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Revue Internationale no 36 - 1e trimestre 1984

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Conflits inter impérialistes, lutte de classe: l'histoire s'accélère

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"Jamais depuis les années 30, l'impasse totale dans laquelle se "trouve l'économie capitaliste ne s'était révélée avec une tel-"le évidence ; jamais depuis la dernière  guerre mondiale, la "bourgeoisie n'avait  déployé de tels arsenaux militaires, n'a­vait mobilisé de tels efforts en vue de la production de moyens "de destruction ; jamais depuis les années 20, le prolétariat "n'avait mené des combats de l'ampleur de ceux qui ont secoué "la  Pologne et l'ensemble de la classe régnante en 1980-81. "Cependant, ce n'est là qu'un début. En particulier, si aujour­d'hui les dirigeants bourgeois semblent se consoler en bavar­dant sur "la reprise économique"; ils ont du mal à masquer que "le plus fort de la crise est devant nous. De même, le recul "mondial des luttes ouvrières qui a suivi les formidables combats de Pologne ne constitue qu'une pause avant les énormes "affrontements de classe qui mettront en mouvement les détachements décisifs du prolétariat mondial, celui des grandes métropoles industrielles et notamment d'Europe occidentale" (Résolution sur la situation internationale, 5e Congrès du CCI Revue Internationale n°35)

Les années80, à la suite des années 70, dominées par l'illusion d'une reprise économique, sont bien des ANNEES DE VERITE. Si, après 1'invasion de 1'Afghanistan par  les troupes russes, le développement de la grève de masse des ouvriers en Pologne a montré, dès 1'aube des années 80, comment se concré­tisait 1'alternative historique : guerre impérialiste ou révolution communiste, les années qui ont sui­vi la défaite partielle du prolétariat mondial en Pologne, ont été marquées par une avancée des ten­sions impérialistes sans que la classe ouvrière se manifeste de façon significative.

Déboussolée par 1'activité de la gauche dans 1'opposition et par d'intensives  campagnes idéologiques centrées sur la guerre, en partie démoralisée par  la défaite en Pologne, la classe ouvrière a marqué une pause dans ses luttes qui a d'autant plus facilité la forte accélération des préparatifs guerriers de la bourgeoisie.

Cependant, 1'enfoncement toujours plus rapide du capitalisme dans la crise, alors que le prolétariat mondial n'est pas vaincu, pas écrasé, fait que cette pause des luttes ne pouvait être que provisoire. Aujourd'hui, le renouveau de la combativité de la classe ouvrière dans les pays centraux, vient montrer que  le repli se termine.

L'histoire s'accélère sous la poussée de 1'aggravation de la crise. Comprendre cette accélération, tant sur le plan  des tensions inter impérialistes que sur celui de la lutte de classe, constitue une tâche essentielle des organisations révolutionnaires  aujourd'hui si elles veulent  être à même de remplir leur fonction dans la classe demain.

L’AGGRAVATION DES TENSIONS IMPERIALISTES

Depuis l'invasion russe de l'Afghanistan, le prolétariat est soumis à une propagande intensive sur la guerre. Rien que ces derniers mois : un bœing 747 avec des centaines de passagers à bord abattu par les russes au dessus de l'île Sakhaline ; des centaines de soldats américains et  français tues dans des attentats meurtriers à Beyrouth ; un débarquement de marines américains dans une minuscule île des Caraïbes, la Grenade ; des avions français et israéliens qui bombardent au Liban, avec, en toile de fond, des conflits anciens qui non seulement n'en finissent pas mais, au contrai­re, s'exacerbent : la guerre Iran-Irak qui a fait déjà des centaines de milliers de morts et de bles­sés, les guerres au Tchad, Angola, Mozambique, Sa­hara occidental, Nicaragua, Salvador, Cambodge, etc. La liste des conflits qui viennent illustrer l'exacerbation des tensions guerrières est longue. Et pas un qui ne soit prétexte à une intensification du matraquage obsédant du bloc occidental destiné à paralyser le prolétariat en lui faisant peur et en lui communiquant un sentiment d'impuissance, et à dénoncer l'agressivité du bloc russe, même si parfois, l'influence de celui-ci y est insignifian­te.

Comme toute propagande, celle-ci s'appuie sur une réalité : avec l'entrée dans les"années de vérité", s'aggravent toutes les grandes tendances propres à la décadence capitaliste, notamment la tendance à l'aiguisement des tensions militaires.

"Face   la crise  qui se développait, la bourgeoi­sie s'est cramponnée pendant des années à l'espoir qu'il y avait  des solutions... Aujourd'hui, la bour­geoisie déchante. De façon sourde mais lancinante, elle découvre qu'il n'y a pas de solution à la cri­se... Réalisant qu'elle est dans  une  impasse, il ne lui reste que la fuite en avant. Et pour elle, la fuite en avant, c'est la marche vers la guerre". (Les années 80, années de vérité, Revue Internatio­nale n°20).

C'est dans ce contexte qu'on assiste à une modi­fication qualitative de l'évolution des conflits impérialistes. Contrairement à la propagande assé­née quotidiennement par tous les médias du bloc oc­cidental, la caractéristique majeure de cette évo­lution consiste en une offensive du bloc américain contre le bloc russe. Celle-ci vise à parachever l'encerclement de l'URSS par le bloc occidental, à dépouiller ce pays de toutes les positions qu'il a pu conserver hors de son glacis direct. Elle a pour but d'expulser définitivement l'URSS du Moyen-Orient en réintégrant la Syrie au sein du bloc occidental. Elle passe par une mise au pas de l'Iran et la réin­sertion de ce pays dans le bloc US comme pièce ma­jeure de son dispositif militaire. Elle a pour am­bition de se poursuivre par une récupération de l'Indochine. Elle vise, en fin de compte, à étran­gler complètement l'URSS; à lui retirer son statut de puissance mondiale.

Une des caractéristiques principales de cette of­fensive, c'est l'emploi de plus en plus massif de sa puissance militaire par le bloc US, notamment par l'envoi de corps expéditionnaires américains ou d'autres pays centraux du bloc (France, GB, Italie) sur le terrain des affrontements. Cette caractéris­tique correspond au fait que la carte économique, employée abondamment par le passé pour mettre la main sur les positions de l'adversaire, ne suffit plus :

-     du fait des ambitions présentes du bloc US ;

-     du fait surtout de l'aggravation de la crise mon­diale elle même qui crée une situation d'instabilité interne dans les pays secondaires sur lesquels s'ap­puyait auparavant le bloc US.

A cet égard, les événements d'Iran ont été un ré­vélateur. L'effondrement du régime du Shah et la pa­ralysie que cela a occasionnée pour le dispositif américain dans cette région, ont permis à l'URSS de marquer des points en Afghanistan. Ils ont convaincu la bourgeoisie américaine de met­tre sur pied sa force d'intervention rapide (et lui ont permis de faire "avaler" facilement cette dé­cision à la population traumatisée par l'exploita­tion de l'affaire des otages de l'ambassade améri­caine à Téhéran en 1979) et de réorienter sa stratégie impérialiste.

De même aujourd'hui, le meilleur bastion militai­re du bloc occidental au Proche-Orient : Israël, se retrouve dans une situation économique et so­ciale difficile, ce qui impose une présence mili­taire directe accrue du bloc au Liban.

La difficulté de plus en plus grande du bloc US à entretenir son avancée contre le bloc russe par sa puissance économique alors que la crise frappe toujours plus fort, le pousse à subordonner de plus en plus totalement son économie à ses besoins militaires. Depuis longtemps, étant donnée sa fai­blesse économique, l'URSS a du, pour maintenir sa domination sur son bloc, sacrifier la compétitivi­té de son économie aux besoins de sa puissance mi­litaire par un développement hypertrophié de son économie de guerre. La primauté du militaire sur l'économique est une tendance générale de la déca­dence du capitalisme qui s'accélère aujourd'hui et que les années de vérité mettent à nu.

Cette tendance ne manifeste pas la force du ca­pital, mais constitue au contraire la preuve de son affaiblissement. La fuite en avant dans l'éco­nomie de guerre et vers la guerre elle-même est le produit de l'affaissement du marché mondial sur­saturé. La production d'armements a ceci de parti­culier qu'elle n'est destinée ni à la reproduction de la force de travail, ni à la production de mo­yens de production, mais à la destruction ; elle est elle-même une stérilisation et une destruction de capital.

Dans tous les pays, les programmes d'armements se développent depuis la fin des années 70. Les com­mandes d'armes de l'Etat américain sont un des facteurs déterminants de la "reprise" économique actuelle. Mais cette destruction massive de capi­tal ne fait qu'accentuer à terme les effets de la crise et accélérer la faillite du capitalisme mon­dial (voir article dans ce n°).

LE PROLETARIAT : FREIN A LA GENERALISATION DES CONFLITS

La banqueroute du capital mondial pousse la bour­geoisie vers la guerre comme l'ont dramatiquement montré les deux holocaustes impérialistes de ce siècle. La crise économique aujourd'hui est plus profonde et plus forte que toutes celles qui ont précédé. Dans ces conditions, comment se fait-il qu'aucun des multiples conflits impérialistes ne se soit encore généralisé dans une 3e guerre mon­diale ?

La classe ouvrière reste un obstacle décisif à la guerre mondiale. Ce n'est pas l'accumulation des ar­mements les plus destructeurs qui freine les ten­dances bellicistes de la bourgeoisie. Mais depuis 1968, celle-ci n'est pas parvenue à assurer la sou­mission de cette principale force sociale du mon­de capitaliste qu'est le prolétariat.

La guerre impérialiste généralisée serait une guerre totale. Il faut à la bourgeoisie un proléta­riat docile qui fasse tourner à plein les usines, qui accepte une militarisation totale du travail, de la vie sociale, qui subisse sans broncher le rationnement alimentaire le plus draconien, qui joue le rôle d’exécutant soumis de l'Etat bourgeois, au nom de la patrie, au nom du drapeau national, au coude à coude avec ses ex­ploiteurs.

Le développement des luttes ouvrières contre les effets de la crise depuis 1968, au coeur du capi­talisme mondial : en Europe, c’est-à-dire au cen­tre des rivalités impérialistes entre les deux blocs qui se partagent le monde, démontre que cet­te condition n'est pas remplie. C'est cette re­prise des combats du prolétariat à l'échelle mon­diale à la fin des années 60 qui a imposé à la bourgeoisie américaine de retirer ses 400 000 hommes du ViêtNam devant les risques de conflagra­tion sociale qui s'accumulaient.

La classe capitaliste doit entamer et briser cette résistance du prolétariat pour avoir les coudées franches et en découdre sur le terrain des affrontements impérialistes. Les campagnes idéologiques sur la guerre menées de façon inten­sive depuis l'invasion de l'Afghanistan par les troupes du bloc russe, n'ont pas d'autre but que de paralyser le prolétariat et lui faire accepter un effort de guerre et des interventions militai­res croissantes. Ces campagnes s'adressent d'abord aux fractions de la classe ouvrière dans les pays industrialisés, et notamment d'Europe dont le rôle a toujours été déterminant par le passé pour per­mettre une marche à la guerre généralisée. En ef­fet, l'embrigadement du prolétariat européen der­rière l'étendard national et les mystifications bourgeoises a permis les deux guerres mondiales. Nous ne sommes pas dans la même situation aujour­d'hui. Nulle part, des fractions importantes du prolétariat ne se trouvent vaincues, soumises, embrigadées par la bourgeoisie. Partout les lut­tes de résistance contre l'austérité montrent que le potentiel de combativité de la classe ouvriè­re est intact, loin d'être brisé.

Il y a deux ans, Reagan, devant le tollé suscité par l'envoi de quelques dizaines de milliers de "conseillers anti-guérillas" au Salvador, avait affiché son but : surmonter le "syndrome du Viêt­Nam", c'est-à-dire les réticences de la popula­tion des Etats Unis à l'envoi de soldats améri­cains dans des conflits ouverts. On peut voir aujourd'hui, avec les milliers de soldats dépêchés au Liban ou à la Grenade, que la bourgeoisie oc­cidentale, à coup de campagnes intensives, a avancé sur ce plan. Cependant, nous sommes encore loin de la période de contre-révolution durant la­quelle les Etats Unis pouvaient, sans coup férir, envoyer 16 000 hommes au Liban pour rétablir l'ordre. La bourgeoisie a encore du chemin à par­courir si elle veut briser la résistance de la classe ouvrière et s'ouvrir la route de la 3e guerre mondiale.

Ainsi, depuis 1968, le prolétariat reste une préoccupation déterminante de la bourgeoisie car elle sait qu'il est le principal danger auquel elle se trouve confrontée. Un exemple marquant de cette situation réside dans l'organisation actuel­le de l'appareil politique de la bourgeoisie : de plus en plus, elle tend, pour faire face à la lutte de classe, à mettre ses fractions de gauche dans l'opposition, alors que les besoins de la guerre mondiale nécessitent l'union nationale, ce qu'elle ne peut faire pour le moment. Ce qui est à l'ordre du jour, c'est la lutte de classe.

Mais même si la classe ouvrière joue un rôle de frein aux tendances bellicistes, cela ne signifie pas pour autant que les tensions inter impérialistes cessent d'exister. Au contraire, celles-ci ne peuvent que s'exacerber sous la poussée de la crise. La lutte du prolétariat ne peut empêcher l'éclatement des multiples conflits impérialistes localisés ; ce qu'elle empêche, c'est leur généra­lisation dans un troisième holocauste.

Les tensions inter impérialistes ne disparais­sent pas dans le capitalisme : le capital suppose la guerre; et les illusions pacifistes, c'est-à-dire d'un capitalisme pacifique, sont un des pires poisons pour la classe ouvrière. Même durant la grève de masse en Pologne 80, quand les deux blocs se sont entendus comme "larrons en foire" pour isoler le prolétariat de Pologne et lui impo­ser la défaite, les tensions inter impérialistes -même si elles ont été mises au second plan- n'ont pas disparu pour autant : les conflits ont continué à la périphérie et les programmes d'arme­ments ont fait un bond en avant dans les budgets des principales puissances impérialistes.

Le niveau de lutte de classe actuel, s'il empê­che l'ouverture d'une 3e guerre mondiale, n'est pas suffisant pour faire reculer la bourgeoisie sur le plan militaire. Les ouvriers de Pologne ont posé la question de la généralisation internatio­nale de la grève de masse au coeur de l'Europe, question à laquelle ils ne pouvaient répondre par eux-mêmes dans la situation d'isolement où ils se trouvaient. C'est seulement cette perspective qui peut faire reculer la bourgeoisie à l'échelle mon­diale et préparer le terrain de la révolution com­muniste qui, mettant fin au capital, mettra fin à toutes les guerres. Cette perspective est entre les mains du prolétariat d'Europe occidentale, le plus à même, par son histoire, par son expérience, sa concentration, de la mettre en avant. De sa ca­pacité de lutter, de s'opposer aux attaques de la bourgeoisie dépend l'avenir de l'humanité.

LA REPRISE DE LA LUTTE DE CLASSE

Alors que le thème de la guerre est omniprésent, obsédant, à travers le battage permanent de tous les médias ; alors que le prolétariat est soumis à un martelage incessant où, dans l'infernale logi­que du capitalisme, les cadavres viennent justifier les cadavres, tous les moyens d'information sont par contre soumis à un black-out sur les luttes de classe.

Pourtant, après un creux réel au lendemain de la défaite en Pologne, les grèves qui se déroulent de­puis quelques mois en Europe sont significatives d'une reprise des combats de classe ; elles vien­nent confirmer que le prolétariat, loin d'être vaincu, garde intact son potentiel de combativité et qu'il est prêt à s'exprimer avec ampleur.

A cet égard, la grève du secteur public en Bel­gique durant le mois de septembre est exemplaire ; elle constitue le mouvement de luttes ouvrières le plus important depuis les combats de Pologne 80. Il en est ainsi par la conjonction des éléments suivants :

-   le nombre de travailleurs impliqués (plusieurs centaines de milliers dans un pays qui ne compte que 9 millions d'habitants) ;

-   le fait que ce mouvement a touché un des pays les plus industrialisés du monde, de plus vieux ca­pitalisme, situé en plein coeur des énormes con­centrations prolétariennes d'Europe occidentale ;

-   la dynamique qui s'est exprimée au démarrage du mouvement : surgissement spontané des luttes qui a pris de court et a débordé les syndicats ; ten­dance à l'extension ; dépassement des clivages communautaires et linguistiques ;

-   l'énorme mécontentement qui s'est révélé dans ces luttes et qui va croissant ;

-   le fait que ce mouvement prend place dans un con­texte international de surgissements sporadiques mais significatifs de la combativité ouvrière (en Grande Bretagne dans l'automobile ; en France, dans les centres de tris postaux ; en Hollande dans les services publics, etc.).

Le black-out imposé par les Etats aux moyens d'information sur cette grève durant une dizaine de jours dans les pays riverains de la Belgique (France, RFA, GB) met en évidence la crainte que la classe dominante éprouve d'une extension des explo­sions de mécontentement en Europe occidentale.

Ces luttes paraissent bien insignifiantes si on les compare à la flambée magnifique qu'avait constituée la grève de masse en Pologne 80. Pourtant, elles se développent dans un contexte différent qui leur donne toute leur valeur et leur sens.

La faiblesse de l'encadrement syndical "officiel" et la rigidité de l'Etat polonais ont permis la dynamique (extension et auto organisation) de la grève de masse à l'échelle nationale. Cependant, dans leur isolement, les travailleurs de Pologne se sont cassés le nez sur les illusions du syndi­calisme à l'occidentale, "démocratique", véhiculées par Solidarnosc.

"Par contre, le prolétariat  d'Europe occidenta­le, parce qu'il n'est pas  dans la même situation d'isolement, parce qu'il a accumulé  depuis des décennies toute une  expérience de luttes où il s' est confronté aux syndicats, à la gauche, parce qu'aujourd'hui, plus que jamais, la crise le pous­se à lutter, parce que son potentiel de combativité est intact, se trouve aujourd'hui dans des conditions meilleures qu'il n'en a jamais connues pour  clarifier  aux yeux  du prolétariat mondial la véritable nature des syndicats, de la gauche et de la démocratie". (Rapport sur la situation internationale, 5e Con­grès du CCI, Revue Internationale n° 35).

La grève en Belgique a manifesté des faiblesses qui continuent de peser sur la classe ouvrière et qui se sont notamment révélées par l'absence de remise en cause claire des syndicats et par l'ab­sence d'auto organisation des luttes. Cependant, ces faiblesses ne sauraient atténuer ou masquer 1'importance du mouvement. En fait, alors que la "gauche dans l'opposition" mise en place active­ment à partir de 79 dans la plupart des pays avait réussi à épuiser et à venir à bout de la poussée ou­vrière des années 78-80, les grèves de Belgique de septembre 83 constituent la première remise en cause d'envergure de l'efficacité de cette carte bourgeoise. Elles sont un indice indiscutable du fait que la classe ouvrière se remet de la défaite subie en Pologne 81, que le recul de ses combats qui marque les années 81-82, a pris fin.

A l'heure où la crise économique atteint mainte­nant de plein fouet les métropoles du capitalisme, la bourgeoisie ne peut plus différer ses program­mes d'austérité,ni les étaler dans le temps. La classe exploiteuse est obligée de plus en plus d'attaquer toutes les fractions du prolétariat en même temps, au coeur du monde industriel de la vieille Europe. Ainsi la classe ouvrière est de plus en plus poussée à exprimer à une échelle tou­jours plus massive ses réserves de combativité. Les conditions de l'extension et de la générali­sation se réunissent car le prolétariat doit fai­re face à une attaque générale de la bourgeoisie. Les conditions de l'auto organisation se rassem­blent parce que le prolétariat est amené à se con­fronter à la gauche et à ses syndicats en luttant contre l'austérité de l'Etat et que l'approfondis­sement de la crise se traduit par une usure des mystifications démocratiques et syndicales impo­sées depuis 50 ans par la bourgeoisie derrière le mythe de 1'Etat-providence.

