans de tels moments, très peu d’individus ont la force de résister, de se maintenir sur les positions révolutionnaires pour transmettre les acquis révolutionnaires aux nouvelles générations ouvrières. Ceux qui y sont parvenus ne sont qu’une poignée. Marc Chirik – “Lavergne” – fut de ceux-là. C’est même durant ces années d’épreuves qu’il a forgé et renforcé ses positions politiques en combattant d’abord au sein du Parti communiste français (PCF), puis dans l’Opposition trotskiste et enfin dans la Gauche italienne. Pendant la guerre, c’est sous son impulsion que se forme le Noyau français de la Gauche communiste qui deviendra, à la fin de 1944, la Fraction française de la Gauche communiste et finalement la Gauche communiste de France dont les publications sont L’Etincelle et Internationalisme. Toute sa vie il a poussé à la discussion politique et théorique entre les groupes révolutionnaires et à leur rapprochement. En 1968, quand il est revenu en France, sa première démarche a été de prendre contact avec tous les groupes révolutionnaires existants et d’organiser une réunion entre eux, les pousser à la réflexion et au regroupement en vue d’intervenir dans la situation. A travers le CCI, dont il est l’un des principaux fondateurs, il restera, jusqu’au bout, fidèle à cette ligne politique.
C’est pour cette raison que, dix après sa disparition, nous lui dédions cette brochure.
[1] [16]) Editions sociales, p. 38-39.
[2] [17]) En fait, le rejet par les descendants de la Gauche allemande (le courant “Communiste de conseils”) des contributions de la Gauche italienne témoigne, même si elle n’est pas exprimée explicitement, d’une certaine condescendance : comment l’expérience du prolétariat d’un pays secondaire et relativement arriéré pourrait-elle se comparer à celle du prolétariat allemand ? De même, il y a une certaine mégalomanie dans l’attitude de ceux qui se réclament exclusivement de la Gauche italienne à considérer que celle-ci n’avait rien à apprendre (ce n’était d’ailleurs pas l’attitude de la Fraction italienne elle-même) de l’expérience et de la réflexion du prolétariat allemand, c’est-à-dire du prolétariat le plus développé du monde et qui, de plus, avait mené entre 1918 et 1923 des luttes d’une tout autre ampleur que celles du prolétariat d’Italie. Pour ne prendre qu’un exemple : la compréhension du fait que les syndicats sont devenus irrémédiablement depuis la Première Guerre mondiale des organes de défense du capitalisme était acquise par la Gauche allemande dès le début des années 20 alors qu’il a fallu à la Gauche italienne et à ses héritiers entre 25 et 50 ans de plus (suivant les tendances) pour arriver à la même conclusion (et encore !).
[3] [18]) Voir notre livre : la Gauche communiste d’Italie – Contribution à une histoire du mouvement révolutionnaire.
[4] [19]) Voir notre livre : la Gauche hollandaise – Aux origines du courant communiste international des conseils.
[5] [20]) Des contributions sur l’histoire de la Gauche communiste de Belgique (qui constitua avant la Première Guerre mondiale la Gauche communiste internationale aux côtés de la Fraction italienne) et sur la Gauche communiste en Russie (apparue bien avant l’Opposition de gauche de Trotski) sont en préparation.
[6] [21]) Il est souhaitable de se rapporter à la Contribution à un histoire du mouvement révolutionnaire, La Gauche communiste d’Italie, livre du CCI et la Revue internationale n° 9 (mars 1977), pour voir les différences avec Tout est possible !, Jean Rabaut, Denoël, Le mouvement trotskiste en France, Y. Craipeau, Syros, Le mouvement communiste en France, texte de Trotski présentés par P. Broué, Minuit, Alfred Rosmer et le mouvement révolutionnaire international, C. Gras, Maspéro, etc.
[7] [22]) Les premières années de la création de “l’Opposition internationale de gauche” (1929-1933) avaient fait naître de grands espoirs parmi les révolutionnaires notamment ceux de la Gauche italienne. Puis le courant trotskiste naît en 1933, et ce, après les différentes exclusions de tous les courants de gauche qui n’étaient pas purement alignés sur les positions de “l’Opposition russe” (trotskiste). Ce n’est pas un hasard si Broué commence la publication des Œuvres de Trotski en 1933. Cette politique bureaucratique et d’exclusion défendue par Trotski est catastrophique. L’Opposition de gauche est divisée en deux parties : les trotskistes et un courant à sa gauche. Le courant trotskiste est le moins nombreux. Il s’affaiblit régulièrement jusqu’en 1940, et il n’a survécu que grâce au prestige de Trotski lui-même. C’est pourquoi Trotski défend alors un tournant pour un rapprochement avec les “gauches” de la social-démocratie.
[8] [23]) Cf. la brochure du CCI sur La Gauche communiste d’Italie et la Revue internationale n°9.
[9] [24]) Cf. notre brochure sur l’Histoire du PCF.
[10] [25]) Les libertaires français face à la révolution bolchevique en 1919 – autour de R. Péricat et du Parti communiste - 1993, brochure de Noir et rouge.
[11] [26]) La direction du Parti socialiste a soutenu les différents gouvernements d’Union nationale, ses parlementaires ont voté les crédits de guerre et enfin, après les premiers mois de guerre, les divers gouvernements ont comporté des ministres socialistes.
[12] [27]) Cachin avait été envoyé en Italie pour remettre à Mussolini (alors membre de la direction du PSI et rédacteur en chef de son quotidien, l’Avanti) une forte somme d’argent afin qu’il publie un journal chauvin, il Popolo d’Italia, appelant à l’entrée de l’Italie dans la guerre aux côtés de la France. C’est ce même Cachin qui se vantait d’avoir pleuré de joie lorsqu’il a vu le drapeau français flotter à nouveau sur Strasbourg en 1918.
[13] [28]) Représenté principalement par Souvarine.
Chapitre Premier
Les tentatives avortées de création d’une Gauche communiste de France
Dans les années qui ont précédé la Seconde Guerre mondiale, il y eut en France trois tentatives pour créer une Gauche communiste et réunifier les différents groupes existants. Il ne s’agit pas ici d’en faire l’histoire. Celle-ci reste à écrire. Il existe pourtant quelques ouvrages qui retracent incidemment l’histoire de ces tentatives ([1] [29]). Notre souci premier, dans cette brochure, est de tirer les enseignements politiques essentiels de ces expériences.
Il est à noter que les groupes trotskistes actuels font, pour ainsi dire, le silence sur ces organisations dont l’histoire a recoupé, pendant plusieurs années, celle de l’Opposition réunie autour de Trotski dont ils se disent pourtant les héritiers.
Par contre, ils sont plus diserts sur les moments où l’histoire de leurs “ancêtres” a croisé (pour ne pas dire qu’elle s’est confondue avec) celle de la social-démocratie ([2] [30]). Ils montrent ainsi, à travers les organisations auxquelles ils font référence et qui sont des organisations bourgeoises, dans quel camp ils se situent. Quand, occasionnellement, ils évoquent la Gauche communiste, c’est pour la faire passer pour un courant au mieux sectaire ou exotique et n’ayant aucune prise sur la réalité.
1) La première tentative d’unification, à l’initiative de
“Contre le courant”,
14-15 juillet 1928 ([3] [31])
L’année 1928, avec les vagues d’expulsion de militants des PC, voit apparaître un peu partout des groupes d’opposition se réclamant d’une résistance à la politique stalinienne. L’Opposition russe ayant été décapitée, celle des pays européens et américains va prendre la relève : en Allemagne (le Leninbund), en Belgique (autour de Van Overstraeten et Hennaut), aux Etats-Unis (la Communist League of America), etc.
Mais, c’est surtout en France que l’Opposition internationale va puiser ses principales forces : écarté de la direction du PCF, Albert Treint ([4] [32]) fonde l’Unité léniniste (qui deviendra le Redressement communiste) qui influence des petits groupes d’ouvriers de Bagnolet et Courbevoie (autour de Gaston Davoust) ; Pierre Naville réunit des éléments autour de la publication Lutte de classe ; un groupe d’opposition se forme sur la base du 15e rayon ([5] [33]) du PC. Et cette liste est loin d’être exhaustive.
C’est le groupe l’Opposition communiste, fondé en novembre 1927 et publiant Contre le courant, qui propose une conférence d’unification de toute l’opposition pour les 14 et 15 juillet 1928. Une lettre ouverte datée du 2 juin est envoyée dans ce sens aux groupes suivants :
– les Oppositionnels de Limoges autour de Marcel Body ;
– le Cercle Marx et Lénine de Souvarine ;
– la Fraction de gauche du PC d’Italie ;
– le Groupe Treint-Barré Redressement communiste ;
– le Groupe lyonnais de l’Opposition (dit “Souzy”) ;
– La lutte de classes (groupe autour de Naville) ;
– Le réveil communiste (groupe de Pappalardi, 1re Fraction de la Gauche italienne) ;
– Rosmer et la tendance syndicaliste révolutionnaire de la Révolution prolétarienne.
La plupart des groupes déclinent cette invitation et ce qui aurait pu donner naissance à une véritable Gauche communiste de France, va être un échec.
Cet insuccès s’explique par un certain nombre de raisons essentielles :
– d’abord du fait de la multiplication des groupes d’opposition ([6] [34]) et de leur dispersion politique, il n’a jamais existé de fraction de gauche au sein du PCF qui aurait pu donner une cohérence à un groupe véritable ;
– puis, par le fait que cette première tentative de regroupement est conçue sans une véritable confrontation des positions entre les groupes et, surtout, sans plate-forme commune. Comme le souligne avec la plus grande clarté la Gauche italienne : “Nous pensons qu’il est indispensable de se connaître réellement avant d’en arriver à affirmer si tel ou tel groupe fait une véritable critique de gauche” (Prometeo) ;
– une autre raison est que le critère principal que tous les groupes partagent est leur commune opposition au PCF ; ainsi, partir de l’anti-stalinisme comme base de discussion (et non pas des positions et de l’expérience révolutionnaire de l’IC) est plus qu’insuffisant pour confronter les positions politiques et encore moins pour bâtir une unité politique et organisationnelle ;
– enfin, il existe une raison aggravante bien que circonstancielle, c’est qu’il y a trop d’inimitiés entre tous ces anciens militants du PCF. Une grande majorité d’entre eux ne peut accepter de travailler avec ceux qui, peu de temps auparavant, les ont exclus du parti, notamment avec le “bolchévisateur” Treint ([7] [35]).
2) La deuxième tentative : le prolongement de la conférence de fondation de l’Opposition de gauche internationale du 6 avril 1930 à Paris
En février 1929, survient un événement très important pour les oppositionnels : l’expulsion de Trotski de l’URSS par Staline. Cet événement leur donne un nouveau souffle et des contacts se mettent en place, à l’échelle internationale, entre eux et celui qui est symboliquement leur représentant.
Ainsi, dans la seconde partie de cette année, se crée de facto l’Opposition de gauche internationale. En France, le 15 août, paraît le premier numéro de La Vérité publiée par la Ligue communiste (Opposition de gauche) qui vient de se constituer autour de Naville et Rosmer et qui se présente comme le véritable porte-parole de toute l’opposition française.
Un faux “regroupement” s’effectue autour de la Ligue communiste qui a un statut d’opposition au sein du PCF. Il s’agit en fait d’une absorption par la Ligue de la plupart des militants du groupe Contre le courant. Les quelques individualités qui n’y adhèrent pas éditent, pendant un certain temps, un autre organe : le Libérateur (novembre 1929 - mars 1930) ([8] [36]).
La nouvelle tentative de regroupement se fait essentiellement à la demande de Trotski et sous l’égide de la Ligue communiste qui appelle, pour le 6 avril 1930, à une conférence de fondation de l’Opposition de gauche internationale. La convocation de cette conférence est très précipitée, peu préparée et très volontariste. C’est ainsi que tous les groupes de l’Opposition n’y sont pas invités et que, par exemple, la Gauche italienne en est avertie au dernier moment. Les camarades Severino et Peri (Bottaïoli) y assistent tout de même, parce qu’ils habitent Paris et qu’ils sont contactés individuellement, mais c’est sans mandat officiel de leur organisation dont la Commission exécutive se trouve à Bruxelles ([9] [37]).
Cette conférence n’aboutit pas à un véritable regroupement de la majorité des forces révolutionnaires qui se trouvent toujours éparpillées en France et dans le monde mais bien plutôt à la fondation, de façon volontariste par Rosmer et Naville, avec la bénédiction de Trotski, de l’Opposition de gauche Internationale (OGI). C’est pourquoi il persiste toujours une ambiguïté sur l’OGI et sur le Bureau international qui la représente : ont-ils une réelle existence politique ou sont-ils des créations artificielles voire un bluff ? ([10] [38]) C’est cette ambiguïté que ressentent très fortement la Gauche italienne et les autres courants de Gauche qui n’adhèrent pas à toutes les positions de la Gauche russe inspirée par Trotski.
Contrairement à la tentative d’unification de 1928 qui aurait été, si elle avait réussi, une “véritable création”, celle-ci est en fait une “greffe”. Elle n’aboutit pas à un regroupement des forces de l’Opposition en France pour deux raisons essentielles. Elle s’effectue :
– autour de l’Opposition russe et des positions de Trotski ([11] [39]) ;
– sur le principe de l’opposition et non pas d’un nouveau programme à opposer à celui du PCF ([12] [40]).
3) La troisième tentative : la Conférence d’unification de 1933
Les réunions de la Conférence d’unification de 1933 représentent un sommet pour l’Opposition et un moment de plus grande lucidité dans l’histoire de la Gauche communiste en France. C’est pourquoi nous faisons le choix de publier intégralement les textes écrits pour cette conférence et qui ont été regroupés dans un Bulletin préparatoire en 1933.
La Ligue communiste (trotskiste), après avoir exclu de l’Opposition de gauche internationale tous les courants ayant de véritables positions propres ou une filiation solide ([13] [41]), connaît, très rapidement après sa création, des crises et le départ de nombreux militants. Ces événements se produisent notamment du fait des méthodes et pratiques bureaucratiques qui existent en son sein.
A l’automne 1930 intervient le départ de Rosmer, puis le départ des éléments qui donnent naissance au Communiste. Depuis avril 1931, ils publient le Bulletin de la Gauche communiste et ils acceptent de suspendre cette publication pour participer à la Conférence de la Ligue des 2, 3 et 4 octobre 1931, pensant qu’il pourrait y avoir une possibilité de redressement de cette organisation et notamment un changement de ses méthodes organisationnelles internes. C’est un échec car les méthodes de la Ligue ne changent pas. Le Bulletin (organe temporaire) donne naissance à un journal, le Communiste, en novembre 1931. Enfin le groupe Treint-Barré du Redressement communiste va adhérer à la Ligue à la fin de cette conférence ([14] [42]) mais pour un temps seulement.
Tous ces groupes ou éléments ont mis leurs espoirs dans un changement d’attitude de la Ligue après la “Paix de Prinkipo” ([15] [43]) ; ils aspirent à une discussion politique large et ouverte entre tous les militants au sein des organisations, sans que leur soient parachutées les décisions des organes centraux, voire leurs virages politiques.
Mais cette Conférence de la Ligue d’octobre 1931, après quelques résultats, comme l’adhésion des membres du Redressement communiste, est un nouvel échec. Deux membres de ce dernier groupe sont élus au CE de la Ligue : Albert Treint et Marc Chirik. Mais ils quittent la Ligue moins d’un an plus tard ([16] [44]), eux aussi sur des questions d’organisation et de droit des minorités, et ils fondent la Fraction de gauche. Celle-ci ne reste pas sur cet échec et n’accepte pas l’éclatement des forces révolutionnaires. Elle fait la proposition d’une conférence d’unification, et notamment un de ses membres, Marc Chirik, s’en fait le fervent promoteur.
C’est ainsi que nous retrouvons, de nouveau, tous ces groupes au début de 1933, en tant que protagonistes d’une nouvelle conférence d’unification. Et, cette fois, c’est le groupe de la banlieue Ouest qui prend l’initiative de la convoquer en invitant :
– la Fraction de gauche qui, à ce moment-là, connaît une nouvelle scission avec le départ de Treint et de Nelly Rousseau (la scission s’effectue sur la question de la nature de l’URSS, Treint considérant que l’URSS n’a plus rien d’ouvrier) ;
– la Gauche communiste qui publie le Communiste ;
– la Ligue communiste et sa minorité qui vient de se créer ;
– la Fraction de Gauche du PC d’Italie ;
– le groupe dit des “Etudiants” ;
– de petits groupes comme Pour la Renaissance communiste, une scission de la Gauche italienne composée de trois éléments (la scission s’est également effectuée sur la question de la nature de l’URSS ) ;
– des individualités comme Simone Weil ([17] [45]), etc.
La lettre d’invitation à la conférence propose de débattre les trois questions fondamentales suivantes :
– la politique de masses de l’avant-garde communiste (le travail syndical et le contact avec les masses) ;
– l’appréciation du régime soviétique et de ce qu’est devenue la dictature du prolétariat en URSS ;
– l’appréciation de l’I.C. et de ses perspectives politiques. Comment réaliser le redressement communiste (fraction ou 2e parti ? Le régime intérieur de l’Opposition de gauche).
Par rapport aux grandes questions posées dans cet ordre du jour (nature de l’URSS et des PC, perspectives organisationnelles), les participants vont se diviser en deux grandes tendances. La majorité des groupes estime qu’il y a encore, à ce moment-là, quelque chose de prolétarien dans l’Etat soviétique et que, pour l’instant, la tâche est encore au redressement des partis communistes. En conséquence, il ne s’agit pas de créer un nouveau parti communiste. Au début de la conférence, Treint est seul à défendre l’idée que l’URSS n’a plus rien de prolétarien.
C’est sur la base de la défense de l’URSS que les membres de la Ligue communiste assistent à la première réunion (8-9 avril) ; ils proposent la déclaration suivante :
“Nous demandons l’exclusion de tous ceux qui nient la nature prolétarienne de l’Etat soviétique car nous pensons que la Conférence ne doit pas se baser sur les problèmes politiques mais sur les questions d’organisation qui maintiennent éparpillés les différents groupes qui se réclament du camarade Trotski.” ([18] [46])
Mais alors que la grande majorité des participants rejette l’ultimatum qui accompagne cette déclaration et refuse d’exclure ceux qui, comme Treint, ne défendent pas l’Etat soviétique ainsi que ceux qui mettent en avant la nécessité immédiate de créer un nouveau Parti communiste (puisque l’IC a trahi), la délégation de la Ligue décide de se retirer.
Rapidement, le groupe des “Etudiants” et Simone Weil se retrouvent sur les mêmes positions que Treint et se retirent à leur tour, utilisant la même méthode inacceptable que la délégation de la Ligue : chercher à imposer, par un ultimatum, par le chantage, leur position. Ils se retirent à la fin d’une séance après l’intervention d’Alfredo ([19] [47]) de la Gauche italienne qui est applaudie par la majorité de la Conférence. A grands traits, Alfredo défend l’idée que la question essentielle, pour la conférence, n’est pas de déterminer la “nature de l’Etat soviétique” mais de travailler pour la création d’une Fraction française ([20] [48]).
Réunis à part, ceux qui se sont retirés mettent au point un texte intitulé : Où en sommes-nous ? Ce texte est signé par tous ces militants auxquels se joint Aimé Patri de la Gauche communiste ([21] [49]).
L’organisation et la tenue de la Conférence
Une commission politique (le Comité intergroupe) est nommée pour préparer la Conférence. Elle est composée de :
– Marc Chirik, Henri Barré, Sarah Safir-Lichnevsky pour le Redressement communiste ;
– Lacroix ([22] [50]), Marcel Fourrier ([23] [51]), Gaston Davoust pour l’ex 15e rayon ;
– Collinet ([24] [52]), Bertrand, Lévine, Vacher pour le Communiste ;
– Pierre Rimbert ([25] [53]), Félix pour la minorité de la Ligue ;
– Alfredo Bianco (Bruno Bibbi), Gigi (Danielis), Piero Corradi pour la Fraction italienne.
La conférence a tenu ses séances les 8-9 avril, les 22-23 avril, le 7 mai et le 10 juin 1933. Les participants étaient au nombre de 72 (pointage de ceux qui sont arrivés à l’heure) ([26] [54]) :
– 7 participants de la Fraction de gauche (Groupe de Bagnolet) : Henri Barré, Marc Chirik, Sarah Safir-Lichnevsky, Louvard, Davannes, De Souter, Capdeville ;
– 11 participants de la Ligue communiste (trotskiste) : R. Molinier, Pierre et Denise Naville, Pourtis, Gérard Rosenthal, Albert, Saval, Witte (Dimitri Yotopoulos, Grèce), Roger, Lastérade, Pietro Tresso (Blasco) ([27] [55]) ;
– 5 participants de la “Minorité” de la Ligue communiste : Rimbert, Félix (Elie Rasijansky), Emile (Michel Mazliak), Walfiez, Mayer (les 4 derniers faisaient partie du Groupe juif de la Ligue) ;
– 16 participants de la Gauche communiste (Le Communiste) : K. et W. Bertram (Kurt et Katia Landau), Collinet Sizoff, Masseron, Dorne, Marie-Louise Haubert, Simone Kahn, Sagette, Madrange, Daniel Lévine (Paul Le Pape), Vacher, Jeanne Haulot, Pairault, Allégret, Aimé Patri Ariat, Rosmer (pour la séance du 23 avril 1933) ([28] [56]) ;
– 11 participants du Groupe de la banlieue Ouest (ex-15e rayon, journal le Bulletin) : Bonneville, Lacroix, G. Davoust, Verdeaux, Marcel Fourrier (adhésion en 1931), Béranger, Colin, Benjamin Péret (adhésion en 1932), Laure et M. Maillet, Chausson ;
– 8 participants de la Gauche du PCI : Alfredo, Peri (Bottaïoli), Ernest et Pierre Corradi, Mathilde, Gigi, Dotto, Titi ;
– 8 participants du Groupe des “Etudiants” : Jean Rabaut, Bénichou, Jean Prader ([29] [57]), Jeanne, Devoyen, Paul Schmierer ([30] [58]), Petitgrand, Max Pétal ;
– 6 individualités : Nelly Rousseau et Treint Effort communiste ; Mathieu, Gandi, Marie Pour la renaissance communiste (ex Fraction de gauche du PCI), Simone Weil.
Il faut aussi signaler la présence de 2 participants de la Ligue des communistes internationalistes de Belgique : A. Hennaut et Herbrant.
Par l’envoi d’une lettre datée du 5 avril 1933, l’Opposition de gauche d’Autriche salue l’initiative de cette conférence d’unification.
Que deviennent tous ces éléments après la Conférence de 1933 ?
Le groupe des “Etudiants”, Treint et Simone Weil quittent donc la Conférence fin avril après leur ultimatum sur la question russe. Ils jugent “impossible de considérer l’Etat russe actuel, où ne subsiste, sinon sur le papier, aucune forme politique ou économique du contrôle ouvrier, comme un Etat de travailleurs s’acheminant vers l’émancipation socialiste.”
La Ligue communiste, nous l’avons déjà souligné, quitte la première séance sur un ultimatum par rapport à la position de Treint et s’en va sur la déclaration : “Adhérez à la Ligue!...”. Puis elle réapparaît une ou deux séances plus tard (en mai) quand les groupes comme celui de Treint qui ont rompu sur la question de l’URSS ne sont plus présents. En fait c’est un prétexte pour pouvoir assister aux séances sans réellement participer au travail de regroupement ([31] [59]).
La Conférence se termine par l’unification de 3 groupes : la Gauche communiste, la Fraction de gauche du PCF et le Groupe de la banlieue Ouest.
Très vite, à ce regroupement s’allie la “Minorité” (35 éléments) qui est
exclue de la Ligue en septembre 1933. Celle-ci, sous l’appellation de Union
communiste (UC), a déjà publié un premier numéro de l’Internationale
sous la responsabilité
des 35 exclus. L’ensemble unifié conserve le nom d’UC et assumera la
publication de l’Internationale à partir du numéro 2 ([32] [60]).
Sur la base de cette dynamique de regroupement, la Fraction de Gauche du PCI propose la publication d’un organe commun avec deux autres groupes, l’Union communiste et la Gauche communiste allemande de Kurt Laudau. Mais les autres organisations refusent et la Fraction de Gauche du PCI décide de publier, en novembre 1933, la revue Bilan sous sa seule responsabilité ([33] [61]).
Qu’advient-il des membres de la Gauche communiste française à la fin des années 1930 ?
Certains, en grande partie provenant de la Ligue communiste, de son ex-”Minorité” et de l’ex-Gauche communiste, connaissent un fort recul politique et adhérent d’abord au groupe de Doriot puis au PSOP ([34] [62]).
Dans l’Union communiste (UC), du fait des dissensions résultant de la guerre d’Espagne, il reste encore : Glasmann, Laroche, Voradi, Kouléche, Marcelle, Lew et Lastérade ainsi qu’un ou deux autres camarades ([35] [63]) ; et enfin les membres de l’ex-Groupe de la banlieue Ouest (notamment Chazé).
Par contre, en 1936-1937, après le déclenchement de la guerre d’Espagne, les membres de la “Minorité” ([36] [64]) de la Gauche italienne organisent une “communauté de travail” avec l’UC.
D’autres éléments provenant d’un groupe communiste de conseil ([37] [65]), comme Jean Dautry, rejoignent alors l’Union communiste.
Il existe enfin quelques éléments comme Marc Chirik qui, au moment de la guerre d’Espagne, rejoignent la Gauche italienne : ils défendent l’idée que les prolétaires n’ont pas à choisir entre la “démocratie” et le fascisme, l’un et l’autre représentant des camps différents au sein de la bourgeoisie. Ils estiment aussi que la guerre d’Espagne n’est qu’un moment de la guerre impérialiste où le prolétariat n’a aucun camp à défendre. Dans le contexte de défaite générale de la classe ouvrière, de dispersion des dernières énergies révolutionnaires et de confusion en leur sein, la clarté politique et organisationnelle de Marc Chirik est à souligner. Elle jouera un rôle décisif dans la naissance, quelques années plus tard, de la Gauche communiste de France.
Quelles leçons peut-on tirer de cette conférence ?
Des travaux de cette conférence, on peut faire ressortir quatre aspects que nous allons développer plus bas :
– c’est la première tentative sérieuse de constitution en France d’un véritable courant unifié de gauche ;
– l’attitude de la Fraction de gauche italienne y a été exemplaire ;
– elle met en évidence la régression dans laquelle s’est engagé le courant trotskiste ;
– elle se situe à un des pires moments de l’histoire du mouvement ouvrier, au cœur de la contre-révolution, ce qui rend particulièrement difficile tout effort de regroupement.
1) C’est à partir de cette conférence que, pour la première fois, commence à se constituer une véritable opposition unifiée en France.
Contrairement à la Ligue communiste qui, en 1930, s’est créée sur la base des positions de la Gauche russe – positions reprises et adoptées sans la moindre discussion – et en rejetant celles des autres courants, cette 3e tentative d’unification est fondamentalement marquée par une volonté de clarification politique. La conférence a permis des débats sérieux et profonds entre tous les groupes présents. Ceux qui ont adhéré au regroupement qui s’en est suivi, comme ceux qui l’ont refusé, l’ont fait en toute connaissance de cause.
2) Cette conférence met en lumière de façon éclatante la méthode qui doit être défendue par les révolutionnaires. Et sur ce plan, la Fraction italienne du PCI qui y a pris une part très importante, est exemplaire. Elle développe sa position dans le texte publié en annexe, “Vers la construction d’une véritable Fraction de gauche en France”, qui pousse à la réunification des groupes en France sur la base des positions du 2e Congrès de l’I.C. et avec la volonté de ne rejeter aucun groupe oppositionnel “considérant chacun d’eux comme un courant reflétant des opinions du prolétariat français”.
Elle a enfin présenté une résolution intitulée “Contribution de la fédération parisienne de la Fraction de gauche du PCI”, qui délimite bien ses positions par rapport à celles des participants à la Conférence, que nous publions également en annexe. Cette résolution reprend les points principaux du premier texte. Elle n’est pas acceptée par la majorité de la Conférence qui reprend, comme Trotski, les positions de base des 4 premiers congrès de l’IC. Le contenu de ce texte sera développé dans le “Projet de constitution d’un bureau international d’information” publié dans Bilan n° 1 ([38] [66]).
3) Le courant réuni autour de Trotski en 1933, la Ligue communiste, refuse la discussion et toute remise en cause de ses positions. De ce fait, il connaît un processus de sclérose et d’involution rapide vers l’opportunisme. Après 1933, il développe une politique d’entrisme dans la social-démocratie pour “aller aux masses”. Il glissera ensuite de plus en plus vers la droite jusqu’à son passage définitif, au cours de la guerre impérialiste mondiale, dans le camp de la bourgeoisie.
C’est malheureusement Trotski lui-même qui donne le ton. Après avoir, dès le début de la conférence, rejeté violemment la position de Treint sur la nature de l’Etat russe et sur la nécessité de créer un “2e parti communiste”, il va défendre cette même position quelques mois après et préconiser la formation d’une nouvelle Internationale.
4) Il est “minuit dans le siècle”. L’échec de la première vague révolutionnaire se termine par la victoire de la contre-révolution stalinienne en Russie et dans les PC, par l’arrivée du fascisme en Allemagne après l’Italie et par la marche du capitalisme vers la Seconde Guerre mondiale. Cette période historique est aussi marquée par la dispersion des dernières forces révolutionnaires.
L’effort de regroupement engagé à partir de la conférence de 1933 n’a malheureusement pas toutes les suites espérées notamment après la création de l’Union communiste. En effet, cette “Fraction française” commet une erreur politique qui en fait une fraction mort-née, une erreur qui consiste à reprendre, sans examen critique, le programme des 4 premiers congrès de l’IC. Ce choix l’a empêchée de se doter d’une plate-forme politique propre. La Gauche italienne, quant à elle, juge fort justement que cette “méthode de travail aurait été plus longue et plus laborieuse, mais les résultats auraient été positifs et le prolétariat français aurait enfin eu son organisation de classe”.
Après l’échec du processus entamé par cette conférence, il ne restera plus aux révolutionnaires que de se préparer à durer, à traverser la période difficile pour préparer au mieux les “cadres” de demain et transmettre aux futures générations le programme révolutionnaire pour la nouvelle vague de luttes de classe.
C’est ce que comprend la Gauche italienne qui cherche à lancer un organe de presse pour confronter les différentes positions avec l’Opposition de gauche française et l’Opposition de gauche allemande. Cette politique n’est pas comprise ni encore moins suivie à cette époque. Mais la Gauche italienne ne perd pas l’espoir de convaincre ; elle décide alors d’en prendre seule la responsabilité en créant la revue Bilan en novembre 1933, notamment pour tirer les leçons de la dernière grande vague révolutionnaire des années 1920.
[1] [67]) Leur histoire est inspirée par les historiens trotskistes (cf. note ci-dessous).
[2] [68]) Révolutionnaires de la SFIO, J-P. Joubert, Presses de la fondation des sciences politiques. Le tome I (mars à juillet 1933) des Œuvres de Trotski publiées par P. Broué, il n’y a aucune lettre de Trotski traitant de la conférence de l’Opposition de Gauche. Par contre, nous trouvons de nombreuses lettres sur le congrès antifasciste et les courants de la gauche socialiste !
[3] [69]) Contre le courant, organe de l’Opposition communiste, reprint Feltrinelli. L’initiateur du groupe était Maurice Paz qui finira après 1934 comme membre de la “droite” de la SFIO.
[4] [70]) Albert Treint (1889-1971) a été secrétaire général du PCF entre janvier 1922 et la fin de cette même année, après la démission de Frossard du parti. Il représente en France le courant “zinoviéviste” qui dirige l’IC dans cette période et, à ce titre, il est le principal maître d’œuvre de la politique de “bolchévisation” du PCF. Cette politique consistait en une mise au pas des partis de l’Internationale désormais tenus d’appliquer sans possibilité de débat les décisions du Comité exécutif. Une des caractéristiques de la “bolchévisation” sur le plan organisationnel était la structuration des partis sur la base des cellules d’usine qui conduisait à une dépolitisation des préoccupations des adhérents et étouffait le débat politique, laissant les mains libres à un appareil de plus en plus bureaucratisé.
[5] [71]) Organisation territoriale du PCF regroupant plusieurs cellules.
[6] [72]) La situation est similaire pour les autres pays tout en étant moins dramatique qu’en France.
[7] [73]) Il faut préciser que dans sa tâche de responsable principal de la “bolchévisation” du PCF, Albert Treint avait manifesté un autoritarisme tout particulier, un trait de personnalité qui l’avait fait surnommer le “capitaine Treint”.
[8] [74]) L’ex-15e Rayon du PCF, toujours prêt à rechercher l’unité au sein de l’Opposition, avait à l’époque appelé à une réunion de confrontation pour le 26 février 1930 entre différents courants : les amis de Maurice Paz (Le Libérateur), La Ligue communiste, le Redressement communiste de Treint (en tout 60 personnes). Mais d’entrée Alfred Rosmer émet des doutes sur une possible unification à cause des divergences sur le conflit sino-russe et sur la question syndicale. Ce fut un nouvel échec.
[9] [75]) Cf. livre du CCI sur la Gauche communiste d’Italie, op. cit.
[10] [76]) Cf. archives de la Fraction italienne et de O. Perrone à la BDIC, Nanterre.
[11] [77]) La date de sa création 1930 en est le signe : après l’expulsion de Trotski de Russie.
[12] [78]) Il existe trois positions sur l’attitude à adopter envers l’IC : celle qui défend l’idée d’une opposition dans l’IC, celle qui estime que l’IC est déjà perdue pour le mouvement ouvrier et la position intermédiaire qui considère qu’il faut aller plus loin et jeter les bases de nouveaux principes révolutionnaires (c’est le cas de la Gauche italienne).
[13] [79]) Comme ce fut le cas pour la Gauche italienne, pour le courant Landau en Allemagne et pour celui de Nin en Espagne (comme nous l’avons montré dans la Gauche communiste d’Italie et plus particulièrement dans son Complément).
[14] [80]) Nous relatons les événements de cette conférence dans le Complément à la Gauche communiste d’Italie.
[15] [81]) Accord signé par tous les
oppositionnels au cours de leur déplacement à Prinkipo en Turquie où se
trouvait Trotski à
l’époque.
[16] [82]) La lutte de classes n° 39 du 15 juin 1932, p. 21 et p. 26 pour la résolution de la Ligue et la résolution d’organisation dite “Marc-Treint”.
[17] [83]) Celle-ci a commencé à travailler avec “le Cercle communiste démocratique” de Souvarine et la Fédération communiste indépendante de l’Est (FCIE).
[18] [84]) In Pour la renaissance communiste, n° 3, 17 avril 1933.
[19] [85]) Bruno Bibbi.
[20] [86]) C’est la position de base de la Fraction italienne qui défend cette idée de fraction depuis sa création (cf. la Gauche communiste d’Italie).
[21] [87]) Archives R. Lefeuvre et cité par J. Rabaut, op. cit., p. 88 à 100.
[22] [88]) Ex-secrétaire du 15e rayon du PCF puis membre du Groupe de la banlieue ouest, groupe très influencé par Treint et le Redressement communiste. Lacroix était livreur-concierge à la Cooptypographie, coopérative ouvrière d’imprimerie.
[23] [89]) Membre, avec Pierre Rimbert, à la fin des années 30 du groupe Que faire?, passent dans le camp bourgeois, animent Notre révolution pendant la guerre impérialiste de 1940. Ils qualifient la guerre de guerre impérialiste, tout en prenant parti pour les “démocraties”.
[24] [90]) Michel Collinet adhère après le 6 février 1934 aux groupes des Amis de l’unité de Doriot avant de créer le PSOP dont il rédige le Manifeste le 8 juin 1938.
[25] [91]) De son vrai nom Carlo Torielli, ouvrier typographe, né en Italie en 1909. Il est exclu du PCF en 1932. A la fin des années 30, il est membre du groupe Que Faire ? Puis il adhère à la SFIO qu’il quitte en 1958 à cause de la participation de Guy Mollet au gouvernement de De Gaulle. Il a été ensuite animateur de l’OURS (groupe de recherche de la SFIO).
[26] [92]) Archives Gaston Davoust (Chazé).
[27] [93]) Membre du Comité central du PCI dans les années 20, il participe à la bolchévisation du PCI contre les membres de la Gauche italienne puis il est expulsé pour trotskisme en 1930. Il fonde alors la Nouvelle opposition italienne (NOI). Il est assassiné en novembre 1943 par les staliniens qui viennent de libérer un groupe de résistants arrêtés par les Allemands.
[28] [94]) Correspondance de Gaston Davoust du 3 février 1982 à un membre du Courant communiste international (CCI). Un certain nombre de ces militants adhéreront en 34-35 au groupe de Doriot avant de rejoindre 2 ans plus tard le PSOP.
[29] [95]) Bénichou et Prader adhérent après 1933 au Cercle communiste démocratique de Souvarine. Ce dernier défend la même position sur la nécessité de créer un deuxième parti communiste. Puis, ils le quittent après le 6 février 1934 pour participer au groupe “Masses” créé depuis avril 1931 par René Lefeuvre. C’est d’abord un cercle d’études regroupant des membres du PCF, des exclus de ce dernier et quelques individualités. Les événements du 6 février 1934 propulsent ces derniers dans l’action immédiate. Jean Rabaut se retrouve dans la gauche socialiste en 1934-37 et enfin trahit clairement la classe ouvrière : il devient adjoint du commandant des FFI des Basses-Alpes. Il est clair que la non clarté sur la période, le rapport de forces entre les classes et la question de fascisme a déboussolé nombre de ces éléments.
[30] [96]) Schmierer suit le même cheminement que Prader. Le 1er décembre 1936, il constitue avec ce dernier et quelques autres, tous membres des “Gauches révolutionnaires” de la SFIO, un “Comité d’action socialiste pour la levée de l’embargo” en Espagne (CASPLE).
[31] [97]) C’est l’avis de Gaston Davoust (Chazé) qui nous l’a maintes fois écrit.
[32] [98]) “Les 35 exclus de la Ligue qui forment la première Union communiste sont, par ordre alphabétique, les camarades suivants : Beaussier, Boulgar, Charles, Christian (R=Roumanie), Dimitri Yotopoulos “Witte” (G=Grèce), Doudain, Drucker, Edmond (P=Pologne), Emile, Georges (P), Mario Bavassano dit “Giaccomi” (NOI=Nouvelle opposition italienne), Robert Glasmann (né en 1913, imprimeur), Guimel, Jean-Jacques, Joseph, Kouléche (P), “Laroche” Szaja Schönberg (chimiste), Lastérade, Lax, Lew, Louise (G), Lucien, Marcelle (P), Martin (R), Mayer, Paul W (P), Paul, Robert, Roger (P), Saval, Teresa Recchia (NOI), Tomek, “Turin” (NOI), Victor (R), G. Walfiez” (correspondance de Claude Naville à G. Davoust, archives Davoust).
[33] [99]) Le CCI se revendique de cet esprit qui a été plusieurs fois défendu par la Gauche italienne dans les années 30 et notamment au cours de cette Conférence.
[34] [100]) En juin 1936, le Parti socialiste ouvrier et paysan (PSOP) se crée après l’exclusion de la Fédération de la Seine de la SFIO.
[35] [101]) Correspondance de G. Davoust du 22 avril 1984 à un membre du CCI.
[36] [102]) Cf. notre livre Contribution à un histoire du mouvement révolutionnaire, la Gauche communiste d’Italie.
[37] [103]) Il défendait à l’époque des positions de la Gauche communiste allemande proche de celles défendues par l’ex KAPD. Cf. notre livre Contribution à un histoire du mouvement révolutionnaire, la Gauche communiste germano-hollandaise.
[38] [104]) A cette occasion la Gauche italienne a accompli un travail remarquable, sur la base de la méthode marxiste, un travail que les actuelles organisations de la Gauche communiste doivent se réapproprier. En effet, aujourd’hui, ces organisations sont dispersées et isolées et il semble incompréhensible qu’elles ne puissent pas se rencontrer pour confronter leurs positions politiques et savoir jusqu’où elles peuvent se mettre d’accord pour travailler ensemble.
Après l’échec de la vague révolutionnaire des années 1920, le mouvement ouvrier doit faire face au déchaînement d’une terrible contre-révolution. Celle-ci se manifeste par la montée du stalinisme et du fascisme avant de déboucher sur la Seconde Guerre mondiale impérialiste.
Les révolutionnaires subissent une première épreuve : la perte de l’Internationale communiste. Ils se trouvent de plus en plus isolés, de moins en moins nombreux et se retrouvent à contre-courant.
