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Revue Internationale no 28 - 1e trimestre 1982

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Situation internationale : Crise économique et lutte de classe

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Nous avons fréquemment, dans notre presse, analysé le années 1980 comme les "années de vérité" (cf. la Revue Internationale n°20 et 26 notamment). Les  deux premières années de cette décennie ont pleinement confirmé cette? analyse. En effet, 1980 et 1981 auront été le théâtre d'événements de la plus haute importance et particulièrement  significatifs de l'enjeu qui, pour une bonne part, va se  jouer dans les années 80 : guerre impérialiste généralisée ou révolution prolétarienne mondiale.

Sur le plan de la situation économique, celle qui détermine l'ensemble de la vie sociale, ce fut une fin brutale aux illusions : 1980 et 1981 se présentent comme les années d'une nouvelle récession de 1'économie mondiale, d'une poussée massive de 1'inflation et d'un développement sans précédent du chômage.

La réponse bourgeoise à cette crise : l'aggravation des tensions inter-impérialistes et des préparatifs de guerre n'a pas manqué, pour sa part, de se porter à la hauteur  des causes qui l'engendrent. L'année 80 avait débuté avec 1'invasion de 1'Afghanistan, l'année 1981 se termine par l'annonce d'un formidable renforcement des armements partout dans le  monde et  par  l'ouverture, à Genève, de  nouvelles  négociations entre l'URSS et les USA sur le "désarmement" : on connaît leur rôle  d'écran de fumée  destiné à masquer la course vertigineuse aux moyens d'holocauste.

La réponse  ouvrière, elle aussi, a été à la hauteur de l'aggravation de l'enjeu : durant l'été 1980, prenait corps en  Pologne le plus formidable mouvement de masse du prolétariat mondial depuis plus d'un demi-siècle. Mouvement que la bourgeoisie  de tous les pays s'est employée  à étouffer et dont elle n'est pas encore venue  à bout. Mouvement qui a mis en évidence tant la solidarité que sait se donner la classe capitaliste face à la lutte prolétarienne, que la nécessité d'une extension mondiale de cette lutte.

C'est  un point sur ces trois aspects indissociables et fondamentaux pour le destin de l'humanité la crise du capitalisme, la réponse bourgeoise à celle-ci et la réponse prolétarienne) que se propose de faire cet article.

UNE CRISE ECONOMIQUE QUI CESSE DE S'AGGRAVER

En 1959, le dirigeant de la première puissance mondiale déclarait triomphant : "Nous avons enfin appris à gérer une économie moderne de façon à assurer son expansion continue" ([1] [1]). Un an plus tard, les Etats-Unis connaissaient leur récession la plus sérieuse de l'après-guerre : - 0,1% de croissance du Produit Intérieur Brut (bien en deçà évidemment ce qu'ils allaient connaître par la suite).

En 1975, Chirac, premier ministre de la 5ème puissance mondiale jouait à son tour les "Nostradamus" : "Nous voyons le bout du tunnel". Un an après, il devait céder sa place au "meilleur économiste de France", le professeur Barre, qui, à son départ, en mai 81, laissait une situation encore pire qu'il ne l'avait trouvée (nombre de chômeurs deux fois plus important, 14 d'inflation au lieu de 117).

Il y a un an, Reagan était choisi par la bourgeoisie américaine pour régler son compte à la crise (c'est du moins ce qu'il déclarait). Mais les potions préparées par le Prix Nobel d'Economie Milton Friedman et quelques autres adeptes de "l'économie de l'offre" n'y ont rien pu. L'économie américaine replonge dans la récession, le chômage approche des 10 millions (chiffre record dans 1'après-guerre) et le directeur du Budget, David Stockman, reconnaît lui-même qu'il ne croyait pas tellement au succès de la politique économique dont, il était le principal animateur.

Aussi régulièrement que l'automne succède à l'été et l'hiver à l'automne, les dirigeants de ce monde se sont trompés et ont trompé leur auditoire en annonçant  "la sortie du tunnel". Comme dans un film surréaliste, cette sortie a semblé s'éloigner au fur et à mesure qu'avançait le train jusqu'à n'être plus qu'un petit point de lumière qui sera bientôt invisible.

Mais les dirigeants de l'Ouest n'ont pas le monopole des prédictions hasardeuses.

En septembre 80, Gierek était remplacé par Kania à la tête du POUP pour avoir mené l'économie polonaise à la catastrophe. Avec Kania, ça allait changer ! Et effectivement, ça a changé. La situation économique de l'été 80 prend, avec le recul des airs de prospérité à côté de celle d'aujourd'hui. Une chute de la production de 15% a suivi une chute de 4%. Réélu triomphalement à la tête de son parti en juillet, Kania est descendu aux oubliettes en octobre de la même année.

Quant aux pronostics de Brejnev régulièrement démentis, ils ont au moins aussi nombreux que les cessions plénières du Comité Central du PCUS. Dans un sursaut de lucidité et avec un certain humour, probablement involontaire, Brejnev a fini récemment par constater en substance que lorsque trois années de suite, la production agricole est mauvaise à cause des intempéries, il convient de réviser les analyses sur le climat de 1'URSS.

L'ensemble des pays du COMECON s'est distingué ces dernières années par une incapacité chronique à réaliser les objectifs du plan de 1976-80. Si le plus "sérieux", la RDA a réussi à réaliser 80% de l'augmentation prévue du revenu national, ce chiffre tombe à 50% pour la Hongrie. Quant à la Pologne, sa croissance par rapport à 76 se réduit à 0, ce qui revient à dire qu'elle ne produit aujourd'hui que 70% de ce que les planificateurs avaient prévu. Et vive le "formidable acquis ouvrier" que, d'après les trotskystes, représente la planification !

L'autre "acquis ouvrier majeur", selon les trotskystes, le monopole étatique du commerce extérieur, a lui aussi fait la preuve de sa redoutable efficacité : les pays du Comecon sont aujour­d'hui parmi les plus endettés du monde. Quant au mythe de l'absence d'inflation dans ces pays, il a fait long feu depuis qu'on assiste régulièrement à des augmentations massives des prix "officiels" pouvant aller jusqu'à 200% (plus de 170% sur le prix du pain en Pologne).

En 1936, Trotski voyait dans les progrès économiques de l'URSS la supériorité du socialisme sur le capitalisme : "Il n'y a plus lieu de discuter avec MM. les économistes bourgeois : le socialisme a démontré son droit à la victoire, non dans les pages du Capital, mais dans une arène économique qui couvre le sixième de la surface du globe; non dans le langage de la dialectique, mais dans celui du fer, du ciment et de 1'électricité". ([2] [2]).

Avec la même logique il faudrait aujourd’hui arriver à la conclusion opposée : le capitalisme est supérieur au socialisme tant est évidente la  faiblesse et la fragilité de l’économie des pays dits "socialistes"! C'est d'ailleurs le cheval de bataille que chevauchent les économistes occidentaux pour justifier leur défense irréductible du mode de production capitaliste. En fait, la crise qui frappe les pays de l'Est est une nouvelle illustration de ce ont que les révolutionnaires dit depuis toujours, l'URSS et ses satellites n'ont rien de socialiste. Ce sont des économies capitalistes, et qui plus est, relativement sous développées.

Mais les cris de satisfaction que poussent les tenants du capitalisme privé en montrant du doigt les pays de l'Est ne réussissent pas, bien que ce soit là leur fonction, à masquer la gravité de la crise au cœur même des citadelles du capitalisme mondial.

Les graphiques qui suivent, donnent une image de l'évolution de trois indicateurs majeurs de l'économie de l'ensemble des pays de l'OCDE (c'est à dire, les pays les plus développés d'Occident) le taux d'inflation, la variation annuelle du Produit Intérieur Brut et le taux de chômage.

Plus que les valeurs annuelles, elles-mêmes déjà significatives, il est intéressant d'examiner les valeurs moyennes sur des périodes de plusieurs années (61-64, 65-69, 70-74, 75-79, 80-81). On constate une détérioration constante de la situation du capitalisme occidental sur les trois plans considérés.

Evidemment, pour certains, ce n'est pas encore la "vraie" crise puisqu'on n'assiste pas sur une longue période, à un recul massif de la production comme ce fut le cas dans les années 30 : pour le moment, les taux de croissance moyens restent encore positifs. A cet argument, on peut apporter deux réponses :

     1) Comme nous l'avons déjà mis en évidence dans d'autres articles, si la bourgeoisie n'a "pas appris" (et pour cause ! à surmonter une crise insoluble, elle a par contre appris, depuis 1929, à en ralentir le rythme, notamment par l'emploi massif de mesures de capitalisme d'Etat et par la prise en charge par les pays leaders de chaque bloc de la conduite des affaires des divers pays qui composent ces blocs (à travers le Comecon, pour le bloc de l'Est, via notamment  l'OCDE et le FMI pour le bloc de l'Ouest). Il est d'ailleurs à noter, que, malgré les antagonismes inter-impérialistes, le bloc le plus riche, peut à l'occasion, venir en aide à l'économie en détresse d'un pays du bloc adverse, notamment lorsque ce pays est menacé d'explosions sociales. L'aide de l'occident à la Pologne et l'adhésion de ce pays ainsi que de la Hongrie au FMI l'illustrent bien.

     2) Il n'y a pas qu'un recul de la production qui puisse indiquer l'existence d'une réelle situation de crise. Le simple recul continu des taux moyens de croissance, tel qu'il apparaît clairement sur le graphique, montre que quelque chose se dérègle, et de façon   définitive, dans le fonctionnement de l'économie mondiale. De plus aujourd’hui, avec la mise en œuvre massive des techniques d'automation, le taux annuel d'augmentation le la productivité du travail est tel que, bon an mal an, même si un nombre important d'entreprises ferment leurs portes, le volume total de ce qui est produit peut se maintenir à un niveau supérieur à celui de l'année précédente, sans que cela n'indique une quelconque santé de l'économie ([3] [3]).

En fait, parmi les indices de 1'aggravation de la crise il faut retenir l'augmentation du chômage. Ce phénomène est une expression directe de l'incapacité du capitalisme à intégrer de nouveaux travailleurs dans son appareil productif. Pire, c'est une expression du fait qu’il a commencé à les rejeter massivement de celui-ci. Et cela, non seulement dans les pays du tiers-monde, comme c'était le cas durant la période de reconstruction du 2ème après-guerre, mais dans les métropoles même du capitalisme : les pays avancés. C'est là un signe flagrant de la faillite historique d'un mode de production qui avait pour vocation d'étendre au monde entier les rapports de production sur lesquels il est basé, l’exploitation du travail salarié, et qui aujourd’hui n'est même plus capable de maintenir l’étendue de celle-ci dans ses bastions mêmes (sans parler de  la situation dans le Tiers-Monde où le chômage sévit de façon tragique depuis des décennies).

L'évolution du taux d'inflation est un autre indicateur très significatif de la dégradation constante du fonctionnement du capitalisme. L'inflation est une expression directe de la fuite en avant forcenée qui est devenue le mode de survie du capitalisme. Incapable de trouver des débouchés solvables pour sa production, ce système tire des traites sur l'avenir en s'endettant de façon massive et continue. Ce sont les Etats qui montrent le chemin dans ce domaine. Par des déficits budgétaires en croissance constante, par l'utilisation intensive de la planche à billets, ils tentent de créer des marchés artificiels pour remplacer ceux qui se dérobent à la production nationale. De plus en plus, les monnaies deviennent des monnaies de singe, des reconnaissances de dettes émises par des Etats qui ne sont plus solvables eux-mêmes. Et cette monnaie de singe ne peut que perdre de sa valeur de façon croissante d'où l'augmentation de l'inflation.

Quand elles tentent de limiter ce phénomène les politiques économiques n'aboutissent en fin de compte qu'à entraîner la récession : en essayant d’hypothéquer un peu moins l'avenir, on comprimait encore plus le présent. On connaît le résultat du "traitement de choc" de Mme Thatcher qui a fait augmenter le chômage de 68% en 1 an jusqu’à dépasser les 3 millions (chiffre plus élevé que dans les années 30) La potion Reagan aussi a fait merveille : 9 millions de chômeurs, 8,4 de la population active en novembre 81 (Reagan s'était engagé à ne pas dépasser les 8%). Quant à l'élixir Schmidt il a également fait ses preuves : augmentation du chômage de 54% en un an.

En réalité, la bourgeoisie de tous les pays se trouve de plus en plus coincée entre les deux lames d'une paire de ciseaux : la récession et l'inflation. Et chaque tentative de se dégager d'un des fléaux aboutit à se heurter à l'autre sans qu'on ait réussi pour autant à échapper au premier. Ainsi, Reagan avait-il, parmi ses nombreuses promesses, annoncé une réduction à 42,5 milliards de dollars du déficit budgétaire pour l'exercice 1981-82 : on envisage maintenant un chiffre de l'ordre de 100 milliards pour cet exercice, 125 milliards et 145 milliards pour les deux suivants.

On pourrait ainsi multiplier les chiffres qui, tous, aboutiraient à mettre en évidence l'impasse dans laquelle se trouve le capitalisme. En fait, le simple bon sens suffit à constater qu'il n'y a pas de solution à la crise de ce système : si les conditions qui existaient aux cours des années 65-69 ont abouti aux conditions dégradées des années 70-74 (voir tableau n°4), si ces dernières ont abouti aux conditions encore plus mauvaises des années 75-79, on ne voit pas comment, ni par quel miracle, les choses pourraient d'un seul coup s'améliorer.

Déjà en 1974, dans un accès de lucidité, le président français d'alors, Giscard-d'Estaing, déclarait-il : "Le monde est malheureux. Il est malheureux parce qu'il ne sait pas où il va et parce qu'il devine que, s'il le savait, ce serait pour découvrir qu'il va à la catastrophe" (24-10-74).

Plus récemment, l'OCDE, dans ses "Perspectives économiques" de juillet 1981, donnait un exemple touchant de cette angoisse qui étreint la bourgeoisie quand elle regarde son futur. Echaudé par des années de prévision qui s'étaient révélées trop optimistes, se refusant à sonder avec lucidité l'avenir économique du monde par peur de "découvrir qu'il va à la catastrophe", cet organisme, sérieux s'il en est, écrivait :

"Dans la plupart des pays, les perspectives immédiates sont complexes et difficiles... Les prévisions ne peuvent jamais être tenues pour sûres. Même  les comportements, dont la régularité, base même de toutes les prévisions, paraît bien établie, peuvent se modifier, quelquefois très brutalement. .. Si, comme cela arrive souvent, les nombreuses hypothèses sur lesquelles les prévisions sont fondées ne se réalisent pas, 1'avenir peut se présenter de façon très différente..."

En clair, l'OCDE avouait qu'elle ne servait plus à rien ... Cette incapacité de la bourgeoisie de prévoir son avenir est la traduction du fait que c'est une classe qui n'a plus aucun avenir à proposer à l'humanité sinon, celui d'un holocauste généralisé.

L'avenir de l'humanité, seule la classe ouvrière peut le mettre en œuvre. C'est pour cela qu'elle seule est capable, notamment avec ses courants révolutionnaires qui s'appuient fermement sur la théorie marxiste, de comprendre les perspectives du monde actuel. C'est pour cela que, sans disposer d'aucun des énormes moyens d'étude et d'investigation mobilisés par la bourgeoisie, les révolutionnaires pouvaient écrire, dès 1972 :

"(...) la crise qui s'annonce est bien du type de celles qui ont plongé le monde du XXème siècle dans les plus grandes catastrophes et barbaries de son histoire. Ce n'est pas une crise de croissance comme celles du  siècle dernier mais bien une crise de 1 'agonie.

Sans vouloir faire de pronostics sur le délai, on peut donc tracer ainsi les perspectives du monde capitaliste :

-   ralentissement massif des échanges internationaux

-   guerres commerciales entre les différents pays

-   mise en place de mesures protectionnistes, et éclatement des unions douanières (CEE, etc..)

-   retour à l'autarcie

-   chute de la production

-   augmentation  massive du chômage

-   baisse des salaires réels des travailleurs".

("Révolution Internationale" Ancienne Série n°7, mars-avril 72)

C'est pour les mêmes raisons que, dès 1968, alors que personne ne parlait encore de crise, les révolutionnaires écrivaient déjà :

"L'année 67 nous a laissé la chute de la Livre Sterling et 68 nous apporte les mesures de Johnson, la lutte inter-capitaliste s 'aiguise rendant chaque jour plus réelle la menace de guerre mondiale, voici que se dévoile la décomposition du système capitaliste, qui, durant quelques années, était restée cachée derrière 1'ivresse du "progrès" qui avait succédé à la Seconde Guerre Mondiale (...) Nous ne sommes pas des prophètes, et nous ne prétendons pas deviner quand et de quelle façon vont se dérouler les événements futurs. Mais ce dont nous sommes effectivement conscients et sûrs, concernant le processus dans lequel est plongé actuellement le capitalisme, c'est qu'il n'est pas possible de 1'arrêter avec des réformes, des dévaluations ni aucun autre type de mesures économiques capitalistes et qu'il mène directement à la crise".

("Internacionalismo", janvier 1968. Publication du CCI au Venezuela)

LA REPONSE BOURGEOISE A LA CRISE

De plus en plus, la bourgeoisie tire des traites sur l'avenir. Elle le fait par un endettement vertigineux, par l'inflation. Mais sa fuite en avant ne se limite pas au plan économique. Comme par le passé, au fond du gouffre économique, il y a la guerre impérialiste généralisée. Aussi sûrement, que la grande crise des années 30 a conduit à la 2ème guerre mondiale, la crise actuelle pousse le capitalisme vers un 3ème holocauste.

La menace de guerre n'est plus à démontrer, elle est de plus en plus présente dans les préoccupations quotidiennes de la grande majorité de la population. Elle est inscrite dans l'énorme accélération des efforts d'armements de tous les pays et notamment du pays le plus puissant. Présentant le programme militaire de ce pays, Reagan déclarait le 2 octobre : "Depuis Eisenhower, aucune administration  américaine n'avait présenté un projet  nucléaire de cette envergure". Elle se manifeste par la mise au point et l'installation de nouvelles armes de plus en plus perfectionnées : bombardier "Backfire" et SS 20 du côté russe; bombe à neutrons et "cruise-missiles", fusées Pershing 2 du côté américain. Elle est révélée par le fait que, de plus en plus, c'est l'Europe, c'est à dire le théâtre central des deux guerres mondiales précédentes qui devient le terrain privilégié des préparatifs militaires : la controverse actuelle ainsi que les négociations russo-américaines de Genève sur les "Euromissiles" l'illustrent bien. De même que la crise a d'abord frappé avec violence les pays de la périphérie du capitalisme avant de déferler sur ses métropoles, la guerre, qui pendant longtemps a réservé ses ravages aux pays du Tiers-Monde (extrême Orient, Moyen-Orient, Afrique) étend maintenant sa menace vers ces métropoles.

Mais les préparatifs pour un troisième holocauste ne se situent pas uniquement sur le plan de l'accumulation d'armements. Ils passent aussi par un resserrement des rangs des différents pays autour des leaders de leurs blocs respectifs. C'est particulièrement net du côté occidental où, malgré toutes les déclarations et campagnes des différents partis, les gouvernements sont amenés à s'aligner sur les positions américaines. Par exemple, Schmidt semblait agir en franc-tireur et désobéir aux consignes américaines. En réalité, sa rencontre avec Brejnev du 22 novembre n'a pas été une occasion de faire des infidélités à son bloc de tutelle. Bien au contraire : les positions qu'il a prises lors de cette rencontre lui ont même valu les félicitations de l'opposition de droite au Bundestag.

Mitterrand, pour sa part, s'est donné des grands airs d’indépendance par rapport aux USA en ce qui concerne le Tiers-Monde. Au sommet Nord-Sud de Cancun, il a fait, contre les positions de Reagan, son numéro en faveur de "négociations globales" entre les pays développés et les pays sous-développés pour que les premiers viennent en aide aux seconds. Deux jours avant, à Mexico, il avait prononcé un grand discours emphatique, préparé par son conseiller Ré­gis Debray (ex-admirateur de "Che" Guevara), dans lequel il s'adressait à "ceux qui prennent le les armes pour défendre les libertés", "à tous les combattants de la liberté", pour leur dire "Courage, la liberté vaincra"!

Ces déclarations, de même que la reconnaissance des mouvements de guérilla du Salvador, apparaissaient comme des pavés dans la mare de la politique américaine. En réalité, il s'agissait d'un simple partage des tâches au sein du bloc occidental entre ceux qui parlent fort et utilisent le langage de l'intimidation (et c'est celui qui aujourd'hui prime à l'égard du Tiers-Monde et ceux qui ont pour tâche spécifique de permettre au bloc occidental de contrôler les mouvements d'opposition et de guérilla, et d'empêcher qu'ils ne basculent du côté russe.

