Face à la riposte de la classe ouvrière contre l'attaque sans précédent qu'elle vient de subir avec le projet de réforme du régime des retraites, les révolutionnaires se devaient d'être présents aussi bien dans les manifestations que dans les différents secteurs en lutte où ils pouvaient intervenir, notamment dans le mouvement des travailleurs de l'Education nationale.
Ainsi, dès que le mouvement a commencé à prendre de l'ampleur avec la manifestation du 13 mai, la section du CCI en France a pris la décision de sortir un supplément à son principal outil d'intervention, le journal RI. Ce supplément s'est donné comme axe principal de dénoncer l'ampleur de l’attaque contre l'ensemble de la classe ouvrière, d'analyser les manoeuvres de la bourgeoisie pour faire passer cette attaque et de dénoncer le rôle des syndicats face à la remontée de la combativité ouvrière. Le sens de notre intervention visait à permettre à la classe ouvrière de mener une réflexion sur la profondeur de la crise du capitalisme et sur la nécessité de cette expérience de lutte lui permettant de reprendre confiance en elle et de retrouver son identité de classe. C'est justement face à la nécessité de fournir un cadre général d'analyse afin de favoriser la réflexion sur le sens de cette première riposte contre les attaques de la bourgeoisie que nous avons décidé de diffuser un supplément et non un tract agitatoire. Dans toutes les manifestations, à Paris comme en province, le CCI a mobilisé toutes ses forces, regroupant autour de lui ses sympathisants pour diffuser sa presse le plus largement possible.
Le bilan de cette mobilisation a été très positif : les chiffres de nos ventes ont battu des records. De toute l'histoire du CCI, jamais notre organisation n'avait vendu autant d'exemplaires de sa presse dans les manifestations. En particulier, dans toutes les manifestations où le CCI était présent, notre supplément s'est vendu comme des petits pains. Un tel constat n'a pour but ni de nous décerner des médailles, ni de nous emballer sur l'imminence du "grand soir".
Les chiffres de nos ventes, de même que les nombreuses discussions que nous avons pu avoir dans ces manifestations ne font que confirmer que, malgré les difficultés auxquelles elle est encore confrontée pour développer sa lutte et créer un rapport de force capable de faire reculer la bourgeoisie, la classe ouvrière est à la recherche aujourd'hui d'une perspective. Le fait que de nombreux grévistes puissent aujourd'hui faire le geste politique d'acheter un journal intitulé "Révolution Internationale" ou un supplément titrant sur "L'avenir appartient à la lutte de classe" est particulièrement significatif d'un changement dans la situation de la lutte de classe. Cela signifie qu'aujourd'hui commence à germer au sein de la classe ouvrière un réel questionnement sur l'avenir que nous réserve le capitalisme. Ce questionnement, cette quête d'une perspective, même si elles sont encore très confuses et embryonnaires, constituent un démenti cinglant à toutes les campagnes de la bourgeoisie qui ont succédé l'effondrement des régimes staliniens (campagnes sur la prétendue faillite du communisme et sur la fin de la lutte de classe).
Ainsi, cette attaque massive contre l'ensemble de la classe ouvrière ne fait que confirmer la validité de ce que notre organisation a toujours mis en avant dans sa presse depuis 1968 : malgré les souffrances qu'elle va lui infliger, la crise économique reste la meilleure alliée du prolétariat.
L'intervention du CCI ne s'est pas limitée à la diffusion de sa presse dans les manifestations de rue.
Dans les luttes elles-mêmes, dans les les AG, et particulièrement celles des enseignants, nos camarades et sympathisants sont intervenus à chaque fois qu'ils le pouvaient pour tenter de contrer les manoeuvres des syndicats et de leur base "radicale" animée par les gauchistes. Toutes nos interventions ont mis en avant :
- la nécessité vitale de l'extension géographique de la lutte dès le début du mouvement contre les manoeuvres des syndicats et des gauchistes visant à enfermer les ouvriers dans leur secteur ou leur corporation;
- la nécessité de la souveraineté des AG qui doivent être des lieux de discussion, de décision des moyens de développer la lutte et non des chambres d'enregistrement des décisions syndicales prévues d'avance;
- la dénonciation claire et concrète des orientations des centrales syndicales, de la pratique réelle des syndicats sur le terrain qui, sous couvert d'unité, ont été autant d'obstacles aux nécessités de la lutte.
