1 - C'est par un mouvement d'oscillation de plus en plus chaotique entre l'inflation aiguë et la récession brutale que le capitalisme s'enfonce progressivement dans la crise. Si, à chacun de ces balancements les pays les plus puissants peuvent s'accorder un court répit baptisé pompeusement « reprise », c'est au détriment des économies les plus faibles qui, les unes après les autres, dans un mouvement qui va de la périphérie vers le centre, du tiers monde vers les métropoles industrielles, sont plongées dans un chaos sans espoir. En Europe, le faible capital portugais a été le premier à être frappé de cette façon. Aujourd'hui, au milieu d'un capitalisme qui se laisse bercer par les douces clameurs de la « reprise », l’Italie a pris à son tour le rôle de « l'homme malade". Des dizaines de milliards de dollars de dettes, une inflation aux allures « sud américaines », une monnaie qui n’en finit pas de s'effondrer, une productivité dont aucune mesure n'arrive à enrayer la chute : la « miracle italien » s'est transformé en cauchemar pour la bourgeoisie.
2 – A présent les conditions de ce fameux « miracle », non seulement sont complètement épuisées, mais se sont partiellement converties en handicaps supplémentaires pour le capital italien. Les relatifs succès de celui-ci dans la deuxième après-guerre et qui ont masqué le fait qu'il restait structurellement faible et très dépendant du capital étranger, s’appuyaient en bonne partie sur l'existence dans le pays même d’un important secteur agricole arriéré qui a constitué une réserve massive de forces de travail bon marché. C'est par l'exploitation de cette main-d’œuvre que le capital italien a pu mettre à profit la période de reconstruction pour se constituer d’importants marchés en Europe particulièrement dans le domaine des biens de consommation (automobile, habillement, électroménager). A cette condition favorable il faut ajouter l’inexistence pour l’Italie de problème colonial qui a pu entraver le développement et la compétitivité d’autres pays européens concurrents (France, Portugal, Espagne, Belgique).
Ce faisceau de conditions favorables s'est disloqué avec la fin de la reconstruction : la solution des problèmes coloniaux des autres pays avaient signifié la fin de l'avantage de l’Italie sur ce plan alors qu'en même temps, venaient s'accumuler sur son économie des difficultés croissantes. En particulier, au moment où un marché international de plus en plus rétrécit n'arrivait plus à absorber la production de cette économie, le secteur agricole arriéré devenait un réservoir de chômeurs à la charge de la collectivité tout en demeurant incapable de fournir les besoins alimentaires de la population et se convertissaient de ce fait en un lourd boulet au pied du capital italien. Par ailleurs le rapide développement de la production industrielle de l’après-guerre dans un pays où le sous-développement maintenait une forte empreinte avait créé une série de déséquilibres internes et de facteurs d'instabilité tant sur les plans économiques que sociaux et politiques. C'est pour cela que contrairement au capital anglais, par exemple, dont les effets d'une crise sévère sont amortis par tous les rouages que la bourgeoisie la plus épanouie du monde a, depuis plus d'un siècle, mis en place, le capital italien se trouve être à l 'heure actuelle en Europe un des plus démuni face au déferlement de la crise.
3 - Ces faiblesses du capital italien se sont traduites sur le plan social par le développement d’un mouvement de luttes de classe qui, depuis le « Mai rampant » de 1969, a placé le prolétariat d'Italie aux premières lignes du prolétariat mondial pour la profondeur et l'extension de ses luttes et qui, dès lors, a constitué un handicap supplémentaire pour ce capital. Sur le plan politique, ces faiblesses se sont manifestées dans une succession de crises gouvernementales qui, si elles ne réussissaient pas à perturber sérieusement le « Boom » de la période de reconstruction, sont devenues une entrave supplémentaire à toute tentative de remise en ordre économique quand la crise aiguë est arrivée. A la base de cette vulnérabilité de l’appareil politique du capital italien il faut situer le vieillissement, l'usure et la corruption croissante du parti dominant, la Démocratie Chrétienne, qui, s'appuyant sur les secteurs les plus anachroniques de la société italienne et engoncée dans un exercice presque solitaire du pouvoir depuis 30 ans, est de moins en moins apte à gérer le capital national. Cette carence de l'appareil politique est à la base d'un "laisser-aller" généralisé au sein de l'institution étatique qui, à l'heure où la situation requiert son intervention résolue dans l'économie nationale, se trouve en fait de plus en plus impuissante.
4 - Malgré cette accumulation de faiblesse, le capital italien dispose d'un atout de tout premier ordre qui, s'il ne peut aujourd'hui accomplir de nouveau « miracle », constitue un de ses derniers recours : Le Parti "communiste" (P.C.I.).
Avec des effectifs qui dépassent le million, un électorat de 12 millions, doté d'une organisation hautement structurée, le P.C.I. constitue la plus grande force politique d'Italie, le parti stalinien le plus puissant des pays occidentaux et un des tous premiers partis politiques de l'ensemble de l'Europe. Exerçant un contrôle très efficace sur les travailleurs, particulièrement à travers la première centrale syndicale d'Italie, la C.G.I.L., le P.C.I. s'est par ailleurs acquis une forte expérience dans la direction des « affaires publiques » à la tête des villes les plus importantes d'Italie et d'un nombre appréciable de régions.
Poursuivant le travail inauguré par la mobilisation, à travers la "résistance" du prolétariat italien dans la Seconde Guerre mondiale, ainsi que par son encadrement et sa répression (le camarade-ministre Togliatti n'a pas hésité à faire tirer sur les ouvriers quand il était au gouvernement) au service de la « reconstruction nationale », le P.C.I. s'est illustré, surtout depuis 1969, par un appui efficace à son capital national. Que ce soit par une gestion "saine" des municipalités et des régions qu'il contrôle, par un soutien discret de la politique gouvernementale (depuis plusieurs années la majorité des lois, y compris certaines des plus répressives, adoptées par le Parlement ont été votées par le P.C.I.) ou par son activité de maintien de l'ordre dans les entreprises, ce "parti de la classe ouvrière" a fait preuve d'un "sens élevé de ses responsabilités"… capitalistes. Dans ce dernier domaine, il a manifesté, après 1969, une grande habileté récupérant et intégrant dans, le syndicalisme officiel les organes extra- et même antisyndicaux surgis du "Mai rampant". A travers l'organisation de "journées d'action" démobilisatrices, la prise en charge par sa courroie de transmission syndicale de différents mouvements "d'auto réduction" des loyers et des tarifs publics, l'agitation du "danger fasciste" et la mise en avant d'une perspective de participation gouvernementale présentée comme devant tirer le pays du mauvais pas où il se trouve, le P.C.I. a réussi jusqu'à présent à dévoyer le mécontentement croissant des ouvriers et à le canaliser vers des impasses.
5 - Si la politique "d'opposition constructive" du P.C.I. a permis pendant plusieurs années d'éviter au capital italien une catastrophe encore plus grande, la situation présente met à l'ordre du jour, et de façon urgente, une participation beaucoup plus directe de ce parti à la gestion de celui-ci. En effet, la perspective d'une entrée du P.C.I. au gouvernement ne saurait constituer indéfiniment un facteur de temporisation de la lutte de classe si son échéance en est continuellement repoussée. Le plan draconien d'austérité indispensable pour ralentir la marche de l'économie italienne vers la banqueroute n'a de chance d'être toléré par la classe ouvrière que s'il est mis en œuvre par un gouvernement dans lequel elle a l’impression que ses intérêts sont directement représentés. Et cette coloration "ouvrière", seul le P.C.I. est en mesure de l'apporter par une présence effective au sein de cette institution : une prolongation trop grande d'un soutien extra-gouvernemental du P.C.I. à une politique de "rigueur" risquerait de faire rejaillir sur lui l'impopularité d'une telle politique sans qu'il puisse pour autant agiter en contrepartie le mythe de la "victoire ouvrière" que constitue la présence des camarades à la tête de l'Etat.
Plus généralement, l'accession du P.C.I. à un rôle gouvernemental permettrait de renforcer notablement l'Etat italien non seulement dans sa fonction de mystification des travailleurs mais aussi dans sa capacité à assumer l'ensemble de ses tâches. Se présentant comme le champion de « l'ordre », de la "morale", et de la "justice sociale"', le P.C.I. est, sur l'éventail politique, le parti le moins lié à la défense des petits intérêts particuliers, plus ou moins parasitaires d'une « clientèle » et donc celui qui est aujourd'hui le mieux armé pour faire réellement passer les intérêts généraux du capital national devant ces intérêts et privilèges particuliers. Il est en particulier le seul qui puisse contribuer efficacement à la mise sur pied de mesures de capitalisme d'Etat imposées par la profondeur de la crise et qui, dans un pays où le secteur étatisé est déjà dominant dans l’économie, passent en premier lieu par une restauration de l'autorité de l'Etat lui-même. Il est le seul qui peut présenter ces mesures nécessaires de défense du capital comme de "grandes victoires" pour la classe ouvrière et donc d'en faire des instruments efficaces de mystification mais, de plus, cet "Etat fort" que le PCI réclame et qu'il se propose explicitement de contribuer à établir est la condition première du rétablissement de "l'ordre" dans la rue et dans les usines et donc d'une exploitation accrue de la classe ouvrière.
6 – L’extrême vulnérabilité du capital italien, s'il met à l'ordre du jour l'adoption de mesures d'urgence sur le plan intérieur, le place en même temps sous une très grande dépendance par rapport aux autres pays d'Europe et par rapport au bloc impérialiste de tutelle : celui des U.S.A. Ceci explique que, depuis de nombreuses années déjà et de plus en plus à l'heure actuelle, le P.C.I. ait officiellement distendu ses liens avec l'URSS et se soit fait le défenseur de la C.E.E. comme du maintien de l'Italie dans l’OTAN. De plus, parfaitement conscient du fait que le bloc occidental ne pouvait absolument pas accepter une position dominante à la tête du gouvernement d'un PCI même défenseur affiché de la C.E.E et de l’OTAN, ce parti a axé toute sa perspective dans le "compromis historique" (alliance PC-PS-DC) dans lequel il serait minoritaire et non dans une alliance de la seule gauche qu'il dominerait massivement. En cela, il se distingue des PC français et portugais qui, eux, peuvent miser sur une alliance avec le PS dans la mesure où, dans leurs pays respectifs, ils sont moins forts que les PS et qu’ils ne joueraient que les seconds rôles dans « l'union de la gauche ». Même si la participation des PC au gouvernement devient absolument indispensable dans certains pays d'Europe occidentale, la seule chose que le bloc américain puisse permettre, c'est une participation minoritaire : l'éviction, à la suite d'une pression massive des pays occidentaux, du PC portugais d'un pouvoir qu'il exerçait presque seul en constitue une autre illustration probante.
Les partis communistes sont avant tout des partis du capital national et c'est comme tels que, dans la division du monde en blocs impérialistes par rapports auxquels chaque capital national doit se déterminer, ils représentent la fraction de celui-ci la plus favorable à une alliance avec l'URSS ou à une plus grande indépendance à l'égard des USA. De ce fait également, si les options d'origine des PC en politique internationale entrent en conflit avec une défense cohérente et efficace des intérêts capitalistes nationaux, c’est nécessairement au détriment de ces options que les PC orientent leur politique et ceci d'autant plus que le pays est faible et donc dépendant du bloc impérialiste de tutelle. C'est en particulier le cas du P.C.I. qui, du fait de l'extrême dépendance du capital italien à l'égard des USA depuis la fin de la 2ème Guerre mondiale a toujours été à l' avant garde du "polycentrisme", de l'indépendance à l'égard de l'URSS et de "l'eurocommunisme". Toutefois une telle orientation de la politique des partis staliniens ne saurait être considérée comme définitive et dans des conditions différentes du rapport de forces entre blocs impérialistes ces partis seraient sur l'arène politique nationale les plus susceptibles de « réviser » leurs positions afin de faire pencher la balance dans leur pays en faveur du bloc russe. C'est pour cela que le bloc occidental ne peut tolérer que se mettent en place des gouvernements dominés par les PC, même momentanément fidèles, mais qui dans des circonstances différentes pourraient faire basculer leur pays dans l'autre bloc.
7 - Malgré l'urgence de la participation du P.C.I. au pouvoir, malgré le "réalisme" et la souplesse de celui-ci tant en politique extérieure qu'intérieure, le capital italien éprouve aujourd’hui les plus grandes hésitations et difficultés à jouer cette carte fondamentale. A ce fait on peut trouver comme cause essentielle l'énorme pression qu'exerce le gouvernement des USA et par suite celui des grands pays d'Europe occidentale - y compris le gouvernement français qui abandonne de plus en plus "l'indépendance" du gaullisme - contre toute solution de ce type. Des secteurs importants, dits "libéraux", de la bourgeoisie américaine ont compris dès maintenant l'inévitabilité de l'accession du P.C.I. à des responsabilités gouvernementales. Ils ont compris en particulier qu'un allié chez qui règne le chaos le plus total n'est pas le plus approprié pour assurer avec efficacité ses fonctions au sein du bloc, tant du point de vue économique que militaire. Cela, l'actuelle équipe dirigeante l'a également compris quand il s’est agit de faire pression sur la bourgeoisie espagnole pour qu'elle abandonne des structures politiques héritées du franquisme de plus en plus inaptes à affronter la dégradation de sa situation économique et sociale intérieure dans la mesure où la "démocratisation" préconisée en Espagne n'implique pas nécessairement une entrée du P.C.E. au gouvernement. Mais, en ce qui concerne l'Italie, cette équipe reste attachée à une politique de résistance décidée à toute formule gouvernementale incluant le P.C.I. : que ce soit au nom de la "défense de la démocratie" ou de celle de l'Alliance atlantique, elle agite ostensiblement et avec fracas la menace de représailles économiques pour dissuader la bourgeoisie italienne de faire appel à une telle formule. Ainsi, se trouve illustrée avec éclat une des composantes de la crise politique de la bourgeoisie face à la crise de son économie : la contradiction entre le caractère fondamentalement national des intérêts du capital et la nécessité du renforcement des blocs au milieu de tensions inter impérialistes croissantes. Pour le moment, et tant que la survie même du capitalisme n'est pas en cause, les blocs tendent à faire passer au premier plan leurs intérêts généraux immédiats, c'est-à-dire avant tout ceux de la puissance dominante, avant les difficultés particulières des capitaux nationaux qui les composent y compris quelque fois au détriment de leurs intérêts futurs.
8 - En Italie même, cette opposition résolue à tout rôle gouvernemental du P.C.I. orchestrée par les USA trouve des alliés décidés dans les couches les plus anachroniques du capital italien, celles qui risquent d'être les plus touchées par la remise en ordre politique et économique préconisée par le P.C.I. et qui, derrière le M.S.I., se regroupent derrière la droite de la Démocratie Chrétienne avec à sa tête Fanfani. Mais cette opposition n'a pu, jusqu'à présent, se révéler décisive que parce que des couches très importantes de la bourgeoisie italienne restent extrêmement méfiantes à l'égard d'un P.C.I. dont les tournants démocratiques et atlantistes n’ont pas fait oublier qu'il appartient à une catégorie particulière des partis du capital : ceux qui sont les porteurs les plus résolus de la tendance générale vers le capitalisme d'Etat et qui restent toujours aptes, si la situation s'y prête, à éliminer toutes les autres fractions de la bourgeoisie liées à la propriété individuelle tant sur le plan économique (étatisation du capital) que politique (parti unique). Même si ces secteurs décisifs du capital italien, et dont l'ancien "patron des patrons" Giovanni Agneli, est un représentant significatif, se sont convaincus de la nécessité de l'entrée du P.C.I. au gouvernement, ils essaient d'obtenir le maximum de garanties préalables de la part de celui-ci contre toute évolution "totalitaire" à leurs dépens.
9 - Les récentes élections italiennes n'ont pas fondamentalement modifié cette situation. Par le maintien des positions électorales d'une Démocratie Chrétienne pourtant usée et discréditée, elles ont mis en relief l'importance des résistances à la venue du P.C.I. au gouvernement, dans la mesure où, justement, la DC avait, sous la conduite de Fanfani, axé sa campagne contre une telle éventualité.
Cependant, tout en alarmant encore plus les secteurs les plus rétrogrades de la bourgeoisie, la très forte poussée du P.C.I. a en même temps démontré de façon éclatante à cette classe le caractère inéluctable d’un "compromis historique" ou autre formule de participation de ce parti au gouvernement. La bipolarisation engendrée par l'affrontement électoral n’a pas, contrairement aux espérances de la droite de la DC, provoqué une rupture irrémédiable entre les deux grands partis de l'appareil politique du capital italien. En écartant toute possibilité à un recours aux formules de «centre gauche» utilisées jusqu'à ces derniers temps, cette évolution électorale a tracé à l'ensemble de la bourgeoisie italienne le chemin dans lequel elle doit s'engager : celui d'une alliance entre ses deux grands partis. C'est là la signification des accords entre partis de "l'arc constitutionnel" en vue de l'attribution d'un certain nombre de postes parlementaires qui, dans le cadre des institutions italiennes, constituent de fait des branches de l'exécutif.
Ces accords, nouveau pas dans la voie du « compromis historique », sont la traduction du fait que les besoins objectifs de l’ensemble du capital national doivent, en fin de compte, prendre le pas sur les résistances opposées par telle ou telle fraction de celui-ci. Cependant, la lenteur avec laquelle se met en place cette solution est une manifestation du poids encore très important de ces résistances dont les récentes élections n'ont pas permis le dépassement. De fait, si d'un côté celles-ci ont clarifié le jeu politique italien et montré nettement à la classe dominante la direction à suivre, elles lui ont également en partie lié les mains : brillamment reconduite dans sa suprématie sur le programme le, mieux en mesure d'assurer son succès électoral de refus du "compromis" avec le P.C.I., la DC ne peut pour le moment renier toutes ses promesses électorales et s'engager pleinement dans un tel compromis.
La situation créée par les élections italiennes met en relief le fait que les mécanismes électoraux et parlementaires, s'ils constituent encore des instruments efficaces de mystification de la classe ouvrière dans les pays les plus développés, peuvent également agir comme entrave à l'adoption par le capital national des mesures les plus appropriées à la défense de ses intérêts. Expression de la décadence du mode de production capitaliste inaugurée par la première guerre mondiale, la tendance générale au capitalisme d'Etat qui avait déjà vidé de tout pouvoir réel le Parlement au bénéfice de l'Exécutif, tend, de plus en plus à entrer en conflit avec les vestiges de la Démocratie bourgeoise parlementaire hérités de la phase ascendante de ce système, particulièrement dans les pays les plus faibles là où cette tendance générale s'exerce avec le plus de force.
10 - La venue du P.C.I. au pouvoir est inexorable, mais le retard avec lequel cette venue risque d'intervenir est une autre manifestation des contradictions insolubles dans lesquelles se débat le capitalisme dont la seule défense cohérente ne peut s'exercer qu'au niveau national mais qui, à l’intérieur de chaque nation, particulièrement dans sa sphère occidentale, reste divisée en une multitude d'intérêts contradictoires. En particulier le fait que la bourgeoisie italienne ne fasse pas appel dès maintenant à ce parti pour des tâches gouvernementales ne saurait être interprété comme le résultat de la mise sur pied d'un plan machiavélique par celle-ci afin de jouer la carte P.C.I. le plus tard possible ; quand la situation économique et sociale se sera dégradée encore plus. Outre le fait que la bourgeoisie, prisonnière de ses propres préjugés de classe, est en général incapable de se donner une vision à long terme de la défense de ses intérêts, elle ne peut trouver aujourd'hui en Italie aucun avantage à retarder encore plus l'adoption des mesures économiques et politiques de « salut national » exigées par la situation et qui impliquent la mise en place du "compromis historique". Plus ces mesures économiques tarderont à intervenir et plus il sera difficile au capital italien de remonter un tant soit peu la pente, y compris avec un P.C.I. au pouvoir. De même la bourgeoisie n'a aucun intérêt à attendre que la lutte de classe se soit développée pleinement pour se doter des moyens de mystification et d'encadrement les plus aptes à l'affronter avec succès. Les mesures « à chaud » sont toujours moins efficaces que les mesures préventives, en ce sens qu'elles sont moins élaborées que les secondes et que l'instabilité qui les a provoquées ne peut jamais être totalement résorbée. Présentée dans toutes les circonstances comme une « victoire ouvrière », la venue de la gauche au pouvoir comme réponse à une mobilisation massive de la classe tend à ancrer dans celle-ci l'idée que "la lutte paie" alors que tous les efforts de la bourgeoisie sont destinés à lui démontrer le contraire.