Les luttes en Belgique, en France, en Hollande, etc., annoncent les luttes d'envergure qui pren­dront place dans le futur. La reprise de la lutte de classe de l'automne 83 n'en est qu'à ses débuts, "Dans les pays avancés d'Occident et notamment en Europe de 1'Ouest, le prolétariat ne pourra déplo­yer pleinement la grève de masse qu'à 1'issue de toute une série de combats, d'explosions violen­tes, d'avancées et de reculs, au cours desquels il démasquera progressivement tous les mensonges de la gauche dans 1'opposition, du syndicat et du syndicalisme de base". (Résolution sur la situation internationale du 5e Congrès du CCI, Revue Internationale n° 35)

Dans la mesure où le cours historique est la ré­sultante du rapport de forces entre les classes, il peut sembler paradoxal dans la période actuel­le d'assister en même temps à une accélération des tensions inter impérialistes et à la reprise de la lutte de classe. Le rapport entre les classes, entre le prolétariat et la bourgeoisie, n'est pas un rapport mécanique, immédiat ; c'est un rapport de forces historique. Devant 1 'exacerbation des contradictions provoquées par la crise, il faut une réponse à un degré qualitatif supérieur de la lutte de classe pour faire reculer la bourgeoisie et préparer l'assaut final contre le règne barba­re du capital.

Ce que la reprise de la lutte de classe annonce aujourd'hui, ce sont les futures grèves de masse de dimension nationale d’abord, et leur généralisation internationale ensuite qui permettront au prolétariat de mettre en avant la perspective ré­volutionnaire. Sur ce chemin le prolétariat d'Eu­rope, parce qu'aujourd'hui, dans le contexte im­périaliste, il est confronté au problème de la guerre de manière de plus en plus directe, devra assumer consciemment son opposition à celle-ci.

Plus que jamais, le prolétariat mondial aujour­d'hui sera contraint de faire sien le mot d'ordre du prolétariat révolutionnaire du début du siè­cle : GUERRE ou REVOLUTION !

Récent et en cours: 

  • Luttes de classe [1]

Questions théoriques: 

  • Impérialisme [2]

Où en est la crise? : Le poids des dépenses militaires

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C'est avec une vigueur retrouvée que les grands pays industrialisés ont renforcé leur présence armée sur des théâtres d'opérations militaires, présence qui s'était ralentie depuis le retrait des troupes américaines du Vietnam en 1975. En 1982,  le "wargame" grandeur nature des îles Malouines a clairement confirmé un tournant de la politique militaire du bloc de l'Ouest, prélude à l'"interposition" au Liban de corps expéditionnaires américain, français, britannique et italien la même année,  "interposition" devenue intervention directe en 1983.

A cette politique correspond une intensification des dépenses militaires qui manifeste la fuite en avant du capitalisme vers la seule issue qu'il peut donner à la crise définitive de son système d'ex­ploitation, la guerre généralisée.  Cependant,  le poids massif de l'économie de guerre remonte aux an­nées 1930 ; aujourd'hui, la politique d'armements ne peut en aucune façon fournir un palliatif à la crise comme ce fut le cas à l'époque. Au contraire, cette politique ne fait qu'accélérer la plongée du capitalisme dans l'abîme de la crise ; elle se révèle incapable de résorber le chômage massif au coeur des centres industriels ; elle ne permet pas une reprise économique réelle. Ainsi s'accentuent les conditions d'une riposte de la classe ouvrière qui commence à s'engager dans les pays du coeur du capitalisme.

L'ACCELERATION DES DEPENSES MILITAIRES

Les grands pays capitalistes vont assurer de plus en plus directement les basses besognes de l'affrontement militaire entre rivaux impéria­listes qui s’étaient poursuivi par petits pays inter­posés. Dans les années 1970, les grandes puissan­ces ont tendu à ralentir 1’accélération des dépen­ses militaires, déléguant leur rôle de gendarme à leurs alliés du tiers-monde face au bloc russe. Cependant, ce ralentissement relatif n'a jamais été une diminution. Les dépenses militaires mon­diales n'ont jamais cessé  de croître, particuliè­rement dans le tiers-monde et dans le bloc de l'Est.

Après avoir tenté d'utiliser principalement leur prépondérance économique sur le marché mondial contre le bloc adverse, avec 1'accélération ac­tuelle de la crise, les grands pays de l'Ouest sont à nouveau contraints d'accélérer leur poli­tique d'armements.

 


 

 La production industrielle de ces pays tourne aujourd'hui au mieux à 75 % de ses capacités et 1'investissement se tasse : même les analystes de la bourgeoisie les plus convaincus de la "re­prise" économique américaine -d'ailleurs de moins en moins nombreux- restent perplexes face au fait que cette soi-disant "reprise" s'accompagne d'une chute des investissements. La pression à la baisse du taux de profit s'accélère, et ceci d'autant plus pour les puissances  industrielles que la pro­ductivité ne cesse de s'accroître.

Aux Etats-Unis, y compris dans des secteurs de pointe comme l'électronique, les faillites se mul­tiplient. Dans l'automobile et l'aéronautique, les compagnies géantes comme Chrysler, Boeing, Mac Donnell Douglas, etc. ne doivent leur survie que grâce aux commandes militaires : chars pour Chrys­ler, avions Awacks pour Boeing, avions de combat pour Douglas.

La France,  second producteur d'armements du bloc de l'Ouest,  subit un nouveau freinage sans précédent dans l'industrie -agro-alimentaire, mines, sidérurgie, électronique. La construction aéronau­tique est de plus en plus fusionnée entre secteur civil et militaire et dominée par les responsables nationaux de l'armement : l'aviation civile stagne (Airbus) ; le secteur militaire est le seul qui résiste encore quelque peu à la récession.

Avec les Etats-Unis, la France et la Grande-Bre­tagne, le Japon prend une part grandissante dans la production d'armements, notamment dans l'élec­tronique indispensable à la stratégie militaire actuelle. De même, l'Allemagne de l'Ouest, qui, tout comme le Japon, est un pays soi-disant à "bas profil" en matière militaire, dépense autant que la France dans ce domaine.

De plus, les chiffres officiels ne dévoilent qu'une partie de ce qui est réellement consacré à l'armement. En 1981 par exemple, 25 %  de la re­cherche mondiale étaient officiellement consacrés au domaine militaire ; en fait, 90 % des program­mes de recherche sont sous le contrôle de l'armée. Tous les "progrès techniques" dans la société ci­vile ne sont que des retombées de l'industrie des armes. En informatique par exemple, les standards internationaux de programmation scientifique ou de gestion sont décidés par le Pentagone.

La crise ouverte révèle que c'est toute l'éco­nomie capitaliste qui est orientée vers la guerre, une économie de guerre qui n'est plus capable d'assurer l'accumulation du capital, et moins en­core de développer une quelconque satisfaction des besoins humains. Au contraire, la proportion d'investissements dans les moyens de destruction ne cesse d'augmenter : selon la Banque Mondiale, 10 %  des dépenses mondiales d'armements représen­tent ce que coûterait la résolution du problème de la faim dans le monde ; ces dépenses attei­gnent aujourd'hui la somme astronomique de plus d'un million de dollars... par minute.

LES DEPENSES MILITAIRES ACCELERENT LA CRISE DU CAPITALISME

"Les armes ont cette particularité majeure de posséder une valeur d'usage qui ne leur permet en aucun cas d'entrer sous quelque forme que ce soit dans le processus de production. Une machine à la­ver peut servir à reconstituer la force de travail, tout comme du pain ou des chemises.  Par le contenu de leur valeur d'usage,  ces biens peuvent servir comme capital sous  la forme de capital variable. Un ordinateur,  une tonne de fer ou une machine à vapeur,  en tant qu'ils sont des moyens ou des ob­jets de travail peuvent fonctionner comme capital sous forme de capital constant.  Mais des armes ne peuvent que détruire ou rouiller". ("La décadence du capitalisme", p. 75, brochure du CCÏ).

Même pour les pays exportateurs l'armement cons­titue aujourd'hui moins que jamais un palliatif à la crise. Le coût de l'armement grève la compéti­tivité de chaque capital national comme en témoi­gne l'insistance des Etats-Unis à réarmer le Ja­pon et l'Allemagne pour pousser à répartir ce coût.

De plus, la concurrence s'exacerbe sur le marché des armes. Les pays acheteurs deviennent à leur tour des concurrents dans beaucoup de domaines :

"Il est devenu pratiquement impossible d'obtenir des contrats à l'exportation sans accepter de ré­trocéder aux clients une partie du savoir-faire". (L'Expansion, p.83, 1er déc.83).

Enfin, les achats ne peuvent se faire que grâce à des prêts des grandes puissances que de plus en plus de pays sont totalement incapables de rem­bourser. L'armement ne permet pas de retarder les effets de la crise : il ne sert qu'au maintien et à l'accentuation des positions stratégiques dans la rivalité entre Est et Ouest derrière les chefs de file des deux blocs : URSS et USA.

De même que l'URSS fait payer son armement par ses  alliés, les USA font payer leur armement grâ­ce à la place particulière du dollar comme monnaie refuge internationale. En drainant par des taux d'intérêts élevés les capitaux spéculatifs sur le dollar les USA font financer leur déficit budgé­taire par les autres pays ; de plus,du fait du ren­chérissement du dollar,ils payent moitié prix leurs achats à ces pays. En 1982, le déficit budgétaire ([1] [3]) américain correspond d'ailleurs exactement au bud­get de la défense nationale (Survey of Current Business, 7/83). La "reprise" américaine ne repose que sur l'utilisation de la planche à billets, sur du papier, et la pression inflationniste que cela va inévitablement engendrer mène vers une nouvelle poussée d'hyper-inflation menaçant le système mo­nétaire international, danger contre lequel préci­sément la bourgeoisie avait du réorienter sa poli­tique à la fin des années 1970.

Mais c'est dans l'extension du chômage massif que le capitalisme signe sa faillite complète. Alors qu'avant la 2ème guerre mondiale la produc­tion d'armements avait permis une résorption spec­taculaire du chômage -de 5 331 000 à 172 000 chô­meurs aux USA entre 1933 et 1938, de 3 700 000 à 200 000 en Allemagne-, ce n'est plus le cas aujour­d'hui. Avec le gigantesque accroissement de la pro­ductivité des techniques de pointe, le niveau du réarmement actuel des grands pays industrialisés n'a d'effet que négligeable sur le chômage. Celui-ci n' a cessé d ' augmenter et ne peut que s ' accélé­rer.

Moins que jamais la production d'armements ne fournit un véritable débouché pour le capitalisme. Elle devient une charge de plus en plus lourde pour chaque économie nationale.


 

MG.



[1] [4] 235 milliards de dollars.

Récent et en cours: 

  • Crise économique [5]

Débat avec Battaglia Comunista sur les thèses de son 5ème congrès

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COURS HISTORIQUE: LES ANNEES 80 NE SONT PAS LES ANNEES 30

Savoir dans quel sens se dessine 1'histoire, vers où  va  la société : allons-nous  vers  une nouvelle guer­re mondiale ? Allons-nous, au contraire, vers des affrontements  de  classe qui poseront la question  de la révolution prolétarienne ?

C'est là une question de base, fondamentale, pour quiconque prétend jouer un rôle actif et conscient dans la lutte de classe.

C'est pourquoi, lors de ses congrès, une organisation politique prolétarienne consacre toujours une bonne partie de ses travaux  à l'analyse de la situation mondiale, cherchant à cerner le mieux possible quelle est la dynamique générale du rapport de force  entre les classes.

Battaglia Comunista (Parti Communiste Internationaliste), a tenu au début  de novembre 82 son 5ème Congrès et vient  de  rendre publics ses travaux dans le n°7 de sa revue Prometeo de juin 1983. La question y est abordée même si c'est en partie pour affirmer qu'on ne peut pas répondre à ce genre de questions

B.C a affirmé dans un texte récent (distribué à la réunion publique du CCI à Naples, en juillet 83) qu'il  considère les thèses du dit congrès comme une contribution au débat dans le milieu révolutionnai­re et  qu'elles"attendent  encore d'être discutées dans leur substance politique". Nous ne pouvons discuter ici de toutes les questions abordées par le congrès de B.C ("crise et impérialisme", "tactique d'interven­tion du parti révolutionnaire la "phase de transition  du capitalisme au communisme") sous peine de res­ter sommaires. Nous nous tiendrons, dans cet  article, à la  question  du cours historique actuel et à ce qui s'en  dégage au travers  des thèses  du  congrès  de  B.C.

PEUT-ON ALLER EN MEME TEMPS VERS LA GUERRE MONDIALE ET VERS LA REVOLUTION ?

A la question de savoir quelle est la perspecti­ve actuelle pour la lutte de classe, Battaglia ré­pond que tout ce qu'on   peut dire pour le moment c'est que ce sera peut-être la guerre, peut-être la révolution, peut-être les deux. Il n'y a, d'a­près B.C, aucun élément sérieux qui permette d'af­firmer que l'une de ces issues soit plus probable que les autres. Voici un exemple de comment elle formule cette idée.

"L'effondrement  général  de  1'économie se traduit de façon  immédiate par 1'alternative : guerre ou révolution. Mais la guerre elle-même en marquant un virage en soi catastrophique dans la crise du capitalisme et un brusque bouleversement dans les échafaudages superstructures du système, ouvre les possibilités de1'effondrement de ceux-ci  et donc 1'ouverture, au sein-même de la guerre, d'une situation  révolutionnaire et de la possibilité d'affirmation du parti  communiste. Les facteurs qui déterminent 1'éclatement social, au sein duquel le parti  trouvera les conditions de sa croissance ra­pide et de son affirmation, que ce soit dans la pé­riode qui précède  le conflit, pendant  le conflit  ou immédiatement après celui-ci, ne sont pas quantifiables. On ne peut donc pas déterminer a priori à quel moment  un  tel  éclatement aura  lieu (exemple polo­nais). " Tactique d'intervention du parti révolu­tionnaire/ Prometeo, juin 83.

B.C part d'une idée de base juste et importante: il n'y a pas de "troisième issue". L'alternative est guerre ou révolution et il n'y a aucune possi­bilité pour le capitalisme de reprendre désormais un nouveau développement économique dans la paix. C'est important, entre autres, face au flot d'il­lusions "pacifistes" que la bourgeoisie déverse sur le prolétariat des pays industrialisés. Mais, le moins qu'on puisse dire c'est que c'est insuf­fisant comme détermination d'une perspective.

Battaglia dit : "Les  facteurs qui  déterminent 1'éclatement  social (...) ne sont pas quantifiables. On ne peut  donc pas déterminer a priori  à quel moment  un  tel  éclatement aura  lieu".

Mais, ce dont il s'agit ce n'est pas de déter­miner le jour et l'heure d'une éventuelle révolu­tion prolétarienne, mais plus simplement et plus sérieusement de savoir si la bourgeoisie mondiale dispose des moyens de conduire le prolétariat des pays industrialisés à une troisième guerre mondia­le ou bien si, au contraire, non embrigadée et poussée par la crise, la classe ouvrière se prépa­re à des affrontements qui poseront la question de la révolution communiste mondiale.

En disant que la situation révolutionnaire peut se produire avant, pendant ou après une prochaine guerre, Battaglia s'avoue incapable de se pronon­cer sur la perspective historique actuelle.

B.C justifie cette incapacité en disant que la situation de crise économique peut conduire simul­tanément à l'une ou à l'autre issue historique.

Il y aurait en quelque sorte deux tendances paral­lèles et ayant des chances égales de se concrétiser l'une corme l'autre. Il est vrai que du point de vue objectif, la crise économique exacerbe simultanément les antagonismes d'intérêt entre les classes sociales et les antagonismes entre puissances capitalistes rivales. Mais l'aboutissement de l'un ou l'autre de ces an­tagonismes dépend en dernière instance d'un seul et même facteur: la conscience et la pratique du pro­létariat.

C'est la même classe, la classe exploitée, qui, soit s'affirme comme protagoniste de la révolution, soit, disloquée, sert de chair à canon et de producteur des moyens matériels de la guerre im­périaliste.

L'état d'esprit, la conscience d'une classe, prête à bouleverser 1'ordre social capitaliste et à bâtir une nouvelle société est radicalement différent de celui qui caractérise des ouvriers atomi­sés, brisés, "solidaires" de leur classe dominante au point d'accepter de s'entretuer sur les champs ide bataille au nom de"leurs" patries respectives. Marcher avec des drapeaux rouges vers la construc­tion d'une humanité unifiée, ce n'est pas la même chose que marcher en rangs par quatre derrière un drapeau national pour égorger les prolétaires du ploc impérialiste adverse. La classe ouvrière ne peut pas partager en même temps ces deux états d'esprit qui s'excluent totalement.

C'est là une évidence que certainement Battaglia accepterait sans réticences. Mais ce qu'elle sem­ble ignorer c'est que les processus qui conduisent à l'une ou l'autre de ces situations s'excluent tout autant.

Le processus qui conduit vers 1'issue révolution­naire est caractérisé par un dégagement croissant du prolétariat de l'emprise de l'idéologie domi­nante et un développement de sa conscience et de sa combativité ; celui qui conduit vers la guerre, à l'inverse, se traduit par une adhésion croissante des ouvriers aux valeurs capitalistes ( et à leurs représentants politiques et syndicaux ) et par une combativité qui, soit tend quasiment à disparaître, soit ne s'exprime que dans une perspective politi­que totalement contrôlée par la bourgeoisie.

Ce sont là deux processus bien différents, anta­goniques, s'excluant aussi l'un l'autre.

Quiconque analyse l'histoire en sachant voir le rôle de protagoniste central du prolétariat, sait que la marche vers la guerre ne peut pas être la même que la marche vers des situations révolution­naires.

Affirmer que les deux processus peuvent se dérou­ler simultanément sans que l'on puisse déterminer quelle tendance tend à l'emporter, c'est tout sim­plement raisonner en mettant entre parenthèses, en faisant abstraction de la classe révolutionnaire, de sa conscience et de sa combativité.

COMMENT RECONNAITRE LE COURS VERS LA GUERRE ?

Battaglia clame aujourd'hui être le seul héritier authentique des acquis de la Fraction de la Gauche Italienne pendant l'entre deux guerres. Mais un des mérites principaux de ce dernier courant,qui a tra­versé sur un terrain de classe la période noire de la contre-révolution triomphante,n'est autre que sa capacité à avoir reconnu lucidement le recul de la révolution dès les années 20 et l'ouverture d'un cours vers la guerre dans les années 30. S'il a été capable de voir dans la guerre d'Espagne et dans les grèves de 36 en France non pas "le début de la révolution en Europe", comme un Trotski pou­vait le croire, mais des moments qui s'inscrivaient déjà dans une marche vers la guerre mondiale, c'est parce qu'il avait su raisonner en termes de cours historique et replacer les événements parti­culiers immédiats dans la dynamique globale du rap­port de forces entre classes au niveau historique et mondial. Il suffit de se pencher sur l'histoi­re des périodes qui ont précédé les deux guerres mondiales pour voir à quel point ces événements majeurs n'ont pas éclaté comme des éclairs dans un ciel bleu, mais furent le résultat d'un proces­sus de préparation au cours duquel la conscience du prolétariat fut systématiquement détruite par la bourgeoisie jusqu'à permettre l'embrigadement des prolétaires.

La Gauche Communiste de France, en 1945, en re­prenant la méthode qui fut celle de la Gauche Ita­lienne donna un remarquable résumé de ce que fut ce processus de préparation à la guerre :

"C'est l'arrêt de la lutte de classe, ou plus exactement la destruction  de  la puissance de  clas­se  du prolétariat, la   destruction de sa conscien­ce, la. déviation de ses  luttes  que  la  bourgeoisie parvient à opérer par l'entremise de  ses  agents dans le prolétariat, envidant ses luttes de leur contenu  révolutionnaire, en les engageant sur les, rails du  réformisme et du nationalisme, qui est  la condition ultime  et  décisive  de  1'éclatement de la guerre impérialiste.

Ceci doit être compris non  d'un  point de vue étroit et  limité  d'un secteur  national  isolé, mais internationalement.