Ainsi, par exemple, dès le 13 mai, dans une AG départementale regroupant près de 500 grévistes à Lyon et dirigée par l'intersyndicale FSU, FO, CGT, SUD, CNT, nos camarades ont pu intervenir à deux reprises malgré l'agressivité de l'intersyndicale qui présidait l'AG (et notamment un ponte local de la LCR, représentant de la FSU, qui a tenté de leur couper la parole par des altercations du style: "Abrège", "Commence par mettre d'abord ton école en grève"). Malgré le tir de barrage des syndicats pour tenter de nous faire taire, un autre camarade travaillant dans le secteur hospitalier est venu dans cette AG des enseignants et a insisté sur la nécessité impérative de traverser la rue pour aller chercher les autres secteurs ouvriers qui subissent la même attaque sur les retraites. Son intervention très suivie et écoutée a obligé le présidium à se concerter et à couper le micro. Mais malgré cette manoeuvre, notre camarade poursuit son intervention en haussant la voix. Il est chaudement applaudi. C'est à ce moment que le présidium se voit contraint de reprendre à son compte l'orientation que nos camarades ont mis en avant : la nécessité de l'extension géographique mais... en perspective (ce que les gauchistes feront un peu partout, une fois que le mouvement commencera à s'essouffler). Cette parodie d'extension sera concrétisée par l'envoi de délégations de syndicalistes auprès de syndicalistes des autres secteurs.
Ainsi, cette AG départementale a clairement révélé que les syndicats "radicaux", pour ne pas être débordés par l'impact de nos interventions, ont été contraints d'adapter leurs manoeuvres.
Par ailleurs, nos interventions dans les AG, quand elles étaient possibles, devaient donner le maximum de chair à ces perspectives et si possible se concrétiser dans des motions proposées aux AG. Cela fut fait à plusieurs reprises, notamment dans les AG départementales. A Lyon, par exemple, nos camarades ont pu proposer cette motion sous les quolibets de l'intersyndicale : "L'AG départementale réunie le 22/05, appelle les AG de secteurs à mettre en actes l'appel à l'extension de la lutte par des délégations les plus fortes aux secteurs public et privé comme Alstom, Ateliers SNCF Oullins, RVI, TCL, Hôpitaux, Ville de Lyon etc… L'AG départementale considère que les appels syndicaux tardifs à la lutte pour les autres secteurs, les uns pour le 27 Mai, d'autres pour le 2 Juin, d'autres encore pour le 3 Juin, le silence dans d'autres secteurs, sont des actes concrets de division et d'éparpillement et vont contre le besoin d'unité et de mobilisation nécessaires depuis longtemps.". Cette motion devait recueillir 24 voix pour, 137 contre et 53 abstentions. Le vote sur cette motion a révélé un début de questionnement vis-à-vis de la mainmise des syndicats sur la lutte et sur leurs manoeuvres de sabotage. Bien que ce questionnement soit resté encore très minoritaire, l'intervention de nos militants n'a pas été un coup d'épée dans l'eau. A plusieurs reprises, nos camarades ont été interpellés pour qu'ils développent le sens de leur intervention, avec parfois même des invitations à venir faire ces interventions dans d'autres AG de secteurs où des questions de ce même type se posaient. De nombreuses discussions ont eu lieu et continuent d'avoir lieu. Dans d'autres AG départementales, comme par exemple celle du 21 mai à Nantes, nos camarades se sont directement affrontés aux syndicats en affirmant haut et fort "L'unité de la lutte ne passe pas par l'unité des syndicats !". Ils ont été copieusement sifflés tout au long de leur intervention. A l'issue de l'AG, seuls quatre grévistes se retrouvent en accord avec notre position. Ce que nous avons pu constater sur le terrain, et à travers l'écho de nos interventions suivant les régions, c'est une énorme hétérogénéité du mouvement, tant sur le plan de la mobilisation que sur celui de la méfiance envers les syndicats.