Ces contradictions structurelles du capital, l'obligeant à mener une politique pragmatique et à court terme face à la classe ouvrière, constituent un facteur très favorable pour celle-ci du point de vue de son affrontement décisif avec l'ordre social existant. Cependant, tous ces antagonismes au sein même de la classe dominante, tant sur le plan national qu'international, ne doivent pas faire oublier à la classe révolutionnaire que, face à elle, la bourgeoisie manifeste une unité fondamentale qu'elle peut renforcer dans les moments les plus décisifs afin de sauvegarder, y compris par le sacrifice de fractions importantes d'elle-même, ce qui reste essentiel : le maintien des rapports de production capitalistes. Les travailleurs doivent en particulier rejeter aujourd'hui toute idée d'utilisation des affrontements au sein même de la classe dominante par le soutien de telle ou telle fraction de celle-ci contre une autre : démocratie contre fascisme, capital d'Etat contre capital privé, telle nation contre telle autre, etc. Depuis plus d'un demi-siècle, de telles "tactiques" n’ont jamais conduit à un affaiblissement du capitalisme mais elles ont toujours abouti à l’anéantissement de l'autonomie et de l'unité de la classe ouvrière et en fin de compte à son écrasement.
11 - En Europe, l'Italie occupe une position d'une extrême importance tant du point de vue de sa localisation géographique, du poids de son économie, que du degré élevé de la combativité de sa classe ouvrière face à laquelle la bourgeoisie dispose d'un arsenal hautement élaboré. De plus, le prolétariat de ce pays est un de ceux qui disposent depuis la 1a guerre mondiale de l'expérience la plus riche tant du point de vue pratique que politique et théorique (Labriola, Bordiga, Gauche Italienne).
Pendant une période, le Portugal a occupé une place importante en tant que terrain d'expérimentation des diverses "solutions" bourgeoises face à la crise. Avec l'aggravation de sa situation économique, politique et sociale, l'Espagne s'est ensuite confirmée comme un des maillons faibles du capitalisme, tant du point de vue de la puissance des affrontements sociaux que du retard accusé par la bourgeoisie dans la mise en place des dispositifs appropriés pour limiter ces affrontements et les dévoyer. Avec le déferlement brutal de la crise en Italie, l'axe de la situation sociopolitique en Europe passe aujourd’hui par ce pays.
Pendant toute une période, cet axe passera à la fois par l’Espagne et l’Italie. Des événements de ce premier pays que la bourgeoisie européenne utilisera au maximum pour promouvoir ses mystifications antifascistes, les révolutionnaires et l'ensemble de la classe devront tirer à leur tour un maximum d’enseignements. Cependant, au fur et à mesure du développement de la crise et de la lutte de classe, la situation en Italie tendra à passer au premier plan dans la mesure où c'est à la fois le pays où, d’ores et déjà depuis 1969, la lutte de classe a atteint un des niveaux les plus élevés et dont les caractéristiques générales s'apparentent de façon étroite à celles des grandes métropoles capitalistes d'Europe. En ce sens, l’expérience qui se dégagera des affrontements sociaux à venir dans ce pays sera d'une extrême importance tant pour la bourgeoisie que pour le prolétariat de ces métropoles et son avant-garde.
12 - Dès à présent, une des caractéristiques que l'on peut dégager de l'ensemble de la situation présente et dont l'Italie constitue un des exemples les plus significatifs, par le fait même que c’est un des pays où la lutte de classe a atteint son niveau le plus élevé, c'est l'existence d'un énorme décalage entre la profondeur de la crise politique de la bourgeoisie, reflet de sa crise économique, et le degré encore plus limité de la mobilisation et de la prise de conscience de la classe ouvrière. Ce contraste est particulièrement net en Italie où les toutes premières manifestations de la crise avaient provoqué en 1969 une réponse générale du prolétariat qui avait, à grande échelle, fait éclater le cadre syndical et où la gravité présente de la crise n’entraîne de la part des travailleurs que des réactions beaucoup plus limitées et entièrement canalisées par les syndicats.
La cause de ce décalage réside dans le poids des mystifications que la gauche et les gauchistes ont systématiquement développées au sein de la classe ouvrière en présentant la venue de cette gauche au pouvoir comme une solution à la crise supposée apporter aux travailleurs les "victoires" qu'ils n’avaient pu obtenir sur le plan des luttes économiques ; mystifications rendues possibles par la difficulté éprouvée par la classe à se dégager de la plus profonde contre-révolution de son histoire. En Italie, le rôle des gauchistes, en premier lieu de ceux regroupés dans le cartel électoral de la « démocratie prolétarienne », a été particulièrement important. A travers leur "antifascisme de gauche" plus "radical" que celui du PCI, leur prise en charge "responsable" des éléments de la classe (en particulier les chômeurs) tendant à échapper au contrôle de ce parti et des syndicats ainsi que leur mise en avant d'une "alternative ouvrière" (gouvernement PS-PC-Gauchistes), ils ont accompli avec brio leur tâche de rabatteurs de la gauche du capital. Ce qu'a démontré l'évolution de la situation en Italie ces 7 dernières années, c'est que, loin de constituer une expression de la prise de conscience de la classe, le développement des courants gauchistes, telle l’apparition des boutons dans certaines maladies éruptive, est la manifestation de la sécrétion par l'organisme capitaliste d'anticorps contre le virus de la lutte de classe. Au fur et à mesure que celle-ci se développera dans tous les pays, on verra ces anticorps se développer parallèlement, en particulier pour ramener à la gauche officielle, par toutes les politiques de « soutien critique », les éléments de la classe qui s'en détournent.
Ce décalage existant entre le niveau de la crise et celui de la lutte de classe ne saurait se prolonger indéfiniment : aujourd'hui, à l'heure où de plus en plus la gauche ne peut plus se contenter d'assumer sa fonction capitaliste dans l'opposition mais en prenant directement en charge des responsabilités gouvernementales, mûrissent les conditions pour qu'il disparaisse. Si, dans un premier temps, les gouvernements « de gauche » permettront un meilleur encadrement de la classe au service du capital, leur inévitable faillite économique et les mesures de plus en plus violemment anti ouvrières qu'une crise sans issue et de plus en plus profonde les obligera de prendre viendront balayer les mystifications qui obscurcissent encore la conscience des prolétaires.
LE BUREAU INTERNATIONAL (23/07/76)
« Quand le prolétariat, nous dit Marx, annonce la dissolution de l'ordre actuel du monde, il ne fait qu'énoncer le secret de sa propre existence car il constitue la dissolution effective de cet ordre du monde ».
Cette destruction, loin de s'affirmer pourtant comme une action aveugle et strictement déterminée - une sorte de produit direct, mécaniquement engendré par un certain nombre de causes économiques -, exige du sujet qui l'accomplit une pleine conscience du but à atteindre.
Mais si l'on s'en tient à une vision bourgeoise de l'histoire, cette conscience, définie comme un sentiment que l'on possède de son existence, ne dépasse pas la catégorie intellectuelle et subjective d'une somme d'idées appliquée à cerner ce qui est.
Car pour toute science bourgeoise, la pensée, la conscience détachée du mouvement général de la matière est avant tout affaire d’individus isolés ou de groupes d'individus ayant vaguement certains intérêts en commun. Ainsi en raisonnant toujours avec les mêmes déformations grossières de l'idéologie dominante, elle ne conçoit le processus de la prise de conscience que selon un mécanisme purement mental qui amènerait l'individu ou même un groupe social, après une suite de causes - réaction - réflexion - action, à prendre conscience de ce qu'il est. Transposant ce mouvement de l'être isolé à celui d’une classe sociale, cette façon de concevoir en arrive à symboliser et à figer les classes sociales sous une forme individuelle et mythique. Le prolétariat se présente alors sous une apparence solidifiée, objectivée en simple catégorie économique. On le compresse sous la forme d'un bloc compact qui aurait à « prendre conscience », comme une individualité de ce qu'il est et de ce qu'il a à accomplir. Et de cette coupe savante et verticale dans l’être social on en conclut que le prolétariat n'est plus que classe pour le capital ou qu'il suffit en tant que "masse" agissante d'attendre qu'une prise de conscience se fasse de manière homogène et simultanée dans le cerveau de chaque ouvrier ou encore qu'il n'est rien d'autre qu'une sorte de corps humain dont la tête serait le parti, les pieds les conseils, etc.
Cette façon tout à fait erronée de concevoir un processus historique d'une classe sociale et déjà critiquée par Marx dans les Thèses sur Feuerbach, s'explique par le fait que la bourgeoisie, incapable de se remettre elle-même en question ne pense jamais autrement qu'en stratifications, en catégories, en séparations arbitraires. Il n'existe pour elle qu'une réalité accomplie et achevée du monde en dehors de la pratique, une matière inchangée et morte, une pensée appliquée comme un voile extérieur à la réalité sans transformer celle-ci.
La forme et le contenu, l'objet perçu et le sujet pensant, l'idée et la matière, la théorie et la pratique se retrouvent associés, collés dos à dos en couple inséparable certes mais différenciés, envisagés chacun selon un mode d'existence propre.
Le monde des concepts s'élabore, se déploie et, opposé à lui, placé en arrière plan de la conscience, le monde des objets se contente "d’être là". Quant à leur unité ne dépassant pas pour l'esprit celle des droites parallèles se rejoignant à l'infini, elle relève d'un simple tour de passe-passe intellectuel.
C'est qu'en effet, et c’est le défaut de tout matérialisme vulgaire même s'il reconnaît les déterminations de la matière, de ne considérer l'objet que sous la forme extérieure et indépendante du sujet et non comme pratique humaine. La conscience de classe n'a plus qu'à se laisser condenser en programme théorique et à être porté par une minorité pendant que le prolétariat s'agite dans le monde de la matière, incapable d'arriver à la conscience autrement que par l'intermédiaire d'une liaison, d'une charnière nécessaire : le parti, médiation entre expérience et conscience de la classe. Ou bien elle ne constitue plus pour le prolétariat qu'une sorte de réponse instinctive et immédiate aux stimuli extérieurs et les révolutionnaires, de peur de troubler et de violer ce métabolisme naturel, n'ont qu'à s'enfouir comme les autruches la tête sous le sable à attendre que les choses se fassent spontanément.
Les révolutionnaires quant à eux ne se contentent pas de cette vue simpliste. Parce qu'ils sont conscients que la vision qu'ils ont de la réalité n'est pas produite du hasard ou fille de la volonté individuelle, parce que le rôle essentiel qu'ils jouent dans la réalité sociale ne se borne pas à une constatation intellectuelle ou empirique des conditions objectives et subjectives de la révolution communiste. Et ce qui pourrait apparaître comme trop abstrait ou trop théorique dans leur réflexion ne constitue pas autre chose qu'un pas nécessaire dans la mise en pratique de leur intervention organisée.
Car imaginer théoriquement un mouvement, essayé de photographier mentalement un processus, cela revient un peu à vouloir voyager sur une rivière tout en restant sur la berge. C'est pourquoi les révolutionnaires, parce qu'ils n'ont pas d'intérêts distincts de ceux du prolétariat, ne se contentent pas de représentations ou de schémas abstraits, de descriptions journalistiques et immédiates de la réalité sociale. Partie prenante d’un tout, produits et facteurs d'un procès historique, leurs réflexions théoriques constituent en dernière instance une prise de position politique sur la réalité, un désir de transformation radicale de la société. ([1] [2])
Dans cette mesure là, ces réflexions sur la conscience de classe et le rôle des révolutionnaires et du parti ne doivent absolument pas être abordées par leur côté purement théorique. Si les premiers éléments d'analyse avancés ici se bornent encore à tracer de grandes lignes générales, d'autres facteurs puisés dans l'expérience même de la lutte de classe viendront renforcer, modifier ou préciser de nombreux points. Seule l'activité de la classe peut en dernière instance confirmer ou infirmer la théorie révolutionnaire.
« Et tous les systèmes qui entraînent la théorie vers le mysticisme trouvent leur solution rationnelle dans la pratique humaine et dans la compréhension de cette pratique ». Marx, Thèses sur Feuerbach - VIII.
LES CONDITIONS DE LA REVOLUTION COMMUNISTE
I - Le mode de production capitaliste, en achevant le cycle de la valeur, ne peut être dépassé que par l'action d'une classe consciente dans son ensemble et unie mondialement : le prolétariat.
Et cette condition est d'une importance tellement capitale qu'elle est la seule à pouvoir nous éclairer sur le caractère spécifique de la révolution communiste et le passage d'un mode de production basé sur la loi de la valeur à un mode d'existence supérieur.
Il existe en effet un gouffre entre ce que l'humanité a connu jusqu'à présent au niveau de son développement historique et le saut qualitatif qu'elle se prépare à accomplir pour clôturer ce cycle et libérer l'homme de toute exploitation quelle qu'elle soit. Et cette différence immense est d'autant plus difficile à concevoir que la succession des divers modes de production dans l'histoire s'est déroulée comme un processus nécessaire déterminé et plus ou moins inconscient parce que réalisé jusqu' à aujourd'hui par une classe révolutionnaire déjà porteuse du pouvoir économique dans l'ancien mode de production périmé. Cette différence qualitative se mesure au niveau de la conscience historique qu’exigera la destruction du mode de production capitaliste et sa transformation vers le communisme. Cette conscience loin de pouvoir se réduire à un simple phénomène mental, idéologique ou individuel doit être replacée dans le contexte d’une classe sociale.
II - Le concept de classe sociale comprise non comme simple classification ou catégorie économique ou addition d'individus isolés, repose essentiellement sur un devenir historique que forgent des intérêts politiques communs.
Le prolétariat n'existe vraiment en tant que classe qu'au travers du mouvement historique qui l'oppose mortellement au capitalisme, et ce mouvement n'a lui-même de fondement réel que dans le processus de la prise de conscience qui l'accompagne.
La révolution communiste se démarque donc fondamentalement de toutes les révolutions antérieures dans la mesure où pour la première fois dans 1’histoire de l'humanité une classe révolutionnaire, porteuse de nouveaux rapports sociaux ne possède aucun pouvoir économique au sein de l'ancienne société. Le prolétariat est la première et la dernière classe révolutionnaire dans l’histoire qui soit aussi une classe exploitée. Ce qui signifie bien qu’elle soit contrainte, de par la place socio-économique qu'elle occupe dans le mode de production capitaliste, d'avoir une entière conscience de ses buts historiques ; c'est en effet la seule classe qui ait la possibilité objective et subjective de prendre conscience de l'ensemble de la société. Le prolétariat ne possède aucune racine économique dans le sol capitaliste ; il n’existe aucune possibilité pour lui de développer sur la base de ces racines les ramifications de l'idéologie parce qu'il ne possède plus en lui les graines d'une nouvelle exploitation de l'homme par l'homme.
Alors que l'idéologie présuppose une superstructure politico-juridique et une infrastructure économique déterminée par des forces productives qui continuent à dominer l' homme, le processus de prise de conscience ne peut se faire chez le prolétariat que comme condition préalable à la prise du pouvoir et au changement total de l'infrastructure capitaliste.
III – Le prolétariat est la seule classe dans l'histoire pour laquelle la nécessité historique de la destruction du système d'exploitation coïncide pleinement avec ses intérêts de classe révolutionnaire, intérêts eux-mêmes liés aux intérêts de l'humanité toute entière.
Aucune autre classe ou couche sociale dans la société ne peut véhiculer cet avenir historique. C'est pourquoi ces classes ne peuvent pas prendre conscience de la nécessité d'une transformation de l'ensemble de la société et cela même si elles possèdent le vague sentiment de la barbarie sociale qui les entoure (sentiment d'ailleurs toujours récupéré d'une manière ou d'une autre par la classe dominante et la cécité de l'idéologie bourgeoise).
Du point de vue capitaliste et donc de l'idéologie, la connaissance du caractère historique et transitoire de la société est évidemment impossible. Les rapports sociaux étant pour la bourgeoisie des rapports figés, éternels, et planant au-dessus de la volonté humaine. Même si la bourgeoisie dans ses mystifications contre la classe ouvrière opère avec plus ou moins de lucidité, elle mettra tout en œuvre pour faire disparaître de la conscience sociale le fait de la lutte de classe. Les limites objectives de la production capitaliste déterminent de cette manière les limites de sa "conscience" qui n'est, de part ces frontières, que simple idéologie.
C'est dans cette mesure là que les principales mystifications de la bourgeoisie actuellement consistent à essayer de faire croire au prolétariat qu'une nouvelle gestion plus adéquate du système peut reculer indéfiniment l'effondrement du capitalisme.
IV - La conscience de classe, loin de coïncider avec le concept de l'idéologie, en est avant tout la négation première, l'antithèse fondamentale. Il s'agit avant tout aujourd'hui de sortir l'homme de la léthargie dans laquelle il est plongé, de rendre le monde conscient de lui-même et de ses actions, ce qu’aucune idéologie n’est à même de réaliser. Parce que l'idéologie, produite par des facteurs économiques et une réalité sociale aliénée, attribue aux objets une existence autonome et à la connaissance un pouvoir d'abstraction en dehors de toute contingence matérielle, il lui est impossible d'opérer une transformation critique et pratique de la société. La conscience de classe révolutionnaire, loin de simplement précéder l'action, de la diriger vers un but précis, est avant tout processus de transformation de la société ; un procès vivant qui, produit par le développement et l'exacerbation de la contradiction du mode capitaliste décadent, contraint une classe sociale à réaliser l'essence de son existence au travers d'une négation pratique et théorique (et donc consciente) de ses conditions de vie. L'histoire de ce procès recouvre l'histoire de la lutte du prolétariat et celui des minorités révolutionnaires qui ont surgit comme partie prenante de ce combat.
LES CARACTERISTIQUES DE LA PRISE DE CONSCIENCE
I - Les différences essentielles entre idéologie et conscience de classe se fondent sur l'origine même de l'idéologie et ses racines matérielles. Racines qui plongent dans l'histoire de la division du travail, la séparation des producteurs d'avec leur produit, l'autonomie des rapports de production et la domination de l'homme par la forme matérielle de son propre travail. Les lois inhérentes au capitalisme, lois qui se caractérisent par la domination du travail mort sur le travail vivant, la prépondérance de la valeur d'échange sur la valeur d'usage et le fétichisme de la valeur, entraînent la transformation de rapports sociaux en rapports entre choses et conditionnent l'apparition de rapports juridiques où le point de départ de ces rapports est individu isolé.
C'est elles aussi qui par le biais de la spécialisation enlèvent à l'homme l'image de la totalité et le maintiennent prisonnier d’une série de catégories séparées, isolées et indépendantes les unes des autres (la nation, l'usine, le quartier…) La vision de la totalité n'est plus alors qu'une simple addition de domaines particuliers du "savoir", savoir lui-même détenu par des spécialistes.
La conscience de classe quant à elle s'affirme comme vision de la totalité et conscience de l'ensemble de la classe. Elle constitue un processus éminemment collectif. Son point de départ est celui d’une classe unifiée dans la lutte, déterminée à détruire les rapports sociaux capitaliste, elle implique la domination déterminante du tout sur les parties. Mais cette totalité ne peut être posée que si le sujet qui la pose est lui-même une totalité, et ce point de vue de la totalité comme sujet, seule une classe le représente. C'est pourquoi le prolétariat pour s'unifier en classe consciente devra briser tout cloisonnement, toute séparation, toute frontière quelle qu'elle soit et imposer la dictature de ses conseils ouvriers au de là des nations.
Une autre conséquence de la réunification dans la conscience sociale est la séparation entre les parties et le tout, le but partiel et le but final, la lutte économique et la lutte politique. Dans cette période de décadence du capitalisme, où toute réforme est devenue impossible et où la révolution est à l'ordre du jour, les luttes économiques tendent à se transformer en luttes politiques et à s'attaquer de front au système. Le prolétariat est amené à transformer consciemment la société, c'est pourquoi la vision de la totalité implique pour lui la compréhension de la contradiction dialectique entre intérêt immédiat et but final, entre le moment isolé et la totalité. Le moment isolé, c'est-à-dire sa situation de classe atomisée et mystifiée, étant lié au système capitaliste, le prolétariat doit s'unifier mondialement et passer d'une catégorie économique à une classe révolutionnaire. Cette unification en classe consciente, le prolétariat seul est capable de l'accomplir, parce que la nature du travail associé lui confère la possibilité de cette vision globale.
II - La nature de cette prise de conscience qui en fait avant tout une conscience de classe, nous permet de comprendre l'opposition fondamentale qui s'élève dès à présent entre idéologie et conscience. Et ce n'est pas par purisme linguistique que nous affirmerons qu'il n'existe pas d'idéologie prolétarienne ou de science révolutionnaire, pas plus qu'il n'existe pour une minorité révolutionnaire la possibilité de "porter" ou "d'incarner" cette conscience de classe.
Ramenant tout un phénomène historique à la fois pratique et théorique à la simple expression d'une réflexion cristallisée dans le programme, patrimoine du parti, les léninistes ou bordiguistes de toute tendance appréhendent la nature de la conscience de classe avec les mêmes vices de raisonnement qui permettent aux mystiques d'affirmer que l’Ostie incarne le corps du Christ.
C'est qu'en effet l'idéologie et le mysticisme doivent leur existence au fait que la séparation entre travail manuel et travail intellectuel a rendu possible l'apparition d’une pensée qui se caractérise par la distance qu'elle cherche à placer entre sa propre réalité et les conditions matérielles de son existence et par son souci d'apparaître comme pensée indépendante et autonome, agent causal unique du mouvement qui anime la matière. Concevant la réalité comme une série de médiations, étapes nécessaires entre l’homme et la matière, l’idéologie bourgeoise se refuse à reconnaître son origine véritable. Attribuant à la réalité une existence indépendante, elle oppose au matérialisme métaphysique un idéalisme véritablement cause de l'action, et en reléguant la pratique dans sa basse manifestation naturelle.