La guerre d’Espagne est une nouvelle épreuve pour les courants de communistes de gauche ; un nouveau coup, peut être encore plus rude, porté aux quelques éléments qui, après une rupture d’avec le trotskisme (comme nous venons de le voir dans le premier chapitre), sont à la recherche d’une plus grande clarté politique. Ces événements leur sont fatals. Très peu franchissent ce cap, en restant fidèles aux positions de la gauche de l’IC. L’Union communiste en France et la Ligue des communistes internationalistes de Belgique tombent dans l’antifascisme et le soutien au POUM qui participe au gouvernement bourgeois de la Généralité de Catalogne. Or la Fraction italienne de la Gauche communiste avait réussi à constituer une Communauté de travail avec ce dernier groupe et travaillait étroitement avec le premier. Elle se retrouve ainsi très isolée et affaiblie, d’autant plus que certains de ses militants sont, à leur tour, gagnés par l’antifascisme. Une “Minorité” de la Gauche italienne se crée ([1]), la Ligue des communistes internationalistes se divise et l’Union communiste va voir certains de ses membres la quitter.
Malgré tout, un sursaut se produit en Belgique, en France, mais aussi au Mexique. La Fraction italienne entre en contact avec le Grupo de trabajadores marxistas ([2]). Cette situation la pousse à prôner la création d’une fraction de la Gauche communiste dans tous les pays. C’est ainsi qu’est créé, en 1937, entre la Gauche italienne et les éléments qui viennent de rompre d’avec la Ligue des communistes internationalistes de Belgique, le Bureau international de la Gauche communiste ([3]).
La résolution ci-après concerne la France et s’adresse à des éléments, tel Marc Chirik, en rupture d’avec l’Union communiste. Ne pouvant pas créer tout seul une Fraction française de la Gauche communiste, celui-ci va rejoindre la Gauche Italienne.
Une thèse du marxisme est la suivante : dans chaque époque historique, le prolétariat de n’importe quel pays capitaliste contient, latentes ou agissantes, les solutions de ses problèmes de classe et, mieux encore, les données internationales qui lui permettent d’aborder ses problèmes spécifiques.
Une contrefaçon, une caricature de cette thèse existe également, et celle-là consiste à inventer des organisations, des partis, lesquels inventeront des solutions qui, bien que revêtues de phrases de Marx ou de Lénine, seront des idéologies étrangères au prolétariat, même si elles semblent avoir pour elles le passé, la Révolution russe ou n’importe quel autre événement. Il s’agira d’introduire parmi les ouvriers des positions qui, au nom de la révolution ou de la lutte révolutionnaire d’hier, seront des moyens pour défendre aujourd’hui la société capitaliste. Les centristes parlent d’Octobre 1917 pour justifier l’Union sacrée avec la bourgeoisie française et l’appui à la guerre ; les trotskistes se prévaudront de leur lutte contre Staline pour faire l’Union sacrée autour de la défense de l’URSS ou bien “expliqueront” le léninisme comme un moyen de faire la guerre impérialiste et la révolution prolétarienne en même temps ; les communistes “de gauche” lutteront contre l’opportunisme de Trotski pour mieux prouver qu’on peut donner une version de “gauche” à une participation à la guerre antifasciste d’Espagne et, au besoin, Rosa Luxemburg leur permettra de prouver (au prix de quelle falsification !) qu’on peut lutter contre les utopies de “guerre nationale” en Chine, mais appuyer la “révolution” en Espagne en applaudissant au carnage impérialiste.
Et, cependant, la thèse défendue par le marxisme reste valable pour la France, malgré les opportunistes et leur phraséologie, même si, actuellement, aucune force d’avant-garde n’existe dans ce pays pour dégager des solutions que réclame la lutte des classes et qui correspondent aux intérêts immédiats et historiques du prolétariat français.
La situation française est, évidemment, d’une complexité qui marque la profondeur de la confusion que la bourgeoisie est parvenue à introduire au sein du mouvement ouvrier. Plus particulièrement ces dernières années, les événements décisifs qui se sont déroulés dans le monde ont approfondi de façon décisive cette confusion. On s’explique mieux, par cette constatation, le sentiment d’impuissance et l’échec de toutes les tentatives devant lesquelles se sont trouvés les militants révolutionnaires.
Les événements d’Espagne ont culbuté par-dessus bord les rares groupes qui paraissaient pouvoir représenter un infime élément dans l’œuvre de renaissance du communisme en France. Il fallait dès lors –et il faut encore aujourd’hui– partir d’une sorte de néant avec cette seule idée que les événements qui avaient liquidé des groupes indignes de figurer parmi l’avant-garde, étaient les mêmes événements qui mûrissaient, au sein du prolétariat français, les positions de classe autour desquelles il fallait appeler –en dehors de tous les groupes– les militants français à se regrouper.
Certes, ce néant que trouve aujourd’hui le marxiste agissant en France n’est pas le fait de l’incapacité des militants français, ou d’une incapacité du prolétariat français ayant épuisé ses énergies révolutionnaires avec la glorieuse Commune. Certes, nous savons parfaitement que les efforts de la Fraction italienne d’abord, du Bureau international ensuite, ne suffiront pas, au travers de l’énoncé même concret des positions de classe des ouvriers français, à réaliser des miracles.
Le problème est le suivant : déjà dans l’après-guerre, l’Internationale communiste n’est pas parvenue à poser d’une façon réelle les données pour la création d’un parti d’avant-garde. La boutade de Lénine à Trotski “qu’il fallait nécessairement employer des planches pourries (Cachin) pour arriver aux militants sains de la classe ouvrière” cache les erreurs colossales qui furent commises et qui, toutes, se résument dans ce fait : la croyance que l’on pouvait, grâce à la victoire en Russie, suivre un autre chemin en France pour former un parti que celui suivi par les bolcheviks pendant 17 années. Plus que tout autre prolétariat, les ouvriers français portent une hérédité historique que les événements d’après-guerre n’ont pu briser complètement. Seule, une aide de l’Internationale de Lénine pouvait leur montrer la voie, mais l’avènement rapide du centrisme et le cours mondial des défaites ont coupé net cette possibilité.
L’assiette économique de l’impérialisme étançonnée par un riche empire colonial, une structure souple non alourdie par une sur-industrialisation, un système de domination démocratique perfectionné à l’extrême et capable d’absorber une variété infinie de forces politiques issues de la bourgeoisie ou du prolétariat, tous ces facteurs appuyés sur le triomphe mondial de l’opportunisme dans la Deuxième internationale ont conduit les ouvriers français dans une première guerre impérialiste sans que puisse se dégager un courant marxiste du type bolchevik ou même spartakiste. Encore une fois, c’est le néant pendant la guerre de 1914 et ce sont des personnalités venues du syndicalisme ou parfois du Parti socialiste qui expriment confusément la tentative des ouvriers français de rejoindre les bolcheviks et les spartakistes. Le massacre impérialiste détermine des réactions, reflets du cours de classe qui, dans chaque pays, veut s’opposer à la guerre, mais non une position centrale autour de laquelle pouvaient se concentrer les ouvriers.
L’après-guerre voit l’impossibilité de l’Internationale à aider le prolétariat français à se dégager définitivement et la ligne des réactions de classe se continue au sein du parti pour aboutir dans une formation trotskiste, puis dans une série de groupes qui échouent les uns après les autres. Aujourd’hui, au terme d’un cours historique qui, mondialement, a abouti dans la guerre, alors qu’en France l’économie de guerre, l’Union sacrée, sont les baromètres de l’écrasement des ouvriers, l’inexistence de la moindre continuité, de la moindre sélection d’idées et d’individus aboutissant à un noyau ou même à quelques individualités, doivent nous faire comprendre que la mesure de notre action est forcément limitée et que tout au plus nous ne pourrons que déblayer davantage le terrain pour que le bouleversement inévitable des situations permette aux militants, aux ouvriers qui seraient poussés à marcher de l’avant, à se cramponner à des jalons qui ne sont que des positions internationalistes que, seules, les Fractions de gauche ont pu dégager de l’expérience historique et des événements actuels et qui restent valables pour tous les pays.
La phase actuelle des guerres localisées, l’Union sacrée basée sur l’économie de guerre, ici les zigzags de l’économie mondiale, donnent au Bureau des Fractions de gauche la possibilité d’agir (dans des conditions extrêmement difficiles certes) sur un plan plus avancé que les bolcheviks pendant la guerre 1914-18 en dépassant à la fois Zimmerwald et les erreurs de l’Internationale. Les ouvriers français créeront leur parti de classe non par des “rassemblements contre la guerre et l’Union sacrée”, non par un chemin différent de celui des Fractions de gauche, mais uniquement en dégageant de leurs luttes de classe, et la nécessité d’une Fraction de gauche et les positions prolétariennes dans la phase de guerre.
Le cours historique des événements est mondial et ce que les ouvriers italiens ou belges, ont pu réussir, les ouvriers français le réussiront, malgré la phase actuelle. C’est dans cette direction que travaille le Bureau et c’est dans ce but qu’il a décidé de passer à la lutte la plus impitoyable contre tous ces groupements qui sont autant d’obstacles à la clarification des problèmes du communisme.
Dans le dernier numéro d’Octobre nous avons examiné les “leçons” que le trotskisme français avait retiré des événements d’Espagne. Le lecteur connaît donc notre appréciation envers les positions de ce groupement de contre-révolution envers les problèmes de la guerre. En France il est représenté officiellement par la Lutte ouvrière. Il s’agit d’un amalgame d’anciens oppositionnels de gauche et de socialistes de gauche, butin recueilli par les trotskistes lors de leur passage à la SFIO.
Le POI (c’est ainsi qu’on l’appelle !), par son mode de formation correspond très bien aux positions qu’il défend. Pour la France, il remplace la politique prolétarienne par la démagogie. En juin 1936, il annonce la révolution prolétarienne à brève échéance. Les ouvriers doivent instaurer le contrôle ouvrier et les Naville et autres clowns s’apprêtent à jouer les Lénine de parade. Mais plus modestement, il faut bientôt passer à d’autres préoccupations et comme on n’est pas trotskiste pour rien, nos stratèges de cirque empruntent quelques solutions aux œuvres complètes de Lénine. Pourquoi ne pas lutter pour un gouvernement Blum-Thorez ?
Ou contre les ministres capitalistes qui siègent dans le gouvernement Blum ? Si cela fait rire, tant pis, car le ridicule ne tue plus en France. D’ailleurs on peut toujours faire de la surenchère : réclamer la prison pour les cagoulards, proposer le véritable front unique contre la falsification du Front populaire etc., etc. Le POI a devant lui de larges perspectives, à défaut de révolution ou de front unique, il peut faire son métier d’épicier de la SFIO où il y aura toujours des âmes en peine à repêcher et de belles manœuvres à réussir. Si ensuite, il exclut des Fred Zeller (pour quelles raisons !), on n’en parlera pas, par discrétion...
Au point de vue international, ces adversaires de l’Union sacrée en France sont pour la défense de l’URSS et de la république espagnole et le soutien à Tchang Kaï-Chek. A une récente conférence nationale, une minorité s’est affirmée contre la défense de l’URSS. Les orthodoxes ont rejeté avec horreur cette position “réactionnaire” et la minorité elle-même s’est empressée d’affirmer le peu de solidité de leur thèse en proclamant qu’en aucun cas il ne s’agissait d’être défaitiste en Espagne et en Chine comme elle le préconisait en Russie. La seule voix qui se soit élevée dans ce sens a été étouffée et la famille “trotskiste” en a fait un incident de Congrès sans importance, puisque cette position ne s’accompagnait pas d’une rupture avec une organisation d’Union sacrée.
Sur l’Espagne et la Chine, nous pouvons être brefs car la banalité des arguments contre-révolutionnaires a reçu sa forme définitive chez Trotski et la Lutte ouvrière ne manque pas de répéter, sans omettre un point ou une virgule, cet évangile. Ces événements ne pouvaient pas avoir de répercussions au sein de cette organisation, car par sa nature, sa fonction et sa politique, elle se trouvait déjà sur un terrain capitaliste. Elle mettait en pratique des positions acquises et les seules divergences étaient de savoir si oui ou non il fallait soutenir le POUM en Espagne.
Envers le POI, nous ne pouvons que répéter une position déjà affirmée, à savoir que l’expérience prouve qu’aucun travail en son sein (de noyautage ou de soutien à des minorités) ne peut servir les intérêts du prolétariat français. On ne transforme pas le terrain capitaliste en terrain prolétarien. Il faut déserter les bouges de la contre-révolution, les détruire et ainsi préserver le cerveau de militants ouvriers qui pourraient œuvrer pour 1a clarification communiste.
Il y a bien longtemps déjà, Bilan (n° 29) avait tenté de retrouver la genèse de ce groupe afin de prouver qu’à aucun moment décisif de son évolution, il n’eut une position progressive. Au début, il était aux trois-quarts trotskiste, puis un peu moins, et, enfin, anti-trotskiste, sans pour cela abandonner la façon de penser de ses adversaires.
L’Union communiste est l’image idéale du conglomérat d’individus qui, après avoir été poussé par des réactions diverses à abandonner le trotskisme, s’est demandé ce qu’il avait à faire. Le mieux, évidemment, aurait été de se transformer en groupe d’agrément, mais cela ne convenait pas à des militants “sérieux” et “marxistes”. D’une scission à une autre, effectuant ses voyages de préférence dans la nuit, l’Union communiste, après quatre ans d’existence, se rallie d’emblée à la guerre impérialiste d’Espagne, sans s’être donné la peine de mettre sur pied le moindre document de principe. A quoi bon d’ailleurs ! Sur l’Espagne, sa position “antifasciste” avait mûri, comme chez les trotskistes, par la défense du statu quo de la Sarre (auquel se rattachait une position démocratique déguisée) et par une position équivoque sur le conflit italo-abyssin. L’Union a beau se proclamer le défenseur actuel de Rosa Luxemburg luttant contre le mythe de la “guerre nationale” : les faits sont là et les écrits restent. Mais sans doute est-ce la modestie de ces camarades qui les empêche de revoir leurs écrits !
Sur les événements d’Espagne, l’Union s’est efforcée de dépasser Trotski. Elle fut d’abord l’avocat du POUM, puis de la gauche du POUM, puis de ses Jeunesses. Chaque fois, ses espoirs de voir l’un, puis l’autre travailler pour le nouveau parti furent trahis. Nous avions également tort de parler de “trahison” lorsque Nin entrait dans le gouvernement de la Généralité. Il s’agissait seulement d’une “erreur grave”.
Mais leur analyse des événements reste curieuse, pour ne pas dire plus. La guerre d’Espagne est “une guerre de classe”. Pourquoi ! “D’un coté, les troupes sont constituées essentiellement par les officiers, et ils étaient nombreux en Espagne : les cadets, les phalangistes, les requetés, les carlistes, effectifs composés d’éléments de la bourgeoisie et de la petite bourgeoisie” plus les mercenaires et engagés de force. “De l’autre coté, il y a les milices ouvrières, et ce qui reste des régiments de l’armée républicaine ralliés, ainsi que quelques formations de gardes civiles et d’assaut” (Internationale, octobre 1936). Et ces plaisantins vont justifier, par une analyse des événements de juillet, le caractère de classe de la guerre qui résulte “de la composition des forces armées” comme si du côté de Franco il n’y avait jamais eu d’exploités et comme si le résultat n’était pas le même lorsque des ouvriers marchent volontairement ou contraints au massacre.
Leur analyse, en octobre 1936, sera d’ailleurs “confirmée” par l’évolution ultérieure des événements.
“Le prolétariat a jeté les bases d’un nouvel édifice économique et social en Catalogne”. En Catalogne, l’Etat bourgeois a été “remplacé” par les créations propres du prolétariat alors qu’ailleurs il l’a mis à mal. La bourgeoisie démocratique “se cramponne aux derniers morceaux de pouvoir bourgeois qui subsistent”. Et la conclusion de l’Union communiste devient lumineuse : “le prolétariat doit non seulement combattre sur le front militaire qui s’est constitué, mais il doit encore poursuivre sans relâche la lutte contre tout ce qui subsiste du pouvoir bourgeois démocratique”.
“La marche de la révolution est implacable”, continue l’Union ; sa bêtise l’est tout autant, hélas, car dès octobre 1936, la situation était assez claire pour voir que l’Etat, surtout en Catalogne, restait debout et que la bourgeoisie s’incorporait les milices, le POUM, les anarchistes et se serait incorporé même les brouillons de l’Union s’ils avaient représenté quelque chose en Espagne.
La seule note originale, c’est que l’Union ne veut pas demander des avions à Blum. Les ouvriers doivent lutter contre leur propre bourgeoisie pour faire la guerre impérialiste en Espagne !
En janvier 1937, l’Union s’aperçoit que l’on étrangle la révolution d’Espagne et la voilà qui part en guerre contre les anarchistes. On va discuter sur la question de l’Etat. Spontanément elle reprend à son compte le mot d’ordre du POUM : le pouvoir aux Comités d’alliance ouvrière. Ainsi le problème de l’Etat est résolu ! Décidément, l’Union qui ne peut vivre sans emprunter aux autres n’a pas de chance, car le POUM faisait de ce mot d’ordre la clé d’une Assemblée constituante et la base de sa participation à l’Etat capitaliste. Mais cela n’a pas d’importance, n’est-ce pas !
Le fait est que contre l’étranglement de la “révolution espagnole”, l’Union mise sur la gauche du POUM : il faut qu’elle fasse un pas en avant vers la formation d’un parti révolutionnaire. Cette même gauche avec Andrade et les Jeunesses restera pourtant jusqu’au-boutiste et luttera pour que Nin, chassé du gouvernement, puisse y reprendre sa place.
Notons ici, que l’Union, comme les trotskistes, a deux mesures. En France, elle tourne contre la gauche SFIO et son cher Pivert ; mais, en Espagne, elle mettait tous ses espoirs dans la gauche d’un parti gouvernemental. Mais l’Union n’est pas à une contradiction près (les trotskistes belges appelleraient cela de la “dialectique marxiste”) et un autre échantillon de ce mode de penser nous est fourni dans le numéro 26 de l’Internationale (février 1937). Dans une résolution, on y constate que : “en Catalogne, le gouvernement de la Généralité s’effaça d’abord presque complètement. Puis grâce à l’intégration dans le Conseil de la Généralité de représentants de la CNT et de la FAI ainsi que du POUM, la bourgeoisie reprit les rênes du pouvoir, la dissolution du CC des milices écartant tout danger éventuel d’une destruction de l’appareil étatique”. Et, pourtant, en octobre 1936, on écrivait que l’Etat catalan avait été “remplacé”. S’il ne s’agissait que d’une confusion de mots, ce ne serait rien ; mais on connaît la polémique de Lénine contre les opportunistes sur quelques mots concernant l’Etat. En octobre, l’Union estime que l’Etat catalan n’existe plus et, en février, elle constate qu’il s’était “effacé” ; avec la complicité d’un parti dont elle sollicite l’autorisation d’assister à sa conférence internationale. Pour des “marxistes”, l’erreur n’est pas minime et elle permit d’espérer de grandes choses lorsque l’Union examinera de la même façon la situation en France. Ajoutons que ces profonds écrivains se sont bien gardés de communiquer leur “rectification” à leurs lecteurs (encore par modestie !). Ah ! mais il y a le problème des milices. Si elles n’avaient pas été dissoutes, on pouvait encore espérer détruire l’appareil d’Etat. Mais quel danger pouvait présenter le Comité central des milices que l’on a dissout sans effort ! C’est lui-même qui a reconnu que son fonctionnement était inutile dès lors qu’anarchistes et poumistes étaient dans les ministères.
Après les Journées de mai à Barcelone, l’Union se raccroche aux Jeunesses du POUM, et de la CNT : son dernier carré ! Cette fois-ci, elle donne des conseils concernant la destruction de l’Etat bourgeois, mais il est bien tard. D’ailleurs, l’Union est toujours pour la lutte pour la révolution tout en menant la guerre antifasciste à fond.
Mais les événements de Chine vont arriver et l’Union, avec d’autres communistes de gauche (vieux guerriers d’Espagne), se rappelleront les écrits de Rosa Luxemburg. Doctoralement, on nous apprendra qu’il n’y a plus de “guerres nationales”, mais seulement des guerres antifascistes type espagnol. Les “communistes de gauche”, sont contre le soutien de Tchang Kaï-Chek, mais pour la lutte avec la République contre Franco.
Nous ne prêterons aucune importance aux dissertations des amateurs de l’Union sur la guerre sino-japonaise, car tout cela manque de sérieux. Probablement la position envers la Chine provient d’un emprunt que l’Union fait à un autre groupe, afin d’éviter les douleurs de l’enfantement politique. Sur un seul problème il semblerait qu’un pas en avant ait été fait. L’Union est contre la défense de I’URSS. Mais ici encore, ses élucubrations sur les castes prouvent qu’il ne s’agit pas d’un effort idéologique pour comprendre et tenter de résoudre un problème gigantesque, mais d’une mauvais traduction de “communiste de gauche” d’autres pays qui se sont spécialisés dans les écrits pour Académies communistes et qui contemplent, du haut de leur tour, les problèmes de la lutte des classes.
Sur bien des problèmes encore (et particulièrement sur les dernières trouvailles syndicales de l’Union) nous pourrions continuer notre examen, mais cela est parfaitement inutile. Un fait est clair ; ce groupe est en dehors de la réalité et ne représente absolument rien. Plutôt il disparaîtra et mieux cela vaudra pour ses militants qui doivent bien avoir d’autres préoccupations que de vivoter dans un cercle sans issue.
Nous continuerons l’examen d’autres groupes, avant de tirer nos conclusions, dans le prochain numéro de la revue
En réalité il n’y a pas eu de prochain article sur le sujet dans Octobre. Cela résultait de la crise politique que subissait la Fraction italienne. Le numéro 5 d’Octobre paraît en août 1939 soit 15 mois après le numéro 4. La publication Communisme de la Fraction belge n’a subi aucune interruption dans sa parution. La Fraction belge était plus homogène dans ses orientations politiques et n’a pas adhéré à la nouvelle position de Vercesi prétendant nier l’existence d’antagonismes inter-impérialistes. Partant de là, Vercesi a nié jusqu’à l’éclatement des hostilités en 1939, l’éventualité d’une guerre impérialiste mondiale. A la reconnaissance de l’antagonisme inter impérialiste il a substitué la théorie de “la loi de solidarité inter impérialiste”. La guerre impérialiste mondiale était considérée comme une série de guerres localisées n’ayant d’autre but que la destruction physique du prolétariat. La nouvelle théorie prétendait également que le système capitaliste était parvenu à sortir de sa crise permanente par la vertu de “l’économie de guerre”. L’économie de guerre étant comprise non en fonction de l’inévitabilité d’une conflagration mondiale en préparation mais comme une politique économique “en soi” solutionnant les contradictions économiques et ouvrant la phase du “plus grand essor” du développement capitaliste.
Chapitre III
La création de la Gauche communiste de France : une naissance réussie
Nous venons de souligner dans le chapitre précédent qu’à partir de 1937, la Gauche italienne connaît de graves difficultés politiques toutes liées à l’analyse politique de la guerre. A l’origine de ces difficultés, il y a le fait que la majorité du groupe, à la suite de l’organe central, a commencé à expliquer que les guerres, dans cette période, avaient pour principale raison d’être non plus les antagonismes inter-impérialistes mais le massacre des prolétaires.
Cette position s’appuie sur une analyse superficielle de la situation qui prévaut dans la seconde moitié des années 1930 : le redémarrage de l’économie sur la base de l’économie de guerre et la résorption du chômage. Ainsi, pour Vercesi, les contradictions du capitalisme international semblent s’atténuer. De ce fait, il pense que l’économie de guerre constitue la solution à la crise du capitalisme. Il théorise l’idée que le capitalisme pourrait s’éviter les guerres généralisées. La situation de “guerres localisées” qui prévaut à l’époque comme en Espagne, en Ethiopie, en Mandchourie, etc., a changé la fonction de la guerre impérialiste : celle-ci est devenue une guerre contre la classe ouvrière. Cette solution devait permettre à la bourgeoisie d’accomplir la tâche de résorption momentanée des contradictions impérialistes tout en se terminant par un massacre incroyable d’ouvriers. Pour O. Perrone, Munich est un véritable traité de Versailles. Munich signifie la fin de la guerre impérialiste.
Cependant, il existe une minorité dans la Fraction, notamment en Belgique autour de Mitchell et au sein du groupe de Marseille, avec Marc Chirik, qui s’oppose à cette vision.
La conception majoritaire aboutit, en septembre 1939, à ne rien comprendre au déclenchement de la Seconde Guerre mondiale et à théoriser “la disparition du prolétariat” durant toute la période de l’affrontement impérialiste. Citons la “déclaration politique” de la Conférence de la Fraction italienne en 1944 ([1] [106]) : “L’état actuel de l’organisation est la suite, la continuation d’une crise qui a surgi dans le sein de la Fraction avant la guerre, dès 1937. Elle est inaugurée par l’abandon des positions politiques contenues dans le rapport sur la situation internationale adopté au congrès de la Fraction en 1935 et par la révision fondamentale de l’analyse de l’époque historique qui s’est ouverte en 1914 dans la phase décadente du régime capitaliste.
“A l’analyse marxiste de cette phase, fondement programmatique de la Troisième internationale et de la Fraction de gauche communiste italienne, on a substitué tout un corps théorique d’une nouvelle doctrine :
“1° Négation de l’exacerbation des antagonismes inter-impérialistes, allant par moments jusqu’à la négation même de l’existence de ces antagonismes, aboutissant ainsi à la négation de l’inévitabilité de la guerre impérialiste et à l’exclusion de la guerre impérialiste généralisée dans la phase décadente du système capitaliste.
“2° Substitution à la guerre impérialiste généralisée de la théorie des “guerres localisées”, à la notion impérialiste de la guerre la notion de “guerre civile de la bourgeoisie contre le prolétariat”
“(…)
“7° (...) La phase décadente ne serait plus la phase de destruction, de la reproduction rétrécie mais elle sera représentée, grâce à l’économie de guerre, comme la phase de plein épanouissement des forces productives.
“8° L’économie de guerre ne serait plus une manifestation de la crise permanente du régime, un moment des convulsions de l’agonie du capitalisme (R. Luxemburg) mais deviendra le “moment de la plus grande production de valeur” (Vercesi)”
En septembre 1939, à l’éclatement de la guerre mondiale, le Bureau international de la Gauche communiste se dissout, l’organisation et les sections se disloquent.
La guerre rend la poursuite de toute activité très difficile, notamment le maintien des liaisons entre les différentes sections. Dès juin 1940, l’activité se rétablit au sein du groupe de Marseille. Mais la question se pose : doit-on rétablir les liens avec les autres sections ? D’abord Jacob (membre de la Fraction belge et du Bureau international des deux Fractions) s’y oppose. Cependant, la décision est prise de reconstituer la Fraction et de rétablir les liaisons avec Lyon, Toulon, Aubagne (près de Marseille), ensuite Paris et enfin Bruxelles.
C’est surtout en 1941 que les premiers résultats en vue de la reconstitution de la Fraction italienne se concrétisent à partir du centre établi à Marseille. La Fraction tient cette année la première de ses conférences annuelles. Celle-ci élit un organe central composé de 3 membres : A. Lecci (Mario Marini ou Tullio), Piccino et Marc Chirik. G. Bottaioli (Butta) qui est très actif à Paris, est associé à ce travail.
Ce combat aboutit également, en 1942, à la création du Noyau français de la Gauche communiste à partir d’un cercle de dix membres environ.
La réaction de la classe est bien faible dans cette période de contre-révolution. Cependant, cela nous enseigne que :
1. Contrairement à ce qu’affirme la tendance “révisionniste” de Vercesi, la classe et ses organisations existent à tout moment, même pendant une période contre-révolutionnaire. Les organisations révolutionnaires ont alors une autre fonction que lors des périodes révolutionnaires ou de montée de la lutte de classe, notamment celle de sauvegarder les acquis théoriques et politiques de la classe ouvrière et d’intervenir à contre-courant.
2. Dans une telle période, il ne peut malheureusement pas y avoir de place pour des partis révolutionnaires exerçant un impact déterminant dans la classe et ses luttes.
Dès lors se pose la question de prendre position publiquement contre la guerre. La section de Marseille n’a pas de matériel et il faut déjà se procurer une machine à écrire. Celle-ci sera “prélevée” sur un lieu de travail malgré tous les risques que présentait une telle opération. Puis, les premiers tracts seront tapés plusieurs fois avec des carbones avant d’être distribués. En effet, les membres de la Fraction n’étaient pas préparés à la guerre et encore moins à la clandestinité. Tous les membres de la Fraction étaient des réfugiés politiques et une grande partie d’entre eux n’avait pas de papiers. L’éclatement de la guerre voulait dire pour eux que, en tant qu’Italiens, ils faisaient partie du camp ennemi. De ce fait, les émigrés italiens devaient faire une déclaration pro-française pour éviter de retourner en Italie, ce qui aurait signifié les geôles fascistes. Certains membres de la Fraction sont pris par la police pétainiste ou la Gestapo et remis aux autorités italiennes, d’autres retournent en Italie clandestinement comme Danielis “Gigi” ou Luciano Stefanini. Tous ces événements expliquent pourquoi il faudra quelques mois pour que la Fraction reprenne une activité politique organisée.
Le cours nouveau ?
Fin 1942 - début 1943, éclatent en Italie de forts mouvements de grève notamment à Milan et surtout Turin. Ces grèves aboutissent à la destitution de Mussolini et de son gouvernement.
Immédiatement Marc Chirik écrit un texte important en vue de la conférence de juillet 1943 de la Fraction : un “Projet de résolution sur les perspectives et tâches de la période transitoire” (Internationalisme n° 5) : “(...) Après 3 années de guerre, l’Allemagne, et par-là l’Europe, présente les premiers signes de faiblesse. Parce que l’Europe, berceau du capitalisme, ayant atteint le plus haut degré de centralisation industrielle et de concentration prolétarienne, est le lieu où les contradictions ont leurs expressions maxima, l’Allemagne, le meilleur agent de répression du capitalisme des dix dernières années, se trouve actuellement usée.
“Si l’on considère, après 3 années de centralisation économique de l’Europe, l’Allemagne comme le maillon le plus faible de la chaîne capitaliste dont le talon d’Achille serait l’Italie, on peut dire que les conditions objectives ouvrent l’ère de la révolution.”
Cette résolution caractérise le nouveau cours qui devrait aller, maintenant, vers la révolution. Manifestement, les révolutionnaires surestiment la période. La Fraction n’est pas seule à défendre une telle appréciation ; tous les révolutionnaires pensent que la révolution va sortir de la guerre. Le schéma des événements de 1871, 1905 et surtout de 1917 est présent dans toutes les mémoires. La guerre doit ouvrir des possibilités de révolution. C’est pourquoi tous les révolutionnaires, estimant que le cours contre-révolutionnaire s’inverse, pensent qu’il donnera naissance à des luttes ouvrières d’ampleur. En fait, surtout en 1943, cette conception n’est pas totalement irréaliste d’autant plus que le cours de la guerre s’est inversé effectivement si on considère, non seulement l’affaiblissement de l’Allemagne, mais encore l’exaspération et le mécontentement croissant dans la population de divers pays d’Europe. Ce mécontentement se manifeste en Italie avec les grèves (la grève à la FIAT se généralise à Turin englobant 300 000 ouvriers), mais aussi par des soulèvements qui ont lieu dans les pays occupés par l’Allemagne au moment de son effondrement (cf. les soulèvements de Varsovie et Budapest, les mouvements d’exaspération en Allemagne même, fin 1944 et début 1945).
En conclusion, et contre la théorie de Vercesi ([2] [107]) prêchant l’impossibilité de toute activité politique, “la tactique générale sera d’œuvrer pour la formation d’un embryon d’Internationale. (...) Idéologiquement cet embryon d’Internationale (sorte de nouveau Zimmerwald) présentera un programme net, intransigeant, exprimant la volonté du prolétariat mondial à s’organiser en vue de la lutte pour la révolution. Cette Internationale poussera à fond le développement ou l’éclosion des partis révolutionnaires dans les pays possédant ou ne possédant pas des noyaux révolutionnaires”. C’est ainsi qu’il est décidé que la Fraction italienne doit rentrer en Italie pour jouer son rôle révolutionnaire ; elle n’a plus aucune raison de demeurer en France, dans l’émigration.
“Le cours de la formation du Parti en Italie est ouvert”
“Oui ! La Fraction a terminé sa tâche spécifique “défensive”. Avec le nouveau cours qui s’est ouvert avec les événements d’août en Italie, le cours de la transformation de la Fraction en Parti est ouvert” (Bulletin intérieur de la FI n° 2, février 1944).
En Italie
Pendant ce temps en Italie, les anciens membres de la Gauche italienne libérés des geôles fascistes se regroupent, dans le Nord, autour de Onorato Damen et de membres de la Fraction italienne rentrés clandestinement et, dans le Sud, en plusieurs pôles (cf. la Gauche communiste d’Italie).
Les alliés ont immobilisé le front entre le sud et le nord de l’Italie ([3] [108]). Cela permet aux troupes allemandes de “remettre de l’ordre” au nord, de déchaîner la répression et les massacres contre les ouvriers. Les ouvriers ne peuvent se sauver qu’en allant dans des maquis qui n’existaient pas encore en Italie comme c’était déjà le cas en France. Les Alliés, en laissant la situation “mijoter”, ont su préserver “l’ordre” capitaliste. Dans le sud, le gouvernement Badoglio s’est constitué et il a permis de pousser les ouvriers dans les bras de la “démocratie” alliée avec l’appui des staliniens et de tous les “démocrates”.
Cette tactique de Churchill, visant à l’étouffement du mécontentement des ouvriers, sera appliquée partout au cours de l’effondrement de l’Allemagne. L’Armée rouge, aux portes de Varsovie, s’arrête pour laisser, pendant plusieurs mois, l’armée allemande massacrer le soulèvement. A Budapest c’est encore le même scénario. Il faut faire une saignée pour éviter tout surgissement des ouvriers. C’est l’Allemagne “fasciste” qui est chargée, parce qu’elle est vaincue, de faire l’essentiel du sale boulot. Cependant, les alliés prendront leur part du travail : leur rôle sera de se livrer à des massacres de la classe ouvrière allemande à travers de terribles bombardements (notamment sur les villes de Dresde, Hambourg, Leipzig) sous prétexte de détruire les usines et de contrecarrer l’effort de guerre allemand. Enfin, dernier volet de cette politique, les pays vaincus seront occupés militairement par les vainqueurs afin d’éviter que le contrôle de la situation n’échappe à des autorités en pleine débandade. Ainsi, il ne sera pas question de signer un quelconque armistice, comme certaines fractions de la bourgeoisie allemande le réclamaient (voir la demande de Doenitz, successeur d’Hitler, après la mort de ce dernier).
Le 25 juillet 1943, le Partito comunista internazionalista (PCInt) voit le jour, ce qui aboutit, le 1er novembre 1943, à la publication du premier numéro de Prometeo en Italie. Le Parti comprend, en 1945, 11 fédérations dans le nord, une cinquantaine de sections et d’autres en formation ; il possède 3000 membres environ.
Des groupes se constituent également dans l’Italie méridionale. A Naples la Frazione di sinistra dei comunisti e socialisti ([4] [109]) voit le jour. Le choix de cette dénomination n’est pas étranger à la confusion théorique qui règne parmi ces éléments qui proviennent également de la tradition de la Gauche communiste dans le PCI des années 20 (Bordiga, Enrico Russo – “Candiani” de la minorité de la Fraction italienne, L. Tarsia, F. La Camera, F. Maruca). S’y regroupent également des trotskistes, des communistes dissidents, des oppositionnels à la politique modérée des partis de gauche. En Italie méridionale, certains membres de l’ancienne Gauche communiste au sein du PCI, à la sortie de prison, s’inscrivent au Parti communiste d’Italie officiel (PCI) et recommencent à militer en tant qu’oppositionnels en son sein. C’est le cas de E. Russo, de Libero Villone qui deviennent les dirigeants du PCI à Naples (de la fameuse fédération de Montesanto reconstituée en mars-avril 1943, du nom de la rue Montesanto où le local de la Fédération s’est transporté après son exclusion par les staliniens). C’est également le cas de Romeo Mangano secrétaire de la fédération du PCI des Pouilles et de F. Maruca en Calabre. Il Proletario, (“La situazione dopo Roma”, 15 juillet 1944) veut “1) ramener les partis sur le terrain de la politique classiste, tant qu’il en subsiste encore la possibilité ; 2) se transformer en parti autonome, lorsque le redressement des partis existants se révélera tout à fait impossible...”. C’est pourquoi l’organisation porte le nom de Fraction : les membres de la Gauche communiste pratiquent donc une politique d’entrisme dans le PC. Romeo Mangano, après la scission d’avec le PCI, fonde le POC en commun avec les trotskistes avant de les écarter de la direction de ce nouveau parti en 1946. Il adhère enfin au PCInt en 1950. En 1945, il se disait partisan de la Quatrième internationale. Pourquoi a-t-il agi ainsi ? Mangano répond : “nous ne nous fondîmes pas avec les trotskistes, mais crûmes utile de nous mettre à leurs côtés pour la possibilité que nous donnait une organisation internationale” (Interview à Arturo Peregalli, archives personnelles de Peregalli).
En fait, dans le sud de l’Italie, zone éloignée du cœur de l’Europe et où les anciens militants ont été coupés des débats de la Gauche italienne dans l’émigration, règne une grande confusion théorique sur des questions politiques immédiates. Doit-on s’organiser de façon autonome ou faire de l’entrisme au sein des vieux partis ? Voilà la première question à laquelle se trouvent confrontés les éléments de la Gauche communiste.
C’est sur la nature de l’URSS qu’il existe la plus grave confusion dans les groupes méridionaux. Ces deux questions sont liées. En effet, c’est parce que Bordiga a beaucoup de mal à reconnaître le rôle contre-révolutionnaire de la Russie qu’il ne voit pas pourquoi il faut rompre organisationellement avec le PC stalinien et qu’il n’existe pas de possibilité d’y faire de l’entrisme ou de le reconquérir (cf. la critique de Battaglia comunista à Bordiga, texte introductif à la Plate-forme du parti, republication de 1974). Citons notamment un passage de “Per la constituzione del vero Partito comunista” rédigé par Bordiga : “La Fraction se définit non contre la Russie des soviets mais contre la politique de l’actuelle classe dirigeante russe, parce qu’elle est nocive pour le développement de la révolution prolétarienne” (cf. également le livre de Damen Bordiga). Cette conception n’est pas bien éloignée de celle des trotskistes qui ont soutenu l’URSS pendant la guerre parce qu’ils estimaient qu’il suffisait de remplacer les dirigeants staliniens, la Russie étant économiquement “socialiste”. C’est pour cette raison que les trotskistes se sont rangés dans un des camps impérialistes et sont passés à la bourgeoisie. On peut penser, à juste titre, que cette analyse de Bordiga sur l’URSS a rendu peu compréhensible sa position de l’époque ce qui a compliqué la tâche des journalistes bourgeois et les a conduits à lui prêter les propos de Bandiera rossa (paraissant à Rome, ce périodique n’avait rien à voir avec la Gauche communiste, même s’il semblait défendre le défaitisme révolutionnaire ; d’autre part, comme Bordiga, il n’avait pas une position claire sur la nature de l’URSS). Ainsi, Henriot, journaliste et porte-parole officiel du gouvernement de Vichy à la radio française, cite le 14 juin 1944 ([5] [110]) la Gazette de Lausanne ([6] [111]) reproduisant un manifeste distribué en Italie méridionale et à Rome et qui en attribue la paternité à Bordiga (on ne saura jamais la vérité à ce propos, Bordiga et Battaglia n’ayant jamais voulu clarifier cette question) : “Les gros bourgeois... se trompent s’ils croient que les armées de la Russie versent des flots de sang pour sauver la bourgeoisie européenne”. A l’écoute de cette information d’Henriot, la Fraction italienne tient à se désolidariser d’avec ce langage et déclare exclure Bordiga de ses rangs s’il a tenu de tels propos (communiqué dans le Bulletin de discussion de la Gauche communiste italienne n° 7, juillet 44).
En France
A côté de la Fraction italienne s’est créé en 1942, sous l’impulsion de Marc Chirik ([7] [112]) qui en est également membre, et sur la base d’une déclaration de principes, le Noyau français de la Gauche communiste avec 8 militants et une Commission exécutive de 3 membres (cf. “Pour la formation de la Fraction en France”, Bulletin intérieur, octobre 1944 p. 13). Parmi les membres du Noyau se trouvent : Mousso (Robert Salama), Frédéric (Suzanne V.), Alberto (Véga, ex-membre des jeunesses du POUM), Robert C. ancien trotskiste, Cl. (Jean Malaquais en est proche en tant que “compagnon de route”). Ce Noyau et la Fraction italienne réussissent à rétablir le contact avec la zone nord de la France occupée et la Belgique. Puis ils prennent contact avec les RKD (nous y revenons plus loin) qui continuent leur processus de rupture avec le trotskisme et commencent à former des noyaux de Communistes révolutionnaires français (CR) sur leurs positions contre la guerre impérialiste.
En mai 1944 intervient la 3e conférence de la Fraction italienne qui reconnaît la crise qui la frappe depuis 1937 (Internationalisme n° 7, février 1946, p. 20). Sa “déclaration politique” condamne aussi le document de Vercesi, “De la 3e à la 4e Internationale pour la sauvegarde de la Fraction de gauche”, écrit fin 1943. Au début des grandes grèves en Italie ce dernier avait essayé de rentrer dans ce pays (ce qui était normal, c’est la même décision que la Fraction avait prise à sa conférence en 1943) puis il justifie dans ce texte le fait d’être resté en Belgique en théorisant la “disparition sociale du prolétariat pendant la guerre”.