Dans un deuxième temps et assez rapidement, lorsqu'il s'est avéré que toute possibilité de développement massif de la lutte était verrouillée par les forces d'encadrement syndicales, nos camarades ont alors réorienté clairement leur intervention :
- mise en évidence du piège que représentait le mot d'ordre de "grève reconductible" risquant de conduire à l'épuisement et la démoralisation ;
- dénonciation du jusqu'au-boutisme des syndicats et des gauchistes avec leurs actions commandos, stériles et minoritaires (tel le blocage des examens) qui ne servent qu'à renforcer la division entre grévistes et non grévistes ;
- nécessité de se regrouper pour éviter la confusion, pour discuter le plus collectivement possible de la poursuite ou non de la grève afin d'éviter la démoralisation et se préparer à reprendre le combat plus tard en gardant nos forces intactes ;
-nécessité de maintenir régulièrement des AG, avant ou après le travail, pour commencer à tirer les leçons de cette lutte, et discuter des raisons des obstacles rencontrés dans ce combat ;
-nécessité pour les minorités les plus combatives, les plus conscientes de se regrouper afin de pouvoir élargir leur réflexion à partir des questions soulevées par ce mouvement. Déjà quelques réunions regroupant des éléments combatifs de différents secteurs rencontrés pendant la grève ont eu lieu à Lyon, Marseille ou Nantes par exemple.
Par ailleurs, le CCI était également présent, comme tous les ans, à la fête de Lutte Ouvrière où il a pu intervenir dans les forums organisés par les gauchistes pour y dénoncer leurs manoeuvres de sabotage de la lutte et mettre en avant la nécessité de tirer les leçons de la défaite des enseignants. Le CCI était d'ailleurs la seule organisation révolutionnaire à être intervenue contre les manoeuvres des trotskistes et à assumer sa responsabilité, malgré les sifflements des syndicalistes de base de LO et la LCR 1 [1]. Au cours des jours suivants, le CCI a tenu dans plusieurs villes des réunions publiques sur la situation sociale en France qui furent très animées.
Il est clair aujourd'hui que le mouvement n'a pas été en mesure de faire reculer la bourgeoisie. C'est donc une défaite cuisante que vient de subir la classe ouvrière. Encore une fois, la classe dominante ne va pas manquer l'occasion de tenter de faire tirer de fausses leçons à la classe ouvrière, notamment en s'efforçant de lui faire croire que lutter ne sert à rien. Il est donc de la responsabilité des révolutionnaires de contribuer dès aujourd'hui à faire obstacle à cette ultime manoeuvre de la bourgeoisie.
C'est la raison pour laquelle, le CCI a décidé de diffuser un tract tirant le bilan de cette expérience de lutte afin de permettre à l'ensemble de la classe ouvrière de tirer le maximum de leçons de cette défaite, la pousser à approfondir sa réflexion pour l'armer du mieux possible lorsqu'elle devra reprendre le combat face à l'accélération des attaques qui s'annoncent déjà avec le dossier sur la Sécurité sociale.
L'avenir appartient effectivement à la lutte de classe.
SM
1 [2] Malgré aussi les ricanements d’éléments que nous qualifions de parasites, parce que, tout en revendiquant leur appartenance au camp prolétarien, ils n’ont d’autre raison d’exister et n’ont d’autre souci dans leurs interventions que de nuire à la réputation des organisations révolutionnaires, et en particulier, à celle du CCI. D’ailleurs, lors de la fête de LO, ces éléments n'étaient présents qu'en spectateurs et n'ont pas ouvert la bouche pour combattre les forces d'extrême-gauche du capital.
“Il faut défendre nos retraites et assurer leur financement en s’en prenant au profits capitalistes” (Rouge du 16 mai).
La solution est pourtant si évidente, comment ne pas y avoir pensé plus tôt ? Bien heureusement toute la clique gauchiste est là pour nous montrer le chemin des luttes en nous assurant que les attaques que subit la classe ouvrière (dont l’actuelle remise en cause des retraites) n’est pas le fruit de la faillite du capitalisme mais plus simplement celui d’une mauvaise répartition des richesses.
“Réformons, réformons le capitalisme des patrons pour un capitalisme social, un capitalisme à visage humain.”
Franchement, nous n’en attendions pas moins de la part des troupes gauchistes, qu’elles fardent la réalité du capitalisme, l’aggravation irréversible de sa crise pour empêcher que les ouvriers en arrivent à conclure que ce système est sans avenir.
Dès la fin du mois d’avril, Lutte Ouvrière endossait, en prévision du déclenchement de la lutte, sont rôle oh combien éprouvé de rabatteur des syndicats : “Les confédérations syndicales appellent à faire du 1er mai une protestation contre l’ensemble de ces attaques, et elles programment un certain nombre de journées de grève et de manifestations pendant le mois de mai. Les travailleurs, les retraités, les chômeurs, toutes les catégories de la population laborieuse ont intérêt à se saisir de chaque manifestation, de chaque grève pour en faire un succès… Lutte Ouvrière appelle chacun à se mobiliser et à participer à toutes ces initiatives pour en assurer partout le plus grand succès."