La conscience de classe, quant à elle, coïncide pleinement avec la réalité sociale dans la mesure où sa raison d'être est produite par le développement historique de la contradiction entre les forces productives et les rapports de production et que cette nécessité d'un changement radical des rapports de production demande une vision globale et vraie de l'ensemble de la réalité sociale.
La conscience de classe reconnaît son origine et son objet : le prolétariat comme noyau vivant de la production, classe sociale en constant devenir. Le processus de la prise de conscience du prolétariat, fondé sur l’unité dialectique entre l'être et la pensée, rejette toute forme d'intermédiaire de médiation entre l'Existence et la Conscience ; elle devient conscience de soi et renoue par là l'unité entre l’Homme et la Réalité.
III - Le prolétariat est contraint de vendre sa force de travail comme simple objet par rapport à l'ensemble de sa personnalité et c'est cette objectivité et la scission opérée ente la force de travail, objet soumis à l'exploitation et le sujet qui la vend qui permet à la prise de conscience de se réaliser. C'est au travers de sa lutte contre l'exploitation capitaliste que le prolétariat peut se percevoir à la fois comme sujet et comme objet de la connaissance. Cette perception et la conscience de son extrême dénuement et de son inhumanité, est en même temps dévoilement de toute la société et destruction de celle-ci.
Ainsi, en détruisant l'ensemble de la société, le prolétariat ne fait qu'énoncer l'essence de sa propre existence étant lui-même négation de la société (le seul rapport social existant entre le capitalisme et le prolétariat étant la lutte de classe). La réalisation du prolétariat comme classe pour soi passe par la destruction du système ; la conscience est facteur et produit de ce processus. La connaissance de soi est pour le prolétariat connaissance de l'essence de la société, elle n'est pas prise de conscience sur un objet mais conscience de soi de l'objet, dans cette mesure là, elle est déjà pratique et opère une modification dans l'objet. En reconnaissant le caractère objectif du travail comme marchandise, ce processus permet de dévoiler le fétichisme de toute marchandise et de révéler le caractère humain de la relation capital-travail.
Les illusions, les mystifications, les cloisonnements imposés à la pensée par l'idéologie ne sont donc que les expressions mentales d’une réalité elle-même réifiée d’une structure économique basée sur l'exploitation de l'homme par l’homme et leur négation ne peut être accomplie par un simple mouvement de la pensée, mais bien par un dépassement pratique. C'est pourquoi, la conscience de classe n'est pas simplement une remise en question théorique du capitalisme, elle procède avant tout d’une critique et d’une destruction matérielle du système dans son ensemble.
La conscience de classe, en reconnaissant la nature historique des lois économiques, dévoile le caractère historique et transitoire du mode de production capitaliste, cerne les limites objectives de celui-ci et analyse les périodes historiques de la société. Ce dévoilement est un processus qui accouple théorie et pratique dans la mesure où chaque illusion qui tombe, chaque mystification dévoilée correspond à la volonté pratique de destruction de l'esclavage salarial.
IV - Pourtant si cette conscience historique émerge de la nécessité pour le prolétariat que la connaissance totale de la réalité s'ouvre à partir de son point de vue de classe, cela ne signifie pas pour autant que cette connaissance lui soit immédiatement donnée.
Bien au contraire, le caractère de classe de ce processus s'accorde précisément avec le développement hétérogène et douloureux d'une pratique et d'une théorie ouvrière confrontées dès leur naissance aux pressions coercitives de la bourgeoisie.
Le prolétariat, quelle que soit son unité dans la lutte, n'agit pas comme une individualité unique et mécaniquement dirigée vers un but. La contradiction dialectique qui existe entre sa situation de classe révolutionnaire et de classe exploitée, son dénuement total au sein de la société, le détermine à être la première victime de l’idéologie bourgeoise. Incapable de développer sa conscience selon le principe stable d'une idéologie ou d'une série de recettes pratiques, étant à la fois sujet et objet de la connaissance, le prolétariat ne prend conscience de sa situation que dans un processus réel lié aux conditions matérielles de son existence sociale.
Ce sont ces conditions objectives et la présence toujours oppressante de l'idéologie dominante qui contraignent le prolétariat à secréter, comme partie intégrante de sa tendance à se constituer en classe révolutionnaire, les minorités révolutionnaires en vue d’accélérer le processus de théorisation de ses acquis historiques et leur diffusion au sein des luttes. La conscience de classe n'est donc pas "miroir" de la réalité, reflet mécanique de la situation économique de la classe ouvrière (elle n'aurait dans ces conditions aucun rôle actif), et ne se produit pas spontanément sur le sol de l'exploitation capitaliste.
Elle surgit en réalité de la convergence de plusieurs facteurs parmi lesquels les prémices économiques, bien qu’indispensables, sont nettement insuffisants. La lutte économique du prolétariat ne suffit pas à engendrer tout un mouvement théorique et pratique, elle ne joue pas en effet le rôle magique du créateur, démiurge unique et tout puissant dont certains spontanéistes ont fait leur idole.
La lutte de classe n'est pas une entité en soi séparée du monde et donatrice du mouvement de la matière, elle est le monde, s’est forgée par lui et l'a forgé à son tour.
Dans cette mesure là, seule la réunion de plusieurs éléments enfantée au cours du développement de la lutte de classe peut, en dernière instance, amener la conscience socialiste à son niveau historique le plus élevé. Ces éléments sont, essentiellement :
a) la contrainte économique subie par le prolétariat et sa situation de classe exploitée ;
b) les données objectives de la période et le niveau atteint par les contradictions du système (décadence du capitalisme, exacerbation de la crise) ;
c) le niveau de la lutte de classe répondant à cette situation et la tendance plus ou moins développée du prolétariat à s'organiser en classe autonome ;
d) l'influence de plus en plus décisive des groupes révolutionnaires dans la lutte et la faculté du prolétariat à se réapproprier sa théorie révolutionnaire.
Aucun de ces éléments ne peut, envisagé pour lui-même être détaché des autres et s'ériger en principe causal unique du mouvement.
Il est bien évident que la contrainte économique ou la théorie révolutionnaire s'imposent comme facteurs actifs dans le développement de la conscience prolétarienne mais ils ne constituent pas en eux-mêmes la cause première du processus. Rechercher une cause prédominante et isolée à tout un mouvement revient à figer celui-ci en tombant dans un débat tout à fait stérile du type : de l'œuf ou de la poule, qui est la cause de l’autre?
LE ROLE DES REVOLUTIONNAIRES ET DU PARTI
Définir la conscience du prolétariat comme un processus historique propre à une classe sociale et se caractérisant par l'affirmation sur la scène de l'histoire de "l'être conscient", cela revient à ne pas dépasser le palier de la simple constatation passive.
En nous arrêtant à ce stade nous n'aurions fait que disserter théoriquement sur les caractéristiques de la prise de conscience sans saisir les raisons objectives qui nous poussent à formuler de telles définitions. Or, c'est en dépassant l'aspect purement théorique de leur activité que les révolutionnaires prennent conscience de leur rôle historique comme élément agissant d'un tout.
On ne fait pas tomber un mur en soufflant dessus, on ne détruit pas tout un système d'exploitation en faisant des vœux pieux et des réflexions philosophiques. C'est en assumant pleinement leur responsabilité face à la classe ouvrière que les révolutionnaires peuvent accélérer le processus de la prise de conscience du prolétariat et sa constitution en classe autonome. Cette responsabilité nécessite une vision claire de leur fonction, une mise au point des tâches historiques pour lesquelles ils ont été constitués.
I - La nature et la fonction des groupes révolutionnaires et du Parti ne peuvent réellement s'expliquer qu'au travers de la nature profondément contradictoire du processus de la prise de conscience du prolétariat, contradiction qui sous-tend, s'accouple au mouvement même de la lutte de classe et continuera à marquer la période de transition jusqu'à la disparition de toutes les classes.
Contradiction entre la situation de la classe ouvrière comme classe exploitée et ses tâches historiques qui vont dans le sens de l'abolition de toute exploitation quelle qu'elle soit. Contradiction entre l'impossibilité pour le prolétariat de se forger une "idéologie" prolétarienne sur base d'un pouvoir économique quelconque et la nécessité impérieuse de théoriser ses acquis et d'avoir pleinement conscience de ses buts historiques. C'est ainsi que s'impose au prolétariat l'obligation :
- d'une part d'assumer en pratique et par ses luttes quotidiennes la condition fondamentale à la révolution communiste : "l'émancipation des travailleurs sera l’œuvre des travailleurs eux-mêmes" ;
- d'autre part de se forger les armes théoriques indispensables à son émancipation consciente alors qu'il lui est impossible d'échapper entièrement à l'influence de l'idéologie dominante.
Les minorités révolutionnaires apparaissent donc comme les produits de cette nécessité contradictoire. Elles surgissent comme partie prenante du prolétariat et pourtant n’en sont pas pour autant des membres sociologiques. La classe économique dominante étant celle qui dispose des moyens de production matériels et idéologiques, le prolétariat est incapable de donner naissance à une culture ou une idéologie qui lui serait "sociologiquement immanente" car cela impliquerait un intérêt économique qui viserait à perpétuer sa situation de classe exploitée. Dans cette mesure là, c'est un critère politique qui définit les révolutionnaires comme membres effectifs du prolétariat et leur assigne la tâche de théoriser les acquis historiques de la classe et de faire en sorte que ceux-ci deviennent le fait du plus grand nombre possible.
II - Parce que s'impose pour le prolétariat la nécessité d'opérer un bouleversement conscient de l'ancienne société, cette transformation à la fois pratique et théorique exige une vision claire, «une intelligence nette des conditions, de la marche et des fins générales du mouvement prolétarien ». Tant que subsisteront l'antagonisme de classe et l'exploitation capitaliste, cette vision des buts finaux du mouvement restera confrontée à l'influence coercitive de l'idéologie bourgeoise et dans cette mesure là ne sera pas immédiatement donnée à la majorité du prolétariat. La diffusion et l'élargissement de la théorie révolutionnaire et de la conscience des buts ultimes de la révolution prolétarienne à l'ensemble de la classe ne constituent pas un phénomène "naturel" en progression mathématique linéaire, elle est avant tout le produit d'un effort organisé de la classe. Cette tentative consciente du prolétariat de se doter d'une théorie révolutionnaire et de tirer les leçons de ses luttes passées, se matérialise dans l'apparition des minorités révolutionnaires et la constitution de celles-ci, lors de périodes de montée révolutionnaire, en Parti.
Cette tension constante au sein du prolétariat dans la constitution d'un Parti révolutionnaire n'est absolument pas comparable à l'action volontariste d'individus ou de groupes d'individus qui entendraient construire un parti révolutionnaire en vue de suppléer à l'action de la classe dans son ensemble. Le surgissement de la théorie révolutionnaire, comme celui des groupes révolutionnaires, n'est pas le fruit d'une volonté individuelle, ou le fait de quelques principes nouveaux "découverts par tel ou tel réformateur du monde", il concrétise le développement d’une lutte de classe réelle et celui d'un besoin vital au sein du prolétariat.
III – Ce n'est donc pas au niveau abstrait que le prolétariat s’est pensé en classe, mais bien au niveau de son action concrète, par ses luttes incessantes en confrontations avec les conditions objectives de la période. De cette pratique historique a surgi non pas une série de principes dogmatiques appliqués comme recette théorique à la lutte de classe mais l'expression théorique de cette expérience. La théorie révolutionnaire ne constitue pas un somme définitive et invariante de principes, mais bien le reflet d'une activité concrète du prolétariat explicitée et globalisée au niveau théorique par les groupes révolutionnaires et réappropriée par la classe. Ainsi, à chaque problème vérifié par la lutte et l'organisation de la classe correspond un nouvel apport théorique, qui sera lui-même transformé en réalité pratique par l'intervention qu'il aura dans les luttes futures. Ainsi, produite par l'être social des luttes, la théorie puise son énergie dans la pratique et transforme à son tour la clarté politique des luttes à venir.
Se développant à partir des luttes concrètes de la classe, la théorie révolutionnaire, véhiculée par les groupes révolutionnaires, ne reste pas pour autant le trésor caché de ceux-ci. Bien au contraire le rôle même des révolutionnaires et du Parti concrétise le souci fondamental du prolétariat de se réapproprier ses acquis historiques pour en faire la réalité du plus grand nombre. Leur fonction consiste à diffuser cette théorie au sein de la classe, en sachant bien que cette diffusion est un phénomène qui se déroule au sein même du prolétariat et qu'il ne s'agit pas de "réinjecter" une théorie dans la pratique ou de figer la théorie en ferment chimique premier de tout un mouvement historique.
Théorie et pratique se complètent, s'interpénètrent ; favoriser l'un au détriment de l'autre, insister sur le facteur causal de la théorie ou au contraire ignorer le côté actif de la théorie, risque de nous entraîner dans les voies dangereuses du volontarisme ou de l'académisme.
IV - Ce n'est pas parce qu'il existe des groupes révolutionnaires que le prolétariat est une classe révolutionnaire, la bourgeoisie pourrait en effet supprimer dans le monde la présence de tous les révolutionnaires, elle ne ferait que retarder l'échéance de sa propre mort sans pouvoir arrêter la lutte de classe et empêcher le prolétariat de reconstituer des groupes révolutionnaires. Ce n'est pas en détruisant les premières fleurs écloses d'un arbre qu'on freine définitivement tout le processus de reproduction de celui-ci.
Les révolutionnaires, dans cette mesure là, tout en n'ayant pas d'intérêts distincts et sans être séparés du prolétariat, n'en sont pas pour autant synonymes de la classe. Ils n’en sont qu'une partie, la partie la plus déterminée, celle qui, sans être l'état-major d'une armée inconsciente et encadrée ou le grand timonier de la révolution, trace les grands axes généraux de la lutte, indique la direction finale du mouvement. Leur fonction ne consiste pas à préparer la direction "technique" des luttes, ce ne sont pas eux qui « par des mots d'ordre justes donnent organiquement naissance aux conditions et aux possibilités de l'organisation technique du prolétariat » (Lukacs). Leur rôle n'est pas d'organiser la classe, de diriger l'organisation autonome du prolétariat par voie de recettes pratiques sur telle ou telle forme d'organisation unitaire mais de toujours mettre en avant la direction politique générale du mouvement.
V - Que le parti n’ait pas à se substituer à la classe n’implique absolument pas que son existence représente un pis-aller, un mal nécessaire qu’il faudrait atténuer ou éviter le plus possible. Les révolutionnaires, et le Parti existent comme produits nécessaires, éléments indispensables au processus de la prise de conscience du prolétariat. Nier leur fonction sous prétexte des erreurs substitutionnistes du passé, c'est faire preuve de purisme stérile, c'est enlever au prolétariat une de ses armes vitales. Leur tâche historique, loin de concrétiser un palliatif quelconque, rejoint une tendance générale du prolétariat à se constituer en classe révolutionnaire consciente. Eléments les plus combatifs et les plus déterminés au sein de la classe ouvrière, ils développent au sein des luttes prolétariennes une intervention organisée dans la perspective de mettre en avant les buts ultimes du mouvement. Leur participation active au sein des luttes exerce sur l’organisation générale du mouvement de la classe une influence décisive. Influence qui peut effectivement se matérialiser par la direction politique générale de la lutte et l'accélération de la constitution du prolétariat en classe autonome en vue de la prise du pouvoir et de la destruction de l'esclavage salarial.
Les révolutionnaires et le Parti n'ont pas à se substituer à la classe, ce qui implique que leur fonction, tout en étant indispensable, ne constitue pas une fin en soi, une œuvre achevée et parfaite qui pourrait agir à la place du prolétariat ou faire pénétrer dans le mouvement de masse spontané de la classe la « vérité » qui lui serait immanente pour "élever" le prolétariat de la nécessité économique de son origine à l’action consciente et révolutionnaire. C’est pourquoi, étant un élément actif et constitutif du prolétariat, engagé à participer pleinement au développement de 1a prise de conscience de la classe, le Parti n’est en rien médiation entre théorie et pratique, expérience et conscience. L’un et l’autre, le Parti et la classe, matérialisent l’unité entre théorie et pratique ; cette unité identique aux deux ne demande pas à être assumée par un intermédiaire (on ne peut effectivement placer un intermédiaire qu’entre deux entités préalablement séparées), elle est un processus vivant qui détermine aussi bien le Parti que l'action de la classe dans son ensemble et son organisation unitaire en conseils. Faire du Parti la médiation entre théorie et pratique, cela revient à concevoir la théorie comme extérieure au prolétariat, comme patrimoine unique du Parti qui devient alors seule force capable de « renverser le sens de la praxis », cela revient à castrer le prolétariat de toute possibilité consciente et politique dans sa prise de pouvoir. Car, en suivant ce raisonnement, les conseils ouvriers se transformeraient en coquilles vides, en organes administratifs et étatiques dans lesquels le contenu révolutionnaire serait apporté par le Parti. Il devient très logique dans cette mesure là de remettre aux mains du Parti la direction réelle de la dictature de la société et de le mettre à la tête de l'Etat de la dictature du Prolétariat.
Le Parti ne représente pas un organisme de direction ou d'exécution, un organe créé par le prolétariat en vue de la prise du pouvoir. L’idée selon laquelle la direction de la dictature ouvrière est le fait d'un Parti révolutionnaire unique, constitué en Parti de masse pendant la période postrévolutionnaire manifeste une incompréhension grave quant au but politique réel du Parti. Le Parti ne vise pas en effet à gonfler démesurément en vue de s'incorporer le plus d'éléments possible. Sa fonction n’est pas celle d'un Parti unique totalitaire et étatique. Bien au contraire, il restera toujours l'expression d'une partie de la classe, et sa raison d’être tendra à disparaître au fur et à mesure que la conscience socialiste deviendra le fait de l’ensemble de la classe.
CONCLUSIONS
L'inadéquation entre les rapports de production et les forces productives a atteint un tel degré de développement dans la période qui suit la Première Guerre mondiale qu’elle révèle aujourd'hui le caractère mensonger des idéologies correspondant aux rapports sociaux rendus caducs et contraint la bourgeoisie d'employer toute une série de mystifications qui consistent à dévoyer les luttes ouvrières de leur but véritable.
Ces différences essentielles avec la période ascendante affectent fondamentalement l’unité entre la théorie et la pratique dans la mesure où le développement des conditions objectives permettant la révolution communiste renforce cette unité.
Or, il se fait qu'en période de décadence la révolution communiste devenue une possibilité objective et la pratique des luttes de classe se radicalisant dans ce sens, la théorie tend de plus en plus à saisir l'objet premier de son analyse, la conscience de classe, comme unité réelle des deux, s'affirme dans son processus qui n’est que le processus de l'être conscient. Ce renforcement de l'unité entre l'être social du prolétariat et sa théorie se traduit tout au long de l'histoire de la classe ouvrière en période de décadence par l'apparition des organisations révolutionnaires de la classe se donnant comme objectif, non plus l'amélioration des conditions d'existence du prolétariat dans le système capitaliste, mais bien la mise en avant pour la classe ouvrière de la destruction du mode de production capitaliste par la violence et la prise du pouvoir politique au travers de ses organisations autonomes.
Alors qu'en période ascendante du capitalisme, l'organisation permanente du prolétariat au sein de partis de classe ou de syndicats signifiait pour celui-ci les luttes pour des réformes réelles et durables, l'apparition de minorités révolutionnaires ne pouvait se faire que dans un cadre encore limité. Aujourd'hui toute forme permanente d'organisation de 1a classe est irrémédiablement voué à disparaître ou à être intégré à la contre révolution ; quant aux minorités révolutionnaires, elles ne se bornent pas simplement à théoriser les acquis de l’expérience prolétarienne, leur pratique au sein de la lutte de classe peut être un réel facteur de transformation et d'éclaircissement de la perspective historique de celle-ci. La théorie ne tend plus simplement à se réaliser dans la pratique, mais la réalité elle-même tend et va s'incorporer la pensée, c'est-à-dire que le prolétariat tend à se réapproprier la théorie en prenant conscience, à la suite de ses luttes, des frontières de classe comme acquis de son passé historique.
Le programme révolutionnaire n'est donc pas simplement une somme de positions plus ou moins souples suivant les variations de l'actualité. Il est issu de la liaison historique qui unit les différents moments d'apparition du prolétariat en tant que classe pensante et agissante pour sa mission historique qui est la destruction du capitalisme.
L'intervention des révolutionnaires ne représente rien d’autre que la tentative pour le prolétariat d'arriver à la conscience de ses intérêts véritables en vue de dépasser la simple constatation empirique des phénomènes particuliers, en cherchant la relation avec ses principes généraux tirés de son expérience historique. Parce que la mise en avant incessante des frontières de classe, la clarification théorique de plus en plus profonde des buts historiques du prolétariat ne concrétisent en fin de compte que la nécessité pour celui-ci d'avoir pleinement conscience de sa pratique, l'existence des organisations révolutionnaires est bien le produit de cette nécessité. Parce que cette prise de conscience précède et complète à la fois la prise du pouvoir du prolétariat par les conseils ouvriers, elle annonce un mode de production où les hommes, enfin maîtres des forces productives, développeront celles-ci en pleine conscience pour que s'achève le règne de la nécessité et que commence celui de la liberté.
