L'intensification des préparatifs guerriers
L’été 1988 serait selon toute la presse du monde capitaliste l'été de la paix dans le monde, ou du moins de tous les espoirs de paix. Ce serait la paix entre l'Iran et l'Irak, en Angola et au Cambodge et bientôt en Afghanistan. Ce serait aussi le début d'un processus de désarmement des missiles nucléaires entre les deux têtes de bloc - les USA et l'URSS -, processus garant de la volonté réelle de paix de la part des dirigeants des deux principales puissances capitalistes du monde. Bref la perspective de la paix l'emporterait sur celle, supposée opposée, d'une 3ème guerre mondiale.
LE CAPITALISME, C'EST LA GUERRE
Une des principales positions de toujours de la théorie du prolétariat, du marxisme, est que, dans le capitalisme, la paix et la guerre ne sont pas contradictoires, ni ne s'excluent. Mais qu'elles sont deux moments de la vie même de ce mode de production, que la paix n'est que la préparation de la guerre. Malgré "l'été 88", malgré les accords de "désarmement" entre Reagan et Gortbachev, malgré toute la propagande pacifiste actuelle, l'alternative historique qui s'offre à l'humanité n'est pas paix ou guerre, mais reste toujours socialisme ou 3ème guerre impérialiste mondiale, socialisme ou barbarie. Plus exactement aujourd'hui : socialisme ou continuation et développement encore plus dramatique de la barbarie capitaliste.
Nous nous trouvons donc en face de deux thèses: celle de la propagande bourgeoise et celle de la théorie révolutionnaire du prolétariat. L'une contribue à essayer de maintenir l'ordre social actuel en tentant de développer l'illusion que la paix est possible dans le capitalisme. Pour la seconde, pour le marxisme: "la guerre est un produit nécessaire du capitalisme" (Lénine, "Le congrès socialiste international de Stuttgart", 1907), et: "L'humanité (...) est menacée de destruction. Il n'est plus qu'une force capable de la sauver, et cette force c'est le prolétariat." ("Plate-forme de l'Internationale communiste", 1919).
LA CRISE ECONOMIQUE IRREVERSIBLE DU CAPITALISME POUSSE A LA GUERRE IMPERIALISTE
Depuis 1945, l'antagonisme impérialiste entre le bloc de l'Ouest et celui de l'Est n'a cessé de s'exprimer dans des guerres (Corée, Indochine, Moyen-Orient, etc.). Mais aujourd'hui, l'impasse économique et la chute dans la crise, ne font qu'exacerber ces antagonismes et poussent le capitalisme à la fuite en avant dans la guerre, à l'éclatement d'une 3ème guerre mondiale.
"A partir du moment où cette crise ne peut trouver d'issue temporaire dans une expansion du marché mondial, la guerre mondiale de notre siècle exprime et traduit ce phénomène d'autodestruction d'un système qui, par lui-même, ne peut dépasser ses contradictions historiques." ("La guerre dans le capitalisme", Revue Internationale n°41, 1985).
C'est dans l'impossibilité pour le capitalisme en déclin d'éviter et de surmonter la crise économique que se trouve la base même de la guerre impérialiste, expression la plus haute de cette crise et de la décadence de ce mode de production lui-même.
LES "PAIX" DE L'ETE 88 : UNE ETAPE DE L'OFFENSIVE OCCIDENTALE
C'est la paix partout, clament les journaux et les télévisions: en Angola, au Cambodge, en Afghanistan, et surtout entre l'Irak et l'Iran. Et cela après les accords de désarmement entre les USA et l'URSS ([1] [1]). Selon les médias, la raison et la sagesse l'emporteraient. Gorbatchev et Reagan seraient touchés par la grâce pacifiste. Les dirigeants des principales puissances réussiraient à s'entendre pour dépasser l'antagonisme impérialiste qui menace le monde. Les bonnes volontés l'emporteraient donc sur les lois mêmes du capitalisme.
La preuve serait ainsi faite que le capitalisme n'est pas forcément la guerre comme le proclame le marxisme. Et pourtant nous continuons d'affirmer que c'est ce dernier qui a raison.