Ainsi, la reprise partielle, la recrudescence de  luttes et de mouvements de  grèves constaté  en 1913 en Russie ne diminue en rien  notre  affirma­tion. A regarder les choses de plus près, nous verrons que  la puissance du prolétariat interna­tional à la veille de 1914, les victoires électo­rales, les  grands partis sociaux-démocrates et les organisations syndicales de masse, gloire et  fier­té de la Deuxième Internationale, n'est aient qu'une apparence, une façade  cachant sous son vernis le profond délabrement idéologique. Le mouvement ou­vrier, miné et pourri par 1'opportunisme  régnant en maître devait s'écrouler comme  un château de cartes devant  le premier souffle de guerre.

La réalité ne se traduit pas dans la photo chro­nologique des événements. Pour la comprendre, il faut  saisir le mouvement sous-jacent, interne, les modifications profondes qui se sont produites avant qu'elles n'apparaissent à la surface  et soient enregistrées par des dates.

On commettrait une  grave erreur  en voulant res­ter  fidèle à 1'ordre  chronologique de 1'histoi­re  et présenter  la guerre  de 1914 comme la cause de 1'effondrement de la 2ème Internationale quand. en réalité, l'éclatement de la guerre  fut directement conditionné par la dégénérescence opportuniste préala­ble du mouvement  ouvrier international. Les fan­faronnades  de  la phrase internationaliste se  fai­saient sentir d'autant plus extérieurement  qu'in­térieurement triomphait  et dominait la tendance nationaliste. La guerre de 1914 n'a fait que met­tre en évidence, au grand jour, 1'embourgeoisement des partis de la 2ème Internationale, la substi­tution de leur programme révolutionnaire initial, par l'idéologie de l'ennemi de classe, leur ratta­chement aux intérêts  de  la  bourgeoisie nationale.

Ce processus interne de destruction de la cons­cience de classe a manifesté son achèvement ouver­tement dans 1'éclatement  de la guerre de 1914 qu'il a conditionné.

L'éclatement de la seconde guerre mondiale était soumis aux mêmes conditions.

On peut distinguer trois étapes nécessaires et se succédant  entre les deux guerre  impérialistes.

La première s'achève avec 1'épuisement  de la gran­de vague révolutionnaire de 1'après 17  et consis­te dans  une suite de défaites de la révolution dans plusieurs pays, dans la  défaite de la gauche exclue de l'IC où triomphe le centrisme et l'engagement de l'URSS dans une évolution vers le capitalisme a travers de la théorie de la pratique du "socia­lisme en  un  seul pays".

La deuxième étape est  celle de 1'offensive  géné­rale du capitalisme international parvenant à  liqui­der les  convulsions sociales dans le centre décisif où se joue 1'alternative historique du capitalisme/socialisme:1'Allemagne par 1'écrasement physique du prolétariat et 1'instauration du régime hitlé­rien jouant  le rôle de gendarme en  Europe. A cette étape correspond  la mort définitive de l'IC et la faillite de l'opposition  de  gauche de Trotski qui, incapable de regroupe  le énergies révolutionnai­res, s'engage dans la coalition de la fusion  avec des  groupements et des courants opportunistes de la gauche socialiste, s'oriente vers des pratiques de bluff et d'aventurisme en proclamant la forma­tion de la 4ème Internationale.

La  troisième étape fut celle du dévoiement total du mouvement  ouvrier des pays "démocratiques". Sous le masque de défense des "libertés" et des "conquê­tes" ouvrières menacées par le fascisme, on  a, en réalité, cherché à  faire   adhérer le prolétariat à la défense de la démocratie, c'est-à-dire de  la bourgeoisie nationale, de  sa patrie capitaliste. L'anti-fascisme était la plateforme, 1'idéologie moderne du capitalisme  que les partis traîtres au prolétariat employaient pour envelopper la marchan­dise  putréfiée de la défense nationale.

Dans cette troisième étape s'opère le passage dé­finitif des partis dits communistes au service de leur capitalisme respectif, la destruction de la conscience de classe par l'empoisonnement des masses, par 1'idéologie anti-fasciste, 1'adhésion des masses   la future guerre impérialiste au travers de leur mobilisation dans les "fronts populaires", les grèves dénaturées et déviées de 1936. La guer­re anti-fasciste espagnole, la victoire définitive du capitalisme d'Etat en Russie se manifestant en­tre autres, par la répression féroce et le massacre physique de toute  velléité de réaction révolution­naire, son adhésion à la SDN, son  intégration  dans un bloc impérialiste  et 1'instauration de 1'écono­mie de guerre en vue de la guerre impérialiste se précipitant. Cette période enregistre également la liquidation de nombreux groupes révolutionnaires et des Communistes de Gauche surgis de la crise de l'IC et qui, au travers de 1'adhésion à l'idéolo­gie anti-fasciste à la défense de "l'Etat ouvrier en Russie", sont happés dans 1'engrenage du capitalis­me et définitivement perdus en tant qu'expression de la vie de la classe. Jamais l'histoire n'a en­core enregistré pareil  divorce entre la classe et les groupes qui  expriment ses intérêts et sa mission. A l’avant-garde se trouve dans  un état d'absolu isolement  et  réduite quantitativement  à de petits îlots négligeables.

L'immense vague de la révolution jaillie à la fin de la première guerre impérialiste a jeté le capi­talisme international dans une telle crainte qu 'il a fallu  cette longue période de désarticulation des bases du prolétariat pour que la condition soit  re­quise pour le déchaînement  de la nouvelle guerre impérialiste mondiale". Rapport à la Conférence de juillet de la Gauche Communiste de France.( 1945)

Comme on le voit, le cours historique qui conduit à la guerre a des manifestations spécifiques, pro­longées dans le temps et reconnaissables - même si elles ne sont pas "quantifiables" comme le voudrait Battaglia- pour pouvoir se risquer à se prononcer.

On peut, peut-être, affirmer qu'il n'est pas tou­jours aisé de reconnaître un tel processus, mais c'est tourner le dos aux responsabilités des révolu­tionnaires, c'est se résigner à l'impuissance et à l'inutilité que de prétendre qu'il est, de façon générale, impossible de déterminer le cours histo­rique.

COMMENT RECONNAITRE LE COURS VERS DES AFFRONTEMENTS DE CLASSE DECISIFS ?

Le processus qui conduit à la création de situa­tions révolutionnaires est très différent de celui qui conduit à la guerre . La marche vers la guerre est un mouvement qui ne rompt pas avec la logique même du système dominant.

Pour les prolétaires, aller à la guerre, c'est aller au bout de leur soumission au capital sur tous les plans... jusqu'au sacrifice de la vie el­le-même. Il n'y a pas de changement fondamental dans le rapport entre classe dominante et classe exploitée. Le rapport "normal", dans"les règles de l'ordre" est simplement poussé à une de ses formes les plus extrêmes.

En réalité, le cours qu'on pourrait  appeler 'normal ' de la société capitaliste est vers la guer­re. La  résistance de la classe ouvrière qui peut remettre en cause ce cours apparaît comme une sorte "d'anomalie", comme allant à "contre-courant" d'un processus organique du monde capitaliste. C'est pour cela que, si on  examine les huit décennies de notre siècle, on en trouvera à peine un peu plus de deux, au cours desquelles le rapport de  forces aura été suffisamment en faveur du prolétariat, pour qu 'il puisse barrer le chemin à la guerre impérialiste (1905-12, 1917-23, 1968-80) ". (Revue Internationale n°21, 2ème trimes­tre 1980, "Révolution ou guerre").

En ce sens, le cours de montée de la lutte de clas­se est beaucoup plus fragile, instable et heurté que celui vers la guerre. De ce fait, il peut être interrompu et renversé par une défaite décisive fa­ce à la bourgeoisie, alors que le cours vers la guer­re ne peut être interrompu, éventuellement, que par la guerre elle-même.

" Alors que le chemin de la victoire est unique pour le prolétariat : 1'affrontement armé et géné­ralisé contre la bourgeoisie; celle-ci dispose de divers moyens pour défaire son ennemi : soit en épui­sant la combativité dans des impasses (c'est  la  tac­tique présente de la gauche), soit en l'écrasant paquet par paquet (comme en Allemagne 1919 et 1923), soit en l'écrasant physiquement lors d'un choc fron­tal (qui  est toutefois le type d'affrontement le plus favorable au prolétariat)." (ibid.)

Cours vers la révolution et cours vers des affron­tements de classe décisifs.

C'est pour tenir compte de cette "réversibilité" du cours vers la révolution que, lorsque nous cher­chons à rendre compte de la situation présente, nous préférons parler de "cours vers des affronte­ments de classe".

" L'existence d'un cours à 'l'affrontement de clas­se' signifie que la bourgeoisie n'a pas les mains libres pour déchaîner une nouvelle boucherie mon­diale ; auparavant, elle devra affronter et battre la classe ouvrière. Mais cela ne préjuge pas de 1'issue de cet affrontement, ni dans un sens, ni dans l'autre. C'est pour cela qu'il est préférable d'utiliser ce terme plutôt que celui de 'cours à la révolution'. (Revue Internationale n° 35, Résolu­tion sur la situation internationale, 5ème Congrès du CCI).

C'est pour cela que nous employons moins le ter­me de "cours vers la révolution"... et non parce que nous aurions bouleversé notre analyse sur la question du cour actuel, comme le prétend Battaglia dans un souci de fausse polémique qui évite les vraies questions (cf. la réponse publique à no­tre "Adresse aux groupes politiques prolétariens" du 5ème Congrès du CCI).

Le terme de cours vers la révolution se justifie essentiellement en fonction de la nécessité d'affir­mer qu'il n'y a pas de troisième issue en dehors du dilemme : guerre ou révolution. Mais, sans au­tre précision, cette formulation peut laisser en­tendre une conclusion qui, elle, ne peut être af­firmée avec certitude, du moins au stade actuel du développement du cours historique : nous savons que nous allons vers des affrontements de très gran­de ampleur entre prolétariat et bourgeoisie qui, une fois encore poseront la question de la révolu­tion, et non vers la guerre. Mais on ne peut pré­juger de l'issue de cet affrontement.

La  révolution PENDANT la guerre ?

L'histoire fournit beaucoup plus d'exemples de si­tuations où le rapport de forces est totalement en faveur de la classe dominante que de périodes où le prolétariat a ébranlé ou limité réellement son pou­voir. De ce fait, il y a moins de références histo­riques pour définir les caractéristiques de ce que peut être le cheminement vers des affrontements ré­volutionnaires que dans le cas d'un cours vers la guerre. Et cela est d'autant plus vrai que l'expé­rience des mouvements révolutionnaires prolétariens importants  dans le passé s'est généralement ins­crite dans des guerres ou immédiatement après (la Commune de Paris 1871, 1905 et 1917 en Russie, 1918-19 en Allemagne). Or, la guerre crée des conditions telles que, même si, comme en 1914-18, elle provoque le développement d'une vague de luttes révolution­naires, celle-ci ne parvient pas - du fait même de la guerre - à devenir véritablement internationale.

La guerre peut provoquer des mouvements révolu­tionnaires et cela de façon extrêmement rapide :

les premières grèves significatives en Russie et en Allemagne ont lieu en 1915 et 1916 ; la révolu­tion éclate "à peine" deux ou trois ans après. Deux ou trois ans qui sont cependant des périodes de guerre mondiale, d'histoire accélérée qui équi­valent, au niveau du rapport entre les classes, à des décennies d'exploitation et de crise "pacifi­que" .

Cependant, ".cette même guerre impérialiste (1914-18) portait e  elle toute une série d'obsta­cles à la généralisation  des  luttes révolutionnai­res à 1'échelle mondiale :

-        la division  entre  pays belligérants et pays "neutres" : dans ces derniers pays, le prolétariat ne subit pas de dégradation massive de  ses condi­tions de  vie;

-        la  division  entre"pays vainqueurs" et "pays  vain­cus": dans les premiers, le prolétariat a été le plus souvent  une proie facile pour la  fierté chauvine déversée massivement par la  bourgeoisie; dans  les seconds  si la  démoralisation nationale créait de meilleures conditions pour le  développe­ ment de  1 'internationalisme, elle ne fermait pas la porte, au contraire, au développement de senti­ments de revanche (cf. le "national  bolchevisme" en Allemagne) ;

-     face à un mouvement révolutionnaire né de la guerre impérialiste, il restait comme recours à la bourgeoisie d'interrompre celle-ci (cf. Allemagne en novembre 1918) ;

-     une fois la guerre impérialiste terminée, la pos­sibilité de reconstruction qui s'offre au  capita­lisme  et donc d'une  certaine amélioration du fonc­tionnement de son  économie a brisé 1'élan pro­létarien en le privant  de son aliment de base : la lutte économique et le constat de faillite du sys­tème.

Par contre,le  développement progressif d'une crise  générale de l'économie capitaliste, s'il ne permet pas une prise de conscience aussi rapide des véritable enjeux de la lutte ni de la nécessi­té de 1'internationalisme, élimine cependant  les obstacles énumérés ci-dessus en se sens :

-     qu'il tend à mettre le prolétariat de tous les pays sur  un même plan : la  crise mondiale n'épar­gne aucune économie nationale,

-     qu'il n'offre à la bourgeoisie aucune porte de sortie sinon celle d'une nouvelle guerre impéria­liste qu'elle ne pourra  déchaîner tant que le pro­létariat n'aura pas été battu". (Revue Internationale numéro 26, 3ème trimestre 81, "Résolution sur la lutte de classe" du 4ème Con­grès du CCI).

L'histoire ne peut donc fournir toutes les carac­téristiques de ce que peut être un cours ascendant de lutte en une période comme l'actuelle, caracté­risée non par la guerre mais par un lent enfonce­ment de la société dans la crise économique.

On peut cependant identifier un tel cours, pre­mièrement de façon "négative", c'est-à-dire par le fait qu'il ne possède pas les caractéristiques essentielles du cours vers la guerre ; deuxième­ment, par le fait qu'il est marqué aussi bien par un dégagement de la part du prolétariat de l'empri­se de l'idéologie dominante que par un développe­ment de sa propre conscience et combativité de classe.

LE COUPS HISTORIQUE ACTUEL

Le 5ème congrès de Battaglia ne se prononce pas véritablement sur les perspectives de la lutte de classe. Il maintient un flou tout comme le 2ème congrès du PCInt. en. 1948 sur la rnême question. (Voir article dans ce numéro). Mais à propos de la situation actuelle les thèses du congrès affirment : "Si   aujourd'hui   le prolétariat,   face à   la  gravité et  aux coups subis  par les attaques répétées  de la bourgeoisie,  ne s 'est  vas encore montré  en mesure de répondre, cela  signifie  seulement que  le  long travail   de contre-révolution mondiale est encore à 1'oeuvre au sein des consciences ouvrières". (Synthèse du rapport de politique générale)

Battaglia n'a jamais compris l'importance de la rupture historique avec la contre-révolution que constitua la vague de grèves ouverte par 1968 en France. B.C considère qu'en réalité aujourd'hui, tout comme dans les années 30, "le long travail de la  contre-révolution mondiale  est encore  à  1'oeuvre au  sein  des  consciences  ouvrières".

Dans une grande mesure B.C ne voit pas encore la différence qualitative qu'il y a entre les années 80 et les années 30. Elle ne perçoit pas comment le fait que la crise économique détruise systémati­quement les mystifications idéologiques qui écra­sent le prolétariat et qui ont permis dans le passé de l'embrigader dans la guerre, crée des conditions historiques qualitativement différen­tes pour la lutte prolétarienne.

"Le fait - disent les thèses du 5ème congrès de B.C. - d'avoir cédé pendant des décennies à l'oppor­tunisme, en  un premier temps, à la contre-révolution des partis centristes ensuite, le fait d'avoir subi le poids de 1'écroulement des mythes politiques com­me celui de la Russie et de la Chine, la frustration d'espérances émotivo-politiques comme celles créées artificiellement avec la guerre du Viêt-Nam, a en­gendré dans  le choc avec cette vaste et  destructrice crise économique, un prolétariat  fatigué  et  déçu, mais pas pour autant vaincu définitivement ". (idem)

Il est normal que B.C. constate, au moins, que depuis la 2ème guerre mondiale le prolétariat n'a pas été massivement écrasé et n'est pas "vain­cu définitivement". Mais au delà de cette constata­tion B.C. ne continue à voir dans le prolétariat et ses luttes que le "long travail de la contre-ré­volution", la fatigue et la déception.

Qu'en est-il en réalité ?

Comme on l'a vu précédemment, l'existence d'une combativité ouvrière ne suffit pas à caractériser un cours vers des affrontements révolutionnaires : les luttes à la veille de la 1ère guerre mondiale, imbues d'esprit réformiste, d'illusions sur la démocratie et sur une intarissable prospérité capitaliste, celles de la 2ème moitié des années 30 détournées et annihilées dans l'impasse de"l'anti-fascisme" et donc de la défense d'un capitalisme "démocratique", démontrent que sans développement de la conscience prolétarienne la combativité de classe ne suffit pas à entraver le cours vers la guerre.

Depuis la fin des années 60, la combativité ouvrière a connu aux quatre coins de la planète, à travers des périodes de recul et de reprise, un renouveau qui tranche sans équivoque avec les périodes pré­cédentes. De Mai 68 en France à la Pologne de 1980-81 la classe ouvrière a démontré que loin d'être déçue et fatiguée, elle possédait des potentialités de combat intactes et qu'elle savait les rendre effectives.

Mais qu'en est-il au niveau de sa conscience ?

On peut ici distinguer deux processus qui, tout en étant étroitement liés n'en sont pas pour autant identiques. Il y a d'une part le développement de la conscience prolétarienne par son dégagement de l'emprise de l'idéologie dominante et, d'autre part, le développement "en positif" de cette conscience par l'affirma­tion de 1'autonomiefde l'unité et de la solida­rité de classe.

Sur le premier plan, la crise économique et ses effets dévastateurs qu'aucun régime, d'Est ou d'Ouest, aucun parti au gouvernement de droi­te ou de gauche ne parvient à enrayer, ont porté les plus rudes coups aux mystifications bourgeoi­ses sur la possibilité d'un capitalisme éternel­lement prospère et pacifique, sur le "Welfare state", sur la nature ouvrière des pays de l'Est et autres régimes soi-disant "socialistes", sur la démocratie bourgeoise et le vote comme moyen de "changer les choses", sur le chauvinisme et le nationalisme dans les pays les plus industria­lisés, sur la nature ouvrière des partis de gau­che et leurs centrales syndicales... (nous ren­voyons nos lecteurs à nos textes qui ont plus largement développé cette question, en particu­lier "le cours historique", rapport adopté par le 3ème congrès du CCI -Revue Internationale N° 18, 3ème trimestre 1979).

Sur le 2ème plan, le développement "en positif" de la conscience de classe, celui-ci ne peut être évalué qu'en regard des manifestations de lutte ouverte du prolétariat considérées non pas de façon locale ou statique mais dans leur dyna­mique au niveau mondial. Or, les luttes des 15 dernières années de mai 68 aux grèves du secteur public en Belgique en septembre 83, si elles n'ont pas encore atteint des degrés de conscien­ce révolutionnaire généralisée -ce qu'il serait enfantin de leur exiger au stade actuel de leur développement- n'en sont pas moins marquées par une nette évolution vers l'autonomie à l'égard des appareils d'encadrement de la bourgeoisie (syndicats, partis de gauche) et vers des formes d'auto organisation et d'extension de la lutte. Le seul fait que la bourgeoisie soit de plus en plus systématiquement contrainte d'avoir recours au "syndicalisme de base", surtout dans les "pays démocratiques" pour contenir et dévoyer la comba­tivité ouvrière, parce que le mouvement de désyndicalisation s'accélère et que les directions syndicales sont de moins en moins capables de se faire obéir, suffit à lui seul à démontrer le sens de la dynamique de la conscience ouvrière. Contrairement à ce qui s'est produit dans les années 30, où les luttes se sont accompagnées d'un développement du syndicalisme et de l'empri­se des forces bourgeoises sur le mouvement, les luttes de notre époque tendent à affirmer leur autonomie et leur capacité d'extension par dessus les barrières que ces forces leur opposent.

Il reste, bien sûr, encore un long chemin à parcourir au prolétariat pour parvenir à l'affir­mation de sa conscience révolutionnaire pleinement épanouie. Mais s'il faut attendre que ce point soit atteint pour se prononcer sur le sens du mouvement actuel, -comme semble le faire Battaglia -il faut renoncer à toute analyse sérieuse du cours historique présent.