J.L. Juillet 1976.
[1] [3] Aujourd'hui, à l'ère des révolutions sociales alors que le prolétariat ressurgit sur la scène de l'histoire, leur intervention est d'autant plus vitale que un demi siècle de contre révolution et de confusion a pesé sur la lutte de classe, falsifiant grossièrement la théorie révolutionnaire, entraînant certains groupes dans les marécages de la dégénérescence, et exigeant des minorités révolutionnaires actuelles une clarification théorique indispensable en vue d'une pratique organisée au sein des luttes.
INTRODUCTION
Nous publions ici un texte de la "Frazione Communista de Naples" qui est son document final. La "Frazione" a commencé comme un cercle de discussion en 1975 sur la base de la lecture des textes du CCI et d'autres courants politiques. La plupart de ses membres venaient du milieu contestataire, cherchant à rompre avec le "gauchisme" extraparlementaire pour retrouver les positions révolutionnaires. L'évolution de la discussion politique a abouti à ce que, d'une part, les membres du noyau fondateur adhèrent au CCI, et, d'autre part, le cercle de la "Frazione" se dissolve en tant que tel. Avec le présent document, les ex-camarades de la "Frazione" cherchent à rendre leur expérience consciente et explicite, à laisser une trace de leur évolution afin d'aider la compréhension d'autres éléments qui se trouvent et se trouveront dans la même situation.
Leur document montre tout le côté inévitable et positif du surgissement des "cercles de discussion politique" aujourd'hui ; le réveil de la lutte de classe à la fin des années 60 a trouvé le mouvement révolutionnaire dispersé, coupé du lien organique avec les organisations du passé. Le besoin de créer des "cercles" pour contribuer à la clarification politique trouve sa raison d'être dans la difficulté de s'orienter après tant d'années de contre-révolution. Cependant le document rend compte également des ambiguïtés et des difficultés rencontrées au cours de l'évolution politique. Nous cherchons donc, à travers, cette expérience particulière faite à Naples, à dégager les enseignements généraux de ce processus de prise de conscience.
L'un des dangers principaux de tout "cercle de discussion", c'est que ces membres le prennent pour ce qu'il n'est pas et ne peut pas être : un groupe politique achevé. En effet, un "cercle de discussion" est l'expression d'un moment dans un processus de clarification politique ; c'est un lieu relativement ouvert où la discussion et la recherche politique se poursuivent à travers la confrontation des idées. Tout autre chose est un groupe politique basé sur une plate-forme cohérente qui se concrétise dans une organisation au niveau international afin d'assumer la responsabilité de l'intervention dans la classe. Il ne faut pas confondre le processus et son aboutissement: soit en figeant un moment de l'évolution des cercles dans une "demi plate-forme" inachevée et incohérente, soit en s'érigeant en "organisation" locale et isolée, soit en voulant intervenir comme corps politique dans la lutte de classe sans définition politique claire. La "Frazione Communista" s'est heurtée à ces difficultés quand elle a voulu tenter d’établir une plate-forme partielle, et aussi à propos de la responsabilité politique qu'impliquaient ses publications (intervention). Les ex-camarades de la "Frazione" se rendent compte eux-mêmes dans leur texte que l'idée d'écrire une "mini plate-forme" pour la "Frazione" correspondait effectivement à l'impulsion de préserver "l'autonomie" à Naples pour "résister" à la pression politique d’autres groupes politiques, notamment le CCI, bien que cette raison n'ait pas été entièrement consciente à l'époque. Malgré ces difficultés, la "Frazione" a pu dépasser ses faiblesses grâce à une profonde conviction de la nature internationale de la lutte de classe, ce qui l'a amenée à garder toujours un contact ouvert avec le CCI.
Un autre danger dans l'évolution des "cercles", c'est de ne pas prendre conscience de l’hétérogénéité inévitable d'une telle formation. Les membres d'un cercle peuvent évoluer non seulement dans des sens différents mais, même en allant vers le même but, évoluer à des rythmes différents. Il est de la plus grande importance que les membres qui arrivent à une vision relativement cohérente sachent impulser le travail d'ensemble sans renoncer à aller de l'avant sous prétexte de vouloir artificiellement préserver le "cercle" comme corps uni. Une plus grande responsabilité incombe toujours à ceux qui prennent conscience plus vite et ceci à tous les niveaux de la vie politique de la classe. Nous constatons donc que, bien qu'il n'y ait pas de recettes, ni de solutions toutes faites, un cercle doit rester ouvert à l'extérieur et dynamique dans son évolution à l'intérieur.
Après une période de décantation politique de plusieurs mois, les camarades du noyau fondateur de la Frazione ont pris conscience qu’un cercle de discussion n'a pas de sens en soi, sinon pour aboutir à un engagement militant dans la classe. Puisqu'ils étaient d'accord avec la plate-forme du CCI, ils se sont intégrés au travail du Courant à travers la section en Italie. Mais dès qu'ils sont arrivés à reconnaître la nécessité d’un pôle de regroupement organisationnel, ces camarades ont voulu éviter que leur "cercle" ne se transforme en obstacle à la compréhension en se maintenant comme une espèce d'"anti-chambre" de la politique. Pour cette raison, en affirmant l’aboutissement de leur travail, ils ont dissous la Frazione.
De façon générale, les cercles de discussion et d'études ne peuvent pas être conçus comme des "fins en soi" ; on ne cherche pas les "idées" pour elles-mêmes mais pour qu'elles s'expriment dans une activité sociale. Les cercles font partie de tout un processus dans la classe ouvrière qui tend à sécréter un organisme politique de classe. En ce sens, le surgissement de ces "cercles" un peu partout dans le monde actuellement est la vérification de l'ouverture d'une nouvelle période de lutte de classe ; après la rupture dans le mouvement ouvrier, on assiste à la renaissance des petits noyaux qui cherchent les positions révolutionnaires. Pour que cet énorme effort, malheureusement dispersé, puisse aboutir, il faut tout d'abord reconnaître que l'évolution de ces cercles ne peut pas rester stationnaire : soit ils s'intègrent dans un courant politique cohérent au niveau international, soit ils se transforment, à la longue, en entraves à la prise de conscience. Si les cercles se préservent en tant que formation locale et limitée politiquement, nous aboutissons à une poussière de petits groupes mi-achevés, chacun isolé, contribuant ainsi à semer la confusion aussi bien sur la nécessité d'une cohérence politique globale, que sur le besoin du regroupement organisationnel des révolutionnaires au niveau international. Le plus souvent de tels efforts avortés finissent par se disloquer et disparaître dans la démoralisation la plus totale de ses éléments fondateurs. En somme, les "cercles", qui constituent un pas positif doivent être dépassés.
Si nous insistons tant sur l’expérience de la "Frazione de Naples", c'est justement parce que son expérience n'est pas "napolitaine". Elle contient les mêmes richesses et les mêmes problèmes que l'expérience des cercles en Espagne (qui ont rejoint Accion Prolétaria), à Seattle, à Toronto, en Suède, au Danemark, en France et à Bombay. Certaines de ces expériences ont abouti à une clarification politique dans un sens ou dans un autre, mais pour bien d'autres la dislocation et la démoralisation sont tout ce que la classe ouvrière peut tirer comme bilan. Et si nous citons certaines expériences, c'est en sachant parfaitement bien qu'il y en a des dizaines d'autres qu'on ignore à cause de l'isolement local des éléments. Si le CCI insiste tant sur la nécessité du regroupement des forces révolutionnaires, ce n’est pas, comme nous reprochent certains, par une "volonté hégémonique (exercée) ouvertement ou de façon détournée sur les autres" (Jeune Taupe, n°10).
C'est là vraiment la preuve que quand on ne comprend pas un problème à fond, on le réduit à des questions psychologiques de "volonté de puissance" servant à escamoter le vrai problème, celui de la résistance des petits groupes pour sauvegarder leur autonomie particulière. Le CCI intervient le plus activement possible dans l'évolution de toute la vie politique et plus particulièrement dans l'évolution des noyaux politiques. Dans le cas de la "Frazione", l'intervention du CCI a été déterminante dans le processus de clarification, justement parce que nous avons cherché à généraliser les expériences en mettant toujours en avant le but de la discussion.
Fondamentalement, le CCI espère par son intervention aider à rompre le mur de l’isolement et de la confusion politique. Quand des éléments se perdent, à cause de la confusion et de la pression politique constante de la classe ennemie, c’est tout le mouvement qui en ressent la perte. Si nos camarades, ex-membres de la Frazione Communista, écrivent ce texte, c’est dans l’esprit qui anime l’ensemble du CCI : remplir la tâche de clarification politique au sein de la classe en travaillant vers la constitution d'un pôle de regroupement révolutionnaire cohérent.
J. A.
BILAN D'UNE TRAJECTOIRE POLITIQUE
"Dans tous les cas, il ne peut s'agir que d'une organisation provisoire. Et la conscience de ce caractère provisoire est ici une condition du bon résultat final. En effet, un cercle de discussion qui se prétendrait être une organisation politique achevée ne serait, NI une bonne organisation politique, NI un bon cercle de discussion."
(Lettre du CCI aux camarades de Naples, 3 décembre 1975.)
Si nous refaisons un peu l'histoire de son évolution politique nous constatons que le groupe à l’origine de la "Frazione" a commencé un travail de discussion au cours du printemps/été 1975 sur la base de la lecture de textes du CCI. Pendant toute un période il a constitué effectivement et de plus en plus un centre de débat politique, surtout à l'automne de cette même année. La publication du document sur le Portugal ([1] [6]) a marqué un tournant radical : pour signer le texte, le groupe s’est donné un nom, "Frazione Communista di Napoli", et l'introduction dont il l'a doté était celle d'un groupe politique. La première conséquence de cette publication, c'est que le nombre de camarades a doublé avec l'arrivée de nouveaux éléments qui, de fait, adhéraient à un groupe politique en formation de la même manière qu'ils auraient adhéré à un groupe extra-parlementaire.
Par la suite, nous avons souvent dit que cette introduction constituait un trop grand pas politique pour le groupe ; mais c'est réellement la publication en elle-même d'un tel document qui constituait un trop grand pas. Un cercle de discussion est, par nature, transitoire et informel ; il ne peut donc avoir une intervention à l'extérieur (publications, etc.) avec tout ce que cela comporte : cristallisation organisationnelle et politique (prise de positions - sans les avoir pleinement comprises - parce que "le document ne pouvait sortir tel quel"). Le résultat en est que la nécessité de se situer immédiatement vis-à-vis de l'extérieur compromet la capacité de débat interne, et donc la base d'une future autodéfinition consciente.
L'accord de la "Frazione" sur la lettre du CCI n'a été dans les faits qu'un accord formel, puisque tout en se définissant comme un groupe de discussion, déjà le groupe d'origine n'était plus un groupe de discussion mais se situait à mi-chemin vers un groupe politique. Cela s'est manifesté dans la rédaction de la Plate-forme de la "Frazione Communista" qui cristallisait le niveau atteint par les camarades et fixait une base programmatique d'adhésion ; ce qui, certes, est une anomalie pour un groupe de discussion. Ce n'est pas par hasard si on a par la suite reconnu que la Plate-forme n'était pleinement comprise que par les membres du groupe d’origine. Il est tout aussi significatif que la Plate-forme ait été proposée et écrite par quelques camarades (aujourd'hui membres du CCI) qui redoutaient l'utilisation de la "FC" par le CCI. Par l'adoption d'un programme propre, ils tendaient instinctivement à défendre leur propre petit groupe contre "l'invasion extérieure", selon la déformation typique de ces cercles qui en amène invariablement la dégénérescence ou la fin.
Toute l'existence de la "FC" a été imprégnée de cette ambiguïté de fond qui a risqué de compromettre l'énorme masse de travail accompli. L'abandon successif de toutes les activités vers l'extérieur, y compris celle de publication (après "I sindicati contro la classe operaia", publiée en Janvier, la "FC" n'a plus rien publié) est un indice de la compréhension progressive du danger que constitue la fixation dans une forme bâtarde semi-politique. Ce processus a contribué à lever l'ambiguïté de la situation des camarades qui avaient formé le premier noyau et qui avaient inspiré les positions politiques de la Plate-forme ; ces camarades ont reconnu leur extériorité vis-à-vis de cette situation intermédiaire et trouvé dans le CCI l'organisation politique avec laquelle discuter. La rapidité avec laquelle cette discussion a mené à l'intégration dans le courant est la preuve que ce pas était depuis longtemps nécessaire.
Il faut être clair : le groupe de discussion de Naples est mort dès le moment où a été adoptée une Plate-forme qui a signifié sa transformation en groupe semi-politique. Si aujourd'hui nous avons compris la nécessité de dénoncer la "FC" comme un organe bâtard voué à la dégénérescence politique, ce n'était pas moins vrai et inévitable cinq mois plus tôt.
Toute organisation qui se définit organisationnellement sans assumer sur la base d'un programme politique cohérent ses propres responsabilités militantes face à la classe ne peut que se transformer en un obstacle au regroupement des révolutionnaires, en une espèce de Purgatoire, de marais où pataugent des éléments figés dans un perpétuel état de semi-confusion.
C'est particulièrement vrai aujourd'hui que le prolétariat revient sur la scène de l'histoire après une période de contre-révolution forte au point d'engloutir toute trace laissée par la vague révolutionnaire des années 20 dans la conscience ouvrière. Les anciennes petites fractions de communistes survivant à la défaite pour conserver les enseignements de la lutte, n'ont pu que succomber l'une après l'autre à la contre-révolution triomphante. C'est donc sans leur soutien direct que le géant prolétarien doit se dégager de la prostration et retrouver son chemin historique de classe. D'autre part, avec la fin de la période des réformes et l'entrée du capitalisme dans sa phase de décadence, tous les anciens instruments de la classe se sont transformés en autant d'obstacles à sa prise de conscience. Les syndicats, les lois ouvrières, les Maisons du Peuple, tout cet appareil réformiste où pourtant chaque soir convergeaient de leurs usines des centaines d'ouvriers socialistes pour s'informer, discuter les événements du jour, se préparer à la lutte, ces centres où battait la vie de la classe ouvrière sont devenus aujourd'hui autant de centrales actives de la bourgeoisie.
Les ouvriers qui retrouvent aujourd'hui le chemin de la lutte privés de leurs traditionnels points d'appui ressentent d'autant plus l'exigence de se retrouver pour discuter et réfléchir que plus grandes sont les difficultés pour le réaliser. Voici pourquoi après chaque vague de luttes se créaient des dizaines de petits noyaux d'ouvriers, généralement regroupés par un minimum de positions antisyndicales. Ce n'est certes pas par hasard ni par esprit académique que beaucoup de collectifs ouvriers formés pendant l'"Automne chaud" dans les usines italiennes se sont appelés "Groupes d'études". Ce fait traduisait l'impérieux besoin de réflexion, la nécessité pour la classe de retrouver sa propre histoire et son propre avenir.
Mais ce même vide de cinquante années qui est à l'origine de leur prolifération est aussi la cause de leur faiblesse intrinsèque. Avec la disparition des fractions communistes sorties de l'Internationale en dégénérescence, a disparu aussi pour ces ouvriers leur cadre naturel de recherche. Ils sont pratiquement seuls face à la démoralisation, au reflux, au poids des tendances localistes et de la gauche syndicale.
C’est pourquoi il faut souligner qu'aucun de ces noyaux ne peut résister à la longue au poids de l'idéologie dominante s'il est dans l'incapacité de rompre complètement avec l'horizon limité d'une seule usine et d'orienter aussitôt sa propre activité vers la clarification des questions politiques de fond et de sa propre position militante. La seule façon pour que les camarades issus de ces expériences puissent par la suite contribuer à la lutte de classe, c'est de s'intégrer activement et consciemment dans le processus de regroupement international des révolutionnaires : emprunter un chemin de traverse est une impasse.
Quelles leçons peuvent être dégagées de notre expérience ? Un cercle de discussion, de par sa nature, est un agrégat transitoire, né de la nécessité de clarifier les problèmes de la lutte de classe. Au fur et à mesure que par la discussion cette clarification se fait, le cercle de discussion, loin de se renforcer (Plate-forme, organisation) dépérit (il épuise sa fonction). Quelque soit le sort de ses militants pris individuellement (évolution ou disparition), le cercle de discussion quant à lui ne peut que dégénérer ou mourir.
Aux révolutionnaires d’en indiquer la fonction et les limites et d'en dénoncer les survivances.
D'anciens membres de l'ex-"Frazione Communista"
[1] [7] Lotte operaie in Portogallo : Una lotta esemplare : Il lavoratori della T.A.P. di fronte al PCP ed al "esercito democratico".
Dans le n°4 de la Revue Internationale, nous avons publié une première série d'articles de "Bilan", allant de la chute du régime de Primo de Rivera et de la monarchie aux événements de 1936. Dans ces articles-analyses, Bilan s'efforçait de démontrer que la chute de l'ancien régime monarchique était le fait de son anachronisme absolument inadéquat pour affronter les difficultés dans lesquelles se trouvait le capitalisme espagnol, subissant pleinement la crise générale du capitalisme mondial. Ce n'est qu'en partant de ce contexte historique mondial, qu'on devait analyser la situation en Espagne, pour comprendre son évolution. La démarche de la Gauche Communiste, avec la Fraction Italienne en tête, s'opposait radicalement à celle de Trotski et autres groupes issus de la dégénérescence de l'IC, qui, eux, partaient avant tout des spécificités de l’Espagne, ce qui les amenait à toutes sortes d'aberrations et notamment à voir dans l'avènement de la République le triomphe d'on ne sait quelle Révolution démocratico-bourgeoise "progressive" venant à bout d’un ancien "ordre féodal". Bilan n’ignorait certes pas l’état arriéré du capitalisme espagnol, il insistait au contraire sur ce point, mais il rejetait énergiquement cette aberrante définition de cet état arriéré, comme une société féodale grosse d'une révolution démocratico-bourgeoise, et tout ce que cela implique. D'une façon générale Bilan a été amené à rejeter catégoriquement toute idée de révolution démocratico-bourgeoise dans la période présente de déclin du capitalisme, cette ère historique où la seule alternative qui se présente à la société est celle de Révolution prolétarienne ou de guerre impérialiste, de socialisme ou de barbarie (décadence)([1] [9]).
Dans leur grande majorité, ces groupes de gauche, même quand ils ne se référaient pas à une "révolution antiféodale", persistaient toutefois à voir dans les événements un mouvement de renforcement continu de la classe ouvrière, obligeant la bourgeoisie au recul. C'est ainsi que fut interprété, par eux, le renforcement de la République et des partis de "gauche" en son sein. Le développement de la "démocratie" était compris comme la manifestation de l'avance du prolétariat, comme 1e renforcement de ses positions de classe. Le renforcement de l'Etat "démocratique" et de son appareil, pour aussi violemment répressif qu'il se présentait, était vu comme une manifestation de la faiblesse de la bourgeoisie et était synonyme de renforcement du prolétariat et condition de son avance ultérieure.
Diamétralement opposée était l'interprétation de Bilan qui voyait dans cette République démocratique la mise en place d'une structure étatique plus apte à dévoyer la classe ouvrière, à lui faire abandonner son terrain de classe, à la démobiliser politiquement, tout en la matant physiquement. En effet, le capitalisme - dont celui de l'Espagne n’est qu'une partie intégrante - se voyait avancer à pas accélérés vers son unique issue à sa crise mondiale : la guerre impérialiste. Par ailleurs, le capitalisme était parvenu à dominer et enrayer complètement la seule alternative à la guerre qui entrave son déchaînement : la lutte de classe du prolétariat. Par les multiples défaites subies, par le triomphe, selon les pays, du stalinisme, du fascisme, de l'hitlérisme, des fronts populaires, la classe ouvrière, dans les principaux pays, se trouvait profondément démoralisée et impuissante. Seule dans la zone ibérique se trouvait encore un prolétariat qui a gardé un énorme potentiel de combativité - et cette combativité devenue en la circonstance absolument intolérable pour le capitalisme, il lui fallait non seulement la briser, mais s'en servir pour, dans un immense bain de sang des ouvriers d'Espagne, créer l'ambiance nécessaire pour "l’adhésion" au massacre impérialiste des prolétaires de tous les pays du monde. Telles étaient la signification et l’œuvre de la République démocratique et du triomphe du Front populaire en Espagne. Une telle différence d'analyse et de perspectives isolait chaque jour davantage la Fraction italienne des autres groupes qui ont survécu à la dégénérescence de l'IC. Les efforts de Bilan, ses mises en garde passionnées contre les dangers et la catastrophe imminente qui se préparait pour le prolétariat en Espagne, ne trouvaient aucun écho et il ne restait à Bilan que d'enregistrer avec tristesse l'aveuglement qui frappait ces groupes, leur graduel fourvoiement qui fera d'eux les victimes et les complices du massacre dit "antifasciste" qui allait se déchaîner en Espagne.