“Quelles que soient les motivations des différentes confédérations, il est indispensable que ces actions [de protestations] soient massivement suivies par tous les travailleurs.” (Lutte Ouvrière du 25 avril).
LO (tout comme la Ligue Communiste Révolutionnaire) nous rejoue le fameux couplet du soutien critique aux syndicats cherchant à persuader les prolétaires, que même si l’appareil syndical est pourri par sa direction bureaucratique, le syndicalisme reste une arme de la classe ouvrière, la seule forme de combat qui puisse aboutir à quelque chose alors qu’il est, en fait, le principal fossoyeur de la lutte de classe (lire notre brochure Les syndicats contre la classe ouvrière).
De surcroît, il est remarquable que durant tout le mois de mai, les forces gauchistes sont restées extrêmement discrètes au sein du mouvement.
Aucun cortège de LO, de la LCR ou du Parti des Travailleurs dans les différentes manifestations du 13, 19 ou 25 mai. Et pourtant tous les cortèges syndicaux étaient truffés de militants de ces organisations.
Si les officines trotskistes ne sont jamais apparues en tant qu’organisations politiques distinctes à l’intérieur du mouvement alors que leurs militants y étaient omniprésents, c’est pour mieux dissimuler le grand coup de main qu’elles ont donné dans la pratique aux “directions syndicales pourries” et à la bourgeoisie.
L’encartage syndical des trotskistes ne date pas d’hier, c’est même un véritable sacerdoce qui marque leur volonté de drainer un maximum d’illusions sur la nature des syndicats.
Ainsi, on sait qu’habituellement les trotskistes de la LCR se syndiquent chez les cheminots plutôt à la CGT et chez les postiers et les hospitaliers à SUD (syndicat “devenu le canal historique des revendications de l’extrême gauche”, Libération du 6 juin).
Plus fort, on retrouve les trotskistes jusque dans les directions syndicales honnies à l’instar de Monsieur Cyroulnik à la fois membre du secrétariat de la FSU, majoritaire chez les enseignants, et membre du comité central de la LCR.
C’est donc tapis dans l’ombre, dilués dans divers syndicats FSU, FO, CGT… et évidemment dans les syndicats dit “radicaux” comme SUD ou la CNT que trotskistes et anarcho-syndicalistes ont participé à la consolidation de l’encadrement syndical pour mieux canaliser la combativité ouvrière.
De ce point de vue, l’attitude des groupes trotskistes est tout à fait symptomatique.
Ces organisations n’ont eu de cesse de se faire passer pour les chantres de l’extension de la lutte : “Oui, c’est une bonne chose que des postiers en grève aillent vers les travailleurs d’une entreprise privée ou que des enseignants aillent vers les cheminots ou vers les agents de la RATP. Oui, c’est une bonne chose que se tissent ainsi des liens entre les uns et les autres et que, progressivement, se forge la conscience commune que les travailleurs ont tous les mêmes intérêt.” (allocution d’Arlette Laguiller à la fête de LO le 7 juin).
La chose est bonne, certes, on pourrait même ajouter vitale pour que la classe ouvrière puisse opposer à la bourgeoisie un rapport de force véritablement digne de ce nom.
Mais de quelle extension veut réellement nous parler Madame Laguiller ?
Si on y regarde d’un peu plus près, dans la pratique, la convergence d’ouvriers en lutte, promue par les gauchistes, se résume à la simple rencontre de délégations syndicales. Des syndicalistes allant retrouver les syndicalistes d’en face ! Nos champions de l’extension des luttes se révèlent n’être que les champions de l’encadrement syndical.
A La Courneuve, par exemple, “l’extension des contacts [s’est faite] quasiment exclusivement dans les réseaux CGT pour le moment.” Rouge du 5 juin. Le morceau est lâché mais ce n’est pas sans arrière-pensées. Ici, ce que critique la LCR n’est pas tant le contrôle syndical de “l’extension” que sa prise en charge “exclusivement dans les réseaux CGT”. Autrement dit, pour franchir un pas supplémentaire, il faut élargir le combat à d’autres “réseaux”… FSU, FO, SUD, etc. Et voilà nos gauchistes surpris en pleine promotion de l’intersyndicale comme summum de l’union des ouvriers en lutte !