Le 5ème congrès de B.C semble avoir consacré beau­coup d'efforts à l'analyse de la crise économique actuelle. Et c'est là un aspect important pour la compréhension de l'évolution historique présente -à la condition toutefois que cette analyse soit correcte, ce qui n'est pas toujours le cas. Mais la meilleure analyse économique devient inutile pour une organisation révolutionnaire si elle ne s'accompagne pas d'une juste appréciation de la dy­namique historique de la lutte de classe. Et dans ce domaine le congrès de B.C se présente avec plus de 40 ans de retard.

A en juger par les travaux de son 5ème congrès, tout indique, que Battaglia, au niveau de son ana­lyse de la lutte de classe, n'est pas encore en­trée dans les années de vérité, les années 80.

R.V.

Courants politiques: 

  • Battaglia Comunista [6]

Questions théoriques: 

  • Le cours historique [7]

A propos de l'adresse aux groupes politiques prolétariens du 5eme congres du CCI

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REPONSE AUX REPONSES

A son 5ème Congrès International,le CCI a adressé à tout le milieu politique prolétarien un Appel (cf. Revue Internationale n°35) pour qu'il prenne conscience de ses responsabilités dans la gravité de la situation historique actuelle. Les  contradictions destructrices du système capitaliste, aiguisées par la crise mondiale, précisent  chaque jour davantage 1'alternative devant la classe ouvrière : guerre ou révolution. "Mais 1'avant-garde politique du prolétariat, au lieu de servir de phare dans la tourmente sociale qui se développe, est au contraire souvent ballottée par les événements incapable de dépasser son éparpillement et son sectarisme qui sont le legs de la contre-révolution." (Adresse du 5ème Congrès).

L'"Appel" du CCI ne contient pas de solution miracle à cette situation. Nous avons voulu insister sur le fait que 1'intervention dans les luttes et surtout la préparation aux combats  futurs "ne sauraient être assurées par une simple somme d'efforts de chaque groupe pris individuellement. Il s'agit d'établir une coopération consciente entre toutes les organisations non pas pour réaliser des regroupements hâtifs, artificiels, mais pour engendrer une volonté et une démarche qui donnent toute son importance à un travail systématique de débats, de confrontations fraternelles entre forces politiques prolétariennes". (Ibid.).

Nous avons dit clairement dans l "Adresse" : "l'heure n'est pas  venue pour l'appel à des nouvelles conférences des  groupes communistes." Après l'échec des Conférences Internationales de 1977 à 1980, il s'agit  aujourd'hui d'en tirer les leçons et poursuivre par d'autres moyens le débat sur les questions po­litiques qui restent à clarifier, notamment la  question sur laquelle les Conférences se sont disloquées sans clarté réelle : le rôle, la fonction du futur parti du prolétariat.

 

Nous allons répondre ici brièvement aux proposi­tions qui nous ont été faites et aux arguments mis en avant par ceux qui ont répondu.

Il faut dire tout de suite que le fait même que des organisations politiques aient ressenti le be­soin de répondre et de s'expliquer est déjà une chose positive. Nous sommes contents de constater que les organisations politiques du prolétariat ne sont pas sourdes.

Mais les révolutionnaires ont beau être optimis­tes par nature, nous avons parfois la fâcheuse im­pression que les réponses à 1'"Adresse" expriment moins une conviction profonde qu'une réaction "ré­flexe" : on sauve la face en répondant mais on se lave les mains par ailleurs en n'allant pas au POND de la question. On continue à penser dans son for intérieur : si d'autres organisations ont des pro­blèmes, tant mieux ! Qu'elles débarrassent le plan­cher au plus vite. Chacun construit "son" parti et défend "son" territoire. On est pour la confron­tation des positions politiques, bien sûr, mais c'est plutôt un "pourquoi pas". On ne la considè­re pas comme une nécessité vitale, une activité à part entière.

On se réveille à la nécessité de penser ou agir collectivement seulement quand il y a des événe­ments ponctuels, mais comme activité systématique, comme préoccupation constante, on ne comprend tou­jours pas.

On continue à opposer l'intervention dans la clas­se" à l'intervention "dans le milieu", cette der­nière étant vue comme une activité annexe, voire stérile, même si on ne le dit pas à haute voix. Pourtant, si les groupes politiques étaient réel­lement convaincus que :

-   la conscience de classe ne vient pas de l'ex­térieur de la classe elle-même et n'est pas injec­tée de dehors comme le prétend la position léni­niste de "Que faire ?" ;

-   la classe ouvrière donne naissance à son milieu politique pour que les idées de la classe puissent s'exprimer et se clarifier ; alors, tous les groupes comprendraient dans les faits, et pas seulement dans des phrases, que les débats dans le milieu sont le reflet des besoins de la classe. Ils comprendraient que les discus­sions ne sont pas superflues et que les thèmes de débat ne sont pas le fait du hasard. Ils compren­draient enfin que la clarification nécessaire à la classe ouvrière internationale doit aussi s'exprimer dans un mouvement vers la clarification de son milieu politique. Il ne suffit pas de faire la comptabilité des groupes en voie de disparition dans le milieu comme si on assistait à un "match" macabre : sans la clarification réelle des erreurs, le milieu dans son ensemble continuera à traîner des incompréhensions qui nuiront inévitablement à la possibilité d'une révolution victorieuse.

Aujourd'hui, on reconnaît qu'une décantation de grande envergure se produit dans le milieu politi­que. Les groupes politiques sont bien obligés de se rendre à l'évidence. Mais ils sont passifs fa­ce à ce processus. Ils ne reconnaissent pas la nécessité d'une clarification consciente active pour faire en sorte que cette décantation ne soit pas une pure perte. Ils ne reconnaissent pas non plus que c'est le sectarisme et la peur qui ont saboté les Conférences Internationales, empêchant le milieu politique prolétarien de s'assumer consciemment. Aujourd'hui, seule la confrontation des positions peut aider tous les groupes à évo­luer vers une cohérence politique et à assurer une intervention à la hauteur des exigences historiques.

Nous avons reçu des lettres du Communist Bulletin Group (Grande-Bretagne) , du Groupe Communiste Internationaliste (Belgique), de la Communist Workers’Organisation (Grande-Bretagne) et du PCI-Battaglia Comunista (Italie) . Le Fomento Cforero Revolutionario nous promet une réponse en décembre 83. Les éléments du Groupe Volonté Commu­niste prévoient un bilan de leur trajectoire poli­tique pour bientôt. En commençant par le petit bout...

COMMUNIST BULLETIN GROUP (Grande-Bretagne)

Comment distinguer le bavardage d'un discours sincère ? En s'assurant que les paroles se concré­tisent par des actes en conséquence. Talk is cheap (parler n'engage à rien). Le CBG écrit : "Nous vou­lons exprimer notre solidarité avec la démarche et les préoccupations exprimées dans 1'Adresse. " ; "Le débat  ouvert, fraternel et constant, est une nécessité matérielle pour le milieu révolutionnai­re" ."Nous devons combattre pour la reconnaissan­ce de 1'existence d'un milieu politique proléta­rien.". (Lettre du CBG). Parfait ! Le seul hic -et il est de taille- c'est que, à l'origine de ce groupe,se trouve 1'ex-section du CCI d'Aberdeen (également ex-section de la CWO ; ce sont les mêmes) qui a couvert et justifié le vol du maté­riel et de 1 ' argent du CCI en péchant dans les eaux troubles de Chénier (Voir Revue Internationa­le n°28) . Ces "camarades" ont eu connaissance des manoeuvres de Chénier pendant des mois et ils ont justifié le vol une fois celui-ci accompli, comme "normal en cas de scission". Notre condamnation de ces pratiques était qualifiée de "réaction de petits bourgeois propriétaires". Jusqu'à aujourd'hui, le CBG dans son ensemble a justifié politiquement ces actes et ces prises de position. Jusqu'à aujour­d'hui, il a refusé de nous rendre ce qu'il a pris lui. Dans les premiers numéros de The Bulletin, il se revendiquait de ce comportement en se vau­trant dans le colportage de racontars aussi vils que stupides contre le CCI. Maintenant, (sans dou­te en voyant que l'attitude précédente n'a pas me­né au résultat escompté) il essaye de se blanchir les mains en défendant hypocritement "la nécessi­té de polémiques saines". Que  le ton soit hystérique ou douceâtre ne change rien au fait qu'on ne peut lire nulle part dans la presse du CBG un dé­saveu politique du vol qui a été à l'origine du groupe.

Comment oser parler de"solidarité", de "recon­naissance du milieu politique du prolétariat" quand le fondement n'existe pas? Le CBG a le tou­pet d'oser nous écrire : "L'existence de ce milieu engendre une  communauté d'obligations et de respon­sabilités".

Mais cela se traduira en vol le jour où vous serez en désaccord avec le CBG et il jus­tifiera  le vol comme "anti-petit-bourgeois". Peut-être pourrions-nous le formuler ainsi : quand on scissionne, on peut voler ce qu'on veut, mais quand on a enfin un groupe à soi, enfin maître chez soi... 1!accession à la propriété assagit les petits voyous. Ou peut-être en ayant attiré vers eux de nouveaux camarades, les anciens espèrent-ils se cacher derrière. Changez de nom, changez de vie. Ce n'est pas sérieux. S'il y a des camarades un tant soit peu sincères dans le CBG, la moindre des choses serait qu'ils fassent un effort pour com­prendre et agir en conséquence. On ne peut pas par­ler de reconnaître- l'existence du milieu politique dans un texte et faire le contraire dans les faits.

Quand El Oumami a scissionne du PCI en volant du matériel en France, nous avons montré une solidari­té sur cette question primaire. Nous aurons à l'avenir la même attitude de défense du milieu po­litique prolétarien contre les attaques destructri­ces quel que soit le groupe concerné. Au moins dans le cas d'El Oumami, ce dernier avait-il des po­sitions politiques gauchistes cohérentes avec ses actes. Mais qu'en est-il pour le CBG ?

Quelles sont les positions du CBG ? Celles (plus ou moins) du CCI ! Voila un autre groupe dont l'existence est parasitaire. Que représente-t-il face au prolétariat ? Une version provinciale de la plateforme du CCI avec la cohérence en moins et le vol en plus. Mais il y a sans doute une évo­lution dans l'air. La plupart des petits cercles qui scissionnent sans avoir préalablement clarifié les positions commencent par suivre le chemin de la facilité en adoptant la même plateforme que le groupe d'origine. Mais bientôt, pour justifier une existence séparée, on découvre maintes questions secondaires divergentes et à la fin on change les principes. Ce fut le cas du PIC (Pour une Inter­vention Communiste, aujourd'hui disparu), du GCI dans une certaine mesure, et le CBG prend déjà le même chemin en rejetant la cohérence sur la ques­tion de l'organisation. Cependant, cela ne nous a jamais empêchés de polémiquer avec ces autres grou­pes, ni de les considérer comme partie du milieu prolétarien en général, ni d'en inviter certains aux Conférences Internationales. Mais il n'en va pas de même pour le CBG. Un groupe politique qui ne respecte pas "la communauté des obligations et responsabilités" au point de participer aux actes visant à nuire à d'autres organisations du prolé­tariat, se met de lui-même en dehors du milieu po­litique et mérite l'ostracisme qu'il recueille. Jusqu'à ce que la question fondamentale de la dé­fense des organisations politiques du prolétariat ne soit comprise, nous répondons par une fin de non-recevoir à la lettre du CBG. Ils se sont trom­pés d'adresse.

GROUPE COMMUNISTE INTERNATIONALISTE (Belgique)

Le GCI nous écrit : "Nous sommes donc principiellement en accord avec la nécessité du regroupement, de la  centralisation mondiale des forces  communis­tes  sur base du programme. Mais ceci signifie pour nous non pas  le primat de la conscience sur 1'être (préalable des discussions et échanges d'idées), mais la nécessité d'une convergence réelle pratico-théorique comme base, comme ciment sur lequel les débats et polémiques peuvent et doivent se développer. C'est pourquoi, nous formu­lons de réelles propositions de travail et non les éternelles palabres en circuit fermé que ont, pour 1 'instant,  vos réunions publiques :

1)    Nous estimons qu'il est vital que le peu de groupes ouvriers développent ensemble des mesures et des pratiques élémentaires de sécurité et de solidarité afin d'opposer un front compact aux at­taques de plus en plus virulentes de la répression étatique et para-étatique. Qu'en pensez-vous ?

2)    Face à 1'importante  vague de luttes que nous venons de connaître et  au  rôle de briseurs de grè­ve qu'ont   une fois de plus joué les syndicats, nous estimons qu'il est  fondamental et opportun de développer une campagne de propagande, d'agita­tion, d'actions, centrées sur cette question : syndicats=briseurs  de grève ; organisation  autonome en dehors  et  contre eux ; solidarité avec les vic­times de la répression, etc. Nous pensons  que c'est sur ce terrain, et uniquement sur celui-là que  se démontre  la  réelle  volonté de lutte". (Lettre du GCI, 29/9/83).

Nous n'avons rien contre les actions communes s'il se présente des situations qui les requièrent. Sur la défense des organisations politiques du pro­létariat, au moins, nous partageons le soucis du GCI et telle a toujours été notre pratique (la prise de position de la section du CCI en Belgique face aux calomnies d'Amada maoiste contre le GCI ; la position sur Chénier ; contre les attaques d'El Oumami à la Fête de LO en France). D'autres cas peuvent se présenter. Cependant, pour nous, l'effi­cacité de ce "type d'actions" ne relève pas d'une préparation contre la répression "en soi" (groupes de défense ? préparation militaire ?) ni de fronts sans principes pour la défense des victimes, mais d'accords de principe solides sur l'existence et la nécessité de la défense du milieu prolétarien. Ceci ne peut pas se faire "uniquement sur le ter­rain d'actions" mais en passant nécessairement par ce que le GCI voit comme les "éternelles palabres" -discussions et débats, prises de position publi­ques dans nos réunions, dans la presse, etc. Il en est de même pour la dénonciation des syndicats : pour nous, celle-ci ne se réduit pas à des bombages ou "campagnes de propagande". Nous ne connais­sons que trop ce que sont les "campagnes" dont le PIC fut si friand pendant des années et qui ne font que cacher la confusion et l'incapacité d'un véri­table travail révolutionnaire. La dénonciation des syndicats est un travail de longue haleine requé­rant un cadre permettant que l'intervention ne soit pas une agitation ponctuelle, mais s'intègre dans une activité constante de presse, tracts, grèves, manifestations, etc., et ceci au niveau internatio­nal. Mettre en avant les "projets d'actions commu­nes" comme base, c'est mettre l’activité révolutionaire sur la tête et la conduire au casse-gueule.

Il semblerait que le GCI tombe dans l'idée que l'agitation est le"seul terrain"de la confrontation. Une telle démarche introduit en permanence une sé­paration entre "théorie" et  "action" qui mè­ne en fait la théorie dans les ornières d'un acadé­misme stérile, et d'autre part 1'"action" dans cel­les non moins stériles de l'activisme. Cette logi­que mènerait au bout du compte à priver la lutte de classe de son arme essentielle, la prise de conscience.

Le GCI nous accuse d'idéalisme, d'hégélianisme, de donner "le primat de la conscience sur 1'être". Dans la réponse de la section du CCI en Belgique à la lettre du GCI (Internationalisme, déc.83), nous avons écrit : "Tout comme un homme ne  respi­re pas pour respirer, mais pour vivre, le CCI, s'il  existe  et discute, ce n'est pas pour discu­ter comme dans  un salon de  thé, mais pour dégager une intervention  claire  au sein des  luttes. L'al­ternative n'est  donc pas entre la théorie ou  la pratique, mais  la  question  est  de savoir quelles interventions, sur quelles bases, sur  quelles positions   ?

Tout comme ce fut au nom du primat de 1’être sur la conscience que 1'IC fit passer sa politique de front  unique, c'est  au nom de  ce même argument que le PCI interdisait  toute discussion  et  interven­tion politique dans la lutte des  immigrés, que le GCI a fait un foin  autour de comités  fantômes dis­paraissant  aussi  vite qu'ils étaient apparus (Fran­ce) et a  fait  expulser de  fait  le  CCI du  comité de chômeurs de Bruxelles, car il  fallait choisir en­tre 'coller  une  affiche ou  discuter  de  la  décadence',

Nous  avons vu le résultat  de toutes ces démar­ches : la  faillite de 1'IC, 1'éclatement  du PCI, la  disparition  de  tous  les  comités  du GCI, une scission  dans  ce même  GCI... Cette logique qui veut  à  tout prix que 1'agitation soit  le seul   terrain  de  la  confrontation mène à 1'apolitisme et  à l'activisme". (Réponse d'Internationalisme).

Nous ne refusons pas des actions communes ; ajoutons même que le mouvement de grèves en Bel­gique en septembre 83 aurait requis de telles ac­tions. Mais elles ne s'improvisent pas ; elles nécessitent une analyse et un accord politique commun qui passent nécessairement par ce que le GCI appelle des"éternelles palabres".

Si nous nous sommes attardés autant sur les im­plications de la démarche de la lettre du GCI, c'est parce que cette démarche n'est pas propre à ce groupe. Loin de là. Combien de fois n'entendons-nous pas des groupes dire: "de toute façon, chacun a ses positions ; personne ne va changer ; alors pourquoi parler?" Et dans la mesure où des grou­pes politiques ne cherchent pas à défendre leurs positions par des arguments rationnels et dans un cadre de principes, mais plutôt à se fuir et à s'ignorer les uns les autres, le milieu politique du prolétariat stagne effectivement. Alors, cer­tains concluent, comme le GCI, qu'il faut se rappro­cher par des "actions ponctuelles" (en ce sens, le bilan que nous promettent les éléments du GVC, ex-PIC, sera très intéressant sur ce point) ; d'autres,au contraire,veulent bien polémiquer, mais à condition qu'aucune prise de position commu­ne ne ressorte ; c'était le cas dans les Conférences Internationales "muettes" (Voir Bévue Interna­tionale n°17) . Et voila l'impasse.

BATTAGLIA CQMUNISTA (PARTI COMMUNISTE INTERNATIONALISTE, Italie)

Ce groupe, avec ses racines dans la Gauche Ita­lienne, sa plateforme, est un groupe révolution­naire qui représente un courant d'idées sérieux dans le milieu politique. Sa volonté de polémiquer, de confronter les positions politiques dans la presse et les réunions publiques est un fait in­discutable. Battaglia a participé à une réunion publique du CCI à Naples sur le thème "Crise du mi­lieu révolutionnaire : comment répondre ?", en élaborant un document pour l'occasion. Ensuite, il a répondu à notre adresse par une lettre en­voyée à tous les groupes qui ont participé aux Conférences Internationales.

Battaglia commence cette réponse en critiquant le CCI : "Nous refusons la conception du CCI rela­tivement  au camp  révolutionnaire  lui-même. C'est-à-dire, qu'il  n 'est pas  clair en ne distinguant pas camp révolutionnaire et camp des  forces politi­ques prolétariennes". Si on entend par "organisa­tions révolutionnaires" les groupes munis d'une plateforme politique cohérente, avec une structure organisationnelle et une intervention régulière et systématique dans la lutte de classe et si on en­tend par "milieu politique prolétarien" les groupes révolutionnaires, mais aussi des groupes sans pla­teforme, sans cohérence, sans racines historiques, qui, dans une mouvance générale, se réclament du prolétariat, nous pouvons être d'accord. Malgré des erreurs occasionnelles de vocabulaire, nous avons toujours défendu la nécessité de cette dis­tinction. C'est pour cela que nous avons tant in­sisté auprès de Battaglia en 1977 pour que les Conférences Internationales se délimitent par des critères politiques clairs.

Malheureusement, Battaglia utilise cette distinc­tion à sa manière : "Qui est en crise ? Certaine­ment le CCI. Certainement le PCI. Certainement pas les forces (peu nombreuses) qui ont évalué la si­tuation et les problèmes de 1'expérience polonaise, qui n'ont pas été victimes de positions mécanistes ou idéalistes, et qui ont en substance, de solides positions doctrinaires" (sic) ([1] [8]). "Ce n'est pas une crise du milieu révolutionnaire, mais un nettoyage? Du camp prolétarien". Merci pour lui. Alors quelles sont les organisations du vrai camp révolutionnaire ? Ta.  CWC ? si on en juge par sa surestimation de la lutte de classe en Pologne (lorsqu'elle appelait les ouvriers à "la révolu­tion maintenant !"), ce n'est pas elle non plus l'heureuse élue. Mais Battaglia se tait à ce sujet. Il reste... Battaglia ! Il faut croire que le triste aboutissement de la mélomanie du PCI-Proqramma n’a rien appris à Battaglia.