Depuis longtemps déjà, le bloc américain a délégué à 1'impérialisme français la responsabilité du maintien de l'ordre Sans certaines zones du Tiers-Monde. Mitterrand a repris de Giscard la tâche d'être le gendarme de l'Afrique (comme on a pu le voir récemment avec le Tchad). Compte-tenu de son profil "humaniste" et "socialiste", il a reçu en plus mandat, en compagnie de son acolyte mexicain, Lopez Portillo, d'être le "public-relations" de ce bloc à l'égard des mouvements bourgeois qui luttent contre les régimes militaires d'Amérique Latine.

Mais la véritable nature des liens qui unissent l'impérialisme français au bloc américain ne s'exprime pas dans ces déclarations "déviantes". Elle se révèle bien plus dans d'autres déclarations de Mitterrand, à la suite de la rencontre avec Reagan à Yorktown, le 18 octobre :

"Il s'agissait de bonnes conversations. Entre amis, le dialogue est facile. Nous avons la franchise de vieux amis qui peuvent tout se dire sans rien détruire" et Mitterrand a souligné "la bonne santé de 1'amitié franco-américaine, qui n'est pas menacée par les divergences".

La thèse souvent agitée dans les médias bourgeois d'une montée du neutralisme (et qui trouve son pendant avec la thèse chère au groupe du PIC et de Volonté Communiste de "l'effritement des blocs") n'est fondamentalement qu'un argument de propagande destiné à permettre la poursuite du raffermissement des liens au sein du bloc occidental face à la tension impérialiste avec le bloc russe.

Une dernière illustration de cette tendance au renforcement du bloc occidental a été donnée par l'assassinat de Sadate dans lequel on a voulu voir, propagande oblige, "la main de Moscou". En réalité, la mort de Sadate a arrangé les affaires du bloc occidental. D'une part, elle a permis le remplacement d'un dirigeant de plus en plus impopulaire qui affrontait un mécontentement social croissant et dont le maintien risquait d'aboutir à une situation à l'iranienne. D'autre part, elle a ouvert la voie, comme l'a déclaré crument Cheysson, ministre français des relations extérieures, à un rapprochement entre les pays arabes, et notamment entre les deux plus puissants, l'Egypte et l'Arabie Saoudite. Et cette reconstitution de l'unité arabe, défaite depuis les accords de Camp David, et qui ne peut se réaliser que sous l'égide américaine, constitue bien un des fers de lance de l'impérialisme occidental dans cette région du monde face à l'instabilité iranienne et la percée russe en Afghanistan. S'il y a "la main de quelqu'un" derrière les extrémistes religieux qui ont commis l'attentat, ce n'est certainement pas celle du KGB mais bien celle de la CIA qui avait, par ailleurs, la responsabilité du dispositif de sécurité de Sadate.

L'assassinat de Sadate a été présenté comme une "atteinte à la paix". En un sens, c'est vrai, mais pour des raisons totalement opposées à celles que présente la propagande occidentale. Si cet événement participe à la marche vers la guerre, ce n'est pas parce que Sadate était "l'homme de la paix": il ne l'a jamais été, ni en 73 quand il a pris l'initiative de la guerre contre Israël, ni à Camp Da­vid, dans le cadre d'une "Pax Americana" destinée à renforcer les positions politiques et militaires de l'occident au Moyen-Orient. La mort de Sadate s'inscrit dans les préparatifs de guerre en ce sens qu'elle ouvre la voie à l'établissement d'une paix au Moyen-Orient. Et comme toujours par le passé, dans le capitalisme décadent, la paix en un endroit du monde n'est pas autre chose que le moyen de préparer ailleurs une guerre encore plus étendue et plus meurtrière.

C'est là une cruelle réalité du monde actuel, la paix et les paroles de paix n'ont d'autres fonctions que de préparer la guerre. C'est ce qui se manifeste en ce moment même avec les énormes campagnes pacifistes qui se déchaînent en Europe occidentale.

L'histoire nous enseigne que les guerres mondiales ont toujours été préparées par des campagnes pacifistes. Déjà avant 1914, l'aile réformiste de la Social-démocratie, notamment sous la conduite de Jaurès, avait fait tout un battage pacifiste : ce fut pour mieux appeler les ouvriers à la guerre en août 1914 au nom de "la défense de la civilisation", cette "civilisation" qu'on se proposait de préserver auparavant en manifestant pour la paix. Si Jaurès, assassiné à la veille de la guerre, n'a pas eu l'occasion de faire ce dernier pas de sa démarche, par contre Léon Jouhaux, dirigeant de la CGT, qui avait été en première ligne pour les campagnes pacifistes, s'est retrouvé, pour sa part, au gouvernement d'Union Nationale. Dès avant 1914, le pacifisme, promu par les réformistes, fut donc un des moyens employés par le capitalisme pour jeter le prolétariat pieds et poings liés dans la boucherie impérialiste.

De même en 1934, sous l'égide des partis staliniens et de leurs "compagnons de route", avec la participation des socialistes et l'adhésion enthousiaste des trotskystes (et même des anarchistes), le mouvement Amsterdam-Pleyel (du nom du lieu où s'étaient tenues les deux conférences qui avaient préparé l'action) s'était donné comme objectif la lutte pour la paix. Ce mouvement aboutira aux "Fronts Populaires" contre le fascisme (considéré comme le principal fauteur de guerre) et aura été un des moyens de mobilisation du prolétariat pour la 2ème guerre mondiale.

La même manœuvre sera rééditée au début des années 50, lorsque la "guerre froide" apparaît comme la prémisse à une 3ème guerre mondiale. A la suite de "l'appel de Stockholm" contre l'armement atomique, les partis staliniens développent une énorme campagne de signatures "pour la paix" qui obtient un succès non négligeable (à tel point que les prostituées surprises en train de racoler des clients se défendent en affirmant qu'elles leur proposaient de signer la pétition pacifiste !). Si cette fois là, les tensions n'avaient pas abouti à une nouvelle guerre mondiale, les méthodes pour la préparer avaient, de nouveau, été mises en œuvre.

Pourquoi les campagnes pacifistes précèdent-elles toujours les guerres ?

En premier lieu, en se proposant de faire pression sur les gouvernements pour qu'ils "sauvegardent la paix", ou "renoncent aux armements", elles accréditent l'idée que ces gouvernements ont le choix entre plusieurs politiques, que la guerre impérialiste n'est pas un mal inévitable que porte le capitalisme décadent, mais résulte d'une politique "belliciste" de tel ou tel secteur de la bourgeoisie, A partir d'une telle idée, quand elle est bien ancrée dans la tête des prolétaires, on peut ensuite les convaincre que c'est la bourgeoisie de "l'autre pays" qui est "belliciste", qui "veut la guerre", et que, par conséquent, il faut faire 1' "union sacrée" pour la combattre et l'empêcher de sévir. C'est comme cela qu'en 1914, les socialistes français ont appelé à la lutte contre le "militarisme prussien", les socialistes allemands au combat contre "le tsarisme et ses alliés". C'est comme cela que staliniens et sociaux-démocrates ont préparé la croisade "antifasciste" de la 2ème guerre mondiale.

En second lieu, les campagnes pacifistes, en ce sens qu'elles rassemblent tous les citoyens qui sont "contre la guerre", tendant à nier les différences et les antagonismes de classe. Ce faisant, elles canalisent et diluent la combativité prolétarienne dans un magma interclassiste, où se retrouvent tous les "hommes de bonne volonté" mais où le prolétariat perd de vue ses intérêts de classe. Elles sont donc un barrage redoutable contre la lutte de classe qui constitue le seul obstacle réel qui puisse entraver la marche vers l'issue bourgeoise aux contradictions du capitalisme : la guerre impéria1iste généralisée.

C'est pour ces raisons qu'avant et pendant la première guerre mondiale (notamment sous la conduite de Lénine) les révolutionnaires ont combattu le pacifisme, ont opposé aux mots d'ordre réformistes le mot d'ordre révolutionnaire de "transformation de la guerre impérialiste en guerre civile" et ont expliqué que le fléau de la guerre ne pourrait disparaître qu'avec le capitalisme lui-même. De même, entre les deux guerres et pendant la seconde guerre mondiale, seuls sont restés sur un terrain de classe les groupes et fractions qui ont maintenu cette position contre les pacifistes d'alors.

Les campagnes pacifistes d'aujourd'hui ont exactement la même fonction que celles du passé. Elles prennent la suite des campagnes précédentes de "défense des droits de l'homme" promues par Carter et de "défense du monde libre" promues par Reagan. Mais alors que les précédentes avaient en grande partie échoué, les campagnes pacifistes rencontrent un succès bien plus grand car elles s'appuient sur une inquiétude réelle qui a saisi les populations notamment en Europe occidentale. Pour l'heure, elles ne sont pas directement dirigées contre l'URSS comme l'étaient les précédentes. En certains endroits, elles bénéficient même de l'appui du bloc de l'Est via les partis staliniens. Mais même si, pour le moment, elles se donnent pour cible principale la politique militaire du bloc de l'Ouest (notamment les fusées Pershing, les Cruise missiles et la bombe à neutrons), c'est d'une importance secondaire car elles ne sont qu'une première étape dans l'opération de mobilisation du prolétariat d'occident derrière son bloc. Le moment venu, il sera temps de mettre en évidence que le véritable danger pour la paix c'est "l'autre", le bloc de l'Est. Pour l'heure, ce qu'il s'agit surtout d'obtenir, c'est que le prolétariat cesse d'apparaitre comme une force autonome dans la société comme il a recommencé à le faire, notamment depuis les grèves de Pologne.

Ce qui importe le plus à la bourgeoisie, c'est que les ouvriers soient incapables de comprendre le lien qui existe entre les luttes qu'ils sont conduits à mener contre l'austérité et la lutte contre la menace de guerre. Rien n'inquiète plus la classe capitaliste qu'une prise de conscience par le prolétariat du véritable enjeu de ses combats, du fait que ceux-ci n'ont pas seulement de sens par rapport aux revendications économiques qui les motivent, mais sont un réel obstacle aux préparatifs bourgeois pour la guerre impérialiste, constituent des préparatifs de la classe en vue du renversement du capitalisme.

Les campagnes pacifistes sont donc un rideau de fumée destiné à dévoyer la classe ouvrière, à l'entrainer sur un terrain qui n'est pas le sien, à enfermer ses luttes sur le strict terrain économique. Elles visent à désamorcer le resurgissement de la lutte de classe et, de ce fait, à détruire le seul véritable obstacle que rencontre le capitalisme sur le chemin de la guerre impérialiste généralisée.

Le rôle des révolutionnaires est de les dénoncer comme telles.

QUELLES PERSPECTIVES POUR LA CLASSE OUVRIERE

Parce qu'elle menace les fondements mêmes de la société d'exploitation, et non tel ou tel secteur de celle-ci, parce qu'elle oblige de ce fait la bourgeoisie mondiale à resserrer les rangs, la lutte de la classe ouvrière constitue la seule force dans la société capable d'enrayer l'engrenage de la guerre impérialiste. C'est ce qu'on a pu constater une nouvelle fois au cours de l'année .1980. La première partie de cette année a été dominée, suite à l'invasion de l'Afghanistan, par une aggravation sans précédents des tensions entre blocs. Par contre, dès que surgissent les grèves de masse en Pologne, le panorama de la situation se transforme.

L'escalade de la propagande belliciste s'interrompt pour un temps, et avant même son investiture, Reagan envoie, en novembre 80 son ambassadeur personnel, Percy, reprendre avec le gouvernement russe un contact interrompu depuis la fin 1979. Si les diatribes américaines se poursuivent néanmoins à propos de la Pologne, elles ont une toute autre signification que celles qui avaient suivi l'invasion de l'Afghanistan. Certes, et c'est toujours bon à prendre, on continue à présenter auprès de l'opinion occidentale l'URSS comme le "méchant", celui qui en veut à "l'indépendance du peuple polonais". Mais la fonction essentielle des mises en garde américaines à l'URSS contre toute velléité d'intervention en Pologne est justement de rendre crédible cette menace auprès des ouvriers polonais et de les inciter à la "modération".

Face au prolétariat de Pologne, on a assisté à la constitution d'une Sainte Alliance de toute la bourgeoisie mondiale qui s'est répartie les tâches tant à l'extérieur (bloc de l'Ouest et bloc de l'Est) qu'à l'intérieur (POUP et "Solidarité") afin d'isoler le prolétariat et de venir à bout de sa lutte ([4] [4]). C'est pour cela que la question de la généralisation mondiale des combats prolétariens est devenue si fondamentale comme nous l'avons souligné souvent dans ces colonnes ([5] [5]).

Faute d'une telle généralisation, on peut constater aujourd'hui comment, progressivement, la bourgeoisie reprend le terrain qu'elle avait du céder au mois d'août 80. En décidant le 2 décembre d'employer la force contre les élèves pompiers en grève (6000 policiers des forces antiémeutes contre 300 étudiants), les autorités polonaises ont marqué un nouveau point contre la classe ouvrière. Le processus de reprise en main remonte à février 81 avec la nomination du général Jaruzelski à la tête du gouvernement. Il se déploie en mars avec l'affaire des violences policières de Bydgoszcz où c'est de façon délibérée que les autorités provoquent la classe ouvrière (même si Walesa se plait à présenter ces violences comme un "complot contre Jaruzelski")afin de pouvoir lui infliger la première gifle qui doit inaugurer la mise au pas. Cette gifle, ce n'est d'ailleurs pas tant le gouvernement qui l'assène mais "Solidarité" qui, après tout un battage sur la grève d'avertissement de 4 heures et la préparation d'une grève générale illimitée, signe avec le gouvernement un compromis en forme de capitulation et le fait avaler aux travailleurs.

Cette reprise en main s'est poursuivie par la nomination en octobre de Jaruzelski au poste de 1er secrétaire du POUP. Désormais ce général cumule trois postes clé : la direction du parti, du gouvernement et de l'armée. Et comme après sa nomination de février, celle d'octobre est suivie (cette fois sous sa responsabilité explicite) d'une nouvelle apparition brutale et bien plus massive de la police.

Aujourd'hui encore, il revient à "Solidarité" de dévoyer, par un langage radical s'il le faut, le mécontentement ouvrier qui s'accumule tant contre la contre-offensive gouvernementale que contre des conditions d'existence qui n'ont jamais été aussi catastrophiques. Ainsi, le 7 décembre, le gouvernement se paye le luxe de diffuser de façon répétée des propos radicaux tenus par Walesa lors de la réunion des dirigeants de Solidarité du 3 décembre, à la suite de l'intervention de la police :

"Je n'ai plus d'illusions, les choses sont allées si loin qu'il faut  tout dire aux gens, leur dire quel est l'enjeu, que ce n'est rien de moins que de changer la réalité. Aucun changement de système ne peut se faire sans casse. L'essentiel est d'être  vainqueur. "

Le but de la manœuvre gouvernementale est évident : intimider la population en laissant planer la menace de graves répercussions à de tels propos. L'autre but de cette opération est de redorer le blason de Walesa auprès des ouvriers les plus combatifs, car le gouvernement aura encore besoin de lui pour les calmer le moment venu.

La stratégie de la bourgeoisie est claire. Elle consiste à acculer le prolétariat à l'alternative : capituler ou engager une épreuve de force frontale qu'il sait perdue compte-tenu de son isolement présent.

C'est pour cela que la généralisation des combats de classe apparaît chaque jour plus comme une nécessité  impérieuse.

Pour l'heure,  cette généralisation tarde à venir. En Europe de l'Est,  on a  pu constater une montée de la combativité là où la crise frappe le plus violemment les ouvriers: La Roumanie (dont le gouvernement reprend à son compte la campagne pacifiste d'occident!). Cette combativité ne pourra s'exprimer pleinement dans tous les pays, tant à l'Ouest qu'à l'Est, que lorsque la pression économique sera devenue intolérable pour les masses ouvrières. Partout, avec l'aggravation de la crise, cette pression se développe. Mais dans un premier temps, elle a tendance à provoquer une plus grande passivité du prolétariat (bien que la signification de tels chiffres soit toujours à examiner avec précaution, les statistiques mettent en évidence pour 1980 et le début 81 une baisse presque générale en Europe occidentale et aux USA du nombre des conflits sociaux et des jours perdus pour faits de grève). Ce n'est pas là un signe que le prolétariat aurait déjà perdu la partie (quoique si cette passivité se prolonge une telle issue deviendrait menaçante). C'est plutôt la manifestation d'une prise de conscience diffuse au sein de la classe de l'importance de l'enjeu de ses prochaines luttes, de l'ampleur des tâches qui l'attendent.

Si aujourd'hui le prolétariat hésite encore, c'est qu'il est en train de se rendre compte qu'il est entré dans les "années de vérité".

F.M. 8-12-81


[1] [6] Richard Nixon, discours prononcé à son "inauguration" en janvier1969).

[2] [7] "La révolution trahie", chapitre 1er, section 1ère.

[3] [8] Le développement de nouvelles techniques dans le domaine de 1'automation n'empêche pas cependant certains  pays comme les USA de connaître un ralentissement dans les gains de productivité et même, à certains moments, un recul de celle-ci. Il ne faut pas voir là "un  échec  de la technique", mais un effet de la crise elle-même qui vient amoindrir les taux d'utilisation du potentiel industriel et ralentir l'investissement productif (par manque de débouchés solvables). C'est ce que constate 1'OCDE dans son langage aseptisé ".un des objectifs essentiels des politiques gouvernementales doit être de créer un environnement dans lequel les stimulants du marché incitent les firmes à améliorer leur capacité d'innovation et leurs performances bien évidemment, le renouvellement technologique que l'on préconise ne peut avoir lieu qu'en présence de conditions économiques favorables. Or les perspectives actuelles n'encouragent pas à faire le saut de l'innovation. Il y a donc un grand risque que les entreprises n'innovent pas à un  rythme suffisant,  préférant attendre que le  climat des affaires se  stabilise. "

(Les Enjeux des transferts de technologie Nord-Sud. OCDE. Paris 1981) Ainsi, en  s'aggravant, la crise vient saper  les  bases de ce qui avait permis au capitalisme d'en masquer pour un temps la profondeur.

[4] [9] voir nos différents articles dans les Revues Internationales  n°23, 24, 25

[5] [10] voir notamment les textes du 4ème Congrès du CCI dans la Revue Internationale n°26

 

Récent et en cours: 

  • Crise économique [11]

Questions théoriques: 

  • Décadence [12]

Lutte de classe en Europe de l'est (1970-1980)

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La première partie  de cet article est parue dans la REVUE INTERNATIONALE n°27. Cette deuxième partie reprend 1'évolution de la lutte de classes dans les pays de 1'Est à partir de la reprise mondiale de la fin des années 1960, et jusqu'aux événements de la fin des années 1970, notamment les événements de 1976 en Pologne. La dernière partie, qui  paraîtra dans le prochain n° de cette revue traitera de la reprise mondiale de la lutte inaugurée par les événements de Pologne de 1980.

L'importance de la vague révolutionnaire de 1917-23, et même de la vague de lutte de classe qui  a parcouru l'Europe de l'Est en 1953-56, a montré le potentiel  qui existait pour l'internationalisation de la lutte prolétarienne,  pour la constitution véritable de la classe ouvrière en force révolutionnaire unique,  unifiée à l'échelle mondiale. Mais comme nous  l'avons vu dans la première partie de cet article (voir Revue Internationale n° 27), ce potentiel  n'a pas  pu se réaliser à cette époque.  Ces mouvements de classe de millions d'ouvriers ont été brisés par leur isolement à l'échelle mondiale. Comme nous l'avons vu, l'histoire des grands soulèvements de l'Europe de l'Est et du centre, des années  1920 aux années 50, est avant tout l'histoire de leur isolement du reste du prolétariat. Ce fut le résultat, en plus des obstacles permanents que le capitalisme impose à la classe ouvrière (usines, branches d'industrie, nations, etc.)  d'un changement global   du rapport de forces entre les classes en faveur de la bourgeoisie, qui  a déterminé l'ensemble du développement de la lutte de classe durant six décennies. Le moment décisif de ce processus fut l'incapacité du prolétariat à empêcher l'explosion de la première guerre mondiale. Le résultat de cette défaite sans précédent que fut août 1914,  fut de laisser le champ libre à la barbarie du capitalisme décadent, à la guerre impérialiste qui  divisa le prolétariat en plein milieu. La tendance du capitalisme dans cette période de déclin n'est pas seulement de renforcer l'unité de chaque capital  national  autour de l'Etat, mais aussi  de diviser le monde en deux grands  camps guerriers impérialistes. Le résultat,  pour le prolétariat, qui ne fut pas assez fort pour affronter et détruire ce système avant que celui-ci  ne s'effondre dans la barbarie,  fut que les organisations,  les leçons politiques,  les traditions de lutte de la classe ouvrière furent noyées dans un océan de sang et de misère.