Empêcher que la classe ouvrière prennent en charge ses luttes, qu’elle en contrôle le but et les moyens dans le cadre d’assemblées générales souveraines, on peut concevoir que “Oui, c’est une bonne chose” pour les gauchistes mais certainement pas pour les prolétaires.
Lorsque les enseignants (secteur le plus en pointe dans cette lutte) furent suffisamment épuisés par plus d’un mois (parfois deux) de grèves reconductibles, le moment était alors venu pour les gauchistes de sortir du bois pour impulser une "radicalisation" du mouvement.
Le but, ici, est très clairement de mettre à genoux les enseignants qui n’ont pas été vidés de toute leur combativité. Ce qu’avoue par maladresse, lors de la fête de LO, un de ses militants rennais dans un forum consacré à la grogne des enseignants en mettant en avant le fait que son organisation “milite pour relancer le mouvement alors que l’essoufflement se fait sentir” dans sa région. Ou bien cet autre affidé de LO qui affirme qu’on “emportera pas le morceau mais il faut aller jusqu’au bout” c’est-à-dire jusqu’à ce qu’épuisement s’ensuive.
Pour ce faire est fabriqué un climat d’euphorie comme nous avons pu le constater, lors de cette même fête, dans la totalité des forums traitant du mouvement social dans l’éducation nationale, chez les hospitaliers, à la SNCF ou à la RATP.
Le mot d’ordre trotskiste était de nier purement et simplement la réalité de l’état du mouvement c’est-à-dire l’essoufflement. “Ce n’est pas le mouvement qui s’essouffle, c’est le gouvernement qui manque d’air” exposé de LO au forum de l’Education nationale. Mieux encore dans Rouge du 12 juin, on peut lire “Depuis le 13 mai, la mobilisation va crescendo, la liaison s’est faite avec les enseignants. Le déclic semble en train de se produire […] Comme si l’inversion du rapport de forces était à portée de mains”. Ainsi en faisant croire aux enseignants que la grève se “généralise” et que le gouvernement est sur le point de céder ( ce qui est illustré par une soi-disant reculade sur le projet de décentralisation), les trotskistes compte emmener les prolétaires en lutte dans un voyage jusqu’au bout de la démoralisation.
Par ailleurs LO trouve, dans cette entreprise, un véhicule de choix avec la coordination nationale des enseignants, sous son influence depuis le début du mouvement, qui le 17 juin appelait toujours à “poursuivre la grève reconductible” et à faire “pression sur les exams”. C’est dans ce sens que sous la poussée des gauchistes, le mouvement éclate dans une multitude d’actions commandos “interprofessionnelles” plus stériles les unes que les autres, occupations de voies ferrées (Paris Nord, Saint-Lazare, Nice), blocage d’accès routiers, des dépôts de bus, incendie du siège du MEDEF à La Rochelle, échauffourée avec la maréchaussée à la manifestation du 12 juin à Paris ou menaces sur la tenue des épreuves du bac.
Comme elle l’a affirmé explicitement lors de sa traditionnelle fête au Château de Presles, LO “soutient les minorités qui font des opérations coup de poing” se hissant de la sorte à la hauteur de la CGT des années 1980 qui était particulièrement friande de ce type d’actions-commando. Actions désespérées, sans aucun effet si ce n’est d’ancrer chez les ouvriers un sentiment d’impuissance, d’inutilité de la lutte et d’alimenter la division en leur sein. Comme en 1984 lorsque la CGT poussait à la fois les métallos de Dunkerque a bloquer le port après l’annonce d’une charrette de licenciements et en même temps soufflait sur la colère des dockers réclamant la réouverture du port.
Aujourd’hui, les gauchistes font exactement la même politique que la CGT d’il y a une vingtaine d’années car, en poussant des minorités d’ouvriers à bloquer les transports et les examens, il cherchent essentiellement à monter les ouvriers les uns contre les autres.
Dans cet objectif, les grands cris gauchistes appelant à l'extension de la lutte aux autres secteurs, à l'image de ce tract de la LCR diffusé dans les manifestations du mois de juin : "Le 3 juin n'est qu'un début ; grève générale! ; c'est le moment : privé, public, par millions, jusqu'à satisfaction.", ne peuvent être compris autrement que comme la volonté d’amplifier le sentiment d’isolement des enseignants, les faire retomber de plus haut pour rendre la défaite la plus démoralisante possible.