Mais attendez. Il veut bien réhabiliter la CWO. L'objectif de toute cette argumentation est de jus­tifier l'élimination du CCI des Conférences Internationales. Les polémiques dans la presse, c'est pour le milieu "vaste et agité", mais les Conféren­ces sont "pour le travail vers la formation du parti". Selon Battaglia, et la CWO, au fur et à mesure des trois Conférences, ils se sont aperçus que le CCI ne défend pas la même position qu'eux sur le Parti. Face à cette révélation, BC a "assu­mé la responsabilité qu'on est en  droit  d'attendre d'une force sérieuse dirigeante"(sic) en introdui­sant, sur cette question, un critère sélectif sup­plémentaire inacceptable par le CCI. Que BC et ses amis cessent de jouer la candeur surprise. Depuis toujours, depuis bien avant les Conférences en 1977, le CCI n'a jamais eu une position léniniste sur le Parti. Si c'est cela qui a empêché les Con­férences de continuer, il ne fallait pas les com­mencer. Quant à "assumer sa responsabilité", nous citons un extrait de notre lettre de juin 1980 :

"Faut-il  considérer que votre décision d'élimi­ner le CCI  n'a  été prise qu'au cours de la Confé­rence elle-même ? Si tel était  le cas, on ne pour­rait  que rester pantois devant votre sous-estima­tion irresponsable de l'importance  tant d'une tel­le décision que des Conférences elles-mêmes et de­vant votre démarche improvisée et précipitée qui tournerait complètement le dos aux exigences d'un travail patient et systématique  qui est tellement indispensable aux révolutionnaires.

Mais, à la Conférence, vous avez affirmé qu'il ne s'agissait nullement d'une décision improvisée mais que vous aviez déjà évoqué ,dans le passé, la nécessité d'une 'sélection'. Faut-il vous rap­peler, camarades, que lors de la réunion  du comi­té technique de novembre 79, nous vous avons clai­rement interrogés sur vos intentions quant à l'a­venir des conférences ainsi que sur votre apparen­te volonté d'écarter le CCI et que c'est tout aus­si clairement que vous avez répondu  être favorables à  leur poursuite avec tous les participants y com­pris le CCI,

Si, effectivement, vous pensiez qu'il était temps, d'introduire un critère supplémentaire beaucoup plus sélectif pour la convocation de futures confé­rences, la seule attitude sérieuse, responsable et compatible avec le souci de clarté et discussion fraternelle qui doit animer les groupes révolution­naires, aurait été de demander explicitement que cette question soit mise à l'ordre du jour de la Conférence et que des textes soient préparés sur cette question. Mais, à aucun moment au cours de  la préparation de la 5ème Conférence, vous n'avez explicitement soulevé une telle question. Ce n'est qu'à la suite de tractations de coulisse avec la CWO que vous avez en fin de conférence lancé votre petite bombe." (Procès Verbal de la 3ème Conférence des Groupes de la Gauche Communiste, p. 2 de la lettre du CCI).

Et après avoir écarté le CCI, B.C et la CWO font une 4ème Conférence, point culminant de la décanta­tion du "camp prolétarien" vers le "camp révolution­naire", de la formation du Parti, avec le SUCM, ("Supporters étudiants du Mouvement de l'Unité Communiste"), un groupe qui est en voie de "former le Parti" en Iran avec le Komala qui pratique la lutte armée pour la libération du Kurdistan en alliance militaire avec le PDK (Parti Démocratique Kurde). Quel est ce groupe avec lequel B.C a "pris ses responsabilités" ? Selon les lettres que B.C a en­voyées au SUCM en juillet et septembre 83, l'UCM "sous-estime le défaitisme révolutionnaire", et sa position de "défense des acquis de la révolution (islamique) n'exclut pas la participation à la guer­re Iran/Irak". L'UCM défend les guerres "justes" et B.C fait la leçon à ses étudiants "supporters" sur comment comprendre la baisse du taux de profit sur trois pages de sa lettre. Bien sûr, B.C proteste contre le "social-chauvinisme" de l'UCM - mais si gentiment- et il chuchote au SUCM de ne pas, tout de même, aller jusqu'à la défense de l'Etat.

Au CCI, B.C écrit en parlant de notre "incapaci­té congénitale", notre "inconsistance théorique", que "seuls des militants incompétents et incura­bles" peuvent avoir nos idées. Au SUCM, il écrit par contre quelque chose dans le style : "Permet­tez-nous de vous dire, chers camarades, que l'or­ganisation dont vous êtes les supporters pourrait être caractérisée par un net penchant stalinien (osons-nous le dire ! ) ". Que de douceurs pour nos frères "en évolution" du Tiers-Monde. Pour le CCI n'importe quelle grossièreté suffirait. La seule  fois où B.C perd son calme, c'est quand il apprend que l'UCM a fait une réunion du "Comité Interna­tional de Solidarité avec l'Iran"... "pour fêter la constitution d'un comité pour la construction du Parti Communiste de 1' Iran"  une réunion en Ita­lie avec le 'Nuclei', 'Lega Leninista’ et d'autres, mais sans B.C !

En réalité, le vrai problème de B.C et de la CWO (qui le suit fidèlement), ce n'est pas d'établir une distinction entre camp prolétarien et camp ré­volutionnaire, mais de ne pas voir la différence entre camp prolétarien et camp bourgeois. Au moins le SUCM semble-t-il plus clair ; il écrit à BC : "soit  vous  êtes  avec le CCI,  soit  vous êtes avec nous".

Aujourd'hui, B.C semble vouloir faire un peu ma­chine arrière sur le SUCM et il envoie à différen­tes organisations la correspondance qu'il a échan­gée récemment avec ce groupe. Mais dans sa lettre de réponse à l'Appel du CCI, il s'obstine à défen­dre sa démarche. Un pas en avant, deux pas en ar­rière.

Comment se fait-il qu'une organisation politique comme B.C avec toute son expérience ait pu se lais­ser entraîner dans un flirt avec le SUCM, un grou­pe de supporters des organisations bourgeoises, style stalinien ?

Il est vrai que les organisations politiques ne sont pas infaillibles. Mais il ne s'agit pas ici d'une erreur d'enthousiasme à propos d'un groupe inconnu. Depuis plus d'un an et en connaissance de cause, nous mettons BC et la CWD en garde contre le contenu bourgeois des positions politiques du SUCM. Aujourd'hui, la fusion en cours entre UCM/ Iran et Komala, les communiqués militaires que nous recevons du SUCM sur la lutte armée en Iran (com­bien de tanks détruits, combien de personnes tuées pour la libération du Kurdistan) ainsi que des do­cuments et des tracts en langage stalinien ne lais­sent aucun doute (pour des militants qui ne se­raient pas "incompétents ou incurables") à leur sujet. Le seul doute qui existe à propos du SUCM c'est de savoir exactement qui est derrière. B.C ne s'est jamais posé la question de savoir d'où venaient les fonds énormes dont dispose ce groupe de dissidents iraniens, capable de couvrir en un an et demi tous les pays principaux d'Europe avec sa propagande ? D'où vient son intérêt à pénétrer les petits groupes du milieu prolétarien actuel sans influence par rapport aux objectifs de Koma­la ? Le SUCM est un groupe très "fin" qui sait par­ler le langage de tout un chacun dans le milieu, qui sait flatter les flatteurs.

Il n'est pas, comme prétend toujours B.C, un "groupe en évolution". Comment un groupe venant du stalinisme, en alliance avec la bourgeoisie, peut-il "évoluer" vers le prolétariat ? Cette frontière de classe est infranchissable pour une organisa­tion politique. A force de patauger dans cette boue, c'est B.C et la CWO qui vont évoluer vers la bourgeoisie. "Savoir faire une  ligne de démar­cation nette  vis-à-vis des  groupes infestés  de so­cial- patriotisme c'est  le minimum que nous puis­sions exiger d'organisations du  sérieux et  de 1'importance de B.C et du  CWO." (Rivoluzione Internazionale, n°33, nov.83)

BC s'est laissée prendre par le bout du nez parce que le SUCM, UCM et Komala parlent du parti, et BC et la CWO sont obnubilés par le mot "parti". Ils venaient d'écarter le CCI sous prétexte que nous serions "contre le parti" ; alors combien at­tirant était cet SUCM exotique "pour le parti". Que ce soit le parti bourgeois du nationalisme kurde n'est que secondaire.

B.C s’est trompe parce qu'il a un penchant (peut-on dire "congénital") pour les opérations opportu­nistes. D'après leur réponse à l'Adresse, B.C et la CWO "sont les seuls à faire ce travail vers le Tiers-monde". Si B.C avait réellement fait un tra­vail vers le prolétariat du Tiers-monde, il aurait su être intransigeant dans la dénonciation du na­tionalisme, comme le CCI peut l'être dans son intervention par rapport aux "guérilleros" en Amérique latine et ailleurs. Toute cette argumentation de condescendance envers les militants du Tiers-monde (qui seraient pour ainsi dire tellement arriérés qu'il faut juger leurs positions avec 1'"indulgen­ce" d'un Battaglia) n'est qu'une insulte aux com­munistes anti-nationalistes dans le Tiers-monde et un alibi pur et simple pour BC. Battaglia n'est pas plus clair sur le programme à suivre en Europe qu'ailleurs. Ce n'est pas une question de géogra­phie et ne date pas de 1983. Dans la Revue Interna­tionale n° 32, nous avons publié les documents du PCI d'Italie de 1945 quand Battaglia et Programma étaient ensemble dans le PCI. Leurs ambiguïtés par rapport aux partisans, des "forces en évolution" pendant la "libération" de l'Italie parlent d'el­les-mêmes. Battaglia nous a répondu qu'il faut sa­voir se salir les mains. Eh bien, l'aventure avec le SUCM n'est pas étonnante.

Mais la principale raison qui détermine la poli­tique oscillante de BC quant au milieu politique du prolétariat,  la délimitation de ce milieu et les responsabilités de BC dans ce cadre, c'est l'insuffisance de sa plateforme criblée de ques­tions "tactiques" sur le syndicalisme, l'électoralisme, la libération nationale.

Battaglia se vante de ses "solides positions doctrinaires". Mais où sont-elles ? Certainement pas dans la nouvelle édition de sa plateforme.

Par contre, il faut croire que le CCI hante son sommeil. Il n'a de cesse d'attribuer au CCI ses propres faiblesses. Selon BC, le CCI souffre de "questions ouvertes". Que veut-il dire par là exactement ? Tout ce que nous savons, c'est que la plateforme de BC n'a évidemment pas de "ques­tions ouvertes" ; ce sont des trous béants qui ne permettent pas de distinguer les frontières de classe. Sur toutes les questions principales, y compris la question du parti, BC ne fait que re­prendre et répéter les positions de la 3ème Internationale, y compris les erreurs en les aggravant par des formulations vagues et contradictoires.

Dans les positions du PCI-Battaglia, on ne trou­ve jamais un rejet franc, clair, des positions er­ronées de l'Internationale Communiste sur les questions nationale, syndicale et électorale, ni même un rejet des erreurs du PCI depuis 1943, mais seulement, à l'occasion, des atténuations dans les affirmations, et rien de plus. Lorsque BC affirme parfois le contraire de ces positions de l'IC, ce n'est que du bout des lèvres, et c'est enveloppé de tant d'ambiguïtés "diplomatiques", "tactiques", que tout reste fondamentalement la même chose. BC continue à se tortiller et à se plaire dans l'équi­voque.

Marx constatait que l'histoire se répète, d'abord en tragédie, ensuite en farce.

Au début des années 20, la majorité centriste de l'Internationale Communiste, les Bolcheviks en tête, préfère éliminer la Gauche pour s'allier à la Droite (Indépendants en Allemagne, etc.). C'était une politique fatale, une tragédie pour le mouvement communiste.

En 1945, le P.C.I. d'Italie, nouvellement créé, préfère éliminer la G.C.F. (cf., l'article sur le 2ème Congrès du P.C.I. dans ce n° de la Revue), pour s'allier avec les rescapés de la participa­tion volontaire dans la guerre impérialiste en Espagne-36, avec les rescapés de la participation au Comité Anti-fasciste de Bruxelles, avec les rescapés du flirt avec la Résistance et la Libéra­tion Nationale. C'était encore une tragédie pour le milieu communiste, mais tenant déjà de la farce jouée par des mégalomanes.

Aujourd'hui, on préfère saboter les Conférences Internationales, afin d'éliminer le courant com­muniste le plus intransigeant, pour chercher al­liance avec l'U.C.M. et autres défenseurs des Libérations Nationales d'Iran et du Kurdistan, transfuges de 60 ans de stalinisme, et qu'on prend pour les pauvres "embryons du futur Parti Commu­niste" dans le Tiers Monde.

Cette fois, c'est la farce complète !

C'est d'autant plus une farce, que ce n'est pas l'unité massive du prolétariat qui, comme Lénine, préoccupe Battaglia, mais plus prosaïquement la défense de sa petite chapelle.

En cela, les "juniors" d'aujourd'hui ne se distin­guent pas de leurs "seniors" de 1 945 : même démar­che, mêmes positions. Peut-être un peu édulcorées, mais avec une bonne dose d'hypocrisie et de mauvai­se foi en plus.

Si l'histoire se répète en farce, l'opportunisme reste, lui, toujours le même.

Le problème avec BC, c'est que sa réponse à l'Adresse, comme ses positions politiques, est insaisissable. Tantôt c'est oui, tantôt c'est non. Contrairement au PCI-Programma qui est fer­mé à tout rapport avec d'autres organisations ré­volutionnaires, le PCI-Battaglia est plus ouvert vers l'extérieur avec des positions plus évoluées sur certains points. Mais si Programma a une co­hérence dans ses erreurs, Battaglia a ses erreurs dans l'incohérence.

CQMMUNIST WORKERS ORGANISATION (Grande-Bretagne)

La CWO nous écrit dans sa lettre de septembre 83: "Nous sommes d'accord que la classe ouvrière et ses minorités se  trouvent dans une situation diffi­cile et dangereuse aujourd’hui mais quand vous parlez de crise dans le milieu révolutionnaire, ce n'est pas  de  la même crise dont nous parlons... C'est notre isolement en  tant  que communistes de la classe." (Lettre au CCI, septembre 83). Mais l'isolement comme tel ne provoque pas de crise. Pour la CWO, la perte des énergies militantes au­jourd'hui est à mettre sur le même plan que dans le passé. Sommes-nous alors en pleine contre-révo­lution ?

La CWO considère que l'Adresse "est 1 'expression de la crise du CCI". Rejette-t-il donc la discus­sion ? Finalement non. "Bien qu'il ne soit pas pos­sible de poursuivre des rapports entre nos deux tendances au niveau des Conférences Internationa­les,  cela n'exclut pas le débat. " Ainsi, la CWO pro­pose une réunion publique de confrontation des posi­tions de la CWO et du CCI sur "la situation actuel­le de la lutte de classe et la responsabilité des révolutionnaires". Nous avons accepté cette propo­sition tout à fait valable.

Mais dans sa lettre, la CWO fait part d'un certain nombre de reproches au CCI et nous profitons de cet­te réponse pour parler de certaines d'entre elles (parler de toutes serait au-dessus des forces d'un Hercule).

-   Selon la lettre de la CWO, le CCI n'est pas "sérieux" parce que "la CWO a offert au CCI l'occa­sion de se solidariser avec l'intervention interna­tionaliste (de la CWO) sur la guerre Iran-Irak, mais le CCI a refusé pour des raisons ridicules". (Pour notre réponse voir World Révolution n°59, avr.83).

La CWO refuse dans le cadre principiel des Confé­rences internationales, de prendre une position com­mune contre la guerre impérialiste et les tensions inter impérialistes parce que, selon la même lettre, ce n'était que des"positions communes   vagues et sans signification à propos de banalités évidentes1.' Mais elle veut que le CCI cautionne ses ambiguïtés dangereuses par rapport au SUCM ? La CWO ne sort pas de tract pour chaque guerre locale dans le mon­de, mais juste pour Iran-Irak, et bien que le tract ait pu prendre position sur des "banalités", il s'est concrétisé par le rapprochement SUCM-CWO.

-   De même, dans la réponse à l'Adresse, la GOnous reproche de ne pas l'inviter aux Congrès duCCI tandis qu'elle nous invite aux siens.

Pendant des années, nous avons invité BC et la CWO à nos différents Congrès et ils sont venus ain­si que des délégations d'autres groupes politiques. Mais après la rupture des Conférences Internationa­les, après avoir été écartés par les manoeuvres de BC et de la CWO, nous considérons qu'inviter ces groupes à nos réunions internes serait un non-sens. La CWO ne veut pas que le CCI assiste à des Conféren­ces entre groupes, mais il veut venir à nos Congrès ? Elle nous rejette des Conférences, mais nous invite à ses Congrès ? A-t-elle une pensée logique ? Mesure-t-elle la portée de ses actes ? Dans l’article "Le soi-disant bordiguisme de la CWO" (RP n°20, 2ème Série) , la CWO ne veut pas par­ler d'elle. Elle préfère défendre son frère aîné Battaglia Comunista contre un sinistre complot : le CCI a appelé BC "bordiguiste". Si le mot vous gêne, camarades, retirez-le. Cela ne change rien au fond. La vérité, c'est que dans l'article comme dans sa lettre, la CWO est furieuse contre le CCI parce que nous avons publié les documents concer­nant l'opportunisme du PCI par rapport aux "parti­sans". En fait ces articles visaient surtout Pro­gramma, mais le chapeau brûle sur la tête de Batta­glia et la CWO. Remarquez, ils ont raison. BC était entre 1945 et 1952 à la tête du PCI "uni". Mais, que répond la CWO : elle crie "maman" et tape du pied. "Mensonges !" Mais elle n'explique rien et justifie tout.

-   Selon la CWO, "avant 1975, le CCI n'a jamais mentionné le peint", comme si on avait "caché" l'existence de BC à la CWO par peur que ces deux titans ne se rencontrent. Nous avons parlé de Bat­taglia, mais la CWO avait les oreilles bouchées à l'époque. Au début des années 70, ce groupe sortait du milieu libertaire et considérait la révolution russe comme une révolution bourgeoise, le parti bolchevik comme un parti bourgeois. Même quand, en­ fin, il a reconnu la révolution d'octobre et l'IC, ce n'était que du bout des lèvres. Pour la CWD, la contre-révolution aurait été définitive en 1921 (elle ne précisait pas si c'était en janvier ou en décembre), mais cela suffisait pour dénoncer le CCI comme "groupe contre-révolutionnaire" à cause de cette date fatidique de 1921. A l'époque, nous étions léninistes parce que nous parlions de Bilan, mais aujourd'hui, on nous taxe de conseillistes parce que la CWO a découvert Battaglia. Le CWO a connu tellement de zigzags dans sa vie qu'il n'est pas à un "zig" près. C'est parce que la CWO est née en ignorant tout de l'histoire du mouvement ouvrier, c'est parce qu'elle n'a jamais voulu sui­vre une vraie cohérence dans son attitude par rap­port aux organisations politiques prolétariennes qu'elle en est réduite à des polémiques du style de RP n°20.

-   Nous ne pouvons pas répondre à tout ici, mais nous voulons encore traiter un dernier point impor­tant : la CWO nous accuse dans RP n°20 de condamner son rapprochement avec BC. C'est faux. Nous sommes toujours pour le regroupement des organisations dès qu'elles se trouvent sur les mêmes positions poli­tiques principielles. Nous n'aurions jamais condam­né le regroupement de BC et de la CWO au sein des Conférences Internationales... Nous avons suivi le même chemin nous-mêmes avec la formation de notre section en Suède à la même époque. Nous sommes con­tre la perpétuation de petites chapelles. Si des groupes sont d'accord, qu'ils s'unissent. Cela ai­ de à la clarification des positions pour le prolé­tariat.