La déclaration de la Fraction indique : “On inventera pour justifier notre propre défaillance et notre disparition, la théorie de la disparition sociale du prolétariat depuis 1939... L’apparition révolutionnaire du prolétariat italien (...) sera vue comme la négation du caractère prolétarien des événements”... “Perrone explique les événements de 1943 par ‘la crise de l’économie de guerre’”.
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La Fraction italienne, suite à cette conférence, connaît donc quelques difficultés et des atermoiements pour remplir son rôle en Italie. C’est la raison pour laquelle le Noyau français de la Gauche communiste cherche à prendre son indépendance afin de pouvoir intervenir plus librement et de façon plus adéquate dans la situation française alors que la Fraction italienne sous-estime l’importance du tournant de la guerre et les nouvelles potentialités de la situation en 1943. En décembre 1944, au cours de sa première conférence, le noyau se transforme en groupe politique sous le nom de Fraction française de la Gauche communiste (cf. “Rapport d’activités de la FFGC” de juillet 1945, Bulletin spécial n° 1). Dès lors, la Fraction française intensifie son intervention et ne se contente plus de son travail à Marseille. Elle diffuse des tracts, fait des tournées de propagande et colle des affiches à Paris contre l’idéologie de la “Libération”.
La Fraction italienne est à nouveau tombée en léthargie et trouve d’excellents prétextes pour ne rien faire en France et en Italie puisqu’elle n’est pas encore “rentrée”. Cependant, la FFGC a du mal à s’imposer face à la Gauche italienne d’autant plus que des divergences se font également jour en son sein avec la tendance Fréderic-Alberto qui rejoint les positions de Vercesi.
Trois divergences politiques entravent le travail dès le départ :
1. La “reconnaissance” de la Fraction française par la Fraction italienne : “Un Bulletin commun pour le moment était impossible, il nous fallait prendre l’entière responsabilité de nos actes pour mieux voir nos erreurs dans leur totalité... Surtout il nous fallait nous dégager de la tutelle d’une FI sénile qui n’avait plus de place en France et qui jugeait en spectateur et non en acteur” (Rapport d’activités, Bulletin interne, p. 4). La Fraction italienne mit deux mois pour reconnaître la FFGC et encore les relations furent orageuses.
2. La participation de Vercesi au “Comité antifasciste” de Bruxelles vient obscurcir les débats. La Fraction italienne a appris cette participation par le député socialiste italien Rafrani et immédiatement la CE de la Fraction prend la décision d’exclure Vercesi de l’organisation (Résolution de la Fraction “sur le cas Ottorino Perrone” adoptée par la CE de la FI le 20 janvier 1945).
La Fraction française, tout en dénonçant l’attitude de Vercesi qui renie ainsi toute la politique de la Gauche italienne depuis 1921 sur “l’antifascisme”, pense “qu’il fallait discuter directement avec O. P. (Vercesi) avant de prendre une quelconque décision organisationnelle” (Rapport d’activités de la FFGC, 1945) : “La CE de la Fraction italienne (FI) en a décidé autrement, tranchant le débat avant qu’il ne commence, elle excluait Ottorino Perrone (Vercesi) sans toutefois indiquer cette exclusion et les modalités politiques à la connaissance du prolétariat, pour dégager sa responsabilité” (idem). L’histoire ultérieure montre que la FI condamne Vercesi pour mieux cacher cette grave divergence en son sein et, pour cela, utilise des mesures bureaucratiques d’exclusion. Ce qui est d’autant plus grave c’est que O. Perrone participe au Comité en tant que “représentant de la FI” avec un autre membre de l’ancienne Commission exécutive de la Fraction “Pieri” – Borsacchi. La “Déclaration de la Coalition antifasciste en Belgique” se termine dans son point 8 par : “les organisations adhérentes sont : le Parti catholique, le Parti communiste, la Fraction italienne de la Gauche communiste, Justice et liberté, le Parti libéral, le Parti républicain, le Parti socialiste, des syndicalistes.” (publié dans le n° 1 de son organe, L’Italia di domani du 7 octobre 1944). A voir tous les éditoriaux signés par O. Perrone on peut penser qu’il était plus qu’un simple participant de second ordre à cette coalition mais bien sa tête pensante ainsi que le rédacteur en chef de l’Italia di domani.
3. Les relations avec d’autres groupes n’ayant pas participé à la “Résistance” est également un sujet de désaccords. “Une nouvelle divergence se manifeste au sein de notre organisation. Quelle attitude adopter face aux organisations CRF et RKD ?” (Rapport d’activités).
Les RKD-Communistes révolutionnaires d’Allemagne étaient des autrichiens exilés d’origine trotskiste (cf. les Congrès de la Quatrième internationale, Ed. la Brèche, p. 202). Les membres de cette organisation les plus connus sont G. Scheuer et K. Fischer. Au congrès de Périgny de fondation de la Quatrième internationale en 1938, ils furent les seuls délégués à s’opposer à cette fondation précipitée qu’ils estimaient “aventuriste”.
Durant la guerre, ils réussissent à convaincre des trotskistes français et allemands à Toulouse puis à Lyon d’adopter des positions contre la Seconde Guerre impérialiste. Ce fut la naissance des “Communistes révolutionnaires” (CR). Ils dénoncent la guerre impérialiste, les deux camps ennemis : fasciste et démocratique, ils font une critique de l’URSS qu’ils définissent comme un pays “capitaliste d’Etat”. C’est en prenant connaissance de ces positions que la Fraction française cherche à discuter avec eux pour entamer un travail politique commun.
“Nous prétendions que ces organisations étaient... révolutionnaires mais confuses”...
“Nous devions donc cesser le jeu si cher à la Fraction italienne de censeur et de professeur docte et savant comme certains singes” (Rapport d’activités de la FFGC).
Les RKD ont pu maintenir une activité importante pendant la guerre car ils étaient habitués à la clandestinité depuis l’occupation de l’Autriche par l’Allemagne. A cette époque, quelques éléments avaient pu se sauver pour s’installer à Paris. Contrairement à la Fraction italienne composée d’ouvriers, les membres des RKD avaient de l’argent et un matériel d’impression adéquat. C’est pourquoi ils ont pu maintenir une forte activité politique. Dès le début de la guerre, ils essayent d’entrer en contact avec tous les groupes trotskistes qui prennent des positions contre la guerre et c’est par l’intermédiaire de R.C., ex-membre du groupe de Vereeken (groupe qui a des positions contre la guerre impérialiste) qu’ils prennent contact avec la Fraction française. Ils sont très intéressés par cette rencontre et une réunion est organisée, entre ces deux groupes, à Marseille. Leur expérience de la clandestinité servira beaucoup à la Fraction française.
En général, à part la question de la guerre et la nature de classe de l’URSS, ils conservent toutes les autres positions trotskistes et c’est la raison pour laquelle ils sont très activistes.
A la fin de la guerre, la période révolutionnaire tardant, à leur avis, ils se focaliseront, en “trotskistes déçus”, sur l’anti-stalinisme, l’anti-soviétisme, avant de perdre la méthode marxiste et de sombrer, pour beaucoup d’entre eux, dans l’anarchisme.
La nouvelle crise de la Gauche communiste italienne
La Fraction italienne va traverser une deuxième crise après celle de 1937 qui s’était soldée par sa dispersion au début de la guerre. Avant de se dissoudre une deuxième fois, elle a publié au cours de la guerre des tracts contre la boucherie impérialiste et un manifeste “Aux ouvriers européens”, huit Bulletins internationaux de discussion qui ont abordé des questions comme “l’économie de guerre” en réponse à Vercesi, les syndicats, le problème de l’Etat après la révolution prolétarienne (“Notre réponse”, Bulletin n° 5, mai 1944) et la “question russe”.
En 1945, après avoir théorisé l’idée de la “Fraction italienne à l’étranger” (cf. Internationalisme n° 7, février 1946 qui revient 2 ans après sur la question pour en tirer les leçons) – estimant que ses membres vivant depuis 20 ans en France ou en Belgique avaient perdu tout contact organique avec l’Italie, ce qui est un argument de circonstance pour justifier le non-retour au pays –, la Fraction décide de se dissoudre, à sa conférence de mai 1945, en appelant à l’adhésion individuelle de ses militants à la nouvelle organisation, le Parti communiste internationaliste (PCInt). La Fraction française critique vivement cette attitude sans principe. En effet, la Fraction italienne avait défendu les principes communistes pendant 18 ans et elle avait un acquis théorique inestimable : le combat contre la dégénérescence de l’IC, le combat au sein de l’Opposition de gauche, une réflexion sur la période et l’antifascisme durant la guerre d’Espagne et enfin sur la question nationale, la question syndicale et la décadence du capitalisme. En revanche, elle ne connaissait rien du nouveau PCInt et surtout ce dernier n’avait encore fourni aucune preuve de sa clarté politique de classe, si ce n’est de se référer à la Gauche italienne des années 1920 et à Bordiga. Il n’y avait donc aucune raison pour la Fraction italienne de se dissoudre et d’adhérer aveuglément à ce parti. Elle avait manqué son rendez-vous avec l’histoire en ne rentrant pas en Italie en 1943. Dès lors, pour les militants isolés, il ne restait pas d’autre choix que de rentrer en Italie pour continuer un travail politique de clarification parmi les éléments essayant de se regrouper et notamment au sein du PCInt ou, pour les éléments restant en France, d’adhérer à la Fraction française.
Sans gloire, la Fraction choisit la pire des solutions : ironie du sort, celle que O. Perrone avait choisie déjà en 1939, “la dissolution”. Tous les militants rentrèrent “de façon individuelle dans le nouveau parti” où ils retrouvent, non seulement O. Perrone qu’ils avaient combattu pendant quatre ans et exclu pour sa participation au Comité antifasciste de Bruxelles, mais encore, l’ex-minorité de Bilan exclue pendant la guerre d’Espagne. C’est ainsi qu’on aboutit à un amalgame sans principe de toutes les positions.
Toutefois, cette dissolution a été un coup de force et un coup de théâtre. C’est le jour même de la Conférence de mai 1945 que les membres de la Fraction l’apprennent à la lecture de la “déclaration politique” rédigée par une partie de la Commission exécutive (CE) seulement. Cette partie de la CE indique que, si ce texte n’est pas adopté, elle donnera sa démission pour le défendre en tant que minorité dans la Fraction.
La déclaration est adoptée mais en l’absence de beaucoup de militants qui n’avaient pu se déplacer. Marc Chirik quitte la Conférence pour protester et pour ne pas être complice de cette décision de dissolution de la Fraction. Il demande son adhésion à la Fraction française. Puisque la Fraction italienne n’existe plus en France, il appelle les membres qui ne peuvent partir pour l’Italie à le suivre.
“Les camarades de la Fraction qui pour des raisons impérieuses restent en France doivent rejoindre la Fraction Française.”
“Ne voulant en aucune façon m’associer à l’acte de liquidation de la Fraction... Je déclare quitter la conférence... Vive la Fraction !” (Déclaration à la Conférence du 25 mai 1945, Bulletin extérieur de la GC de France, juin 1945, p. 9).
Dès lors, c’est la Fraction française qui demeure l’unique continuateur de la Gauche italienne au niveau politique, théorique et programmatique puisqu’elle continue le travail et refuse de se saborder.
Le 14 juillet 1945, la FFGC tient sa 2e conférence. Le Rapport d’activités trace un bilan positif de son travail, la publication de l’Etincelle imprimé se poursuit ainsi que celle de sa revue théorique Internationalisme qui en est au 5e numéro. L’organisation “enregistre un développement par l’adhésion de nouveaux camarades et par son rayonnement et la sympathie active qu’elle a rencontrée à l’extérieur”.
*
Fin décembre 1945 se tient la première conférence nationale du Parti communiste internationaliste à Turin. Comme nous l’avons déjà dit, c’est autour du Centre interne (en Italie) que le parti s’est formé (cf. p. 121 du livre Bordiga écrit par O. Damen, EPI, 1977). Quel était ce Centre interne, qui se dit être “en relation permanente avec la Fraction” dans l’émigration ? Il était constitué de très peu de camarades autour de Damen et Maffi, en fait, les continuateurs du travail du Comité d’Entente de 1925 ([8] [113]). Cette volonté de se maintenir avait déjà été clairement affirmée à la réunion de Naples en 1925 où Bordiga avait été mis en minorité au sein de la Gauche italienne. Il s’agissait de décider s’il fallait se plier ou non à la demande de Zinoviev, alors secrétaire du Comité exécutif de l’Internationale, de dissoudre le Comité d’entente. La majorité de la Gauche, contre Bordiga, décida de se maintenir pour se battre au Congrès de Lyon du PCI de 1926. C’est donc autour de ce Comité maintenu qu’un noyau plus conséquent, notamment de membres de la Fraction revenus en Italie (Danielis, Stefanini et d’autres), se constitue dès 1942 et aboutit à la fondation du Parti en I943.
En 1944 le Parti établit un “schéma de programme” qui contient des positions politiques très proches des positions programmatiques de la Fraction italienne. Ce document comprend une position nette sur la question de la nature de l’URSS, sur la question des PC, les caractérisant de contre-révolutionnaires. Sur la dictature du prolétariat au cours de la période transitoire, il est réaffirmé la nécessité de différencier le pouvoir de la classe ouvrière du domaine du parti. Mais cette question n’est pas approfondie, elle est seulement posée. Il y a également des interrogations sur la question syndicale mais la question n’est pas tranchée.
Malheureusement, à la conférence de Turin, l’année suivante, le Parti adopte une Plate-forme rédigée par Bordiga (non membre du Parti au demeurant) qui est en nette régression sur tous ces points. Malgré les dénégations de Battaglia comunista, à partir de 1979, le texte a bien été adopté comme plate-forme par le Parti ([9] [114]). C’est ainsi que cette plate-forme ou “schéma de programme” a été versé à la discussion. C’est, effectivement, un net recul programmatique du Parti. Qu’on en juge :
1. Sur la Russie, Bordiga parlait “d’industrialisme d’Etat” comme s’il existait une nouvelle forme, une phase intermédiaire entre le capitalisme et le socialisme. O. Damen a déjà critiqué cette façon de voir dans les “5 lettres à Bordiga” publiées dans son livre Bordiga. Dans ce cadre, Bordiga ne voyait pas que la Russie était capitaliste et de cette conception dérivait son incompréhension de la nature des PC.
2. Bordiga ne voyait pas le rôle contre-révolutionnaire des PC puisqu’il n’excluait pas la possibilité de faire de l’entrisme en leur sein. C’est probablement une des raisons pour lesquelles il n’avait pas adhéré au PCInt, pensant, très certainement, que les PC pouvaient évoluer et changer de nature (!).
C’est ainsi que la création du POC par d’anciens membres de la Gauche italienne autour de Romeo Mangano (cf. ci-dessus) avec les trotskistes est condamnée par la Fraction italienne en mai 1945 (cf. “Résolution” de sa conférence, Internationalisme n° 8). Ce même document indique que Bordiga n’est pas étranger à cette expérience. A travers cet épisode le lecteur comprendra comment tout le combat de la Fraction dans l’Opposition de gauche de 1929 à 1933 (cf. la Gauche communiste d’Italie) non seulement n’est pas connu par ces militants restés en Italie mais est encore trahi par le rapprochement avec les trotskistes.
3. Sur la question syndicale la confusion n’est pas moins grande. La tendance Damen, à juste titre, critique la thèse de la “reconstruction et de la reconquête des syndicats”. Elle défend après coup, en 1948, la rupture d’avec les syndicats “collaborationnistes” qui se trouvent sur une ligne “social démocrate” pour adopter “la défense des principes révolutionnaires et pour la constitution des groupes de fabrique, de bureau... qui sont la base sociale du parti”.
Voilà comment on a réussi à former un “parti”, en cachant toutes les divergences de fond. Il est en rupture politique, théorique et programmatique avec la Fraction italienne. Mais cette méthode, en fait contraire à celle de la Gauche italienne, devait un jour aboutir à la scission et tout naturellement aboutir à la rupture de 1952 et à la dispersion des forces révolutionnaires.
Mais revenons à la conférence de Turin, dans laquelle nous voyons cohabiter toutes les tendances contenues dans la Gauche italienne, grâce au principe opportuniste qui consiste à taire les divergences. Il y avait également une raison essentielle à cette agitation consistant à vouloir constituer le Parti à tout prix. Ainsi, après avoir analysé la disparition du prolétariat pendant la guerre, Vercesi s’était converti à l’idée qu’après la guerre on entrait dans une période de développement de la lutte de classe, ce que la Gauche communiste de France commençait à remettre en cause en 1945.
Autour des parties les plus saines représentées par le noyau autour de Damen et des membres de l’ex-Fraction italienne dite “de l’étranger” qui venait de se saborder, nous avons :
1. La tendance Vercesi qui, quelques mois auparavant, se vautrait dans le pire antifascisme du Comité de Coalition antifasciste de Bruxelles. Cette attitude sera condamnée après 1946 par une résolution, jamais publiée, du Bureau international (BI) de la Gauche communiste ([10] [115]).
Malgré tout cela, à la Conférence de Turin, un Bureau international est créé avec Vercesi à sa tête et regroupant le PCInt, la Fraction belge et la seconde Fraction française construite autour de “Frédéric” et “Véga” qui avaient scissionné de la FFGC en 1945. “Dans la situation mondiale actuelle... le PCI retient comme possible seulement la constitution d’un Bureau international des Fractions de la Gauche communiste mondiale... Ce Bureau s’assignera la tâche de favoriser la formation du parti de classe dans tous les pays à travers le procédé politique de la Fraction et d’élaborer les documents politiques exigés par le développement de la situation internationale.” Le camarade Lecci propose que le BI soit soustrait à l’influence prédominante du Parti italien et qu’il ait son siège à Paris. Cette leçon justifiée a été tirée de l’expérience de l’Internationale communiste qui a été soumise à l’influence dominante du parti russe.
2. La Fraction belge qui avait proposé un journal théorique en collaboration avec les trotskistes belges.
3. La minorité de Bilan qui s’était engagée dans les milices du POUM et pensait pouvoir, sans se compromettre dans le frontisme, défendre le prolétariat espagnol. Elle avait quitté la FI sur cette question (Enrico Russo, Pace, Corradi, etc.).
4. Des membres de l’ex-Union communiste : Chazé, Lastérade qui sont venus grossir les rangs de la “seconde” Fraction française.
5. Et pour finir des “résistants”. D’après le rapport de Danielis au Congrès de Florence en 1948 du PCI (cf. p. 20 et 21 du compte rendu publié par Battaglia comunista) c’est toute la section du PCint de Turin qui participe à la “libération” de cette ville.
Voilà l’étrange amalgame qui constitue le PCInt. Au congrès de Florence en 1948, le parti apprendra comme “une bombe” qu’il existe des dissensions en son sein (cf. “Compte rendu” du congrès) et notamment sur la question électorale (le parti avait présenté des candidats aux élections après 1945). Une motion de compromis est adoptée : “En attendant les conclusions... sur la question de la participation ou de l’abstentionnisme, le congrès décide que le Parti ne participera à aucune élection.”
Cette attitude centriste, qui devait mener au blocage du Parti, a abouti tout naturellement à la scission entre la droite Bordiga-Ottorino Perrone et la tendance Damen en 1952 et à la création du Parti communiste international (Programme communiste).
La Gauche communiste de France (GCF – ex FFGC, voir plus loin) a une attitude plus prudente et utilise la méthode marxiste qui consiste à analyser la période. Elle constate d’abord que la guerre s’est terminée sans que le prolétariat ait pu internationalement lui opposer sa réponse de classe, la bourgeoisie mondiale ayant réussi à dévoyer les luttes des ouvriers, les réprimer et y mettre bon ordre. Nous avons montré comment la bourgeoisie mondiale a su faire face aux surgissements ouvriers. Elle a réussi à éviter tout soulèvement en Allemagne, pays vaincu. Elle a empêché, par exemple, les soldats prisonniers de revenir pendant 5 ans (5 millions de jeunes allemands dont beaucoup de prolétaires seront retenus en captivité). Dans les populations des pays occupés, la bourgeoisie a su jouer à fond la carte de l’antifascisme. On n’a jamais vu un tel débordement de chauvinisme : de nombreux soldats allemands seront lynchés, massacrés par les populations hystériques. Sur le front de l’Est, les fuyards et les déserteurs allemands sont pendus pour obliger les troupes à se replier en bon ordre.
La remise en cause, par la GCF, de l’analyse du cours commence à se faire durant l’année 1945 et se concrétise dans un article d’Internationalisme n° 20 d’avril 1947, “Optimistes et pessimistes” : “l’avant garde doit être prête politiquement à jouer le rôle historique qui est le sien contre la guerre impérialiste, et se préparer aux luttes que le prolétariat révolutionnaire est susceptible d’engager par la suite. Il s’agit d’être sérieux et réfléchis et non agités et nerveux, enthousiastes à s’essouffler pour rien.”
La contribution d’Internationalisme
Tournant le dos à l’opportunisme qui caractérise le PCInt à sa naissance, la FFGC va se transformer fin 1945 en Gauche communiste de France (GCF) pour éviter la confusion avec les autres militants français qui l’ont quittée et reprennent le même nom. Et le lecteur constatera à la lecture de ses positions politiques qu’elle est la véritable continuation de la Gauche italienne.
Nous avons déjà cité trois divergences, dès sa création fin 1944, entre la FFGC et la FI : sur sa reconnaissance, sur le Comité antifasciste de Bruxelles, sur les relations avec les RKD ; il en est maintenant de nouvelles. La FFGC propose de faire un tract commun pour le 1er mai 1945 ainsi que d’organiser une conférence commune avec les RKD et la FI, ce que celle-ci refuse. Mais la réponse s’étant fait attendre, la FFGC s’est trouvée dans l’obligation de prendre l’initiative avec les RKD de rédiger et de distribuer un tract ce 1er mai. La FI critique cette intervention commune et publie un texte critique “le néo-trotskisme dans la Fraction française de la GC” (Bulletin international de discussion, n° 8).
Il existe, également, une autre divergence sur la décision de dissoudre la FI à sa conférence de mai 1945 et la rentrée individuelle de ses membres dans le PCI.
Mais la Fraction dissoute en mai 1945 se réveille pour faire paraître le Bulletin international de discussion n° 8 (fin mai-début juin 1945 et anti-daté du 28 avril), déjà cité ci-dessus, entièrement tourné vers la critique de la FFGC.
Elle fait paraître également en juin un “Communiqué” sur l’exclusion du camarade Marc Chirik pour “indignité politique” parce qu’il a quitté la conférence de la FI. C’est un procédé ni très digne ni très politique car ce camarade a quitté la conférence, de façon très correcte, en lisant une “déclaration politique” indiquant qu’il ne voulait pas participer à l’acte d’auto-dissolution de la Fraction.
Avant le congrès de juin 1945 de la FFGC, les camarades Frédéric et Rob ([11] [116]) publient une “Adresse à tous les militants révolutionnaires” se désolidarisant de certains articles parus dans l’Etincelle et se lançant dans une attaque “grossière” de l’organisation (Bulletin extérieur, numéro spécial de juin 1945 de la GCF). Mais cette attitude fait suite à de nombreuses manœuvres, racontars, pratiques politiques personnelles et conspiratives dans l’organisation de la part de ces militants. Après la fondation de la Fraction, la camarade Frédéric avait refusé de travailler dans la CE de l’organisation. Le 23 mai, la camarade apportera une lettre signée en commun avec Al. et J. (camarades suspendus de l’organisation) et se retirera de la réunion de la CE. Tout était prétexte à saboter systématiquement la vie de l’organisation (non paiement des cotisations par ailleurs). Une résolution est adoptée à la conférence de la FFGC (juillet 1945) pour suspendre ces camarades Al. et J. : “ces 2 camarades pourront faire appel à la prochaine Conférence de l’organisation.”
Voilà quel était l’état des divergences au moment de la rupture.
Le 4 novembre 1945, le PCInt à la réunion de son Comité central adopte la résolution suivante “Sur les incidents au sein de la Fraction à l’étranger” :
“Le Comité central... affirme,
“1° que le groupe de Paris ne pouvait pas s’octroyer le rôle de CE de la Fraction ;” (par cette décision toute l’activité de la Fraction pendant la guerre est condamnée. Donc on décrète bureaucratiquement que la Gauche italienne n’a rien dit et fait durant la guerre (!). Aurait-elle failli à son rôle ? Etonnamment, aucune condamnation n’est venue en retour pour dénoncer l’attitude liquidatrice de la Commission exécutive de la Fraction en 1939).
“2° que la mesure disciplinaire à l’égard du camarade Ottorino Perrone (Vercesi) ne correspondait pas à la réalité des faits parce qu’elle était originée par des nouvelles qui se sont révélées inexactes par la suite ;
“3° que la participation du groupe belge à la Coalition antifasciste telle qu’elle avait été organisée, c’est-à-dire en tant qu’organisme d’assistance, peut être retenue plus ou moins opportune, mais elle n’a pas constitué une rupture de principe avec la position idéologique du parti ;
4° que par conséquent cette mesure est déclarée nulle.”
*
“Sur la dissidence en France.
“Le CC après avoir pris connaissance et discuté la lettre envoyée au Parti par le groupe dissident de la Fraction française décide :
“1° Le parti affirme qu’il n’entretiendra de relations internationales qu’avec une seule Fraction de gauche dans chaque pays.
“2° En conséquence il reconnaît la seule Fraction française qui est en rapport avec la Fraction belge et le Parti.
“3° Le Parti considère que la solidarité affirmée par la Fraction belge et par la Fraction italienne est un élément suffisant pour ne pas accepter la proposition de la Fraction française dissidente.
“4° Invite en conséquence la Fraction française à résoudre le problème de la dissidence, compte tenu de la nécessité de sanctions disciplinaires pour frapper les infractions aux principes communistes de l’organisation” (voté à l’unanimité).
Donc la minorité indisciplinée, menée par Frédéric au sein de la Fraction française, est considérée par le PCInt comme la véritable Fraction en France. Par contre la majorité de la Fraction française n’est pas reconnue et devrait se plier devant les mesures disciplinaires prises à son encontre.
Cette minorité se grossit, entre temps, d’ex-membres de l’Union communiste : Chazé et Lastérade, de 2 dissidents des Communistes révolutionnaires ainsi que d’ex-membres de la minorité de Bilan comme P. Coradi pour former un petit groupe en octobre 1945 (cf. Internationalisme n° 6, décembre 1945). C’est la raison pour laquelle la majorité prend le nom de Gauche communiste de France pour ne pas prêter à confusion avec l’autre groupe.
Fin 1945 et début 1946 la GCF se bat pour demander une conférence de la Gauche communiste internationale pour discuter et mettre au clair les divergences. (cf. réponse dans Internationalisme n° 8, mars 1946, à la Fraction belge qui demandait des explications complémentaires de ce qui s’est passé et qui avait pris une Résolution sur la question. En fait cette dernière était embarrassée.)
Comme rien de nouveau ne se passait, la GCF écrivit au PCInt une “Lettre” le 28 novembre 1946 avec une “Annexe” ([12] [117]) faisant le catalogue de toutes les questions à débattre qui avaient entraîné tous les manquements connus des différents groupes de la GCI durant la période de la guerre (Internationalisme n° 16). A cette lettre de 10 pages (que nous publions intégralement en annexe, ci-après) la réponse du 10 décembre 1946 de la GCI est une fin de non recevoir de quelques lignes : “Réunion du Bureau International-Paris” : “Puisque votre lettre démontre une fois de plus, la constante déformation des faits et des positions politiques prises, soit par le PCI d’Italie, soit par les Fractions belge et française ; que vous ne constituez pas une organisation politique révolutionnaire et que votre activité se borne à jeter de la confusion et de la boue sur nos camarades, nous avons exclu à l’unanimité, la possibilité d’accepter votre demande de participation à la réunion internationale des organisations de la GCI.”
C’est bien vrai, comme dit Marx, que l’histoire se répète mais comme une farce, la Gauche communiste a été exclue de façon bureaucratique de l’IC après 1926, elle a pareillement été exclue de l’Opposition de gauche en 1933 (cf. la Gauche communiste d’Italie), c’est maintenant au tour de la GCI d’exclure bureaucratiquement la Fraction française de ses rangs pour éviter la confrontation politique.
Même si cette demande de conférence internationale n’est pas acceptée par la GCI, la méthode et le principe en sont corrects pour clarifier les divergences. C’était ainsi que l’on réglait jusqu’alors les questions au sein de la GCI ; il fallait le réaffirmer.
Malgré le refus du nouveau Bureau de la GCI de reconnaître la GCF, cette dernière évoluera positivement. Cette rupture est un échec pour la Gauche communiste internationale toute entière et un véritablement affaiblissement pour le mouvement ouvrier, mais la GCF saura transformer cette grave faiblesse et pousser plus loin sa réflexion ainsi que l’expérience de la Gauche italienne dans l’émigration.
Dans un premier temps, elle cherche à regrouper les énergies révolutionnaires au niveau international en participant à une conférence internationale de contact les 25 et 26 mai 1947 ([13] [118]) entre les groupes qui sont restés sur des positions internationalistes pendant la guerre impérialiste. Cette conférence avait été convoquée par le Kommunistenbond Spartacus et a regroupé pour la Belgique des groupes apparentés au Spartacus de Bruxelles et de Gand et la Fraction belge de la GCI ; pour la France, outre la GCF, les CR et les RKD (publication : le Prolétaire) ; pour la Suisse le groupe “Lutte de classe” ; pour l’Italie la Fraction autonome de Turin du PCInt ([14] [119]). Il y a aussi des participants individuels et un courrier adressé par le Parti socialiste de Grande-Bretagne indiquant ses positions politiques. La nouvelle FFGC ([15] [120]) a fait parvenir une lettre dans laquelle elle souhaite “bon travail” à la conférence tout en s’excusant de ne pouvoir se déplacer à cause de travaux urgents. Il faut dire que la conférence n’était qu’une première prise de contacts. Elle n’a pu épuiser son ordre du jour et prendre de décisions pratiques parce que les discussions n’avaient pas permis de clarifier les questions et de justifier le vote d’une quelconque résolution (cf. Internationalisme n° 23). Suite à la conférence, la GCF et le Groupe des communistes de conseils de Hollande (dont le membre le plus connu est Canne Meyer) décident, malgré tout, de créer une revue internationale de discussion dont un seul numéro verra le jour à cause de la dissolution de ce dernier groupe. La revue a pris le nom de Bulletin d’informations et de discussions internationales. Ce numéro comprend une lettre de la GCF sur la nécessité d’un tel organe de discussion, la réponse des Hollandais et un article sur “les fondements de l’économie communiste”.
*
Lors de la grande grève à Renault en avril-mai 1947, qui va entraîner le départ des ministres du PCF du Gouvernement, un membre du groupe (Goupil ou Renard) est élu au comité de grève. Son intervention sur la nécessité de s’organiser soi-même dans la lutte et sur la nécessité de la généralisation de la lutte est très proche des interventions très concrètes du CCI dans les luttes ouvrières des années 1980. La GCF publie 3 tracts pour l’occasion : le 1er, le 2 et le 5 mai (cf. Internationalisme n° 22 du 15 mai 1947). Après la grève, la GCF s’oppose à la constitution d’un nouveau syndicat Renault dont les initiateurs sont les ancêtres du groupe trotskiste actuel Lutte ouvrière.
La GCF ne néglige pas de pousser les individus en rupture avec le trotskisme. En 1949, elle est en contact avec les éléments au sein du trotskisme qui vont former le groupe Socialisme ou barbarie. Le n° 43 d’Internationalisme rend compte de cela. Une discussion est organisée entre les deux groupes. La GCF choisit de faire un exposé sur les caractéristiques de la période : “La décadence du capitalisme et ses conséquences”, Socialisme ou barbarie sur “La perspective révolutionnaire et les tâches actuelles de l’avant-garde” (cf. Internationalisme n°45, 1950 et la revue Socialisme ou barbarie). Un autre contact est pris avec le groupe de Munis qui vient de rompre avec le trotskisme. Plusieurs réunions de discussions communes sont organisées. Un exposé important fait par la GCF à une de ces réunion est reproduit dans le n° 45 d’Internationalisme, “Caractérisation de la période actuelle” et “La perspective révolutionnaire et les tâches actuelles de l’avant-garde”.
Mais le bilan politique et théorique d’Internationalisme est encore plus fondamental. En partant de la thèse de la décadence du système capitaliste développée par Bilan à la suite de la IIIe internationale, des textes d’approfondissement théorique sont publiés notamment sur le capitalisme d’Etat et sur la question de l’Etat dans la période de transition à partir des acquis de Bilan et de la Fraction italienne. Dans ce dernier texte, il est défendu l’idée que la dictature du prolétariat doit s’exercer à travers des organes spécifiques et séparés de ceux de l’Etat (“Thèses sur la nature de l’Etat et la révolution prolétarienne”, Internationalisme n° 9, avril 1946). C’est une position capitale qui influencera fortement celles du CCI d’aujourd’hui (republiée dans la brochure la Période de transition, Tome 1). Sur la question du Parti, Internationalisme est aussi à l’avant-garde de la réflexion. La GCF fait une critique des positions erronées du léninisme sur le parti comme état-major de la classe en même temps qu’elle rejette de façon catégorique les positions du conseillisme qui aboutissent à nier le rôle fondamental du parti. Elle combat la constitution immédiate d’un nouveau parti considéré comme de l’aventurisme dans une période contre-révolutionnaire (ce qui était la position de la Fraction italienne dès sa fondation).
Indépendamment de ces textes, Internationalisme publie des études très importantes notamment la “Critique au texte de Pannekoek Lénine philosophe” (republié dans la Revue internationale du CCI nos 25, 27, 28, 30).
Mais en 1950-52, la période n’est plus aux illusions qui ont prévalu au sortir de la guerre. La période contre-révolutionnaire se perpétue et pèse de plus en plus. Cette situation touche fortement les organisations révolutionnaires : nous assistons à la scission entre la tendance Bordiga et celle de Damen en 1952 au sein du PCI, la disparition des RKD, des CR et de l’UCI ([16] [121]) en France, la dispersion de la FFGC (deuxième mouture) avec le départ de Chazé, Lastérade, Véga et de la majorité du groupe vers Socialisme ou barbarie et jusque dans les années 1960 vers le conseillisme et ICO ([17] [122]) pour certains.
La GCF n’est pas épargnée par cette dure période de “guerre froide” qui aboutit à la guerre de Corée. Elle ne publie que 4 numéros d’Internationalisme en 1950, un seul en 1951, et en 1952 c’est la dispersion.
“Pour certains de nos camarades, nous vivons dans un état de guerre imminente et la question qui se pose à l’analyse n’est pas d’étudier les facteurs donnés et agissant déjà – mais, bien au contraire, d’examiner pourquoi la troisième guerre mondiale n’a pas encore éclaté à l’échelle mondiale.”
“ (…) Dans cette situation de guerre imminente, la tâche la plus impérieuse est celle de la sauvegarde physique des militants que leur présence en Europe exposerait, dans ces conditions, à l’extermination. Ce qui signifie une certaine dislocation de notre groupe, ses militants se dispersant là où ils peuvent, mais avec l’objectif d’un regroupement ultérieur appuyé, dans l’immédiat, sur d’étroit contacts.” Voilà comment se termine l’éditorial du dernier numéro d’Internationalisme (n° 46).
Qu’a publié le groupe pendant toute cette période ? Il a publié l’Etincelle imprimée en 1945 (15 numéros) et Internationalisme ronéoté (46 numéros de 1945 à 1952). A partir de 1946 il ne publie plus qu’Internationalisme en 200 à 300 exemplaires car les moyens financiers font défaut, le financement ne provenant que de la poche des militants, et surtout parce que le groupe estime que ce n’est plus l’heure d’un journal d’agitation.
Qu’est ce qui a déterminé la fin du groupe ?
Dans le dernier éditorial d’Internationalisme, nous retrouvons le pendant d’une certaine surestimation d’un “cours nouveau” ; durant la guerre en 1943 il y avait surestimation de la force du prolétariat à aller vers des affrontements révolutionnaires et surtout sous-estimation de la bourgeoisie à répondre à cette situation (il est évident, mais a posteriori, que cette dernière a su réagir et ne s’est pas laissé surprendre par une vague révolutionnaire comme en 1917). En 1952, la GCF sous-estime la possibilité d’entraîner le prolétariat vers une nouvelle guerre impérialiste. Dans les arguments avancés qui sont “la tâche impérieuse (...) de la sauvegarde physique des militants que leur présence en Europe exposerait, dans ces conditions, à l’extermination” ([18] [123]), il n’est donné aucun argument du rapport de forces entre les classes et du niveau de conscience du prolétariat. Les seuls arguments sont économiques, stratégiques et le niveau de conscience politique des différentes bourgeoisies internationales.
En 1943, l’analyse générale était correcte ; elle marquait un changement de cours dans la guerre impérialiste qui avait entraîné des réactions prolétariennes. C’était donc le rôle des révolutionnaires de rester vigilants et prêts pour toute éventualité. L’analyse de fond, base de toute méthode marxiste, sur le cours aux affrontements de classe était juste, l’erreur se situait dans la compréhension de la nouvelle conjoncture. Et plus précisément, il a été négligé le fait que la bourgeoisie avait tiré des leçons du premier après-guerre et des possibilités d’un surgissement révolutionnaire du prolétariat dans les pays vaincus comme cela avait été le cas en 1870 pour la guerre franco-allemande, en 1905 et 1917 en Russie, en 1918 en Allemagne.
Il en est de même pour l’analyse de la situation dans les années 1950. L’analyse du cours toujours contre-révolutionnaire était correcte. Ce qui n’est pas bien analysé, c’est la nouvelle période et quels sont les rapports de force qui sont en jeu dans la nouvelle période de reconstruction. En fait, le capitalisme ne connaît plus d’arrêt du phénomène de la guerre, même de façon momentanée, comme dans les années 1920. Dans cette phase du capitalisme la guerre ne connaît plus de cesse et il en est ainsi depuis 1935 (quand on fait les comptes, aujourd’hui, le nombre de massacres et de destructions, depuis 1945, est plus important que ce qu’a coûté la Seconde Guerre mondiale à l’humanité).
Par ailleurs, la reconstruction a pris une nouvelle forme depuis 1945, l’Europe a assuré sa survie au prix du pillage et du ravage des pays de la périphérie. Le développement de l’armement n’a plus cessé depuis lors.
Au moment de la guerre de Corée, la tension entre les deux blocs atteint un paroxysme incroyable. Il y eut plus d’un million de morts. Mac Arthur envisageait l’utilisation de la bombe atomique contre la Chine. Aux Etats-Unis, la discussion sur l’emploi de la bombe atomique se déroulait ouvertement dans la presse et les conseillers de la Maison-Blanche (notamment Burnham, ancien trotskiste) disaient en substance : “qu’est ce qu’on attend pour l’utiliser préventivement, qu’on se rappelle la veille de la Seconde guerre où on avait laissé l’Allemagne se reconstruire”.
C’est pourquoi la vision d’Internationalisme n’avait rien de fondamentalement erroné par rapport à la situation de l’époque. C’est une erreur de compréhension de phénomènes nouveaux du capitalisme décadent.
Le groupe décide de mettre à l’abri certains camarades. Marc Chirik et Cl partent pour le Venezuela, Mousso pour l’Ile de la Réunion, Morel et Jean Malaquais aux Etats-Unis (ce dernier toujours en tant que “compagnon de route”). Il est décidé qu’un noyau se maintient à Paris pour conserver les liens et continuer le travail courant. Mais entre-temps Phil s’intègre à Socialisme ou barbarie, le dernier carré composé de Cousin-Serge Bricianer (décédé en septembre 1997) et Evrard, après avoir maintenu quelques temps une activité, évolue vers des positions conseillistes et dissout le groupe avant d’adhérer à Socialisme ou barbarie pour ne pas se retrouver isolé. Ainsi la GCF dispersée n’a plus la cohésion nécessaire pour assurer la publication d’Internationalisme, elle disparaît après 10 années d’existence. Une page de la lutte est définitivement tournée.
[1] [124]) Document publié dans Internationalisme n° 7, début 1946.
[2] [125]) Internationalisme n° 5.
[3] [126]) Ligne de démarcation voulue par les puissances capitalistes par peur d’une lutte généralisée de tous les prolétaires italiens. Churchill, Premier ministre anglais, avec beaucoup de lucidité, avait déclaré qu’il fallait laisser l’Italie “mijoter dans son jus” pendant un certain temps. La Révolution russe et les luttes insurrectionnelles de 1917-1922 ont été une leçon pour la bourgeoisie internationale qu’elle a su méditer.
[4] [127]) Cf. A. Peregalli et S. Saggioro “Amadeo Bordiga, gli anni oscuri (1926-1945)”, in Quaderni Pietro Tresso – Florence 1997.
[5] [128]) Bande son enregistrée et conservée par l’INA à la Maison de la Radio à Paris.