Ainsi, la prochaine étape consistera certainement, avec la mise en place de la réforme des retraites, à suggérer aux ouvriers qui sont entrés en lutte que l’échec du mouvement est venu non pas de l’encadrement syndical mais du manque de soutien des ouvriers non grévistes. Voici une façon supplémentaire de diviser secteur public et privé, c’est-à-dire avec exactement le même discours que celui des syndicats qui ont toujours rejeté la responsabilité de la défaite sur le manque de mobilisation des ouvriers eux-mêmes.
Durant le conflit de ce printemps, à l’intérieur des syndicats comme au sein des coordinations, on peut dire que les forces gauchistes ont assumé leur part du travail dans l’œuvre d’épuisement et de division de la classe ouvrière.
Le prolétariat doit impérativement tirer les leçons de cette lutte, ce que par ailleurs les agents gauchistes tentent d’empêcher à tout prix via le piège du jusqu’auboutisme.
Pour développer son combat, la classe ouvrière ne pourra pas faire l'économie de l’affrontement avec ces fers de lance de la bourgeoisie que sont les syndicats et les gauchistes de tous poils.
Azel (15 juin)
Les leçons du formidable mouvement de grève massive de l’été 1980 en Pologne demeurent d'une brûlante actualité. C'est à la lueur de celles-ci qu'il convient d'examiner des faiblesses importantes qui se sont manifestées dans le mouvement de grève du printemps dernier en France.
Dans le secteur des transports, et même à l’Education nationale, pourtant à la pointe de la mobilisation, la classe ouvrière n'a pas été en mesure de prendre sa lutte en mains, laissant ainsi toute latitude aux syndicats pour effectuer leur sale travail de sabotage.
En particulier, ceux-ci ont dénaturé la nature et les moyens de ce besoin vital de la lutte qu'est l'extension. En effet, c'est à un simulacre de solidarité prolétarienne et d'extension géographique de la lutte qu'a correspondu l'organisation de délégations composées de quelques syndicalistes ou d’éléments gauchistes entraînant derrière eux, ça et là, des minorités d'ouvriers plus ou moins nombreux. En 1980, en Pologne, c’est dès le début du mouvement que les ouvriers polonais sont sortis du cadre de l’usine et du secteur, envoyant des délégations massives, décidées et contrôlées par les assemblées générales, en direction des entreprises les plus proches géographiquement. C’est l’ensemble de la classe ouvrière en lutte, à travers le MKS, comité de grève à l’échelle nationale qui décidait des actions à mener en fonction des besoins de la lutte. A contrario, c'est l'absence d'un tel contrôle du mouvement de ce printemps qui a permis à toutes les forces hostiles à son réel développement de l'affaiblir de l'intérieur.
Ainsi, dans le mouvement de ce printemps en France, l'arme de la grève à répétition dans les transports, contrôlée par les syndicats, a été utilisée contre les intérêts généraux du mouvement. Largement handicapés dans leurs déplacements pour se rendre à leur travail des ouvriers ont, en nombre croissant, été animés par une hostilité grandissante vis-à-vis d'actions dont ils ne comprenaient pas le sens. De plus, la quasi-paralysie des transports pendant les manifestations a limité la participation ouvrière à celles-ci dans la mesure où le seul moyen de s'y rendre était bien souvent d'emprunter les cars syndicaux pour ensuite se trouver parqués derrière les banderoles de tel ou tel syndicat.
Pire encore. En laissant le contrôle du mouvement aux syndicats, les enseignants se sont laissés piéger dans une grève longue, isolées des autres secteurs, de plus en plus minoritaire.
Le 1er juillet 1980, à la suite de fortes augmentations du prix de la viande, des grèves éclatent à Ursus (banlieue de Varsovie) dans l'usine de tracteurs qui s'est trouvée au coeur de la confrontation avec le pouvoir en juin 1976, ainsi qu'à Tczew dans la région de Gdansk. A Ursus, les ouvriers s'organisent en assemblées générales, rédigent un cahier de revendications, élisent un comité de grève. Ils résistent aux menaces de licenciements et de répression et vont débrayer à de nombreuses reprises pour soutenir le mouvement. Entre le 3 et le 10 juillet, l'agitation se poursuit à Varsovie (usines de matériel électrique, imprimerie), à l'usine d'aviation de Swidnick, à l'usine d'automobiles de Zeran, à Lodz, à Gdansk. Un peu partout, les ouvriers forment des comités de grève. Leurs revendications portent sur des augmentations de salaires et l'annulation de la hausse des prix. Le gouvernement promet des augmentations : 10 % d'augmentation en moyenne accordées généralement aux seuls grévistes afin de calmer (!) le mouvement. A la mi juillet, la grève gagne Lublin. Les cheminots, les transports puis l'ensemble des industries de cette ville arrêtent le travail.