Nous allons encore plus loin : nous connaissons la CWO depuis longtemps et en comparant son rappro­chement actuel avec BC aux mésalliances que ses réactions "anti-CCI" ont failli produire par le passé (avec le PIC, le Revolutionary Workers Group de Chicago, etc.), nous disons : très bien !

La question que nous posons à la CWD est la sui­vante : pourquoi maintenez-vous une existence sépa­rée ? De deux choses l'une : soit vous êtes d'ac­cord avec la plateforme de BC et alors ses ambi­guïtés sur les questions électorale, syndicale et nationale sont les vôtres ; soit, vous n'êtes pas d'accord et alors où pont les textes de discussion entre vous.

La CWO veut attendre de voir si le CCI est "réel­lement sérieux", si son Adresse est "sincère". Notre Adresse exprime notre position de toujours sur la nécessité d'un dialogue dans le milieu po­litique du prolétariat. Depuis plus de quinze ans, nous n'avons pas varié d'un iota sur ce point. Nous ne sommes pas des caméléons comme la CWD qui change de couleur tous les deux trois ans. Si la CWO a la mémoire courte, nous nous chargerons de la lui rafraîchir.

PERSPECTIVES

Les groupes nous écrivent : vos suggestions sont vagues. Que voulez-vous au juste avec cette Adres­se ?

Nous voulons appeler à un changement d'esprit dans le milieu politique de notre classe : la fin des prétentions et de l'arrogance dans l'isolement; la fin des faux-fuyants, de l'activisme dangereux, du flou artistique sur les principes.

D'abord sur le fond. Il faut cesser de faire de la question du parti un alibi. Il faut la discuter sérieusement sans anathèmes, et sans tourner en rond sur des formules creuses. Il faut répondre clairement sur des questions élémentaires pour que le débat puisse s'approfondir ensuite :

-  la conscience de classe vient-elle de l'exté­rieur de la classe comme Lénine l'a écrit dans "Que faire ?" ?

-  le parti de classe a-t-il été dans l'histoire ou sera-t-il demain l'unique creuset ou dépositai­re de la conscience de classe ?

-  est-ce le parti qui devra prendre le pouvoir ?

-  le parti peut-il s'imposer à la classe par des rapports de force comme dans les événements de Kronstadt en 1921 ?

-  que nous apportent comme critique, modifica­tion, élaboration sur la question du parti la ré­volution russe et l'expérience de la première va­gue révolutionnaire ainsi que la dégénérescence en Russie et de l'Internationale Communiste ?

Voila les questions de base auxquelles il faut _ apporter une réponse en poussant à fond la critique des erreurs ou insuffisances du passé et en profi­tant de l'ensemble de l'apport de la Gauche Commu­niste Internationale, sans exclusive "italienne", "allemande" ou autre.

Même Programma, après quarante ans de fermeture et de suffisance, est obligé aujourd'hui par les événements d'ouvrir un débat en son sein sur le parti, sa fonction et son organisation. Mais pour­quoi seulement à l'intérieur ? Est-ce une maladie honteuse que la discussion politique avec le milieu que notre classe produit aujourd’hui canne elle l'a produit dans tous les moments importants de son histoire ? Est-ce que la confrontation des po­sitions politiques est un luxe, une annexe à l'ac­tivité "normale", quelque chose qu'on fait si on a le temps, ou est-ce une nécessité, la seule façon de vérifier le bien-fondé de nos contributions po­litiques vitales pour les combats décisifs de no­tre classe ?

Il est indiscutable que l'absence des Conféren­ces Internationales pèse aujourd'hui : pour répon­dre à l'accélération de l'histoire, pour aider à ce que les énergies militantes ne se perdent pas dans les convulsions du milieu politique, pour présenter un cadre principiel aux nouveaux élé­ments de la classe qui surgissent, pour orienter la clarification dans tous les pays, surtout dans les pays qui n'ont pas eu le temps de développer des traditions marxistes. Et il est aussi indiscutable que les Conférences Internationales se sont disloquées à cause du sectarisme dans le milieu : le PIC qui refusait le "dialogue de sourds", le FOR qui ne voulait pas "discuter la crise économi­que" et qui s'est retiré avec éclat de la 2ème Conférence, Programma qui n'y voyait qu'une empoi­gnade entre "fouteurs" et "foutus", les actions de Battaglia et de la CWO que nous avons criti­quées.

Créer ce nouvel esprit est la seule façon de ren­dre possibles à l'avenir de nouvelles Conférences, la seule façon d'assurer une décantation consciente dans le milieu, de travailler vers de nouveaux efforts de regroupement qui seront absolument né­cessaires.

Car qui oserait prétendre que le milieu politique du prolétariat ne sera jamais rien d'autre que ce qu'il est aujourd'hui ?

JA



[1] [9] Dans Battaglia, la crise ne se traduit jamais clairement, franchement par des oppositions et confron­tations de divergences politiques pour la simple raison qu'il n'y a pas de discussions ni de vie politique véritables dans l'organisation. On ne confronte pas, on vote simplement avec les pieds en quittant indi­viduellement, silence et discrètement 1'organisation. C'est moins visible mais pas pour autant moins critique. Quant à se targuer d'avoir "en substance des solides positions doctrinaires", nous nous conten­terons de renvoyer à  la lecture/dans ce numéro de la Revue, de l'article sur le 2ème Congrès du PCI d'Ita­lie  de   1948.   Cette  lecture  donnera  l'exacte mesure de  ces   "solides positions  doctrinaires" de  Battaglia.

Courants politiques: 

  • Gauche Communiste [10]

Le deuxième congres du parti communiste internationaliste (Internationalisme n°36, juillet 1948)

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Le texte d'Internationalisme n°36 (juillet 1948) publié ci-dessous est une critique des faiblesses politiques et organisationnelles du Parti Communiste Internationaliste à ses débuts.  Nous avons déjà ré­édité à plusieurs reprises des articles polémiques d'Internationalisme contre le PCI  (Voir les Revues Internationales n°32, 33, 34 notamment). Le texte ci-dessous, en passant  en revue l'ensemble des positions du PCI à son  2ème Congrès, permet de donner une idée précise de ce qu'étaient  les orientations de ce groupe. Les faiblesses critiquées à l'époque existent encore aujourd'hui -flou sur les questions nationale et syndicale, sur le rôle, la fonction et  le fonctionnement de 1'organisation révolutionnai­re, absence de perspectives claires sur la période, etc.- et n'ont fait que s'accentuer jusqu'à provo­quer la dislocation quasi-totale du principal continuateur du PCI, Programme Communiste, 1'an dernier (Voir la Revue Internationale n°32). Elles ne sont pour autant pas les faiblesses du seul PCI-Programme Communiste et ces questions doivent être abordées par 1 'ensemble des  groupes révolutionnaires. C'est pourquoi nous republions ce texte à 1'occasion de la discussion suscitée par 1' "Adresse aux groupes politiques prolétariens" (Revue  Internationale n°35) que le CCI a lancée face à  la  crise et  à la  dis­persion actuelles du milieu révolutionnaire (Voir l'article de réponse aux réponses à  'adresse dans ce numéro). L'avant-propos, extrait de la réédition précédente de ce texte,   fait allusion  à plusieurs textes : nous n'en republions ici qu'un seul ; les autres textes se  trouvent dans le Bulletin  d'Etudes et de Discussion  de Révolution  Internationale n°7, juin 1974.

AVANT-PROPOS

Les textes que nous publions plus loin sont des controverses souvent passionnés qui ont agité les extraits ([1] [11]) et des articles parus dans "Internationalisme", organe du groupe Gauche Communiste de France. Ces textes, qui datent de près de 30 ans, totalement inconnus pour la grande majorité des militants, présentent cependant un grand intérêt aujourd'hui encore.

La lutte révolutionnaire du prolétariat pour son un mouvement historique. Une fois surgies, on ne saurait concevoir les luttes comme un commencement nouveau telle que le prétendent tant de groupes qui viennent de surgir ([2] [12]) , mais seulement comme leur continuation et leur dépassement. L'histoire de la lutte révolutionnaire n'est pas une addition de moments morts mais tout un mouvement vi­vant qui se poursuit et se continue contenant en lui son"passé". Il ne saurait y avoir de dépassement sans contenir les acquis des expériences passées. En publiant ces écrits vieux de 30 ans, nous entendons contribuer à une meilleure connaissance d'une période particulièrement obscure et ignorée, celle qui suit la 2ème guerre mondiale, et les débats et  controverse souvent passionné qui ont agité les faibles groupes révolutionnaires d'alors. Si la proche perspective est aujourd'hui tout autre qu'alors, les problèmes soulevés dans la discussion, leur compréhension et solution demeurent toujours au centre de la préoccupation des groupes et militants révolutionnaires d'aujourd'hui. Tels sont : les problèmes de l'analyse de la période historique que nous vivons, les guerres impérialistes, la nature et la fonction des syndicats, les mouvements dits de libération nationale, le parlementarisme, les problèmes de la révolution prolétarienne, les tâches des révolutionnaires, les rapports Parti Classe, et tout particulièrement celui du moment historique de la constitution du Parti

LA GAUCHE ITALIENNE : MYTHE ET REALITE

Le PCI (Programme Communiste) prétend être la continuation organique ininterrompue de la Gauche Italienne, continuation à la fois organisationnel et politique. C’est là un mythe. Seule l’ignorance de la plupart des propres membres du PCI et le silence prudent des autres lui donnent force et un semblant de vérité. Une fois exclue du PC, la Gauche Italienne se constitue en Fraction à l’étranger (Pantin 1929). Jusqu'en 43-45, la Frac­tion à l'étranger sera la seule organisation de la Gauche Italienne. En Italie même ne subsistera au­cun groupe organisé et les anciens militants seront dispersés et réduits par la répression à une inac­tivité totale. Quand en 43-45 se constitue en Ita­lie le PCI, cela se fait indépendamment de la Frac­tion et séparément d'elle - aussi bien sur le plan organisationnel que politique.  Le PCI ne s'est d'ailleurs jamais réclamé comme continuité organi­que de la Fraction et est toujours ambigu quant à considérer la Fraction comme une expression et continuité de la Gauche Italienne. Il s'ensuit que la continuité organique tant réclamée a existé avec un trou d'interruption de près de 20 ans (et quels 20 ans !) , ou bien qu'elle n'a jamais existé et n'est qu'un mythe qu'elle entretient pour des rai­sons de convenance particulière et de mystifica­tion.

L'activité de la Fraction Italienne jusqu'à sa dissolution en 1945 constitue une très importante contribution au développement de la théorie commu­niste, de même que ses prises de position politi­ques face aux événements sont profondément enracinées sur le terrain de la classe révolutionnaire et c'est autour de la Fraction Italienne que vont se former des groupes en Belgique et en France pour constituer la Gauche Communiste Internationale.

Il est nécessaire de prendre connaissance des po­sitions de la GCI, de lire leurs textes, et tout particulièrement la revue BILAN, même dans leur forme de "balbutiement" (comme ils le disaient eux-mêmes) pour se rendre compte et mesurer tout le recul et régression que représentent les positions politiques actuelles du PCI par rapport à la GCI.

LA CRISE ET LA FIN DE LA "GAUCHE COMMUNISTE INTER­NATIONALE".

La GCI ne représente pas, en vérité, tout le cou­rant de la Gauche Communiste issu de la 3ème Inter­nationale, mais seulement une de ses branches ; les autres branches sont la Gauche Allemande, la Gauche Hollandaise et aussi la Gauche Anglaise. Mais elle se présente d'une façon plus homogène, plus organi­sée et dans une certaine mesure plus cohérente. Ce­la lui permettra de résister plus longtemps à la pression terrible qu'exercent sur les révolutionnaires les défaites successives du prolétariat, la dégénérescence de l'I.C, le triomphe de la contre-révolution stalinienne en Russie et l'ouverture d'un cours de réaction généralisée et enfin la guerre impérialiste. Subissant cette écrasante pres­sion des événements, la GCI s'efforce de dégager les enseignements, afin qu'ils puissent servir de matériaux programmatiques pour et dans la reprise de la lutte de classe du prolétariat. Un tel travail pour si grand qu'ait été l'effort et le mérite de la GCI, n'allait pas sans défaillances et vacilla­tions.

Dans une période générale de recul, chaque nouvel événement devait produire une nouvelle réduc­tion numérique de l'organisation, et provoquer de graves perturbations politiques. Aucun groupe révo­lutionnaire ne peut prétendre être à l'abri et pré­senter une garantie à l'influence pernicieuse des événements. Pas plus que d'autres, la GCI n'y a échappé. La guerre d'Espagne a été une première secousse, provoquant discussion et scission, l'appro­che et l'éclatement de la seconde guerre mondiale a profondément ébranlé la GCI, provoquant des di­vergences gui allèrent se creusant, ouvrant une cri­se profonde en son sein. Les textes que nous publions ci-dessous donnent une idée assez exacte des diver­gences qui opposaient les tendances, et qui de­vaient aboutir à la dissolution des Fractions et leur absorption par le nouveau Parti créé en Italie d'une part, et au   surgissement de la Gauche Com­muniste de France et sa séparation d'avec la GCI d'autre part.

LA DISSOLUTION DES FRACTIONS.

Les deux premiers textes portent essentiellement sur la question de la dissolution de la Fraction Italienne. C'est alors une question centrale, non seulement parce que la dissolution signifiait un arrêt brusque de clarification nécessaire des pro­blèmes débattus mais aussi parce que cela consti­tuait un abandon de positions défendues de façon acharnée par la Fraction durant toute son existen­ce, et touchant à la conception même du Parti et impliquant une analyse fausse de la période et de la perspective.

L'existence du Parti est étroitement liée et con­ditionnée par la période et l'état de la lutte de classe du prolétariat. Autant dans une période de développement des luttes la classe sécrète en son sein l'organisation politique : le Parti ([3] [13]) organe de mobilisation politique de la classe, autant les défaites décisives ouvrant une longue période de recul entraînent inévitablement la disparition ou la dégénérescence du Parti. Dans de telles pério­des, quand la contre-révolution a eu raison de la classe et de ses organisations, vouloir reconsti­tuer le Parti à nouveau relève d'une conception volontariste et mène à l'aventurisme et au pire opportunisme. C'est contre une telle conception volontariste de construction artificielle, préconi­sée par Trotski que la Gauche Communiste a livré, dans les années 30, les plus violentes batailles.

La proclamation du PCI en Italie s'est faite sans s'embarrasser d'aucune analyse du moment ni de la perspective. Tout comme les trotskystes, cela fut un acte de pur volontarisme. Mais plus fondamental encore est le fait que la constitution du nouveau Parti, le PCI d'Italie, s'est faite sans aucun lien ni organisationnel, ni politique, avec la Fraction Italienne de la Gauche Communiste. La Fraction est cet organisme révolutionnaire vivant qui surgit et subsiste une fois que l'ancien Parti a été happé dans l'engrenage de la contre-révolution et détruit comme organisation de classe.

La Fraction ne saurait "se dissoudre" pour renter ensuite et individuellement dans un Parti, constitué à part et indépendamment d'elle. Ceci est par définition impossible et politiquement in­concevable. La dissolution de la Fraction Italien­ne et l'entrée de ses membres dans le PC d'Italie, formé hors et indépendamment d'elle, constituaient le pire liquidationnisme et un suicide politique. On comprend que la GCF se soit catégoriquement re­fusée à s'associer à une telle politique et qu'elle l'ait critiquée violemment.

La continuité organique de la Fraction n'existe pas aujourd'hui. Elle a été coupée, interrompue par cinquante ans de réaction. Cependant, la ques­tion de la dissolution garde tout son intérêt pour les révolutionnaires qui surgissent aujourd'hui. Ces groupes sont le produit et l'expression de la nouvelle période que nous vivons de reprise de lut­tes de classe. Ils sont donc les noyaux du futur Parti. Ce futur Parti ne sera pas un surgissement spontané du néant mais bien le résultat du dévelop­pement et de l'accentuation de la lutte de classe et de l'oeuvre de groupes révolutionnaires exis­tants. On ne saurait parler de la dissolution de ces groupes précédant un hypothétique Parti, sorti on ne sait trop d'où. Une telle vision enlève tou­te signification et toute valeur à l'activité de ces groupes. Au contraire, on doit voir dans l'exis­tence et l'activité de ces groupes les matériaux avec lesquels se construira le futur Parti. Leur dissolution et la constitution du Parti ne sont pas des actes séparés dans le temps mais un acte simul­tané. On peut, avec plus de raisons, parler de leur transformation en Parti que de leur "dissolution" parce qu'ils sont des éléments constitutifs du fu­tur Parti. Loin d'être prétention et auto flatterie, cette vision donne le sens et la gravité de la res­ponsabilité que portent les groupes et leur activi­té, et qu'ils doivent savoir assumer pleinement. Toute autre vision est bavardage et dilettantisme.

Le PCI prétend à une continuité invariante de son programme et de ses positions. Sa pratique politi­que serait irréprochable et est donnée en exemple de pureté révolutionnaire. La lecture des textes que nous publions fait table rase de cette légende. C'est avec surprise et étonnement que beaucoup de lecteurs apprendront la véritable histoire et la somme de confusions et d'erreurs sur lesquelles se constitue le PCI. De la proclamation du Parti à l'analyse de la période de l'après-guerre, des élucubrations sur l'économie de guerre à la participa­tion au Comité anti-fasciste à Bruxelles, de la participation aux élections à la prise de position sur la question des syndicats, tout annonce un éclectisme et un opportunisme politique. Cela donne toute la mesure qui sépare le PCI de la Fraction et l'énorme régression du premier par rapport à la seconde. C'est avec intérêt qu'on lira les criti­ques acerbes qu'en fait INTERNATIONALISME. On doit constater que ces critiques se sont avérées pleine­ment justifiées et restent valables aussi aujour­d'hui en face des erreurs invariables du PCI.

Juan.

LE DEUXIEME CONGRES DU P.C.I. EN ITALIE (1948)

Sur la base de divers compte-rendus, écrits et oraux, on peut se faire une idée assez précise de ce qu'a été le Congrès du PCI d'Italie,

Nous avons d'abord celui publié dans notre der­nier Internationalisme, qui donne une idée assez complète des débats du Congrès.

Dans la Battaglia Communista) organe du PCI d'I­talie et dans Internationalisme, organe de la fraction belge, nous trouvons des articles trai­tant des travaux du Congrès.

Enfin la réunion publique organisée par la frac­tion française.

L'impression générale qui se dégage est comme l'a écrit le camarade Bernard en tête de son ar­ticle, que cela " aurait pu ne pas être un Con­grès car les problèmes traités l'ont été d'une manière plutôt étriquée  ".

Pour s'en convaincre, il suffit de lire la presse du PCI d'Italie, et de ses sections en Belgique et en France. Le délégué de France a dit dans son compte-rendu oral :"Le Congrès n'a traité d'aucun des problèmes fondamentaux  n'a fait aucune analyse poussée de  l'évolution actuel­le du capitalisme et de ses perspectives. De tout son ordre du jour, il n'a discuté que les possibilités d'action du parti dans la situation pré­sente"

De son côté, la fraction belge, dans son dernier bulletin, consacre au Congrès un article d'une petite page ronéotypée dans lequel elle se conten­te de donner "résumées grosso modo les deux tendances qui se révélèrent au Congrès"  et de conclure que celui-ci a décidé "d'entreprendre une discussion approfondie sur l'analyse du capi­talisme dans son stade actuel".

Que nous sommes loin des fanfaronnades qui accompagnèrent la formation du Parti en 1945, des salutations enthousiastes et grandiloquentes sur la " reconstruction du premier Parti de classe dans le monde par le prolétariat italien", et de tout le bluff qui a continué pendant deux années autour de l1 activité et des succès de masses de ce Parti.

Aujourd'hui, le résultat de trois années d'ac­tivisme a ramené les camarades à plus de modestie et à des réflexions plutôt amères malgré certains jeunes néophytes comme la déléguée française qui ne peut terminer son compte-rendu sans finir, comme c'est la tradition en Russie, par cette phrase : " Et nous disons merci au PCI d'Italie".