Le déroulement des événements ne tardera pas à confirmer l'achèvement de l'involution de ces groupes. Aucun d'eux n'aura la force nécessaire pour échapper d'être happé dans l'engrenage de la guerre impérialiste, mise en mouvement par le soulèvement de l'armée sous la direction de Franco. La magnifique riposte spontanée du prolétariat, qui, restant sur son terrain de classe, a rapidement raison de l'armée dans les principaux centres ouvriers, est vite mise en brèche par une manœuvre contournant de l'Etat Républicain. Toutes les forces politiques organisées qui agissent au sein de la classe et contre elle, PC-PS-anarchistes-syndicats de l'UGT et de la CNT, vont s'employer à qui mieux mieux à arracher la victoire des ouvriers contre l'armée en transformant cette victoire de classe en une défense de la démocratie, de l'Etat républicain, de l'ordre capitaliste. Les démarcations de classe seront estompées, les frontières de classe effacées. A la lutte de classe - prolétariat contre capitalisme - sera substituée la lutte contre le fascisme dont l'alternative est la démocratie, l'Union de toutes les forces démocratiques, plate forme classique de la domination capitaliste. C'est la répétition générale de ce qui servira exactement de plate forme et de mystification à la mobilisation pour la Seconde Guerre mondiale impérialiste, démocratie contre fascisme.
La boucle était ainsi fermée, confirmant tragiquement la thèse de Bilan sur la nature et la fonction de la démocratie en général, et en Espagne en particulier : la démocratie, loin d'être le signe d'un renforcement du prolétariat, et loin de constituer un tremplin pour de nouvelles conquêtes de la classe comme le prétendaient les divers groupes de gauche, n'était au contraire que le signe de leur déroute, condition de nouvelles défaites pour la classe, qui menait finalement à la guerre impérialiste. Non seulement la thèse de "Bilan" se trouvait pleinement confirmée par les événements, mais cette thèse marxiste révolutionnaire lui a permis de rester lui-même, c'est-à-dire fidèle aux principes révolutionnaires de la classe, et de ne pas se laisser entraîner dans le bourbier nauséabond de la guerre impérialiste, "antifasciste". Et c'est là un très rare mérite et un grand honneur pour tout groupe qui se veut révolutionnaire.
Tout autre était le sort de la grande majorité d'autres groupes de gauche et même communistes. Sans parler de la racaille des socialistes de gauche à la Pivert et Cie, l'ensemble des groupes de l'opposition trotskiste, le POUM, les syndicalistes-révolutionnaires de la RP jusqu'à - et y compris - des groupes tels que l'Union Communiste en France et le groupe internationaliste de Belgique pataugeaient misérablement dans ce bourbier antifasciste de la guerre en Espagne. Les uns avec enthousiasme, les autres à contre cœur, ulcérés, mais tous étaient pris dans ce filet antifasciste qu'ils ont eux-mêmes tissé, et dans les mailles duquel ils se débattaient lamentablement. Les groupes les plus radicaux qui volontiers dénonçaient le Front Populaire et la participation au gouvernement républicain, estimaient quand même indispensable la participation à la guerre contre Franco, considérant la victoire militaire contre le fascisme comme condition de la marche en avant de la Révolution. Ou bien cherchaient à conjuguer la guerre "extérieure" des Fronts contre Franco avec une lutte de classe contre le gouvernement républicain bourgeois à l'intérieur.
Dans le n°6 de la Revue Internationale, nous avons reproduit une série d'articles
dans lesquels Bilan met en lambeaux tout ce tissu fait d'ergotages et de sophismes qui n'avaient comme conséquence que de justifier quand même la participation à la guerre impérialiste camouflée en antifascisme prolétarien pour les besoins de la cause. La guerre d'Espagne débouchait directement dans la Deuxième Guerre mondiale. Les groupes radicaux pris dans leur propre piège ne pouvaient que se disloquer et disparaître ; quant aux autres, comme les trotskistes, ils ne pouvaient que passer sans retour, avec armes et bagages, .dans le camp de l'ennemi de classe, en participant pleinement dans la guerre impérialiste généralisée.
Les événements d'Espagne renouvellent aux révolutionnaires une leçon capitale : un groupe prolétarien ne met pas impunément le doigt dans l'engrenage capitaliste. A un moment donné, dans un de ces tournants brusques que connaît l'histoire, il est irrémédiablement happé par l'engrenage et impitoyablement broyé. Si la classe trompée et écrasée ne peut pas ne pas resurgir, car elle est et reste le sujet de l'histoire, il n'en est pas de même de ses organisations révolutionnaires qui ne sont que des organismes et instruments de la classe. Prises dans l'engrenage de l'ennemi elles sont définitivement perdues et détruites et la classe n'aura d'autres ressources que d'en sécréter de nouvelles. Les organisations révolutionnaires demeurent donc toujours exposées au danger de la corruption par l'ennemi de classe. Il n'y a aucune garantie absolue contre ces dangers. Seules, la fidélité aux principes et la vigilance politique constante offrent à l'organisation révolutionnaire quelque assurance d'être prémunie contre la pénétration corruptrice de l'idéologie de l'ennemi de classe. Et cela même n'est pas toujours une sécurité totale.
Dans le n°6 de notre revue, nous terminions la série d'articles de Bilan par celui de "L’isolement de notre Fraction devant les événements d'Espagne". Bilan écrit: "Notre isolement n'est pas fortuit : il est la conséquence d'une profonde victoire du capitalisme mondial qui est parvenu à gangrener jusqu'aux groupes de la Gauche Communiste". Non seulement la Fraction italienne se retrouvera isolée par le fait que les autres groupes se trouvaient gangrenés par le capitalisme mondial, mais la Fraction elle-même, malgré toute sa vigilance, n'échappera pas complètement à cette pression, et se trouvera à son tour atteinte par cette même gangrène qui pénétrera dans ses rangs et se manifestera par l'apparition d'une minorité se réclamant d'une position de soutien de la guerre "antifasciste" en Espagne. On sait qu’à la déclaration de la Première Guerre mondiale, une grande partie de la section parisienne du Parti Bolchevik s'était prononcée pour le soutien de la guerre "décisive" des alliés "démocratiques" contre le militarisme impérialiste prussien. Avec la minorité de la Fraction italienne se vérifie une fois de plus l'absence d'une immunité absolue contre la pénétration de la gangrène capitaliste dans le corps des révolutionnaires et une fois de plus, comme ce fut le cas pour le Parti Bolchevik, la santé robuste de l’organisation a eu raison et a pu venir à bout, sans trop de dommages, de cette gangrène.
Nous avons jugé indispensable la publication de tous les textes et déclarations, tant de la minorité que de la majorité, concernant les débats et la crise qu’ils ont provoqués dans la Fraction italienne de la Gauche Communiste. Ceci pour plusieurs raisons, et tout d'abord parce que le contraire aurait été manquer au plus élémentaire devoir d'information révolutionnaire. La lecture de ces textes est hautement édifiante et donne une idée de l'ampleur, du contenu, et de la portée de ces débats, et une vue plus exacte de la vie politique dans la Fraction. Les arguments de la minorité, qui sont souvent plus une réaction sentimentale de volonté révolutionnaire, ne diffèrent guère de 1a façon de raisonner d'autres groupes radicaux tombés dans les mêmes mystifications et mêmes erreurs. Leur principal argument se réduit à celui que de ne pas intervenir serait faire preuve d’un attentisme et d’une indifférence insupportables. Le non attentisme sert souvent de couverture a des précipitations inconsidérées et irréfléchies ([2] [10]). Et la minorité en a fait la triste expérience. Pour ce qui est du reproche de l'indifférence, il est frappant de le retrouver dans la bouche des bordiguistes nous le jetant à la face pour justifier aujourd'hui leur soutien aux luttes (massacres) de libération nationale. Cela ne surprendrait certainement personne en apprenant qu'après leur mésaventure dans la milice antifasciste du POUM et à la suite de la dissolution de la milice et de son incorporation dans l'armée, la minorité, de retour d'Espagne, allait s'incorporer dans le marais de l'Union Communiste. C’était sa place naturelle. Cela ne surprendrait pas davantage en sachant qu'à la fin de la guerre, c'est encore la minorité qui est la plus enthousiaste partisane de la constitution du Parti bordiguiste et c'est avec elle que se constitue la section en France de ce Parti. Là aussi, elle a trouvé sa place naturelle. Quelle revanche éclatante ! Car C2 sont précisément les positions de la minorité qui ont réellement, sinon formellement triomphé dans le PCI. Si le PCI ne reconnaît pas ses origines dans la Fraction italienne et dans Bilan, il devrait au moins reconnaître certaines de ses racines dans les positions politiques de la minorité de la Fraction italienne de la Gauche Communiste et lui rendre cette justice. Enfin, il est extrêmement intéressant et significatif de voir comment la Fraction s'est efforcée de mener les discussions, avec quelle patience elle supportait toutes les infractions de la minorité, faisant toutes sortes de concessions organisationnelles, non pour garder la minorité dont elle considérait les positions politiques absolument incompatibles avec celles de la Fraction, et la scission absolument inévitable, mais pour pousser la clarification des divergences à leur point extrême afin que la scission soit encore un renforcement de la conscience et de la cohésion de l'organisation révolutionnaire. C’est là une très rare leçon d’une grande valeur que nous a encore légué la Fraction italienne de la Gauche Communiste. Aujourd’hui, avec la tendance à la reconstitution du mouvement révo1utionnaire, les jeunes groupes qui surgissent devraient méditer sur cette leçon afin de l’assimiler pleinement et en faire une arme supplémentaire pour le regroupement des révolutionnaires.
Pour finir, nous publions l'Appel de la Gauche Communiste, en réponse aux massacres de Mai 1937, qui sanctionne définitivement le débat avec la minorité sur la signification du Gouvernement Républicain de coalition antifasciste et le sens des événements en Espagne. Ceux qui prétendent pouvoir tirer de ces événements d’autres enseignements positifs - de collectivisation dans les campagnes ou de syndicalisation de l'industrie - de formes nouvelles ou supérieures de l'autonomie ouvrière se laissent mystifier par l'apparence des choses qu'ils prennent pour la réalité.
La seule et tragique réalité était la transformation de l'Espagne en un immense champ de massacre où ont été exécutés par centaines de mille les ouvriers espagnols au nom de la défense de la démocratie et comme préparation à la Deuxième Guerre impérialiste. Il n’y a jamais eu rien d’autre, et c’est la seule leçon qu'ont à tirer les ouvriers du monde entier et ne jamais plus l'oublier.
COMMUNIQUE DE LA COMMISSION EXECUTIVE
EXTRAITS (Bilan n° 34, Août 1936)
Les événements d’Espagne ont ouvert une grave crise au sein de notre organisation. Les conditions actuelles n'ont pas permis une discussion approfondie des divergences, d’autant plus qu'une partie des camarades ne se trouve pas actuellement dans la possibilité d'apporter le concours de leurs opinions.
Dans cette situation, la C.E. n'a pu qu’enregistrer la première délimitation des positions politiques, tout en constatant qu'elles posent inéluctablement le problème de la scission de notre organisation. Scission bien évidemment au point de vue idéologique et non organisationnel, à la condition toutefois que la clarté la plus complète se fasse sur les problèmes fondamentaux où le contraste s'est manifesté.
A part la conception qui est défendue publiquement par la fraction et au sujet de laquelle aucune explication n’est nécessaire, d’autres opinions se sont affirmées et qui se trouvent actuellement - ainsi que nous l'avons dit - dans l'impossibilité de se concentrer autour d’une position générale, ou se départager en précisant les contours respectifs. L’idée centrale dominant parmi les camarades qui ne partagent pas l’avis de la majorité actuelle de l'organisation, est celle qui considère possible l’affirmation d'une indépendance de la classe ouvrière, en Catalogne surtout, sans passer au bouleversement radical de toute la situation, sans opposer aux fronts actuels que nous considérons impérialistes, les fronts de la lutte de classe dans les villes et les campagnes.
La C.E. a décidé de ne pas brusquer la discussion pour permettre à l'organisation de bénéficier de la contribution des camarades qui ne se trouvent pas dans la possibilité d'intervenir activement dans le débat, et aussi parce que l'évolution ultérieure de la situation permettra une plus complète clarification des divergences fondamentales apparues.
En vertu de ces considérations, il est évident que les camarades de la minorité actuelle ont tout aussi bien que les autres la possibilité de séparer publiquement leurs responsabilités et, tout en se revendiquant de leur appartenance à la fraction, poursuivre la lutte en Espagne sur la base de leurs positions tendant à déterminer une position autonome de la classe ouvrière même dans le cadre de la situation actuelle.
Nous escomptons publier dans le numéro prochain de Bilan tous les documents relatifs aux divergences surgies au sein de notre organisation.
LA CRISE DANS LA FRACTION
COMMUNIQUE DE LA C.E.
EXTRAITS (Bilan n°35, sept-oct. 1936)
La crise surgie dans la fraction, à la suite des événements d'Espagne, a marqué un premier point de son évolution. Les divergences fondamentales que nous avions énoncées dans notre précédent communiqué se sont à nouveau manifestées au cours des discussions qui ont eu lieu au sein de l'organisation. Ces discussions ne se sont pas encore acheminées vers la clarification des questions fondamentales controversées et cela surtout parce que la minorité ne s’est pas encore trouvée dans la possibilité de procéder à une analyse des derniers événements d'Espagne pouvant servir de confirmation aux positions centrales qu'elle défend.
La C.E., se basant sur les notions programmatiques qu'elle défend au sujet de la construction du parti, en face de divergences d’ordre capital qui, non seulement rendent impossible une discipline commune, mais font que cette discipline devient un obstacle rendant impossible l'expression et le développement des deux positions politiques, a considéré qu'il était nécessaire d’arriver sur le terrain de l'organisation, à une séparation aussi nette que celle existant dans le domaine politique, où les deux conceptions sont en réalité un écho de l’opposition existant entre le capitalisme et le prolétariat.
La C.E. a pris acte que c'est dans la même direction que s'est orientée la minorité, laquelle vient de constituer le "Comité de Coordination".
Ce Comité a pris une série de décisions que la C.E. s'est bornée à enregistrer, sans lui opposer la moindre des critiques et en prenant les mesures nécessaires pour faciliter la plus complète activité de 1a minorité. Toutefois, la C.E. a cru ne pas devoir accepter la demande de reconnaissance de la Fédération de Barcelone, car celle-ci s'est fondée sur la base de l’enrôlement de milices qui sont devenues progressivement des organes à la dépendance de l'Etat capitaliste. La divergence avec des membres de la fraction sur cette question des milices peut encore être soumise à l'appréciation du prochain Congrès de notre fraction, car ce contraste a surgi sur le fond d'une solidarité qui s'affirme sur les documents fondamentaux de l'organisation. Il en est tout autrement pour ceux qui voudraient adhérer à l'organisation sur la base politique de l'enrôlement dans les milices, problème dont la compatibilité avec les documents programmatiques de la fraction ne pourra être tranché que par le Congrès. Pour ces raisons, la C.E. a décidé de ne pas reconnaître la Fédération de Barcelone et de faire valoir les votes des camarades qui en font partie, au sein des groupes dont ils faisaient partie avant leur départ…
La C.E. réaffirme que l'unité de la fraction, qui a été brisée par les événements d'Espagne, ne pourra se reconstruire que sur la base de l'exclusion des idées politiques, lesquelles, loin de pouvoir engendrer une aide solidaire au prolétariat espagnol, ont accrédité parmi les masses des forces qui lui sont profondément hostiles et dont le capitalisme se sert pour l'extermination de la classe ouvrière en Espagne et dans tous les pays.
LA REVOLUTION ESPAGNOLE
Cet article d'un camarade de la minorité de la fraction a été écrit le 8 août, à un moment donc où l'extrême pénurie des nouvelles ne permettait guère une analyse des événements en cours. Il n'a pas été possible de permettre à l'auteur de revoir son texte afin d'y apporter les rectifications nécessaires quant à certains faits qui y sont évoqués. Le lecteur voudra bien en tenir compte.
La chute de la monarchie, bien qu'elle se soit accomplie paisiblement et de façon chevaleresque, dans une ambiance de réjouissances et non de luttes, ouvre la crise révolutionnaire en Espagne. La dictature de Primo de Rivera en est aussi un symptôme.
La structure politique et économique de l'Espagne est entièrement construite sur l'échafaudage féodal d'un Etat qui, pendant quatre siècles, a vécu en parasite en exploitant un empire colonial immense, rempli de richesses inépuisables. A la fin du XIXe siècle, par la perte des dernières possessions coloniales, le rôle de l’Espagne est réduit à celui d'un pays de troisième ordre, vivotant au travers de l'exportation de sa production agraire. La crise mondiale survenue après la guerre rétrécit considérablement les marchés, amoindrit les réserves de l'accumulation qui s'était faite pendant la guerre par suite de la neutralité du pays, et pose le problème de sa transformation économique. Le stimulant des forces de production tendant à créer un appareil industriel moderne, et à susciter un marché intérieur pour la production industrielle au travers de la transformation des systèmes productifs à la campagne, se heurte à l'esprit conservateur des vieilles castes féodales privilégiées.
Cinq années de gouvernements successifs de gauche et de droite ne résolvent même pas le problème politique de la forme constitutionnelle ; la République elle-même est menacée par un parti monarchique décidé. Aucune solution n'est davantage apportée au problème économique qui ne peut trouver de solution définitive qu'au travers de la rupture violente des rapports sociaux dans les campagnes. La question agraire est d’importance primordiale ; elle ne peut être résolue dans le cadre des institutions bourgeoises, mais par la voie révolutionnaire au travers de l’expropriation sans indemnisation des latifundia et des domaines seigneuriaux.
Sur un demi-million de kilomètres carrés que représente la surface de l'Espagne, deux tiers des terres appartiennent à 20 000 propriétaires. Les bribes restantes sont laissées à vingt millions d’êtres qui consomment leur misère dans l’abrutissement et l'ignorance séculaires. La tentative de réforme agraire de Azana ne put donner que des résultats négatifs. La confiscation, avec indemnisation aux propriétaires, est suivie d'une répartition de la terre, onéreuse pour le paysan qui doit commencer à cultiver une terre souvent aride et négligée, avec une dette initiale et sans aucun capital de circulation. Là où la répartition des terres s’est faite, une irritation se produit parmi les paysans qui n'ont pu tirer aucun avantage de la possession de la terre. Cette situation de mécontentement peut expliquer pourquoi les "rebelles" ont trouvé, dans certaines provinces agraires, un appui de la part des populations locales.
La menace d’une attaque réactionnaire à fond, après deux années de gouvernement de droite, détermine la formation d’une coalition des partis républicains et ouvriers, et provoque la victoire électorale du 16 février. La pression des masses qui ouvrent les prisons au 30 000 emprisonnés politiques avant même que soit promulgué le décret d’amnistie, déplace le rapport des forces, mais l'espoir des masses est déçu. Au cours des cinq mois d'activité du gouvernement de Front Populaire, aucun changement radical ne se vérifie dans la situation. La situation économique, d'autre part, ne perd pas son caractère de gravité. Rien n'est fait pour tenter une solution définitive, et cela s'explique par le caractère bourgeois du nouveau gouvernement qui se borne à une défensive envers le parti monarchique en déplaçant vers le Maroc un grand nombre d'officiers infidèles au régime républicain. Ce qui explique que le Maroc était le berceau de la rébellion militaire, qui en quelques jours put compter sur une armée de 40000 hommes complètement équipés, à l'abri de toute menace répressive. La Légion Etrangère, "LA BANDERA" qui a formé la base de cette armée, ne compte que très peu d'éléments étrangers (10-15%), tandis que dans sa majorité elle groupe des espagnols enrôlés : chômeurs, déclassés, criminels, c'est-à-dire de véritables mercenaires qu'il est facile d'attirer par le mirage d'une solde.
Le meurtre du lieutenant de Castil1o, socialiste, suivi le lendemain, par représailles, du meurtre de Carlos Sotelo, chef monarchiste (9 et 10 juillet), décida la droite à agir. Le 17 juillet l'insurrection commence. Elle n'a pas le caractère du PRONUNCIAMENTO militaire typique qui compte sur la surprise, la rapidité et a toujours des buts et objectifs limités : généralement le changement du personnel gouvernemental.
La durée et l’intensité de la lutte prouvent que nous nous trouvons devant un vaste mouvement social qui bouleverse jusqu'à ses racines la société espagnole. La preuve en est que le gouvernement démocratique, modifié deux fois en quelques heures, au lieu de se replier ou de se hâter de faire un compromis avec les chefs militaires insurgés, préfère s'allier avec les organisations ouvrières et consigner les armes au prolétariat.