[6] [129]) N° 142 du mercredi 14 juin 1944, p 4.
[7] [130]) Ce dernier est membre de la Fraction italienne et appartient au Noyau.
[8] [131]) Comité créé pour lutter contre la dégénérescence de l’IC. Cf. notre livre sur la gauche Italienne, op. cit.
[9] [132]) Cf. le “compte rendu de la conférence”, p. 17 : “A la fin du débat, aucune divergence substantielle ne s’étant manifestée, la Plate-forme du Parti est acceptée et on renvoie au prochain Congrès la discussion du Schéma de programme [premier document élaboré en 1944 et cité ci-dessus] et des autres documents en élaboration.” Il est même spécifié plus loin que, malgré les divergences importantes manifestées sur la question syndicale, la thèse 12 est adoptée‑: “La Conférence, après une ample discussion du problème syndical, soumet à l’approbation générale le point 12 de la plate-forme politique du parti et donne mandat au CC d’élaborer un programme syndical conforme à cette orientation” (p. 24).
[10] [133]) Il faut noter que cette résolution est très mesurée car elle condamne la participation à la Coalition antifasciste mais juge que les principes n’ont pas été transgressés car celle-ci n’avait rien à voir avec les Comités de libération nationale.
[11] [134]) Les pseudo de Fred ou Frédéric sont ceux de Suzanne V.
[12] [135]) Cf. Annexe II de cette brochure.
[13] [136]) Cf. chapitre suivant.
[14] [137]) Scission du PCInt.
[15] [138]) Il s’agit du groupe dissident qui a rejoint le PCInt.
[16] [139]) Union des Communistes Internationalistes, autre groupe qui vient de scissionner d’avec le trotskisme.
[17] [140]) Informations et correspondance ouvrières.
[18] [141]) Internationalisme n°46, pages 1 et 2.
Chapitre IV
Pour le développement d’une aire de la Gauche communiste internationale, la Conférence de la Gauche communiste de 1947
Il peut
paraître arbitraire de faire un chapitre particulier autour de cette conférence
qui relève d’un autre domaine que les
chapitres précédants. Notre souci provient de la volonté politique de souligner
l’importance toute particulière qu’a revêtue cette Conférence internationale de
la Gauche communiste qui a permis à ses deux traditions de se rencontrer et de
commencer à discuter ensemble sur le fond des questions.
*
La Gauche communiste de France s’est faite le plus farouche partisan de la tenue de cette conférence internationale.
Malgré l’échec de la révolution attendue par les révolutionnaires après la Seconde Guerre mondiale (sur le modèle de la révolution russe et allemande après la guerre de 1914) et de la crise de la Gauche italienne qui s’en est suivi, la Gauche communiste de France ne se laisse pas abattre et elle puise dans une situation terriblement défavorable les bases d’un renforcement politique.
Pourquoi ? Comme la Fraction italienne dans les années 30, ces événements malheureux l’obligèrent à se recentrer sur l’essentiel : la réflexion politique et théorique, et continuer l’œuvre de la Fraction (FI) pour en faire un nouveau bilan critique. Ce faisant, elle a effectué des apports politiques inestimables : sur les questions du capitalisme d’Etat, de la décadence du capitalisme, de l’Etat dans la période de transition et sur la question du Parti.
Mais, ce qui aujourd’hui, nous semble être un aspect largement aussi important de son apport, mais bien souvent passé inaperçu, est la tenue de cette Conférence Internationale.
Comme Marx, Engels et tous les marxistes après eux, la GCF ne se considère pas comme le seul groupe révolutionnaire. La GCF a toujours considéré le débat, même polémique et sans concession entre révolutionnaires, comme fondamental pour faire progresser la théorie révolutionnaire. C’est la raison pour laquelle la GCF pousse à la discussion et à la confrontation entre tous les révolutionnaires. Cet effort a abouti à la Conférence de 1947.
Aujourd’hui, le CCI se reconnaît toujours dans cette attitude et dans cette méthode politique.
Le courrier de préparation de cette conférence et le bilan qu’en a fait Internationalisme revue de la GCF porte témoignage qu’elle a intégrée et faite sienne la méthode utilisée à la Conférence de 1933 par la Fraction italienne. Le CCI s’en revendique.
Le CCI a appris d’Internationalisme qu’il existe une Gauche communiste qui comprend deux rameaux essentiels : la Gauche italienne et la Gauche germano-hollandaise. C’est de l’expérience historique de ces deux courants que nous nous réclamons ainsi que de l’examen critique de leurs positions politiques et théoriques accomplie par Internationalisme et la GCF.
Nous publions les textes suivants :
1. Lettre de la GCF au Communistenbond Spartacus (Internationalisme no 23) ;
2. Le bilan de la Conférence (Internationalisme) ;
3. Rectificatif autour de la Conférence Internationale (Jober) ;
4. Lettre de la lettre de la GCF et Réponse de la Rédaction (Bulletin d’informations et de discussions internationales).
Texte no 1
Internationalisme n° 23, 1947
Lettre
de la GCF au Communistenbond Spartacus, Hollande
Chers camarades.
Nous avons reçu votre lettre du 18 mars nous faisant part de votre intention de convoquer une Conférence des groupes révolutionnaires de Hollande, Belgique et France.
Quoique n’ayant pas encore reçu votre document de discussion “Le nouveau Monde” (dont vous annoncez la traduction et l’envoi) nous déclarons immédiatement notre accord avec l’initiative prise par vous et notre volonté de faire que cette Conférence, à laquelle nous participerons, soit une rencontre fructueuse pour le mouvement ouvrier international.
Vous n’ignorez certainement pas que depuis juillet 1945, notre groupe a ressenti et a proclamé la nécessité d’une reprise des relations entre les groupes restés fidèles à la cause de l’émancipation du prolétariat.
La dégénérescence de l’Internationale communiste a vu surgir bien des groupes exprimant une réaction de classe contre l’opportunisme et la trahison. Mais le long cours réactionnaire qui a précédé la Seconde Guerre mondiale a eu raison de ces groupes, les a fourvoyés politiquement ou dispersés physiquement. La Seconde Guerre mondiale n’a fait qu’accentuer cette dispersion. Seuls, quelques petits groupes extrêmement faibles ont résisté à ce rouleau compresseur.
Il était naturel, d’autre part, que la monstruosité de la guerre ouvrît les yeux et fît resurgir de nouveaux militants révolutionnaires. C’est ainsi qu’en 1945 se sont formés, un peu partout, des petits groupes qui, malgré l’inévitable confusion et leur immaturité politique, présentaient néanmoins dans leur orientation des éléments sincères tendant à la reconstruction du mouvement révolutionnaire du prolétariat.
La Seconde Guerre mondiale ne s’est pas soldée comme la première par une vague de luttes révolutionnaires de la classe. Au contraire. Après quelques faibles tentatives, le prolétariat a essuyé une désastreuse défaite, ouvrant un cours général réactionnaire dans le monde. Dans ces conditions les faibles groupes qui ont surgi au dernier moment de la guerre risquent d’être emportés et disloqués. Ce processus peut déjà être constaté par l’affaiblissement de ces groupes un peu partout et par la disparition de certains autres, comme celle du groupe des Communistes révolutionnaires en France.
Cependant, l’existence et le développement de ces groupes dans leur ensemble, présente un intérêt certain, car ils sont incontestablement des manifestations de la vie de la classe et de son expression idéologique, avec tout ce qu’ils contiennent de tâtonnement et d’hésitation reflétant les difficultés réelles rencontrées par le prolétariat durant ces 30 dernières années. Dans une période comme la nôtre de réaction et de recul, il ne peut être question de constituer des partis et une Internationale, – comme le font les trotskistes et consorts – (car le bluff de telles constructions artificielles n’a jamais servi qu’à embrouiller un peu plus le cerveau des ouvriers). Il serait criminel de négliger l’effort de regroupement des militants révolutionnaires.
Aucun groupe ne possède en exclusivité la “vérité absolue et éternelle” et aucun groupe ne saurait résister par lui-même et isolément à la pression terrible du cours actuel. L’existence organique des groupes et leur développement idéologique sont directement conditionnés par les liaisons intergroupes qu’ils sauraient établir et par l’échange de vues, la confrontation des idées, la discussion qu’ils sauraient entretenir et développer à l’échelle internationale.
Cette tâche nous parait être de la première importance pour les militants à l’heure présente et c’est pourquoi nous nous sommes prononcés et sommes décidés à œuvrer et à soutenir tout effort tendant à l’établissement de contacts, à multiplier des rencontres et des conférences élargies.
Mais ici nous devons faire quelques observations :
L’objectif qu’on se propose d’atteindre est bien précis. Il ne s’agit pas de discussion en général, mais bien de rencontres qui permettent des discussions entre des groupes prolétariens révolutionnaires. Cela implique forcément des discriminations sur la base de critères politiques idéologiques. Il est absolument nécessaire, afin d’éviter les équivoques et afin de ne pas rester dans le vague, de préciser autant que possible ces critères.
En prenant l’initiative de la conférence, en invitant tel groupe ou tel autre, vous avez évidemment obéi vous aussi à des critères politiques et non à des appréciations sentimentales. Mais cela reste chez vous trop vague.
a) En éliminant le courant trotskiste, vous avez certainement tenu compte de son appréciation de l’Etat russe et de sa position de défense de cet Etat qui font du trotskisme un corps politique se situant hors du prolétariat. Nous partageons sur ce point votre façon de voir et estimons que l’attitude envers l’Etat russe doit être considérée comme un critère de délimitation. Mais au lieu d’être sous-entendu implicitement, nous croyons qu’on ferait mieux et un grand pas en avant, en l’affirmant explicitement.
b) Vous invitez par contre le Libertaire, c’est-à-dire la Fédération anarchiste française. Vous n’ignorez pas que les anarchistes français tout en considérant comme une “faute” la participation de leurs camarades espagnols au Gouvernement capitaliste 1936-38, n’ont jamais rompu avec eux ni dénoncé leur action comme trahison du prolétariat. Il ne s’agit pas simplement de la participation au gouvernement mais de toute une politique qui, partant du “Frente popular”, du front unique avec une fraction “démocratique” de la bourgeoisie contre une autre “fraction “réactionnaire”, “fasciste”, a fait de l’anarchisme un courant politique qui a participé sous l’étiquette de “l’antifascisme” à la guerre impérialiste en Espagne.
Ce sont les mêmes raisons politiques qui ont rendu possible la participation des anarchistes aux maquis de la Résistance en France, qui interdisaient à la Fédération de prendre position sur ce problème (c’est-à-dire à la participation à la guerre impérialiste tout court), en en faisant un problème de conscience individuelle.
“L’antifascisme” comme la “défense de l’URSS” ont servi et servent encore comme principaux moyens pour duper et rassembler le prolétariat sur le terrain du capitalisme. Nous estimons qu’il est nécessaire d’affirmer clairement que tout courant se rattachant à “l’antifascisme”, se rattachant à la défense du capitalisme et de son Etat, n’a pas sa place dans un rassemblement du prolétariat.
c) Il est à peine nécessaire d’insister que doivent être éliminées des rencontres et des conférences tous les groupes qui sous un quelconque prétexte idéologique (défense de l’URSS, de la démocratie, de l’antifascisme ou de libération nationale) ont effectivement participé d’une façon ou d’une autre à la guerre impérialiste de 1939-45.
De tels groupes, quelles qu’aient pu être leur origine et leur tendance initiale, ont été happés dans l’engrenage de l’idéologie capitaliste et ont cessé d’être des foyers de fermentation de formation de militants prolétariens.
d) Il est un point acquis pour le programme de classe du prolétariat : c’est la nécessité de la destruction violente de l’Etat capitaliste. La signification historique d’Octobre 1917, sa portée décisive réside dans la démarcation qu’elle a faite entre la position bourgeoise de maintien et de réforme de l’Etat capitaliste et la position du prolétariat luttant pour sa destruction. En ce sens, Octobre 1917 reste un critère fondamental de toute organisation se réclamant du prolétariat.
Ces quatre critères que nous venons d’énoncer n’ont pas pour but de résoudre les problèmes se posant au prolétariat pour son émancipation ni de définir les tâches propres aux groupes révolutionnaires. Ces quatre critères ne font que marquer les frontières de classe, séparant le prolétariat du capitalisme.
Seules les rencontres entre les groupes se trouvant sur la base de ces critères, c’est-à-dire sur la base de classe du prolétariat, peuvent présenter un réel intérêt, et la discussion peut être une œuvre utile et féconde pour la renaissance du mouvement révolutionnaire international.
Salutations révolutionnaires,
Gauche communiste de France
Texte no 2
Le bilan de la Conférence par Internationalisme
Une Conférence internationale des groupements révolutionnaires
Les 25 et 26 mai s’est réunie une Conférence Internationale de contact des groupements révolutionnaires. Ce ne fut pas uniquement pour des raisons de sécurité que cette Conférence ne fut pas annoncée tambour battant à la mode stalinienne et socialiste. Les participants à la Conférence avaient profondément conscience de 1a terrible période de réaction que traverse présentement le prolétariat, et de leur propre isolement inévitable en période de réaction sociale – aussi ne se livrèrent-ils pas aux bluffs spectaculaires tant goûtés, d’ailleurs de fort mauvais goût, de tous les groupements trotskistes.
Cette Conférence ne s’est fixé aucun objectif concret immédiat impossible à réaliser dans la situation présente, ni une formation artificielle d’Internationale, ni des proclamations incendiaires au prolétariat.
Elle n’avait uniquement pour but qu’une première prise de contact entre les groupes révolutionnaires dispersés, la confrontation de leurs idées respectives sur la situation présente et les perspectives de la lutte émancipatrice du prolétariat.
En prenant l’initiative de cette Conférence, le Communistenbond “Spartacus” de Hollande, mieux connu sous le nom de Communistes de conseils ([1] [142]), a rompu l’isolement néfaste dans lequel vivent la plupart des groupes révolutionnaires et a rendu possible la clarification d’un certain nombre de questions.
Les Participants
Les groupes suivants furent représentés à la Conférence et ont pris part au débat :
– Hollande : le Communistenbond “Spartacus” ;
– Belgique : les groupes apparentés au “Spartacus” de Bruxelles et de Gand. La Fraction belge de la GCI ;
– France : la Gauche communiste de France. Le groupe du Prolétaire ;
– Suisse : le groupe Lutte de classe.
En outre, quelques camarades révolutionnaires n’appartenant à aucun groupe participèrent directement, par leur présence ou par l’envoi d’interventions écrites, aux débats de la Conférence.
Notons encore une longue lettre du “Parti socialiste de Grande-Bretagne” adressée à la Conférence et dans laquelle il a expliqué longuement ses positions politiques particulières.
La FFGC a également fait parvenir une courte lettre dans laquelle elle souhaite “bon travail” à la Conférence mais à laquelle elle s’excuse de ne pouvoir participer à cause du manque de temps, d’occupations urgentes ([2] [143]).
Le travail de la Conférence
L’ordre du jour suivant fut adopté comme plan de discussion à la Conférence :
l. L’époque actuelle.
2. Les formes nouvelles de lutte du prolétariat (des formes anciennes aux formes nouvelles).
3. Tâches et organisation de l’avant-garde révolutionnaire.
4. Etat-Dictature du prolétariat-Démocratie ouvrière.
5. Questions concrètes et conclusions. (accord de solidarité internationale, contacts, information internationale, etc.).
Cet ordre du jour s’est avéré bien trop chargé pour pouvoir être épuisé par cette première Conférence insuffisamment préparée et trop limitée par le temps.
N’ont été effectivement abordés que les trois premiers points à l’ordre du jour. Chaque point à donné lieu à d’intéressants échanges de vues.
Il serait évidemment présomptueux de prétendre que cet échange de vues a abouti à une unanimité. Les participants à la Conférence n’ont jamais émis une telle prétention. Cependant, on peut affirmer que les débats parfois passionnés ont révélé une plus grande communauté d’idées qu’on n’aurait pu le soupçonner.
Sur le premier point de l’ordre du jour comprenant l’analyse générale de l’époque présente du capitalisme, la majorité des interventions rejetait aussi bien les théories de Burnham sur l’éventualité d’une révolution et d’une société directoriale, que celle de la continuation de la société capitaliste par un développement possible de la production. L’époque présente fut définie comme étant celle du capitalisme décadent, de la crise permanente, trouvant dans le capitalisme d’Etat son expression structurelle et politique.
La question de savoir si les syndicats et la participation aux campagnes électorales en tant que forme d’organisation et d’action pouvaient encore être utilisés par le prolétariat dans la période présente a donné lieu à un débat animé et fort intéressant. Il est regrettable que les tendances qui préconisent encore ces formes de la lutte de classe, sans se rendre compte que ces formes dépassées et périmées ne peuvent exprimer aujourd’hui qu’un contenu antiprolétarien et tout particulièrement le PCI d’Italie, ne furent pas présentes à la Conférence pour défendre leur position. Il y avait bien la Fraction belge et la Fédération autonome de Turin, mais la conviction de ces groupes dans cette politique qui était leur, récemment, est à ce point ébranlée et incertaine qu’ils ont préféré garder le silence sur ce point.
Le débat portait donc, non sur une défense possible du syndicalisme et de la participation électorale en tant qu’armes de lutte du prolétariat, mais exclusivement sur les raisons historiques, sur le pourquoi de l’impossibilité de l’utilisation de ces formes de lutte dans la période présente. Ainsi des syndicats, le débat s’est élargi et la discussion a porté non seulement sur la forme organisationnelle en général, qui, en somme, n’est qu’un aspect secondaire, mais a mis en question les objectifs qui la déterminent – la lutte pour des revendications économiques corporatistes et partielles, dans les conditions présentes du capitalisme décadent ne peuvent être réalisés et encore moins servir de plate-forme de mobilisation de la classe.
La question de comités ou conseils d’usine comme forme nouvelle d’organisation unitaire des ouvriers acquiert sa pleine signification et devient compréhensible en liaison étroite et inséparable avec les objectifs qui se posent aujourd’hui au prolétariat : les objectifs sont non de réformes économiques dans le cadre du régime capitaliste, mais de transformations sociales contre le régime capitaliste.
Le troisième point : les tâches et l’organisation de l’avant-garde révolutionnaire, qui posent les problèmes de la nécessité ou non de la constitution d’un parti politique de classe, du rôle de ce parti dans la lutte émancipatrice de la classe et des rapports entre la classe et le parti, n’a malheureusement pas pu être approfondi comme il aurait été souhaitable.
Une brève discussion n’a permis aux différentes tendances que d’exposer dans les grandes lignes leurs positions sur ce point. Tout le monde sentait pourtant qu’on touchait là une question décisive aussi bien pour un éventuel rapprochement des divers groupes révolutionnaires que pour l’avenir et les succès du prolétariat dans sa lutte pour la destruction de la société capitaliste et l’instauration du socialisme. Cette question, à notre avis fondamentale, n’a été qu’à peine effleurée et demandera encore des discussions pour l’approfondir et la préciser. Mais il est important de signaler que déjà à cette Conférence, il est apparu que si des divergences existaient sur l’importance du rôle d’une organisation de militants révolutionnaires conscients, les Communistes de conseil pas plus que les autres ne niaient la nécessité même de l’existence d’une telle organisation, qu’on l’appelle Parti ou autrement, pour le triomphe final du socialisme. C’est là un point commun qu’on ne saurait trop souligner.
Le temps manquait à la Conférence pour aborder les autres points de l’ordre du jour. Une courte discussion très significative a eu encore lieu, vers la fin, sur la nature et la fonction du mouvement anarchiste. C’est à l’occasion de la discussion sur les groupes à inviter dans de prochaines conférences que nous avons pu mettre en évidence le rôle social-patriote du mouvement anarchiste, en dépit de sa phraséologie révolutionnaire creuse, dans la guerre 1939-45, leur participation à la lutte partisane pour la Libération “nationale et démocratique” en France, en Italie et actuellement encore en Espagne, suite logique de leur participation dans le Gouvernement bourgeois “républicain et antifasciste”, et dans la guerre impérialiste en Espagne en 1936-38.
Notre position : que le mouvement anarchiste aussi bien que les trotskistes ou toute autre tendance qui participa ou participe à la guerre impérialiste au nom de la défense d’un pays (défense de la Russie) ou d’une forme de domination bourgeoise contre une autre (défense de la République et de la démocratie contre le fascisme) n’avait pas de place dans une Conférence des groupes révolutionnaires fut soutenue par une majorité des participants. Seul le représentant du Prolétaire se faisait l’avocat de l’invitation de certaines tendances non orthodoxes de l’anarchisme et du trotskisme.
Conclusion
La Conférence s’est terminée comme nous l’avons dit sans avoir épuisé l’ordre du jour, sans avoir pris aucune décision pratique, et sans avoir voté de résolution d’aucune sorte. Il ne pouvait en être autrement. Cela, non pas tant comme le disaient certains camarades pour ne pas reproduire le cérémonial religieux de toute Conférence et consistant dans le vote final obligatoire de résolutions qui ne signifient pas grand chose, mais à notre avis parce que les discussions ne furent pas suffisamment avancées pour permettre et justifier le vote de résolution quelconque.
Alors, la Conférence ne fut qu’une réunion de discussion habituelle et ne présente pas autrement d’intérêt, penseront certains malins ou sceptiques. Rien ne serait plus faux. Au contraire, nous considérons que la Conférence a eu un intérêt et que son importance ne manquera pas de se faire sentir à l’avenir sur les rapports entre les divers groupes révolutionnaires. Il faut se souvenir que depuis 20 ans, ces groupes vivent isolés, cloisonnés, repliés sur eux-mêmes, ce qui a inévitablement produit chez chacun des tendances à un esprit de chapelle et de secte, que tant d’années d’isolement ont déterminé dans chaque groupe une façon de penser, de raisonner et de s’exprimer qui le rend souvent incompréhensible aux autres groupes. C’est là non la moindre des raisons de tant de malentendus et d’incompréhensions entre les groupes. C’est surtout la nécessité de se rendre soi-même perméable aux idées et arguments des autres et de soumettre ses idées propres à la critique des autres. C’est là une condition essentielle de non encroûtement dogmatique et du continuel développement de la pensée révolutionnaire vivante qui donne tout l’intérêt à ce genre de Conférence.
Le premier pas, le moins brillant mais le plus difficile, est fait. Tous les participants à la Conférence, y compris la Fraction belge qui n’a consenti à participer qu’après bien des hésitations et beaucoup de scepticisme ont exprimé leur satisfaction et se sont félicités de l’atmosphère fraternelle et de la discussion sérieuse. Tous ont également exprimé le vœu d’une convocation, prochaine pour une nouvelle conférence plus élargie et mieux préparée pour continuer la travail de clarification et de confrontation commune.
C’est là un résultat positif qui permet d’espérer qu’en persévérant dans cette voie, les militants et groupes révolutionnaires sauront dépasser le stade actuel de la dispersion et parviendront ainsi à œuvrer plus efficacement pour l’émancipation de leur classe qui a la mission de sauver l’humanité tout entière de la terrible destruction sanglante que prépare et dans laquelle l’entraîne le capitalisme décadent.
Marco
Texte no 3
RECTIFICATIF
autour de la Conférence internationale de
contact
Nous avons reçu du camarade Jober la rectification suivante. C’est avec plaisir que nous la publions d’autant plus que dans le compte rendu de Marco de la Conférence, il était fait expressément mention de la délégation de la Fédération autonome de Turin. C’est uniquement à la suite d’une erreur de dactylo que tout ce passage a été omis.
“Dans votre relation sur la Conférence internationale de contact, vous avez oublié de citer parmi les participants la section Autonome du PCI de Turin ; le seul organisme qui a envoyé adhésion et délégation officielle. Le camarade Marco mélange les positions théoriques de la Fraction belge avec celles du groupe de Turin. La vérité est que la Fraction belge maintient intégralement les positions bordiguistes ; au contraire, la section de Turin s’est déclarée autonome précisément pour les divergences sur la question électorale et sur la question clé de l’unité des forces révolutionnaires du prolétariat. L’ample relation traduite en français et distribuée à chaque groupe – même incomplète – peut éclairer les camarades à ce sujet. Le délégué de Turin n’a pas abusé du temps précieux et limité sur la discussion du point 2 n’ayant aucun mandat impératif ; mais dans toutes ses brèves interventions, il a suffisamment manifesté la nécessité de l’action directe intransigeante de classe, unique chemin pour le redressement du mouvement révolutionnaire du prolétariat.
“L’exemple pratique de l’initiative de la section de Turin avec le groupe autonome anarchiste est significatif. Pour témoignage de mes assertions, même sur la question syndicale, je vous cite les conclusions de la relation de Turin : – nous avons la confiance que cette conférence nous apportera les éclaircissements nécessaires sur toutes les questions qui intéressent l’organisation du prolétariat (ce n’est pas la position de la Fraction belge ni du PCI) et qu’il nous sera possible d’arriver à une complète entente. Une autre précision reste à faire : il est exact que les anarchistes n’ont pas adhéré officiellement, mais il ne faut pas oublier qu’un anarchiste a présidé la Conférence.
“Avec ma foi révolutionnaire,
JOBER”
Textes no 4
BULLETIN
D’INFORMATIONS
ET DE DISCUSSIONS INTERNATIONALES
édité par le Groupe des communistes de conseils – Hollande,
1er nov. 1947 – N° 1
Ce Bulletin comprend deux textes : la “Lettre de la GCF” et une “Réponse” à cette lettre.
1. – Réponse à la lettre de la Gauche communiste de France
La parution de ce Bulletin d’informations et de discussions internationales est une réponse pratique à la lettre de la GCF. Nous avons l’espoir que beaucoup de camarades ou même des groupes seront intéressés à participer à la discussion en vue de la préparation de la prochaine conférence. Les camarades ou les groupes sont priés de faire connaître le nombre d’exemplaires de chaque numéro qu’ils désirent avoir. Vu que l’envoi des fonds est pratiquement impossible ; nous prions les abonnés de garder l’argent jusqu’à la prochaine réunion.
Les articles devront être rédigés aussi brièvement et simplement que possible.
La rédaction du “Bulletin”
2. – Lettre de la Gauche communiste de France
(octobre 1947)
Chers camarades,
A la conférence de contact des groupes révolutionnaires tenue à la Pentecôte, il était ressorti la nécessité de préparer une nouvelle conférence permettant, en plus de la discussion générale, une plus grande liaison idéologique entre les différents groupes révolutionnaires.
C’est en voulant préciser et mettre en application ce vœu de la Conférence de la Pentecôte, que la Gauche communiste de France s’adresse à vous [pour vous] prier de prendre en main l’organisation technique d’une nouvelle conférence.
Si la précédente conférence a réuni des groupes révolutionnaires ayant des points idéologiques communs sans qu’ils aient été formulés, il est aujourd’hui impossible de réunir une conférence sans que celle-ci se pose sur une base commune de discussions. Il n’est pas dans nos intentions d’éliminer certains groupes et certains militants isolés, mais nous pensons qu’une base affective ne suffit pas pour réunir une nouvelle conférence de contact.
La base de discussion n’est pas une série de critères permettant l’élimination ou l’admissibilité des groupes à cette conférence, elle n’exprime que la nécessité qu’une telle conférence soit une véritable “praxis” révolutionnaire. Rejetant le dilettantisme dans la discussion de certains groupes ou individualités, nous entendons que cette conférence soit le préliminaire d’une sérieuse discussion politique en vue de la lutte de classe du prolétariat vers le socialisme.
Les groupes qui sont susceptibles ou ont le désir de participer à cette conférence se posent comme points communs :
1. La volonté d’œuvrer et de lutter en vue de la révolution du prolétariat, par la destruction violente de l’Etat capitaliste pour l’instauration du socialisme.
2. La condamnation de toute acceptation ou participation à la Seconde Guerre impérialiste avec tout ce qu’elle a pu comporter de corruption idéologique de la classe ouvrière, telle les idéologies fascistes et antifascistes ainsi que leurs appendices sociaux : le maquis, les libérations nationales et coloniales, leur aspect politique : la défense de l’URSS, des démocraties, du national socialisme européen.
Cette condamnation se rapporte aussi sur toute guerre impérialiste qui pourrait éclater entre le bloc américain et le bloc russe.
Hors de cette base commune de discussion, la conférence se perdra dans sa signification politique et sa tâche révolutionnaire.
Ordre du jour des discussions
Après près de six ans d’arrêt de toute discussion internationale, l’ordre du jour de cette conférence sera particulièrement chargé vu les nouvelles théories bourgeoises, lesquelles ont considérablement interféré avec les vieux principes révolutionnaires. Celui que nous proposons sera le plus large possible et en même temps permettra à tous les participants de faire connaître les enseignements qu’ils ont tirés de la lutte de classe de ces 30 dernières années.
1. Analyse de la situation politique sociale et économique du capitalisme moderne (totalitarisme, capitalisme d’Etat, techno-bureaucratie).
2. Le mouvement ouvrier actuel, sa nature de classe, nature et signification de ses divers mouvements économiques, sociaux et politiques (syndicats, lutte extra-syndicale, lutte à objectifs sociaux, lutte pour les nationalisations).
3. Signification et tâches des groupes révolutionnaires dans la lutte de classe et dans la révolution (notions du parti prolétarien et post-révolutionnaire).
4. Base politique sociale et économique de l’édification de la société socialiste. Problème de la gestion socialiste et de l’Etat post-révolutionnaire.
Nous précisons que cet ordre du jour n’est que proposé, seule la Conférence pourra décider de l’ordre du jour à adopter.
Il demeure certains points techniques qu’il s’agit de régler très vite. Nous vous proposons donc d’écrire les rapports de l’ordre du jour que vous réunirez dans un bulletin. Donc, chaque mois jusqu’à la Conférence, un bulletin paraîtra contenant les rapports de discussions des différents groupes sur les points à l’ordre du jour. Vous en aurez la charge, dans ce qui est de réunir les différents documents de discussion et d’expédier les bulletins aux groupes ou militants qui y participeront. Comme cet aspect technique de la Conférence nécessitera une dépense financière trop lourde, nous acceptons de participer aux frais dès maintenant. Il sera présenté à la Conférence un bilan des dépenses de publication, lesquelles dépenses seront supportées par tous les participants.
Nous émettons le vœu que cette Conférence soit très sérieusement préparée pour donner des résultats féconds et indispensables pour la lutte de classe à venir.
Avec nos salutations communistes,
La Gauche communiste de France
[1] [144]) Nous trouvons dans le Libertaire du 29‑mai 1947 un article fantaisiste sur cette‑Conférence. L’auteur qui signe AP et qui passe dans le Libertaire pour le spécialiste en histoire du mouvement ouvrier communiste, prend vraiment trop de‑liberté avec l’histoire. Ainsi représente-t-il cette Conférence à laquelle il n’a pas assisté et dont il ne sait absolument rien‑comme une Conférence des Communistes des conseils, alors que ces derniers, qui l’ont effectivement convoquée, participaient au même titre que toute autre tendance.
AP ne se contente pas seulement de prendre de la liberté avec l'histoire passée mais il se croit autorisé d'écrire, au passé, l'histoire à venir. A la manière de ces journalistes qui ont décrit à l'avance avec force détails la pendaison de Goering, sans supposer que ce dernier aurait le mauvais goût de se suicider à la dernière minute, l'historien du Libertaire AP annonce la participation à la Conférence des groupes anarchistes alors qu'il n'en est rien.
Il est exact que le Libertaire fut invité à assister, mais il s’est abstenu de venir et à notre avis avec raison. La participation des anarchistes au Gouvernement républicain et à la guerre impérialiste en Espagne en 1936-38, la continuation de leur politique de collaboration de classe avec toutes les formations politiques bourgeoises espagnoles dans l’émigration, sous prétexte de lutte contre le fascisme et contre Franco, la participation idéologique et physique des anarchistes dans la “Résistance” contre l’occupation “étrangère” font d’eux en tant que mouvement un courant absolument étranger à la lutte révolutionnaire du prolétariat. Le mouvement anarchiste n'avait donc pas sa place à cette Conférence et son invitation eut été en tout état de cause une erreur.
[2] [145]) Les “occupations urgentes” de la FFGC dénotent bien son état d’esprit concernant les rapports avec les autres groupes révolutionnaires. De quoi souffre exactement la FFGC, du “manque de temps” ou du manque d’intérêt et de compréhension pour les contacts et les discussions entre les groupes révolutionnaires ? A moins que ce ne soit son manque de politique suivie (à la fois pour et contre la participation aux élections, pour et contre le travail dans les syndicats, pour et contre la participation aux comités antifascistes, etc.) qui la gêne à venir confronter ses positions avec celles des autres groupes.
Annexe I
Avril 1933
Bulletin préparatoire de la Conférence politique de l’Opposition communiste de gauche
(organisée par le groupe de la banlieue ouest)
SOMMAIRE
1. L’invitation à la Conférence
2. Les réponses des groupes et individualités
3. Les décisions du Comité intergroupes de préparation de la Conférence
4. Lettre du camarade Treint
5. Note
6. Rapport de la Gauche communiste sur la question russe
7. Les rapports de l’opposition de gauche avec les partis staliniens (Gauche communiste)
8. Résolution du groupe de la banlieue ouest sur la question russe
9. La conquête des masses – Contribution à la discussion (Fraction de gauche)
10.
Résolution du groupe de la banlieue ouest sur les rapports de l’avant-garde
communiste et les masses
Ajouts :
– Vers la construction d’une véritable Fraction de gauche en France (La Fédération parisienne de la Fraction de gauche du P.C.I. - mai 1933).
– Contribution de la fédération parisienne de la Fraction de gauche du P.C.I. à la Conférence d’unification des groupes communistes de gauche.
LA CIRCULAIRE D’INVITATION
À LA CONFÉRENCE
Groupe de l’Opposition communiste de gauche de la banlieue ouest (ancien 15e rayon)
Courbevoie, le 19 janvier 1933
A tous les communistes oppositionnels de gauche
Aux organisations oppositionnelles :
– Secrétariat international
– Ligue communiste
– Gauche communiste
– Fraction de gauche
– Fraction de gauche du P.C.I.
– Nouvelle opposition italienne
Camarades,
La situation politique internationale et la carence de l’I.C. mettent les oppositionnels devant de lourdes responsabilités. Il nous semble inutile d’insister sur ce point.
Cependant, ce qu’on peut encore appeler l’avant-garde communiste du prolétariat, est actuellement dans un état de division extrême, organiquement et politiquement.
Chaque oppositionnel comprendra la nécessité d’un regroupement de l’avant-garde communiste. Chaque oppositionnel se convaincra également de l’utilité actuelle d’une clarification idéologique, rendue indispensable par l’affaiblissement politique de l’IC et l’impuissance de l’Opposition de gauche depuis plusieurs années.
Mais de nombreuses frictions de toute nature opposent les divers groupes oppositionnels, chacun ayant malgré cela le vif désir de regrouper l’avant-garde communiste du prolétariat.
Notre groupe sollicité par la Fraction de gauche pour une conférence d’unification de l’Opposition communiste de gauche, par la Gauche communiste pour une même conférence, par la Ligue communiste pour participer à sa Conférence nationale élargie, constate l’existence d’un fort courant vers un regroupement ayant pour base une discussion préalable.
Ayant, il y a trois ans, pris l’initiative d’une Conférence d’unification, notre groupe croit devoir prendre à nouveau la responsabilité de proposer à tous les groupes de l’Opposition de gauche de préparer une Conférence politique de l’Opposition communiste.
Nous ne voulons en aucune façon anticiper sur les résultats organiques d’une telle Conférence, mais c’est bien cependant dans le but de réaliser un regroupement de l’avant-garde communiste sur la base d’une large clarification idéologique que nous prenons la responsabilité d’organiser cette Conférence.
Nous ferons tout ce qui sera en notre pouvoir pour faire qu’à cette Conférence la confrontation des points de vue de chacun se fasse avec toutes les garanties de liberté d’expression.
D’ailleurs, pour que la préparation puisse s’effectuer dans les meilleures conditions, nous proposons que chaque groupe discute des questions que nous mettons en avant comme devant former l’ordre du jour de la Conférence, puis élabore des documents qui seront transmis aux autres groupes à l’aide d’un bulletin de discussion publié sous notre responsabilité et sous le contrôle d’un délégué de chacun des groupes oppositionnels.
Des échanges de vue que nous avons déjà pu avoir avec les camarades des groupes invités, il apparaît que les questions les plus importantes qui nécessitent une discussion immédiate sont :
1. La politique de masses de l’avant-garde communiste.
2. Appréciation du régime soviétique et de ce qu’est devenue la dictature du prolétariat en URSS.
3. Appréciation de l’IC et de ses perspectives politiques. Comment réaliser le redressement communiste.
Mais nous tenons à insister sur la nécessité pour chaque groupe d’apporter tous ses efforts à la discussion sur le premier point qui nous paraît le plus important et qu’il est indispensable de clarifier rapidement.
En effet, il nous est apparu que la principale caractéristique du mouvement oppositionnel c’est que, comme le parti, il est coupé des masses (nous faisons exception pour des groupes comme la Fédération de Charleroi dont l’expérience et l’activité actuelle sont riches d’enseignements).
Or, le regroupement de l’avant-garde communiste et la clarification idéologique qui doit accompagner ce regroupement ne peuvent se faire qu’au travers d’un travail militant effectif dans les masses.
Les bases de ce travail militant restent à déterminer en utilisant pour cela les enseignements que l’on peut tirer des erreurs de l’IC et de l’Opposition et de l’expérience de quelques groupes liés solidement à la classe ouvrière et à ses luttes.
Ces quelques considérations montrent bien que les formes du regroupement nécessaire de l’avant-garde communiste sont fonction d’un travail militant conséquent et d’une clarification idéologique que la Conférence à laquelle nous vous convions et même simplement sa préparation faciliteront considérablement.
Notre groupe estime qu’au moins six semaines sont nécessaires à la discussion des trois questions de l’ordre du jour, que six autres semaines seront nécessaires à la discussion de documents élaborés par chaque groupe et publiés dans le bulletin de discussion, ce qui met à environ trois mois la tenue de la Conférence (la date précise de celle-ci sera fixée en accord avec les différents groupes).
Nous détaillons ci-après les questions de l’ordre du jour en demandant à chaque groupe de s’efforcer de ne négliger aucune des questions soulevées par la précision des schémas, en particulier en ce qui concerne le premier point.
Afin de faciliter la discussion dans chaque groupe et pour toucher les militants communistes oppositionnels isolés, nous diffuserons cette lettre le plus largement possible, et nous vous demandons de bien vouloir la publier dans votre organe.
Notre groupe vous demande également de nous donner rapidement une réponse à nos propositions.
Nous avons le vif espoir que celle-ci sera affirmative.
Salutations communistes.
LES RÉPONSES DES GROUPES ET INDIVIDUALITÉS INVITÉS
Gauche communiste
Paris, le 27 janvier 1933
Chers camarades,
Notre groupe de la Gauche communiste a discuté à sa dernière réunion de votre lettre concernant vos propositions. Le groupe de la Gauche communiste se déclare d’accord et accepte à l’unanimité de participer à votre tentative d’unification et mettra tout en œuvre pour vous aider à cette réalisation. Nous espérons que l’unification en France sera la préface d’une Conférence internationale.
En ce qui concerne le schéma, nous pensons qu’il y a un trop grand nombre de questions, aussi notre groupe a décidé de concentrer le maximum de vos points en trois documents, à savoir :
1. Le travail syndical et le contact avec les masses.
2. Question russe et dictature du prolétariat.
3. Fraction ou 2e parti ? Appréciation de l’IC. L’Opposition de gauche et son régime intérieur.
Nous pensons que vous ne verrez pas d’inconvénients à cette méthode, puisque nos documents suivront d’assez près l’ensemble de votre schéma.
Inutile de vous rappeler, chers camarades, que nous insisterons sur le rôle de l’Opposition et son régime intérieur.
Nos fraternels saluts communistes
Votre lettre sera insérée dans notre prochain bulletin.
Fraction de gauche
Paris le 2 février 1933
Chers camarades,
Notre groupe s’est déclaré d’accord avec l’ensemble des considérations contenues dans votre lettre du 19 janvier 1933. D’ailleurs, vous n’avez fait que concrétiser sous de nouvelles formules les propositions que nous avons faites récemment et relatives à l’unification des forces oppositionnelles de gauche, c’est dire d’avance que nous acceptons vos propositions.
Toutefois notre groupe pense que, pour faire avancer la discussion et résoudre les difficultés qui demeurent, il serait utile de compléter la discussion qui se manifestera dans le bulletin publié sous le contrôle des différents groupes, par une série de conférences dont l’horaire pourrait être fixé d’un commun accord. Il est incontestable que le contact direct entre les militants aplanirait bien des difficultés et que certaines divergences pourraient être plus vite et plus aisément effacées.
Veuillez donc réfléchir avec soin aux propositions que notre groupe vous soumet et nous dire quelles suites selon vous elles paraissent comporter.
Recevez, chers camarades, nos salutations communistes.
Fraction de gauche du P.C.I.
Fédération de la région parisienne
Paris, le 2 février 1933
Chers camarades,
Nous avons reçu votre circulaire du 19 janvier nous invitant à participer à votre initiative pour l’unification des groupes de gauche existant en France.