Comme nous l'avons vu dans la première partie, la vague révolutionnaire fut principalement limitée aux pays défaits de la première guerre mondiale, tandis que les luttes des années 50 émergeant du massacre de 1939-45 restèrent au sein du bloc russe, qui  dut concentrer brutalement ses forces et attaquer frontalement le prolétariat pour tenter de maintenir la paix avec le bloc américain, et ainsi  bénéficier péniblement du boom de la reconstruction d'après-guerre, Les conséquences de cet isolement international de parties combatives du prolétariat, imposé par les divisions mêmes  de l'impérialisme, sont extrêmement graves :

- il  devient impossible pour le prolétariat comme un tout de simplement commencer à s'attaquer aux racines du système d'exploitation contre lequel  il  combat, car ceci  ne peut se faire qu'à 1'échelle mondiale ;

-    la puissance de la bourgeoisie mondiale reste intacte, elle est dirigée contre le prolétariat de façon unifiée et coordonnée   ;

-    la classe ouvrière est entravée dans sa pleine compréhension des tâches de la période, car une conscience révolutionnaire est précisément basée sur la compréhension que les expériences quotidiennes de lutte (les défaites organisées par les syndicats,  la réalité brutale derrière le masque de la démocratie, etc...),  font partie des mêmes conditions des ouvriers, partout, son indissolublement liées et convergent vers la nécessité de détruire le système à l'échelle mondiale. Cette perspective profonde ne peut  être le produit que des luttes des ouvriers à l'échelle mondiale, qui se trouvent dans les mêmes conditions, avec les mêmes tâches, et le même ennemi  partout. C'est au creuset de la généralisation mondiale des luttes que l'unité internationale du prolétariat se forgera.

Dans cette deuxième partie de cet article, nous examinerons  le développement de la lutte prolétarienne dans les années  70 jusqu'aux années 80. C'est la fin de la contre-révolution, le commencement d'un resurgissement international  du combat prolétarien. C'est la fin de l'isolement des ouvriers de l'Est. C'est la période du redressement du rapport de forces global entre les classes, qui  depuis plus d'un demi-siècle, était resté en faveur du capitalisme.  Pour la première fois,  la période qui  s'ouvre est une période de généralisation simultanée de la crise économique, et de la résistance prolétarienne dans toute la planète. La réponse internationale du prolétariat a forcé la bourgeoisie mondiale à unifier ses forces, à se préparer à affronter et à défaire les ouvriers pour ouvrir la voie à sa propre "solution" à la crise, la guerre mondiale.  Dans ce sens, en bloquant la voie à la guerre impérialiste, en faisant surgir le spectre de la révolution prolétarienne, la classe ouvrière a progressivement repoussé et résorbé la division dans ses rangs, imposée par deux guerres impérialistes. La dernière décade a montré que les conditions de la lutte des ouvriers, et la réponse de la bourgeoisie, s'unifient de plus en plus. C'est un monde qui  se dirige, non vers la guerre, mais vers la guerre de classe mondiale.

LES CONDITIONS  DE LA CLASSE OUVRIERE DANS LES   "PARADIS SOCIALISTES"

Depuis la fin de la deuxième guerre mondiale, la vie quotidienne pour les ouvriers en Europe de l'Est ressemble à un monde en état de guerre permanente. La croyance naïve de la classe ouvrière d'Europe de    l'Est dans la possibilité d'une vie meilleure sous le capitalisme est un bon exemple du fait que, â l'époque du capitalisme mondial, les conditions qui  prévalent au niveau global, sont plus importantes pour déterminer l'état de conscience de la classe dans n'importe quelle région du globe que ne le sont les conditions spécifiques prévalant dans la région.  Il  n'y avait rien dans la vie quotidienne des ouvriers de l’Est pour nourrir des illusions sur la nature progressiste de "leur" régime. Ils devaient souffrir de faim pour qu'on puisse construire des tanks.  Ils devaient faire la queue des heures durant pour les choses les plus élémentaires. Toute protestation, toute résistance de classe, était considérée comme une mutinerie et traitée comme telle.  Dans un monde encore dominé par l'antagonisme entre blocs impérialistes rivaux, et non par la bataille entre classes, les illusions des ouvriers -particulièrement à l'Est- portaient par dessus tout sur les conditions dans 1'AUTRE bloc. Les  illusions à l'Ouest dans la nature progressiste de l'Est "socialiste" et les illusions à l'Est sur la nature paradisiaque et permanente de la reconstruction occidentale d'après-guerre, avec l'espoir pour les ouvriers que "leur" bourgeoisie y arriverait tôt ou tard, étaient les deux faces d'une même pièce. C'était une période où les conditions de lutte dans les deux blocs étaient radicalement différentes, ce qui  accréditait le mythe que deux systèmes sociaux opposés étaient à l'œuvre à l'Est et à l'Ouest. A l'Ouest, on déclarait que la lutte de classe était dépassée. A l'Est, où elle était supposée ne plus exister non plus, c'était plus difficile à cacher. Les luttes y étaient explosives mais isolées, et pouvaient  être présentées aux ouvriers à l'Ouest comme des mouvements  de libération nationale ou comme des  réactions aux imperfections d'un socialisme authentique.  Pour l'Est comme pour l'Ouest, la crise du bloc russe était devenue si  lourde et si  permanente qu'il était possible pour la bourgeoisie mondiale de déclarer : "Ce n'est pas la crise, c'est le socialisme" !

L'AUTARCIE ET L'ECONOMIE DE GUERRE

C'est seulement par une sévère autarcie que les pays du bloc russe ont pu empêcher de tomber eux-mêmes sous le contrôle du bloc américain. Ce contrôle direct et illimité de l'économie et du commerce extérieur exercé par l'Etat dans ces pays, les restrictions dans l'investissement direct de capital  de l'Ouest,  dans le commerce Est-Ouest,  dans le mouvement de main-d’œuvre, etc. ne sont pas du tout des preuves de la nature non-capitaliste du COMECON, comme le prétendent les trotskysmes.  Elles servent exclusivement à la préservation du bloc russe contre la domination occidentale.

En étant contraints de s'isoler eux-mêmes des principaux centres du capitalisme mondial,  les capitaux nationaux de l'Est,  déjà non compétitifs, ont accentué leur retard technologique par rapport à l'Ouest. Leur perte progressive de compétitivité signifie qu'ils ne peuvent réaliser qu'une partie de leur capital  investi  sur le "marché mondial". La plus grande partie des marchandises produites par la COMECON est vendue à l'intérieur de ses frontières. Comme pour tout capitaliste individuel qui  doit acheter ses propres produits parce qu'il  ne trouve personne d'autre pour les prendre, les lois du capitalisme dictent au bloc russe d'entrer tôt ou tard sur le marché. Au niveau du capital  national  et des blocs impérialistes,  le verdict de faillite ne tombe qu'avec le surgissement de la guerre mondiale impérialiste.

Pour éviter ce verdict de l'histoire, la bourgeoisie d'Europe de l'Est doit essayer de faire face à l'Ouest sur le niveau MILITAIRE. Pour ce faire, elle doit investir une beaucoup plus forte proportion de sa richesse dans le secteur militaire que la bourgeoisie de l'Ouest. En se basant pendant des années sur l'autarcie derrière les lignes tracées à Yalta et Potsdam, les  "pays socialistes" ont été capables de réaliser des taux de croissance spectaculaires pendant les années 1950 et 1960. Mais à part dans le domaine militaire,  il  n'y a eu que peu de croissance réelle, juste une pléthore de biens industriels souvent inutilisables qui à l'Ouest ne trouveraient un marché qu'au rebut.

Dans les années  1970, le COMECON a commencé à s'ouvrir un peu plus vers l'Ouest. Ce ne fut pas, comme le disent les trotskystes, pour élever le niveau de vie des ouvriers.  Ce ne fut pas non plus, comme beaucoup de politiciens occidentaux l'ont cru à l'époque,  une capitulation du Kremlin face à l'argent occidental. L'ouverture était sensée bannir le danger d'une guerre mondiale, et ouvrir une nouvelle ère d'expansion économique. Pour les ouvriers de l'Est, cette modernisation signifia un accroissement temporaire de la fourniture de biens de consommation, et augmenta les possibilités de visiter ou même de travailler à l'Ouest. La Pologne, qui  possédait et qui  possède encore de grandes réserves de charbon,  une ouverture maritime non prise par les glaces et de larges réserves de force de travail  bon marché sous-employées dans l'agriculture,  fut spécialement choisie par le Kremlin pour devenir la force motrice de cette modernisation. C'est pourquoi  la Pologne devint le point central  de la contradiction entre les fausses illusions nourries par, d'un côté,  la modernisation, et,  d'un autre côté, l'accélération de l'économie de guerre. Elle devint ainsi  le centre le plus important du développement de la lutte de classe pendant plus d'une décade.

Les années  1970 ont vu apparaître les premières brèches dans les illusions concernant l'Ouest, à cause de l'accroissement de la crise et de la lutte de classe. Néanmoins, cette décade a été caractérisée avant tout par la chute des conditions de vie des ouvriers accompagnée d'un renforcement des illusions sur un futur de paix et de prospérité. Cette contradiction explosive entre illusion et réalité surgit à la surface après le tournant de l'économie mondiale de la fin des années  1970. Les premiers fruits dans les années 80, les années de vérité, ont été les grèves de masse en Pologne et l'écho mondial  que ces luttes ont rencontré.

LES "ACQUIS D'OCTOBRE"

Que ce soit à l'Est comme à l'Ouest,  il  ne manque pas de défenseurs des  "acquis de la révolution d'Octobre" dont sont supposés jouir les ouvriers du bloc russe. Nous examinerons quelques uns de ces  "acquis".  Par exemple,  la soi-disant élévation des    salaires réels et baisse des heures  de travail.  En se basant sur les chiffres officiels et sur des sources telles que les  propres mémoires de Nikita Kroutchev, Schwendtke et Ksikarlieff, qui  viennent de cercles  dissidents  russes,  calculent ceci   :

"En un mot, que ce soit selon l'URSS ou l'information étrangère,  le revenu moyen des ouvriers  industriels en Russie avant la 1ère guerre mondiale peut être établi  à 60  - 70 roubles par mois.  Ceci  signifie que les gains actuels, correspondant à la valeur nominale en roubles, sont deux fois plus hauts qu'avant la révolution, et ceci  face aux prix qui  sont 5 à 6 fois supérieurs,  et donc,  qu'aujourd'hui les ouvriers en URSS vivent deux fois et demie à trois fois moins bien qu'avant la révolution. Le nombre de jours de travail  dans l'année, malgré l'introduction de la    semaine de cinq jours, est plus  fort qu'avant la révolution, et résulte des nombreuses  fêtes  religieuses qui  étaient observées dans  l'ancienne période. Alors qu'aujour­d'hui,  il y a huit jours  fériés  par an et que le nombre total  de jours travaillés est de 252,  l'année de travail  avant la révolution n'était que de 237 jours,  ce qui  revient en fait à une semaine de travail  moyenne de 4 jours 1/2... Si  nous  divisons le revenu mensuel   -150 roubles soviétiques contre 70 roubles tsaristes- par le nombre de jours travaillés dans le mois  (21 jours en URSS, 19,75 en Russie), nous obtenons un revenu quotidien de  7,14 roubles  pour l'URSS et 3,54 pour la Russie. Voici  maintenant les prix des plus importantes denrées alimentaires   :

 

"Un guide des statistique du travail de l'URSS de 1967 montrait que plus  de 20 % des ouvriers employés  dans le secteur le mieux payé, l'industrie de la construction,  se trouvaient au-dessous  du seuil  de pauvreté, et que plus  de 60 % de ceux des industries les moins payées des industries textile et alimentaire se trouvaient au-dessous de ce seuil de pauvreté" ("The Soviet Working Class, Discon­tent and Opposition" Holubenko dans Critique).

Dans le bloc russe, les femmes travaillent presque toutes. L'Allemagne de l'Est par exemple a le plus haut taux de femmes employées dans l'industrie dans le monde. Elles jouent un rôle semblable à celui  des ouvriers immigrés à l'Ouest,

en percevant en moyenne la moitié d'un salaire d'homme. Elles sont employées non seulement dans les usines, mais aussi  sur les chantiers,  dans la construction des routes et des chemins de fer, par exemple en Sibérie, etc. "Récemment,  la route de Revda à Sverdlovsk a été élargie par la construction d'une deuxième voie. Ce travail  physique extrêmement dur a été fourni  à 90 % par des femmes. Elles ont travaillé à la pioche, à la pelle et à la barre à mine. En fait,  les  femmes des minorités nationales prédominent (Mordva, Tachunaschi, Marejer). Si  à l'Ouest il  est parfois possible de prendre un jeune homme pour une fille, à cause des vêtements et du style de coiffure, en Russie c'est le contraire,  du fait des vêtements de travail  sales, des mains, de la manière de marcher,  de courir et de boire"  (Schwendtke, P.62).

A notre avis, ces rapports sur la misère des conditions des ouvriers dans les  "pays socialistes" tendent malgré tout à SOUS-ESTIMER la situation. Par exemple,  les données  de la journée de travail ci-dessus ignorent l'accroissement constant des heures supplémentaires  -souvent NON PAYEES- obligatoires. En 1970,  les ouvriers  des docks Warskin à Stettin disaient avoir à effectuer plus  de 80 heures supplémentaires  par mois  (voir "Rote Fahne liber Polen"). Et même si  le niveau de vie est beaucoup plus bas en URSS,  particulièrement dans les régions asiatiques, qu'en Europe de l'Est,  les conséquences  de l'austérité permanente    n'ont pas épargné les ouvriers   des pays satellites non plus   :

"Une étude de la révolution et de ses causes publiée clandestinement en Hongrie au début de 1957 sous le pseudonyme de Hungaricus, montre à partir des statistiques hongroises officielles que le niveau des salaires  réels est tombé de 20 %  pendant les années de la construction socialiste de  1949 à  1953. Le salaire mensuel  moyen était inférieur au prix d'un costume neuf, et la paye journalière d'un travailleur de ferme d'Etat était insuffisante pour acheter un kilo de viande. Bien sûr,  la brochure d'Hungaricus ne prend en compte que 15 % des familles hongroises, qui  vivaient sous le régime déclaré "niveau de vie minimum", avec 30 % qui  l'atteignaient et 55 % qui  vivaient au-dessous  de ce niveau. Ceci signifiait que parmi les 15 % de familles de la classe ouvrière, tous les membres n'avaient pas  de couverture pour dormir et 20 % des ouvriers n'avaient même pas de manteau d'hiver. Ce furent ces sans-manteaux,  suggère Hungaricus, qui fournirent le gros des troupes qui  affrontèrent les  tanks  russes en octobre  1956"  (Comax, "The working class in the Hungarian Révolution of 1956). Il n'y a pas à chercher plus  loin la cause principale de la vague de lutte de classe de 1953-56 !

Si on considère la fameuse "disparition du chômage" dans le bloc russe, on peut citer l'oppositionnel "Osteuropa" n°4, "Unterbeschafbigung un Arbeitslosigkeit in der Sowjetunion" :

"Avec le début des  plans quinquennaux staliniens, les échanges de main d'œuvre furent terminés. Ceux qui  voulaient travailler étaient envoyés dans  les chantiers de construction socialiste dans les  régions  les plus éloignées... En déclarant le chômage aboli, et en arrêtant le paiement d'indemnités de chômage, le gouvernement condamna des mil liions de gens à la misère et à la faim. Staline utilisa aussi  les camps de concentration dans sa  "lutte contre le chômage", ce qui  fit disparaître la force de travail  en surplus dans  les régions les plus peuplées. Selon le calcul  de l'expert de la BBC, Pospelowski,  2 % à 3 % de la population laborieuse était inemployée en 1960, ce qui veut dire 3 à 4 millions de gens. Dans ce calcul  ne sont pas inclus ceux qui sortent de l'école,  les gens qui pour des raisons technologiques sont inutilisés et en attente de travail, les saisonniers,  les paysans  kolkhoziens et ouvriers des sovkhozes. Si on les compte pour 1 % de la population, le calcul  se monte à plus de chômage que durant la récession de 1967-69 en Allemagne de l'Ouest et en chiffres absolus à plus de chômeurs que dans les années d'après-guerre aux USA. Pospelowski ajoute que c'est le tableau général du chômage complet selon les chiffres de 1957. Il considère que,  si  on inclut le chômage partiel, on atteint un chiffre de 5 % de la population laborieuse sans emploi... avec un nombre de chômeurs complets qui s'est considérablement accru."

C'est une manifestation claire de l'anarchie du mode de production capitaliste que le chômage soit un problème pour des pays où la bourgeoisie doit compenser une faible composition organique du capital et un faible niveau technologique par une utilisation accrue de main-d’œuvre, et qui  fait que le chômage s'accroît en même temps que s'accroît la pénurie de main-d’œuvre.

Depuis  1967, les bureaux de chômage ont rouvert dans toutes les grandes villes de Russie. Ils envoient les chômeurs dans  le grand nord et en Extrême-Orient. Le résultat des  "rationalisations" de l'économie russe pendant le plan quinquennal de 1971-75,  a été que 20 millions  d'ouvriers ont perdu leur travail. En plus,  il  faut compter plus de    10 millions de travailleurs saisonniers.  Depuis le début des années  70,  les camps de travail  et les  "colonies de pionniers" de Sibérie sont devenus une fois de plus une soupape pour l'explosion du chômage et pour l'exode  rural.

Malgré le silence discret de la gauche prorusse à l'Ouest, l'existence du chômage à l'Est est connue depuis des années. Nous mentionnerons comme exemple  une lettre de lecteur au journal des enseignants russes "Utschiteskaja Gazeta",  du 18 janvier 1965 :

"Comment peut-on se réconcilier avec de telles circonstances honteuses, quand dans une ville de taille moyenne il y a encore des jeunes gens qui n'ont jamais travaillé et qui  ne vont plus à l'école depuis  des années. Livrés à eux-mêmes, ils traînent dans les  rues pendant des années, font les pickpocket,  vendent des objets, et se saoulent à la gare"  (Schwendtke p.  75). En plus du chômage direct -le gouvernement po­lonais menace actuellement de licencier 2 millions d'ouvriers- l'industrie est affaiblie par les arrêts dus au manque d'approvisionnement en pétrole, en pièces de rechange, matières premières ou services d'entretien.

En 1979,  le KOR déclarait que près d'un tiers de l'industrie polonaise était inutilisée à un moment donné pour ces mêmes raisons, ce qui  doit être encore plus vrai  aujourd'hui.  Pour les ouvriers qui  travaillent à la pièce, cela signifie une chute encore plus brutale de leur paye. L'industrie est aussi  affaiblie par des taux astronomiques de rotation de main-d’œuvre, car les ouvriers affamés cherchent désespérément de meilleurs contacts. Aujourd’hui, la bourgeoisie russe est obligée de permettre aux ouvriers de changer de travail  deux fois par an, pour éviter des explosions sociales. "La rotation de la main-d’œuvre est la principale plaie du système économique soviétique. La perte d'heures de travail  due à la rotation en URSS est beaucoup plus grande que la perte due aux grèves aux USA.  Par exemple,  dans une usine où j'ai  travaillé, avec une équipe de 560 personnes, plus de 500 employés quittèrent pendant l'année 1973 (Nikolaï Dragosch, fondateur d'"Unification démocratique de l'URSS"  "Wir mussen die Angst uberwinden").

Face à l'impérieuse nécessité de survivre,  les ouvriers vivent du pillage des usines  dans  lesquelles ils travaillent. Ces actions sont une expression de 1'atomisation extrême de la classe ouvrière en dehors des périodes de lutte, mais elles  révèlent aussi  l'absence de toute identification avec les profits de  "leur" compagnie ou avec les objectifs du plan quinquennal.

"L'usine d'automobiles de Gorki  maintient à ses frais un secteur criminel   de la milice d'environ 40 personnes, qui  confisquent aux ouvriers au cours de contrôles quotidiens l'équivalent de 20 000 roubles en outils et pièces détachées. Le désespoir chez les ouvriers va si  loin qu'ils coupent des carrosseries de Volga en plusieurs morceaux au chalumeau,  les jettent par dessus les murs, les ressoudent et   les vendent". (Cité de Lomax, p. 32)

Face aux réalités crues de  la crise économique permanente,  le contrôle policier et la répression ouverte ont été longtemps les principaux moyens de tenir en échec le prolétariat. Nous allons voir comment une petite terreur d'Etat a réussi  à paralyser un prolétariat conduit à se révolter face à la détérioration de la situation,  une rareté croissante des biens de consommation, des prix élevés, particulièrement sur le marché noir,  l'accroissement des cadences  dans les usines,  l'effondrement des services sociaux,  la plus forte suppression de logements  depuis  1954,  l'humiliation constante de la part de la police et de l'administration. Les ouvriers ont commencé à se poser des questions sur tous les aspects  du contrôle capitaliste,  des syndicats à la police jusqu'à la bouteille de vodka.