LE RECRUTEMENT: OBJECTIF NUMERO UN DU PARTI

Pendant la première période, le Parti s'est laissé griser par son recrutement. A ce recrute­ment il a sacrifié la clarté des positions politiques, évitant de pousser trop à fond les problè­mes pour ne pas "gêner"la campagne de recrutement et ne pas "troubler" les adhérents déjà acquis. Farouchement et catégoriquement il a tenu a ne pas porter, ni devant les ouvriers ni devant les membres du Parti ni devant la Conférence constitu­tive de fin 1945, la discussion sur la lamentable expérience de la participation d'une de ses sec­tions et des camarades, futurs dirigeants du Par­ti, au Comité de Coalition Antifasciste italien de Bruxelles. Expérience qui a duré depuis la libération jusqu'à la fin de la guerre et que ces camarades continuèrent à revendiquer comme politi­que juste et révolutionnaire. Toujours pour ne pas "gêner" le recrutement et peut-être aussi parce qu'on a soi-même partagé cette conception (ce qui serait plus grave), on flatte les ouvriers qui faisaient partie de ces organismes militaires qu'é­taient les diverses formations armées de la Résis­tance. A leur sujet, la plateforme du Parti adoptée à 3a Conférence de 1945 dit :

" En ce qui concerne  la  lutte partisane et patrio­tique contre les allemands et les fascistes, le Parti dénonce la manoeuvre de  la bourgeoisie internationale et nationale qui avec sa propa­gande pour la renaissance d'un militarisme d'Etat officiel   (propagande qu'elle sait vide de sens) vise à dissoudre et à liquider les organisations volontaires de cette  lutte qui dans beaucoup de pays ont déjà été attaquées par  la répression armée".

Et tout en mettant en garde contre les illusions suscitées par ces organisations parmi les ouvriers, la plateforme les caractérise ainsi : " ces mouve­ments qui n'ont pas une organisation politique suffisante (à part d'être "partisane et patrioti­que", que fallait-il donc de plus au PCI ?) expri­ment tout au plus  la tendance des groupes proléta­riens  locaux à s 'organiser et à s 'armer pour con­quérir et conserver  le contrôle des situations  locales et donc du pouvoir".

Ainsi, pour ne pas risquer sa popularité et les possibilités de son recrutement, le parti s'est gardé de les dénoncer pour ce qu'elles étaient ré­ellement, et pour le rôle qu'elles jouaient, et a préféré flatter les ouvriers de "ces tendances qui constituent un fait historique de premier ordre".

Tout aussi bien que sur cette question, le PCI n'a pas eu le souci de pousser plus à fond l'ana­lyse de l'évolution du capitalisme moderne.

Nous trouvons, bien sûr, et même très couram­ment, l'affirmation que le capitalisme évolue vers une forme nouvelle, le capitalisme d'Etat, mais le Parti n'avait pas pour autant une idée précise de ce qu'est exactement le capitalisme d'Etat, ce que cela signifie historiquement et de ce que cela comporte comme transformations profondes des structures du système capitaliste.

Dans le § 14 où est traité le problème du capi­talisme d'Etat, la plateforme parle de "ré accu­mulation des richesses entre les mains des en­trepreneurs et des bureaucrates d'Etat qui ont leurs intérêts  liés à ces derniers  ". N'ayant vu dans le capitalisme d'Etat que l'unité de classe des Etats avec les entrepreneurs privés face au prolétariat, mais n'ayant pas vu ce qui les oppose et distingue les premiers des se­conds, la plateforme dénonce "des mots d'ordre ineptes de socialisation des monopoles qui ne servent qu'à travestir ce renforcement". Dans les nationalisations qui sont la structure écono­mique du capitalisme d'Etat, la plateforme ne voit rien d'autre qu'une manoeuvre "des puis­sants monopoles industriels et bancaires  "qui" feront payer à  la collectivité  le passif de  la reconstruction de  leurs entreprises".

Avec une telle analyse du capitalisme moderne et de ses tendances, qui n'allait pas plus loin que celle déjà énoncée en 1920, il était normal qu'on reprenne sur le plan de la politique, sans rien changer, les positions essentielles de la IIIème Internationale d'il y a 25 ans : le parle­mentarisme révolutionnaire et la politique syndi­cale.

Quels en étaient les résultats ? Après près de trois ans, le Parti enregistre la perte de la moitié de ses adhérents. Des groupes entiers de militants se sont détachés, les uns. pour former le groupe trotskyste POI, les autres la Fédéra­tion autonome de Turin, la majorité dans l'indif­férence et le dégoût de toute activité militante.

Nous avons, en somme, la reproduction de ce qui s'est passé pour les partis trotskystes dans les autres pays. Le Parti n'a pas renforcé ses posi­tions parmi les ouvriers. La fuite de la recher­che théorique, l'imprécision et l'équivoque de ses positions ne lui ont pas davantage gardé ses militants. Dans son objectif numéro un qui était de recruter à tout prix, le renforcement numérique, le Parti enregistre aujourd'hui un fiasco, un échec cuisant qu'il n'était pas diffi­cile de prévoir et de lui prédire.

UN PARTI SANS CADRES

Mais il y a encore une chose plus grave que la défection de la moitié des membres, c'est le ni­veau idéologique extrêmement bas des militants restant dans le Parti. Bernard nous parle de la " fonction scénique"  de la majorité des délégués au Congrès, de leur non-participation aux débats. Frédéric disait que les délégués ouvriers esti­maient que les analyses théoriques générales les dépassaient et   ne pouvaient   être leur fait, que ce travail incombe aux intellectuels.

Vercesi exprime cette vérité : " Pour courir derrière des chimères,   le travail d'éducation des militants qui est dans un état déplorable a été négligé  ". Encore que Vercesi porte une bon­ne part de responsabilité pour cet état déplora­ble auquel il a contribué pendant trois années par son refus de porter publiquement la discus­sion, de crainte de "troubler" les militants.

C'est le trait typique de toutes ces formations artificielles qui se proclament pompeusement par­tis, de ne pas comprendre que le fondement sub­jectif du nouveau parti ne se trouve pas dans le volontarisme mais dans l'assimilation véritable par les militants de l'expérience passée et dans la solution des problèmes contre lesquels l'ancien parti s'est heurté et s'est brisé. Avoir voulu agir sur la base de la répétition d'ancien­nes formules et positions, fussent-elles celles des Thèses de Rome, sans tenir compte des change­ments fondamentaux apportés par les 25 dernières années, c'était accrocher l'action dans le vide, user en vain les énergies et gaspiller des forces et un temps précieux qui devait et pouvait utile­ment servir à la formation des cadres pour le par­ti et la lutte à venir.

L'absence des cadres et la négligence de leur formation, voilà le plus clair du bilan révélé par le Congrès du PCI.

EXISTE-T-IL UN PARTI EN ITALIE?

Numériquement très réduit par la perte de la moitié de ses membres, absence de cadres, "man­que complet d'une analyse de  l'évolution du ca­pitalisme moderne"(Vercesi), voilà pour ce qui est des conditions subjectives. Quant aux condi­tions objectives, période de concentration du capitalisme qui " a été conditionnée par la  défai­te internationale que  le prolétariat a subie et par la destruction de celui-ci comme classe  ". (Document de la CE à la suite du Congrès. Voir "Nos directives de marche" dans la Battaglia Communista du 3/10 juillet). Que reste-t-il donc des conditions nécessaires justifiant la construction du Parti ? Rien, strictement rien, sinon le volontarisme et le bluff, familiers aux trotskystes.

Au Congrès, le rapporteur Damen a essayé de justifier la proclamation du Parti. Nous laissons de coté l'argument qui veut que les ouvriers ita­liens soient "politiquement plus sains"'que ceux des autres pays. De tels arguments ne montrent rien d'autre que la persistance des sentiments na­tionalistes même chez des militants très avancés. L'ouverture d'un cours révolutionnaire ne peut que se faire à l'échelle internationale, de même la brisure avec l'idéologie capitaliste ne peut être une manifestation isolée du prolétariat révolutionnaire d'Italie en or d'un seul pays. Le patriotisme du prolétariat révolutionnaire d'Italie n'a pas plus de valeur que le patrio­tisme du socialisme en un seul pays. Cet argument donc mis à part, Damen justifie la pro­clamation du Parti par le fait qu'une fraction n'aurait pu servir de pôle d'attraction pour les ouvriers^ ce qui est vrai pour une période où les conditions pour la polarisation du prolétariat autour d'un programme révolutionnaire sont pré­sentes, mais qui n'est absolument pas le cas en Italie, ni nulle part ailleurs.

Finalement, Damen énonce que la fraction n'a de raison d'être que tant qu'il s'agit "d'oppo­sition  et de résistance idéologique à 1'opportunis­me dans le Parti  jusqu'au moment  de la  lutte ou­verte qui ne peut  être menée  que par  un  organisme politique qui  ait les caractéristiques et les tâches du  Parti?

Le même thème, nous l'avons entendu développé dans la réunion de la FFGC. Que de chemin à re­bours parcouru depuis le Congrès de la Fraction Italienne de 1935 ! C'est là un argument type du trostkysme qui, pendant les années d'avant-guerre soutenait contre nous la thèse qu'avec la mort de l'ancien Parti, la condition est donnée pour la proclamation du nouveau Parti. Alors que c'est le contraire qui est vrai, la mort de ' l'ancien Parti ou son passage à l'ennemi de classe signifiant précisément l'absence de con­ditions pour l'existence du parti révolutionnai­re. Ce Parti étant conditionné par une orienta­tion révolutionnaire se manifestant dans le pro­létariat.

Quand les camarades Vercesi et Daniels, au Con­grès, nient que le PCI puisse réellement jouer un rôle de Parti, ils ne font que reprendre la thèse que nous avons développée depuis 1945 sur l'absence de conditions de constitution du Parti, et du même coup, ils reconnaissent implicitement que le PCI ne remplit pas davantage les tâches d'une fraction, c'est-à-dire l'élaboration programmatique et la formation de cadres. Nous n'avons ici rien d'autre que la traduction en italien des artifices et du comportement des trotskystes dans les autres pays.

Pour Damen, le Parti est un fait, "un coin enfoncé dans  la crise du capitalisme".  Si cela peut le consoler, nous lui apprendrons toutefois que les trotskystes ne voient pas différemment leur parti dans les autres pays.

Pour Vercesi n'existent ni le "coin enfoncé", ni "la brisure, même minime du capitalisme", ni le parti qui n'est qu'une fraction élargie.

Malheureusement dirons-nous, il n'existe en Italie ni parti, ni fraction élargie, ni influen­ce sur les masses, ni formation de cadres. L'activité menée par le PCI tendant à compromettre l'immédiat de l'un et l'avenir de l'autre.

LA VERIFICATION DES PERSPECTIVES

Une orientation vers la fondation  du parti pouvait avoir sa raison d'être dans la période de 1943 à 1945 qui s'ouvrait avec les événements de juillet 43 en Italie, la chute de Mussolini, le mécontentement grandissant en Allemagne, et qui permettait aux militants révolutionnaires d1 espé­rer un développement d'un cours de brisure avec la guerre impérialiste et la transformation de celle-ci en un vaste mouvement de crise sociale. L'erreur fondamentale des militants du PCI et surtout de ses sections en France et en Belgique fut de persister dans cette perspective après la fin des hostilités alors que les impérialismes russe et américain sont parvenus à occuper l'Allemagne, à disperser à travers le monde et à en­cadrer dans les camps de prisonniers les millions d'ouvriers allemands, en un mot à contrôler ce foyer capital de révolte et centre de la révolu­tion européenne.

Mais loin de comprendre que la cessation de la guerre sans mouvement de révolte signifiait une défaite consommée par le prolétariat, une nouvelle période de recul ouvrant avec elle le cours vers la nouvelle guerre impé­rialiste, la GCI, au contraire, échafaudait des théories sur l'ouverture d'un cours de luttes de classes, voyait dans la fin de la guerre la con­dition de la reprise des luttes révolutionnaires où comme elle l'écrivait en corrigeant Lénine " la transformation de  la guerre impérialiste en guerre civile commence après  la fin de  la guerre".

Toute l'orientation de la GCI était basée sur cette perspective, et tous les événements étaient examinés sous cet angle. Ainsi, on pre­nait les événements sanglants d'Algérie, de Grè­ce, du Proche-Orient pour des prémisses de la crise révolutionnaire, on saluait les grèves économiques comme les mouvements de radicalisation des masses, on soutenait à fond le mouve­ment et l'action syndicale dont on se donnait pour tâche de conquérir la direction, enfin on préconisait comme tâche immédiate la construc­tion dans tous les pays du Parti de classe. En même temps on se faisait des gorges chaudes, on raillait ces "pessimistes"  que nous étions, ces "docteurs et théoriciens en chambre"  pour qui on affichait un hautain mépris.

Aujourd'hui toute cette perspective est par terre. Et Vercesi est absolument dans le vrai, et ne fait que reprendre la critique que nous formulions contre le PCI quand il déclare : "L’interprétation que  la guerre aurait ouvert un cycle révolutionnaire s’est révélée complète­ment fausse"'.

Si l'activité révolutionnaire n'a de valeur que pour autant qu'elle est fondée sur des précisions basées sur une ana­lyse exacte de la situation et du cours, la re­connaissance par le Congrès du non fondé de la perspective signifie la condamnation implicite et l'écroulement de toute la politique et l'ac­tivité passée du Parti, basée sur cette perspec­tive.

Toutefois, nous devons mettre en garde contre l'orientation exprimée par la tendance Vercesi postulant son analyse sur les "capacités de re­naissance de  l’économie capitaliste au travers du système de planification,  de  la disparition de crises cycliques et de  la concurrence à l’in­térieur des Etats".  Cette conception n'est pas nouvelle; elle se rattache à la vieille théorie de renforcement économique du capitalisme, théo­rie dite de l'économie de guerre, et que nous avons à maintes reprises, avant et pendant la guerre, eu l'occasion d'analyser et de combat­tre.

Aujourd'hui, un nombre croissant de militants du PCI a ressenti et compris la stérilité d'un activisme en l'absence d'une analyse de la situa­tion. Bien que cela vienne avec un retard de trois années, nous considérons ce fait comme le seul résultat positif qui s'est manifesté dans le Congrès. Nous souscrivons entièrement à l'idée de Daniels quand il déclare : " Les armes que pos­sède le mouvement sont vieilles de 25 ans et tou­tes émoussées.   Le capitalisme a transformé entre­ temps toute sa structure et toutes ses méthodes de  lutte;   le Parti de classe doit en faire autant s1il veut être un jour le guide de  la classe ou­vrière,   et en préparer le réveil".

LA VIE INTERIEURE DU PARTI DISCIPLINE OU CONSCIENCE DES MILITANTS

Nous avons à plusieurs reprises, critiqué la tendance à la bureaucratisation dans le PCI d'Italie. Faisant allusion à cette critique, la déléguée française, dans son compte-rendu, de répliquer : "assistaient  au  Congrès  et  à  ses  débats souvent passionné  pouvaient se rendre compte de  la démocratie qui règne dans  le Parti,  et de la gratuité de  l1accusation de bureaucratisation".

On pourrait avec autant de raison citer en exemple les assises des partis trotskystes et même des partis socialistes. Là aussi, on discute " librement"  et passionnément. Ce qui impor­te n'est pas la plus ou moins grande démocratie dans les Congrès, mais de savoir sur quoi est basée l'activité des militants, sur la trique de la "discipline  librement consentie"  ou sur la conviction des positions et la plus grande con­science des militants ? La camarade citait le cas où le PCI excluait des militants pour diver­gences politique, et elle ajoutait : "comme tout Parti qui se respecte". En effet, le nombre des exclusions prononcées par le PCI est frappant, mais il faut ajouter qu'au grand jamais ces ex­clusions ne sont faites après les discussions dans l'ensemble du Parti, seule méthode qui au­rait permis à ces crises d'être un moment de clarification des idées pour tous les militants, mais sont toujours prononcées par la direction.

Le Congrès a, par exemple, révélé l'existence de divergences profondes dans le Parti, mais en vain cherchera-t-on dans la presse du Parti et cela même dans les semaines précédent le Congrès la moindre discussion et controverse. Cela au­rait évidemment risqué de troubler les membres, et porter atteinte au prestige et partant, à la discipline. On préfère non moins évidemment ve­nir au Congrès pour constater, comme Vercesi : " II y a des délégués parlementaristes,   d'autres favorables à une espèce de compromis avec le centrisme   (stalinisme). La majorité est sans idées claires et suit des voies différentes se­lon  les  zones".

Plus catégorique et plus cinglant encore est Daniels, parlant pour ce qui concerne le Con­grès lui-même. Il constate : " Il y a une ten­dance au Congrès à passer sous silence  les er­reurs du passé et à renoncer à discuter  les pro­blèmes qui peuvent provoquer d'amples débats, au travers desquels  le Parti pourrait vraiment renaître à une vie nouvelle et mettre à nu tout ce qui,   sous  l'excuse de  la défense des positions traditionnelles,   cache d'opportunisme et empêche une claire élaboration idéologique et une consé­quente assimilation de  la part des militants".

C'est ainsi qu'on doit comprendre la vie inté­rieure saine de l'organisation et fonder la force, l'efficacité de l'activité de chacun des membres sur la continuelle et plus ample confrontation des idées, suscitée et entretenue par toute la vie du Parti.

Par contre, quand Maffi, grand chef du Parti, déclare s'être "abstenu de traiter tel problème" parce que " je savais que cette discussion aurait pu empoisonner le Parti", nous disons que ce sou­ci manifeste incontestablement et au plus haut point la tendance à l'ossification et à la bureau­cratisation de la vie intérieure de l'organisation.

Et c'est parce que c'est cette dernière concep­tion qui prévaut dans le PCI que nous avons pu assister à cette fin absurde du Congrès dont nous parle Bernard, où "Vercesi s'est en quelque sorte excusé d'avoir été un trouble-fête et d'a­voir amené  le trouble parmi  les militants". 'Parce que, en fin de compte, les uns pas plus que les autres n'admettent l'existence des tendances et des fractions au sein du Parti : pour les uns comme pour les autres, le Parti reste une organi­sation monolithique, homogène et monopoliste

LA QUESTION DE LA PARTICIPATION AUX ELECTIONS

Une des questions qui a provoqué les débats les plus orageux fut celle de la participation aux élections. Bien sur, personne ne préconise une po­litique de parlementarisme actif. Cela ressort moins d'une certitude de l'inutilité de l'action parlementaire que du fait que les forces présentes du Parti ne lui donnent aucune possibilité d'avoir réellement des élus. Aussi peut-on se permettre d'économiser un débat qui, de toute façon, ne se­rait que théorique, et comme tout débat théorique ne peut que "troubler inutilement le Parti". C'est pour la même raison que le Parti aux dernières élections pouvait se payer à bon marché d'être révolutionnaire à l'extrême, au point d'inviter les électeurs à ne pas voter, même pour lui. Mais nous connaissons déjà le cas d'un élu au conseil municipal qui a finalement trouvé de bonnes rai­sons pour garder son mandat d'élu. Après tout, la justification définitive de tout parlementarisme se trouve dans ces arguments théoriques donnés par Damen, pour justifier la participation du PCI à la campagne électorale. Damen dit : " Si la bourgeoisie est contrainte (?) d'adopter un mo­yen de  lutte qui peut être exploité utilement par le parti de classe pour être retourné contre elle, l'avant-garde révolutionnaire ne peut renoncer à l'utiliser et à s'infiltrer dans la composition électorale".

Aucun trotskyste ne manquerait de souscrire à cette argumentation. C'est du pur et du pire Lé­nine de la Maladie Infantile du Communisme. La vérité est que le prolétariat ne peut utiliser pour sa lutte émancipatrice « le moyen de lutte politique» propre à la bourgeoisie et destinée à son asservissement. Il en était tout autrement à une période antérieure d'avant 1914 quand le prolétariat ne pouvait pas encore poser comme objectif concret immédiat, la transformation ré­volutionnaire de la société, d'où découlait la nécessité de lutter sur le terrain même du capi­talisme pour lui arracher le maximum de réformes. Le parlementarisme révolutionnaire en tant qu'ac­tivité réelle n'a, en fait, jamais existé pour la simple raison que l'action révolutionnaire du prolétariat quand elle se présente à lui, suppose sa mobilisation de classe sur un plan extra-capi­taliste, et non la prise des positions à l'inté­rieur de la société capitaliste, ce que Damen a appelle " l'utilisation" et "  l'infiltration" intérieure.