Dès qu’elle a été entre nos mains, nous l’avons transmise à notre Commission exécutive avec la recommandation de vous faire une réponse le plus tôt possible. Nous attendons cette réponse et nous vous la ferons parvenir aussitôt.
Pour vous faciliter la compréhension de la position de notre fraction sur les problèmes qui font l’objet de votre initiative, nous vous envoyons quelques documents que notre fraction avait présentés soit à la Ligue, soit au Secrétariat international et au camarade Trotsky.
N’ayant suivi votre groupe dans son activité politique que d’une façon fort irrégulière, nous désirerions avoir une collection de votre bulletin pour nous faire une idée sommaire des positions politiques qui sont à la base de votre activité.
Dans l’attente d’avoir de vos nouvelles, recevez, chers camarades, nos salutations communistes.
Fraction de gauche du P.C.I.
Commission Exécutive
Chers camarades,
Tout d’abord, notre fraction salue l’initiative que vous avez prise pour déterminer une unification des groupes se réclamant de l’Opposition de gauche en France.
Ainsi que vous, nous concevons ce regroupement en fonction de la clarification des questions politiques, cette clarification pouvant seule déterminer les bases de l’unification de demain.
Avant tout, il nous paraît devoir caractériser ainsi la poussée que vous constatez pour l’unification : chaque groupe constate que toutes les séparations qui se sont vérifiées jusqu’à maintenant n’ont pas déterminé de frontières politiques de principe. Le courant pour l’unification prouve que chaque groupe à lui seul constate ne pas pouvoir offrir les bases politiques pour la fraction de gauche, et veut déterminer ces bases par la confrontation des différentes positions politiques des différents courants politiques, lesquels expriment, en définitive, un courant du mouvement prolétarien lui-même, un degré donné des expériences de classe du prolétariat français.
Nous croyons aussi qu’il faudra, dès maintenant, comprendre la signification de cette poussée vers l’unification dans le sens d’une réaction très ferme à ces mœurs qui ont prévalu en France, de perpétuel sectionnement des groupes et des groupuscules, dans le sens d’un appel au sens de responsabilité de tous les militants qui paraissent encore jouer avec les scissions et les problèmes de l’organisation prolétarienne. Les scissions qui se sont vérifiées jusqu’alors n’ont rien résolu et la preuve en est dans le fait que chaque segment demande aujourd’hui à rétablir l’unité.
Que ce soit un groupe à base nettement prolétarienne qui ait pris l’initiative de l’unification, voilà une garantie pour le travail que l’on va aborder. Nous croyons devoir insister tout particulièrement sur la responsabilité de cette initiative et de ce travail. Il faut à tout prix suivre un chemin permettant la clarification politique, car un nouvel échec dans cette direction finirait par compromettre pour longtemps la lutte du prolétariat français pour la révolution communiste.
La présence de la Ligue permettra enfin une confrontation des positions politiques et permettra aussi de discerner les raisons qui ont fait de cette Ligue le théâtre des scissions et des aventures politiques et organisatoires. Ceci dit, nous allons vous soumettre les conditions qui nous paraissent essentielles pour un travail utile et qui expriment l’expérience du travail de longue haleine auquel notre fraction s’est attelée depuis longtemps.
La clarification politique n’est possible qu’à la condition de forger l’organisme politique approprié.
Il nous paraît que jusqu’à maintenant toutes les discussions politiques entre les différents groupes en France, et au sein de chaque groupe, ne pouvaient nullement aboutir à des conclusions utiles, du fait que chaque individualité croyait pouvoir faire dépendre la clarification politique de son propre jugement personnel. Par contre, la discussion, dans sa signification marxiste, n’est possible qu’à la condition qu’elle reflète, qu’elle exprime l’expérience des organismes agissant en connexion avec le mouvement de la lutte des classes. Ainsi le tableau des discussions que vous avez annexé à votre lettre du 19 janvier ne conduirait à rien de positif ni de définitif s’il devait devenir une sorte de palestre où toutes les opinions des militants se propageraient sans aucune direction précise. A notre avis, au contraire, il faut, avant tout, établir que la discussion doit s’orienter dans un but bien déterminé : celui d’indiquer la nature de l’organisme à créer. Et à ce sujet, ou bien il faudra suivre la tradition du mouvement politique du prolétariat et aux formes spécifiques que nous connaissons : opposition, fraction, 2e parti, ou bien prouver que les conditions actuelles de la crise communiste obligent le retour aux formes de l’organisation précédente au Manifeste communiste, c’est-à-dire aux “groupes”, aux “ligues”, etc.
A notre avis donc, le premier point sur lequel la confrontation politique devrait avoir lieu est celui-ci : “quel organisme doit-il ressortir de l’unification ?”. Et à ce sujet évidemment, il faudrait faire confluer l’examen de toutes les questions politiques à la détermination de l’organisme qui doit résulter de l’unification préconisée.
Opposition, fraction ou 2e parti, ceci nous paraît devoir être l’objet essentiel des discussions.
Les bases politiques de l’organisme
Avec la détermination de la nature de l’organisme à créer, doit marcher de pair, à notre avis, la délimitation des bases politiques de cet organisme. A ce sujet, la formule qui a été suggérée en France est celle des “premiers congrès de l’Internationale”. Nous pensons avant tout que, pour ne pas rester dans l’abstrait, il faudra examiner l’expérience lamentable de la Ligue communiste, laquelle s’était fondée sur les quatre premiers congrès.
A notre avis, cette base politique est absolument insuffisante. Et nous ne faisons nullement une question particulière, intéressant notre fraction, car, vous le savez bien, le IVe Congrès n’a nullement proclamé l’incompatibilité de nos points de vue avec l’IC ; bien au contraire, au IVe Congrès, Lénine insistait pour que Bordiga restât à la direction du Parti. Mais il est indéniable que la discussion doit porter aussi sur les résolutions politiques des IIe, IIIe, IVe Congrès aussi. Qu’il ne puisse pas en être autrement, cela est prouvé par le fait que lors du IVe Congrès, on avait mis à l’ordre du jour la question du programme de l’IC, à savoir d’établir les bases de principes d’où devraient dépendre les résolutions politiques et tactiques prises dans ces Congrès.
Pour le surplus, le IIIe et le IVe Congrès doivent être vérifiés à la lumière de la défaite allemande de 1923, et il nous paraît absolument inadmissible que l’on mette comme condition d’adhésion à la fraction de gauche, celle de la reconnaissance comme “base” de ces solutions tactiques qui, lors de la défaite de 1923, se sont démontrées incomplètes ou erronées.
A notre avis, les bases politiques de la fraction de gauche restent à établir. Nous proposons donc que l’on reprenne aujourd’hui comme première base de notre travail, les documents fondamentaux du IIe Congrès qui alors avaient déjà été indiquées comme conditions d’adhésion à l’Internationale et aux Partis communistes. Immédiatement il faudrait procéder à l’examen des Congrès de l’IC, de toute la production politique des groupes et des fractions dans les différents pays, pour en faire ressortir une délimitation idéologique bien claire, condensée en une déclaration de principe à présenter au prolétariat.
Ce travail politique en profondeur nous paraît le seul capable de nous conduire à des résultats positifs durables.
Le travail politique de masses
Vous écrivez dans votre lettre du 19 janvier : “en effet, il nous est apparu que la principale caractéristique du mouvement oppositionnel, c’est que, comme le parti, il est coupé des masses”. Nous croyons devoir comprendre ainsi ce passage : aucun travail politique et communiste n’est possible qu’à la condition d’agir en relation avec le mouvement de la lutte des classes ; tout le travail du parti et du mouvement oppositionnel en général, n’étant pas basé sur les principes de la lutte de classe, a fini par déterminer un dégoût salutaire chez les prolétaires révolutionnaires qui se regroupent dans le 15e rayon. Mais si, par ce passage, vous vouliez indiquer la possibilité d’opérer immédiatement un travail de masse, alors, à notre avis, tout en voulant établir des conditions pour un travail fructueux, vous en arriveriez à compliquer encore plus les difficultés de ce travail. En effet, avant de pouvoir en appeler aux masses, il faut avoir construit l’organisme capable d’agir dans l’intérêt du prolétariat.
Par la suite, nous vous exposerons notre position à ce sujet, et serons évidemment heureux de vérifier dans la discussion la position que défend notre fraction.
La Fédération de l’Est
A notre avis, il faudrait inviter cette fédération aussi ? Au point de vue politique, les opinions sur la tactique que défend le cercle dirigé par le camarade Souvarine sont défendues aussi par d’autres groupes que vous avez invités. De plus, le camarade Souvarine est un des fondateurs du Parti communiste, le premier qui, en France, se soit insurgé contre le centrisme dans l’IC C’est assez, nous semble-t-il, pour indiquer qu’il représente un courant du prolétariat français.
Sans anticiper sur l’avenir, nous pouvons déjà dire qu’au point de vue politique, notre fraction défend des positions directement opposées à celles du camarade Souvarine, mais nous voulons discuter avec lui, rencontrer le courant prolétarien qu’il représente.
Vous dites que ces camarades ont déjà pris une position définitive sur les problèmes qui sont en discussion. Politiquement, cela signifie que vous croyez devoir repousser cette solution. Nous qui sommes certainement de cet avis, nous demanderions que cela soit le résultat d’une discussion politique et non d’une délibération a priori, d’autant plus que, nous le répétons, les mêmes opinions du camarade Souvarine sont défendues par d’autres groupes invités à la discussion.
Nous vous avons adressé les premières remarques qui nous paraissent utiles au travail que vous avez entrepris. La collaboration de notre fraction vous reste acquise, et nous voulons espérer que sur la base des expériences déjà faites par l’Opposition en France et dans les autres pays, on s’achemine enfin dans la bonne voie, et que, pénétrés de la nécessité d’un travail sérieux, nous songerons tous surtout aux intérêts du mouvement révolutionnaire et nous travaillerons pour nous rendre dignes de ce mouvement.
Avec nos salutations communistes,
La CE de la Fraction de gauche du P.C.I.
LIGUE COMMUNISTE
Paris, le 1er mars 1933
Chers camarades,
Nous vous confirmons la réponse déjà donnée verbalement à vos délégués, relativement à votre projet de Conférence, en soulignant les points suivants :
1) Il n’est pas exact de dire, comme l’a fait le camarade Lacroix que la C.E.E. de la Ligue a donné purement et simplement son acceptation à votre proposition, ni décrire ensuite que notre C.E. cherche à éluder cette acceptation. Vous avez été faussement informés à ce sujet. Comme il est normal, notre C.E. élargie a réservé sa réponse, que pouvaient seuls fournir les organismes compétents, après examen.
2) Nous considérons comme souhaitable l’unification la plus large des forces prolétariennes dans les cadres de l’opposition. Mais cela ne peut se faire que sur une base théorique et méthodologique définie : critères politiques, méthodes d’action et action elle-même doivent être précisés dans tous les domaines, nationaux et internationaux, au cours de la lutte.
Or, plusieurs des groupements que vous voulez réunir, ont quitté la Ligue, précisément avec la constatation, à différentes étapes, de leurs désaccords avec elle. Avec d’autres (bordiguistes) l’Opposition de gauche internationale vient justement de reconnaître après mûre étude et de longues expériences, le fossé profond qui nous sépare.
Dans ces conditions, nous croyons que l’objectif que vous souhaitez (unification) ne peut être atteint par la voie d’une addition arithmétique des groupements qui se recommandent de l’opposition et de ceux qui ne s’en recommandent pas.
3. Nous sommes disposés à participer aux conférences que vous convoquerez, afin précisément d’apporter notre point de vue dans la discussion générale, et d’éclairer tous les participants sur les positions que nous défendons. Nous pensons que ce sera en fin de compte notre apport le plus utile à l’élargissement des rangs de l’opposition.
4. Nous ne considérons pas comme utile la participation à un bulletin de discussion commun. Chaque groupe que vous avez convoqué possède une presse. La discussion et la polémique dans cette presse constituent la meilleure forme de confrontation des idées, celle qui correspond effectivement à l’activité de chacun.
Prière de nous avertir de la prochaine réunion que vous convoquerez.
Bien fraternellement
Pour la C.E. de la Ligue communiste, Section française de l’Opposition internationale de gauche (bolcheviks-léninistes)
Paris, le 27 mars 1933
Camarade,
Dans sa réunion d’hier mon groupe a décidé de participer à la conférence d’unification que ton groupe a convoquée. Nous faisons [?] sur les modalités de cette conférence qui font que nous serons présents plutôt à titre d’observateurs ; mais nous demandons qu’en tout état de cause, la liberté de parole nous soit accordée.
Je te prie de me communiquer dans le plus bref délai possible la réponse de ton groupe. Que vous nous considériez comme un groupe ou comme des individualités n’a aucune importance. Au cas où ton groupe accepterait notre participation, je te prierai de me communiquer tous renseignements utiles sur la composition de la conférence et la position qu’ont adoptée jusqu’à présent les participants éventuels.
Avec mes salutations communistes
pour les signataires
du document
Regroupement des forces communistes
J. Prader
Paris, le 3 février 1933
Chers camarades,
Votre proposition de tenir une Conférence des groupes et militants se réclamant du courant communiste de gauche correspond certainement aux aspirations de tout révolutionnaire sincère et conscient ; mieux encore, c’est un besoin urgent pour l’avant-garde du prolétariat révolutionnaire.
Nous acceptons bien volontiers d’adhérer à votre initiative bien que nous soyons sceptiques sur les possibilités de créer un organisme international selon nos plus sincères aspirations et à la hauteur de satisfaire pleinement aux tâches de régénération et de direction du mouvement communiste international.
Le fait que vous proposez de procéder à l’examen complet du mouvement communiste en partant de la définition de l’Etat russe nous laisse entrevoir quelques possibilités de procéder sérieusement à un premier regroupement des forces vraiment communistes.
Mais pour cela, camarades, il ne faut pas se préoccuper du nombre, mais des positions de principe.
Il faut que la discussion préparatoire soit menée avec la plus large application de la démocratie communiste et qu’on arrive à des conclusions absolument claires, condition indispensable pour permettre un premier regroupement sain des forces communistes.
En ce qui concerne le programme de discussion et pour le bulletin, nous pensons qu’il faut procéder tout d’abord à la formation d’un Comité composé d’un représentant de chaque groupe adhérent à votre invitation, comité dont le but est de coordonner le travail.
Nous pensons qu’à l’ordre du jour il faut joindre le point suivant : “A quelle phase de l’évolution capitaliste correspond le "fascisme" et quelles sont les méthodes de lutte et par cela même d’organisation que le prolétariat doit employer dans cette phase ?”
Voici, camarades, brièvement exposées, les raisons de notre adhésion,
Les camarades M. et G.
militants
de la Gauche communiste italienne
(à ne pas confondre avec la fraction de gauche dans le P.C.I., qui se regroupe autour de Prometeo, à laquelle nous reconnaissons le droit de se réclamer de la gauche italienne, mais à laquelle nous dénions le droit de se substituer à elle.)
Paris, le 31 janvier 1933
Salutations communistes.
Chers camarades,
Un conflit intérieur a amené deux camarades à démissionner de la Fraction de gauche.
De la solution qui sera donnée au conflit actuel entre la Fraction de gauche et le groupe démissionnaire dépendra la réunion ou la séparation des deux tronçons et aussi vraisemblablement pour une part le classement définitif des camarades dans l’un ou l’autre tronçon en cas de séparation.
Pour l’instant, à la place de l’ancienne Fraction de gauche, il existe la Fraction de gauche et le groupe démissionnaire de la Fraction de gauche.
Comme groupe démissionnaire, nous vous faisons part des décisions suivantes :
1. Notre groupe participera à la Conférence de confrontation des points de vue organisée par vous en vue de l’unification de l’Opposition de gauche.
2. Un membre de notre groupe sera délégué au comité de contrôle de la discussion et du bulletin intergroupe.
3. Nous estimons nécessaire d’étendre les invitations à la Conférence aux groupes suivants :
a) groupe des étudiants (Prader, Max, etc.),
b) groupe dissident de la Gauche italienne,
c) Fédération autonome de l’Est.
4. Nous estimons que la Conférence devrait siéger plusieurs jours, car c’est d’une confrontation suffisamment complète des points de vue que pourra surgir soit l’unification, soit une différenciation selon les divergences essentielles qui se feraient jour.
Salutations communistes,
A. Treint
Les principales décisions
du Comité intergroupe de préparation de la Conférence d’unification
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Le Comité intergroupes de la Conférence a été formé par les groupes suivants : Fraction de gauche, Gauche communiste, Groupe de la banlieue ouest, Ligue communiste.
En vue de la Conférence, les principales dispositions suivantes ont été prises :
1. Invitations à la Conférence : le Comité s’en tient aux seules invitations faites par le Groupe de la banlieue ouest par sa lettre du 19 janvier. Il ratifie également la décision de ce groupe concernant l’invitation en tant qu’individualités des camarades Treint, N. Rousseau, Mathieu et Gandi, et les camarades signataires du document “Pour le regroupement des forces communistes”.
2. Ordre du jour de la Conférence : le Comité l’établit comme suit :
1. Question russe et appréciation de l’IC
2. Le parti et les masses.
3. Le régime intérieur de l’Opposition de gauche.
3. Votes à la Conférence. La proposition de vote nominal présentée par le Groupe de la banlieue ouest est adoptée par 3 voix (Fraction de gauche, Gauche communiste, Groupe de la banlieue ouest) contre 1 voix (Ligue communiste) partisane du vote par organisation.
4. Votants à la Conférence. Le Comité adopte la proposition du Groupe de la banlieue ouest d’étendre le droit de vote aux individualités convoquées à la Conférence. Cette décision est prise par 3 voix (Gauche communiste, Groupe de la banlieue ouest, Ligue communiste) contre 1 voix (Fraction de gauche) partisane du droit de vote aux groupes seulement.
Le Comité a également préparé le présent bulletin et pris date pour la première réunion de la Conférence le Samedi 8 avril, à 17 heures.
Le camarade Treint nous a prié d’insérer la lettre suivante :
Paris, le 13 mars 1933
La réunion de délégués des groupes oppositionnels tenue le samedi 11 mars nécessite quelques commentaires.
Bien que d’après les convocations successives le caractère que devait revêtir cette réunion n’apparaissait qu’assez vaguement, il est clair maintenant qu’elle avait pour but l’examen des modalités de la préparation et de l’organisation de la Conférence d’unification.
Ceci posé, quelques anomalies doivent être soulignées :
1. Pourquoi cette réunion a-t-elle été convoquée par la Gauche communiste ? Il eût été plus normal que le groupe du 15e rayon qui avait pris l’initiative de proposer la Conférence d’unification prenne aussi l’initiative de convoquer les délégués des groupes pour une première prise de contact.
2. Pourquoi la Gauche communiste, qui refuse de reconnaître comme groupes les camarades de la Renaissance communiste et les démissionnaires de la Fraction de gauche, a-t-elle invité les dits groupes à mandater leurs délégués pour la réunion du 11 mars ? L’explication selon laquelle il y aurait eu malentendu par ignorance des scissions survenues dans la fraction de gauche et le groupe Prometeo n’est pas admissible, la Gauche communiste ayant depuis longtemps connaissance du document dans lequel le Groupe du 15e rayon fait part de ses décisions, document qui mentionne les scissions intervenues.
L’obscurité qui résulte de ces faits détermine déjà un malaise qui pèse sur la préparation de la Conférence. Et ce malaise est encore aggravé par l’accusation de “manœuvrer” portée par un délégué de la Gauche communiste contre le groupe démissionnaire de la Fraction de gauche.
Il est cependant bien évident que si “manœuvre” il y a, ce n’est pas de la part des groupes numériquement peu nombreux mais qui prennent une position politique parfaitement claire rendant impossible toute compromission.
D’autre part, la méthode envisagée jusqu’ici pour la préparation de la Conférence est erronée s’il s’agit d’une confrontation des points de vue dans le but d’élaborer soit une plate-forme d’unification si c’est possible, soit des plates-formes de différenciation des courants inconciliables si cela est inévitable. S’il s’agit vraiment d’une confrontation consciencieuse des points de vue, tous les groupes de camarades, si peu nombreux soient-ils, mais unis sur la base d’un document politique de principe, doivent jouir de droits égaux dans le contrôle et la préparation de la Conférence.
Or, des distinctions arbitraires sont déjà établies.
Par exemple, le groupe démissionnaire de la Fraction de gauche n’est pas reconnu comme groupe et ne pourra participer à la Conférence qu’à titre individuel. La séparation organique entre la majorité et la minorité de la Fraction de gauche est intervenue après la convocation de la Conférence d’unification par le Groupe du 15e rayon. Normalement les deux groupes issus de la Fraction de gauche devaient participer comme groupes à la Conférence.
Pourquoi ne reconnaître comme groupe que celui de la majorité ?
Quelle est la raison de cette préférence ?
Préférence personnelle ? C’est une hypothèse qu’il n’y a pas lieu d’envisager.
Préférence numérique ? S’il en était ainsi la Conférence serait faussée dans son principe : une majorité n’a pas forcément raison. Mais il ne s’agit pas de préférence numérique puisque le groupe oppositionnel le plus important numériquement, la Fédération des travailleurs de l’Est, n’est même pas invité.
Il ne reste qu’une explication valable : il s’agit d’une préférence politique. En quoi consiste cette préférence politique ?
En ceci : les groupes qui reconnaissent le caractère prolétarien de l’Etat russe actuel et qui, par suite, se prononcent pour la possibilité du Redressement communiste de l’Internationale veulent, consciemment ou non, inférioriser par des moyens d’organisation les groupes qui nient le caractère prolétarien de l’Etat russe actuel et qui, en conséquence, estiment impossible le retour au communisme dans les cadres de la IIIe Internationale, ce qui d’ailleurs n’implique nullement la fondation immédiate d’une nouvelle Internationale et de nouveaux partis.
En ce sens, il est d’ailleurs remarquable que la Fédération des travailleurs de l’Est ne soit même pas invitée tandis que la Ligue communiste peut participer à la Conférence tout en proclamant à l’avance qu’elle recherche non l’unification par l’élaboration en commun d’une plate-forme, mais l’incorporation pure et simple des autres groupes en son sein.
Le Groupe du 15e rayon distingue entre groupes, d’une part, et d’autre part courants s’exprimant par des camarades intervenant à titre individuel ; mais en même temps, le Groupe du 15e rayon s’engage à ce que les camarades qui participent à la conférence à titre individuel aient toute possibilité de s’exprimer et ne soient pas brimés.
Confiants dans la loyauté du Groupe du 15e rayon, nous attendons de lui qu’il s’oppose à fond à toute tentative d’étouffer la voix des camarades admis à la Conférence à titre individuel, mais nous estimons qu’en éliminant la Fédération des travailleurs de l’Est et en n’acceptant qu’à titre individuel la participation de certains groupes, les camarades du 15e rayon risquent fort de se mettre dans l’impossibilité de tenir leurs engagements.
Le délégué de la Gauche communiste écarte certains groupes comme la Fédération des travailleurs de l’Est parce qu’ils ne sont pas sur la plate-forme de l’Opposition russe de 1927.
A supposer que la plate-forme russe ait été entièrement juste en 1927, la situation a changé depuis ce temps-là et rien n’empêche a priori de penser que si l’Etat russe était prolétarien en 1927, il a depuis perdu son caractère prolétarien.
Bien plus, l’examen de la situation internationale et russe d’aujourd’hui est intimement liée à la critique marxiste de la création et de toute l’activité passée, et de l’Internationale, et de l’Opposition.
Pour examiner à fond les problèmes fondamentaux qui se posent à elle, la Conférence d’unification ne saurait être écourtée ni brusquée.
Ceci se produira nécessairement si la date de Pâques, déjà prématurée peut-être, se trouve encore avancée.
Si la Conférence s’égare dans de faux chemins, ce contre quoi nous la mettons dès maintenant en garde, elle ne sera capable d’aboutir dans le meilleur des cas, qu’à une organisation partielle et débile des forces oppositionnelles actuellement dispersées, organisation susceptible de remporter peut-être quelques succès provisoires, mais incapable de constituer un noyau solide capable avec le développement de l’histoire de grandir et de mener le prolétariat à la victoire révolutionnaire.
Le groupe démissionnaire
de la Fraction de gauche
Note
Le groupe de l’Opposition communiste de gauche de la banlieue ouest a reçu quelques réponses de groupes étrangers qui avaient été informés de la tenue de la Conférence et avaient été invités à apporter leur collaboration aux bulletins de discussion.
D’autre part, le groupe a échangé quelques lettres avec les groupes et individualités participants.
Nous ne publions pas tous ces documents faute de temps et de moyens matériels. Nous nous limitons aux simples réponses des groupes en France et à une lettre que le camarade Treint a expressément demandé de publier.
Toutes ces réponses ainsi que la lettre du camarade Treint nécessiteraient une mise au point. Le Comité intergroupes de préparation de la Conférence l’a faite en son sein et ses décisions (voir ci-dessus) tiennent compte de toute cette correspondance.
Rapport sur la
question russe,
présenté par la Gauche communiste
Les contradictions de la Révolution russe
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L'obligation impérieuse s’impose aux marxistes de ne pas considérer la Révolution russe comme un fétiche religieux, mais de l’envisager dialectiquement dans ses contradictions.
Les conditions objectives qui, en produisant selon le mot de Lénine “la rupture du maillon le plus faible dans la chaîne de l’impérialisme”, avaient favorisé en Octobre 1917 la prise du pouvoir par le prolétariat sur la plus grande partie du territoire de l’ancien empire des tsars, devaient rendre plus malaisées les tâches postérieures à la prise du pouvoir.
Le retard historique de l’ancienne bourgeoisie russe, économiquement dépendante du capital étranger, et politiquement subordonnée à un système despotique asiatique féodal dont le propriétaire foncier restait la figure centrale, avait permis au prolétariat de prendre la tête de la révolution démocratique en conduisant les larges masses paysannes à l’assaut de l’ancien régime. La révolution démocratique agrai-re et la révolution prolétarienne socialiste se trouvaient ainsi amenées à coïncider.
Mais au lendemain de l’expropriation politique et économique des anciennes classes dirigeantes, le prolétariat était appelé à faire face à un héritage négatif de la bourgeoisie. La bourgeoisie russe s’était montrée incapable de donner une solution aux problèmes historiques de sa propre révolution : la liquidation des survivances de la barbarie féodale et primitive, le développement des forces productives, de la technique et de la culture, l’institution d’un régime de démocratie politique. Le prolétariat devait payer les dettes historiques d’une bourgeoisie défaillante. En prenant comme point de départ cet héritage négatif, il devait maintenir et consolider son hégémonie politique sur une immense masse paysanne petite-bourgeoise hostile au socialisme et pour qui la révolution se réduisait au partage démocratique des terres.
Le retard dans le développement des forces économiques et politiques du capitalisme s’était nécessairement réfléchi dans la structure de classe du prolétariat.
Le prolétariat russe s’était constitué au rythme du développement de l’industrie fécondée par les investissements de capitaux étrangers, rythme rapide, mais plus lent que celui de la surpopulation paysanne et de l’exode des campagnes vers les villes. Puissamment concentré dans quelques foyers industriels, il restait cependant une faible minorité de la population travailleuse dont la plus grande masse était dispersée dans les occupations de la vie rurale. C’était un prolétariat jeune, de formation récente, encore mal dégagé de la gangue de ses origines paysannes et artisanales.
Les conditions créées par le climat politique du despotisme tsariste avaient permis la formation au sein du Parti bolchevik d’une élite révolutionnaire marxiste consciente des destinées historiques du prolétariat, aguerrie dans une lutte perpétuelle et souvent riche d’une sérieuse expérience internationale. Mais elles avaient entravé le développement des véritables organisations de masse permanentes du prolétariat. Les syndicats ouvriers, faibles, instables et dispersés n’avaient pu jouer dans leur ensemble leur rôle historique d’éducateur primaire de la classe ouvrière. Ils n’avaient pu créer le milieu propre à la démocratie prolétarienne. Le problème pratique des rapports à établir entre la masse prolétarienne et son avant-garde révolutionnaire n’avait pas reçu de solution satisfaisante.
Les soviets qui se formaient spontanément en période révolutionnaire étaient le rassemblement temporaire de toutes les forces de la révolution démocratique du prolétariat aussi bien que de la petite bourgeoisie des villes et des campagnes unis dans un front commun contre l’ancien régime. Ils n’étaient pas les institutions permanentes de la démocratie prolétarienne. Organes spontanés de la révolution démocratique, ils pouvaient être le levier de la classe ouvrière pour la conquête du pouvoir, mais ils ne pouvaient demeurer la base ferme de sa dictature. La démocratie soviétique, avec l’énorme prépondérance qu’y prenait l’élément paysan et les traditions d’origine paysanne au sein de la classe ouvrière elle-même, portait le danger historique d’une dégénérescence petite-bourgeoise, prélude de la restauration du capitalisme sous des formes nouvelles (l’insurrection de Kronstadt). Au nom des intérêts historiques du prolétariat socialiste, le Parti bolchevik devait être amené à appesantir sur elle sa main de fer.
Dans les conditions d’isolement créées par le reflux de la vague révolutionnaire mondiale d’après-guerre qui avait porté dans ses flancs la Révolution russe, l’héritage négatif de la bourgeoisie, la faiblesse numérique et organique de la classe ouvrière devaient peser lourdement sur les destinées ultérieures de la dictature prolétarienne.
Le prolétariat russe, après avoir brisé l’appareil gouvernemental et militaire du despotisme tsariste, s’est trouvé impuissant à empêcher la résurrection sur ses ruines d’un nouvel appareil bureaucratique qui, selon le processus classique décrit par Engels, “de serviteur de la société à ses origines, devait progressivement en devenir le maître”.
Le développement et la puissance de l’appareil bureaucratique d’Etat était, dans l’ancien régime tsariste, le produit spécifique des contradictions d’une société de transition entre le féodalisme et le capitalisme où la classe des boyards avait déjà perdu le pouvoir tandis que la bourgeoisie capitaliste ne l’avait pas encore conquis. Il puisait sa force dans les intérêts à la fois solidaires et antagonistes des propriétaires fonciers et des capitalistes.
Le nouvel appareil bureaucratique s’est reconstitué au lendemain de la Révolution d’octobre à la fois avec les cadres dirigeants que le prolétariat avait tirés de son sein, et avec les débris d’une partie des cadres des anciennes classes dirigeantes ralliées au nouveau régime comme auxiliaires techniques (spécialistes de l’industrie et de l’armée). Il ne faut pas y voir une simple survivance de la période du communisme de guerre, de la centralisation des pouvoirs entre les mains d’un appareil et de la rigoureuse discipline militaire imposées par les nécessités économiques et politiques de la guerre civile. Les germes de bureaucratisme, qui existaient pendant cette période, n’étaient, selon l’expression de Trotsky dans Cours nouveau qu’un “jeu d’enfant” auprès “du monstrueux développement de l’appareil bureaucratique qui devait se produire en pleine période de paix”, après l’instauration de la Nouvelle politique économique.
L’appareil du communisme de guerre était étroitement contrôlé par la masse du Parti soulevée par la grande tension de la période révolutionnaire. Le développement du bureaucratisme coïncide au contraire avec la lassitude des masses, avec le retardement de toutes les forces du contrôle populaire, avec le processus de réaction consécutif à la fin de la période révolutionnaire en Russie comme dans le monde entier.
Le bureaucratisme post-révolutionnaire n’est pas non plus une survivance de l’ancien régime ramené à la faveur du processus de réaction. Il apparaît comme le produit des contradictions du nouveau régime, de la nouvelle société de transition entre le capitalisme et le socialisme reposant sur les intérêts à la fois solidaires et antagonistes du prolétariat socialiste des villes et de la petite bourgeoisie parcellaire des campagnes aux aspirations pré-capitalistes. C’est dans les contradictions que la nouvelle bureaucratie a puisé sa force. Sur cette base, l’Etat soviétique devait se développer progressivement “d’Etat prolétarien à déformations bureaucratiques”, comme Lénine le définissait déjà en 1920, en “Etat bureaucratique à survivances prolétariennes communistes”, selon la formule de Rakovsky en 1930.
Il reste à apprécier la nature et la portée de cette transformation.
L’usurpation bureaucratique
et la nature de classe
de l’Etat soviétique
Le problème de la nature de classe de l’Etat soviétique constitue une question capitale pour l’Opposition de gauche, non seulement en raison de son intérêt théorique mais aussi à cause de ses conséquences pratiques. De la reconnaissance ou du refus d’admettre le caractère ouvrier de l’Etat soviétique actuel dépendent deux manières distinctes d’envisager la régénérescence du mouvement communiste international : l’une qui se fonde sur l’espoir tenace d’un remaniement des cadres dirigeants de la politique soviétique qui permettrait d’affranchir la IIIe Internationale des erreurs systématiques du stalinisme ; l’autre pour qui la condition de toute véritable régénération communiste se trouve dans la rupture des liens organiques qui subordonnent le mouvement ouvrier révolutionnaire à la bureaucratie soviétique dont les intérêts ne coïncident plus avec ceux du prolétariat mondial.
Le camarade Trotsky, pour établir le caractère ouvrier de l’Etat soviétique actuel, malgré ses déformations bureaucratiques, s’appuie sur le schéma construit par Marx pour les rapports entre l’Etat et la société en régime capitaliste. L’Etat n’est qu’une superstructure. La nature de classe de l’Etat dépend des rapports de production et d’échange qui s’établissent dans l’infrastructure économique de la société. Il en résulte que le caractère ouvrier de l’Etat soviétique ne saurait être contesté tant que subsisteront la socialisation de la grande industrie, la nationalisation de la terre et le monopole du commerce extérieur.
La bureaucratie soviétique, bien que le camarade Trotsky reconnaisse qu’elle possède “le pouvoir réel”, qu’elle ait “reconstitué de nombreux caractères de la classe dirigeante” et qu’elle soit considérée comme telle “par les masses laborieuses”, ne saurait être cependant considérée par lui “du point de vue marxiste” comme une véritable classe (“Vers le capitalisme ou vers le socialisme”, Lutte de classes n° 23-24, 1930). La bureaucratie n’est jamais que l’agent d’exécution de la classe économiquement dominante, agent plus ou moins infidèle, subissant plus ou moins la pression des autres classes. La bureaucratie soviétique subit tour à tour la pression de la petite bourgeoisie des campagnes et celle de la bourgeoisie mondiale et la contre-pression du prolétariat soviétique et du prolétariat mondial.
Le danger que fait subir au régime soviétique la tendance bureaucratique de l’appareil d’Etat ne réside pas dans la bureaucratie elle-même, mais dans la contre-révolution bourgeoise dont elle fait le lit. La bureaucratie est incapable d’une politique véritablement indépendante. “A mesure qu’elle s’affranchit de sa dépendance à l’égard du prolétariat, elle tombe de plus en plus sous la dépendance de la bourgeoisie” (Contre le courant, 22 mars 1929 : “La crise du bloc centre-droite”).
Il en résulte “un régime de dualité de pouvoir” idoine et symétrique de celui qui s’était établi en 1917 pendant la période kérenskyste, un rapport de forces qui reste encore positif pour le prolétariat, mais qui évolue de plus en plus dans un sens défavorable. Mais le “kérenskysme à rebours” ne permet pas plus de nier le caractère ouvrier de l’Etat soviétique, malgré la dictature stalinienne, que le processus idoine ne permettait de nier le caractère bourgeois du régime kérenskyste. Il n’existe en effet jamais d’Etat neutre, de véritable point d’équilibre dans un rapport de forces sociales.
Par la suite, le camarade Trotsky, pour expliquer l’offensive bureaucratique contre l’ensemble de la paysannerie et la conversion du stalinisme à une politique d’industrialisation, malgré la liquidation “du parti en tant que parti”, a été amené à admettre que tandis que l’infrastructure économique de la dictature prolétarienne s’affermit, sa superstructure politique peut continuer à s’affaiblir et à dégénérer. Proposition difficilement intelligible lorsqu’on admet la thèse marxiste selon laquelle “la politique n’est que l’économie concentrée”, et, à plus forte raison, lorsqu’il s’agit d’un régime où la direction de l’économie est l’essentiel de la politique.
Les obscurités et les contradictions de la thèse du camarade Trotsky tiennent à son point de départ. En réalité, les rapports entre l’Etat et la société, entre l’infrastructure économique et sa superstructure politique, ne peuvent être envisagés de la même façon en régime capitaliste et dans le régime institué par la Révolution d’octobre. Il en résulte des possibilités toutes différentes pour la possibilité donnée à la bureaucratie de s’ériger en classe dirigeante.
En régime capitaliste, la gestion de l’appareil d’Etat par une bureaucratie n’implique pas la gestion des moyens de production et d’échange qui reste une fonction privée des propriétaires fonciers et des capitalistes dont ils sont la propriété non seulement juridique, mais réelle. Pour cette raison, et uniquement pour cette raison, la bureaucratie civile et militaire la plus puissante et la plus indépendante en apparence ne saurait jamais s’ériger, en régime capitaliste, en classe dirigeante.
Lorsque, par l’abolition des garanties démocratiques, la société capitaliste perd en apparence le contrôle politique direct de son propre appareil d’Etat, les classes économiquement dirigeantes conservent avec la propriété privée des moyens de production et d’échange, le pouvoir économique qui reste le pouvoir véritable. Elles conservent par là même tous les moyens de contrôle politique indirect qui assurent en fait leur domination aussi bien sous un régime démocratique que sous un régime dictatorial, et qui le masquent en même temps.
Les conflits entre la société capitaliste et la bureaucratie ne sauraient donner lieu à une véritable lutte de classes. En effet, d’une part, la bureaucratie, qui ne possède en propre aucune base économique, ne saurait se passer du mécanisme de l’exploitation capitaliste où elle trouve le fondement de son existence parasitaire ; d’autre part, les capitalistes et les propriétaires fonciers, minorité de la société, ne sauraient se passer de l’appareil d’Etat pour maintenir leur hégémonie sur le peuple travailleur.
Il n’en est plus de même si l’on considère un régime où les moyens de production et d’échange deviennent au point de vue juridique la propriété collective du peuple travailleur. L’Etat se trouve investi de la fonction d’administrer la vie économique de la société.
Dans ces conditions, la garantie pour que le titre juridique du peuple travailleur sur les moyens de production et d’échange reçoive un contenu réel, se trouve dans une transformation complète des rapports traditionnels entre l’Etat et la société.
L’Etat, comme puissance distincte de la société, et placé au-dessus d’elle, doit tendre à disparaître et à se résorber dans la société dès la prise du pouvoir par le prolétariat.
L’éligibilité de toutes les fonctions exécutives aussi bien que législatives, l’amovibilité et la responsabilité permanentes de tous les membres de l’appareil d’Etat devant le contrôle populaire, l’institution d’un maximum de traitement des fonctionnaires ne pouvant dépasser le salaire d’un ouvrier qualifié, doivent saper les fondements de l’existence d’une bureaucratie professionnelle privilégiée, maîtresse de la société. La police et l’armée permanente placées par les anciennes classes dirigeantes au-dessus de la population désarmée doivent faire place à la force armée des travailleurs. Tel est l’enseignement fondamental de Marx, d’Engels et après eux de Lénine sur le caractère véritable d’une dictature révolutionnaire du prolétariat.
Le dépérissement de l’appareil d’Etat est la condition de tout véritable acheminement vers le socialisme. Dans aucun texte de Marx, d’Engels ni de Lénine, ce processus ne se trouve renvoyé aux calendes grecques et à l’ère du communisme intégral. La théorie stalinienne selon laquelle le dépérissement de l’Etat a pour condition préalable le renforcement au maximum de l’appareil d’Etat soustrait au contrôle de la société, est la plus honteuse falsification du marxisme et du léninisme.
Les conséquences d’une évasion de l’appareil d’Etat en dehors du contrôle démocratique de la société ne peuvent être les mêmes pour le régime capitaliste et pour le régime soviétique.
La bureaucratie soviétique, en s’érigeant en caste pratiquement inamovible, en se multipliant par la voie de la cooptation, de l’avancement, derrière un système électoral fictif, en n’admettant d’autres formes de contrôle que celles des instances supérieures sur les instances inférieures, s’approprie “le pouvoir d’État en propriété privée” (Rakovsky).
Mais la nature de l’Etat sur lequel elle se développe lui permet en même temps de s’approprier les moyens de production et d’échange, sur lesquels, en l’absence de toute garantie démocratique, le titre juridique du peuple travailleur devient fictif et purement formel.
La bureaucratie concentre ainsi entre ses mains la totalité du pouvoir réel, économique aussi bien que politique. Elle se constitue une base économique originale qu’elle trouve dans le pouvoir d’Etat lui-même : la socialisation des moyens de production sans le contrôle ouvrier. Sur cette base, s’instituent de nouveaux rapports de production entre la bureaucratie et le peuple travailleur. La bureaucratie dirige à son gré le rythme de l’accumulation, impose arbitrairement les conditions de travail, restreint arbitrairement la consommation du peuple travailleur. Elle dévore le fonds de consommation des anciennes classes dirigeantes qu’elle empêche de se transformer en salaire collectif des travailleurs.