LE SURGISSEMENT DE LA LUTTE DE CLASSE EN URSS

"Les journalistes estiment que jusqu'au milieu des années 70, des actions spontanées des ouvriers, pas plus de 10 % ont été connues publiquement ou par les gens à l'Ouest (Schwendtke,  p.148). Holubenko commente dans le même sens :

"... le samizdat n'a fait connaître que très peu sur la question de l'opposition de la classe ouvrière; le samizdat dont aujourd'hui 1 000 documents par an parviennent à l'Ouest, est écrit principalement par l'aile libérale ou de droite de l'intelligentsia, et reflète les préoccupations de cette intelligentsia" (  Holubenko, ibid, p. 5).

Mais le problème va plus loin que çà. Les services d'espionnage occidentaux sont extrêmement bien informés de ce que fait la classe ouvrière dans le bloc russe, tout comme les services de radio qui transmettent vers l'Est (Radio Liberty, BBC, Deutscher Welle, etc.) qui  collaborent étroitement avec ceux-ci. Ce que nous avons ici, c'est un black-out massif sur les nouvelles de la lutte de classe de la part du  "monde libre". Cette censure concerne d'abord l'information fournie aux ouvriers de l'Est, pour enrayer le danger de généralisation. Un des exemples les plus connus est la décision de Radio Free Europe de Munich de refuser de transmettre une série de lettres envoyées par les mineurs roumains en grève pour informer les autres roumains et les ouvriers d'Europe de l'Est de leurs actions. Ensuite, ceci concerne l'information qu'on laisse passer vers les ouvriers à l'Ouest. Par exemple, les grèves russes de Kaliningrad, Wor et d'autres villes en Biélorussie qui éclatèrent en solidarité avec le soulèvement polonais de 1970,  sont bien connues en Pologne, mais n'ont été apportées à l'Ouest qu'en 1974, et encore, à travers le service de presse Hsinhua de Pékin  (9.1.1974).

La bourgeoisie occidentale a de bonnes raisons de collaborer avec sa contrepartie russe en cachant les activités des ouvriers particulièrement en Russie par le silence. Les ouvriers à l'Ouest doivent continuer à croire que "les Russes" sont sur le point de "nous" envahir plutôt que de savoir que le prolétariat russe est engagé dans une lutte presque permanente avec sa propre bourgeoisie. D'un autre côté, cela donnerait au prolétariat mondial un plus grand sentiment de force et d'unité de savoir qu'un des plus forts de ses détachements a repris le chemin de la guerre de classe. Dans la première partie de cet article, nous avons traité de la reprise de la lutte de classe en URSS dans les années 1950 et 60. Dans cette première partie, écrite en novembre 1980, et traitant de la vague de grèves du début des années 60, avec son point culminant à Novocherkask en 1962, nous disions -à tort, il semble- qu'il y avait eu une absence de comités de grève et autres moyens d'organiser et de coordonner la lutte après les premières explosions. Un reportage dit comment : "Les insurgés de la région du Donbass considéraient les manifestations de Novotcherkask comme un échec parce qu'ils s'étaient rebellés là-bas sans l'as­sentiment des bureaux d'organisation de grève de Rostov, Urgansk, Tagourog et d'autres villes. Ceci confirmerait les rumeurs et les rapports concernant un quartier général  d'une opposition organisée dans le Donbass" (Cornelia Gersten-maïer, "Voices of the Silent").

La vague de grèves de 1962 fut provoquée par l'annonce de l'augmentation du prix de la viande et des produits quotidiens.  "Grèves sur le tas, manifestations de masse de protestation dans  les usines, manifestations de rue, et dans beaucoup de parties de l'URSS, des émeutes de grande échelle se produisirent. De source sure, on parle de tels événements à Grosny, Krasnovar, Donetsk, Yaroslav,  Idanov, Gorki et même à Moscou où il  semble qu'un meeting de masse ait eu lieu à l'usine d'automobiles Morkvitch"  (Holubenko, p.12). Holubenko, en se basant sur les reportages d'un stalinien canadien nommé Kolasky, qui  passa deux ans en URSS, mentionne aussi  une grève des ouvriers du port d'Odessa contre le rationnement de nourriture, et une grève dans une usine de motos à Kiev. Le texte de Chanvier ("La classe ouvrière et les syndicats dans les compagnies soviétiques") parle d'une grève à Vladivostok contre le rationnement de nourriture, qui  déboucha sur un soulèvement sanglant. Jusqu'en 1969,  un calme relatif est revenu sur le front des grèves. La nouvelle direction Brejnev-Kossyguine a commencé par faire plus de compromis sur les salaires. Depuis 1969 cependant,  les salaires ont fortement baissé en dessous même de ceux de l'ère Kroutchev.  Déjà alerté par les grandes grèves du bassin du Donetz et à Kharkov en 1967, les forces de répression ont été renforcées.

Depuis 1965, et particulièrement depuis  1967, beaucoup de nouvelles organisations ont été établies pou renforcer les secteurs de la police et des agents spéciaux. Le pouvoir de la police s'est élargi, le nombre de policiers et d'officiers  de sécurité professionnels s'est beaucoup accru, des postes de police de nuit et des unités de police motorisées ont été mises en place.  De plus, une série de nouvelles lois a été établie pour "renforcer l'ordre social  dans tous les domaines de la loi". Des ordonnances, des décrets et des lois tels que la loi votée en 1969 qui  insistait sur la suppression des opposants politiques dangereux, des émeutes de masse, des meurtres de policiers,  révèlent une nouvelle insistance- sur la  "loi et l'ordre". Il y a aussi la promotion sans précédent de chefs du KGB à des postes dans les bureaux politiques centraux". (Holubenko, p.18).

La vague de grèves de 1969-73 en URSS fut une des plus importante, quoique moins bien connue, de la reprise internationale du prolétariat mondial en réponse à la rentrée du système capitaliste dans une crise internationale ouverte. Partout, les ouvriers de l'Union soviétique  commencèrent à protester contre le rationnement de nourriture, la hausse des prix et les mauvaises conditions de logement. Quelques grèves de 1969 que nous connaissons   :

-  "Mi-mai 1969, des ouvriers de l'usine hydro-électrique de Kiev dans le village de Beujozka se rencontrèrent pour discuter du problème du logement. Beaucoup d'entre eux étaient encore logés dans des baraques préfabriquées et des wagons de chemin de fer malgré les promesses des autorités de fournir des logements. Les ouvriers déclarèrent qu'ils ne croyaient plus les autorités locales, et décidèrent d'écrire au Comité central du parti  communiste. Après leur meeting, les ouvriers manifestèrent avec des banderoles telles que "tout le pouvoir aux soviets""  (Reddaway,"Uncensored Russia") Le reportage provient d'un journal  clandestin oppositionnel "chronique des événements récents".

-    Un mouvement de grève éclata à Sverdlovsk contre une chute de 25 % des salaires avec l'introduction de la semaine de 5 jours et de nouvelles normes de sa­laires. Concentration autour d'une grosse usine de caoutchouc, la grève, selon Schwendtke, prit des formes semi-insurrectionnelles. La milice de guerre civile ("B0M" et  "MWD")  dut être retirée et les revendications des ouvriers accordées.

-    A Krasnovar,  Kuban,  les ouvriers refusèrent d'aller à l'usine jusqu'à ce que l'approvisionnement en nourriture soit correct dans les magasins.

-    A Gorki, les femmes travaillant dans une usine d'armements lourds  "quittèrent le travail  en déclarant qu'elles allaient acheter de la viande et qu'elles ne reprendraient pas le travail  tant qu'elles n'en auraient pas assez acheté" (Holubenko, p.16).

-    En 1970, un mouvement de grève éclata dans plusieurs usines à Wladimir.

-    En 1971, dans la plus grande usine d'équipements d'URSS, l'usine de Kirov à Kopeyske, la grève se termina par l'arrestation des militants de la grève par le KGB.

''Les plus importants désordres dans cette période eurent lieu à Dniepropetrovsk et Dniprozerzkinsk dans une région d'industrie lourde du sud de l'Ukraine. En septembre  1972, à Dniepropetrovsk, des milliers d'ouvriers partirent en grève,  réclamant des salaires plus hauts et une amélioration générale du niveau de vie. Les grèves englobèrent plus d'une usine et furent réprimées au prix de nombreux morts et blessés. Cependant,  un mois plus tard, en octobre 1972,  des émeutes éclatèrent à nouveau dans la même ville. Les revendications: un meilleur approvisionnement, une amélioration des conditions de vie, le droit de choisir un travail  au lieu qu'il  soit imposé... Par chance, à cause de l'existence d'un document récent du Samizdat, on a plus d'informations sur les émeutes qui se produisirent à Dnipropetrovsk, ville de 270 000 habitants, à plusieurs kilomètres de Dniepropetrovsk. En particulier, la milice arrêta un petit nombre de gens saouls à un mariage, les emmena dans la voiture de police qui explosa. La foule assemblée marcha en colère sur l'immeuble de la milice centrale de "la ville et le mit à sac, brûlant les  fichiers de police et causant d'autres dégâts. La foule marcha ensuite sur le quartier général  du Parti  où la personne de service ordonna à la foule, avec des menaces, de se disperser, et où deux bataillons de la milice ouvrirent le feu.  Il y eut dix morts, dont deux miliciens tués par la foule. L'émeute est un exemple de la tension des  rapports sociaux en Union Soviétique -un exemple de comment un petit incident apparemment peut être l'étincelle d'un événement qui  dépasse de loin l'importance de l'incident lui-même (Holubenko, la source du Samizdat est Ukrain'ska Slovo) (Le Douban ukrainien a été depuis longtemps un centre de résistance prolétarienne et participa déjà à la vague de grèves de 1956 qui  secoua l'Europe de l'Est. La vague de 1956 dans le Douban est mentionné par Holubenko aussi  bien que par 1'"Oppo­sition Socialiste tchèque" dans sa publication en Allemagne de l'Ouest  "Listy Blàtter", septembre 1976.  "Listy" mentionne aussi "des manifestations de masse du prolétariat à Krasnodar,  Naltschy, Krivyj  Rik" et le soulèvement populaire de Tachkent en 1968).

Pour 1'année 1973, le point final de la deuxième vague de grèves de l'après-guerre en URSS, nous pouvons mentionner les actions importantes suivantes   :

-      Une grève dans  la plus grande usine de Kytebsk, contre une chute de 20 % des salaires. Le KGB essaya sans succès de traquer les  "meneurs".

-"En mai   1973,  des milliers d'ouvriers de l'usine de construction de machines du Brest-Litovsk Chausee à Kiev partirent en grève à 11 heures en demandant des augmentations de salaires. Le directeur téléphona immédiatement au comité central   du PC d'Ukraine. A 15 heures,  les ouvriers étaient informés que leurs salaires seraient augmentés et la plupart des grands administrateurs de l'usine furent démis. Il  est important de noter que, selon cette information, la population locale attribua le succès de cette grève au fait qu'elle avait un caractère organisé et que le régime avait peur que la grève ne s'étende au  "Stettin ukrainien"  (Holubenko,  source "Sucharnist", Munich).

-      Le soulèvement populaire de Karina en Lituanie en 1973 qui  déboucha sur des combats de rue et la construction de barricades, et qui  fut réprimé de façon sanglante (mentionné par "Listy"). Cette explosion de rage populaire, provoquée par la détérioration de la situation économique et par l'accroissement de la répression policière, eut  une lourde résonnance nationaliste. Une révolte similaire eut lieu à Tiflis en Géorgie le 1er mai  1974, qui  se développa hors de la manifestation officielle du 1er mai.

-      Finalement, au cours de l'hiver 1973,  la vague de grève atteignit les métropoles occidentales de Moscou et Leningrad avec des  records d'arrêts de travail  sur les chantiers de construction qui  ont été rapportés.

L'INTERLUDE POLONAIS 1970-76

La réapparition du combat prolétarien dans les années 70 a été internationale dans ses dimensions. Mais elle n'a cependant pas été généralisée. En URSS, les luttes ont été nombreuses et violentes, mais elles sont restées isolées et souvent inorganisées. Elles eurent lieu principalement en dehors des centres industriels de la Russie même. Ceci ne signifie pas que ce ne fut pas de grandes masses d'ouvriers qui s'y trouvèrent engagées. Il y a des concentrations énormes du prolétariat, particulièrement dans des endroits de l'Ukraine et de la Sibérie occidentale. Mais ces ouvriers sont plus isolés les uns des autres ainsi que des principales concentrations industrielles du prolétariat mondial. Plus important encore, ces luttes peuvent être limitées au travers de l'utilisation des mystifications nationale, régionale et linguistique (le "soviet" du prolétariat parle plus de 100 langues) qui présente le combat comme étant contre les "russes". En assurant des approvisionnements plus favorables en denrées alimentaires et en biens de consommation d'un côté, et un formidable déploiement des forces de répression de l'autre, l'Etat a été capable de maintenir son contrôle social à Moscou et à Leningrad, là où le prolétariat a été le plus décimé par la défaite de la vague révolutionnaire des années 20, et par la guerre et la terreur d'Etat qui s'en suivirent, que dans n'importe quel autre endroit du monde. Ce contrôle sur la Russie soviétique est décisif.

Dans les années 70, la Pologne est devenue le principal centre dans le bloc russe, de la reprise mondiale de la lutte de classe.

Le prolétariat en Hongrie et en Allemagne de l'Est était encore sous le coup de la double défaite des années 20 et 50, les ouvriers tchécoslovaques avaient, de plus, à se remettre du coup de la défaite de 1968-69. Ce sont précisément les principaux pays du bloc dans la perspective de l'extension de la révolution mondiale, hautement industrialisés, avec des concentrations significatives d'ouvriers riches en tradition de lutte, proches d'autres cœurs industriels, ceux de l'Europe de l'ouest, dont le plus important, l'Allemagne de l'ouest.

Comme pour la Pologne qui a appartenu autrefois à la "ceinture agricole" avec la Roumanie et la Bulgarie, mais qui entreprit une industrialisation importante après la guerre, son rôle historique consiste à devenir une courroie de transmission révolutionnaire entre le front des pays industrialisés du bloc à l'Ouest, et l'URSS à l'Est. Parce que les ouvriers de l'Europe de l'Est et du centre doivent porter le plus lourd fardeau de la contre-révolution des années 20 aux années 50, la réponse du prolétariat à la réapparition de la crise mondiale ouverte du système capitaliste, y a été PLUS HESITANTE ET INEGALE qu'à l'Ouest. Comme résultat, la courroie de transmission polonaise est apparue bien AVANT l'extension des grèves de masse à l'Est ou à l'Ouest qu'elle pourrait relier les unes aux autres. C'est la véritable base de toutes les illusions sur la Pologne-Exception -ou la notion que la Pologne est le centre du monde- qui continue à attacher les ouvriers aux "solutions" nationales, au capital national polonais, quelle que soit par ailleurs la haine que ceux-ci portent au capitalisme et à son Etat, jusqu'à ce que les grèves de masse explosent ailleurs. Les ouvriers polonais n'étaient pas seuls dans cette période que ce soit au niveau mondial ou à l'Est. Nous avons déjà mentionné la grève-solidarité en URSS avec la révolte polonaise de 1970. Cette explosion était précédée d'une importante grève de mineurs roumains et par la grande vague de grèves en URSS qui avait commencé 18 mois plus tôt. La bourgeoisie de l'ensemble du bloc fut surprise par ce Soulèvement. "Partout les plans  quinquennaux étaient corrigés en faveur de  1'approvisionnement en biens de consommation et  en nourriture. En Bulgarie, les augmentations de prix qui étaient prévues pour le 1/1/71 furent supprimées, en URSS en mars, on fit grand cas de 1'effondrement de certains prix. En RDA, les événements  en Pologne accélérèrent 1'explosion  d'une  crise politique latente qui fut marquée par le remplacement  de Walter Ulbricht par Honecker. Le SED baissa les prix des textiles et autres produits  industriels, après qu'il y eut des troubles sur les hausses de prix cachées, et l'augmentation des pensions" (Koenen, Kuhn, "Freiheit, Unabhàugigkeit und Brot").

En novembre 1972, après un gel des prix pendant deux ans en Pologne imposé à Gierek par les ouvriers de Lodz en février 1971 et qui doit se terminer, les dockers de Gdansk et Stettin se mettent en grève, juste au moment où le Congrès des Syndicats réuni à Varsovie devait voir comment se prononcer contre la prolongation du gel des prix. Gierek se rendit à Gdansk pour calmer les ouvriers. En son absence, les ouvriers du textile de Lodz et les mineurs de Katowice partirent en grève. Le président Jaroszewicz dut passer à la télévision pour annoncer la poursuite du blocage des prix (voir Green dans "Die Internationale", n°13, p.26). Les ouvriers défendirent leur niveau de vie sans hésitation. Dans les chantiers navals de la Baltique en 1974, par exemple, une nouvelle norme de productivité provoqua une grève de protestation massive. Des récits d'incidents similaires viennent de beaucoup d'endroits du pays. En mars 1975, il n'y avait plus de viande dans les magasins. Pour empêcher une explosion prolétarienne, les réserves de viande du l'armée furent envoyées rapidement dans les ports de la Baltique et dans les mines de Silésie. Immédiatement, des ouvriers du textile de Lodz se mirent en grève. Il y eut des émeutes de la faim à Varsovie. A Radom, les ouvriers des Cartoucheries imposèrent la libération de 150 femmes qui avaient été arrêtées après une grève (rapporté dans "Der Spiegel, 15 mars 1975).

En juin 1976, une tentative fut faite d'augmenter le prix de la nourriture de 60%. La réaction fut immédiate. A Radom, une manifestation des ouvriers des Cartoucheries appela tous les ouvriers de la ville à sortir. Le Quartier général du parti fut incendié et 7 ouvriers furent tués en combattant sur les barricades. Une vague de répression s'ensuivit : 2 000 ouvriers furent arrêtés. Au même moment, dans l'immense usine de tracteurs d'Ursus près de Varsovie, 15 000 ouvriers lâchèrent les outils et coupèrent les lignes de chemin de fer Paris-Moscou, prenant en otage le train. La police arrêta 600 ouvriers, et mille autres furent renvoyés immédiatement. A Plock, les ouvriers marchèrent sur le siège du parti, en chantant l'Inter nationale, et sur les casernes pour fraterniser avec les soldats. Là encore, 100 ouvriers furent arrêtés. Cet usage de la répression massive dans des centres industriels secondaires n'a pas pu arrêter le mouvement, parce que les dockers de la Baltique, les ouvriers de l'automobile de Varsovie, les ouvriers de Lodz, Poznan, etc., débrayèrent. Il semble que ce fut qu'une question d'heures qu'ils ne soient rejoints par les mineurs de Silésie. Gierek fut contraint d'annuler immédiatement les hausses de prix. Mais cette concession fut suivie d'une vague d'arrestations massives, de tortures, d'atrocités policières Les augmentations de prix furent faites plus lentement, moins ouvertement, mais sûrement. Face à cette contre-attaque féroce de la bourgeoisie, et du fait que le niveau de vie se détériorait encore malgré les grèves même les plus résolues, le prolétariat en Pologne entra dans une période de repli et de réflexion.

La période de 1976-80 a été un calme relatif sur le front des grèves en Pologne. Pour ceux qui ne voient que la surface des événements, ça a pu paraître une période de défaite. Mais l'approfondissement de la lutte de classe internationalement, la maturation lente mais sûre de la seconde vague mondiale de résistance prolétarienne depuis 1968, qui a déjà dans cette période de 1976-81 atteint un niveau qualitativement supérieur, va révéler le mûrissement des conditions d'une future VAGUE REVOLUTIONNAIRE qui court sous la surface.

Krespel

Géographique: 

  • Europe [13]

Récent et en cours: 

  • Luttes de classe [14]

Heritage de la Gauche Communiste: 

  • La lutte Proletarienne [15]

Convulsions actuelles du milieu révolutionnaire

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Depuis quelques mois, le milieu révolutionnaire vit une série de convulsions politiques, Certaines organisations disparaissent ou se disloquent:

-    le PIC (Pour l'Intervention Communiste -France-) vient de se dissoudre; seule une fraction de celle-ci, le  "Groupe  Volonté Communiste",   continue une existence politique (cf. RI mensuel n° 88)

-    le FOR-Alarma (Ferment  Ouvrier Révolutionnaire)  a dissous sa section en Espagne et  se sépare  de ses camarades aux USA.