La politique du parlementarisme révolutionnai­re a largement contribué à corrompre les partis de la IIIème Internationale, et les fractions parlementaires ont servi de forteresses de l'opportunisme, aussi bien dans les partis de la IIIème qu'autrefois dans les partis de la IIème Internationale. Mais le participationniste croit avoir trouvé un argument impressionnant en décla­rant : "Le problème  abstentionniste est désor­mais dépassé, car il n'avait de raison d'être que dans une période ou une précision de prin­cipe, face au courant parlementaire du vieux parti socialiste, était nécessaire. Aujourd'hui où il n'y a plus de doute possible sur le carac­tère nettement antiparlementaire du PCI, celui-ci  peut adopter cette méthode de lutte". Voilà un raisonnement pour le moins astucieux : dans le vieux parti parlementaire nous devions être antiparlementaires mais maintenant, puis­que notre parti est antiparlementaire, alors nous pouvons faire du parlementarisme. Nous ne doutons pas que cette argumentation puisse impressionner les patriotes du parti qui, pas un instant, n'osent mettre en doute son infaillibi­lité révolutionnaire, garantie a priori et à ja­mais.

Ceux par contre, qui ont connu l'IC pour y avoir milité ou simplement pour avoir étudié son histoire, seront probablement moins enclins à ouvrir un tel crédit à n'importe quel parti, fût-il même le Parti de Damen et de Maffi.

Croit-on vraiment que le Parti Bolchevik et l'IC dans ses premières années, étaient moins sincèrement révolutionnaires que le PCI d'Ita­lie ? Ils offraient au moins autant de garantie, ne serait-ce que par le fait qu'ils exprimaient les positions programmatiques les plus avancées du prolétariat de l'époque alors que le PCI d'Italie, d'après ses propres aveux, retarde no­tablement. Cependant, toutes les précautions prises par l'IC (lire les thèses du 11° Congrès sur le parlementarisme révolutionnaire) n'ont pas empêché cette politique de devenir un levier de l'opportunisme. C'est que la dégénérescence du Parti n'est pas uniquement fonction de la situa­tion générale et de rapports de forces entre classes, mais est encore fonction de la politique pratiquée par le Parti. Le prolétariat a trop pa­yé durant ces derniers 25 ans pour que les mili­tants d'avant-garde oublient cette vérité premiè­re.

A quel point est savonneuse la pente participationniste, nous le constatons par les résultats obtenus, auxquels on se réfère volontairement à chaque ins­tant pour prouver la force et l'influence du parti.'

Le rapporteur au Congrès n'a pas manqué de ci­ter que dans telle région, la liste du Parti aux dernières élections, a obtenu quatre fois plus de voix. Comme si on pouvait parler de force et d'influence du Parti alors que la vente de la presse baisse, que l'organisation a perdu la moitié de ses membres, et que le niveau idéologi­que des membres, de l'aveu même des responsables, est "lamentable". En entendant Damen parler des victoires du Parti, on ne peut manquer de penser qu'il y a des victoires qui sont les pires des défaites.

Peut-être ne serait-il pas inutile, pour calmer un peu la fièvre des participationnistes, de leur citer l'exemple du parti trotskyste en France qui en 1946 avait également obtenu un succès groupant sur ses listes près de 70.000 voix.

Cela n'a pas empêché ce parti de voir la masse de ses électeurs fondre comme neige au soleil aux élections suivantes, et un an après, voir fondre ses propres rangs. Une bonne partie de ses militants poussant la logique à aller vers les masses à fond, a fini par aller au Rassemblement Démocratique Révolutionnaire où le nombre est plus grand et où leurs paroles peuvent avoir plus d'écho.

Car c'est exactement ainsi que raisonne le ca­marade Damen : "En participant aux élections" dit-il aux anti-participationnistes le parti a pu pénétrer dans  les grandes masses,  porter la nou­velle parole,  essayer de donner corps aux vagues aspirations de sortir des chemins battus". Pris par un noble sentiment de semer la bonne parole, l'idée ne lui vient pas à l'esprit que pour lever, la semence doit être faite en terrain approprié, sinon ce n'est qu'un gaspillage de grains et d'é­nergies. Le révolutionnaire n'a pas à s'inspirer des missionnaires  de l'Armée du Salut al­lant prêcher la parole divine dans les bordels. La conscience  socialiste ne s'acquiert pas dans n'importe quelles condi­tions, elle n'est pas le fait de l'action volon­tariste, mais présuppose une tendance de détache­ment des ouvriers d'avec l'idéologie bourgeoise, et ce n'est sûrement pas les campagnes électora­les, moments de choix de l'abrutissement des ou­vriers qui offrent cette condition.

Il y a longtemps qu'il a été mis en évidence que les racines psychologiques de l'opportunisme sont, aussi paradoxal que cela puisse paraître, son impatience d'agir, son incapacité d'accepter le temps de recul et d'attente. Il lui faut immé­diatement " pénétrer dans  les masses,  porter la nouvelle parole". Il ne prend pas le temps de regarder où il met les pieds. Il est impatient de planter le drapeau du socialisme, oubliant dans sa précipitation que ce drapeau n'a de va­leur que pour autant qu'il est planté sur un ter­rain de classe du prolétariat et non quand il est jeté sur le premier tas de fumier du capitalis­me.

Malgré l'orthodoxie léniniste, la trique de la discipline et les succès enregistrés, la résis­tance des militants contre la politique de la participation augmentait sans cesse. Cela prouve que le PCI d'Italie repose sur des éléments de ba­se très sains. Mais malgré les vives critiques, le Congrès n'a pas résolu la question. Le compro­mis accepté de renoncer à la participation aux élections de Novembre laisse cependant la ques­tion de principe ouverte. Le culte de l'unité et de " ne troublons pas  les membres de base" ont prévalu sur la clarté et l'intransigeance des positions. Ce n'est qu'un recul pour mieux sauter. Les militants révolutionnaires ne sauraient se contenter longtemps de ces demi-mesures. Avec ou sans 1 *assentiment des chefs de file, ils devront liquider ces " vieilles armes émoussées  " ou se liquider eux-mêmes en tant que révolutionnaires.

LE PROBLEME SYNDICAL

C’est assurément la position prise sur le problè­me syndical qui présente le fait saillant du Con­grès.

Quelle était la position antérieure du PCI ? La plus platement orthodoxe, une copie conforme des thèses de l'IC.

" Le travail au sein des organisations économiques syndicales des travailleurs, en vue de leur déve­loppement et de  leur renforcement,  est une des premières tâches politiques du Parti."

"   Le parti aspire à  la  reconstruction  d'une con­fédération syndicale unitaire,   indépendante des commissions d'Etat et agissant avec les méthodes de la lutte de classe et de  l'action directe con­tre le patronat,  depuis  les revendications  locales et de catégories jusqu'aux revendications généra­les de classes  ... Les Communistes ne proposent et ne provoquent la scission des syndicats du fait que  les organismes de direction seraient conquis ou détenus par d'autres partis  "   (Plateforme du PCI - 1946).

C'est sur cette base qu'a été fondé le travail dans les syndicats et allant jusqu'à la participa­tion, là où cela a été possible, surtout en pro­vince et dans les petits syndicats, dans les com­missions et directions syndicales. Il a soutenu sans réserves les luttes revendicatives économi­ques considérant ces luttes comme " une des pre­mières tâches politiques du Parti".

Cette conception fut longtemps un principe pour la GCI. Une des raisons de l'hostilité de la GCI à notre égard était notre position antisyndicale. Nous ne pouvons donc qu'exprimer notre satisfac­tion de voir le PCI abandonner aujourd'hui la plus grande partie de ses vieilles positions con­cernant l'organisation syndicale, et les revendi­cations économiques.

Nous ne pouvons que souscrire à cette définition:

" Le Parti affirme catégoriquement que  le syndicat actuel est un    organe fondamental de  l'Etat capi­taliste y   ayant pour but d’emprisonner le proléta­riat dans  le mécanisme productif de  la collecti­vité nationale  "  ou encore " la classe ouvrière, au cours de son attaque révolutionnaire3  devra dé­truire  le syndicat comme un des mécanismes  les plus sensibles de  la domination de classe du capi­talisme".  Nous souscrivons d'autant plus volontiers que nous retrouvons là, non seulement les idées que nous avons défendues depuis longtemps, mais la reproduction jusqu'à nos propres termes et expressions ([4] [14]).

Remarquons cependant que dans la question syndi­cale, comme dans bien d'autres questions, le PCI a laissé une fois de plus une petite fenêtre ouver­te permettant à l'occasion la repénétration de ces mêmes idées qu'on vient de rejeter par la porte.

Par exemple quand le PCI déclare "son indiffé­rence concernant la question    formelle de  l'adhé­sion ou non du travailleur au syndicat", il ne fait que prendre une position passive qui cache mal son attachement affectif au syndicat. Dire que "ce serait pêcher par abstraction que propa­ger le mot d'ordre de  la sortie des syndicats; mot d'ordre concevable seulement quand les situa­tions historiques poseront les conditions objec­tives pour le sabotage du syndicat", c'est cher­cher des prétextes sophistiqués pour ne pas cho­quer les sentiments arriérés des masses. Si on est convaincu que le syndicat est et ne peut désormais être qu'un organisme d'Etat capitaliste, avec la fonction d'emprisonner les ouvriers au service de la conservation du régime capitaliste, on ne peut rester "indifférent"  au fait que l'ouvrier en fait ou non partie organiquement, pas plus que nous ne restons indifférents au fait que les ouvriers fassent ou non partie des maquis, des comités de libération nationale, des partis ou toutes autres formations politiques du capitalis­me.

Il n'est jamais venu à l'esprit d'un militant sérieux que l'abandon par les ouvriers des forma­tions politiques du capitalisme dépend de ce qu'il lancera ou non le mot d'ordre. Il sait parfaite­ment que cela sera le résultat des conditions ob­jectives; mais cependant cela ne l'empêche pas, mais au contraire, exige de lui de faire de la propagande et d'appeler les ouvriers à déserter ces organisations de la bourgeoisie. La désertion des organisations du capitalisme n'est pas seule­ment une manifestation mais également une condi­tion de la prise de conscience des ouvriers. Et cela reste valable aussi bien pour les organisa­tions syndicales que pour les organisations politiques. De toutes façons, l'indifférence en matiè­re de positions politiques n'est que le camoufla­ge d'un acquiescement effectif et honteux.

Mais il y a mieux. Le PCI dénonce les syndicats mais préconise le rassemblement des ouvriers dans la fraction syndicale. Qu'est-ce donc que cette fraction syndicale ?

" C'est  -dit d'abord le document de la CE déjà cité- le réseau des groupes d'usines du parti qui agissant sur la base unitaire de son programme etc ...constituent la fraction syndicale".

On serait tenté de croire à la première lecture qu'il s'agit tout simplement de cellules du Parti, mais à examiner de plus près, on s'aperçoit qu'il s'agit de toute autre chose. Premièrement, on comprend difficilement pourquoi l'ensemble des cellules d'usines se constitueraient en un orga­nisme à part, séparant et divisant l'unité du Parti en deux : d'un côté les ouvriers groupés à part dans les cellules d'usines et d'un autre cô­té les non-ouvriers groupés on ne sait exactement où, mais également à part.

Deuxièmement, la gauche italienne s'est toujours opposée dans l'IC à l'introduction de cet­te structure des cellules d'usines, voyant en el­les une tendance à l'ouvriérisme et un moyen bu­reaucratique d'étouffer la vie idéologique du Parti ([5] [15]). Il serait vraiment surprenant que le PCI rompe aujourd'hui avec cette position tradi­tionnelle et plus que jamais valable. Troisième­ment, quelles peuvent donc être les tâches spé­cifiques des membres ouvriers du Parti distinctes des taches de l'ensemble du Parti, et finalement on ne comprend pas que cet organisme centralisé, unifié sur le plan de l'ensemble du pays, consti­tuerait et porterait précisément le nom de ... fraction syndicale.

En vérité la fraction syndicale n'est pas les cellules d'usines du Parti, mais bien une organi­sation séparée, distincte du Parti créée par ce­lui-ci et dirigée par lui. Certainement le Parti ne se fait pas trop d'illusions sur l'ampleur que peut prendre cette organisation dans l'immé­diat : " dans  la situation actuelle, c'est la réduction de  la fraction syndicale aux seuls mem­bres du parti et_ à quelques sympathisants, agis­sant dans  l'usine ou dans  le syndicat,  qui se vérifiera le plus souvent". Mais ce n'est pas pour cela que le Parti crée cette organisation; il la destine à une fonction bien plus importante :

" II ne dépend pas d’un effort volontariste du Parti mais de  l'évolution de  la situation géné­rale et de la dynamique des  luttes sociales,   que des prolétaires, syndiqués ou non, inscrits ou non à d'autres partis, se rassemblent  autour de nos groupes  d'usine".

De ces textes, il ressort clairement que la fraction syndicale a une double fonction. Dans l'immédiat " agissant dans  l'usine ou dans  le syndicat", et de servir dès à présent de noyaux autour desquels se rassembleront demain les ou­vriers de toutes les tendances, de tous les par­tis, en quelques sorte des embryons de soviets.

Il est à remarquer que le PCI qui craint de "pêcher par abstraction"  en préconisant la dé­sertion des syndicats en l'absence des conditions objectives nécessaires, ne craint cependant pas le péché de bluff en constituant aujourd'hui les em­bryons de futurs soviets.

D'une part, le parti a renoncé à son action dans les syndicats et à l'illusion de pouvoir agir, actuellement, dans les masses, d'autre part il reprend la même action syndicale et le travail des masses, non directement mais par l'intermé­diaire d'une organisation spéciale créée à cet­te fin :1a fraction syndicale. Aussi ne pourrait-on rien lui reprocher, chacun a son compte et tout le monde est content.

Ainsi le pas en avant fait dans la question a été immédiatement suivi de deux pas en arrière ([6] [16])

Finalement l'erreur d'hier a été doublée d'une confusion d'aujourd'hui. En ajoutant la confusion nouvelle à l'erreur passée, ça ne fait toujours qu'une confusion dans l'erreur et on n'a pas avan­cé d'un iota.

CONCLUSIONS

Nous venons de faire l'examen des travaux du P.C.I. Si on ne peut pas parler de son apport dans la clarification des problèmes fondamentaux de l'époque, de l'avis même de ses partisans on peut constater que le plus clair de son travail consis­tait dans le bouleversement total qu'il a apporté dans les positions et l'orientation prises à sa Conférence constitutive.

On trouverait difficilement un autre exemple dans les annales des groupes politiques, où une plate­forme constitutive se trouve être aussi profondé­ment malmenée et infirmée, dans un laps de temps aussi court.

Notre époque peut avec raison être caractérisée par ces changements brusques et la rapidité de son cours. Mais on ne saurait attribuer à cela le vieillissement surprenant de la Plateforme du P.C.I. car elle était déjà hors du cours et frappée de sénilité à sa naissance. Cette constatation faite par les délégués eux-mêmes au Congrès n'est pas le fait du hasard. Elle a ses racines, entre autre, dans la suffisance et la prétention de dé­tenir seule    la vérité révolutionnaire, haus­sant les épaules à la seule idée de pouvoir ap­prendre quelque chose dans la confrontation d'idées avec d'autres groupes révolutionnaires dans les divers pays.

Deux ans et demi ont suffi pour ne laisser sub­sister intactes aucune des pages de la Platefor­me de Décembre 1945. C'est une leçon sévère mais qui pourrait être salutaire si les camarades de la CCI comprennent et acceptent cette leçon. A cette seule condition l'expérience pourrait ne pas avoir été vaine.

Pour finir, et dans la mesure où il nous est pos­sible et permis de juger de loin et de formuler un avis, nous estimons prématurée la conclusion tirée par le camarade Bernard qui dit" "pour les militants sincèrement révolutionnaires  il n'y a pas d'autre voie que  la scission et la création  d'un  nouveau regroupement politique qui ait comme tâche fonda­mentale la recherche et la formulation des bases idéologiques pour la formation future du vrai par­ti de classe". Nous ne méconnaissons pas les im­menses difficultés auxquelles peuvent se heurter ces camarades dans l'atmosphère qui règne dans le PCI. Mais il est incontestable que le PCI d'Ita­lie reste à ce jour la principale organisation ré­volutionnaire prolétarienne et probablement la plus avancée en Italie. Tout comme après la Confé­rence de 1945 nous estimons qu'en son sein sont rassemblés un grand nombre de militants révolu­tionnaires sains, et de ce fait cette organisa­tion ne peut être considérée comme perdue d'avan­ce pour le prolétariat.

En 1945 nous écrivions que derrière le patriotisme et l'apparence d'unité existent des diver­gences réelles qui ne manqueront pas de se mani­fester et de se cristalliser en tendances opportu­nistes et révolutionnaires. Aider à cette cristal­lisation, contribuer à dégager les énergies révo­lutionnaires afin qu'elles puissent trouver leur maturation et leur expression la plus avancée, tel nous paraît être encore aujourd'hui la tâche la plus urgente du révolutionnaire sincère.

 (Bulletin de Mai 1948 sur le Congrès du P.C.I. d'Italie).



[1] [17] Faute de place, nous ne pouvons pas publier toujours des articles in extenso. Nous savons combien cela est insatisfaisant, souvent gênant, comportant le risque de la déformation et nous sommes les premiers à le déplorer. Nous nous efforcerons autant que possible de 1'éviter, la meil­leure solution  étant  certainement la publication d'un  recueil  des principaux articles  de  cette revue. Un souhait à réaliser.

[2] [18] Voir cette "théorisation" chez les dissidents bordiguistes et situationnistes comme le"Mouvement Communiste", "Négation", et tout particulièrement dans "Invariance" n°2 nouvelle série.

[3] [19] Il  est peut-être nécessaire d'insister sur  une autre erreur couramment commise et qui consis­te à lier l'existence du Parti à  la période révolutionnaire et insurrectionnelle. Cette "idée" qui ne conçoit 1 'existence du Parti qu'uniquement  en période de révolution est source de bien des confusions.

a)      Elle confond le Parti avec les Conseils. Ces derniers parce qu'ils sont 1'organisation spé­cifique de la classe pour la conduite de la révolution et la prise du pouvoir - ce qui n'est pas la  fonction du Parti  - ne peuvent apparaître et  exister qu'uniquement dans la révolution.

b)      Une  telle idée reviendrait  à dire qu'il  n'a jamais existé dans  l'histoire de Parti  de la classe ouvrière.   Ce qui  est  une pure absurdité.

c)      C'est ignorer les raisons du surgissement du Parti  dans la  classe et ses fonctions,   dont  une principale est d'être  un facteur actif dans le processus de prise de conscience de la  classe.

d)      "L'organisation des ouvriers en classe donc en Parti" (Marx) signifie un caractère constant, de 1'existence du Parti, que seule une période de défaite et de réaction profonde vient à mettre en question.

Une période de reprise et de développement des  luttes de classe du prolétariat ouvre le pro­cessus de la reconstruction du Parti.   Ne pas le comprendre c'est maintenir les pieds sur les freins au moment où la  route amorce une longue montée.

[4] [20] Voir notamment nos thèses sur les problèmes actuels du mouvement ouvrier. INTERNATIONALISME n°31, Février 1948.

[5] [21] Voir par exemple l'article  "LÀ NATURE DU PARTI" publié par Bordiga en 1924.

[6] [22] Pour qu'on ne nous accuse pas de déformation intentionnelle de la pensée du PCI, nous citerons l'explication donnée par la Fraction Belge sur ce point : "s'il y a des ouvriers qui ne veulent pas adhérer au Parti, encadrer ceux-ci dans les frac­tions syndicales du Parti, qui seront peut-être aussi demain les bases pour la création de nouveaux syndicats".

Conscience et organisation: 

  • La Gauche Italienne [23]

Courants politiques: 

  • Gauche Communiste [10]

Source URL:https://fr.internationalism.org/en/content/revue-internationale-no-36-1e-trimestre-1984

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