Contrairement à la thèse menchéviste reprise encore par Lucien Laurat qui voit le germe de l’usurpation bureaucratique dans le rôle joué par le Parti bolchevik dans la Révolution d’octobre, la destruction de l’avant-garde marxiste consciente des destinées historiques du prolétariat a été la condition de cette usurpation. “La liquidation du Parti bolchevik en tant que parti”, suivant la formule de Trotsky, la suppression de son rôle d’instrument de contrôle du prolétariat sur son propre appareil d’Etat, sa transformation en simple appendice passif de l’appareil d’Etat émancipé de tout contrôle, devait permettre à la bureaucratie de s’affranchir de la tutelle prolétarienne à l’ombre de laquelle elle avait grandi. L’usurpation bureaucratique n’est pas un coup de tonnerre dans un ciel démocratique serein : elle a cependant son point culminant en 1927 dans l’intervention de la Guepeou pour mettre fin à toute discussion intérieure au Parti.
Mais, en abolissant par la terreur policière (exils, déportations, emprisonnements, assassinats administratifs), et aussi par la terreur économique (chômage forcé des opposants, retraits des cartes de coopératives) toute vie politique à l’intérieur du parti et de la classe ouvrière, la bureaucratie détruisait le véritable fondement de la dictature prolétarienne.
L’usurpation bureaucratique n’est pas la contre-révolution bourgeoise, pas plus que Thermidor n’était la contre-révolution monarchiste et féodale. Elle n’efface pas Octobre davantage que Thermidor n’effaçait 1789.
La bureaucratie soviétique a grandi et s’est développée sur les conquêtes du prolétariat qu’elle dût maintenir contre les ennemis intérieurs et extérieurs par le jeu même de ses propres intérêts conservateurs, comme le faisait la bourgeoisie thermidorienne.
L’usurpation bureaucratique n’est pas non plus un régime de dualité de pouvoir inverse et symétrique de celui qui s’était établi en 1917 pendant la période kérenskyste. Entre la faiblesse légendaire du gouvernement Kérensky et l’énorme pouvoir de contrainte économique et politique dont dispose la bureaucratie soviétique, il n’y a pas en réalité de commune mesure.
La bureaucratie soviétique s’est développée sur le fondement des conquêtes du prolétariat. Pour s’affranchir de sa dépendance à l’égard du prolétariat, elle devait commencer par s’appuyer sur une politique de concessions aux tendances pré-capitalistes de la petite bourgeoisie des campagnes. A cette tactique correspond la formation du bloc du centre et de la droite dans le Parti. Mais une telle alliance et une telle politique ne pouvaient être que temporaires. Au lendemain de sa victoire sur l’avant-garde marxiste qui défendait les véritables intérêts du prolétariat et du socialisme, la bureaucratie devait être amenée par le jeu même de ses intérêts conservateurs à se retourner contre ses anciens alliés, dont le triomphe eût menacé les bases de son existence. Tel est le mécanisme social de l’usurpation bureaucratique qui éclaire les tournants successifs du centrisme. La tactique de louvoiement de la bureaucratie n’exclut pas mais suppose une politique indépendante et distincte de celle du prolétariat et de celle de la paysannerie. Entre la tactique du plan, telle que la préconisait l’Opposition de gauche et celle que devait exécuter la bureaucratie, après sa rupture avec la droite, il n’y a pas seulement une différence de rythme et de méthode, mais aussi une différence de nature et de buts sociaux.
La politique économique de la bureaucratie est tout entière dominée par le souci d’élargir au maximum dans le minimum de temps la base économique de l’appareil d’Etat afin d’assurer son indépendance à l’extérieur aussi bien qu’à l’intérieur.
Sa politique d’industrialisation orientée par la préoccupation dominante de l’indépendance économique dans le cadre de l’Etat national, relègue à l’arrière-plan tous les problèmes spécifiques à la dictature prolétarienne : l’équivalence dans les échanges entre les villes et la campagne, base de l’union entre le prolétariat et la paysannerie, le relèvement du niveau de vie des travailleurs parallèlement à l’accroissement de la productivité du travail. Ses principaux succès sont remportés dans le domaine des rythmes gigantesques d’accumulation achetés au prix d’une compression systématique de la consommation des travailleurs.
Il en est de même de la politique de la collectivisation qui, en l’absence de bases techniques suffisantes et du libre choix des travailleurs de la terre qui constitueraient sa raison d’être au point de vue socialiste, n’est plus que la mainmise administrative de l’appareil d’État sur toute économie paysanne indépendante. La bureaucratie relègue à l’arrière-plan le problème de la dissociation du bloc paysan, de l’alliance entre le prolétariat et la paysannerie pauvre, et elle n’hésite pas à heurter de front l’ensemble de la paysannerie.
La politique du plan, entre les mains de la bureaucratie, est moins une économie dirigée dans le sens socialiste du mot, qu’une économie soumise à l’arbitraire d’une autorité dirigeante. Selon Marx, dans le 18 Brumaire, le bureaucratisme du Premier Empire est : “la forme inférieure et brutale d’une centralisation qui est encore infestée de son contraire : l’anarchie féodale”. Le bureaucratisme est la forme inférieure d’une direction consciente de l’économie qui est encore infestée de son contraire : le despotisme anarchique de l’autorité patronale. La tâche de la bureaucratie est le gouvernement des hommes. Le but du socialisme est la substitution de l’administration des choses au gouvernement des hommes. La bureaucratie n’aborde le problème de l’administration des choses que par le biais qui lui est propre : la contrainte brutale imposée aux hommes.
Le processus par lequel la bureaucratie soviétique s’est transformée en nouvelle classe dirigeante est le processus classique de l’usurpation qui donne naissance à des différences sociales à partir de simples différences fonctionnelles. La différence entre les fonctions de directive et les fonctions d’exécution se trouve à l’origine de la formation historique de toutes les classes : l’usurpation bureaucratique reproduit dans des conditions nouvelles l’usurpation du chef de guerre de la société primitive qui se transforme en seigneur féodal, et celle du maître qui se transforme en patron capitaliste.
Il reste que les chances de durée de cette classe nouvelle historiquement coincée entre le prolétariat et la bourgeoisie, à l’époque de leurs luttes finales sont extrêmement limitées.
La bureaucratie soviétique
et le prolétariat mondial
La théorie de l’édification socialiste dans un seul pays est devenue l’idéologie officielle imposée par l’Etat soviétique à toutes les sections de la IIIe Internationale. Elle ne doit pas seulement être dénoncée d’une manière théorique comme révision du marxisme, mais il faut aussi la critiquer dans ses fondements sociaux. La théorie du socialisme dans un seul pays est en réalité l’idéologie de classe spécifique de la bureaucratie, qui découle à la fois de ses origines révolutionnaires et de ses aspirations conservatrices. Elle mesure la divergence qui existe entre les intérêts de la bureaucratie soviétique et ceux du prolétariat mondial. C’est cette divergence qui se trouve à l’origine des erreurs systématiques de la IIIe Internationale.
La bureaucratie soviétique s’est développée sur le fondement des conquêtes du prolétariat. Elle ne peut renier ses origines révolutionnaires. Elle reste en ce sens solidaire du prolétariat et de la paysannerie révolutionnaires d’Octobre contre les anciennes classes dirigeantes expropriées par la révolution, qui demeurent l’ennemi commun des trois classes de la société soviétique, malgré leurs intérêts antagonistes. La Révolution russe n’a pas seulement exproprié les anciennes classes dirigeantes russes, mais elle a aussi exproprié une fraction de la bourgeoisie mondiale qui avait participé à l’édification capitaliste de l’ancienne Russie. Elle a fermé un marché et détruit l’équilibre mondial du capitalisme. Elle a été pour les nations et pour les classes assujetties par la domination capitaliste un exemple d’une valeur internationale. Pour toutes ces raisons, la bureaucratie soviétique, malgré son rôle d’usurpateur, reste encore dans une très large mesure antagoniste de la bourgeoisie mondiale. Elle est amenée par là à continuer à chercher un appui dans le prolétariat, et spécialement dans le prolétariat révolutionnaire galvanisé par l’exemple révolutionnaire d’Octobre.
Mais les intérêts de la bureaucratie soviétique ne sont plus que des intérêts nationaux et conservateurs : ils ne coïncident plus avec ceux du prolétariat révolutionnaire mondial. La bureaucratie soviétique a affermi sa puissance usurpatrice à la faveur du répit accordé à la bourgeoisie mondiale par le reflux de la vague révolutionnaire. Elle s’efforce de contenir le mouvement ouvrier révolutionnaire dans la limite où il reste une menace constante pour la domination de classe d’un capitalisme qui s’engagerait dans la voie d’une agression contre l’Etat soviétique. Elle subordonne les intérêts généraux et historiques du prolétariat international à ses intérêts particuliers et transitoires. Elle n’hésite pas un instant à sacrifier les intérêts de la révolution mondiale aux intérêts étroits et mal entendus de la Révolution russe. Cette attitude se vérifie aussi bien dans les tournants sectaires que dans les tournants opportunistes qu’elle impose à la politique de la IIIe Internationale. En 1926, la bureaucratie soviétique a sacrifié l’essor indépendant du PC anglais au maintien de l’alliance avec les chefs briseurs de grève des trade-unions dans lesquels elle avait trouvé des soutiens sérieux de l’Etat soviétique. Elle a sacrifié le Parti communiste et la Révolution chinoise à l’espoir vain d’une alliance sérieuse entre l’Union soviétique et l’Etat nationaliste bourgeois en lutte contre les impérialismes européens. Le tournant déterminé par l’échec de cette politique (gouvernement conservateur en Angleterre, agression du militarisme chinois contre le chemin de fer de l’Est) ne révise pas son caractère fondamental.
La politique de la troisième période n’est au fond qu’une mobilisation générale du prolétariat révolutionnaire autour du mot d’ordre central de la défense de l’URSS privée du soutien de ses ex-soutiens réformistes et nationalistes. Le caractère criminel de cette politique éclate enfin lorsque, derrière le sectarisme qui s’oppose au front unique de la classe ouvrière en Allemagne, apparaît le souci de freiner la lutte décisive qui détruirait dans le monde l’état d’équilibre à la faveur duquel la bureaucratie soviétique a pu maintenir son monopole usurpateur. Coincée historiquement entre le prolétariat et la bourgeoisie, la bureaucratie redoute également le prolétariat et la révolution mondiale.
Telle est la signification internationale de la politique du socialisme dans un seul pays. Dans cette politique et dans les intérêts dont elle s’inspire, se trouvent les raisons de la faillite de la politique de la IIIe Internationale. La rupture organique entre le mouvement ouvrier révolutionnaire mondial et l’appareil d’Etat soviétique est la condition de toute régénération communiste internationale. De même, en Russie soviétique, suivant la juste formule de Rakovsky “le mot d’ordre de l’unification de tous les communistes révolutionnaires peut être réalisé seulement par la masse du parti dans la lutte contre la bureaucratie centriste” (déclaration de 1930).
Une telle attitude n’entraîne pas le moins du monde le refus d’admettre les obligations internationales du prolétariat à l’égard de la Révolution russe. L’usurpation bureaucratique n’efface pas Octobre. Même entre les mains de la bureaucratie, les conquêtes du prolétariat restent les premières bases historiques du socialisme. Le devoir du prolétariat mondial de défendre l’Union soviétique contre toute agression de la réaction blanche ou de l’impérialisme mondial, reste entier, mais en toute indépendance et sans perdre de vue un seul instant ses buts généraux : la révolution mondiale et l’avènement d’une société sans Etat et sans classes.
Les véritables intérêts de la Révolution russe ne sont pas ceux qu’entend la bureaucratie soviétique. La véritable ligne de défense de la Révolution russe passe par la révolution mondiale, car c’est seulement à l’échelle mondiale que les contradictions historiques de la Révolution russe trouveront une solution.
Conclusions
1. Les conditions objectives qui ont favorisé la prise du pouvoir par le prolétariat russe devaient rendre plus malaisées les tâches postérieures à la prise du pouvoir dans les conditions d’isolement créées par le reflux de la vague révolutionnaire.
2. La dégénérescence bureaucratique de l’Etat soviétique a ses causes profondes dans l’ensemble des contradictions de la Révolution russe, dans l’héritage négatif de la bourgeoisie, dans la faiblesse du prolétariat et dans son isolement international au sein d’une masse paysanne et petite-bourgeoise.
3. Le pouvoir d’Etat soviétique sur les moyens de production et d’échange, en l’absence des garanties de la démocratie prolétarienne, ne permet plus d’affirmer le caractère ouvrier de cet Etat. La bureaucratie usurpatrice des conquêtes du prolétariat est une nouvelle classe dirigeante pourvue d’une base économique originale : la socialisation des moyens de production sans le contrôle ouvrier.
4. La bureaucratie soviétique louvoie entre la bourgeoisie et le prolétariat mondial. Cette politique originale est déterminée par ses origines révolutionnaires et ses buts conservateurs.
5. La divergence entre les intérêts de la bureaucratie soviétique et ceux du prolétariat mondial est à la source des erreurs systématiques de la IIIe Internationale (politique du socialisme dans un seul pays).
6. L’usurpation bureaucratique n’est pas la contre-révolution bourgeoise. Entre les mains de la bureaucratie, les conquêtes du prolétariat restent les premières bases historiques du socialisme. Le devoir pour le prolétariat de défendre en toute indépendance l’Union soviétique contre toute agression de la réaction blanche ou de l’impérialisme, reste entier.
7. La révolution mondiale seule peut donner une solution aux contradictions de la Révolution russe.
Rapport sur les
relations entre l’Opposition de gauche
et les partis staliniens,
présenté par le Groupe de la Gauche communiste
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Depuis le début de l’Opposition jusqu’à son stade actuel, ses rapports avec la direction de l’IC ont évolué en liaison étroite avec les transformations économiques et sociales qu’a subies l’URSS. Ce n’est pas ici le lieu d’exposer le caractère de ces transformations internes du pouvoir prolétarien depuis la Révolution d’octobre jusqu’à nos jours, mais on ne peut passer sous silence ses transformations, puisqu’en dernière analyse, ce sont elles qui ont déterminé toute la politique de l’IC. Rappelons brièvement les étapes qu’a suivies l’Opposition et la nature de ses rapports avec la direction du Parti bolchevik et de l’IC.
En 1923 et 1924, l’Opposition dirigée par Trotsky a lutté contre la bureaucratisation des cadres du Parti et de l’Etat soviétique. Dans ce qui n’est à cette époque qu’une lutte de tendances au sein du prolétariat révolutionnaire, on commence déjà à distinguer les divergences d’intérêts sociaux entre l’appareil qui se bureaucratise d’une part et la masse prolétarienne, d’autre part, mise de plus en plus dans l’incapacité d’exercer un contrôle démocratique.
Ce que l’on appelle le “zinoviévisme” n’est que le prolongement dans l’IC de la cristallisation bureaucratique où en est parvenu l’appareil d’Etat soviétique. La bolchévisation des partis, faite mécaniquement, sans égards aux niveaux organique et idéologique des adhérents, n’avait pour but que de supprimer la vie politique des différents partis de l’IC, de leur enlever toute initiative et toute responsabilité dans la marche des événements. C’est ainsi que le remplacement des sections locales qui avaient sans doute beaucoup d’inconvénients, mais dont l’existence permettait une certaine critique et un certain contrôle de la base, sur la politique de la direction, leur remplacement par des cellules, la plupart fictives, et dont l’immense majorité restèrent sans vie politique, tout cet éparpillement brutal des forces politiques du parti a eu le résultat qu’on pouvait en attendre : il a supprimé la vie politique dans les sections de l’IC, et derrière une façade pseudo-démocratique de discipline formelle, il a consolidé l’influence d’une clique bureaucratique. Le Ve congrès de l’IC (1924) illustre clairement les résultats politiques de cette bureaucratisation : on n’y cherche plus à déterminer la ligne d’action révolutionnaire après un examen objectif et attentif de la conjoncture politique, mais seulement à couvrir sous une phraséologie de circonstance les responsabilités de l’IC dans les échecs révolutionnaires répétés (Allemagne, Bulgarie, etc.). Cependant, la direction centriste de l’IC tolère encore d’une manière relative la présence d’une opposition dans les rangs des partis. Il faut attendre la mainmise complète de Staline et de son appareil sur le PCR et sur l’IC, il faut en arriver aux exclusions de 1927, à la répression féroce contre les bolcheviks-léninistes pour constater que le PCR “n’existe plus comme parti” (Trotsky). L’intrusion de la police dans les luttes intérieures sape le caractère prolétarien du PCR. Il ne s’agit plus dès lors “d’un mauvais régime intérieur”, mais d’une lutte très violente contre les intérêts historiques et universels du prolétariat défendus âprement par l’Opposition de gauche, et les intérêts transitoires et nationaux de la bureaucratie soviétique. Dans cette lutte, dans la destruction de l’Opposition qui l’a suivie, le PCR se transforme. De parti dirigeant du prolétariat suivant la conception léniniste, exerçant son contrôle permanent sur les organisations d’Etat, il est devenu, et devient de plus en plus partie intégrante de l’appareil d’Etat et un instrument de la domination bureaucratique sur la classe ouvrière. Depuis 1927, la dictature bureaucratique dans l’IC, comme dans l’Etat soviétique, s’est faite de plus en plus étroite et brutale.
Les dirigeants chassent impitoyablement tout militant qui n’est pas prêt d’accepter les décisions contradictoires des différents plénums et comités centraux. A ce terrorisme intérieur, qui est un des aspects les plus caractéristiques de la dictature bureaucratique, s’ajoute comme il était facile de le prévoir les transformations idéologiques conformes aux intérêts de la nouvelle caste dominante en URSS. A la conception internationaliste du marxisme s’est substituée la conception nationaliste du “socialisme dans un seul pays”. A la lutte, à la propagande pour la Révolution mondiale, s’est substituée la lutte et la propagande exclusives en faveur de la “défense” de l’URSS. A la critique marxiste, à la dialectique révolutionnaire, “objet d’horreur pour la bourgeoisie” (Marx)... et pour la bureaucratie stalinienne, s’est substitué le dogmatisme servile pour la plus grande gloire des bureaucrates dirigeants et de leurs intérêts de caste.
Ces deux aspects organique et politique de la situation actuelle de l’IC montrent à tous les marxistes que l’IC ne constitue plus l’avant-garde révolutionnaire, l’état-major clairvoyant qu’avait forgé Lénine, mais un appendice de la bureaucratie soviétique destiné à sa propre défense et à sa propre apologie.
Caractères de l’IC
Nous venons de voir que les différents partis communistes ne sont guère plus que des organisations de défense de la bureaucratie soviétique. Cela implique de leur part une attitude qui, en général, ne permet pas de “représenter les intérêts du mouvement intégral”, rôle que Karl Marx et F. Engels attribuaient aux communistes dans le Manifeste. De là cette succession impressionnante d’erreurs (en se plaçant du point de vue du prolétariat révolutionnaire) que l’opposition ne cesse de dénoncer depuis dix ans. De là cet isolement croissant des PC dans une situation souvent favorable, au milieu des masses hostiles ou indifférentes. De là cette politique de zigzags étrangers aux variations de la conjoncture politique, copie servile des réactions de la bureaucratie soviétique défendant son existence contre les revendications ouvrières d’une part, et contre l’emprise de la bourgeoisie d’autre part.
Certes, devant les masses ouvrières inéduquées, l’IC se présente dans la plupart des cas avec un visage révolutionnaire et prolétarien. Elle réussit parfois à entraîner derrière elle les ouvriers les plus combatifs, les meilleurs du prolétariat (cela est un fait d’évidence). Mais partout où elle parvient à jouer un rôle révolutionnaire de quelque importance, elle envoie les masses à une mort inutile (Chine) ou les achemine vers la plus honteuse capitulation (Allemagne). L’agitation, le verbalisme de l’IC, et même la répression qu’elle subit de la part de la bourgeoisie, toute cette façade révolutionnaire, ne doivent pas obscurcir le jugement des véritables communistes sur ce qu’elle représente actuellement ; sa phraséologie communiste ne peut servir à masquer le contenu national-bureaucratique de toute sa politique. Et c’est cela seul qui peut motiver notre jugement.
Mais ici, une question se pose : comment se peut-il qu’une organisation défendant des intérêts qui ne coïncident pas exactement avec ceux du prolétariat, puisse conserver cette façade révolutionnaire et un certain prestige, au moins dans quelques pays ?
A notre avis, cela tient à plusieurs causes :
1. Il ne faut pas oublier que la bureaucratie s’est développée sur les bases d’une révolution prolétarienne victorieuse, révolution qui n’a pu survivre qu’à cause d’une lutte acharnée contre les bourgeoisies coalisées de l’univers. Elle s’oppose aux différentes bourgeoisies sur le terrain économique, comme sur le terrain de l’héritage politique, de même que s’opposait aux monarchies féodales la bureaucratie bourgeoise de Bonaparte, issue de la révolution démocratique. Les partis communistes officiels n’ont pour but, pour ainsi dire exclusif, que de servir de moyens de pression et d’agents d’exécution entre ses mains. Cela suffit à les opposer d’une manière systématique souvent aveugle et parfois absurde aux partis de la social-démocratie internationale, qui, eux, représentent véritablement l’influence bourgeoise dans le prolétariat.
L’antagonisme actuel entre les PC officiels et les partis socialistes, après avoir été la conséquence de profondes différences de principe, n’est plus qu’un reflet de l’antagonisme existant entre la bureaucratie soviétique et la bourgeoisie mondiale. Il ne survivrait pas à une politique d’alliance entre l’URSS et les pays impérialistes, soit que les PC staliniens se fondent avec la social-démocratie, soit qu’ils s’effondrent sous le poids de leurs contradictions.
2. Pour maintenir leur prestige sur la partie avancée du prolétariat, les staliniens spéculent sur les traditions glorieuses du Parti bolchevik et de la Révolution d’octobre. En se représentant comme le continuateur de Lénine, leur chef Staline draine au profit de sa clique de parvenus les admirations et les enthousiasmes les plus profonds et les plus sains du prolétariat. Ce n’est pas d’aujourd’hui que l’adhésion des masses au communisme s’est faite plutôt sous la forme d’un amour sentimental et mystique de la Révolution bolchevique qu’à cause d’une compréhension aiguë de l’avenir social et économique du peuple travailleur. Nous ne nions pas l’importance historique de grands mythes pour le rassemblement des énergies révolutionnaires. Mais celui-là est un piètre communiste qui ne veut ni ne sait élever les passions des masses à la hauteur de la connaissance scientifique que procure le marxisme. La tâche des bureaucrates staliniens est au contraire d’empêcher par tous les moyens possibles la formation d’une conscience critique du prolétariat ; ces gens n’ont qu’une terreur, c’est que le prolétariat ne se mette à raisonner avant d’accepter, à juger au lieu de croire. C’est là une attitude qui ravale les staliniens au niveau des esprits réactionnaires les plus avérés, et c’est une raison de plus pour comprendre tout ce que renferme d’ironie sinistre les plans d’éducation du Parti !
Nous avons dit que le prestige de la bureaucratie était emprunté à celui
de la Révolution d’octobre ; mais on ne peut vivre éternellement de la renommée
des morts qu’on a détroussés : aussi assiste-
t-on aux efforts déployés par les dirigeants staliniens pour substituer à
l’auréole des premières années de l’Union soviétique, la légende dorée et bien
bureaucratique du Plan quinquennal considéré comme ouvrant une ère nouvelle
dans l’humanité ! La propagande des partis officiels en dehors d’une tendance
spontanée au réformisme hurlant hérité des errements petits-bourgeois du passé,
se réduit à une apologie bruyante et intéressée du régime stalinien.
3. Une des causes, et non des moindres, de l’influence de l’IC dans les masses, est l’existence de la social-démocratie, cet agent de l’influence bourgeoise dans les rangs ouvriers. La trahison permanente de la social-démocratie alimente les rangs staliniens, de même que son réformisme larvé favorisait avant-guerre l’anarcho-syndicalisme. On peut dire aujourd’hui en paraphrasant une opinion de Lénine sur l’anarchisme, que le stalinisme “est la rançon de l’opportunisme socialiste”.
Qu’aucun parti communiste sérieux n’ait pu se constituer pour porter des coups mortels au cadavre toujours debout de la social-démocratie, cela tient d’abord à la faible éducation marxiste des masses, ensuite au sabotage consciemment perpétré par la bureaucratie stalinienne. L’histoire du PC français est significative à cet égard : il n’est sorti des bras de la petite-bourgeoisie que pour tomber dans ceux de la bureaucratie. Aussi, la constitution d’une avant-garde communiste, suivant la conception léniniste, reste en France et dans la plupart des pays capitalistes dans le domaine de l’avenir.
Résumons maintenant les raisons qui expliquent à nos yeux le maintien et l’influence révolutionnaire des partis staliniens dans les pays capitalistes.
Ce sont : la politique d’opposition à la bourgeoisie et à ses laquais socialistes, menée par la bureaucratie, le prestige adroitement exploité de la Révolution d’octobre, enfin la politique de trahison de la social-démocratie combinée au faible niveau idéologique des masses.
Mais la façade communiste du stalinisme ne peut cacher aux yeux d’un véritable révolutionnaire que :
L’IC est responsable de la défaite de la révolution en Allemagne et en Bulgarie (1923), du désastre de la Révolution chinoise (1927), de la stagnation de la Révolution espagnole (1932), et enfin de la capitulation honteuse du prolétariat devant le fascisme, capitulation qui approche à grands pas. Enfin l’IC est directement responsable de la passivité et de l’incapacité organique et idéologique du prolétariat devant une crise de régime qui est sans précédent dans l’histoire.
L’IC actuelle
et l’Internationale d’avant-guerre
Nous avons parlé des deux aspects sous lesquels se manifeste la politique bureaucratique, l’idéologie stalinienne d’une part, le régime intérieur des partis d’autre part. Historiquement on ne peut séparer ces deux manifestations qui sont liées comme l’oxygène et l’hydrogène dans une goutte d’eau ; mais pour faciliter notre analyse, examinons d’abord les méthodes de lutte contre l’idéologie révisionniste des staliniens indépendamment du régime intérieur qu’ils imposent aux militants, et reportons-nous à l’époque antérieure à la guerre.
La IIe Internationale avait quitté le terrain du marxisme révolutionnaire conséquent. En théorie elle adoptait l’idéologie opportuniste et conciliante du centrisme de Kautsky, dont le but était de masquer les difficultés, d’escamoter les problèmes de la lutte révolutionnaire et de la prise du pouvoir, cela tout en restant fidèle à la lettre d’un marxisme étroit et desséché. En pratique, c’était bien pire encore ; la tendance réformiste de Bernstein avait en fait triomphé. L’appareil politique et syndicaliste n’était qu’une lourde machine bureaucratique dont tous les efforts consistaient à s’intégrer de plus en plus dans les rouages de l’Etat bourgeois. Il est clair que bien avant son effondrement de 1914, la IIe Internationale ne représentait plus les intérêts historiques du prolétariat mondial. Si son idéologie était une concession à ses origines, sa politique pratique s’inspirait avant tout des intérêts de caste de la puissante aristocratie d’Angleterre et d’Allemagne. A la tête des formidables organisations du travaillisme anglais et de la social-démocratie allemande siégeait une bureaucratie ouvrière depuis fort longtemps détachée de la production, et formant une sorte d’armature rigide et extérieure aux aspirations prolétariennes.
Malgré cela, Lénine et les bolcheviks, en dépit de leur scission constante avec les mencheviks, ne songeaient même pas à sortir de la IIe Internationale. Bien plus, ils sous-estimaient la lutte tenace menée contre le centrisme équivoque par la Gauche allemande de Liebknecht et de Rosa Luxembourg. Cette Fraction de gauche n’avait d’ailleurs pas d’équivalent dans les autres partis étrangers, et luttait pour son propre compte. Aucune de ces tendances qui continuaient l’esprit révolutionnaire du marxisme, ne pensaient à constituer une Internationale nouvelle. Elles savaient que les partis social-démocrates étaient dans la plupart des pays capitalistes d’Europe, sauf en France et en Espagne, la seule force organisée de la classe ouvrière, et que toute sécession d’avec la social-démocratie eût mené à un isolement de l’avant-garde révolutionnaire. Certains pensent aujourd’hui que ce fût une erreur de ne pas créer avant le désastre de 1914 une organisation internationale révolutionnaire ? Nous ne le pensons pas, car une telle organisation eût rapidement, dans les pays de démocratie bourgeoise, dégénéré en secte ; mais, ce qui nous semble une erreur historique très grave, c’est que les éléments marxistes révolutionnaires n’aient pas été capables de mener une lutte internationale unifiée, avec une plate-forme commune et une liaison organique, qui, bien qu’existant seulement au sein de l’Internationale eût survécu à son effondrement. Telle est la leçon qui se dégage des luttes au sein de la IIe Internationale.
Pouvons-nous comparer la situation d’avant-guerre avec celle d’aujourd’hui dans l’Internationale communiste ? Celle-ci a abandonné le marxisme révolutionnaire en fait tout en s’en réclamant dans l’idéologie. Elle a desséché l’enseignement de Lénine comme la IIe avait catéchisé Karl Marx. Elle a substitué aux intérêts de tout le prolétariat ceux d’une caste bureaucratique en URSS. Ce sont là sans conteste des ressemblances qui pourraient justifier des attitudes analogues de la part des marxistes. Certains sont d’un avis contraire, en affirmant que l’Internationale communiste est mille fois moins dégénérée que la IIe Internationale d’avant-guerre. Ce n’est pas notre avis. Nous ne chercherons pas à savoir si le “socialisme dans un seul pays” est plus ou moins réactionnaire que le révisionnisme de Bernstein, mais il nous parait peu probable que l’IC survive à l’explosion d’un nouveau 1914. La différence entre les deux organisations provient surtout de ce fait que la direction réformiste de la social-démocratie d’avant-guerre puisait sa force et son inertie dans l’embourgeoisement des catégories supérieures du prolétariat des grands pays capitalistes, embourgeoisement qui avait sa cause dans la conjoncture ascendante du capital et l’expansion impérialiste de cette époque. La bureaucratie est en URSS une classe qui possède les moyens de production et l’appareil d’Etat avec les moyens de répression que cela comporte. Elle n’a pas de liens économiques avec le prolétariat des pays capitalistes ; elle se superpose à lui et en reste isolée. Par suite, son hégémonie dans l’IC garde un caractère coercitif et étranger aux préoccupations immédiates du prolétariat. De là vient aussi la différence fondamentale entre le régime intérieur de la social-démocratie d’avant-guerre et le régime intérieur stalinien. Non seulement, la IIe Internationale n’a jamais chassé de ses rangs la Gauche allemande ou les bolcheviks russes, mais ces camarades pouvaient collaborer à sa presse et parler à ses congrès en toute liberté. Au contraire, la direction stalinienne a chassé, déporté ou emprisonné tous les opposants de sa politique. C’est une différence capitale que nous devons avoir présente à l’esprit, dans l’examen des rapports entre l’opposition et l’IC.
Car, sans le régime intérieur imposé par les staliniens, il est évident pour chaque oppositionnel que sa place serait dans les rangs de l’IC pour les mêmes raisons que les marxistes d’avant-guerre sont restés au sein de la IIe Internationale.
Les staliniens qui chassent l’opposition savent qu’une lutte de fraction menée dans l’IC sur la base du centralisme démocratique, aurait abouti à leur liquidation complète. Ce n’est pas de son plein gré que l’Opposition se trouve coupée des partis communistes ; les staliniens le savent bien ; et par là ils démontrent que les intérêts de la bureaucratie régnante leur sont plus sacrés que ceux du prolétariat.
La tactique et les perspectives
de l’Opposition
C’est donc le régime intérieur qui empêche l’opposition de mener une lutte loyale et disciplinée dans les rangs de l’IC, et le régime intérieur est une des preuves les plus formelles de l’emprise bureaucratique sur les rouages et sur les buts politiques de l’IC. En quoi consiste dans ces conditions la politique de Fraction ? L’absence de démocratie intérieure est si complète que toute fraction organisée au sein du parti y est pratiquement impossible. Seuls quelques individus peuvent par hasard et en se cachant échapper à la police du parti. Dans ces conditions, se déclarer fraction du parti n’est pas une constatation de fait, mais un vœu pour l’avenir, ou, pour les plus optimistes, une perspective historique certaine. Il est évident qu’on ne peut définir une organisation ou organiser sa propagande en se fondant sur l’accomplissement problématique d’un désir de ses adhérents. Quant à la perspective de réintégration de l’Opposition, c’est-à-dire à la création d’une fraction légale dans l’IC, cette perspective nous paraît absurde si on tient compte de la structure de l’IC et de l’Etat soviétique. les gens qui voient dans la lutte entre le stalinisme et l’Opposition une question de personnes ou une différence d’opinion, peuvent sans contradiction soutenir ce point de vue. Mais nous doutons qu’on puisse considérer de tels gens comme des marxistes. Nous qui voyons dans ce conflit une lutte de classes, nous ne pouvons admettre une prétendue conversion de la bureaucratie. Il est certain que sous la pression des événements, le cadre bureaucratique volera un jour en éclats, mais ce fait ne sera certainement pas la conséquence d’une atténuation ou de la légalisation de la lutte qu’elle mène contre l’Opposition ; bien au contraire, il sera le résultat d’un antagonisme croissant entre les intérêts et la politique de la bureaucratie et ceux du prolétariat. Parler du redressement de l’IC en y sous-entendant le redressement de la bureaucratie stalinienne, c’est tromper le prolétariat plus ou moins consciemment.
Vouloir le redressement de l’Internationale en l’arrachant à l’emprise de la bureaucratie soviétique, et en la nettoyant de toute bureaucratie, c’est tout autre chose, et ce point de vue qui est le nôtre, ne diffère pas sensiblement du point de vue de ceux qui croient à la nécessité d’une organisation neuve qui reprendrait à son compte les principes des quatre congrès de l’IC, et la tradition révolutionnaire du bolchevisme. La différence réside en une question de mots à laquelle on ne saurait attacher une grande importance.
La Ligue communiste défend sur le plan théorique la position de Fraction. Quand elle veut passer à l’application de cette position, elle n’aboutit qu’à une politique absurde, pleine de suivisme et de contradictions vis-à-vis du Parti. Tels ont été les résultats de sa politique dans les domaines syndical (lutte sectaire contre l’opposition unitaire), électoral (recommandations d’appliquer la tactique classe contre classe). La Ligue et l’Opposition internationale n’ont vraiment réussi que dans le plagiat des méthodes staliniennes de direction.
Aux antipodes de cette attitude, se trouvent les tendances qui veulent se constituer en second parti (Urbahns en Allemagne, Hennaut en Belgique, etc.). “Du moment qu’aucun travail sérieux de fraction n’est possible, disent-elles, il faut travailler à constituer un second parti".
Contre cette opinion, il n’y a, à notre avis, aucune objection de principe, mais nous ne pouvons suivre ces camarades pour des raisons concrètes très précises.
En effet, il ne suffit pas de la bonne volonté d’une poignée de gens pour fonder un parti ; il faut avant tout des circonstances historiques favorables qui peuvent varier suivant le temps et le lieu. Il est peut-être possible de fonder des partis communistes indépendants en Espagne et en Belgique par exemple, où les partis officiels sont faibles, sans traditions dans le prolétariat, et où aucun prestige acquis dans les luttes antérieures ne vient compenser le discrédit croissant qui enveloppe les méthodes staliniennes. Cela est tout à fait impossible au moins dans les circonstances actuelles, dans les pays où subsistent des partis ayant quelque importance (Allemagne, France).
Un parti nouveau, à plus forte raison, une Internationale nouvelle, ne peuvent se développer que dans la mesure où les partis existants ne satisfont plus aux besoins de la masse (et pas seulement de l’avant-garde).
Des organisations dispersées plus ou moins spontanées naissent et se développent dans les périodes historiques, où les anciennes organisations ayant fait faillite, le prolétariat secoue son apathie en cherchant une voie nouvelle. Nous n’en sommes pas encore là dans les grands pays capitalistes ; mais l’Opposition dont le rôle est de développer et de sauver le communisme, se doit, en se constituant en groupe indépendant, de surveiller attentivement cette évolution prochaine et de la polariser vers le communisme. Cela signifie-t-il que l’opposition doit renoncer à convaincre les membres honnêtes du parti stalinien ? Nous ne le pensons pas, bien au contraire. L’Opposition, en se débarrassant du point de vue formaliste et étroit de la Ligue communiste et du Secrétariat international, en renonçant à convertir ou à réformer une clique bureaucratique sans principes et sans pudeur, n’en sera que plus à l’aise pour montrer aux ouvriers communistes la politique détestable ou criminelle des dirigeants staliniens. C’est dans une indépendance complète de l’Opposition vis-à-vis des organisations staliniennes, et c’est en préconisant l’indépendance de classe de l’avant-garde communiste vis-à-vis de toute autre classe ou caste dont les intérêts ne coïncident pas avec ceux du prolétariat que l’opposition pourra remplir sa mission : redresser le mouvement communiste en le rendant à se buts finaux : la révolution mondiale et la construction d’une société sans classes.
Conclusions
1. La politique stalinienne et le régime intérieur de l’IC sont les conséquences de la mainmise complète de la bureaucratie soviétique sur le mouvement ouvrier révolutionnaire des pays capitalistes.
2. La politique stalinienne fait systématiquement passer les intérêts de cette bureaucratie avant ceux du prolétariat.
3. Dans ces conditions, l’IC, malgré sa façade révolutionnaire, ne répond plus à la conception léniniste d’une avant-garde consciente du prolétariat international.
4. La bureaucratie soviétique ne peut pas plus se réformer que toute autre bureaucratie apparue dans l’histoire, elle ne peut être que vaincue et brisée dans la lutte de classes.
5. Dans ces conditions, il est vain et puéril de vouloir redresser les cadres dirigeants de l’IC tant que celle-ci s’appuiera sur l’appareil d’Etat soviétique.
6. Le redressement de l’Internationale, effectué sous la pression du prolétariat révolutionnaire, ne peut se concevoir que par une rupture organique avec la bureaucratie soviétique aboutissant à la constitution d’une organisation indépendante de cette bureaucratie.
7. L’Opposition communiste de gauche a pour but de travailler à reconstruire l’avant-garde communiste internationale indispensable à l’émancipation prolétarienne.
8. Dans ce but, l’Opposition de gauche doit être unifiée sur les plans national et international avec une plate-forme commune s’inspirant des thèses adoptées par les quatre premiers congrès de l’IC et des expériences révolutionnaires qui ont suivi, sur la base du centralisme vraiment démocratique.
9. L’Opposition ne renonce pas à travailler au sein du PC dans la mesure du possible pour amener les adhérents sincères du PC à la conception d’un redressement nécessaire du mouvement communiste. Elle doit manœuvrer pour ne pas faire chasser inutilement les adhérents et sympathisants qu’elle a dans les rangs du PC.
Dans ses attaques contre les dirigeants staliniens, l’Opposition doit éviter les critiques purement générales ou négatives, et au contraire, opposer sans cesse à la politique détestable ou criminelle des staliniens la politique d’une véritable avant-garde communiste, afin d’élever par tous les moyens le niveau idéologique des militants.
10. L’Opposition rejette comme prématurée dans la conjoncture actuelle du mouvement révolutionnaire, la formation de nouveaux partis communistes de masses, en marge des PC réellement existants.
11. Dans les pays où la dégénérescence du communisme officiel est considérable, l’Opposition de gauche se doit d’envisager avec les autres tendances communistes les conditions de l’unification des forces communistes sur la base d’un travail de masse.
Groupe de
l’Opposition de gauche de la banlieue ouest
Résolution sur la question russe
1. L’Opposition de la banlieue ouest (ancien 15e rayon) approuve dans ses grandes lignes l’analyse critique donnée par la Gauche communiste sur les contradictions de la Révolution russe.
2. Cependant elle ne saurait faire siennes entièrement les conclusions présentées à la fin de ce rapport, notamment en ce qui concerne l’appréciation fournie sur le caractère de l’Etat soviétique et les conséquences qui en découlent logiquement.
3. Le groupe pense au contraire que “le caractère ouvrier de l’Etat soviétique ne saurait être contesté tant que subsisteront la socialisation de la grande industrie, la nationalisation de la terre et le monopole du commerce extérieur”.
4. Par suite de l’absence de démocratie, de vrai contrôle des travailleurs sur l’ensemble des organismes de l’Etat, le bureaucratisme n’a cessé de se développer en URSS. Par ses liaisons, ses amitiés, sa force, ses privilèges, la bureaucratie soviétique en vient à jouer un véritable rôle de classe, dont les intérêts s’opposent de plus en plus aux intérêts de la classe ouvrière. Cependant, la paysannerie seule peut devenir dans le moment présent une force de Thermidor.
5. D’autres facteurs que la révolution mondiale peuvent intervenir en URSS pour donner une solution aux contradictions de la Révolution russe : la guerre, des révoltes paysannes, etc.
6. Nier le caractère ouvrier de l’Etat soviétique, si précaire soit-il et si dangereusement compromis, c’est fatalement s’engager sur la voie du 2e parti en URSS, dans la voie de la IVe Internationale, et en France dans l’organisation du 2e parti.