Le travail reprend dans certaines régions mais des grèves éclatent ailleurs. Krasnik, l'aciérie Skolawa Wola, la ville de Chelm (près de la frontière russe), Wroclaw sont touchées durant le mois de Juillet par la grève ; le département K-1 du chantier naval de Gdansk a débrayé, également le complexe sidérurgique de Huta-Varsovie. Partout les autorités cèdent en accordant des augmentations de salaires. Vers la fin juillet, le mouvement semble refluer; le gouvernement pense avoir stoppé le mouvement en négociant au coup par coup, usine par usine. Il se trompe car les ouvriers vont déjouer le piège des divisions en catégories professionnelles, en régions, par usines, avec prétendument leurs "problèmes propres". En effet, après une accalmie, la grève reprendra pour s'étendre géographiquement, et non par branches d'industrie.
Le 14 août, le renvoi d'une militante des syndicats "libres" provoque l'explosion d'une grève au chantier Lénine à Gdansk. L'assemblée générale dresse une liste de 11 revendications ; les propositions sont écoutées, discutées, votées. L'assemblée décide l'élection d'un comité de grève mandaté sur les revendications : réintégration des militants, augmentation des allocations sociales, augmentation des salaires de 2000 zlotys (salaire moyen : 3000 à 4500 zlotys), dissolution des syndicats officiels, suppression des privilèges de la police et des bureaucrates, publication immédiate des informations exactes sur la grève, etc. ! Tous les ouvriers licenciés du chantier naval depuis 1970 doivent pouvoir revenir à leurs postes. La direction stalinienne cède sur les augmentations de salaire et garantit même la sécurité aux grévistes.
Le 15 août, la grève générale paralyse la région de Gdansk. Les chantiers navals "La Commune de Paris" à Gdynia débrayent. Les ouvriers occupent les lieux et obtiennent 2100 zlotys d'augmentation immédiatement. Ils refusent cependant de reprendre le travail car "Gdansk doit gagner aussi". Le 18 août dans la région de Gdansk Gdynia Sopot, 75 entreprises sont paralysées Il y a environ 100 000 grévistes; on signale des mouvements à Szczecin et à Tarnow à 80 km au sud de Cracovie. Le comité de grève organise le ravitaillement : des entreprises d'électricité et d'alimentation travaillent à la demande du comité de grève. Les négociations piétinent, le gouvernement se refuse à parler avec le comité inter entreprises. Le 20 août, 300 000 ouvriers sont en grève. Le bulletin du comité de grève du chantier Lénine "Solidarité" est quotidien, des ouvriers de l'imprimerie aidant à imprimer des tracts et les publications.
Le 26 août, les ouvriers réagissent avec prudence aux promesses du gouvernement, restent indifférents aux discours de Gierek. Ils refusent de négocier tant que les lignes téléphoniques sont coupées à Gdansk. Le 28 août, les grèves s'étendent, elles touchent les usines de cuivre et de charbon en Silésie dont les ouvriers ont le niveau de vie le plus élevé du pays. Les mineurs se mettent en grève "pour les revendications de Gdansk". Trente usines sont en grève à Wroclaw, à Poznan (les usines qui ont commencé le mouvement en 1956), aux aciéries de Nowa-Huta et à Rzeszois, la grève se développe. Partout, des comités inter-entreprises se forment par région. Toute la classe ouvrière se dresse contre la classe capitaliste concentrée dans l'État.