D'autres vivent des départs importants de militants :

-    le PCI  (Programme communiste)  vient d'exclure  les sections du sud de  la France et des sections en Italie dont celle de Turin ;

-    au CCI également il y a eu des départs et des exclusions de militants. Il y a encore d'autres groupes qui subissent un recul politique profond :

-    le NCI (Nuclei -Italie- à l'origine une scission du PCI et donc du milieu révolutionnaire) vient de publier un projet d'unification politique avec le groupe crypto-trotskyste, "Combat Communiste" en France ou des déboussolements momentané :

-    le CWO (Communist Workers'Organisation -Grande Bretagne- après avoir défendu contre vents  et marées la nécessité d'une  "insurrection" en Pologne, fait une volte-face dans son appréciation de la situation. (dans le n°4 de Workers'Voice  le CWO appelait à  la "Révolution tout de suite" en Pologne. Dans  le numéro suivant le CWO critique honnêtement son erreur d'analyse qu'il considère maintenant "un  appel aventuriste" Le CWO est un des rares groupes  dans  le milieu révolutionnaire capable de corriger ouvertement  et publiquement ses erreurs).

Pourquoi tous ces bouleversements? Pourquoi l'infime minorité de la classe ouvrière qui constitue son milieu politique se réduit-il encore davantage et que faut-il en conclure? Pourquoi ces échecs et désorientations politiques?

C'est d'autant plus difficile de répondre à ces questions que le "milieu politique révolutionnaire" n'est qu'une juxtaposition de groupes politiques, chacun gardant jalousement ses secrets, ses crises et sa vie dans le silence, en pensant qu'il suffirait de jubiler sur les problèmes des autres pour être à la hauteur de la situation générale. Le milieu politique avec ses divergences politiques et ses différentes organisations n'a pas de cadre pour débattre ses problèmes, pour confronter et clarifier les positions politiques s'il ne s'assume ni par rapport à lui-même ni face à  la classe.

Il  est  donc  difficile  de  dire  avec certitude quelles sont les  raisons politiques précises qui ont  provoqué ces  convulsions. Mais il faut tout   de  même tenter  de faire un  premier  bilan  de la  situation actuelle, quitte à le développer ou  le corriger ensuite. Fous pensons que le milieu politique révolutionnaire actuel :

-    paie le prix des immaturités politiques et organisationnelles qui existent depuis longtemps dans le milieu ravagé par le sectarisme.

-    subit des convulsions politiques dues à une inadéquation de  ses positions politiques et de sa pratique face à la nouvelle situation ouverte par  la grève de masse  en Pologne.

Les problèmes du CCI s'inscrivent, comme ceux des autres  groupes, dans  ce  contexte : comment contribuer à la prise de  conscience de la classe ouvrière dans ces "années de vérité".

L'ECHEC DES CONFERENCES INTERNATIONALES

Les immaturités politiques du milieu qui se paient aujourd'hui et qui se paieront encore demain, se sont déjà clairement révélées dans l'échec des Conférences Internationales de 1977 à 1980, l'échec d'un milieu politique tel qu'il est sorti de la première vague de la lutte de classe en 1968, tel qu'il a subi le reflux des années 70.

Le cycle des Conférences Internationales proposé par Battaglia Comunista et appuyé à fond par le CCI ([1] [16]) marquait la première tentative sérieuse depuis 1968 de briser l'isolement des groupes révolutionnaires.

Depuis le début des Conférences, le PCI (Programme Communiste), dans son isolement dédaigneux, a refusé toute participation, convaincu que le Parti historique formel, indivisible et invariant, existe déjà dans son propre programme et organisation. Croyant vivre seul au monde, le PCI refusait de prendre sa place dans une discussion politique internationale, préférant attribuer aux autres sa propre vision des Conférences : c'est à dire un lieu pour "la pêche à la ligne", du recrutement qui soi-disant ne l'intéressait pas.

Le FOR, après avoir donné son accord de principe à la 1ère Conférence et être venu à la 1ère séance de la 2ème Conférence, s'est retiré dans un coup de théâtre qui cachait mal son incapacité de défendre ses positions, surtout celle qui nie la signification de la crise économique du système en faveur d'une vague théorie d'une "crise de civilisation''.

Le PIC, après avoir communiqué son accord par correspondance, a brusquement changé d'avis. Il a refusé de participer à la discussion en la stigmatisant d'avance comme "dialogue de sourds"...Mais c'est le PIC qui était sourd et le résultat, c'est qu'il ne risque pas d'entendre, puisqu'aujourd'hui il est mort.

Mais le sectarisme ne s'arrêtait pas aux portes de la Conférence; l'esprit de chapelle et le refus d'assumer une discussion jusqu'au bout entravaient tous les travaux de la Conférence.

Il est vrai que les Conférences ont aidé à démanteler le mur de suspicions et de malentendus qui existaient entre les groupes. Elles ont débattu des questions essentielles pour le milieu révolutionnaire : où en est la crise du capitalisme; quelle est l'évolution de la lutte de classe et le rôle des syndicats; le nationalisme et la "libération nationale" ; le rôle des organisations révolutionnaires. Ces débats ont été publiés dans des brochures et diffusés publiquement en trois langues. Dans ce sens, les Conférences constituent un acquis important pour l'avenir.

Mais elles n'ont jamais réellement compris pourquoi elles existaient, ni la gravité de l'enjeu. La sclérose politique, la peur d'aller jusqu'au bout dans la confrontation des analyses et des positions politiques ont fait des débats plus des "matchs" entre groupes "rivaux" qu'une recherche réelle de compréhension et de confrontation fructueuses. Les Conférences, en tant que telles, ont toujours refusé de se prononcer sur des résumés de débats définissant de façon claire les points d'accord et de désaccord pour cerner les divergences. Plus grave encore : sous prétexte que les organisations révolutionnaires n'étaient pas d'accord sur tout, Battaglia Comunista, le CWO et l'Eveil ont refusé d'affirmer en commun avec le CCI et le NCI les principes révolutionnaires de base contre le danger de guerre impérialiste dans le monde actuel! La Conférence est restée "muette" par rapport à ses responsabilités politiques, face à la classe ouvrière. L'idée qu'un groupe révolutionnaire est issu de la classe ouvrière et doit rendre des comptes historiques de sa fonction, qu'il n'est pas un cercle qui peut se permettre de bavarder ou faire la girouette, cette idée n'a pas encore même aujourd'hui pénétré l'esprit de tout le milieu politique,

A la 3ème Conférence, voulant faire une sélection politique a priori, B.C. et le CWO proposaient comme nouveau critère pour la participation aux prochaines Conférences une résolution sur le Parti de classe qui le mettrait, disait-il, à l'abri des "spontanéistes du CCI". Sans discussion réelle, le CCI s'est trouvé ainsi exclu d'emblée des Conférences à venir par une manœuvre sordide.

Des groupes parlaient beaucoup à l'époque du besoin d'une "sélection stricte" parmi les groupes révolutionnaires. Ils voulaient déjà limiter la discussion sur le Parti et sur d'autres questions pour ne pas avoir à confronter les "trouble-fêtes" du CCI. 'Au lieu d'encourager la poursuite d'une confrontation de positions politiques, cette "sélection" par manœuvre qui a préféré attribuer au CCI des positions fantaisistes issues de leur propre imagination que d'entendre celles que le CCI défendait réellement sur le Parti, a étouffé les débats et les Conférences ; il n'y a jamais eu depuis d'autres Conférences. Croyant pouvoir précipiter un "regroupement" prématuré, -séduit par des flirts de B.C.- le milieu politique est passé à côté de la possibilité de créer un cadre responsable pour la discussion politique internationale indispensable.

"La sélection, c'est la pratique de la classe qui 1a fait et non quelques conciliabules entre organisations. C’est pourquoi il ne faut pas surestimer la capacité "de auto-sélection". La vraie sélection, on en parlera en temps voulu".([2] [17])

Et c'est en effet la réalité objective d'aujour­d'hui qui se charge d'une décantation dans le milieu politique. Mais nous n'avons plus de cadre organisé pour débattre les difficultés actuelles ; nous n'avons que des convulsions violentes qui se déroulent surtout dans la confusion et la dispersion.

LES ANNEES DE VERITE

Les Conférences Internationales se sont disloquées en mai 1980, trois mois avant l'éclatement de la grève de masse en Pologne.

Cette grève de masse est le signe le plus significatif de la montée internationale d'une nouvelle vague de la lutte de classe. Elle marque le début d'une phase décisive au cours de laquelle commenceront des affrontements de classe d'une envergure sans précédent et qui, à terme, décideront du sort de l'humanité : guerre capitaliste ou révolution prolétarienne.

C'est la réalité de cette nouvelle période qui jette un défi aux groupes révolutionnaires dispersés : sont-ils suffisamment armés politiquement pour comprendre et faire face à la nouvelle situation?

Pour comprendre les exigences nouvelles il faut saisir l'essentiel de l'accélération du processus historique depuis deux ans :

- L'accentuation grave de la crise économique qui atteint tous les pays du globe y inclus et d'une façon brutale les pays de l'Est mais aussi les géants du bloc occidental : l'Allemagne et le Japon. Aujourd'hui la crise, le chômage, ne parviennent plus à se limiter aux catégories particulières de la société mais touchent au noyau central de la classe ouvrière occidentale; le rationnement et la pénurie à l'Est annoncent l'avenir que la société réserve aux ouvriers partout dans le monde.

-   L'effort de repousser la crise vers les pays périphériques ,1e "Tiers-Monde", n'amortit plus le choc économique pour les grandes puissances ; quant aux pays sous-développés il n'amène qu'un génocide sans espoir, chaque jour plus difficile à cacher.

-   L'aggravation des conflits inter-impérialistes et surtout des tensions entre les deux blocs. La crise contient déjà les prémisses de la guerre, et son déroulement actuel se double d'une préparation accélérée à la guerre. Le danger de guerre existe parce que le capitalisme existe toujours, mais aujourd'hui le chemin vers la guerre généralisée est barré par la combativité du prolétariat.

-   L'accentuation des effets de la crise a provoqué le début d'une nouvelle montée des luttes de classe internationale ; la grève de masse en Pologne en août 1980 annonce les affrontements de classe décisifs des années à venir. Tous les éléments de la situation actuelle convergent dans les leçons de la Pologne et la nécessité de l’internationalisation des luttes ouvrières.

-   La bourgeoisie à l'échelle internationale reconnaît le danger mortel pour son système contenu dans la combativité ouvrière. Par-dessus les frontières nationales et même celles du bloc, la classe capitaliste collabore pour faire face au danger de la grève de masse. Dans les affrontements décisifs de cette période le prolétariat n'aura pas devant lui une bourgeoisie surprise et déconcertée comme dans la période de la 1ère vague de 1968 ; il affrontera une bourgeoisie avertie, préparée à utiliser au maximum ses capacités de mystification, de dévoiement et de répression.

-   La stratégie bourgeoise contre le prolétariat s'appuie essentiellement sur la Gauche et atteint le maximum de son efficacité quand la Gauche est en "opposition" aux partis gouvernementaux cachant ainsi la convergence de tous les partis bourgeois et syndicats englobés dans le capitalisme d'Etat, l'Etat totalitaire de la décadence du système. Le clivage principal de la société, entre la bourgeoisie sénile réfugiée et transmutée dans l'Etat capitaliste hypertrophié et la classe ouvrière, est ainsi caché par la façade du "jeu démocratique" destiné à travers les syndicats et les campagnes idéologiques de la Gauche à désarmer la résistance de la classe ouvrière pour que la répression puisse s'abattre le moment venu. La clé du cours de l'histoire se joue dans la capacité de la classe ouvrière à résister à l'embrigadement derrière la Gauche.

Ces grands traits de la situation actuelle, le prolétariat des principaux centres industriels ne les saisit que partiellement pour le moment. Mais le mûrissement de la conscience de classe face à l'aggravation de la situation objective qui s'est manifesté dans la grève de masse en Pologne n'est pas un phénomène "polonais", mais l'annonce de tout un processus pénible, long et tortueux à l'échelle internationale qui ne se voit pas toujours à la surface jusqu'au jour du débordement. C'est l'annonce d'un processus d'unification de la classe par dessus les barrières capitalistes et ses frontières nationales.

Mais pour les minorités révolutionnaires, celles qui doivent contribuer au processus de prise de conscience de leur classe, les années de vérité posent un défi immédiatement plus tangible dans la mesure où les organisations révolutionnaires opèrent au niveau conscient ou pas du tout. Seront-elles le simple reflet des hésitations et confusions de la classe ouvrière, le reflet de 1'éparpillement du passé ou seront-elles à la hauteur de la grève de masse pour y devenir un facteur actif dans le processus historique? L'histoire ne pardonne pas et si les organisations révolutionnaires d'aujourd'hui ne sont pas capables de répondre aux exigences de  l'évolution de la situation, elles seront balayées sans recours.

LES EXIGENCES DE LA PERIODE ACTUELLE

Il est inévitable que les exigences de cette nouvelle période d'accélération des événements secouent un milieu politique composé essentiellement des groupes constitués pendant les années de reflux et sur la lancée de ce qui restait de -1968. Mais 1968 et la première vague des luttes ouvrières contre la crise n'ont pas laissé suffisamment d'acquis en profondeur pour assurer une stabilité politique aujourd’hui. Par ailleurs, les groupes comme le PCI ou B.C. qui viennent directement des fractions politiques constituées dans la période de contre-révolution d'avant 1968, s'ils assurent une stabilité politique à un certain niveau important, sont atteints d'un processus de sclérose des positions politiques et de la vie de l'organisation qui les expose autant que les autres aux bouleversements de la période actuelle.

De plus, et de façon générale, la pression de la terreur de l'Etat bourgeois s'accroit et détermine en elle-même une décantation en nos rangs de ceux qui n'ont pas encore compris l'enjeu de l'engagement politique.

Nous pouvons très globalement définir les exigences de cette époque de la façon suivante :

-   la nécessité d'un cadre programmatique cohérent, synthétisant les acquis du marxisme à la lumière d'une critique principielle des positions de la 3ème Internationale.

-   la capacité d'appliquer ce cadre à une analyse de la situation actuelle des rapports de force entre les classes,

-   une compréhension de la question de l'organisation des révolutionnaires comme une question politique à part entière, la nécessité de créer un cadre international et centralisé pour cette organisation, de définir clairement son rôle et sa pratique   dans le processus d'unification de la classe ouvrière vers le regroupement des révolutionnaires.

En examinant la trajectoire actuelle de certains groupes politiques y inclus le CCI, nous verrons que ces trois aspects sont liés mais demandent tout de même une attention particulière pour chacun.

1) En ce qui concerne le cadre programmatique des principes de l'histoire du mouvement ouvrier, ne pas se baser sur les acquis du marxisme, c'est se condamner à l'échec sans recours. Des groupes comme le PIC qui dans sa phase finale jetait par-dessus bord les acquis de la 1ère, 2ème et 3ème Internationale en les considérant toutes dégénérées et contre-révolutionnaires, quittent le terrain historique du marxisme pour aller tout droit à la disparition pure et simple. Sans la dimension historique et réelle du marxisme, tout soi-disant "principe" devient une pure abstraction.

Mais il est aussi vrai que nous ne pouvons pas réduire le marxisme à une bible à laquelle on s'accrocherait à la lettre. C'est aussi la voie de la facilité bien que, dans une certaine mesure, moins immédiatement catastrophique pour un groupe. Encore faut-il dire que l'idéologie bourgeoise utilise toujours les erreurs du mouvement ouvrier du passé comme véhicule pour une pénétration en milieu ouvrier et sa trahison.

Un cadre programmatique adéquat aujourd'hui implique forcément un réexamen critique des erreurs de la 3ème Internationale. Les continuateurs directs de la Gauche italienne aujourd'hui se sont arrêtés à mi-chemin du bilan critique des positions de TIC. C'est pour cela qu'un groupe issu de la Gauche italienne et qui s'en revendique, le NCI, peut aujour­d'hui penser s'unir à une variante du trotskysme : sur la question syndicale, sur la "libération nationale" et même sur le parlementarisme. Il n'y avait qu'un pas à franchir pour trouver un terrain "d'entente" avec le trotskysme. Ce que le NCI fait dans la réalité reste un danger implicite -le glissement vers le gauchisme- pour tous ceux qui se réclament "intégralement" des positions du 2ème Congrès de l'IC après 60 ans d'expérience syndicale, nationale et parlementaire. Nous l'avons vu avec les "groupes syndicaux" et le "Front unique à la base" de B.C. et les scissions qui ont suivi en 1980. Nous voyons ce danger aujourd'hui dans le PCI (Programme) avec sa "tactique" de Front contre la répression qui semble être un des éléments qui a provoqué la scission récente.

De plus, l'aveuglement de la plupart de ces groupes par rapport aux contributions positives de la Gauche allemande des années 1917-21 les laisse sans cadre pour comprendre réellement la grève de masse en Pologne et sa signification politique. (Pour une analyse de la grève de masse aujourd'hui, voir la Rint n°27  "Notes sur la grève de masse, hier et aujourd’hui")

La grève de masse en Pologne soulève concrètement pour la première fois depuis 1917,1a question du rôle des Conseils ouvriers ce que mai 68 en France n'a posé que confusément en paroles à travers les "comités d'action" où se mélangeaient la contestation étudiante et le début d'un réveil du prolétariat. Pour ceux de la Gauche italienne, ou ceux qui subissent son influence comme le CWO, le schéma d'une classe ouvrière et ses conseils comme simple masse de manœuvre pour le Parti qui, lui, prendrait le pouvoir, colle de moins en moins à la réalité de notre époque parce que c'est une erreur théorique pour laquelle la classe ouvrière a déjà payé très cher. (Pour les implications de la Pologne au niveau de la question du Parti, voir la Rint n°24 "A la lumière des événements en Pologne, le rôle des révolutionnaires"). De plus, pour le PCI (Programme) par exemple, les syndicats, les comités de grève, les conseils ouvriers sont tous au même niveau des manifestations de "1'associationnisme ouvrier" à subordonner au Parti ; de cette façon non seulement ce groupe ne saisit pas la dynamique même de la grève de masse mais les événements de la Pologne révèlent leur ambiguïté de principes sur la question syndicale. Les confusions sur le rôle des syndicats aujourd'hui et les illusions sur un travail "syndical" soi-disant "à la base" ou "radical" aboutissent à faire le jeu de Solidarnosc et, qu'on le veuille ou non,. contribuent à enchainer le prolétariat à l'Etat.

L'éclatement de la grève de masse a mis en évidence les insuffisances programmatiques de beaucoup d'organisations. Des groupes n'ayant pas un cadre théorique leur permettant de reconnaitre une grève de masse quand ils en voient une, n'ayant pas un cadre d'analyse qui leur permet de comprendre la période actuelle et de pouvoir réagir rapidement aux surgissements brusques de la classe ouvrière, tombent facilement dans des prises de positions superficielles et erronées. Quand on ne comprend pas que la prise de conscience du prolétariat est un processus, on devient facilement blasé sur les efforts des ouvriers, en ne voyant que les faiblesses, en ignorant les enseignements positifs et les potentialités. De plus, les tendances activistes des groupes les poussent à une vision localise : ce qui se passe "chez soi" semble avoir plus d'importance que des grèves "lointaines" en Pologne dans lesquelles il est difficile d'avoir une présence "physique" (locale) directe. Ainsi la signification politique la plus importante de la Pologne n'a pas été comprise la nécessité pour les organisations politiques de généraliser les leçons de la Pologne au prolétariat international.

Si dans un premier temps, des groupes ont eu tendance à sous-estimer l'importance historique de cette expérience, certains sont ensuite tombés dans l'excès contraire : ils appelaient à une "insurrection" dans la seule Pologne. Ce genre d'appel, de toute façon aventuriste dans le contexte actuel soulève une question de fond sur le mûrissement des conditions de la révolution. Nous avons commencé une discussion sur 1' internationalisation dans la Rint n°26 "Les conditions historiques de la généralisation de la lutte de la classe ouvrière", sans beaucoup d'écho dans le milieu.

Les incompréhensions et faiblesses politiques ont toujours des répercussions au niveau de la vie organisationnelle des groupes. Le PIC par exemple a sérieusement sous-estimé l'envergure de la grève de masse. Deux exemples. A la suite des événements d'août 1980 le PIC n'avait d'yeux que pour les "curés" et le syndicalisme. Cette prise de position erronée a donné lieu à une discussion au sein du groupe qui aboutissait à une rectification de sa position dans sa revue la 'Jeune Taupe'! Mais des divergences ont sans doute subsisté se rapportant au niveau d'une discussion sur le rôle des organisations révolutionnaires. Trois idées sur l'organisation sont sorties de ce débat donnant lieu à trois tendances, les trois, plus floues les unes que les autres. Ceux qui défendaient l'idée la moins floue sont partis pour former "Volonté Communiste" à Paris laissant ainsi le PIC se dissoudre. En effet c'était l'aboutissement logique quand on ne sait pas pourquoi on existe.