Le Groupe de l’opposition communiste de gauche de la banlieue ouest a voté les points 1, 2, 4, 5 et 6 des conclusions du rapport de la Gauche communiste. Elle a, par contre, repoussé les points 3 et 7.
Fraction de gauche
(Opposition)
Les problèmes de l’unification
La conquête des masses
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Quand on parle de l’impuissance des masses – et ici il ne saurait s’agir que des masses exploitées du prolétariat – il est bien entendu
qu’il ne s’agit pas de leur impuissance par rapport à leur rôle historique, tel que le conçoit notre conception marxiste, mais de la qualité de leur esprit de classe, de leur degré de combativité, de leur subjectivisme révolutionnaire, vus sous l’angle de la lutte politique et de l’objectivisme historique d’une époque comprise entre la fin de la guerre 1914-1918 jusqu’à aujourd’hui.
L’époque de l’impérialisme ne peut être que l’époque de la lutte de classes accentuée et il n’est de communiste sérieux qui n’en soit d’accord.
Mais si les formulations théoriques les plus audacieuses en même temps que les plus véridiques précèdent le mouvement des choses et aident à son analyse, elles ne sauraient commander le rythme de son évolution jusqu’en ses conclusions définitives.
Nous prévoyions lors des grandes tempêtes d’après-guerre un rythme rapide dans l’évolution et l’activité des masses ouvrières, et, cela va de soi, nous en tirions toutes les déductions révolutionnaires. Mais le rythme se ralentit sous le choc des premiers échecs, marqua le pas, changea de nature. De la quatrième vitesse, on passa sans transition à la première et de là à la marche arrière.
L’histoire a-t-elle donc demandé à la classe ouvrière un effort pour lequel elle n’était pas prête ? Il ne saurait s’agir de cela qui n’est que misérables arguties à l’usage de réformistes. La vérité est, simplement, que l’idée révolutionnaire dont parle Marx ne s’était qu’insuffisamment emparée des masses, portées en avant par leur solidarité pour la Révolution russe et leur haine de la guerre.
*
On ne peut nier les immenses progrès accomplis, dans les masses ouvrières, par le communisme, dans cette courte période historique d’après-guerre comparée à l’histoire du mouvement prolétarien, longue de plus d’un siècle ; mais il serait aussi vain de nier que des couches prolétariennes et semi-prolétariennes n’ont pas su se soustraire aux horizons bornés de l’esprit petit-bourgeois, de son nationalisme, de son démocratisme parlementaire, de sa culture, de ses traditions d’ordre et de paix sociale ; et que ce fardeau là a entravé la marche de la révolution. C’est la social-démocratie qui fût la meilleure expression politique et qui l’est encore de ces couches attardées de travailleurs, qu’elle exploite politiquement au bénéfice de la bourgeoisie.
*
Si la social-démocratie, actuellement, a reconquis une grande influence sur les masses prolétariennes, il en serait dangereux de conclure que l’esprit réformiste s’exerce chez les travailleurs socialistes qui suivent les chefs dans les mêmes limites. Les fautes accumulées par l’IC ont permis aux chefs social-démocrates de se refaire une virginité et d’effacer de la mémoire de trop nombreux travailleurs le souvenir de leur responsabilité dans la guerre 1914-1918.
C’est un fait inattendu, et difficilement prévisible à l’époque des premiers congrès de l’IC, que cette restauration à un tel degré de la IIe Internationale dans une période de préparation à la guerre et de guerres des impérialismes exacerbés.
*
Mais il serait faux de dire, que par exemple, le IVe congrès de l’IC n’a pas tenu compte des changements intervenus dans les rapports entre les Etats capitalistes et qu’il n’a pas lancé les mots d’ordre correspondant à son analyse de la situation mondiale. Il suffira de marquer ici que le mot d’ordre des Etats-Unis soviétiques d’Europe souligne le souci manifesté par l’IC d’un prolétariat qui, à la veille de la révolution allemande avortée de 1923, prêtait une oreille trop complaisante aux sirènes réformistes du pacifisme.
Ainsi se trouve confirmé que la lutte contre l’impuissance des masses revêt la nécessité d’une lutte sans merci contre l’idéologie réformiste. Il n’est pas pour un parti communiste, qui doit garder sa complète indépendance, d’autres moyens de rester en contact avec elles sur tous les terrains de leur activité.
*
La situation actuelle appelle plus que jamais la réalisation de l’unité syndicale (Congrès de fusion ou rentrée en bloc dans la CGT par la CGTU et la FA) et la pratique du front unique véritable (condamnation de la tactique “classe contre classe”).
La Fraction de gauche a une position par rapport à ces deux problèmes, connue depuis longtemps. Le groupe n’insistera donc pas.
Nous pensons que les différents problèmes : parti autonome, parti de masses, travail dans les syndicats, coopératives, anciens combattants, classes moyennes, paysannerie, ne peuvent être l’objet de points de vue irréconciliables entre oppositionnels de gauche.
Par contre, nous pensons que le système d’organisation du parti doit, davantage que cela ne fût fait jusqu’à présent, être mis à l’étude dans les groupes oppositionnels.
Le groupe du Redressement communiste dont nous continuons la filiation politique avait déjà posé la question et y avait répondu par une condamnation de l’organisation actuelle du Parti.
Personne ne peut nier, devant les résultats lamentables de la “bolchévisation”, traduite dans le domaine de l’organisation par la création des cellules, qu’il faut revenir à la section locale, avec la cellule comme organisme de travail.
La lutte pour redresser le Parti communiste français et l’IC rejoint la lutte pour la conquête des masses ouvrières sur le terrain de :
1. l’unité syndicale,
2. le front unique,
3. la réorganisation du parti.
Les problèmes de
l’unification
(contribution à la discussion)
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La politique de masses pratiquée par l’Internationale communiste dans la période qui a suivi la guerre a reçu sa consécration officielle dans les débats et résolutions de ses congrès mondiaux. Même lorsqu’il s’agit des quatre premiers congrès de l’IC, dont les analyses et les thèses forment, aujourd’hui encore, la base principielle de l’Opposition de gauche, on ne peut se refuser, à la lumière des expériences tirées de l’histoire, d’opérer certaines clarifications.
Elles s’imposent par cette constatation que, dans les premières années de l’existence de l’IC, l’enthousiasme révolutionnaire a trop souvent tenu la place de la critique consciente, de l’analyse sûre, de l’objectivité. On a pris alors pour réalisables les meilleures intentions du monde et la tendance à surestimer les forces et à sous-estimer celles de l’adversaire a souvent et trop longtemps prévalu. Il s’agit là de fautes de jeunesse inévitables, nées de l’ambiance révolutionnaire d’après-guerre, d’une part, de l’inexpérience des partis communistes, d’autre part.
Ces leçons d’hier sont trop précieuses pour que l’Opposition de gauche ne s’applique pas à en tirer tous les profits, à un moment où l’histoire tout court et celle du mouvement ouvrier s’apprêtent à répéter 1914.
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La guerre et ses conséquences avaient créé les conditions historiques propres à la création d’une nouvelle Internationale ouvrière. Les masses prolétariennes délivrées, peu à peu, sous le fouet des événements, de la psychose nationaliste, estimèrent à sa juste valeur la trahison manifeste de la IIe Internationale en août 1914. Le mouvement révolutionnaire déborda les vieux cadres politiques et syndicaux atrophiés et, se plaçant à la hauteur de la situation objective, la classe ouvrière s’ébranla et se répandit en vagues révolutionnaires qui menacèrent d’emporter définitivement le régime capitaliste en Europe.
Mais, ainsi qu’en témoignent les thèses du troisième congrès de l’IC : “la première période du mouvement révolutionnaire, après la guerre, est caractérisée par sa violence élémentaire, par l’imprécision très significative des buts et des méthodes”...
*
Les défaites subies par le prolétariat dans les années qui suivirent la guerre sont incontestablement dues à son impréparation théorique.
La période de prospérité du capitalisme avait fait le lit douillet du réformisme. Ce n’est qu’après le massacre de millions des leurs que les ouvriers réfléchirent sur les causes de la guerre impérialiste et ses buts, qu’ils brisèrent les vieux tableaux et idoles réformistes pour passer à l’action. Seulement, une doctrine révolutionnaire de masses ne s’improvise pas et, quelle qu’ait été l’influence exercée sur le prolétariat mondial, particulièrement pour le prolétariat européen, par la Révolution d’octobre, l’histoire nous a appris qu’on ne triche pas avec elle et qu’on ne saurait substituer avec succès l’empirique formation de cadres prolétariens, même au milieu des conditions objectives les plus favorables, à la nécessité souveraine d’une formation théorique vraiment communiste des cadres de l’armée révolutionnaire.
*
Lors de l’Exécutif élargi de mars-avril 1925, Zinoviev rappelait que Lénine, au 3e congrès de l’IC, avait marqué que le mouvement révolutionnaire n’avait pas “suivi la ligne droite que nous avions prévue”... et le secrétaire de ce temps de l’IC ajoutait : “Le marxisme, le léninisme, nous donnent infiniment, mais ils ne peuvent remplacer ce qui est fourni exclusivement par l’expérience historique de la révolution elle-même”.
En un mot, il faut se pénétrer de cette idée que personne n’a jamais dressé de questionnaire, avec réponses toutes faites aux demandes formulées, dans l’ordre stratégique et tactique, par les événements. Il ne nous reste qu’à comprendre la leçon des faits.
C’est ainsi qu’il nous a été révélé que le capitalisme mondial disposait après la guerre de forces et de moyens de résistance plus puissants que l’IC elle-même ne se les imaginait. Le capitalisme en Europe, aurait sans doute succombé sous les coups de la révolution, compte tenu du manque de préparation idéologique des cadres révolutionnaires, s’il n’avait pas trouvé l’appui plus efficace auprès du capitalisme d’outre-Atlantique. C’est peut-être là le facteur, entre autres, dont il ne fût pas suffisamment tenu compte. Le capitalisme américain, en tentant de coloniser une partie de l’Europe, n’a joué que la carte de sa propre défense en aidant au rétablissement de l’équilibre rompu du capitalisme européen menacé par la révolution.
*
De nouvelles conditions objectives sont alors survenues. Le capitalisme a repris confiance en ses destinées et, ainsi que le marque le 3e congrès (1921), les dirigeants de la bourgeoisie passent à l’offensive contre les masses ouvrières “tant sur le front économique que politique”. Et cette stabilité partielle relative du capitalisme européen se poursuivra, se maintiendra, malgré les menaces révolutionnaires en Allemagne (1923), la crise française de 1924-25 et le formidable mouvement anglais de 1926, jusqu’à la crise actuelle qui débuta en 1929. A cette demi-restauration du capitalisme dans le monde, entre 1921 et 1929, a correspondu un accroissement des influences réformistes syndicales et politiques dans le mouvement ouvrier mondial. Cet accroissement a été favorisé par la politique centriste de l’IC dont la première manifestation sérieuse éclata en 1924 quand Staline parla du “socialisme dans un seul pays”.
Les variations de la conjoncture mondiale ont amené l’IC à rectifier sa position tactique dès 1921 ; mais cette rectification porte encore la marque de la tendance à sous-estimer les forces capitalistes. On peut dire à ce sujet que la création de l’ISR (Internationale syndicale rouge), décidée par le 3e congrès, relève d’une fausse appréciation des rapports de force entre les éléments réformistes et révolutionnaires se disputant, à cette époque, l’influence dans les rangs du prolétariat, et des rapports de force entre celui-ci et la bourgeoisie.
La création de l’ISR, en 1921, ne pouvait répondre aux nécessités objectives de la situation d’alors que si elle avait été formée, non comme une centrale syndicale à côté de la centrale d’Amsterdam, mais comme une organisation ayant la tâche, à l’intérieur de la centrale réformiste, de rassembler les minorités révolutionnaires syndicales, de concentrer, de lier, de coordonner leurs efforts pour la lutte victorieuse contre le réformisme sans provoquer de scission funeste à la classe ouvrière.
L’IC n’a pas suffisamment résisté aux courants gauchistes et anarcho-syndicalistes qui se sont développés dans les syndicats et qui ont abouti à des scissions malheureuses comme en France et en Tchécoslovaquie, notamment.
Toutes les formulations heureuses qu’on peut trouver dans les résolutions du 3e congrès, relatives au mouvement syndical, n’effacent pas les grossières fautes de tactiques qui furent commises.
Par exemple, la formation des CSR [???], en France, créés non pas sur la base d’une tendance idéologique luttant pour conquérir la majorité dans la CGT unique, mais sur la base d’une organisation ayant une vie propre à l’intérieur de la CGT, a été une grosse faute. Cette faute a permis aux réformistes (motion Dumoulin) de provoquer au congrès de Lille, la scission de la centrale syndicale française, sans aucun bénéfice durable pour l’influence communiste dans les syndicats.
Certes, un parti communiste doit s’attacher fortement à pénétrer de toute son idéologie révolutionnaire le mouvement syndical. La création de fractions communistes à l’intérieur des syndicats doit s’opérer sous son contrôle. Mais les faits nous apprennent qu’il faut s’éloigner comme de la peste de toute mesure bureaucratique et sectaire, de toute combine ou machination tendant à remplacer la véritable influence communiste dans les syndicats par un mécanisme d’absolutisme dans l’organisation et l’action syndicales.
*
Les fautes opportunistes et aventuristes (qui sont sœurs d’ailleurs) ne peuvent être évitées qu’autant qu’un parti communiste subit de l’intérieur le contrôle constant et permanent de sa base. C’est la pratique du centralisme démocratique ou démocratie ouvrière, appliqué à tous les degrés de l’organisation qui peut seulement permettre d’éviter les lourdes fautes dont fourmille l’histoire de l’IC de ces dernières années.
Ces fautes, l’Opposition de gauche les a souvent dénoncées au cours de ses luttes contre les centristes. Fautes opportunistes en Allemagne (1923) ; en 1926 (Comité anglo-russe – résolution de Berlin) ; proposition de Kaganovitch, au nom de la direction de l’IC, de liquider sans garantie l’ISR ; 1927 (politique du bloc des quatre classes en Chine et étranglement de la révolution). Fautes aventuristes : mouvement insurrectionnel de Canton, politique dite de la troisième période.
Résolution dur les
rapports de l’avant-garde communiste
avec les masses ouvrières
Groupe de l’Opposition communiste de gauche de la banlieue ouest
A. Bases historiques et théoriques de la politique de masses de l’IC à sa formation.
B. Historique des positions de l’IC dans la lutte de classes.
C. Historique du développement des points de vue des Oppositions communistes et syndicalistes sur la politique de masses de l’avant-garde (cette étude ne peut être faite qu’au travers d’une discussion large au sein de l’Opposition)
D. Rôle de l’avant-garde communiste dans la lutte de classes.
E. Ce que nous entendons par syndicats de masses.
F. Le rôle des communistes dans les syndicats tels qu’ils sont actuellement :
a) dirigés par les communistes
b) dirigés par les réformistes, chrétiens, etc.
Front unique – L’unité syndicale – Le mouvement des chômeurs.
A. Bases historiques et théoriques
de la politique de masses de l’IC
à sa formation
La guerre de 1914 démontra l’impuissance et la trahison des organisations du prolétariat : syndicats et partis politiques. Seul le Parti bolchevik russe, grâce à Lénine, eût une attitude véritablement marxiste. Dans les autres pays, seulement quelques individualités appartenant à des groupements politiques et syndicaux réagirent contre la trahison de la IIe Internationale.
Trois années après 1914, Lénine et le Parti bolchevik menaient le prolétariat russe à la victoire. Avec la fin de la guerre commençait une période de crise révolutionnaire qui, partant des pays les plus durement éprouvés, en tout premier lieu les pays vaincus, se propagea dans le monde entier.
La lutte des masses prolétariennes fût dirigée contre le régime capitaliste et pour le pouvoir politique. Cette lutte se fondait ainsi avec la lutte politique de l’avant-garde communiste qui, en Russie, venait d’être victorieuse. La Révolution russe était le centre révolutionnaire du monde.
La vague révolutionnaire se développa jusqu’en 1923 (Allemagne et Balkans). Le prolétariat s’approcha de très près de ses objectifs historiques (Hongrie, Allemagne).
Les masses ouvrières avaient besoin pour diriger leurs luttes de cadres prolétariens éclairés par une doctrine révolutionnaire complète.
Or, dans les grands pays industriels de l’Europe et dans les premières années de l’après-guerre, non seulement il n’y avait pas de parti révolutionnaire homogène et expérimenté, mais les chefs des organisations révolutionnaires existantes étaient violemment hostiles à la révolution prolétarienne et leur influence était encore grande. Ce qui explique, sous la formidable poussée des masses, les scissions dans les vieilles organisations, la formation d’oppositions révolutionnaires, la constitution de nouveaux syndicats, de conseils d’usines, de soviets même et la fondation des partis communistes dont la doctrine était une transposition de celle de Lénine et non une doctrine formée dialectiquement par une accumulation des luttes collectives passées. Si bien que la seule doctrine révolutionnaire d’action politique de masse, celle de Lénine, n’était profondément assimilée que dans le groupe des bolcheviks russes, au sein duquel elle s’était élaborée.
Dans tous les autres pays, les minorités révolutionnaires et les vrais chefs prolétariens étaient profondément imprégnés par les idées traditionnelles du socialisme d’avant-guerre et du syndicalisme révolutionnaire dont l’insuffisance est manifeste pour la direction des grandes luttes politiques.
Le facteur subjectif, “une organisation et des militants éprouvés”, qui joue un rôle essentiel dans les luttes des masses, prenait dans une période d’insurrection internationale du prolétariat, une importance décisive et il est clair que l’échec de la révolution mondiale procède de l’inexistence dans chaque grand pays industriel d’Europe d’un parti révolutionnaire animé par une doctrine achevée issue de son expérience propre.
C’est ainsi que si la lutte prolétarienne a pu être poussée très loin en Russie, il faut, en dehors du moteur des conditions objectives évidemment, en créditer l’impulsion énorme donnée à la concentration des forces révolutionnaires par le Parti bolchevik russe et à la cristallisation idéologique qu’il a opérée autour des points essentiels de sa doctrine.
Lénine, qui avait misé sur la révolution mondiale, voyait clairement la faiblesse extrême du mouvement révolutionnaire comme conséquence au manque d’expérience des partis communistes et il devait ainsi pousser à la création de la IIIe Internationale pour centraliser la direction des luttes du prolétariat mondial en s’opposant aux Internationales II et II½, accélérer le groupement des courants révolutionnaires autour des conceptions de lutte adéquate à la conjoncture sociale, éviter les catastrophes et développer rapidement l’expérience des partis communistes.
Le PCR se trouvait ainsi être le parti dirigeant du mouvement international. Il devait l’orienter sur la base de son expérience propre. Mais quelle était cette expérience?
Sous le tsarisme, aucune organisation ouvrière de masses ne pouvait subsister, sauf dans les périodes de grande activité révolutionnaire (1905, 1917) et où elles s’imposaient sous la forme politique de soviets ou de syndicats à tendance.
Les luttes des ouvriers par leur caractère politique conscient rejoignaient et dépassaient les luttes de la petite bourgeoisie contre l’autocratie et le grand capital, mais ce parallélisme d’action tendait à corrompre idéologiquement la partie militante de la classe ouvrière et faire dévier l’action révolutionnaire de sa voie propre.
Lénine poursuivait donc sans arrêt sa lutte contre les déviations opportunistes et dégageait une doctrine politique spécifiquement ouvrière.
En résumé, la tactique léniniste avait un caractère spécifiquement politique et ne comportait pas la notion d’une tactique syndicale de masse indispensable à la réalisation du rôle dirigeant d’un grand parti révolutionnaire dans les pays industriels à superstructure démocratique.
B. Historique des positions de l’IC dans la lutte de classes
Période révolutionnaire
Aussitôt formée, la IIIe Internationale envisage le problème de la conquête des syndicats et des masses ouvrières, car si la IIe Internationale était pratiquement ruinée dans l’esprit des travailleurs, les centrales syndicales étaient encore fortes et moins directement atteintes dans leur prestige que les sections de la IIe Internationale. Les chefs traîtres trouvaient dans les organisations syndicales un refuge et un moyen de freiner le développement des luttes révolutionnaires en invoquant le prétendu caractère perpétuellement apolitique de l’action syndicale.
Mais les conditions objectives et l’état d’esprit des ouvriers étaient tels que ces derniers se tournaient vers les syndicats, non pour y pratiquer une lutte réformiste, mais pour réaliser l’action révolutionnaire consciente. Ainsi, en France, la CGT groupa en quelques mois 1 500 000 adhérents et possédait en 1919 deux millions de membres. A la période insurrectionnelle spontanée de 1918/19 succédait la période de l’organisation de la révolution par les partis communistes et les syndicats rouges.
L’ISR fût donc créée en 1920 dans une conjoncture politique révolutionnaire qui nécessitait la concentration en une tendance unique de tous les éléments révolutionnaires du mouvement syndical international.
L’ISR était donc une Internationale syndicale politique et devait de ce fait mener par sa propagande une lutte idéologique énergique contre le réformisme, le confusionnisme anarchiste et toutes les traditions périmées du syndicalisme d’avant-guerre.
L’ISR extériorisant et s’appuyant sur une doctrine révolutionnaire achevée se développa dans la période de la lutte politique des masses. Son programme et son idéologie étaient au niveau de la conscience du prolétariat, elle ne rencontra donc aucune résistance parmi les syndicalistes révolutionnaires, mais par contre de violentes réactions éclatèrent du fait des éléments spécifiquement anarchistes ou réformistes qui s’opposaient politiquement au communisme.
L’ISR avait la physionomie d’une organisation politique de masse. Le cadre dans lequel était enfermé sa tactique de masse ne pouvait subsister que grâce à une progression continue du mouvement révolutionnaire. Toute régression de ce dernier, en dissociant l’action de l’ensemble du prolétariat de l’activité des communistes, devait entraîner ou l’affaiblissement de l’ISR ou un remaniement profond de sa tactique et de ses statuts.
Période de reflux révolutionnaire et de stabilisation relative du capitalisme
Cependant, la bourgeoisie des différents pays, après avoir résisté à la vague révolutionnaire en Europe centrale et occidentale, poursuivait au milieu de grosses difficultés et avec l’aide du capitalisme américain la réadaptation de l’économie aux conditions normales et rétablissait le marché mondial.
A la première réaction du prolétariat basée sur les souffrances de la guerre, se substituait et se superposait partiellement et progressivement la lutte de masse contre la misère due à l’exploitation patronale, misère aggravée, suivant les pays, par les convulsions économiques, les tensions impérialistes et les violences contre-révolutionnaires.
La mouvement ouvrier retrouvait peu à peu donc sa base directement économique qui rattachait les divers aspects de l’action de masse aux conjonctures particulières dans les différents pays.
L’échec de la grève politique de 1920 en France, la liquidation du mouvement de 1923 en Allemagne, le développement du fascisme en Italie, en Europe centrale et orientale, le renforcement de la position des chefs trade-unionistes en Angleterre, d’une façon générale la stabilisation de la FSI et l’organisation des forces contre-révolutionnaires indiquait que nous entrions dans une période nouvelle du mouvement révolutionnaire et que le capitalisme allait connaître une ère de stabilisation relative.
A la ruine des idées spécifiquement bourgeoises et social-démocrates comme conséquence de la guerre et de la faillite de la IIe Internationale, succédait une restauration partielle de l’influence bourgeoise sur la classe ouvrière par le canal des sophismes de la social-démocratie rénovée.
C’est ainsi qu’à l’encontre des groupes impérialistes qui ne pouvaient développer qu’un chauvinisme officiel, la social-démocratie pouvait seule présenter sur le plan idéologique un front international unifié, face à la doctrine bolchevik de la révolution mondiale.
Le surimpérialisme, inspiré de la doctrine du capitalisme organisé et des réalités de la prépondérance américaine, la propagande pour la SDN et le BIT, la théorie de la démocratie industrielle avec les lois de socialisation, le contrôle ouvrier et l’arbitrage obligatoire, une réédition de la formule “l’Etat au-dessus des classes” étaient fondus dans un corps de doctrine pseudo-ouvrière qui fixait des perspectives sociales et systématisait une politique de collaboration étroite entre la social-démocratie et la bourgeoisie dirigeante.
Il est évident que les pratiques politiques inspirées de la doctrine social-démocratie d’après-guerre devaient se rattacher très étroitement aux tâches économiques de la bourgeoisie. Or, il est clair que le rétablissement de la vie sociale ne pouvait s’opérer sur les anciennes bases et avec les seuls moyens du capitalisme européen.
Cette double nécessité fût provisoirement satisfaite par l’intervention de l’impérialisme américain dont les ressources financières et les prévisions politiques évitèrent la chute imminente de la bourgeoisie allemande.
En outre, par la rationalisation, le capitalisme yankee prétendait rétablir la vie économique sur un plan nouveau et sauver le régime. Le développement de la rationalisation aux Etats-Unis en 1921, son introduction sur le plan national en Allemagne après 1923, les orientations économiques et politiques auxquelles donna naissance parmi les bourgeoisies des pays industriels, la fusion qui s’opéra entre la propagande générale des réformistes et la théorie patronale de rationalisateurs, les bouleversements profonds qu’elle réalisa dans les processus de production, dans les échanges, dans l’infrastructure financière des groupes capitalistes et dans la technique de la concentration capitaliste, les cortèges de lois d’asservissement qui l’accompagnent et la pénétration toujours plus grande de l’Etat dans le domaine privé, tout cela fait apparaître la nationalisation comme un phénomène social propre à une époque déterminée du développement des forces de production du régime capitaliste.
A travers un grand travail de reconstruction économique et grâce aux illusions qu’elle provoqua initialement dans les masses, la rationalisation permit à la bourgeoisie un déplacement profond dans les rapports de classes.
Ceci posait problème parallèlement et sous un jour nouveau l’entraînement des ouvriers dans la lutte révolutionnaire.
Lénine comprit très bien qu’un tournant décisif devait être amorcé dans le travail des communistes, malgré que la vague révolutionnaire fût encore très haute. Il en détermina le sens et conclut à un affaiblissement de l’activité politique des masses pour la période qui s’ouvrait.
C’est déjà au 3e Congrès de l’IC (fin 1921) que Lénine et Trotsky posaient les bases doctrinales d’un cours nouveau dans la politique de l’Internationale. En premier lieu, l’hypothèse émise par Marx d’après laquelle le capitalisme connaîtrait des crises cycliques jusqu’à la révolution prolétarienne était longuement démontrée.
Ce n’était pas fortuitement que Lénine développait un point de doctrine. Ce travail de clarification était étroitement lié à la préparation d’une orientation nouvelle, qui devait introduire la notion d’une tactique syndicale de masse basée sur l’action directe de classe des travailleurs et dont le contenu politique aurait été déterminé par la variation des conjonctures économiques et par le développement même des luttes ouvrières. C’était le point de départ d’une révision complète de la structure et de la tactique de l’IC.
On comprendra l’importance et la difficulté de cette opération politique lorsqu’on se souvient que l’ISR avait été fondée en période révolutionnaire ascendante, que sa charte et statuts exigeaient de tous les membres l’adhésion orale à la doctrine communiste et qu’elle menait la lutte sur les mêmes bases d’action et de propagande que la IIIe Internationale.
Lorsque la doctrine politique de Lénine cristallise en débordant du plan russe, autour de ses principes les courants du mouvement révolutionnaire mondiale parce que seule vraiment complète, elle le fait dans une conjoncture sociale insurrectionnelle et sa carence syndicale dans une période de stabilisation relative du capitalisme ne pouvait apparaître qu’avec le développement même de la dépolitisation correspondante des luttes ouvrières.
La disparition de Lénine dans un moment où les bases nouvelles du travail des communistes dans les masses aurait dû s’exprimer dans un bouleversement profond du travail syndical se traduisit par une perpétuation des pratiques du “communo-syndicalisme” dont le principe est incontestablement orthodoxe par rapport au cadre de la doctrine de Lénine forgée dans l’avant-guerre, mais incompatible avec l’esprit même du marxisme-léninisme dont les bases scientifiques exigent un enrichissement doctrinal issu de la lutte révolutionnaire effectuée dans chaque pays et dans des conditions nouvelles.
La tactique syndicale des communistes en France - P.C. et CGTU
Au cours de la période révolutionnaire de la fin de la guerre et des premières années de l’après-guerre (1917-1921), les dirigeants syndicaux corrompus par la bourgeoisie ont réussi dans tous les pays industriels à utiliser l’appareil syndical au freinage du mouvement révolutionnaire des masses. En France, ils ont parachevé leur mainmise complète sur la CGT en chassant de son sein les ouvriers révolutionnaires, en provoquant la scission syndicale. La CGTU fût créée dans ces conditions.
Dans les années qui suivirent, la faible activité extérieure du PCF s’exerça presqu’exclusivement sur le plan politique : le PC tenta de mobiliser les masses directement sur les mots d’ordre révolutionnaires, en négligeant à peu près totalement l’action syndicale.
Dans le domaine fondamental de l’action syndicale, les communistes limitèrent leur activité à la propagande communiste au sein des syndicats de la CGTU où l’influence anarcho-syndicaliste était encore profonde et surtout à la conquête mécanique des postes syndicaux, conquête qui permit au PC d’associer la CGTU à toutes ses manifestations politiques.
La stabilisation relative du capitalisme international en 1923-24 et l’essor à peu près ininterrompu de la production en France de 1924-1930 avec la hausse également continue du prix de la vie (celui-ci a doublé en 6 ans) créèrent des conditions particulièrement favorables pour les luttes des masses.
Pourtant les grèves sont restées en France pendant cette période relativement peu nombreuses et généralement isolées. La crainte de la répression patronale et étatique, de la perte du salaire, le rôle de briseurs de grève des syndicats cégétistes, ne peuvent suffire à expliquer cette passivité et cette dispersion, et ne le peuvent d’autant moins que dans une région industrielle aussi importante que la région parisienne, l’influence cégétiste était quasi inexistante et l’influence communiste prépondérante.
Un nouveau facteur historique a joué un rôle capital : bien que groupant et influençant les éléments les plus combatifs du prolétariat et bien que dirigée par des communistes, la CGTU n’accomplissait pas son rôle animateur des grèves, elle se contentait de prendre la direction des grèves spontanées et pratiquait la surenchère appuyée par un verbalisme outrancier.
D’autre part, les grèves spontanées étaient elles-mêmes freinées par le fait que les militants les plus combatifs, les plus conscients de l’usine, les communistes et les sympathisants, avait toute leur attention tournée vers l’agitation politique. L’étude attentive des revendications immédiates des diverses catégories d’ouvriers de l’usine, la préparation patiente de la grève par une propagande syndicale correspondant au niveau moyen des masses, la liaison entre les usines d’une même firme ou d’une même branche d’industrie n’étaient pas effectuées.
L’exploitation de plus en plus poussée des ouvriers et leurs revendications immédiates n’étaient guère exprimées qu’en liaison avec l’agitation politique, elles étaient envisagées avant tout comme base de la propagande révolutionnaire et accessoirement comme base de l’action.
Comme conséquence directe, le PC se substituait de plus en plus à la CGTU dans l’expression des revendications immédiates. Dans le plan de la propagande centrale, il pouvait utiliser à cet effet l’Humanité, grand organe quotidien de masses, alors que la propagande de la CGTU ne s’exprimait directement que dans la VO hebdomadaire très peu lu, et quelques organes corporatifs.
Mais c’est surtout sur la base de l’entreprise que le PC se substituait presque complètement à la CGTU. L’organisation du PC sur la base des cellules d’usine (1924) avait précédé de plusieurs années la création des sections syndicales d’usine.
Ce fût le journal de la cellule qui fît toute la propagande syndicale. Celle-ci se limita d’ailleurs bien souvent à un appel passe-partout en fin d’article : “adhérez à vos organisations de classe, le PC et la CGTU”.
Lorsqu’à la suite du congrès de Bordeaux de la CGTU en 1927, des sections syndicales furent organisées dans les différentes usines, cet état de choses ne s’améliora pas. Les sections syndicales ne possédèrent qu’exceptionnellement un organe. Le journal de la cellule devint en même temps le journal de la section syndicale. Ceci eût pour effet d’afficher en permanence devant la masse des ouvriers et ouvrières, devant ceux qui étaient sous l’influence socialiste ou confédérée, comme devant ceux, beaucoup plus nombreux, qui étaient sous l’influence bourgeoise directe, que la CGTU étaient organiquement liée avec le PC, que la CGTU était un syndicat communiste, reprenant tous les mots d’ordre politiques du PC, que la CGTU n’était qu’une autre forme du PC.
L’adhésion au syndicat prenait désormais la valeur d’une adhésion morale au PC.
Les sections syndicales restaient squelettiques. Les quelques grèves spontanées ou quasi-spontanées qui se produisaient ne renforçaient pas l’organisation. Les communistes s’habituaient à limiter leur activité dans l’usine à l’édition du journal de la cellule.
Le gauchisme paresseux de la base du PC venait ainsi compléter la fausse tactique syndicale du sommet du PC.
Les effets de cette carence du PC furent l’inaction des masses, la diminution progressive des effectifs de la CGTU, le tarissement du recrutement prolétarien du PC, la diminution de ses effectifs, la perte d’influence sur les masses (manifestations de moins en moins suivies), en dernière analyse la perte du contact avec les masses et le renforcement de l’appareil bureaucratique dirigeant du PC.
Pendant une première phase, la perte du contact avec les masses eût pour conséquence logique l’accumulation d’erreurs de toutes sortes. La méthode de présenter les manifestations manquées comme des succès fût utilisée à jet continu pour encourager artificiellement les masses à l’action.
De l’analyse juste que la situation économique permettait une large action des masses, on tirait la conclusion fausse de l’essor révolutionnaire des masses. Chaque grève était représentée comme ayant des objectifs politiques conscients : lutte contre la guerre, contre la répression, défense de l’URSS.
La politisation était à l’ordre du jour : le rôle dirigeant du PC était officiellement consacré à la fois dans un congrès de la CGTU et au cours de diverses grèves.
Toute tentative de différencier la propagande révolutionnaire de son rôle de fraction animatrice des syndicats était combattue comme tendance opportuniste.
Face aux ruines accumulées, la bureaucratie dirigeante du PCF a exécuté un premier tournant en 1930-31, vite liquidé (le congrès de la CGTU confirma toutes les erreurs passées sauf les plus criardes), puis un second tournant en 1932. Ce tournant syndical se place dans le tournant général de l’IC qui, après l’aventurisme de la troisième période, revient à l’opportunisme dont le congrès d’Amsterdam fût un frappant exemple.
L’IC cherche à reprendre contact avec les masses, mais elle révèle son impuissance bureaucratique qui est la caractéristique essentielle de son activité.
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En ce qui concerne la tactique dans les syndicats réformistes, l’IC passa également de l’opportunisme au sectarisme, du Comité anglo-russe à la formation systématique de syndicats rouges (3e période).
Ces écarts expliquent pourquoi la formation d’Oppositions syndicales révolutionnaires fût un phénomène épisodique en France.
En Allemagne, la RGO mena une activité aussi sectaire que la CGTU en France et n’avait pour but que la création de syndicats rouges tels le syndicat des métallurgistes de Berlin qui très rapidement se réduisit à quelques milliers de membres.
Toutes les OSR qui furent créées par le parti firent directement de la propagande communiste au sein des syndicats réformistes, facilitant ainsi aux chefs réformistes l’exclusion des éléments révolutionnaires des syndicats.
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Le sectarisme du parti dans les organisations de masses autres que les syndicats fût tout aussi néfaste. Dans les coopératives, dans les organisations sportives ouvrières, les communistes se coupèrent des ouvriers non révolutionnaires et restèrent très rapidement les dirigeants d’organisations restreintes de sympathisants communistes.
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Les tendances opportunistes du parti ont leur origine dans les efforts faits pour reprendre directement le contact avec les masses, lorsque vint le reflux de la vague révolutionnaire.
D’autre part, le sectarisme pratiqué dans les organisations de classe du prolétariat sépara les membres du parti de la masse ouvrière, ce qui favorisa les tendances à faire directement appel aux ouvriers.
Ces tendances amenèrent à grouper dans le parti des ouvriers sympathisants qui ne pouvaient élever leur niveau idéologique ni leur expérience assez rapidement et devenaient ainsi l’appui passif de la bureaucratie dirigeante.
La notion du parti avant-garde était dénaturée. Le recrutement ne fût soumis à aucune garantie (adhésions par l’Huma et dans les réunions électorales) les pratiques opportunistes ne trouvèrent ainsi plus qu’une faible minorité d’opposants.
Aux premières difficultés de la lutte de classes, de tels partis de masse se dégonflent rapidement.
D. Rôle de l’avant-garde communiste dans la lutte de classes
Nous distinguons les différents rôles suivants du Parti :
a. action politique indépendante du parti,
b. clarification communiste de la lutte des classes,
c. animation de la lutte de classe (rôle des fractions).
a) Par action indépendante du parti, nous entendons :
La propagande révolutionnaire directe, auprès des militants ouvriers surtout car c’est essentiellement sur eux qu’elle porte.
L’action politique contre la guerre – appel direct aux masses pour des manifestations d’avant-garde pendant les périodes non-révolutionnaires, mais susceptibles entraîner effectivement les masses pendant une montée révolutionnaire.
Utilisation de la démocratie bourgeoise pour la propagande révolutionnaire et pour l’appui de la lutte de classe, ce qui revient à dénoncer par la propagande et par la pratique cette démocratie bourgeoise. Bien entendu l’utilisation du Parlement et les conseils municipaux exige le contrôle des militants du parti dans ces organismes bourgeois et exclut tout opportunisme tendant à laisser croire aux ouvriers que la lutte de classe est compatible avec la démocratie bourgeoise qui n’est qu’une forme de dictature capitaliste. L’expérience prouve que le parlementarisme et plus particulièrement le municipalisme corrompent facilement les militants ouvriers s’ils ne sont pas rattachés solidement à la lutte de classe et sous le contrôle permanent des organisations ouvrières.
Front unique avec d’autres partis politiques ouvriers (social-démocratie) mais sans aliéner l’indépendance absolue du parti, et exceptionnellement dans des situations telles qu’elles poussent le prolétariat à réaliser son unité d’action, ce qui, par conséquent et grâce au front unique, oblige la social-démocratie à agir ou à se démasquer.
Propagande légale et illégale contre le militarisme bourgeois et le colonialisme.
b) Par clarification communiste de la lutte des classes, nous entendons :
Dans sa presse, dans tous ses organes, par toute sa propagande, le parti doit analyser d’une façon marxiste les rapports des classes, l’évolution de leurs luttes en montrant l’issue révolutionnaire pour le prolétariat.
La propagande parmi les paysans, certaines couches des classes moyennes, les salariés petits-bourgeois, doit être menée sous ce jour.
Evidemment c’est essentiellement la clarification des luttes de la classe ouvrière que le parti doit faire de façon à épauler l’activité des fractions communistes et des communistes individuellement dans les organisations de masses.
C’est en tant que parti et par les organes du parti, extérieurement aux syndicats que les communistes tirent les leçons révolutionnaires de la lutte de classe : démonstration de l’insuffisance de certains mots d’ordre, critiques des méthodes d’action, dénonciation et prévision du rôle de l’Etat dans les luttes ouvrières, etc.
c) animation de la lutte de classe – rôle des fractions
Les communistes sont des militants ouvriers animant la lutte de classe et les organisations ouvrières. Communistes, c’est-à-dire conscients du but à atteindre et des meilleurs moyens d’y parvenir, ils se concertent pour mieux orienter et diriger les luttes du prolétariat.
C’est par le canal des fractions qu’ils parviennent à jouer ce rôle d’animation de la lutte de classe.
De cette conception léniniste du rôle dirigeant, le parti a tiré la conquête mécanique des directions des organisations de masses, conquête qui ne pouvait en général se faire qu’en vidant ces organisations de tous les ouvriers non communistes ou sympathisants.
E. Ce que nous entendons par syndicat de masses
1. Des syndicats de masses devraient pouvoir grouper tous les ouvriers pour la défense effective de leurs revendications immédiates, pour la défense de leur niveau d’existence.
Le régime de démocratie intérieure de tels syndicats devrait comporter : la liberté d’expression des tendances, la discipline à la majorité dans l’action et pour le choix des méthodes d’action.
2. Les méthodes d’action découlant de l’expérience de tout le mouvement ouvrier de France et des autres pays industriels sont :
– l’action directe de masse contre le patronat et les pouvoirs publics (menaces de grèves, grèves sous formes diverses, manifestations de masse) ;
– l’action directe ne peut être efficace, surtout dans la période actuelle, que si elle est soigneusement préparée et étendue non seulement à tous les ouvriers et employés d’une même firme, mais s’il y a lieu à tous les ouvriers ou salariés d’une branche d’industrie ou d’une région ou même transformée en grève générale plus large ;
– les syndicats et fédérations d’industrie doivent s’efforcer de créer et d’animer dans chaque usine, chaque entreprise, une section syndicale qui cherche à grouper et entraîner l’ensemble des ouvriers de l’usine.