En affirmant dès le début : "NOUS SOMMES TOUS NOS REPRÉSENTANTS", ou bien "NOUS N'AVONS CONFIANCE QU'EN NOUS-MÊMES", les ouvriers ont manifesté une conscience de classe aiguë. C'est pourquoi ils ont été capables de se doter d'organisations propres, à travers les assemblées générales et les comités de grève. Ainsi à Gdansk, le comité de grève rend compte de son mandat devant les ouvriers l'après-midi et les informe sur les réponses de la direction. L'assemblée décide la formation d'une milice ouvrière et de saisir l’alcool. Une seconde négociation avec la direction reprend. Les ouvriers installent un système de sonorisation pour que toutes les discussions puissent être entendues. Mais bientôt on installe un système qui permet aux ouvriers réunis en assemblée de se faire entendre dans la salle des négociations. Des ouvriers saisissent le micro pour préciser leurs volontés. Pendant la plus grande partie de la grève, et ce jusqu'au dernier jour avant la signature du compromis, des milliers d'ouvriers interviennent du dehors pour exhorter, approuver ou renier les discussions du comité de grève.
Peu après le 15 août, le mouvement des chantiers navals à Gdansk connaît un moment de flottement : des délégués d'atelier hésitent à aller plus loin et veulent accepter les propositions de la direction. Des ouvriers venus d'autres usines de Gdansk et de Gdynia les convainquent de maintenir la solidarité. On demande l'élection de nouveaux délégués plus à même d'exprimer le sentiment général. Les ouvriers venus de partout forment à Gdansk un comité inter-entreprises national dans la nuit du 15 août et élaborent un cahier de 21 revendications. Le comité de grève compte 400 membres, 2 représentants par usine; ce nombre atteindra 800 à 1000 quelques jours plus tard. Des délégations font le va et vient entre leurs entreprises et le comité de grève central, utilisant parfois des cassettes pour rendre compte de la discussion. Les comités de grève dans chaque usine se chargent de revendications spécifiques, l'ensemble se coordonne. Le comité d'usine des chantiers Lénine comporte par exemple 12 ouvriers, un par atelier, élus à main levée après débat. Deux sont envoyés au comité de grève central et rendent compte de ce qui se passe 2 fois par jour. Ces comités de grève inter-entreprises qui se créent et forment le MKS ne sont pas composés de "professionnels" de la lutte, comme les syndicalistes, mais ils englobent tous les ouvriers, quels que soient leur métier, leur qualification, leur secteur ou leur corporation. Ils sont la réelle émanation de la volonté ouvrière en lutte. Contre les idées galvaudées par les suppôts de la propagande bourgeoise, la constitution de ces comités de grève ne représentait pas l’anarchie mais un plus grand ordre, mettant en place des services de ravitaillement pour la population et une milice ouvrière contre les provocations et la répression de l’Etat. Dans la grève de masse, la volonté de tous –toute la classe- prédomine sur la volonté de quelques-uns. Le MKS avait toute prérogative pour conduire la grève. Il décidait si certaines entreprises devaient continuer à travailler pour assurer les besoins des grévistes. Ainsi, la raffinerie produisant au ralenti l’essence nécessaire aux transports, des bus et des trains circulaient ; l’industrie alimentaire dépassait quant à elle les plus hautes normes fixées par les bureaucrates auparavant, pour assurer l’approvisionnement de la population.
Outre les limites fondamentales imposées par le mouvement ouvrier international de l’époque qui laissaient les luttes en Pologne isolées, les illusions sur le "syndicalisme libre" ont participé à la défaite que subiront par la suite les ouvriers.
Ce sont en définitive les démocrates du KOR et les syndicalistes à la Walesa qui s’autoproclameront permanents et videront de toute sa substance le MKS pour en faire un organe permanent de la lutte, le MKZ, puis un syndicat, appelé cyniquement "Solidarité". On verra dans les années 1980 ce qu’il deviendra : un organe de gouvernement bourgeois, ouvertement anti-ouvrier.
Cependant, les leçons de la Pologne 1980 restent fondamentales pour le développement des luttes ouvrières dans le futur. C’est pourquoi la classe ouvrière doit dès aujourd’hui se les réapproprier et en faire une boussole dans son combat contre toutes les forces de la bourgeoisie.
D’après notre brochure "Grève de masse en Pologne"
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[1] https://fr.internationalism.org/ri337/interv.html#sdfootnote1sym
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[3] https://fr.internationalism.org/en/tag/vie-du-cci/interventions
[4] https://fr.internationalism.org/en/tag/recent-et-cours/luttes-classe
[5] https://fr.internationalism.org/en/tag/courants-politiques/gauchisme
[6] https://fr.internationalism.org/en/tag/5/48/pologne
[7] https://fr.internationalism.org/en/tag/heritage-gauche-communiste/lutte-proletarienne