Cet événement a une importance énorme. La lutte, bien qu'elle reste formellement insérée dans les cadres d’une compétition entre groupes bourgeois et bien qu'elle trouve son prétexte dans la défense de la république démocratique contre la menace de la dictature fasciste, atteint aujourd’hui une signification plus ample, une valeur profonde de classe ; elle devient le levain, le ferment propulseur d 'une véritable guerre sociale.
L'autorité du gouvernement est en pièces : en quelques jours le contrôle des opérations militaires passe aux mains de la milice ouvrière ; les services de la logistique, la direction en général des affaires inhérentes à la conduite de la guerre, la circulation, la production, la distribution, tout est remis aux organisations ouvrières.
Le gouvernement de fait est aux organisations ouvrières, l'autre, le gouvernement légal est une coque vide, un simulacre, un prisonnier de la situation.
Incendie de toutes les églises, confiscation de biens, occupation de maisons et de propriétés, réquisition de journaux, condamnations et exécutions sommaires, d'étrangers aussi, voilà les expressions formidables, ardentes, plébéiennes de ce profond bouleversement des rapports de classe que le gouvernement bourgeois ne peut plus empêcher. Entre temps le gouvernement intervient, non pas pour anéantir, mais pour légaliser "l'arbitraire". On met la main sur les banques et sur la propriété des usines abandonnées par les patrons, les usines qui produisent pour la guerre, sont nationalisées. Des mesures sociales sont prises : semaine de 40 heures, 15% d'augmentation des salaires, réduction de 50% dès loyers.
Le 6 août un remaniement ministériel a lieu en Catalogne sous la pression de la CNT. Companys, président de la Généralité, est obligé, paraît-il, par les organisations ouvrières de rester à sa place pour éviter des complications internationales, qui, au reste ne manqueront pas de se produire au cours des événements.
Le gouvernement bourgeois est encore debout. Sans doute, une fois le danger écarté, il essaiera de reprendre désespérément l'autorité perdue. Une nouvelle phase de la lutte commencera pour la classe ouvrière.
Il est indéniable que la lutte a été déchaînée par les compétitions entre deux fractions bourgeoises. La classe ouvrière s'est rangée à l'avantage de celle dominée par l'idéologie du Front Populaire. Le gouvernement démocratique arme le prolétariat, moyen extrême de sa défense. Mais l'état de dissolution de l'économie bourgeoise exclut toute possibilité de réajustement, soit avec la victoire du fascisme, soit avec la victoire de la démocratie. Seule une intervention successive, autonome du prolétariat pourra résoudre la crise de régime de la société espagnole. Mais le résultat de cette intervention est conditionnée par la situation internationale. La révolution espagnole est strictement reliée au problème de la révolution mondiale.
La victoire d'un groupe ou de l'autre ne peut résoudre le problème général, qui consiste dans la modification des rapports fondamentaux des classes sur l’échelle internationale et de la désintoxication des masses hypnotisées par le serpent du Front Populaire. Toutefois, la victoire d'un groupe plutôt que d’un autre détermine des répercussions politiques et psychologiques dont il faut tenir compte dans l'analyse de la situation. La victoire des militaires ne signifierait pas seulement une victoire sur la méthode démocratique de la bourgeoisie, mais signifierait aussi la victoire brutale et sans merci sur la classe ouvrière qui s'est engagée à fond et comme telle dans la mêlée. La classe ouvrière serait clouée à la croix de sa défaite de façon irrémédiable et totale, comme il est arrivé en Italie et en Allemagne. En outre toute la situation internationale serait modelée sur la victoire du fascisme espagnol. Une rafale de répression violente s'abattrait sur la classe travailleuse dans le monde entier.
Ne discutons même pas la conception qui soutient que, après la victoire des réactionnaires, le prolétariat retrouverait plus hardiment sa conscience de classe. La victoire gouvernementale créerait des déplacements de grande importance dans la situation internationale, en redonnant conscience et hardiesse au prolétariat dans les différents pays. Sans doute ces avantages seraient en partie neutralisés par l’influence délétère d'une intense propagande nationaliste, antifasciste, fourrière de guerre des partis du Front Populaire, et en toute première ligne du parti communiste.
Il est douteux que la défaite des militaires ait comme conséquence inéluctable un renforcement du gouvernement démocratique. Par contre, il est certain que les masses, encore armées, dans l'orgueil de la victoire douloureuse et contestée mais fortes d'une expérience acquise dans l'âpreté de la bataille, demanderaient des comptes à ce gouvernement. Les poudrières idéologiques données par le Front Populaire pour confondre les masses, pourraient éclater dans les mains de la bourgeoisie elle-même.
Seule une méfiance extrême dans l'intelligence de classe des masses peut amener à admettre que la démobilisation de millions d'ouvriers qui ont soutenu un combat dur et long puisse se vérifier sans heurts et sans tempêtes.
Mais, même dans l'hypothèse qu’à la victoire du gouvernement succède, sans frictions, le désarmement matériel et spirituel du prolétariat, on ne peut pas exclure que tous les rapports de classe seraient déplacés. Des énergies nouvelles et puissantes pourraient émerger de cette vaste conflagration sociale et l'évolution vers la formation du parti de classe en sera accélérée.
La lutte de classe n'est pas de la cire molle qui se modèle suivant nos schémas et nos préférences. Elle se détermine de façon dialectique. En politique la prévision représente toujours une approximation de la réalité. Fermer les yeux en face de la réalité uniquement parce qu'elle ne correspond pas au schéma mental que nous nous sommes forgé, signifie s'extraire du mouvement et s'expulser de façon définitive du dynamisme de la situation.
La corruption idéologique du Front Populaire et le défaut du parti de classe sont deux éléments négatifs et d'une importance écrasante. Mais c'est justement pour cela qu'aujourd'hui notre effort doit se porter du côté des ouvriers espagnols.
Leur dire : ce danger vous menace et ne pas intervenir nous-mêmes pour combattre ce danger, est manifestation d'insensibilité et de dilettantisme. Notre abstentionnisme dans la question espagnole signifie la liquidation de notre fraction, une sorte de suicide dû à une indigestion de formules doctrinaires.
Imbus de nous-mêmes, comme Narcisse, nous nous voyons dans les eaux des abstractions où nous nous complaisons tandis que la belle nymphe Echo se meurt de langueur par amour pour nous.
TITO
LA CRISE DANS LA FRACTION
("BILAN" n°35)
COMMUNIQUE DU "COMITE DE COORDINATION"
La minorité de la fraction italienne de la gauche communiste, après avoir examiné les événements espagnols et acté les informations reçues de vive voix par un délégué qui s'est rendu sur place :
NIE toute solidarité et responsabilité avec les positions prises par la majorité de la fraction au travers de la presse ("Prometeo", "Bilan", Manifestes...) ;
APPROUVE l'attitude prise par le groupe des camarades qui, contre le veto opposé par la C.E., se sont rendus en Espagne pour défendre, les armes à la main, la révolution espagnole, même sur le front militaire ;
CONSIDERE que les conditions pour la scission sont déjà posées, mais que l'absence des camarades combattants enlèverait aujourd'hui à la discussion un élément indispensable, politique et moral, de clarification ;
ACCEPTE le critère de renvoyer à un prochain Congrès la solution définitive à donner aux divergences ;
RESTE donc, au point de vue de l'organisation - sinon plus idéologiquement - dans les rangs de la fraction à condition que lui soit garantie la libre expression de la pensée de minorité tout autant dans la presse que dans les réunions publiques.
DECIDE :
D'ENVOYER immédiatement en Espagne un de ses délégués et successivement, si cela devient nécessaire, un groupe de camarades pour développer un travail conséquent au sein et accord avec l'esprit de l'avant garde du prolétariat espagnol, partout où il se trouve, afin d'accélérer le cours de l'évolution politique du prolétariat en lutte, jusqu'à la complète émancipation de toute influence capitaliste et de toute illusion de collaboration de classe en associant à ce travail politique les camarades qui se trouvent, actuellement au front - quand cela sera possible ;
DE NOMMER un Comité de Coordination qui réglera les rapports entre les camarades, la Fédération de Barcelone (dont on demande la reconnaissance immédiate) et les camarades des autres pays, afin de définir, à l’égard de la C.E., les rapports que la minorité aura avec elle ;
EXIGE que le présent ordre du jour soit publié dans le prochain numéro de "Prometeo" et de "Bilan" ;
CONCLUT par l'envoi d'un salut fraternel au prolétariat espagnol qui défend la révolution mondiale dans les milices ouvrières.
LA MINORITE DE LA FRACTION ITALIENNE DE LA GAUCHE COMMUNISTE
LA CRISE DE LA FRACTION
("BILAN" n°36, Oct-Nov. 1936)
COMMUNIQUE DE LA C.E.
La Commission Exécutive entend resté fermement attachée au principe que la scission au sein de l'organisme fondamental du prolétariat, trouble et arrête le processus délicat de la vie et de l'évolution de ce dernier, quand elle ne vérifie pas sur le terrain des divergences programmatiques ne font qu'exprimer ou tendent à exprimer les revendications historiques non d’une tendance mais de la classe dans son ensemble.
La CE constate que la minorité s'inspire d'autres critères et menace de passer à la scission non seulement avant le Congrès mais avant même que les discussions se soient initiées, et cela sur le point controversé de la reconnaissance ou non du groupe de Barcelone. Malgré cette injonction de la minorité, la CE retient de devoir sauvegarder l'application du principe de la nécessité du Congrès pour la solution de la crise de la fraction.
La CE avait ratifié les positions prises par un de ses représentants, qui consistaient à prendre acte de toutes les décisions du Comité de Coordination. Mais ce Comité s'était limité à demander la reconnaissance du groupe de Barcelone, ce qui ne représentait donc pas une décision mais simplement une requête à la CE qui restait libre de prendre une décision. Il est donc inexact de parler d'engagements qui ne furent pas maintenus.
La CE s'est basée sur un critère élémentaire et de principe de la vie de l'organisation lorsqu'elle a décidé de ne pas reconnaître le groupe de Barcelone. Cela pour des considérations qui n'ont même pas été discutées par le Comité de Coordination et qui furent publiées dans notre communiqué précédent. Aucune exclusion n'était décidée contre des membres de la fraction et pour cela la décision du Comité de Coordination devient incompréhensible lorsqu’il considère l'ensemble de la minorité exc1u si le groupe de Barcelone n'est pas reconnu.
La CE devant l'état actuel d'imperfection de l'élaboration des normes réglementant la vie de l'organisation traversant une phase de crise (bien que convaincue de la justesse de sa précédente décision) pour diriger l'ensemble de la fraction dans la phase ultérieure de la discussion programmatique et devant l'ultimatum du C. de C., rectifie sa décision antérieure et passe à la reconnaissance du groupe de Barcelone.
La CE avait aussi soulevé quelques considérations politiques, quant à l’impossibilité d'un recrutement en une période de crise devant aboutir (par la conviction commune des deux tendances) à la scission, puisque les nouveaux éléments venus à l'organisation sur la base des problèmes controversés, se seraient trouvés absolument dans l'impossibilité de résoudre le problème fondamental qui se réfère à des questions de programme et qui ne peut être résolu que par ceux qui faisaient partie de l'organisation avant le déclenchement de la crise et qui avaient donné leur adhésion aux documents de base de la fraction.
Le C. de C. poursuit son chemin dans une voie qui ne peut conduire à aucun résultat positif pour la cause du prolétariat et prétend que c'est la peur de devenir minorité qui a guidé la CE. Le C. de C. sait autant que la CE que, même dans l'hypothèse absurde d'une comptabilisation des votes des prolétaires qui ont donné leur adhésion à la fraction de Barcelone, le présumé renversement des rapports actuels ne se serait pas vérifié.
La CE exhorte tous les camarades à se pénétrer de la gravité de la situation et à comprimer toutes les réactions afin de pouvoir passer à une discussion dont le but ne sera pas le triomphe de l'une ou de l'autre tendance, mais l'habilitation de
la fraction à se rendre digne de la cause du prolétariat révolutionnaire au travers du bannissement de toute idéologie qui se sera avérée (au cours des événements espagnols) comme un élément nocif pour la lutte de la classe ouvrière.
COMMUNIQUE DE LA MINORITE
Le Comité de Coordination, au nom de la minorité de la Fraction italienne de la Gauche Communiste :
Constate que la CE ne maintient pas la parole donnée par son représentant au C. de C., d’accepter l'ordre du jour présenté par la minorité où il était demandé, entre autres choses, la reconnaissance du groupe de Barcelone ;
Vu le communiqué de la CE, paru dans "Prometeo" où il est déclaré de ne pas vouloir reconnaître le groupe de Barcelone en prenant prétexte que les bases de sa constitution consistent dans la participation à la lutte militaire ;
Considérant que la base de la constitution du groupe de Barcelone est la même que celle sur laquelle se trouve toute la minorité ;
Décide que si la CE veut persister dans sa position, la minorité ne pourra considérer cette position que comme l'exclusion de toute la minorité de la fraction.
Pour la minorité: Le Comité de Coordination
P.S. : De la réponse de la CE, datée du 23 Octobre, résulte que la non reconnaissance du groupe de Barcelone dépend du fait que la minorité pourrait devenir majorité. Le C. de C. déclare qu'il est disposé à ne pas faire valoir le vote des nouveaux inscrits à Barcelone et que la CE peut considérer valides les seuls votes des camarades déjà inscrits avant de partir pour l'Espagne.
La minorité considère pour sa part les nouveaux inscrits comme membres de la fraction.
Le C. de C. 24/10/36.
Motion (adresse) votée à la réunion du groupe de Barcelone de la F.I.G.C. (Avant de partir pour le front).
Barcelone, le 23 août 1936.
Les camarades de la fraction Italienne de la Gauche Communiste sont entrés dans les rangs de la milice ouvrière pour soutenir le prolétariat espagnol dans la lutte grandiose contre la bourgeoisie. Nous sommes à ses côtés prêts à tous les sacrifices pour le triomphe de la révolution. Durant de longues années de militantisme, de luttes et d'exil, nous avons fait une double expérience : celle de la réaction fasciste qui a jeté le prolétariat italien dans une situation désespérée, et celle de la dégénérescence du parti communiste qui a crucifié idéologiquement la masse. Pourtant le problème de la révolution ne peut trouver une solution si la masse ne se soustrait pas à l'influence de la Deuxième et Troisième Internationale, pour reconstruire son véritable parti de classe capable de la conduire à la victoire.
Nous espérons dans le développement des événements actuels qui avec leur dynamisme pourront créer en Espagne et ailleurs le parti de la révolution. L'avant-garde existant au sein du POUM a devant elle une grande tâche et une extrême responsabilité.
Nous partons pour le front de bataille dans la colonne Internationale des milices du POUM, poussés par un idéal politique qui est commun à ces héroïques et magnifiques ouvriers espagnols : l'idéal de combattre jusqu'au dernier non pour sauver la bourgeoisie en débris, mais pour abattre dans ses racines toutes les formes du pouvoir bourgeois et faire triompher la révolution prolétarienne. Pour que les efforts de nous tous ne soient pas vains, il faut que l'avant-garde révolutionnaire du POUM réussisse à vaincre les ultimes hésitations et se place résolument sur le chemin de l'Octobre espagnol. Aujourd'hui, elle devra choisir entre l'appui soit direct ou involontaire à la bourgeoisie ou l'alliance avec les ouvriers révolutionnaires du monde entier.
Le destin de la masse ouvrière du monde entier dépendra du caractère qui sera donné à l'action politique dans l'actuelle conflagration sociale en Espagne.
Vive la milice ouvrière !
Vive la révolution !
(La motion de Blondo et la dernière résolution de la minorité paraîtront dans le prochain numéro - La Rédaction)
ORDRE DU JOUR VOTE PAR LA CE LE 29/11/36 SUR LES RAPPORTS ENTRE LA FRACTION ET LES MEMBRES DE L’ORGANISATION QUI ACCEPTENT LES POSITIONS CONTENUES DANS LA LETTRE DU COMITE DE COORDINATION DU 25/12/36.
Tout au long de l'évolution de la crise de la fraction, la CE s'est laissés guider par ce double critère : éviter des mesures disciplinaires et déterminer les camarades de la minorité à se coordonner en vue de la formation d'un courant de l’organisation s'orientant vers la démonstration que l'autre courant aurait rompu avec les bases fondamentales de l'organisation alors que lui en serait resté le réel et fidèle défenseur. Cette confrontation polémique n'aurait pu trouver d'autre place qu'au Congrès. Successivement à la réunion de la Fédération parisienne du 27/09/36 qui donna naissance au Comité de Coordination, la CE exhorta la fraction a subir une situation dans laquelle la minorité avait un régime de faveur, qui consistait dans sa non participation à l'effort financier nécessaire à la vie de la presse, alors qu'elle écrivait sur cette même presse. La CE fit cela dans l'unique but d'éviter que la rupture ne se fasse sur des questions de procédure.
Immédiatement après, surgit la menace d'une rupture au cas où la CE n'aurait pas reconnu le groupe de Barcelone. La CE se basant toujours sur le même critère, à savoir que la scission devait trouver sa place sur des questions de principe et nullement sur des questions particulières de tendance, encore moins sur des questions organisationnelles, passa à la reconnaissance du groupe de Barcelone.
Enfin, quand la CE fut contrainte de constater que le refus de la minorité à échanger avec l'autre tendance la documentation concernant sa vie politique, signifiait la rupture de l'organisation (mais malgré cela la CE maintenait toujours la nécessité du Congrès) par une communication "verbale" du camarade Candiani, la minorité nous informa qu'elle serait passée immédiatement à la rupture.
Le dernier appel de la CE, du 25 Nov., reçut une réponse qui empêche toute tentative ultérieure en vue de la présence de la minorité au Congrès.
Dans ces conditions, la CE constate que l'évolution de la minorité est la preuve manifeste qu'elle ne peut plus être considérée comme une tendance de l'organisation, mais comme un réflexe de la manœuvre du Front Populaire au sein de la fraction. En conséquence, il ne peut pas se poser un problème de scission politique de l'organisation.
Considérant d’autre part que la minorité s'acoquine avec des forces ennemies de la fraction et nettement contre-révolutionnaire (Giuestizia e Libertà, débris du trotskisme, maximaliste) en même temps qu’elle proclame inutile de discuter avec la fraction..
La C.E. décide l'expulsion pour indignité politique de tous les camarades qui se solidariseront avec la lettre du Comité de Coordination du 25-11-36 et elle laisse 15 jours de temps aux camarades de la minorité pour se prononcer définitivement. Ces camarades sont invités à faire parvenir leur réponse individuellement pour le 13 décembre. Exception est faite pour les camarades résidant à Barcelone pour lesquels il sera attendu le retour afin qu’ils soient dans la possibilité de se documenter complètement. Ces réserves ne concernent pas le camarade Candiani qui avant son retour a eu la possibilité de prendre complètement connaissance de la situation.
DOCUMENTS DE LA MINORITE (suite)
RESOLUTION DES CAMARADES BIONDO ET ROMOLO
(Après leur retour du front et avoir pris contact avec la délégation officielle la fraction)
L'Espagne, en ces moments, est la clé de voûte de toute la situation internationale. De la victoire d'une des différentes forces en lutte sortira une situation différente pour l'Europe. La victoire de Franco signifierait le renforcement du bloc militaire de l'Italie et de l’Allemagne. La victoire du Front Populaire signifierait le renforcement du bloc militaire antifasciste (tous les deux conduisent à la guerre impérialiste) ; et la victoire du prolétariat qui serait le point de départ d'une reprise mondiale de la révolution prolétarienne.
En Espagne nous nous trouvons devant une situation objectivement révolutionnaire. Les élections de février se concluant par la victoire du Front Populaire ont été un étouffoir, Une soupape de sûreté qui a empêché l'explosion violente des graves contrastes entre les classes. Les grandes grèves et l'agitation qui les ont suivies en sont la démonstration.
La menace révolutionnaire du prolétariat a décidé la bourgeoisie à prendre les devants pour avoir l'avantage de l'initiative. De ces prémisses l'on arrive à la conclusion que la lutte n' est pas entre deux fractions de la bourgeoisie, mais entre bourgeoisie et prolétariat. Et que le prolétariat prend les armes pour défendre ses conditions de vie et ses organisations de l’assaut de la réaction. Pour les même raisons pour lesquelles les prolétaires ont pris les armes contre Kornilov, les ouvriers espagnols ont pris les armes contre Franco.
Il ne s'agit pas du dilemme démocratie-fascisme, mais du dilemme capitalisme-prolétariat. Et si la bourgeoisie reste virtuellement au pouvoir, si les rapports de propriété n'ont pas subi une transformation profonde, la cause doit être recherchée dans le fait que le prolétariat n'est pas armé idéologiquement, ne possède pas son parti de classe.
L’existence du parti de classe aurait résolu la question en faveur du prolétariat dès les premiers jours de la lutte. La révolution espagnole n'est pas encore entrée dans son cours descendant et les possibilités de victoire du prolétariat ne peuvent être exclues d'une façon catégorique.