Le FOR de son côté est aussi passé à côté de la signification profonde de la Pologne. Ce groupe, qui n'a jamais fait d'analyse des conditions objectives menant à une prise de conscience révolutionnaire, croit que la révolution est "toujours possible", et n'est qu'une question de "volonté". C'est pour cela qu'il a pu écrire : "Le mouvement (en Pologne) montre plus d'insuffisances du point de vue révolutionnaire que d'aspects positifs" (Alarme fin 80) et en même temps il appelait à la formation des conseils ouvriers et à la révolution communiste. C'est comme son tract enflammé à l'époque de la grève Longwy-Denain en France qui appelait à la prise du pouvoir! Une divergence sur l'appréciation des événements en Pologne semble être une des raisons du départ (ou exclusion?) des camarades du FOR (groupe Focus) aux USA.

C'est tout de même grave que des organisations politiques de la classe ouvrière puissent se tromper si lourdement face à des événements d'une telle portée historique. De plus, des appels aventuristes peuvent, dans un contexte de demain, avoir des répercussions d'une gravité désastreuse. Si le milieu politique actuel n'arrive pas à être à la hauteur de sa tâche au niveau des principes il sera voué à la décomposition.

2) Au niveau de la concrétisation des principes pour dégager des analyses et des orientations politiques  ponctuelles," l'accélération des événements a aussi inévitablement posé des problèmes aux groupes. Le PIC avec sa théorie de "l'effritement des blocs" (tandis qu'en réalité les deux grands blocs s'affrontent de plus en plus nettement) s'est perdu à  ce niveau parce qu'il ne savait pas distinguer entre les intérêts économiques particuliers de certains pays (le Japon et 1'Allemagne) et le besoin militaire, stratégique et économique beaucoup plus puissant et global qui pousse à l'intégration dans un bloc au risque de périr. La nature profonde du capitalisme d'Etat et la tendance totalitaire de la bourgeoisie en décadence échappaient au PIC comme d'ailleurs au FOR.

BC voyait la contre-révolution jusqu'en 1980 mais prévoyait la "social-démocratisation des partis staliniens"(en prenant pour argent comptant "1'Eurocommunisme") tandis qu'en réalité le jeu de 1'"opposition" les pousse vers le contraire. Le CCI avait du mal à concrétiser les aspects de la nouvelle période dans l'analyse de la gauche dans l'opposition et s'est livré à des pronostics électoraux locaux qui se sont avérés erronés clans la réalité. Aujourd'hui nous voyons plus clairement comment approfondir ce cadre d'analyse mais cet effort a causé des secousses dans l'organisation.

C'est inévitable que la situation actuelle où l'on voit un surgissement lent et douloureux de la conscience de classe en réponse à une CRISE ECONO­MIQUE DU SYSTEME, déroute un peu les organisations révolutionnaires. Dans l'histoire de 1871, de 1905 et de 1917 c'était la guerre impérialiste qui a directement et brusquement fait surgir l'insurrection. Pour tous les groupes (surtout ceux comme le PCI qui refusent de voir la révolution venant d'autre chose qu'une guerre même aujourd'hui) cette situation pose de nouvelles questions qui n'ont pas de parallèle directe avec les luttes ouvrières face aux crises~~cycliques du capitalisme ascendant. La capacité de s'orienter clairement dans la pratique dépend surtout de la solidité et du bien-fondé des principes. C'est la clarté théorique et programmatique qui seule peut nous orienter tous et qui décidera de notre sort en tant que groupes politiques.

Ce qu'il ne faut pas faire dans cette période de montée des luttes, c'est se paniquer de ne pas rencontre^ un écho immédiat dans la classe et glisser à travers des tendances activistes vers le gauchisme. On a vu où cela mène le NCI. On a vu l'activisme du PIC se résoudre dans le néant. On croit voir ceux qui prônent la tactique du "front anti répression" exclure les non-convaincus du PCI ; nous voyons le contraire dans le CCI : ce sont entre autres, les tendances activistes et gauchistes qui nous quittent. On a vu aussi l'impatience de "l'insurrection", on a vu miroiter des projets pour des "comités ouvriers" dans les usines à tout bout de champ - mais on n'a rien vu encore. La lutte de classe risque de nous secouer encore plus durement si nous ne savons pas développer notre intervention SANS TOMBER DANS L'ACTIVISME. Et surtout si la question principielle du rôle de l'organisation des révolutionnaires n'est pas claire.

3) La question d'organisation est généralement celle qui cristallise toutes les autres dans un moment de bouleversement. Des aspects à souligner ici se résument essentiellement à la nécessité de répondre aux exigences de l'époque actuelle par un cadre organisationnel international. Seule une organisation internationale peut faire face aux besoins du prolétariat et son unification comme classe à travers l'internationalisation des luttes. La dislocation de l'effort international du FOR montre ce que nous disons depuis longtemps : ce n'est pas si facile de créer une organisation internationale dans laquelle existe une vie politique intense mais unie. On ne l'improvise pas et surtout pas sans une vision cohérente de l'activité et d'analyse révolutionnaires. Le CCI a aussi subi une crise récemment qui tournait essentiellement autour de la question : centralisme ou fédéralisme ; l'unité de l'organisation ou agitation individuelle. Ces difficultés nous amènent à réexaminer profondément si toute notre organisation a bien assimilé les principes de la centralisation et nos statuts du fonctionnement. Nous allons développer ce point plus loin.

Les scissions, 1'éparpillement des organisations révolutionnaires vont évidemment à rencontre de la tendance générale de cette période historique de montée des luttes : La tendance vers l'unification de la classe et de ses expressions politiques. ([3] [18]) Nous avons toujours dit que l'attitude du PIC qui avait scissionné du CCI pour une histoire d'un tract sur les événements au Chili (tract que d'ailleurs le CCI a sorti quatre jours après) était un acte irresponsable. On ne rentre et on ne sort pas d'un groupe politique comme d'un magasin. Il est possible et même probable que des actes irresponsables de ce genre cachent des divergences de fond mais ce comportement interdit la discussion : on ne sait pas quels sont alors réellement les points de désaccords, ni si leur gravité exigerait un départ. En agissant ainsi on n'aide en rien le développement du milieu politique.

De la même façon, plusieurs groupes ayant abouti à la même plateforme de base du CCI (dont le CWO et l'ancien Workers Voice) refusaient en 1975 de s'associer à la formation du CCI, une attitude que nous avons également considérée irresponsable. Un groupe se définit par sa plateforme ; on ne fait que discréditer l'idée même du rôle des révolutionnaires en maintenant une existence séparée pour des raisons secondaires ou localistes. Par la suite les groupes de cette époque, dans la mesure où ils ont survécu, ont trouvé bien des "raisons" et de nouvelles positions pour justifier une vie séparée sans réellement vouloir confronter le problème du sectarisme.

Mais si nous pensons que le processus d'unification doit s'entamer à la lumière de la lutte de classe, nous ne considérons pas la décantation actuelle comme une chose entièrement négative. Nous ne regrettons pas qu'un groupe confus comme le PIC disparaisse et élimine ainsi un écran de fumée des yeux de la classe ouvrière. Nous ne regrettons pas non plus que des éléments qui virent vers le gauchisme ou la démoralisation nous lâchent la main.

Si le milieu politique doit payer ses immaturités, que cela se fasse le plus complètement possible. On s'est souvent demandé comment allait se forger l'unité de demain :par un processus graduel d'élargissement du milieu des années 70 ? Maintenant nous avons en partie la réponse : ce ne sera pas à travers un élargissement progressif mais à travers des convulsions, des heurts, des crises qui balaieront les débris qui ne servent pas à l'avenir, à travers des épreuves pour tester la validité politique et organisationnelle du cadre existant. Le vent de la destruction n'a pas fini de souffler mais quand la lutte de classe aura éprouvé ce milieu d'aujourd'hui il y aura alors des bases plus claires pour un nouveau point de départ.

LES DEBATS DANS LE CCI nos activités et de nos réflexions.

Les exigences de la nouvelle période ont aussi provoqué un certain bouleversement dans le CCI. L'origine de ces difficultés se trouve, comme toujours, dans des faiblesses au niveau politique et organisationnel.

Au 3ème Congrès du CCI en 1979 nous avons décidé de répondre à l'ouverture de la nouvelle période de montée des luttes ouvrières par une accélération et un élargissement de notre intervention. Cette orientation était juste et nécessaire, mais elle était souvent mal interprétée au sein de l'organisation.

L'intervention du CCI dans la grève des dockers à Rotterdam, à Longwy-Denain ([4] [19]) ou à la Sonacotra en France, dans la grève de la sidérurgie en Grande-Bretagne par exemple, révélait certaines: incompréhensions politiques. Est-ce qu'une organisation révolutionnaire intervient au niveau des collectes d'argent, principalement en tant que "porteurs d'eau" aux ouvriers en lutte ou est ce qu'elle doit intervenir au niveau politique dans les assemblées générales? Que dire quand les ouvriers sont embrigadés dans des "comités de grève" syndicaux destinés à étouffer la lutte.

Il est normal que de telles questions et bien d'autres surgissent quand une organisation commence à être "testée" par la lutte. Nous avons répondu au niveau global par une étude approfondie des conditions générales de la lutte ouvrière dans la période de décadence en insistant sur les différences entre aujourd'hui et le l9ème siècle et sur l'impossibilité et le danger d'employer les mêmes tactiques du passé sans réexamen profond et critique. (Voir la Revue Internationale n°23 "La lutte du prolétariat dans la décadence du capitalisme"). Mais nous avons eu du mal à concrétiser cette appréciation synthétique et l'organisation a eu tendance à rester à la surface de la discussion, ce qui ne permettait pas une réelle assimilation de ces nouvelles données.

De plus, nous avons eu à réagir contre une tendance à glisser sur les principes surtout dans la grève de la sidérurgie en Grande-Bretagne. Bien que l'organisation en tant que telle se soit prononcée clairement sur la nature syndicale de ces "comités de grève" qui étouffaient l'énorme combativité ouvrière, certains camarades par activisme ou par démoralisation commençaient à mettre en question la base même de notre position sur les syndicats aujourd’hui, en voulant voir dans les émanations syndicales une forme "hybride" permettant "un pas en avant". Cette discussion rejoignait celle sur les dangers du "syndicalisme de base" ou "radical", sur le danger d'un glissement vers le gauchisme et des pratiques gauchistes.

De façon générale l'élargissement de notre intervention était trop souvent compris comme un feu vert aux tendances immédiatistes ou localistes au détriment d'une intervention politique à long terme, au détriment de notre unité internationale. On avait tendance à surestimer les possibilités d'un écho immédiat dans la classe, â surestimer des luttes qui n'étaient que des préludes aux affrontements plus décisifs. La fixation d'une partie de l'organisation sur la grève de l'acier en G.B. a failli les aveugler aux événements de la Pologne. Mais en fait, c'était la grève de masse en Pologne qui nous a aidés à rectifier le tir à ce niveau de

Le CCI, qui s'est formé pendant la période de reflux momentané en 1975 a trop souvent pensé que lorsqu'une montée de luttes commencerait de nouveau, tous nos problèmes allaient s'évanouir dans l'enthousiasme général. Maintenant on comprend que ce n'est pas le cas et que c'est une vision bien infantile de l'épreuve de l'histoire. Si au niveau de nos analyses de la lutte de classe nous avons pu arriver assez rapidement à clarifier le débat, l'organisation avait tendance à vouloir voir seulement du côté du prolétariat et non pas un rapport de force entre les classes. Bien que nous avons développé le débat sur le Cours historique au niveau théorique, au niveau quotidien immédiat il y avait une résistance à analyser la réponse de la bourgeoisie comme un tout, sa stratégie globale contre la lutte ouvrière. Des camarades croyaient qu'on allait se transformer en "chercheurs bourgeois" à force de tant discuter sur la stratégie de la bourgeoisie! On avait du mal à saisir le fait qu'il est de la plus grande importance de comprendre le jeu de son ennemi de classe.

Au début de la période de montée des luttes en 1978-79 nous avons écrit sur les "années de vérité sur le potentiel de la situation qui allait s'ouvrir et l'effort de l'Etat bourgeois de se protéger en utilisant à fond le syndicalisme de base et la "gauche dans l'opposition". Quand on commence à énoncer une nouvelle analyse, elle apparait forcément limitée à des grandes lignes, donnant l'impression d'un schématisme. Par exemple, notre courant politique en parlant de la crise du capitalisme en 1967-68 a passé pour "fou" du fait que superficiellement il y avait beaucoup de données qui semblaient contredire cette thèse. Pourtant, elle était juste. De la même façon, l'analyse de la période actuelle et de la "gauche dans l'opposition" nécessitait un approfondissement surtout qu'apparemment et "formellement" il semblait que nous nous soyons trompés en voulant l'appliquer à des pronostics électoraux locaux à un niveau trop ponctuel sans tenir compte des dérapages toujours possibles. Néanmoins nous continuons la recherche et la rectification dans le cadre général « qui reste pour nous toujours fondamental. Il y avait cependant des camardes qui, à la suite des élections en France ont voulu abandonner toute référence à un cadre, jetant l'enfant avec l'eau sale. Nous avons ouvert ce débat publiquement. dans notre presse (cf. la revue n°26; RI n°87; World Révolution août 1981) et nous le continuerons s'il le faut. Nous publierons dans un prochain numéro une étude, fruit de notre discussion interne, sur la bourgeoisie en période de décadence, liée au développement du capitalisme d'Etat. Pour nous, ce n'est pas l'existence de divergences qui représente la faiblesse la plus dangereuse en notre sein mais des réactions impulsives quand on oublie la nécessité des analyses cohérentes ou quand on nie tout besoin de cadre théorique. C'est se résigner à un déboussolement total. Sur le fond et dans ce cadre nous continuerons la discussion sur la gauche dans l'opposition et ses implications.

Sans vouloir se laisser aller à une autosatisfaction dangereuse, il faut dire que malgré des faiblesses politiques conjoncturelles, le CCI dispose d'un cadre de principes cohérents qui lui a permis de répondre aux événements et de continuer son travail en rectifiant s'il le faut ses erreurs. Contrairement aux groupes politiques qui ne sont pas armés pour faire face à la période actuelle et à venir, le CCI, s'il reste dans la rigueur de l'application de sa méthode et de ses principes, est capable de tenir le coup et de contribuer beaucoup au combat du prolétariat  C'est là toute la différence entre une appréciation conjoncturelle erronée sur des élections en France et une incapacité de comprendre une grève de masse ou le Cours historique.

LES DIFFICULTES ORGANISATIONNELLES

Comme nous l'avons dit, des faiblesses politiques traduisent au niveau organisationnel, en l’occurrence pour le CCI, un manque de rigueur dans les analyses immédiates, conjoncturelles et les activités qui ont donné lieu à toute une série de discussions sur le fonctionnement interne :

-   Sommes-nous des "individus" face à la classe ouvrière (le mythe du révolutionnaire "franc-tireur") ou est-ce-que la classe ouvrière secrète des organisations politiques qui assument une responsabilité collective devant la classe?

-   Sur le droit des minorités par rapport à l'unité de l'organisation. Nous pensons qu'une minorité, tant qu'elle n'a pas convaincu l'organisation de la validité de ses positions, doit se tenir au seul mode de fonctionnement que nous connaissons, l'exécution des décisions collectives prises majoritairement. Ces décisions ne sont pas obligatoirement justes (l'histoire a souvent montré le contraire) mais tant que l'organisation n'a pas changé d'avis, elle parle avec une seule voix, celle de son unité internationale. Cela ne veut pas dire que nous gardons nos divergences "secrètes"- au contraire nous pensons qu'il est nécessaire d'ouvrir publiquement nos discussions internes.

Mais aucune minorité ne peut se livrer à saboter le travail global. Certes, il est difficile de vivre avec des désaccords sur des questions d'analyse, il est difficile de faire vivre une organisation non monolithique mais nous sommes convaincus que c'est le seul moyen principiel de faire en sorte que la vie politique du prolétariat traverse réellement une organisation révolutionnaire.

-  Le centralisme contre le fédéralisme. Des tendances localistes peuvent toujours surgir dans une organisation internationale mais ce serait notre mort que d'y céder ([5] [20]). Nous avons aussi assisté à des débats qui parfois dégénéraient vers la calomnie sur le fonctionnement interne que certains stigmatisaient comme "bureaucratique" pour la seule raison que notre règle de prise de décision est conçue de façon centralisée.

Nous ne prétendons pas exposer ici tous les aspects de ces débats. Nous y reviendrons. Mais si toutes les critiques n'étaient pas entièrement sans fondement, il y avait surtout des problèmes à revoir et des erreurs à corriger concernant une assimilation incomplète de nos positions de fond sur l'organisation, une tendance à accepter des adhésions à la va-vite, un manque de rigueur de notre pratique organisationnelle, etc.

Ce qu'il faut surtout retenir est que les grandes lignes de cette discussion recouvraient des divergences de fond. L'histoire du mouvement ouvrier nous montre qu'une question d'organisation a souvent été un critère de discrimination d'une gravité profonde ; on n'a qu'à se rappeler des débats dans l’AIT sur le centralisme et le fédéralisme entre Marx et Bakounine, ou le débat sur les critères d'adhésion au 2ème Congrès du parti social-démocratie russe qui a déterminé la scission entre bolcheviks et menchéviks. Aujourd'hui la question de l'unité internationale d'une organisation politique prolétarienne est un point capital, de même la question de l'engagement militant et la responsabilité collective d'un groupe. Le mouvement d'aujour­d'hui souffre encore de la hantise des pratiques staliniennes inqualifiables et cette hantise continue à entraver un véritable travail organisationnel. Le mouvement souffre soit d'un étouffement des débats et des minorités, comme dans le PCI, soit des minorités ne reconnaissant ni leurs devoirs envers l'organisation ni l’acquis précieux pour le prolétariat que représente une organisation révolutionnaire comme cela s'est manifesté parfois dans le CCI.

Après notre 4ème Congrès où nous avons tous constaté des incompréhensions organisationnelles, nous avons décidé d'engager une période de discussion à fond sur les questions organisationnelles devant aboutir à une Conférence extraordinaire du CCI. Cette Conférence devrait nous permettre de tirer un bilan sur l'expérience organisationnelle du CCI depuis ses débuts et d'améliorer son fonctionnement.

Nous prenons la responsabilité collective pour les incompréhensions qui avaient surgi en notre sein. Ce n'est pas notre intention, ni à l'intérieur de notre organisation, ni à l'extérieur, de faire de ceux qui sont partis du CCI les boucs-émissaires de nos erreurs. Les faiblesses de notre organisation sont un produit de l'ensemble et c'est souvent des raisons secondaires, même accidentelles qui font que certains individus cristallisent plus que d'autres (d'autres qui souvent partagent leurs idées à un moment donné) les difficultés de l'ensemble.

Mais les événements dans le CCI se sont précipités cet été. Alors que nous commencions la discussion dans les bulletins internes, une "tendance" s'est déclarée précipitamment, sans document précisant ses positions, faisant circuler "clandestinement" et en dehors de l'organisation toute une série d'écrits la dénigrant. Trois jours après que l'organisation ait enfin reçu officiellement un document collectif annonçant la formation de la tendance/ certains de ses membres avaient préféré à la discussion un départ précipité et chemin faisant, de voler le matériel et de retenir l'argent de l'organisation en leur possession. Sans autre clarification des divergences, sans attendre la Conférence, d'autres sont partis, plus simplement, par démora1isation.

LES RECENTS EVENEMENTS

Pourquoi ces discussions ont tourné si brusquement au pire et si mal? Pourquoi s'accompagnaient-elles d'une campagne de calomnies sans précédent de la part de ces ex-camarades contre le CCI? En partie sans doute parce que nous avons mis trop de temps à réagir politiquement. Mais la raison principale est que derrière cette précipitation se trouve la manipulation d'un élément particulièrement dangereux, le nommé Chénier. Nous disposons actuellement de documents montrant l'existence de tout un complot secret et sordide, planifié minutieusement de sang froid faisant circuler des ragots et toutes sortes de "projets" et des instructions, de la part de Chénier sur comment torpiller l'organisation, de se débarrasser des tâches organisationnelles, du comment jouer sur les cordes sentimentales, et de multiplier des intrigues par un réseau clandestin personnel, du comment "noyer" les organes centraux et faire un travail de sape et "sans scrupules". On peut regretter qu'un certain nombre de camarades se soient laissés entraîner par lui dans une fièvre de contestation et dans une correspondance et des réunions clandestines créant une organisation clandestine surprenante au sein de l'organisation. La trajectoire de Chénier dans le milieu politique montre qu'il a agi pareillement dans tous les groupes où il est passé aboutissant' chaque fois à leur désorganisation.