Les sections syndicales devraient posséder leur organe : le journal de la section syndicale.
Ces syndicats de masse devraient également avoir un organe central de masses qui ne soit pas comme la V.O. le journal de la fraction communiste.
F. Le rôle des communistes
dans les syndicats tels qu’ils sont actuellement
a) dirigés par les communiste
Par le canal des fractions et pas mécaniquement, il faut revenir à une tactique systématiquement unitaire, inlassablement unitaire.
Le rôle des communistes est, dans la période actuelle, de pousser à la préparation minutieuse des grèves, à la préparation et à l’organisation de leur élargissement rapide qui est un gage du succès.
b) dirigés par les réformistes, chrétiens, etc.
– Lutter pour l’emploi de méthodes d’action directe, contre les pourparlers et la collaboration de classe.
– Lutter pour le front unique.
– Lutter pour l’unité syndicale.
L’unité syndicale
Nous devons tendre à réaliser l’unité d’action de la majorité du prolétariat.
L’expérience de la période révolutionnaire d’après-guerre prouve que l’unité syndicale organique se brise lorsque la lutte devient aiguë. Les réformistes qui veulent à tout prix sauver le régime sont les initiateurs de la scission. Les révolutionnaires, de leur côté, ont dû créer l’ISR pour grouper internationalement les tendances révolutionnaires qui entraînaient la majorité du prolétariat.
L’unité syndicale à tout prix est donc une erreur ainsi que l’histoire du mouvement révolutionnaire le montre clairement.
Lorsque la période révolutionnaire prît fin, la politique des communistes devait être de garder le contact avec la majorité de la classe ouvrière et de tendre à ce que celle-ci reste unie dans son action. Mais ce n’est plus possible avec l’état de scission, sauf occasionnellement par le moyen du front unique.
Or l’unité organique paraît être à certains moments indispensable à l’unité d’action. C’est du moins cette idée qui dans ces derniers temps est largement répandue dans la classe ouvrière.
Etant donné la nécessité historique pour les dirigeants réformistes d’être au besoin des scissionnistes lorsque le régime capitaliste est menacé (crise actuelle), les révolutionnaires ne doivent donc pas craindre de tout tenter pour réaliser l’unité afin de mieux démasquer les chefs réformistes au cours de l’action.
Ainsi la position des communistes dans les syndicats doit elle être essentiellement unitaire. Toutefois les révolutionnaires et nous autres communistes plus encore, devons lutter contre l’idée que si l’unité n’est pas réalisée, l’action est impossible.
Notre position doit être de dire aux masses salariées : l’action est nécessaire parce que le patronat renforce son exploitation ; l’unité, les chefs réformistes ne la veulent pas, il faut cependant agir ensemble tout de suite, opposer le front unique d’abord et si possible réaliser l’unité au travers de notre action.
Le front unique dans l’action
de classe
En l’état de scission des organisations syndicales, les communistes doivent défendre dans ces organisations une position d’unité syndicale. Et tout en bataillant pour l’unité syndicale, ils doivent militer pour réaliser tout de suite l’unité d’action au moyen du front unique.
Bien entendu, nous entendons par front unique, le front unique d’organisation à organisation sous le contrôle des membres de chaque organisation.
Dans les entreprises, un tel front unique doit se concrétiser par la création de Comités d’unité d’action formés des sections syndicales ou des syndiqués de chaque organisation.
Les nécessités de la lutte (décisions sur les méthodes d’action et la conduite de la lutte) et du recrutement syndical posent évidemment et à la base la réalisation de l’unité syndicale.
La réalisation du front unique écarte toute surenchère et tout verbalisme tant en ce qui concerne les revendications que les moyens d’action.
Le mouvement des chômeurs
La crise qui secoue le monde capitaliste depuis déjà plus de trois années a amené un développement inouï du chômage, lequel existait à l’état chronique dans quelques pays, depuis la crise de 1920-21 et le développement de la rationalisation.
Une partie importante du prolétariat se trouve être hors des entreprises et perd contact avec la production. Cette masse de travailleurs inemployés s’augmente des couches nouvelles qui accroissaient auparavant le nombre des travailleurs (jeunes, paysans). L’ensemble de ces chômeurs peut être la proie du fascisme.
Il importe essentiellement que les chômeurs restent liés à leurs camarades qui travaillent.
L’exemple de l’Allemagne est plein d’enseignements à ce sujet. Par sa politique stupide dans le mouvement syndical, le PCA a laissé les réformistes écarter les chômeurs des syndicats et quoique groupant directement un certain nombre de ceux-ci à celle des ouvriers au travail. Le rôle des Comités intersyndicaux et des unions locales est à cet égard très important.
*
La crise oblige les capitalistes à exploiter toujours davantage les travailleurs, aussi la moindre résistance de ces derniers revêt-elle une forme de lutte aiguë, amenant immédiatement la participation de l’Etat aux côtés du patronat : gardes mobiles, répression, arbitrage obligatoire, etc.
C’est dans de telles conditions que l’Opposition de gauche doit redresser le mouvement communiste et préciser les rapports de l’avant-garde avec les masses. Il est évident qu’une étude des fautes commises dans la période de stabilisation relative du capitalisme n’est pas suffisante pour définir la tactique de masse d’un véritable parti communiste. L’élaboration d’une politique de masses pour la période de crise générale du capitalisme est une des tâches de l’Opposition de gauche.
Fédération
parisienne de la Fraction de gauche :
Vers la construction d’une véritable Fraction de gauche en France
|
Nous croyons tout d’abord devoir détruire une légende qui concerne notre Fraction. Il paraîtrait que nous serions opposés à concevoir une possibilité de travail commun avec des organismes qui n’accepteraient pas les positions politiques que nous défendons.
S’il en est qui pensent pareille chose, ils se trompent lourdement. Ce que nous voulons en réalité c’est que les groupes politiques de gauche se donnent des positions principielles, ou que tout au moins, ils veuillent déclarer qu’il y a nécessité à élaborer des documents fondamentaux.
C’est seulement après pareil travail qu’il nous paraît être possible de confronter les points de vue divergents et ainsi seulement notre fraction aurait la possibilité de contracter des liaisons politiques définitives.
L’unification s’est donc faite en France en dehors de la Ligue communiste. S’il fallait établir les raisons pour lesquelles la Ligue est restée étrangère à l’unification, pourrait-on se borner à dire qu’elles dépendent uniquement des manœuvres effectuées par cette organisation ? En outre, serait-il possible de rattacher les diverses scissions qui se sont produites au sein de la Ligue communiste, et qui aujourd’hui ont trouvé leurs conclusions dans l’unification des formes dissidentes de la Ligue, à des manœuvres politiques ?
Une telle explication nous paraît être en contradiction avec les enseignements élémentaires du marxisme. Effectivement l’expérience prouve que toutes les manœuvres qui ont vu le jour dans la Ligue ont résultés de l’incapacité de cet organisme à donner une solution communiste de principe aux problèmes de la lutte de classe du prolétariat français. Il reste donc à déterminer s’il est possible et nécessaire de lutter contre les manœuvres, prises en elles-mêmes comme s’il s’agissait d’entités politiques particulières, ou bien s’il faut s’attacher à la source même du mal qui fût la cause des crises de l’opposition.
Au point de vue politique, quelles sont les bases politiques de l’Opposition unifiée ? Au cours des débats précédant l’unification il a été possible de constater qu’une proposition fût donnée de prendre les 13 points élaborés par l’Opposition de gauche internationale (léninistes-bolcheviks) et d’accepter ceux-ci comme base politique de l’Opposition unifiée. Il paraîtrait que cette proposition émana des camarades disant vouloir lutter contre les manœuvres de la Ligue et qui, à leur tour, faisaient ainsi une manœuvre pour embarrasser la direction de la Ligue. Mais passons sur ce point et essayons de retirer de cette proposition d’adoption comme base de 13 points la signification politique indispensable. La diarrhée de scission au sein de la Ligue, les débats pour l’unification, l’unification elle-même, tout cela devait donc aboutir à l’existence de deux organisations se revendiquant l’une et l’autre du même document de base. Ainsi le dernier document, présenté par la Gauche communiste, n’offre pas non plus de divergences sérieuses avec les positions politiques de l’Opposition de gauche et sa section française.
Nous croyons devoir laisser à d’autres, à ceux qui ne feraient pas preuve d’un esprit de responsabilité communiste, le soin de se dire, et de dire aux ouvriers que trois ans de crise de la Ligue ainsi que le fait de l’existence de deux organisations séparées, ne dépend que de l’intervention d’une force démoniaque dont le camarade Trotsky ne parvient pas à se débarrasser, en l’espèce le camarade Molinier lequel, certes, n’a même pas l’envergure d’un Méphistophélès et qui, bien au contraire, ne sait manipuler que des jouets d’enfants que l’on prend pour des armes à feu.
Pour nous, il est clair que les difficultés actuelles ne pourront être surmontées qu’à une seule condition. Il faut que l’Opposition unifiée s’attelle à la tâche ardue et difficile qui consiste à se relier aux traditions révolutionnaires en France et à reprendre l’héroïque héritage des Communards de 71.
En particulier, il faudra considérer que la scission avec les opportunistes à Tours ainsi que la proclamation de la formation de la section française de l’IC n’ont pas signifié une solution définitive au problème de la construction d’un véritable parti communiste.
La trahison de 1914 ne vît pas en France la création d’une fraction marxiste comme ce fût le cas en Allemagne et en Italie. Le processus de formation d’un parti communiste ne pouvait pas de ce fait suivre son cours normal : une fraction se développant en nouveau parti comme ce fût le cas en Russie et en Italie. Le Comité pour la IIIe Internationale de Souvarine-Loriot-Rosmer fût totalement submergé par la majorité amorphe de l’ancien Parti socialiste, et même en restant à la direction du Parti communiste constitué il ne pouvait pas, sans aide sérieuse – qui ne vint pas – de la part de l’IC, former les cadres réels pour la victoire du prolétariat.
En 1923, la lutte contre le “trotskisme” et ses résultats en France : l’élimination des fondateurs du Parti, devait enlever toute possibilité de construire enfin l’organisation d’avant-garde de la classe ouvrière au sein du parti sans la constitution d’une Fraction de gauche. Toutes les grandes expériences de classe de l’après-guerre en France demandaient à être analysées et traduites dans des documents politiques par l’opposition, réaction marxiste au centrisme de l’IC, et ainsi seulement aurait été constitué l’organisme historique appelé à solutionner les problèmes de la crise communiste et à conduire demain les luttes du prolétariat français.
L’Opposition débute en France par des cercles de littérature politique, antérieurement les syndicalistes révolutionnaires qui, à la fondation du Parti, s’orientaient vers le communisme et avaient adhéré à celui-ci, s’en séparèrent à nouveau vers de nouvelles formes du syndicalisme.
L’exil du camarade Trotsky devait représenter une occasion favorable au regroupement des forces de l’Opposition. A cette époque, l’erreur capitale consista, en France, dans une élimination complète du travail d’analyse politique indiqué ci-dessus et, par la proclamation stérile de l’inutilité de pareil travail puisqu’il était considéré comme suffisant de donner une adhésion aux 4 premiers congrès de l’IC.
Et ainsi, à la marche des événements, la Ligue communiste, résultant d’une conglomération de groupes oppositionnels de gauche, ne pût opposer que les 4 premiers congrès de l’IC qui ne pouvaient contenir la résolution des problèmes spécifiques à la lutte du prolétariat français. Au surplus, les 4 premiers congrès n’ayant pas donné de solution définitive aux problèmes de la bataille pour le triomphe du communisme et ayant en outre ébauché une résolution tactique qui devait être suivie par la défaite allemande de 1923, un tel programme politique ne pouvait donc qu’engendrer les crises connues par la Ligue et devait aboutir aux expressions politiques les plus contradictoires.
Pendant la conférence d’unification, qui peut signifier un pas positif pour la construction de l’organisation communiste indispensable, deux méthodes se sont affrontées. Celle qui consistait à mettre délibérément de côté toutes les expériences du prolétariat français, à élaborer un manifeste, courir vers l’élaboration d’une résolution de constitution, qui ne fait que répéter des notions politiques déjà établies sur le mouvement communiste international et qui est muette sur les luttes du prolétariat en France, son passé, son avenir, devait finir par prévaloir. Par contre, la voie préconisée par notre Fraction, qui consistait à ne pas jeter d’exclusive contre n’importe quel groupe oppositionnel, à considérer chacun d’eux comme un courant reflétant des opinions du prolétariat français, et comme des réactions prolétariennes au centrisme, fût rejetée.
Nous proposions d’appeler tous ces groupes à une confrontation politique dans le but d’établir une plate-forme reposant sur les bases de l’IC : le 2e congrès.
Certes, notre méthode de travail aurait été plus longue et plus laborieuse, mais les résultats auraient été positifs et le prolétariat français aurait enfin eu son organisation de classe. Nous constatons, à notre grand regret, que l’unification s’est faite avec le même système déjà expérimenté en 30 et qui donna les résultats lamentables que nous connaissons.
Il est encore temps que, pour ne pas s’exposer aux mêmes errements que la Ligue communiste, nous adressions un appel très vif à l’Opposition unifiée afin qu’elle utilise les leçons du passé, qu’elle aborde avec ardeur et décision les problèmes difficiles et afin qu’elle puisse jeter hardiment les bases de la fraction de gauche du PCF, de l’organisme marxiste des travailleurs.
Mai 1933
Contribution de la
Fédération parisienne de la Fraction de gauche du PCI
à la Conférence d’unification des groupes communistes de gauche
1. Les groupes : Gauche communiste, Fraction de gauche, minorité de la Ligue communiste, Opposition de gauche de la banlieue ouest (15e rayon), constatant que l’éparpillement des différents groupes de l’opposition de gauche est une des caractéristiques de la crise communiste tant en France que sur le terrain international. Cet éparpillement est dû : 1) au fait que chaque groupe est la conséquence d’une réaction particulière du prolétariat français à la dégénérescence des partis communistes et de l’Internationale communiste ; 2) au fait qu’aucun groupe n’a cherché à approfondir les causes de la crise communiste en établissant une plate-forme politique en connexion avec l’expérience de la lutte des classes en France, liée au déroulement de la lutte de classes dans tous les pays ; 3) au fait que la conception et les méthodes qui ont prévalu lors de la constitution de la Ligue communiste en France et du Secrétariat international ont vicié la nature et la consistance même d’une véritable Fraction communiste de gauche.
Enfin, l’aventurisme organisatoire et politique qui ont prédominé tant dans la Ligue communiste que dans le Secrétariat international.
2. Les groupes susnommés ont pris acte au cours de la Conférence d’unification qu’aucune divergence de principe n’existe entre eux ; les divergences politiques existantes n’étant pas de nature à rendre incompatible la coexistence dans une même organisation, d’autant plus que ces divergences doivent être examinées à la lumière d’une véritable action commune sur la base d’une intervention active dans la lutte du prolétariat français. En conséquence de quoi, décident de dissoudre les différentes organisations particulières et de créer une seule organisation : la Fraction de gauche du Parti communiste français.
3. La nécessité de la constitution de la Fraction de gauche du Parti communiste français se détermine :
a) par la dégénérescence des partis communistes et de l’IC. Dégénérescence qui a trouvé ses prémisses dans la défectueuse constitution des partis communistes à leur origine et des défaites du prolétariat international (Allemagne 21 – Hongrie, Bulgarie, Italie, Allemagne 23) et son aboutissement au 15e congrès du Parti communiste russe et du 6e Congrès mondial (altération des bases fondamentales des principes du marxisme révolutionnaire régénéré par Lénine qui avait porté la victoire de la Révolution d’octobre et à la constitution de l’Internationale ; socialisme dans un seul pays, etc.) et trouveront leur conclusion inévitable dans la trahison ouverte des partis communistes des intérêts de la révolution communiste mondiale.
b) Cette dégénérescence s’explique aussi par la non-préparation des partis communistes à répondre aux problèmes de la révolution communiste dans les pays capitalistes en connexion avec la coexistence d’un Etat prolétarien d’une part et des Etats capitalistes d’autre part, et aux nouveaux problèmes issus de la crise capitaliste dans le monde entier après la guerre impérialiste de 1914-1918.
4. Les bases politiques fondamentales de la Fraction de gauche du Parti communiste français sont les thèses et résolutions du 2e congrès de l’Internationale communiste.
5. Les tâches de la Fraction de gauche du PCF sont :
a) Réexamen sur la base des principes marxistes établis au 2e Congrès de l’IC de toute l’expérience du prolétariat international, dont elle se rappelle et revendique en entier.
b) Cet examen doit être fait en relation avec toutes les défaites du prolétariat international et en connexion avec les caractéristiques de la situation actuelle, des luttes passées et présentes du prolétariat français contre sa propre bourgeoisie en particulier, et sur l’échelle internationale dans le but d’enrichir les armes du prolétariat international contre le capitalisme.
c) Par son activité au sein du prolétariat et par sa volonté de résoudre les problèmes de la crise communiste, forger des cadres capables de répondre aux exigences de la lutte révolutionnaire quand des événements de grande envergure se présentent, ou par la trahison ouverte des partis officiels nécessité sera faite aux fractions de gauche de reconstituer les partis communistes.
d) Sur la base des principes ci-dessus exposés, une intervention active dans toutes les manifestations de la lutte de classe en France, la Fraction de gauche procédera à l’élaboration d’une plate-forme politique qui synthétisera l’expérience du prolétariat français et international, qui s’efforcera d’être aussi la réponse de l’avant-garde consciente du prolétariat français, face à la bourgeoisie et à la bureaucratie centriste en même temps qu’elle sera le prémisse indispensable pour la création des cadres qui devront conduire demain le prolétariat français à sa victoire d’Octobre.
6. La Fraction de gauche du PCF considère que tous ces groupes communistes détachés du parti communiste sont l’expression de réaction existante dans le prolétariat français contre le centrisme et par le fait même que les assises politiques de la Fraction de gauche sont à déterminer, éditera un bulletin de discussion intergroupes et éléments qui se réclament des mêmes principes sur lesquels se base la Fraction de gauche.
7. Sur le terrain international, la Fraction de gauche se maintiendra en liaison avec tous les groupes et organisations communistes qui œuvrent, même sur des bases différentes, dans la directive centrale de la solution de la crise communiste.
Dans ce sens elle préconise la parution d’une revue internationale sous la responsabilité de la Fraction de gauche du PCF, la Gauche communiste allemande et la Fraction de gauche du PCI, où seront publiés et controversés les différentes expériences du prolétariat international, pour faciliter la formation des cadres bien aguerris pour la révolution communiste internationale.
Annexe II
Novembre 1946
Lettre de la Gauche communiste de France à tous les militants de la Gauche communiste internationale
– au Parti communiste internationaliste d’Italie (PCI),
– à la Fraction belge de la Gauche communiste internationale (FB),
– à la Fraction française de la Gauche communiste (FFGC) ([1] [146])
Chers camarades,
A l’occasion de la rencontre internationale, en vue de la reconstitution du bureau international de la GCI, disparu depuis le début de la guerre, nous vous adressons cette lettre qui est à la fois une protestation, un cri d’alarme et une dénonciation.
En effet la reconstitution du BI tend à se faire en passant outre à une situation qui faisait subsister en France deux groupes de la GCI et en éliminant purement et simplement un des deux, notre groupe : la Gauche communiste de France.
Il est nécessaire de rappeler que le BI fut constitué en 1938 sur la base d’une résolution de principe dont l’acceptation était la condition d’admission à la GCI. Sa disparition au début de la guerre ne fut pas un effet du hasard mais le produit d’une crise politique de la GCI à la suite d’une série d’erreurs théoriques, d’analyse de la situation et des perspectives. Depuis les tentatives de reconstitution du BI se sont heurtées à l’existence de divergences qui allaient en s’aggravant. Il s’est avéré que toute reconstitution du BI ne pourrait se faire qu’à la suite d’une solution ou tout au moins d’une discussion approfondie des divergences.
Il est donc impossible qu’on puisse constituer un BI de par la simple volonté d’une partie de la GCI, serait-elle la majorité écrasante, sans convoquer préalablement tous les groupes se réclamant des bases de la GCI, sans exception, à une conférence politique internationale.
Depuis mai 1945, existent en France, deux groupes se réclamant de la GCI : la FFGC et la GCF.
La coexistence dans un pays de deux groupes scissionnés se réclamant d’un même courant politique international est certes une situation regrettable, mais on ne pourrait aucunement s’arrêter sur le côté formel de cette situation et vouloir la résoudre organisationnellement par des investitures et des éliminations car un tel fait a une profonde signification politique.
Cela n’est pas dû à un simple hasard bien que souvent on tente de masquer la réalité derrière des mesquineries et des questions personnelles.
Quoiqu’il en soit, il n’appartient à personne de “juger”, sans examen et surtout prématurément, le différend qui oppose ces deux groupes, même si d’autres questions que des questions politiques existaient (ce qui n’est pas le cas ici).
Les deux groupes gardent les mêmes droits. Ils sont vis-à-vis du courant tout entier une situation de fait, situation et moment qui doivent trouver une conclusion au travers d’une discussion politique du courant tout entier.
Ce n’est pas la première fois qu’une telle situation se produit, toute l’histoire du mouvement ouvrier, et ses moments les plus riches nous en apportent la preuve, n’a été qu’une continuelle confrontation de groupes et de tendances.
Il y a toujours eu trois méthodes employées pour surmonter les difficultés issues de telles situations :
1. la méthode révolutionnaire honnête et loyale,
2. la méthode de l’opportunisme,
3. la méthode sectaire et bureaucratique.
La méthode révolutionnaire consiste à porter le débat politique dans toute l’organisation et ouvertement devant le prolétariat. Partant des divergences entre deux groupes ou tendances, elle tend à élever le débat et à déterminer une atmosphère permettant une plus haute prise de conscience révolutionnaire de l’ensemble du mouvement et de la classe.
La deuxième méthode, celle de l’opportunisme, consiste à “oublier”, à “passer l’éponge”, à faire des chinoiseries, à tourner en rond et à camoufler le fond des débats.
La troisième méthode consiste à “juger” d’en haut par quelques éléments des organismes “supérieurs”, sans permettre la vérification de se faire par l’ensemble des militants de l’organisation. Ce sont des résolutions publiées par les CC ou CE, résolutions prononçant “ad hoc” des mesures organisationnelles et disciplinaires, des exclusions administratives. En un mot, on tâche de couper le groupe visé du reste de l’organisation et cela par tous les moyens. C’était la méthode à l’honneur dans l’IC du temps de Zinoviev et de Staline.
C’est cette dernière méthode qu’on emploie aujourd’hui contre nous et qui semble vouloir triompher dans la GCI. Cela n’est pas dû au hasard.
Les méthodes impliquent une politique, elles ont leur corollaire et leur source dans toute la ligne politique d’une organisation (voir l’annexe ci-après).
*
Il n’est peut être pas inutile de faire ici une mise au point. Nous avons souvent dénoncé le courant Vercesi. Nous l’avons fait avec violence et passion. C’est la raison qui a fait dire qu’il y avait des raisons personnelles. Celle là et bien d’autres encore.
Il faut le dire ici afin d’en finir une bonne fois avec ces chicaneries. Personnellement nous gardons une grande estime au camarade Vercesi dont le mérite ne peut pas être contesté d’avoir été le principal animateur de la Fraction italienne, de la GCI et de la revue Bilan durant de longues années avant la guerre de 1939.
Mais nous repoussons tout fétichisme de la personne si grande soit-elle. Une aussi grande estime qu’on puisse avoir pour l’homme, ses pensées et ses actions sont impersonnelles du fait qu’elles sont transformées en idées et actes exprimant un courant politique dans le mouvement. Nous avons tous estimés la grande valeur d’un Lénine à qui nous devons beaucoup. Cela ne nous a pas moins empêchés de son vivant de combattre avec acharnement les positions politiques erronées qu’il défendait et où nous décelions des germes de l’opportunisme.
Il en est de même pour Trotsky. Ce n’était pas la personne de Trotsky que la GCI mettait en cause dans ses critiques violentes mais uniquement et essentiellement sa tendance politique. Pour Vercesi c’est la même situation qui se produit. Toute une tendance politique qui semble triompher dans la GCI se rattache à ce nom et se manifeste dans un sens que nous pensons être de l’opportunisme et qui conduit à la trahison de ce qu’est réellement la GCI.
*
Il faut rappeler ce qu’est et comment s’est constituée la GCF.
Les camarades de la GCF sont les fondateurs du noyau de la Fraction en France au début de 1942. La Déclaration de principe élaborée par eux fut présentée et acceptée à la conférence de la Fraction italienne en mai 1942. Cette Déclaration de principes avec la résolution de la constitution du BI constitue encore aujourd’hui un des documents programmatiques de notre organisation.
Durant toutes les années de la guerre, les camarades de la GCF ont participé étroitement à l’activité de la Fraction italienne avec qui ils ont multiplié les efforts pour le maintien de la GCI et pour la reconstitution du Bureau International contre l’opposition de la minorité de la Fraction italienne en Belgique et d’une partie de la Fraction belge se refusant à tout travail politique pendant la guerre. Dans ce travail opiniâtre de rétablissement des liaisons internationales de la GCI, sous l’occupation allemande, un de nos camarade fut arrêté en Belgique au cours d’une mission de liaison. Il fut arrêté par la police allemande et jeté en prison (janvier 1944).
Un autre camarade de la GCF, vieux militant, membre de la Fraction italienne avant la guerre, faisait partie du groupe de Marseille qui a reconstitué, au début de la guerre, la Fraction italienne et maintenu la vie politique et les principes révolutionnaires de la GCI contre les théories révisionnistes, l’abandon et la chute dans le Comité de coalition antifasciste de la tendance Vercesi.
A la veille de la “Libération” et au cours de celle-ci, la GCF a publié le premier numéro de l’Etincelle et a collé sur les murs de Paris des affiches dans lesquelles elle appelait les ouvriers à ne pas participer à cette guerre impérialiste aussi bien du côté fasciste que du côté démocratique “antifasciste”. Elle appelait les ouvriers à se regrouper sur leur terrain de classe pour la transformation de la guerre impérialiste en guerre civile du prolétariat contre le régime capitaliste mondial.
Depuis nous avons publié 15 numéros de l’Etincelle et 15 numéros de notre bulletin théorique et de discussion Internationalisme et une série de bulletins spéciaux et de tracts. Dans toutes ces publications, la GCF est constamment restée fidèle aux positions principielles de la GCI et s’est efforcée de donner des réponses théoriques et politiques à des questions que la GCI n’avait fait qu’aborder (la question russe et la nature capitaliste de l’Etat russe, le capitalisme d’Etat : tendance du capitalisme moderne, perspectives et tâches de la période de transition, analyses de perspectives du cours présent, la question syndicale, le parlementarisme, la question de l’Etat après la révolution prolétarienne).
La scission survenue contre notre volonté en mai 1945, déterminant l’existence de deux groupes en France se réclamant de la GCI, avait pour fond des divergences politiques extrêmement sérieuses qui existaient alors et existent toujours au sein de toutes les autres organisations de la GCI. Le fait que la scission s’est effectuée dans la confusion mettant en avant des questions secondaires et personnelles, a rendu tout à fait impossible tout éclaircissement et confrontations politiques sur la base de ces divergences au sein de la GCI.
Il est évident que les résolutions du CC du PCI et de la Fraction belge concernant cette scission, et leur “investiture” à la FFGC relèvent de leur méconnaissance totale des faits réels (manque complet d’information) et de leur fond politique et ne pouvaient contribuer à solutionner les problèmes et les divergences valables pour toute la GCI. Ces résolutions sont d’autant plus singulières que par ailleurs, le CC du PCI aussi bien que la FB se sont abstenus de répondre aux lettres politiques que nous leur avons adressées depuis un an au sujet de ces différends et leur proposant la tenue d’une Conférence internationale de la GCI.
La Fraction belge n’avait pas toujours eu un pareil comportement. En avril 1945, dans une situation à peu près analogue de la Fraction italienne scissionnée en deux groupes (la Fraction italienne en France ayant exclu le groupe de Bruxelles pour sa participation au Comité antifasciste), la Fraction belge proposait une Conférence internationale de la GCI avec participation des deux groupes italiens, conférence avec un ordre du jour portant sur l’ensemble des divergences existant dans la GCI.
En conclusion nous reprenons notre proposition d’une Conférence internationale de tous les groupes de la GCI dans le but de discuter ouvertement tous les problèmes où peuvent exister des divergences, et nous demandons de participer à tous les travaux préparatoires en vue d’une telle conférence.
Considérant que la rencontre qui doit présider à la formation d’un BI ne peut être qu’une étape en vue de la réunion d’une Conférence internationale, nous réclamons instamment de droit de participer à cette rencontre préliminaire.
Toute autre solution qui consisterait à éviter le débat sur les questions politiques et les divergences, reviendrait en fait à préparer sûrement l’éclatement de crises et de scissions à chaque tournant sérieux de la situation dans l’avenir.
On ne sauvegarde pas “l’unité” d’une organisation par des mesures organisationnelles et bureaucratiques. On ne renforce pas le fondement en couvrant d’une légère couche monolithique donnant l’apparence d’une homogénéité politique.
Profondément convaincus de la gravité de la situation dans la GCI dans un cours particulièrement critique que traverse le mouvement ouvrier international, nous en appelons à la conscience des camarades militants de la Gauche communiste internationale pour réagir contre l’orientation opportuniste et les méthodes bureaucratiques.
Salutations révolutionnaires.
La Gauche communiste de France
Le 28 novembre 1946
Annexe à la lettre de la GCF
Il est à peine concevable que les positions et actes politiques que nous citons soient le fait des camarades et tendances se réclamant de la GCI agissant en son nom et se revendiquant encore de ses bases programmatiques.
I. Dès avant la guerre apparaît une théorie prétendant nier l’existence d’antagonismes inter-impérialistes. Partant de là, on a nié jusqu’à l’éclatement des hostilités en 1939, l’éventualité d’une guerre impérialiste mondiale. A l’antagonisme inter-impérialiste, on a substitué une théorie de “la loi de solidarité inter-impérialiste”. La guerre impérialiste mondiale se transformait en guerres localisées n’ayant d’autres mobiles et buts que la destruction physique du prolétariat.
Le cours vers la guerre, exprimant le recul du prolétariat devenait le cours du renforcement du prolétariat et de la révolution montante. Pour symboliser la “nouvelle conception” on a remplacé le titre de la revue qui, de Bilan, est devenue Octobre.
2. La nouvelle théorie prétendait que le système capitaliste est parvenu à sortir de sa crise permanente par la vertu de “l’économie de guerre”. L’économie de guerre étant comprise non en fonction de l’inévitabilité d’une conflagration mondiale en préparation mais comme une politique économique “en soi” solutionnant les contradictions économiques et ouvrant la phase du “plus grand essor” du développement capitaliste.
3. En même temps qu’on aboutissait au renforcement économique du système capitaliste on proclamait la possibilité d’améliorations des conditions de vie des travailleurs par la société capitaliste dans sa phase présente.
4. Pendant la guerre on proclamait l’inexistence sociale du prolétariat. Cela en liaison avec une nouvelle adaptation circonstancielle de la fameuse théorie de l’économie de guerre.
5. Parallèlement on proclamait l’impossibilité de toute activité politique des révolutionnaires : on condamne l’existence même d’une organisation de classe et on va jusqu’à affirmer que tout groupe subsistant, du fait de “la disparition sociale du prolétariat” ne peut être que l’expression de la seule classe subsistante : la bourgeoisie.
6. On jettera la conception de la transformation de la guerre impérialiste en guerre civile à laquelle on substituera le vœu creux du petit bourgeois de la cessation de la guerre (attentisme “révolutionnaire”).
7. On niera toute possibilité de reprise de la lutte de classe durant la guerre pouvant déterminer un changement de cours et y mettre fin. On inventera la théorie de la crise économique de l’économie de guerre. La guerre devant cesser à la suite d’une crise de sous-production et d’épuisement des conditions matérielles nécessaires à sa poursuite.
8. On niera toute signification d’un changement de cours contenu dans les événements de la période critique de 1943 en Italie; En même temps que se constitueront effectivement les prémisses de la formation du PCI, on dénoncera comme “aventurière” toute idée d’ouverture d’un cours favorable à la formation du parti (à cette époque, les camarades en question ignoraient encore ce qui se passait en Italie où le PCI venait d’être fondé).
9. Des voix qui se disaient être de la Gauche communiste (et formellement elles en faisaient partie) s’élevèrent en pleine guerre, pour démontrer le caractère non impérialiste de l’Etat russe.
10. On défend encore jusqu’à aujourd’hui publiquement la définition de la nature prolétarienne de “l’Etat russe” et la formulation trotskiste de “l’Etat ouvrier dégénéré”.
11. Au moment de la “Libération”, sous la haute direction spirituelle de Vercesi, se monte à Bruxelles une “entreprise philanthropique” sur une base sentimentale nationaliste, pour “sauver des prisonniers de guerre italiens”. En vue d’une œuvre d’un si haut caractère, on peut évidemment tout faire. C’est donc pour “camoufler” la générosité de cette action qu’on forme le Comité de coalition antifasciste où participent tous les partis de la bourgeoisie italienne (du Parti chrétien aux staliniens). Entraîné dans une si bonne voie, on publie un journal avec les organisations citées, l’Italie de demain ([2] [147]). Ici, à côté des salutations au socialiste de Brouckère, présenté par Vercesi comme l’ami du prolétariat italien, voisinent des appels d’engagements dans les formations militaires pour la libération nationale et de lutte contre le fascisme et les “boches”. D’une chose à l’autre on participe à l’épuration de Bruxelles et on se fait les auxiliaires volontaires de la police.
Pendant longtemps on a tenté de passer sous silence ces faits que nous nous abstenons de qualifier ; la Fraction belge à ce jour n’a jamais soufflé mot dans son organe.
Dans des conversations orales, on présente le comité de coalition comme “l’embryon des soviets”. En France on tentait carrément de nier les faits et encore tout récemment en réponse à l’attaque du journal anarchiste le Libertaire on se contente de répondre simplement par des injures.
12. Il existe réellement, et la Fraction belge en tête, tout un courant politique dans la GCI qui non seulement approuve les actions politiques liées au Comité de coalition antifasciste de Bruxelles, mais qui encore déclare être prêt à recommencer la même politique dans une situation analogue. Cela nous indique quel sera leur comportement dans la prochaine guerre.
13. Au moment de la Libération, la Fraction belge s’adresse aux trotskistes (défenseurs et participants à la guerre impérialiste au travers de l’antifascisme, la défense de l’URSS, de la participation à la Résistance et à la libération nationale) pour la publication en commun d’un Bulletin politique.
14. A la même époque le PCI d’Italie de son côté adresse une lettre aux partis socialiste et stalinien leur demandant “le regroupement des forces du prolétariat pour la révolution socialiste”.
15. Le PCI d’Italie participe de façon constante à toutes les campagnes électorales municipales et parlementaires.
16. Dans la question syndicale, on continue à prôner la nature de classe des syndicats et l’action en vue de leur redressement alors qu’ils sont des organismes typiques de l’Etat capitaliste.
17. Le PCI d’Italie va jusqu’à prendre l’initiative de formation de minorités syndicales.
18. En France, on s’appuie officiellement sur un groupe se réclamant en tout verbalisme de la GCI mais dont la composition ne laisse apparaître qu’une très faible minorité d’anciens camarades de la GC qui, pour y entrer, ont abandonné la Déclaration de principes de 1942, base constitutive programmatique de la Fraction en France. Le reste de l’organisation est un conglomérat de plusieurs tendances étrangères à la GC. Tous sont des camarades sincères, révolutionnaires mais issus de formations politiques telles l’UC, la minorité italienne (exclue en 1936 pour la question espagnole) et l’ancien groupe Contre le courant (CR) ([3] [148]).
19. Il n’est pas moins significatif d’entendre les camarades de l’ancienne minorité italienne membres de la FFGC se revendiquer publiquement de leurs positions lors de la guerre impérialiste en Espagne alors que la GCI était formée sur la base de la rupture et la dénonciation de tous les groupes qui participaient à cette guerre.
20. Dans la résolution de la FFGC parue dans leur unique bulletin théorique, ils justifiaient leur scission d’avec nous, et notre élimination de la GCI entre autre par notre position antisyndicale.
21. Alors qu’on refuse tout contact et toute discussion, toute réunion avec les groupes RKD ([4] [149]), UCI ([5] [150]), CR, et nous-mêmes, c’est-à-dire les groupes qui ont eu pendant la guerre la seule attitude révolutionnaire prolétarienne de dénonciation de la guerre impérialiste et de rejet du mensonge de la défense de l’URSS, on fait des réunions exclusivement réservées à la Gauche trotskiste et la Gauche socialiste (juillet 1946, Conférence de Vercesi à Paris).
22. Arrangement du “schéma de Lénine” sur la transformation de la guerre impérialiste en guerre civile, par le schéma de Lucain de “transformation de la guerre impérialiste en guerre civile, une fois la guerre terminée” (voir l’Internationaliste et dans Internationalisme notre réponse à Lucain ([6] [151]).
Le plus caractéristique de cette fantaisie consistant dans la présentation des “luttes”, des massacres dans les colonies qui ne sont que la continuation de la guerre impérialiste et le prélude de la guerre impérialiste mondiale en autant de manifestations révolutionnaires du prolétariat.
23. Lettre du CC à la RWL ([7] [152]) aux Etats Unis. La RWL très bien connue dans la GCI comme un des groupes trotskistes d’Amérique, défendant toutes les théories trotskistes : mots d’ordre démocratiques, soutien des luttes nationales et coloniales, de la défense de l’URSS, Front unique, etc.) est proclamée comme le représentant marxiste du prolétariat américain à qui on offre l’établissement de contacts et sur qui on compte infiniment pour la formation artificielle d’une fraction de la GCI en Amérique. Il n’est pas moins cocasse de savoir que l’unique réserve à laquelle on conditionne les relations ultérieures avec la RWL soit : la rupture des discussions qu’ils ont avec le RKD, celui-ci étant dénoncé comme n’étant pas dans le camp du prolétariat (textuel : post-scriptum de la lettre en question).
24. Dans toutes les relations internationales, on recherche les contacts avec des groupes opportunistes en se gardant soigneusement de prendre contact avec les groupes révolutionnaires et notamment avec les Communistes de conseil (Hollande) et d’autres groupes analogues en Amérique.
C’est là une singulière application de l’unique résolution de la Conférence du PC d’Italie de 1945, affirmant de ne contacter internationalement exclusivement que ceux qui n’avaient participé en aucune façon à la guerre impérialiste et qui repoussaient l’idéologie de l’antifascisme et sa pratique et, la défense de l’URSS.
25. Abandon de la notion de l’impossibilité de la formation du parti de classe dans une période de recul pour reprendre la phraséologie aventurière trotskiste proclamant comme tâche présente, la formation de partis en France, en Belgique et partout.
*
Cette série de faits, encore bien incomplète, suffit pour révéler qu’il ne s’agit point de fautes, d’erreurs et de faits isolés. Leur reproduction dans les divers groupes de la GCI à divers moments prouve qu’il y a entre eux un lien profond. C’est le lien de l’orientation opportuniste.
Le fait qu’on rejette, de temps à autre, telle ou telle erreur ne diminue en rien la gravité ni la force de cette orientation politique.
Pour la plupart on a renoncé momentanément à telle ou telle activité particulièrement opportuniste, mais on n’a pas extirpé les racines, ce qui ne peut se faire que par la prise de conscience au travers de discussions et de critiques ouvertes et franches.
L’opportunisme ne peut se développer qu’à l’abri des discussions, en étouffant les protestations des éléments de gauche et en tendant à les éliminer organisationnellement. Un certain nombre de camarades ont manifesté leur inquiétude face à cette évolution de la GCI. Il est nécessaire d’attaquer les problèmes à fond, afin d’éviter que la GCI ne devienne une répétition de la IVe trotskiste.
La GCF
[1] [153]) Les parenthèses ont été rajoutées par nos soins.
[2] [154]) Edition en italien Italia di domani, organo della Coalizione antifascista, dans le numéro 1 les groupes suivants ont signé la Déclaration, le Parti catholique, le PCI, la Fraction italienne de la Gauche communiste, Justice et liberté, le Parti libéral, le Parti républicain, le Parti socialiste et des‑syndicalistes (12 numéros en 1944 et 18 numéros en 1945 avec des articles portant la signature de O. Perrone et Pieri – deux anciens membres du CC de la Fraction d’avant la guerre).
[3] [155]) Communistes révolutionnaires (groupe fondé par le RKD et regroupant des militants français).
[4] [156]) Revolutionaren Kommunisten Deutschlands.
[5] [157]) Union des communistes internationalistes, journal la Flamme en 1945 et 1946. Ce groupe provient du Groupe révolutionnaire prolétarien (GRP) qui est une rupture d’avec le trotskisme durant la guerre sur la question de l’internationalisme prolétarien.
[6] [158]) Autre pseudonyme d’Otorino Perrone (Vercesi) après la guerre.
[7] [159]) Revolutionary Workers League (trotskistes de gauche). Le Socialist Workers Party (SWP) est le parti trotskiste officiel animé par Canon.
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