Devant le capitalisme qui lutte sur deux fronts, le prolétariat doit lutter sur les deux fronts : le front social et militaire. Sur le front militaire le prolétariat lutte pour défendre ce qu'il a conquis avec des décades de lutte ; sur le front social, le prolétariat doit accélérer le processus de décomposition de l'Etat Capitaliste, forger son parti de classe et les organes du gouvernement prolétarien, ce qui permettra de donner l'assaut au pouvoir capitaliste. Sur le front militaire, dès aujourd'hui, le prolétariat tend à jeter les bases de l'armée rouge de demain. Dans les zones que, successivement, les milices occupent, l'on passe immédiatement à la formation de comités de paysans et à la collectivisation des terres, et cela au nez des gouvernements de Madrid et Barcelone.
Le groupe constitué en Espagne considère qu'il n'a pas rompu avec les principes de la fraction et pour cela il ne peut pas ne pas être reconnu. On nous demande de rompre tous les contacts avec le POUM : ces contacts n’ont jamais existé. Dissoudre la colonne n'est pas en notre pouvoir parce que ce n’est pas nous qui l'avons constituée. Quant à se disperser entre les prolétaires dans les lieux de travail, cela sera fait à mesure que les possibilités le permettront.
(Ce document doit être considéré comme une réponse à la résolution de la CE du 27-8-36 et dut être écrit à la fin du mois de septembre).
DECLARATION
Un groupe de camarades de la minorité de la Fraction italienne de la gauche italienne, désapprouvant l'attitude officielle prise par la Fraction envers la Révolution espagnole, a brisé brusquement tous liens disciplinaires et formalistes envers l'organisation et s'est mis au service de la Révolution, allant jusqu'à faire partie des milices ouvrières et à partir combattre au front.
Aujourd'hui, une nouvelle situation se présente pleine d’inconnus et de périls pour la classe ouvrière: la dissolution du Comité Central des Milices Antifascistes, organisme surgi de la Révolution et garantie du caractère de classe des Milices, et la réorganisation de cette dernière en une armée régulière dépendante du Conseil de Défense, déformant le principe de la milice volontaire ouvrière.
Les nécessités du moment historique que nous vivons imposent une vigilance extrême aux éléments d'avant-garde du prolétariat, afin d'empêcher que la masse encadrée dans le nouvel organisme militaire puisse devenir un instrument de la bourgeoisie, qui sera un jour employé contre les intérêts mêmes de la classe laborieuse. Ce travail de vigilance peut être d'autant plus efficace que les organisations de classe acquerront conscience de leurs intérêts et dirigeront leur action politique dans un sens exclusif de classe. Le travail politique dans ces organisations assume une importance primordiale qui n'est pas moins intéressante que les tâches militaires au front.
Ces mêmes camarades, tout en restant fermes sur le principe de la nécessité de la lutte armée au front, n'ont pas accepté d'être encadrés dans une armée régulière qui n’est pas l'expression du pouvoir du prolétariat, et au sein de laquelle il serait impossible de déployer une fonction politique directe. Ils peuvent, par contre, donner aujourd'hui une contribution de plus grande efficacité à la cause du prolétariat espagnol, dans le travail politique et social indispensable pour préserver et renforcer l'efficience idéologique révolutionnaire des organisations ouvrières qui doivent reprendre sur le terrain politique et social l'influence que les nouvelles conditions ont atténuées au sujet de la direction militaire.
Ces mêmes camarades, en abandonnant leur poste de miliciens de la colonne internationale Lénine, restent toujours mobilisés à la disposition du prolétariat révolutionnaire espagnol, et décident de continuer à dédier sur un autre terrain leur activité et leur expérience jusqu'au triomphe définitif du prolétariat sur le capitalisme dans toutes ses formes de domination.
Barcelone, le 22 octobre 1936.
Le Groupe Portugais "COMBATE" s’est formé en 1974 au cours du resurgissement des luttes ouvrières au Portugal, après le renversement de la dictature Caetano. Comme des groupes analogues dans d'autres pays, 1'apparition de "Combate" était un signe du réveil général du mouvement ouvrier après 50 ans de contre-révolution, une reprise qui n’a cessé de s’affirmer depuis 1968. Pendant et après Mai en France, beaucoup de groupes sont apparus qui semblaient promettre de pouvoir contribuer à la généralisation des leçons que le prolétariat a acquis si péniblement depuis que la vague révolutionnaire de 1917-23 a été engloutie par la contre-révolution montante.
Le réveil actuel de la lutte de classe internationale est le produit de l’approfondissement de la crise mondiale du capitalisme, provoquée par la fin de la reconstruction qui a suivi la guerre. Par suite, la crise a posé aussi les conditions sociales et politiques préalables au surgissement de groupes qui tentent de situer leur activité dans le camp de la classe ouvrière, contre les mystifications de l'aile gauche du capital et de ses souteneurs idéologiques (Trotskistes, Maoïstes, populistes, anarchistes, etc.) Quand il est apparu, "Combate" n'était pas seulement un souffle d’air frais émanant des luttes des ouvriers portugais, il promettait beaucoup plus. En effet, "Combate" était le seul groupe au Portugal - à part les sectes anarchistes et conseillistes paralysées de façon chronique - qui s'était regroupé autour de certaines positions révolutionnaires. "Combate" attaquait carrément les mystifications du M.F.A. (Mouvement des Forces Armées portugais), l'appareil des syndicats et de la gauche de la bourgeoisie. Le groupe défendait les luttes autonomes des ouvriers portugais et se voulait fermement Internationaliste. Dans le climat répugnant de triomphalisme créé par le carnaval gauchiste au Portugal d’Avril 74 à Novembre 75, la position de "Combate" offrait une lueur d'espoir. C’était comme si, au cœur même de la "Révolution portugaise", de la "révolution aux œillets ", qui s’affrontait sans merci aux luttes ouvrières à la TAP, à TIMEX, dans les Postes, etc., une voix prolétarienne s'était enfin élevée.
LES LIMITES DE "COMBATE"
Dans le N°5 de World Révolution, la publication du CCI en Angleterre, nous avions écrit : "il apparaît que la principale faiblesse de "Combate" est son manque de clarté sur l'organisation, combiné avec un certain localisme. (Ses) articles semblent plaider pour une opposition abstraite aux "partis", plutôt que de considérer la politique réactionnaire des partis gauchistes comme manifestation de leur nature capitaliste. Cette attitude est liée, de la part de "Combate", au fait qu'il ne voit pas la nécessité de s'organiser de façon cohérente et centralisée, autour d'une plate-forme définie. Les articles révèlent, aussi, une tendance à voir la crise actuelle au Portugal comme un phénomène portugais plutôt que comme une manifestation de la crise mondiale du capitalisme et plus encore, il semble qu'il y ait une conscience limitée du fait que les problèmes que rencontre la classe ouvrière au Portugal peuvent seulement être résolus au niveau international. " (World Révolution, introduction à l'article de "Combate" : "quels conseils ouvriers ? ")
Ce que nous disions a été confirmé par l'évolution ultérieure de "Combate". Les camarades du CCI ont rencontré et ont discuté à plusieurs reprises avec "Combate" depuis l'été 75. Mais, malheureusement, ces discussions fraternelles n'ont fait que mettre en évidence une propension, de la part de "Combate", au localisme, à la stagnation théorique, et à l'éclectisme. Dans la situation portugaise, qui requiert de la part des révolutionnaires des idées particulièrement claires, ces traits négatifs ont conduit rapidement à l'apparition et à l'élargissement d'un décalage entre les activités de "Combate" et les besoins de la classe ouvrière.
Les limites de "Combate" existaient en son sein depuis le début, mais elles sont devenues un frein réel au développement du groupe quand elles ont commencé à être "théorisées". Quand la lutte de classe au Portugal est entrée dans une phase d'accalmie temporaire (pendant et après l'été 75) "Combate" est allé clairement en régressant. Probablement désemparé par la retraite temporaire du prolétariat après les événements de Novembre, "Combate" a commencé à montrer une tendance marquée à la défense de l'idéologie "autogestionnaire", y compris la défense des luttes populistes et marginales. Cela a été accompagné, parallèlement, de la part de "Combate", par une indifférence et une abstention presque complètes vis-à-vis des problèmes politiques plus généraux qui se posaient au prolétariat portugais et mondial pendant ces derniers mois. En réponse aux récentes élections au Portugal, "Combate" publiait un titre en première page qui proclamait "Non à Otelo, Non à Eanes, pour la Démocratie directe"! Avec ces banalités, agrémentées d'un éditorial dans lequel la "Démocratie directe" était transformée en "Démocratie ouvrière", "Combate" entreprenait ensuite de submerger ses lecteurs sous un flot d'articles qui faisaient l'éloge du "contrôle ouvrier et paysan dans les entreprises portugaises" ("Combate", n°43 Juin-Juillet 1976, cf. articles : "Ciment Armé : une coopérative de travailleurs et d'habitants", "Semprocil: une expérience de contrôle ouvrier"). L'évolution de "Combate" n'est ni accidentelle, ni exceptionnelle. Elle montre le poids immense que la contre-révolution fait toujours peser sur les forces révolutionnaires qui surgissent, un poids si grand qu'il peut facilement abréger le développement positif d'un groupe, surtout dans une situation où le groupe est coupé de la continuité théorique et organique avec le mouvement ouvrier du passé. C'est pourquoi l'évolution de "Combate" est importante, parce qu'elle aide les révolutionnaires à évaluer les difficultés que rencontre aujourd'hui la classe ouvrière dans sa recherche permanente de clarté et de compréhension plus profonde.
LES ORIGINES DE "COMBATE"
Les tâches que "Combate" a essayé de remplir dans la lutte de la classe portugaise n'ont jamais été définies très clairement. "Combate" a commencé en 74, comme une espèce de "Collectif" autogéré, centré sur une librairie à Lisbonne. Cette librairie, à tour de rôle, était ouverte aux ouvriers en lutte et aux "groupes révolutionnaires autonomes" comme endroit pour tenir des réunions. Les locaux étaient aussi prêtés aux entreprises autogérées - qui sont une caractéristique courante dans l'industrie légère portugaise depuis 1974 - comme débouché pour leurs marchandises. En réponse à la lettre d’un lecteur "Combate" affirmait dans un de ses numéros que la raison d'être du journal était de contribuer à "l'auto organisation et l'auto direction de la classe, en aidant à créer les conditions qui favorisent et accélèrent cette auto-organisation" ("Combate", n°29). Bien que cette formulation fût juste en soi, la tâche "d'aider" les travailleurs était conçue bien souvent de façon académique, dans le sens d'une "démystification" de l’idéologie capitaliste d'Etat détenue par une prétendue classe "technocratique" supposée prendre en main la société (une notion probablement empruntée aux écrits de James Burnham, ou de Paul Cardan). Par ailleurs, "Combate" voyait ses tâches comme une intervention dans les "commissions ouvrières" qui sont apparues pendant les luttes ouvrières au Portugal, pour les "unifier". Ces commissions sont devenues maintenant, avec le reflux de la lutte de classe, des véhicules de l'idéologie autogestionnaire dans le prolétariat.
A ces tâches de "démystification" idéologique et d"'unification pratique" de la classe au Portugal, il était joint un appel faible et incohérent à l'internationalisme. Mais cet appel n'était compris par "Combate", qu'en termes de "solidarité internationale" des travailleurs dans tous les autres pays - de préférence ceux qui étaient engagés de la même manière dans des activités "autogestionnaires" - avec les ouvriers au Portugal. "Combate" se désintéressait complètement du combat pour la création d'une organisation internationale, définie politiquement par sa défense des positions de classe au sein de la lutte de classe internationale. Apparemment, la création d'un corps de communistes regroupés autour d’une plate-forme, avec un cadre international clair, basée sur les leçons passées et actuelles tirées des luttes de classe, était un peu trop "théorique" pour "Combate"."Combate" insistait sans cesse sur le fait qu'il n'était "ni léniniste, ni anarchiste", comme si la question de l'organisation révolutionnaire pouvait se ramener à un niveau aussi simpliste. "Combate", cependant, était toujours prêt à entreprendre un travail "commun" avec n'importe qui, y compris les staliniens, pourvu qu'un vague dénominateur commun de confusion soit respecté par les participants. Un tel frontisme était candidement admis dans un manifeste publié par "Combate" :
"Tout notre travail a comme seul point de référence, les positions pratiques défendues dans les luttes ouvrières. Et il n'a comme seul objectif que de contribuer à l'unification des différentes luttes en lutte générale des masses prolétariennes et autres travailleurs. Nous ne sommes pas un parti et nous ne nous proposons pas de constituer un parti basé sur le travail lié à notre journal. Des éléments ou des groupes, de n'importe quel parti ou sans parti, collaborent à ce travail à la condition qu'ils développent des positions révolutionnaires pratiques dans les luttes ouvrières." (Manifeste de "Combate")
Ce que signifie exactement "développer des positions révolutionnaires pratiques" n'était pas explicité, mais on est conduit à soupçonner que c'est le cheval de Troie de l'autogestion. C'est ainsi que, pour "Combate, toute la question de l’organisation révolutionnaire n’était qu’un vague "projet" enraciné dans le localisme, et étayé par des conceptions autogestionnaires. Un effort qui combinait nettement les caractéristiques à la fois de l’anarchisme et de l'avant-gardisme gauchiste. La tâche d’organiser et de "fomenter" la lutte de classe ainsi que la lutte dans l’armée et la marine était carrément établie par "Combate" comme le passage suivant le met en évidence :
"Ce journal a pour but d’être un agent actif dans la liaison des différentes luttes particulières, en popularisant ces luttes et les expériences organisationnelles qui ont pu en résulter, et en accélérant de cette manière le développement des luttes ouvrières généralisées. C'est à partir de ces luttes et du développement de la lutte généralisée que toute l'élaboration de ce journal sera fondée, et aura pour résultat l'approfondissement des positions que nous prenons. Ce journal est le premier axe de notre travail."
Notons déjà que "Combate" base son existence comme journal sur des contingences, à savoir l'existence de "différentes luttes particulières" sur laquelle "toute son élaboration sera fondée". En écrivant cela, "Combate" annonce donc sa propre disparition dès le premier recul des luttes, ce qui suppose, soit qu'il ignore totalement la façon dont se développe la lutte prolétarienne avec ses pauses, ses reculs et ses brusques surgissements, soit qu'il se refuse à toute activité dès que la classe connaît un tel recul momentané. Dans un cas comme dans l'autre nous avons affaire à une attitude irresponsable : il faut effectivement manquer sérieusement du sens des responsabilités pour se proposer d'influer sur un mouvement aussi fondamental pour le destin de l'humanité comme celui du prolétariat sans en connaître les rudiments ou en prévoyant de le déserter dès qu'il connaîtra le moindre revers.
Mais voyons la suite de la citation :
"Intimement lié au journal, réside la tâche de susciter l'organisation d'assemblées de masse parmi les travailleurs, les soldats et les marins, ou de travailleurs avec des soldats et des marins impliqués dans des luttes spécifiques. Nous savons que c’est une tâche difficile, qui requiert plus que la simple préparation des nombreuses conditions matérielles comme la défense contre la répression de la bourgeoisie. Mais il ne peut y avoir de développement et de généralisation de notre lutte sans la réalisation d’assemblées de masse des ouvriers ayant des expériences de luttes particulières et différentes. C’est le deuxième axe de notre travail" (Ibid.)
Bien qu'il soit vrai qu’un groupe révolutionnaire intervienne et participe aux luttes de la classe ouvrière, surtout quand le Prolétariat entier entre dans une nouvelle période de combativité comme aujourd’hui, l'organisation révolutionnaire ne prépare pas (et dans ce domaine, elle ne peut pas) "les conditions matérielles" pour la lutte révolutionnaire de la classe (la création de liens à grande échelle entre les travailleurs en lutte, le déclenchement d'actions de classe contre la répression de la Bourgeoisie et son Etat, etc.) Abandonnant son premier rôle d’organisation d’assistance sociale offrant ses services à la classe ouvrière, "Combate" s'est attribué en idée le rôle vedette de majordome de la révolution. Une transformation équivalente à celle de l'obscur Clark Kent en Superman !
Les minorités révolutionnaires du prolétariat défendent le but final général du mouvement prolétarien : le Communisme. Leur tâche n'est pas "d'organiser", "d'unifier" ou de "fomenter" les luttes du Prolétariat. Ce n'est que la classe comme un tout qui peut armer ses propres bataillons, les préparer dans la lutte pour l'assaut final contre le bastion du pouvoir Bourgeois, l'Etat, puisque c'est seulement le prolétariat révolutionnaire dans son ensemble qui peut devenir la classe dominante de la société, et non une minorité de leaders et de "tacticiens auto désignés". Les conceptions de "Combate" sur sa propre fonction ne sont pas seulement disproportionnées, du fait qu'elles ne se basent pas sur une définition claire des principes politiques de l'organisation révolutionnaire et des responsabilités des militants de celle-ci, elles aboutissent également et en fin de compte à laisser l'ennemi de classe participer aux "projets révolutionnaires pratiques." Les staliniens, les populistes du COPCON, de la variété PRP, les trotskistes isolés, etc., tous ont leur contribution à faire, pour autant qu'ils s'inclinent devant les mystères du "contrôle ouvrier" et de "l'autogestion". Leur contribution aurait sûrement l’approbation de "Combate" s'ils choisissent d’ajouter des phrases résolues contre la création de "partis politiques" puisque, pour "Combate" une telle création signifie automatiquement "léninisme". Bien sûr, partant d'une telle conception, il n'y a d'ailleurs pas de raison pour que Otelo lui-même ne puisse avoir quelque contribution à apporter à titre individuel aux efforts de "Combate".
L'expérience portugaise après bien d’autres nous a démontré que derrière l'étiquette "apartidaire" se regroupent bien souvent les bataillons légers et les francs-tireurs du capital. Ceux qui, au lieu d'affronter ouvertement le mouvement de la classe tentent au contraire d'en flatter les tâtonnements afin de le dévoyer. Quand les ouvriers commencent à se révolter contre les partis bourgeois, les "apartidaires" essaient de les dresser contre tous les partis, y compris les organisations que la classe a fait surgir historiquement dans son effort de prise de conscience. Incapable de faire disparaître la méfiance que ses partis et mystifications classiques inspirent à la classe ouvrière, le capital essaie d'étendre, cette méfiance jusqu'aux organisations révolutionnaires qui défendent le programme historique du prolétariat afin que celui-ci se prive d'un des instruments fondamentaux de sa lutte et de son autonomie de classe
Au Portugal comme ailleurs, où la bourgeoisie est à bout de souffle, cette phrase séculaire "pas de partis politiques" exprime en fait les intérêts de l'appareil d'Etat dans ses tentatives de submerger l'autonomie de la lutte de classe sous l'hégémonie "apolitique" du capitalisme d'Etat portugais.
L’INTERNATIONALISME DANS LE STYLE DE "COMBATE"
Pour expliquer les événements portugais, "Combate" a écrit "la situation intenable de la bourgeoisie portugaise dans les colonies, l'incapacité de vaincre militairement le peuple des colonies, a été un des facteurs qui ont rendu extrêmement urgent pour la bourgeoisie le "changement" de sa politique, et l'ont conduit à rechercher à travers la paix militaire, des solutions politiques et économiques néocolonialistes.
La multiplicité des grèves et des luttes que les ouvriers portugais ont entreprise ont montré à la bourgeoisie que l'appareil répressif du régime Caetano était déjà complètement inadapté pour essayer de contenir et de réprimer ces grèves. La bourgeoisie voulait alors permettre le "droit de grève" en même temps qu'elle mettait à la tête de l'appareil syndical des éléments réactionnaires opposés à la pratique des grèves.
Les classes et les couches exploiteuses avaient aussi besoin d'adapter l'appareil d'Etat à la résolution des graves problèmes économiques qui s'accumulaient sans que le gouvernement de Caetano ne soit capable de trouver une quelconque solution. L'inflation, la nécessité d'intensifier le développement industriel, les relations avec le Marché Commun, l’émigration, tout demandait une réorganisation urgente et à grande échelle de l'appareil d'Etat." (Manifeste de "Combate", p.1)
Comme on peut le voir ci-dessus, les explications de "Combate" pour le coup d'Etat d’avril 74, ne dépassai pas le cadre étroit du localisme. Une vision du coup d'Etat strictement circonscrite au contexte portugais, l'inflation galopante, la nécessité d'intégrer l'économie portugaise plus complètement dans la CEE, la vague montante de luttes de classe au Portugal sont toutes des aspects de la réalité du Capital portugais comme partie du système capitaliste international. La crise portugaise a été, en d’autres termes, une expression, un moment, de la crise mondiale du capitalisme qui a marqué la fin du "boom" d'après guerre. "Combate", toutefois, a considéré la lutte de classe au Portugal comme un phénomène essentiellement "portugais". C'était comme si le monde entier tournait autour du Portugal, et autour du prolétariat portugais. L'afflux pesant de gauchistes au Portugal a donné corps à cette illusion et contribué à l'atmosphère d'euphorie engendrée par "la révolution des œillets". De même que le Chili d'Allende était devenu un grand laboratoire pour les diverses expériences gauchistes, de "socialisme", le Portugal a été transformé en un centre vital de mystifications gauchistes. Mais du fait qu'il appartient, contrairement au Chili, à l'Europe occidentale, le Portugal constitue un terrain d'autant plus propice pour le gauchisme. En tant que chaînon important dans le dispositif de l'OTAN et nation solidement intégrée à l'économie européenne, le Portugal est devenu un véritable Eldorado pour les entrepreneurs gauchistes.