Quand le CCI a publié dans sa presse "l'avertissement" contre les agissements de ce Chénier, il n'a fait que son devoir envers le milieu politique. Certains ont cru lire et interpréter dans ce que nous avons publié une dénonciation plus précise ; ils sont dans Terreur. Nous n'avons pas de preuves formelles de son appartenance à une agence de l'Etat ou quelque chose de similaire et nous ne l'avons jamais prétendu. Nous avons dit par contre que c'est un élément dont le comportement trouble est dangereux pour les organisations politiques et de cela nous sommes profondément convaincus. Quiconque voudrait ignorer cet avertissement doit savoir qu'il le ferait à ses propres dépens comme le CCI l'a appris par expérience. Tout groupe politique peut s'informer de sa trajectoire auprès des uns et des autres. Ce que l'on peut affirmer, c'est que ceux qui travaillent délibérément à la destruction des organisations révolutionnaires pour le compte de l'Etat ou d'autres appendices n'agissent pas autrement que ne l'a fait Chénier.

La réponse du milieu politique à cet avertissement montre ses faiblesses. C'est comme si une telle éventualité n'avait jamais traversé l'esprit de certains groupes. Croit-on réellement que le problème de la sécurité ne se pose pas? De toute façon le sectarisme de certains, comme le GCI, fait qu'il utilise notre effort simplement pour mieux dénigrer le CCI. Il croit que "cet avertissement ne sert qu'à jeter le discrédit sur un militant en rupture et l'ensemble de sa tendance", (lettre du 17/11/81 au CCI). Le CCI a vu bien des départs de camarades (y inclus le GCI) et il n'a jamais "utilisé" autre chose que la discussion politique pour répondre aux questions politiques. Dans les 13 ans d'existence de notre courant politique nous n'avons jamais exclu ([6] [21]) des militants pour divergences politiques, et encore moins descendu au niveau d'inventer des histoires sur le plan de la sécurité. Si nous avions voulu faire des "manœuvres", nous aurions agi comme Chénier : dans le secret, dans le complot, en ne disant rien à personne. Mais notre but n'est pas de nous "débarrasser" des personnes énonçant des désaccords politiques, au contraire, c'est le départ précipité et éhonté de certains membres de cette "tendance" manipulés par Chénier qui a fermé la porte à la clarification des désaccords avec eux. Et pour cause - un manipulateur craint toujours la discussion ; la discussion ouverte lui coupe les moyens de tirer les ficelles qui lui permettent de travailler les individus. C'est pour éviter la discussion que Chénier a précipité les départs et nous le dénoncions pour son travail de destruction.

Il est normal que des groupes politiques sérieux nous posent des questions ; on peut, dans une certaine mesure, se méfier des accusations. Nous regrettons que le milieu politique n'a pas aujourd'hui le moindre cadre pour s'entendre et régler des problèmes de cette nature en même temps qu'il poursuit la confrontation des positions politiques, parce que nous aurions tout de suite ouvert cette question à la collectivité. Cette collectivité n'existant pas, nous avons pris nos responsabilités et nous avertissons les autres, même ceux qui préfèrent utiliser ces avertissements pour alimenter leurs mesquins sentiments "anti-CCI". Aujourd'hui que nous avons récupéré la plupart du matériel volé, nous considérons l'affaire Chénier close. Maintenant que Chénier est arrivé au terme de son travail de destruction, profitant d'un moment de faiblesse du CCI, il peut se retirer de la politique.

En volant l'organisation, les autres ex-camarades (Chénier mis à part) ne réalisaient pas , sans doute, la gravité de leur acte. Surtout quand on vient du milieu gauchiste c'est une pratique courante. En réagissant par rapport à cet acte révoltant, le CCI a défendu non seulement son organisation mais une POLI­TIQUE GENERALE PAR RAPPORT AUX MOEURS DANS LE MOUVE­MENT REVOLUTIONNAIRE.

Voler les ressources collectives d'une organisation révolutionnaire, c'est la réduire au silence. C'est un acte politique d'une signification grave. Nous avons averti par" écrit tous les éléments concernés que nous condamnons cet acte et que nous allions réagir. Ils ont répondu en disant que le CCI est une bande de "propriétaires outragés" en nous disant que le matériel volé est "une compensation pour leurs cotisations" versées antérieurement! Ainsi un trésorier, en décidant de partir pourrait enlever la caisse. Une organisation révolutionnaire serait-elle une entreprise d'investissements – et quand on en a marre, on retire "ses" actions avec intérêts si possible?                                          ;

Le CCI n'est pas un groupe de pacifistes. Nous avons, récupéré notre matériel. Devant notre effort légitime et tout à fait contrôlé de récupération, nos ex- j camarades ont, à plusieurs reprises, menacé de faire appel ...à la police. Tout cela sans doute en raison de leur lâcheté autant que de leurs confusions politiques.

La non violence au sein du milieu révolutionnaire, l'interdiction de régler les désaccords par le vol et la violence est un principe qu'il est absolument indispensable de défendre et sans lequel toute activité révolutionnaire est impossible. Nous l'avons défendu non seulement pour le CCI mais pour le milieu révolutionnaire dans son ensemble. Peut-on, en quittant un groupe révolutionnaire tenter de le détruire? A-t-on le droit, parce que "cela vous arrange" de décider du jour au lendemain qu'un groupe est "dégénéré", "mort", "inutile" ou "bureaucratique", pour mieux lui nuire par le vol de ses moyens d'intervention? Ce sont des mœurs du marasme gauchiste et si des groupes révolutionnaires ne prennent pas clairement et publiquement position là-dessus, le mi' lieu révolutionnaire n'existe pas. Si les organisations révolutionnaires ne réagissent pas contre le sectarisme qui fait que le groupe révolutionnaire voisin devient l'ennemi n°1, il ne restera plus rien du milieu politique dans la période à venir. Par cette porte entrera toute la pression de l'Etat bourgeois pour détruire les organisations révolutionnaires. La question de  la non violence au sein des organisations révolutionnaires et entre elles n'est qu'un petit aspect d'une question beaucoup plus profonde et fondamentale : celle de la non violence au sein de la classe ouvrière. Cette question, nous l'avons soulevée et développée et il serait temps que les autres groupes qui se disent révolutionnaires se prononcent clairement là-dessus.

Le CCI continue ses préparations pour la Conférence extraordinaire et cela même en l'absence des individus directement concernés nous continuerons à débattre leurs positions politiques pour mieux définir notre orientation.

Pour l'ensemble du milieu politique, comme pour le CCI, ou on saura être à la hauteur des années de vérité ou on sera amené à disparaitre.

J.A.


[1] [22] Les participants aux Conférences Internationales étaient Battaglia Comunista (Italie), le NCI (Italie),le CCI, le CWO (Angleterre), Internationell Révolution (Suède- aujourd’hui une section du CCI) et à la 3ème Conférence, également l’Eveil internationaliste (France).

Le GCI (Gauche Communiste Internationaliste- Belgique) une scission du CCI en 1978 est venu comme observateur à la 3ème Conférence. Leur "participation" consistait à dénoncer la Conférence et à saboter l'ordre du jour.  Pour les critères politiques sur lesquels on jugeait la participation à ces  Conférences de discussion, voir les trois Bulletins  des   Conférences.

[2] [23] "Le Sectarisme, un héritage de la contre-révolution à dépasser" Rint n°22 sur le bilan de la 3ème Conférence internationale.

[3] [24] Bien que cette tendance vers le regroupement des révolutionnaires soit la meilleure expression des besoins de classe, nous ne la considérons pas comme un absolu. Cette tendance ne s’achève pas toujours dans la création d’un seul parti de classe avant la révolution. Nous  rejetons la conception bordiguiste qui n1admet, par principe, qu'une seule expression politique du prolétariat.

[4] [25] cf. la Rint n°20 "Réponse à Nos Censeurs".

[5] [26] Les ex-camarades qui forment aujourd'hui le groupe News of War and Révolution ont quitté le CCI en juin et expriment un aspect de cette faiblesse localiste et fédéraliste. Pour eux, seule une organisation petite et locale peut être réellement démocratique. Pour eux comme pour nos ex membres à Manchester, l'effort de former le CCI "était prématuré". Nos ex-membres à Manchester pensent travailler avec des éléments venant du milieu "libertaire" en décomposition de Solidarity se dédiant aussi à un travail local, aussi bien en théorie qu'en pratique, (cf.  WR nov. 1981) L'Ouvrier Internationaliste à Lille semble s'arrêter après 2 numéros, après avoir fait du "porte à porte" (dans la pure tradition de L.O.) pour "intervenir" et "vendre'.'

[6] [27] Le CCI a exclu les camarades qui ont volé l'organisation pour "comportement indigne de militants communistes". Contrairement aux bruits qui circulent (notamment dans la lettre du GCI) les 2ex-membres du CCI en Angleterre qui forment News of War and révolution n'ont rien à voir ni avec le vol, ni avec la récupération, ni avec les exclusions. Leurs prises de positions profondément erronées dans cette affaire et que nous critiquons par ailleurs, ne sont pas à mettre au même niveau.

Conscience et organisation: 

  • Courant Communiste International [28]

Courants politiques: 

  • Gauche Communiste [29]
  • En dehors de la Gauche Communiste [30]

Critique de «LÉNINE PHILOSOPHE» de Pannekoek (Internationalisme, 1948) (3ème partie)

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Cette  critique de "Lénine philosophe" de Harper  (Pannekoek)  d'INTERNATIONALISME  (1948)   est   la  suite des  articles parus  dans  les  n°25  et  27 de la REVUE  INTERNATIONALE (Se reporter à 1'introduction  du  n°25).

"... LA REVOLUTION RESERVE UNE CHAIRE  D'HISTOIRE ANCIENNE A KAUTSKY..." ET DE PHILOSOPHIE A HARPER

Après les quelques critiques que nous avons pu adresser à la philosophie de Harper, nous voulons maintenant montrer comment le point de vue politique qu'il en dégage s'éloigne dans les faits des positions des révolutionnaires, (Nous n'avons pas voulu, d'ailleurs, approfondir, mais simplement bien montrer que toutes les critiques de Harper faites d'un matérialisme soi-disant mécaniste, partaient d'une exposition assez juste, quoique par trop schématique, du problème de la connaissance humaine et de la praxis marxiste et révolutionnaire, et aboutissaient dans leur application politique pratique, à un point de vue mécaniste et vulgaire.)

Pour Harper :

1) La Révolution russe, dans ses manifestations philosophiques, (critique de l'idéalisme), était uniquement une manifestation de pensée matérialiste bourgeoise...typiquement empreinte du milieu et des nécessités russes.

2) La Russie du point de vue économique, colonisée par le capital étranger, éprouve le besoin de s'allier avec la révolution du prolétariat, "et même", dit-il :

"...Lénine a été obligé de s'appuyer sur la classe ouvrière et comme la lutte qu'il menait devait être poussée à l'extrême, sans ménagement, IL A AUSSI adopté la doctrine la plus radicalisée du prolétariat occidental ([1] [31]) en lutte contre le capital mondial, le marxisme".

Mais,  ajoute-t-il :

"Comme la révolution russe présentait un mélange des deux caractères du développement occidental : la révolution bourgeoise quant à sa tâche et la prolétarienne quant à sa force active, aussi la théorie bolchevique qui l'accompagnait était un mélange du matérialisme bourgeois quant à ses conceptions fondamentales et du matérialisme prolétarien quant à la doctrine de la lutte de classe..."

Et là Harper de nommer les conceptions de Lénine et de ses amis de marxisme typiquement russe seul, dit-il, Plekhanov est peut- être le marxiste le plus occidental, quoique encore pas dégagé complètement du matérialisme bourgeois.

Si il est effectivement possible qu'un mouvement bourgeois puisse s'appuyer sur "un mouvement révolutionnaire du prolétariat en 1utte contre le capitalisme mondial" (Harper), et que le résultat de cette lutte soit 1'établissement d'une bureaucratie comme classe dominante qui a volé les fruits de la révolution prolétarienne internationale, alors la porte est ouverte à la conclusion de James Burnham, conclusion selon laquelle la technobureaucratie établit son pouvoir dans une lutte contre l'ancienne forme capitaliste de la société, en s'appuyant sur un mouvement ouvrier, et selon laquelle le socialisme est une utopie

Ce n'est pas par hasard que le point de vue de Harper rejoint celui de Burnham. La seule différence est que Harper "croit" au socialisme et que Burnham "croit" que le socialisme est une utopie ([2] [32]). Mais où ils se rejoignent c'est dans la méthode critique qui est tout à fait étrangère d'avec une méthode révolutionnaire et à la fois objective.

Harper qui a adhéré à la 3ème Internationale, qui a formé le parti communiste hollandais, qui a participé à l'I.C. pendant les années cruciales de la révolution, qui a participé à entraîner le prolétariat de l'Europe à la participation de cet "Etat russe contre-révolutionnaire", Harper s'explique là dessus en disant :

"...si on l'avait connu à ce moment là...", (Matérialisme et Empiriocriticisme de Lénine),"...on aurait pu prédire..."(le sort de la dégénérescence de la révolution russe et du bolchévisme en un capitalisme d'Etat appuyé sur les ouvriers).

On peut répondre à Harper que des marxistes "éclairés" avaient prédit, et étaient arrivés aux mêmes conclusions que Harper sur la révolution russe, et cela bien avant lui, nous voulons citer Karl Kautsky.

La position de Kautsky au sujet de la Révolution russe a été suffisamment rendue publique par le large débat qui eut lieu entre lui Lénine et Rosa, Luxembourg, pour qu'il soit besoin d’insister là dessus, (Lénine, "Contre le courant" "Le Socialisme et la guerre" "L'impérialisme, stade suprême du capitalisme", "L'Etat et la Révolution"; Kautsky, "La dictature du prolétariat" ; Rosa Luxemburg, "La révolution russe", Kautsky, "Rosa Luxemburg et le Bolchévisme").

Dans la suite d'articles de Kautsky, Rosa Luxembourg et le Bolchévisme" (Kampf de Vienne), publiés en brochure, en français, en Belgique, en 1922,on peut, très largement montrer comment, en plus d'un point, les conclusions de Harper peuvent lui être comparées.

"...Et cela ("La Révolution russe" de Rosa Luxembourg) nous (Kautsky) met dans cette posture paradoxale, d'avoir ici ou là, à défendre les bolcheviks contre plus d'une accusation de Rosa Luxembourg..." (Kautsky "Rosa Luxembourg et le Bolchévisme".)

Cela de la part de Kautsky, pour défendre les "erreurs" des bolcheviks (que Rosa critique dans sa brochure), comme des conséquences logiques de la révolution bourgeoise en Russie, et de bien montrer que les bolcheviks ne pouvaient pas faire autre chose que ce à quoi le milieu russe était destiné, à savoir, la révolution bourgeoise.

Pour citer quelques exemples, disons que Rosa critique l'attitude des bolcheviks dans le mot d'ordre et dans la pratique de la prise individuelle de possession dans le partage des terres par les petits paysans, ce qui amènerait, pensait-elle, des difficultés inouïes ensuite à cause du morcellement de la propriété foncière ; elle préconisait au contraire la collectivisation immédiate des terres. Lénine avait déjà répondu à ces arguments que Kautsky avait, d'un autre point de vue (chapitre "Servilité à l'égard de la bourgeoisie sous prétexte d'analyse économique", "La Révolution prolétarienne et le renégat Kautsky"), déjà avancé.

Kautsky: "...Pas de doute que cela  (la propriété parcellaire) ait suscité un obstacle puissant pour  le progrès du socialisme en Russie.   Mais  c'est une marche des choses qu'il était impossible  d'empêcher :   elle aurait pu seulement cire mise en  train plus rationnellement que cela ne fut fait par  les bolcheviks. Preuve justement que la Russie  se  trouve  essentiellement au stade de  la révolution bourgeoise. C'est pourquoi  la réforme agraire bourgeoise  du bolchévisme  lui survivra,  tandis  que  ses mesures  socialistes ont été  déjà reconnues par  lui-même  incapables de durer et préjudiciables. . ."

On sait que la "puissante" vue de Kautsky a été totalement infirmée par cet autre "socialiste" Staline qui a collectivisé les terres et "socialisé" l'industrie alors que la révolution était déjà totalement étouffée.

Et voici un long échantillon de Kautsky sur le développement du marxisme en Russie qui se rapproche étrangement de la dialectique de Harper (voir "Lénin als philosophe" -La Révolution russe-);

"Comme il était arrivé chez  les français, les révolutionnaires parmi les russes reçurent des réactionnaires cette croyance à  l'importance exemplaire de leur nation sur  les autres nations .Lorsque  le marxisme  vint de l'Occident pourri en Russie,  il dut combattre  très énergiquement  cette illusion et  démontrer que   la révolution sociale ne pouvait  sortir que d'un capitalisme supérieurement développé.  La révolution à  laquelle marchait la Russie serait forcément d'abord une révolution bourgeoise sur le modèle de  celle qui s'était produite en Occident.   Mais à  la  longue,  cette conception parut vraiment aux plus  impatients des éléments marxistes trop restrictive et trop paralysante, surtout à partir de 1905, de  la première révolution où  le prolétariat russe avait combattu si victorieusement, remplissant d'enthousiasme le prolétariat de  toute  l'Europe.

Chez  les plus  radicaux des marxistes russes  se forma dès lors une nuance particulière de marxisme. La partie de la doctrine qui fait dépendre le socialisme des  conditions économiques du haut développement du capitalisme industriel, alla désormais pâlissant de plus en plus à leurs yeux. En revanche, la théorie de la lutte de classe revêtit des couleurs de plus en plus fortes. Elle fut  toujours  davantage considérée comme  la seule lutte pour le pouvoir politique par tous les moyens, détaché  de sa base matérielle. Dans  cette manière de concevoir les choses, on arrivera finalement à voir dans le prolétariat russe un être extraordinaire, le modèle de  tout  le prolétariat du monde. Et les prolétaires des autres pays commencèrent à le croire et à saluer dans  le prolétariat russe  le guide de l'ensemble du prolétariat international vers le socialisme. Il n'est pas difficile de se l'expliquer. L'Occident avait ses révolutions bourgeoises derrière lui et devant lui les révolutions prolétariennes. Mais celles-ci exigeaient une force qu'il n'avait encore atteinte nulle part. C'est ainsi qu'en Occident, nous nous trouvions dans un  stade intermédiaire entre deux époques révolutionnaires, ce qui mettait dans ces pays la patience des éléments avancés à une dure épreuve. La Russie, elle, au contraire, était si en  retard qu'elle avait encore devant elle la révolution bourgeoise, la chute  de 1'absolutisme. Cette besogne n'exigeait pas un prolétariat aussi fort que la conquête de la domination exclusive par  la classe ouvrière en  Occident. La Révolution russe se produisit donc plus  tôt que celle de l'Occident. Elle était essentiellement  une révolution bourgeoise, mais  cela put un certain  temps ne pas éclater aux yeux par  le fait que les classes bourgeoises sont aujourd'hui en Russie bien plus faibles encore qu'elles n'étaient  en  France à  la fin du 18ème siècle. Si l'on négligeait le fond économique, à ne considérer que la lutte de classe et la force relative du prolétariat, il pouvait, durant un temps réellement semblé que le prolétariat russe fut supérieur au prolétariat de 'Europe occidentale et destiné à lui servir de guide."

("Rosa Luxemburg et le Bolchévisme", Kautsky).

Harper reprend un à un, philosophiquement, les arguments de Kautsky :

Kautsky oppose deux conceptions du socialisme :

1) la première selon laquelle le socialisme n'est réalisable qu'à partir de bases capitalistes avancées... (La sienne et celle des menchéviks, valable pour la critique de la révolution russe pour des sociaux-démocrates allemands parmi lesquels s'est trouvé un Noske...conception qui conduisait réellement à faire la politique capitaliste d'Etat en s'appuyant sur "une partie de la masse populaire" contre le prolétariat révolutionnaire).

2) Une autre conception, selon laquelle la lutte pour le pouvoir politique "...par tous les moyens, détachée de sa base matérielle..." permettait "même en Russie" de construire le socialisme... (ce qui aurait été, déformée à souhait, la position des bolcheviks).

En réalité, Lénine et Trotski disaient : la révolution bourgeoise en Russie ne peut être faite QUE par l'insurrection du prolétariat -l'insurrection du prolétariat ayant une tendance objective à se développer sur une échelle internationale-,il nous est permis d'espérer, de par le degré de développement des forces productrices MONDIALES, que cette insurrection russe provoque un mouvement général.