Dans un pays, relativement arriéré, où le mouvement ouvrier a subi une atomisation immense au cours des cinquante dernières années, où une tradition politique révolutionnaire forte et cohérente n’a jamais existé, le surgissement de luttes de classe sérieuses était voué à donner aux révolutionnaires dans ce pays la fausse impression de triomphe, surtout quand leur enthousiasme n'était pas tempéré par une compréhension sobre et rigoureuse de la lutte de classe internationale et de ses perspectives. Cet optimisme institutionnalisé, ce triomphalisme naïf, devait aller de pair au niveau pratique avec une activité immédiatise et des préjugés localistes face aux implications du développement de la crise internationale du capitalisme et de la lutte du prolétariat.
En janvier 1976, un membre de "Combate" pouvait écrire: "je dirais que la lutte de classe au Portugal est idéale et pure : les producteurs se trouvent en lutte contre les expropriateur, une lutte presque sans médiation institutionnelle intégrée à l'appareil d'exploitation". L'auteur poursuit en parlant du nouveau régime portugais comme d’un "Etat capitaliste dégénéré" ; dégénéré sans doute à cause d’une classe ouvrière avec "une grande conscience et une grande capacité politique" (Joao Bernado, Portugal, économie et politique de la classe dominante, Londres, 1976, p.2)
Pour le localise, le monde entier tourne autour de lui et de ses petits "projets ". Le localisme n'a de la lutte prolétarienne qu'une vision au jour le jour. Il est perdu quand il essaie de généraliser de telles expériences à un niveau plus global. C'est pourquoi le nationalisme est toujours dans ses perspectives, car ce dernier est incapable d'apprécier le poids et la signification de la situation immédiate en relation avec les questions et les événements plus généraux. Les localistes ne trouvent de nouveaux "aliments" que dans leur environnement immédiat et d'origine dans une discussion individuelle d’un travailleur, une lettre d’une entreprise autogéré voisine, ou dans les "on-dit" de la vie quotidienne. Une certaine "présence physique dans les "luttes quotidiennes" des ouvriers donne aux localistes une opinion exagérée d’eux-mêmes qui les incite à assumer leur rôle d’interprète des aspirations et de la conscience locales du prolétariat. Si la lutte s’approfondie, les localistes (qui ont tendance à devenir super activistes dans de telles conditions) connaissent leur jour de gloire. L’ampleur de la lutte est gonflée au-delà de toute proportion, et l'enthousiasme irréfléchi et les prédictions messianiques étreignent le cœur et tombent de la bouche du localiste. Mais quand la lutte reflue, le localiste reste échoué, se sent "trahi" par la lutte de classe.
Le pessimisme, la "théorisation" académique de l'isolement individuel, ou alors l'adhésion cynique aux vues du gauchisme s'ensuivent. En bref, la stabilité politique des localistes est toujours minime, et n'est d'aucune valeur positive pour la lutte prolétarienne.
Pour "Combate" aussi, l’optimisme, fondé sur une analyse superficielle des événements locaux, s'est évanoui pour être remplacé par le pessimisme, quand la lutte de classe au Portugal s’est engagée dans une phase de recul. Au début de 76, "Combate" a commencé à dresser un bilan de son travail international :
"Nous remarquons que pour les groupes qui affirment défendre la lutte autonome des ouvriers et qui quelquefois écrivent à "Combate", il n'y a presque toujours qu’un seul souci, la discussion des concepts théoriques en général, de façon idéaliste et indépendante des expériences réelles des luttes prolétariennes, avec le but, par-dessus tout, non pas de faire de la propagande pour les nouvelles formes d'organisation que le prolétariat en lutte a créées, mais de faire de la publicité pour leur propre doit y avoir de la place quelque part pour leur propre groupe politique considéré comme étant le dépositaire de recettes théoriques, sans la connaissance et l’étude desquelles le prolétariat ne peut être sauvé. Quand ces groupes publient des textes de "Combate", ce sont à quelques exceptions près les éditoriaux. Les groupes qui publient à l’étranger les textes des travailleurs ou les interviews, existent en nombre infime et c'est pour nous la partie du journal qui est la plus importante pour l'état d'organisation, les formes de lutte et la conscience des ouvriers portugais, afin de développer ces formes lutte internationalement. Presque deux ans de correspondance nous ont convaincu du fait que ces organisations confondent le monde gigantesque de la lutte de classe avec le monde microscopique des luttes d’organisation" (in "Internationalisme, la lutte communiste et l’organisation politique". Supplément à "Combate" n°36)
Préférant les télescopes aux microscopes, "Combate" nous explique ce qu’il veut dire par "monde gigantesque de la lutte de classe" : "Depuis. le début de ce journal, nous avons cherché à ce que les groupes et les camarades des autres pays qui ont une pratique analogue unissent leurs forces pour établir des relations entre les travailleurs (Un exemple : très récemment, les ouvriers de TIMEX ont dit qu'il était difficile d'entrer en contact avec les ouvriers de cette multinationale dans les autres pays, parce qu'ils ne peuvent avoir les travailleurs au téléphone, mais seulement les patrons qui boycottent de tels contacts). Ne serait-il pas plus facile pour les groupes qui essaient de dynamiser les luttes des travailleurs, de travailler dans la voie qui rendrait ces contacts possibles ? "(Ibid.).
Pauvre prolétariat ! Son monde gigantesque est si vaste qu'il a besoin du dynamisme de groupes comme "COMBATE" pour enjamber les vastes espaces. Comment la classe ouvrière pourrait-elle unifier ses luttes si elle n’a pas de réseau de communication correct, établi pour elle par les fées débrouillardes des « organisations révolutionnaires », travaillant en heures supplémentaires à la composition de bons numéros ? Mais "Combate" ne veut pas être simplement considéré comme un central téléphonique commode, son rôle de majordome révolutionnaire ne peut pas se limiter à cela, il doit y avoir de la place quelque part pour la théorie :
"Nous ne voulons pas dire que nous considérons pas la discussion de problèmes théoriques comme importante, ou que ceux-ci ne pourraient être élargis par les différentes pratiques de luttes dans les différents pays. Mais dans notre compréhension de ceci, la plate-forme pour l’unité du prolétariat révolutionnaire est inscrite dans les formes d’organisation qui sont développées par les luttes autonomes et la conscience qui en est le produit, et non dans un quelconque système idéologique particulier, lié à des querelles théoriques. Pour nous, il est plus important de contribuer aux formes concrètes de lutte qui font éclater les frontières et qui permettent aux travailleurs d’établir des relations directes dans la lutte commune contre le capitalisme" (ibid.).
Malheureusement, pour "Combate", la "théorie" est tributaire d'une relation mécanique purement immédiate, et subordonnée aux "formes concrètes de lutte" fragmentaires de l’époque actuelle, sans qu'aucune considération ne soit accordée à l'aspect historique de la conscience de classe liée, comme elle l'est, à toute l'expérience du prolétariat international, acquise après plus de 130 années de luttes.
Cette confusion, chez "Combate", est le résultat d'une incohérence totale en ce qui concerne les buts communistes de la classe ouvrière, le rôle du parti et des organes de masse prolétariens : les conseils ouvriers. "Combate" n’arrive pas à comprendre la période actuelle de décadence du Capitalisme, l’impossibilité de conquérir des améliorations durables, la nature réactionnaire des partis gauchistes (réactionnaires non parce qu’ils "limitent" l'autogestion, mais à cause de leur défense du capitalisme pendant les 50 dernières années de contre-révolution), et ce qu'implique véritablement pour la classe ouvrière l'internationalisme. En somme, "Combate", sous prétexte de rejeter ce qu'il considère comme de simples "querelles théoriques" manifeste une indifférence à peu près complète pour la clarté au sein de la lutte révolutionnaire de la classe, et la nécessité d'une plate--forme cohérente dans la lutte de classe. La conscience de classe est un élément historique dans la lutte du prolétariat - elle ne surgit pas du néant chaque jour, engendrée par chaque action fragmentaire d’individus de la classe ouvrière. De même, l'internationalisme n'est pas un échange ad hoc, fait au hasard, d'"expériences concrètes" de tels ou tels individus ou sectes, qui agissent avec une conception implicitement fédéraliste du style "je vous aiderai si vous m'aidez". De telles "expériences concrètes" ne font éclater aucune frontière, si ce n'est dans la tête des éléments qui s’en font les adorateurs béats.
En fait derrière cette attitude de prosternation devant chacune des luttes "concrètes" et de mépris devant les expériences passées, derrière cette vision édulcorée de l'internationalisme, réside une vision étriquée et mesquine du prolétariat. Celui-ci n’est plus un être social ayant une unité historique et géographique: il devient la simple somme et juxtaposition d'ouvriers ou entreprises dont le mouvement historique vers le communisme se réduit à l'accumulation quotidienne "d'expériences pratiques" de "nouvelles formes d'organisation" sensées préfigurer les rapports sociaux de cette société. On en arrive alors, d’une façon insensible et inavouée, à la vision gradualiste qui croit que le communisme peut se construire par étapes, au sein du capitalisme, quand l'Etat bourgeois est toujours là, exerçant sa tutelle sur l'ensemble de la vie sociale.
Une telle aberration est semblable à la théorie de Bernstein, mais assortie par les ajouts plaisants de l'autogestion et autres colifichets idéologique des 50 dernières années de contre-révolution, comme la défense des luttes marginales, la défense des "peuples opprimés", etc. L'idée du "Socialisme dans un seul pays" mise en circulation par le stalinisme n'est pas étrangère à cette théorisation confuse. Aussi s'entend-on dire par "Combate" que "les formes sociales communistes peuvent être créées pendant un moment dans certains cas particuliers, sans que la société toute entière n'y soit arrivée et n'ait transformé les simples formes sociales en organisation économique communiste réelle" (ibid.) !! "Combate" ne parait pas avoir remarqué le rôle joué par l'idéologie autogestionnaire dans la lutte de classe au Portugal, dans l’aide au sauvetage de la production capitaliste. Au contraire, l'"autogestion", les "formes communistes" de gestion de firmes capitalistes, sont présentées par "Combate" comme "la solidarité des ouvriers" dans la lutte. Les recettes titistes, Ben Belistes cuisinées à la façon non doctrinaire coutumière de "Combate ", veulent éviter de semer la confusion dans les luttes ouvrières avec le monde "microscopique" de la lutte entre les organisations, et noient tout simplement la lutte de classe dans le marais macroscopique de la contre-révolution. Quand "Combate" réclame "1'autonomie" pour les masses, en fait, son appel n'a rien à voir avec les masses - c'est simplement la requête de "Combate" pour qu'on lui permette de continuer à déformer la signification du communisme, à sa façon si pratique, si concrète, si apolitique et "autonome". C'est un plaidoyer pour l'autonomie organisationnelle qui demande qu'on lui épargne la recherche et la critique principielle des organisations communistes qui reconnaissent l’importance absolument vitale de la clarification et de l'absence de confusion dans la lutte de classe.
L'EVOLUTION ULTERIEURE DE COMBATE
Le destin de "Combate" est celui d'un groupe qui essaie de se placer sur le terrain de la lutte de la classe ouvrière, mais qui n'a pas réussi à voir que cela impliquait la rupture avec toute la boue idéologique du capitalisme décadent. Aucun groupe ne peut aujourd'hui rester dans le no man’s land entre les positions gauchistes, conseillistes floues, et les positions communistes du prolétariat. En dernière analyse, une frontière de classe sépare les unes des autres. Pour "Combate", évoluer positivement aurait consisté à comprendre la nécessité du regroupement international des révolutionnaires au sein d'une organisation défendant des positions de classe clarifiées par la lutte historique du prolétariat international. Cela ne s'est pas produit (et peut-être, étant donné la confusion engendrée par la "révolution des œillets", cela ne pouvait-il pas se faire).
Après un certain point, l'évolution de "Combate" est devenue négative et le groupe est devenu le porte-parole de nombreuses mystifications gauchistes, tout en prétendant être "le reporter" des activités des ouvriers. Les préoccupations favorites habituelles de la politique libertaire sont devenues de plus en plus à la mode dans les pages de "Combate", avec des articles sur l'avortement, des reproductions de publications étrangères, telles que "International Socialists" en Angleterre, sur les problèmes des femmes, ou des articles sur les problèmes raciaux, reproduits sans critique, de "Race Today", etc. Les questions essentielles auxquelles est confrontée la lutte prolétarienne ont moins de place dans "Combate". La nécessité de l'internationalisme dans la lutte de classe, par exemple, était envisagée de façon ambiguë par "Combate", dont les demi-vérités et les truismes sur ce sujet tendent à esquiver toute responsabilité organisationnelle vis-à-vis de cet aspect fondamental de la lutte de la classe ouvrière. "Combate", comme beaucoup de courants confus, peut être d'accord sur presque tous les points avec un groupe communiste pourvu que l’accord puisse être donné sans conviction et n'implique ainsi aucune conséquence politique. Comment ne pas reconnaître que c’est la porte ouverte à l'opportunisme invertébré?
LES DIFFICULTES RENCONTREES PAR LES REVOLUTIONNAIRES AU PORTUGAL ET EN ESPAGNE
Les limitations objectives d’aujourd'hui trouvent leur origine dans le désarroi, la démoralisation et la confusion régnant sur deux générations du prolétariat mondial qui ont subi les pires coups de la contre-révolution. Alors que le niveau de la lutte de classe qui s'élève actuellement pose les conditions nécessaires à la formation de groupes révolutionnaires, cette période est toujours infectée par les aberrations idéologiques et les débris de la précédente. Aujourd'hui, si les groupes qui surgissent n'enracinent pas solidement leur activité dans un cadre international cohérent, tôt ou tard, ils s'engageront dans la voie de la décomposition théorique et pratique. Marx disait que les idées des générations mortes pèsent comme un cauchemar sur les cerveaux des vivants. L’évolution négative de "Combate" illustre cette vérité de façon poignante.
Le Portugal et l'Espagne aujourd'hui représentent des exemples spécifiques de la situation difficile que rencontrent les révolutionnaires. L'arriération économique et politique de ces deux maillons faibles du capitalisme européen a entraîné le fait que le Prolétariat de ces pays ait tendu à être propulsé dans l’arène politique dès le début de la crise économique. Dans le but de dévoyer les luttes du prolétariat, les forces gauchistes sont aussi apparues en Espagne et au Portugal, annonçant au monde entier que le prolétariat devait être noyé dans tout le "peuple révolutionnaire". Les essais du gauchisme pour diluer la classe ouvrière dans le front commun du "peuple" ouvrant la voie à tout un barrage de mystification que la gauche utilise pour entraîner le prolétariat aux besoins du capital national.
Toute une mythologie à propos de la "Révolution Portugaise" en 1974 a pris corps grâce aux gauchistes au Portugal. La même chose arrivera demain en Espagne. Sur tous les toits de Lisbonne et de Porto, les gauchistes ont crié la nécessité de "défendre" la soi-disant "révolution", en même temps qu'ils s'employaient systématiquement à dévoyer les luttes autonomes des travailleurs vers les impasses de "l'indépendance nationale", de "l'autogestion ouvrière". Toute la campagne révoltante pour les "comités populaires", "la démocratie populaire", "la démocratie à la base", les "conseils ouvriers" (SIC), les "inter-impresas", tous ces lamentables mensonges ont été utilisés à fond par les gauchistes au Portugal.
Au Portugal, il était presque impossible de nager contre ce courant de mensonges, de confusion et de faux espoirs engendrés de façon si hystérique par le gauchisme. Initialement, "Combate" semblait capable de le faire. Mais l'erreur de "Combate" était de considérer que la montée des luttes de classe au Portugal était le signe avant coureur immédiat d'une transformation sociale totale au Portugal" Il n’a pas réalisé que la lutte des ouvriers portugais était un maillon qui constituait dans la chaîne de la lutte de classe internationale, et que ce que promettait le prolétariat portugais devait être considéré en termes de leçons acquises dans les luttes d'aujourd'hui qui trouveront leur achèvement dans la lutte révolutionnaire du prolétariat international dans les années à venir.
"Combate", cependant, a surestimé les événements au Portugal, et, plus tard, a prouvé qu'il était incapable de fournir une analyse communiste sérieuse de ce qui se passait. Il mettait l'accent sur l'autogestion et les luttes "quotidiennes" de la classe ouvrière au Portugal. Il y avait, bien sûr, une montée énorme de la combativité au Portugal qui réclamait l'intervention de tout un groupe révolutionnaire au mieux de ses possibilités. Mais une telle intervention ne pouvait être systématique et porter ses fruits que si elle était fondée sur une conception internationale claire de la lutte de classe globale. "Combate" a naïvement méconnu la nécessité d'une telle clarification. Il croyait que la clarté politique jaillirait spontanément des luttes "quotidiennes" de la classe ouvrière portugaise. C'est pourquoi, pour lui, il n'y avait aucune nécessité fondamentale de faire le lien avec quoi que ce soit en dehors du Portugal, en dehors d’une vague notion "d'internationalisme", qui, au mieux, équivalait à un vague sentiment de solidarité morale avec les secteurs dispersés de la classe. Son plaidoyer pour des "liens" permanents entre les travailleurs se réduisait à une crainte que les travailleurs eux-mêmes ne soient incapables de faire jouer une solidarité de classe dans une poussée révolutionnaire, et n'était en fait rien moins qu'une défense des idées d'autogestion portées à un niveau "international". Différents secteurs de la classe unis par "des liens" permanents pourraient en apparence mieux lutter dans le combat pour des réformes. Mais un tel combat est impossible aujourd'hui dans un monde assiégé par la crise historique du capitalisme. Pour les Révolutionnaires, prêcher pour des "liens" ou des "rapports" basés sur les illusions réformistes du prolétariat, c'est semer la confusion et abaisser le niveau de conscience de classe née dans les dures batailles de la classe telles qu’elles se sont déroulées au Portugal même en 1974 et 1975.
La décomposition politique de "Combate" est une perte pour le mouvement révolutionnaire aujourd'hui. C'est une perte quand on pense à ce que "Combate" et des groupes semblables auraient pu devenir s'ils avaient évolué positivement. Mais, dans leur état actuel, de tels groupes fonctionnent comme une entrave au développement de la conscience du prolétariat : ils deviennent des obstacles à la cohésion organisationnelle et au regroupement fondés sur des principes révolutionnaires.
Dès lors, et en l'absence d'un redressement dont la possibilité s'éloigne de plus en plus au fur et à mesure qu'ils s'enfoncent dans leurs erreurs et surtout la théorisation de celles-ci, ces groupes ne sauraient résister bien longtemps à la terrible contradiction à laquelle ils sont soumis entre leurs propres principes révolutionnaires de départ et la terrible pression de l'idéologie bourgeoise qu'ils ont laissé pénétrer en leur sein en se refusant à donner à ces principes une assise claire et cohérente basée sur les besoins de l'expérience historique de la classe. L’alternative qui s'ouvre à eux est alors simple :
- soient ils résolvent la contradiction en franchissant le Rubicon et rejoignent le camp capitaliste par l'abandon de principes qui les embarrassent de plus en plus ;
- soit, plus simplement, ils disparaissent, disloqués par cette contradiction.
C'est probablement ce qui va arriver à "Combate" dont la disparition est déjà, comme nous l'avons vu inscrite en filigrane dans la plate-forme sur laquelle il base son existence. Si un tel groupe ne réussit pas, comme il est très probable, à remonter le courant de la confusion, c'est en fin de compte la seule évolution qui réponde à la nécessité vitale de positions communistes claires dans le mouvement ouvrier.
NODENS
Links
[1] https://fr.internationalism.org/en/tag/5/42/italie
[2] https://fr.internationalism.org/rinte7/conscience.htm#_ftn1
[3] https://fr.internationalism.org/rinte7/conscience.htm#_ftnref1
[4] https://fr.internationalism.org/en/tag/heritage-gauche-communiste/revolution-proletarienne
[5] https://fr.internationalism.org/en/tag/heritage-gauche-communiste/conscience-classe
[6] https://fr.internationalism.org/rinte7/frazione.htm#_ftn1
[7] https://fr.internationalism.org/rinte7/frazione.htm#_ftnref1
[8] https://fr.internationalism.org/en/tag/courants-politiques/influence-gauche-communiste
[9] https://fr.internationalism.org/rinte7/Bilan.htm#_ftn1
[10] https://fr.internationalism.org/rinte7/Bilan.htm#_ftn2
[11] https://fr.internationalism.org/french/brochures/fascisme_democratie_Espagne_36_tract_Bilan.htm
[12] https://fr.internationalism.org/en/tag/5/41/espagne
[13] https://fr.internationalism.org/en/tag/evenements-historiques/espagne-1936
[14] https://fr.internationalism.org/en/tag/courants-politiques/gauche-communiste
[15] https://fr.internationalism.org/en/tag/5/43/portugal