La révolution russe poussant à la révolution bourgeoise du point de vue du développement des forces productives en Russie, la réalisation du socialisme est très possible à condition d'un déclenchement mondial de la révolution. Lénine et Trotski, de même que Rosa Luxembourg, pensaient que le niveau de développement des forces productives dans le monde entier, non seulement rendait le socialisme possible, mais encore le rendait nécessaire, ce niveau ayant atteint un stade qu'ils qualifiaient en commun accord "l'Ere des guerres (mondiales) et des révolutions", en désaccord seulement sur les facteurs économiques de cette situation. Il fallait pour que le socialisme fût possible que la révolution russe ne restât pas isolée.

Kautsky répond, avec les menchéviks, que Lénine et Trotski ne voyaient dans la révolution qu'un seul facteur "volontariste" de prise de pouvoir par un "putsch" bolchevik allant même jusqu'à comparer le bolchévisme au blanquisme.

Tous ces marxistes et socialistes "éclairés" étaient justement ceux que Harper semble citer en exemple, ceux qui avaient "...multiplié les avertissements...", qui étaient contre "...la direction du mouvement ouvrier international par les Russes...", comme Kautsky :

"Mais que Lénine n'avait pas compris le marxisme en  tant que  théorie de la révolution prolétarienne, qu'il n'avait pas compris la nature profonde du capitalisme, de la bourgeoisie, du prolétariat dans l'ultime phase de leur développement, on en a la preuve immédiatement après 1917, quand le prolétariat international devait être conduit à la révolution prolétarienne par la III° Internationale sur les ordres de la Russie et quand les avertissements des marxistes occidentaux restèrent sans écho..."

Comparé à toute la distinction savante de Kautsky entre Russie retardataire et Occident, entre "marxistes russes" et occidentaux, on retrouve ici toutes les critiques des marxistes "centristes" apparentés à Kautsky.

Ils reprochaient tous, Kautsky en tête, de ne pas avoir considéré le fait de l'état arriéré de l'économie russe, alors que Trotski avait depuis longtemps, et le premier dès 1905, répondu d'une façon magistrale à tous ces "honnêtes pères de famille" (Lénine), comment l'état avancé de la concentration industrielle en Russie, d'une part, et d'autre part, sa situation retardataire du point de vue social (retard de la révolution bourgeoise) en faisant un pays prédisposé à un état révolutionnaire constant et ou la révolution NE POUVAIT - QU'ETRE PROLETARIENNE OU NE PAS ETRE.

Pour Harper bâtissant sa théorie et sa critique philosophique sur la théorie et la critique historico-économique de Kautsky, il dit que, du fait de la situation arriérée de l'économie russe, et du fait de 1'inéluctabilité de la révolution bourgeoise en Russie, du point de vue économique, la philosophie de la révolution russe était obligée de prendre le marxisme première manière, c'est à dire révolutionnaire-démocrate-bourgeoise-feuerbachien, "...la religion est l'opium du peuple..." (critique de la religion), et que c'est normal que Lénine et ses amis n'aient pas pris le marxisme deuxième manière, dialectique-révolutionnaire-prolétarien : "...L'existence sociale conditionne la conscience..." ; (il oublie seulement de dire qu’il est impossible que Harper ne sache pas cela- que la lutte essentielle des bolcheviks était axée contre tous les courants à leur droite dans la social-démocratie, gouvernementaux et centristes -avant I918-et cela très largement, à travers toute la presse européenne et des brochures en toutes les langues, alors que "Matérialisme et Empiriocriticisme" n'a été connu que très tard par un large public russe, traduit encore plus tard en allemand et encore plus tard en français et presque pas lu en dehors de la Russie, on est en droit de se demander si l'esprit de "Matérialisme et Empiriocriticisme" était contenu dans ces articles et brochures, choses que Harper n'a même pas tenté de démontrer, et pour cause !) ; -et il conclut de là, comme Kautsky, que "malgré" la conception volontariste de la lutte de classe de Lénine et Trotski, qui voulaient "...faire du prolétariat russe le chef d'orchestre de la révolution mondiale...",1a révolution était fatalement vouée à être bourgeoise, philosophiquement, du fait que Lénine et ses amis avaient émis un mode de pensée philosophique-matérialiste-bourgeois-feuerbachien-(Marx première manière).

Ce fait, fait rejoindre dans leur critique de la révolution russe, Kautsky et Harper quant au fond du problème, mais aussi quant à la forme qu'ils donnent à leur pensée et à leur critique des bolcheviks où ceux-ci sont accusés d'avoir voulu diriger la révolution mondiale du Kremlin,

Mais il y a mieux, Harper démontre dans son exposé philosophique qu'Engels n'était pas un matérialiste dialecticien, mais encore profondément attaché, quant à ses .conceptions dans le domaine de la connaissance aux sciences de la nature et au matérialisme bourgeois. Cette théorie pour être vérifié demanderait une exégèse que Harper n'a pas fournie au passif d'Engels, alors que Mondolfo, dans un ouvrage important sur le matérialisme dialectique, semble vouloir démontrer le contraire ; ce qui prouve que cette querelle n'existe pas d'aujourd'hui ; quoi qu'il en soit, je crois que des jeunes générations pourront voir dans les générations qui les ont précédées ce que nous pouvons constater chez Lénine ou chez Engels qui faisaient une critique des philosophies de leur temps en partant d'un même niveau de connaissance scientifique et parfois par trop schématisé, alors qu'on doit surtout étudier leur attitude générale non en tant que philosophes, mais d'abord vérifier s'ils se situent sur le terrain de la praxis, des thèses de Marx sur Feuerbach dans leur comportement général.

Dans ce sens, on admettra comme se rapprochant beaucoup plus de la réalité, ce que Sydney Hook dit de l'œuvre de Lénine dans "Pour comprendre Marx" :

"….Ce qui est bien étrange, c'est que Lénine néglige l'incompatibilité entre  son activisme politique et sa philosophie dynamique d'action réciproque exprimée  dans "QUE FAIRE" d'un côté, et la théorie de la connaissance  selon une  correspondance absolument mécanique, défendue  si violemment par ' lui dans son "Matérialisme  et Empiriocriticisme" de l'autre. Ici il  suit mot pour mot Engels dans  son affirmation que les  "sensations sont  les  copies, les photographies, les  images, les reflets de miroir des choses", et que l'esprit n'est pas actif dans la connaissance. Il  semble  croire que si  l'on soutient  la participation de l'esprit comme un facteur actif à  la connaissance, conditionné par le système nerveux et  toute  l'histoire du passé, il s'en  suit que l'esprit crée  tout ce qui  existe, y compris  son propre cerveau. Cela serait de   l'idéalisme   le plus caractérisé, et  idéalisme signifie religion et  croyance  en Dieu.

Mais le passage de la première à la seconde proposition est le  NON SEQUITUR (elle ne suit pas) le plus manifeste que l'on puisse  imaginer. En réalité dans l'intérêt de  sa conception du marxisme comme théorie et pratique de   la révolution sociale, Lénine dut admettre que  la connaissance est une affaire active, un processus dans lequel matière, culture et esprit réagissent réciproquement les uns sur  les autres, et que les  sensations ne constituent pas la connaissance mais une partie des matériaux travaillés par  la, connaissance.

C'est la position prise par Marx dans ses "Thèses sur Feuerbach" et dans  l'"Idéologie allemande". Quiconque considère les sensations comme les copies exactes du monde extérieur amenant  elles-mêmes à  la connaissance, ne peut éviter  le fatalisme  et le mécanisme. Dans les écrits politiques et non  techniques de Lénine, on ne trouve aucune  trace de  cette épistémologie dualiste lockéenne ; son "QUE FAIRE", ainsi que nous l'avons déjà vu, contient une acceptation franche du rôle actif de la connaissance de classe dans le processus social. C’est dans ses écrits pratiques  s'occupant des problèmes  concrets d'agitation, révolution et reconstruction  que l'on trouve  la vraie philosophie de Lénine.. " ("Pour comprendre Marx"- Sydney Hook- p.57-58) ([3] [33])

Le témoignage vivant et l'expression la plus vraie de ce que dit Sydney Hook et qui rejette Harper du côté des Plekhanov-Kautsky est cette illustration de Trotski (Ma Vie) :

Parlant de Plekhanov il dit : " Ce qui le démolissait c'était précisément ce qui donnait des forces à Lénine : l'approche de la révolution. Plekhanov fut le propagandiste et  le polémiste du marxisme, mais non pas le politique  révolutionnaire du prolétariat.  Elus  la révolution devenait imminente,  plus il  entait le sol  lui glisser sous les pieds. .. "

On voit donc que n'est pas tant la thèse philosophique de Harper -qui est originale (elle est au contraire une mise au point après tant d'autres), mais surtout la conclusion qu'il en tire.

Cette conclusion et une conclusion fataliste du genre de celle de Kautsky. Kautsky, dans sa brochure « R. Luxemburg et le Bolchévisme", cite une phrase que Engels lui aurait écrite dans une lettre personnelle :

« …les fins véritables et non les fins illusoires d’une révolution sont toujours réalisées par suite de cette révolution…»

C'est ce que Kautsky veut démontrer dans sa brochure, c'est ce que Harper arrive à démontrer (pour ceux qui veulent le suivre dans sa conclusion) dans "Lénin als philosophe", et après avoir combattu le matérialisme bourgeois chez Lénine et chez Engels, il en arrive à une conclusion mécaniste des plus vulgaires de la révolution russe, ".produit fatal" ".fin véritable et non illusoire..." "...la révolution russe a produit ce qu'elle devait produire, c'était écrit dans Empiriocriticisme et dans les conditions de développement économiques russes..." ".le prolétariat mondial devait simplement lui servir de couverture idéologique marxiste..."; "..la nouvelle classe au pouvoir s'emparant  tout naturellement de cette forme de penser du Léninisme, matérialiste bourgeoise, pour s 'emparer du pouvoir et  lutter contre les  ouches de la bourgeoisie capitaliste établie, qui sont philosophiquement retombées vers le crétinise religieux, le mysticisme et l'idéalisme, en même temps qu'ils sont devenus conservateurs et réactionnaires ; ce vent frais, cette nouvelle philosophie, cette nouvelle classe capitaliste d'Etat, d'intellectuels et de techniciens, trouve sa raison d'être dans Empiriocriticisme et dans  le Stalinisme et elle "monte" dans tous les pays, etc. .etc. "

Donc en quelque sorte :

Marx première manière = Lénine Empiriocriticisme =Staline !!!

C’est ce que Burnham a très bien compris, sans connaître Harper, c'est ce que de nombreux anarchistes se plaisent à répéter sans en rien comprendre. Il est- bien évident que Harper ne dit pas cela avec autant de brutalité, mais le fait qu'il ouvre la porte à toutes les conclusions des apologistes bourgeois et anarchistes de Burnham, suffisent à démontrer la tare constitutive de son « Lénin als philosophe »

Ensuite quand il est amené à tirer les enseignements « prolétariens purs » de la révolution russe (je fais remarquer qu'on dit toujours dans le langage Harper-Kautsky "la révolution russe" et rarement « la révolution d'octobre" » distinction qui doit leur écorcher la plume) quand il tire cet enseignement « prolétarien pur », en séparant l'action de la classe ouvrière russe, et « l'influence bourgeoise des bolcheviks » , il en arrive à dire que c'est surtout dans ses grèves généralisées, et dans les soviets (ou conseils) "en soi", qu'a produits la révolution russe, qu'elle est un enseignement positif pour le prolétariat :

1) le prolétariat doit se détacher idéologique « homme par homme » de l'influence bourgeoise.

2) Il doit apprendre progressivement à gérer seul les usines et a organiser la production.

3) Les grèves généralisées et les Conseils sont les armes exclusives du prolétariat.

Et il s'avère que cette conclusion est un type achevé de réformisme, et que de plus c'est totalement anti-"dialectique".

Le détachement "homme par homme" de l'idéologie bourgeoise, en plus que si elle était réalisable remettrait le devenir du socialisme à la fin des siècles, et ferait apparaître la doctrine de Marx comme une belle légende qu'on raconte aux enfants des prolétaires pour leur donner du courage à envisager la vie, de plus nous sommes dans une société bourgeoise dont le caractère social primordial est que chaque homme, pris homme par homme, dans le prolétariat lui-même , ne se détache pas homme par homme, mais pas du tout de l'idéologie dominante ce qui fait de cette idée une "idée" qui garde éternellement sa qualité d'idée. Au contraire la classe ouvrière, dans son ensemble, parvient à s'en détacher dans certaines conditions historiques où elle entre plus violemment en heurt avec le vieux système que dans d'autres. Il n'y a pas de socialisme réalisable "homme par homme" à la manière des vieux réformistes qui croyaient qu'il fallait "réformer d'abord l'homme avant de réformer la société", alors que les deux ne sont pas séparables. La société change quand l'humanité entre en mouvement pour la faire changer, et le prolétariat entre en mouvement, non "homme par homme", mais "comme un seul homme" quand il se trouve placé dans des conditions historiques spéciales.

Le fait que Harper répète sous une forme apparemment nouvelle les vieilles sornettes réformistes, lui permet, sous un verbiage philosophico-dialectique, d'escamoter les problèmes, principaux axes, de la révolution russe, et de les reléguer dans les oubliettes des "raisons d'Etat russes" qui ont tout de même un peu bon dos en ce moment. Il s'agit de la position de Lénine contre la guerre et de la théorie de Trotski de la révolution permanente.

Eh bien oui! Messieurs Kautsky-Harper, on peut toucher des points justes dans une critique purement négative des théories philosophiques ou économiques de Lénine et de Trotski, mais cela ne veut pas dire que vous ayez acquis pour cela une position révolutionnaire, et dans leurs positions politiques, au cours de la révolution russe dans la phase cruciale de 1'insurrection, c’étaient Lénine et Trotski qui étaient vraiment des révolutionnaires marxistes...

Il ne suffit pas, philosophiquement, 20 après la bataille, et après y avoir participé soi-même parmi les chefs de file, de s'apercevoir que tout cela n'a eu pour résultat que l'Etat stalinien et de dire que ceci est le produit de cela. Il faut aussi se demander COMMENT Lénine et Trotski pouvaient s'appuyer sur le mouvement ouvrier international, et POURQUOI, et nous dire franchement si c'est le stalinisme qui est le produit fatal de ce mouvement.

Cela, Harper est comme Kautsky, incapable de nous le dire, parce que dans leurs positions politiques, face à. la bourgeoisie, dans la guerre impérialiste, ou dans une période révolutionnaire montante, ils n'ont pas de conceptions qui leur permettent seulement d'aborder ces problèmes, ils ne les connaissent pas. Ils connaissent ainsi Lénine "en tant que philosophe" ou en tant que "chef d'Etat", mais ils ne connaissent pas Lénine en tant que marxiste révolutionnaire, le vrai visage de Lénine, face à la guerre impérialiste, et celui de Trotski face à la conception mécaniste du développement capitaliste "fatal" de la Russie. Ils ne connaissent pas le vrai visage d'Octobre qui n'est pas celui des grèves de masses et pas non plus uniquement celui des soviets, soviets auxquels Lénine n'était pas attaché d'une manière absolue (comme Harper), parce qu'il jugeait lui que les formes du pouvoir du prolétariat sortaient spontanément de sa lutte en même temps qu'elle. Et en cela je crois que Lénine était aussi plus marxiste, parce qu'il n'était pas attaché aux soviets ni au syndicat, ni au parlementarisme (même s'il se trompait) d'une manière définitive, mais d'une manière appropriée à un moment de la lutte de classe créée par et pour elle.

Tandis que l'attachement quasi théologique de Harper à ses conseils le fait aujourd'hui, de ce côté également, prendre une forme de cogestion des ouvriers dans le régime capitaliste, comme un apprentissage du socialisme. Ce n'est pas le rôle des révolutionnaires de perpétrer un apprentissage de ce genre. Avec celui de l'apprentissage "homme par homme" de la théorie du socialisme» l'humanité est condamnée à être l'esclave éternelle et éternellement aliénée, avec ou sans conseils avec ou sans "raden communisten" et leurs méthodes d'apprentissage du socialisme en régime capitaliste, vulgaire réformisme, l'envers de la médaille kautskiste.

Quant à la lutte de classe "propre", "par les moyens appropriés" la grève etc.. On en a vu les résultats, elle rejoint la théorie de la gréviculture trotskiste, des trotskistes actuels et des anarchistes, qui perpétuent actuellement la vieille tradition des "trade-unionistes" et des  "économistes " et que dès "Que faire" Lénine critiquait si violemment. Ce qui fait que la position antisyndicale des "Raden-Kommunisten", pour être juste pour nous du point de vue purement négatif, n'en est pas moins fausse "en elle même" parce que les syndicats sont remplacés par des petits frères, les soviets, et jouent le même rôle. On croit qu'il faut remplacer le nom pour changer le contenu. On n'appelle plus le Parti, parti, les Syndicats, syndicat, mais on les remplace par les mêmes organisations qui ont les mêmes fonctions et qui portent un autre nom. Qu'on appelle un chat "Raminagrobis", il aura pour nous la même anatomie et le même rôle sur la terre, sauf pour certains pour qui il sera devenu un mythe, et c'est curieux que des philosophes, des matérialistes "dialecticiens" aient l'esprit aussi borné et les vues aussi étroites pour tenter de nous faire avaler comme un monde nouveau le monde de leurs constructions mythologiques, de "Raminagro­bis" par rapport au monde des chats.

C'est dans le fond assez normal, dans l'ancien monde un Kautsky était un vulgaire réformiste, dans le monde nouveau, trotskistes, anarchistes et raden-communistes sont des "Révolutionnaires authentiques"; alors qu'ils sont beaucoup plus grossièrement réformistes que le fin théoricien du réformisme, Kautsky.

 

Le fait que Harper reprenne des arguments classiques du réformisme bourgeois, menchéviks et kautskistes, (et plus récemment la rencontre de ce point de vue et de celui de Burnham), contre la révolution russe ne peut pas tellement étonner. Au lieu de chercher dans cette époque révolutionnaire à tirer des enseignements en marxiste, (tels que Marx et Engels ont, par exemple, tiré des enseignements de la Commune de Paris), Harper veut condamner "en bloc" la révolution russe et le bolchévisme qui y est attaché (tout autant que blanquisme et proudhonnisme étaient attachés à la Commune de Paris).

Harper se rapproche très près de la réalité, et si au lieu de chercher à condamner les bolcheviks appropriés au milieu russe", il s'était demandé quel était le niveau de pensée de cette gauche de la social-démocratie, dont tous étaient issus, il aurait pu tirer de toutes autres conclusions de son livre parce qu'il aurait vu que ce niveau (même chez les plus développés du point de vue de la dialectique) ne permettait pas de résoudre certains problèmes auxquels se heurtait la révolution russe (dont le problème du Parti et de l'Etat), problèmes sur lesquels à la veille de la révolution russe aucun marxiste n'avait des  idées précises  (et pour cause).

Dans l'ensemble du niveau des connaissances,  philosophiques, économiques et politiques, nous l'affirmons et nous allons tenter de le démontrer, ce sont les bolcheviks qui étaient, en 1917, parmi les plus avancés des révolutionnaires du monde entier, et cela en grande partie grâce à la présence de Lénine et de Trotski.

Si  les événements sont venus apparemment les contredire, ce n'est pas à cause de leur développement intellectuel  approprié au  "milieu russe, mais cela est dû au niveau général  du mouvement ouvrier international, ce qui également pose des problèmes philosophiques que Harper n'a même pas voulu aborder.

Philippe

 


[1] [34] Voir plus  loin  les  citations  de Kautsky  sur   "la  doctrine du prolétariat  occidental".

[2] [35] Dans  un prochain n°,  nous  verrons  comment  un  des  disciples  de Harper,  Cannemeyer  va  aboutir quoiqu'avec regret  et  tristesse,   au même  constat  que Burnham sur le  "socialisme comme  utopie". Fondamentalement,  avec beaucoup  de bavardage  en plus,  ce sera  1'aboutissement  du  groupe Socialisme  ou Barbarie  et  de  son mentor Chaulieu.

[3] [36] Et ceci pour le "milieu spécifiquement  russe" de Harper-Kautsky : ".la doctrine matérialiste - écrit Marx- affirmant que les hommes sont les produits de leur milieu et  de leur éducation, et que les hommes différents sont les produits de milieux et d'éducations différents, oublie que le milieu lui-même a été  transformé par 1'homme et que l'éducateur doit à son tour être éduqué. C'est pourquoi elle sépare la société en deux parties dont l'une est élevée au-dessus de 1'ensemble. La simultanéité des changements parallèles dans le milieu et dans l'activité humaine ne peut  être rationnellement comprise qu'en tant que pratique révolutionnaire..." (D'après Marx-Engels "Thèses sur Feuerbach", S.Hook, op.ci

Courants politiques: 

  • Le Conseillisme [37]

Heritage de la Gauche Communiste: 

  • Le Marxisme : la theorie de la révolution [38]

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