Essayons donc d'y voir de plus près. Ces différentes "paix" apparaissent toutes comme des "pax americana": l'armée russe quitte l'Afghanistan, les forces cubaines l'Angola, et les Vietnamiens le Cambodge. En fait, ces différents retraits russes sont le résultat du soutien économique et surtout, et de plus en plus, militaire des USA à la résistance afghane et à la guerre menée par l'Afrique du Sud et le mouvement de guérilla l'UNITA contre l'Angola. Tout comme c'est bien l'immense pression militaire et économique du bloc de l'Ouest qui a eu raison des ayatollahs iraniens dans le conflit avec l'Irak. Si raison il y a, c'est celle du plus fort, celle qui s'exprime sans ambiguïté par la présence de l'armada occidentale dans le golfe Persique et l'efficacité des missiles Stinger américains contre l'aviation russe en Afghanistan.
A la vérité, les différentes "paix" ne sont pas le produit de la raison, ni de la bonne volonté pacifiste, mais du rapport de forces actuel entre les deux blocs. Les "paix" de l'été 88 sont le produit de la guerre.
LES "PAIX" DE L'ETE PREPARENT LA GUERRE IMPERIALISTE
Produits de la guerre, les "paix" de l’été 88 préparent les guerres à venir vérifiant ainsi la thèse marxiste. Seule celle-ci permet de révéler la réalité cachée des conflits impérialistes et même bien souvent de prévoir leur issue. Voilà comment nous caractérisions en 1984 l'évolution des conflits impérialistes:
"Contrairement à la propagande assenée quotidiennement par tous les médias du bloc occidental, la caractéristique majeure de cette évolution consiste en une offensive du bloc américain contre le bloc russe. Celle-ci vise à parachever l’encerclement de l'URSS par le bloc occidental, à dépouiller ce pays de toutes les positions qu'il a pu conserver hors de son glacis direct. Elle a pour but d'expulser définitivement l'URSS du Moyen-Orient en réintégrant la Syrie au sein du bloc occidental. Elle passe par une mise au pas de l'Iran et la réinsertion de ce pays dans le bloc US comme pièce majeure de son dispositif militaire. Elle a pour ambition de se poursuivre par une récupération de l'Indochine. Elle vise, en fin de compte, à étrangler complètement l'URSS; et à lui retirer son statut de puissance mondiale." (Revue Internationale n°36, 1er trimestre 1984, p.2).
Nous sommes en train de vivre l'aboutissement de la deuxième phase de cette offensive du bloc US contre l'URSS: la remise au pas de l'Iran alors qu'il y a déjà un certain temps que la Syrie manifeste sa réintégration dans le bloc occidental - première phase de cette offensive - en assumant le rôle du gendarme américain au Liban. Cette remise au pas de l'Iran va signifier le retour plus ou moins rapide de ce pays à la discipline du bloc de l'Ouest qui en avait fait le gendarme de l'Occident dans cette région du temps du Shah. Et pour cela, l'impérialisme US est tout disposé à laisser, le temps qu'il faudra, ses forces militaires dans le golfe Persique pour "aider" l'Iran à bien comprendre le rôle qui lui revient: exercer une pression directe sur la frontière sud de l'URSS.
Celle-ci, après son expulsion du Moyen-Orient, est maintenant pratiquement exclue de l'Afrique -sauf de l'Ethiopie mais pour combien de temps encore ?- avec les projets de retrait des forces cubaines de l'Angola et doit donc aussi retirer ses troupes d'Afghanistan. Cette offensive occidentale va se poursuivre en Indochine: nous le voyons déjà avec les projets de retrait de l'armée vietnamienne du Cambodge. Elle vise à retirer à l'URSS les dernières places fortes qu'elle détient encore en dehors de l'Europe.
Voilà où nous en sommes aujourd'hui.
L'UNIQUE PERSPECTIVE DU CAPITALISME : UNE 3ème GUERRE MONDIALE
Le succès de l'offensive américaine contre l'URSS signifie pour cette dernière une situation croissante d'isolement et d'affaiblissement de plus en plus critique. Elle va se retrouver de plus en plus acculée sur son glacis est européen et dans les faits, étranglée.
Si ce processus d'affrontements impérialistes entre le bloc de l’Ouest et de l'Est allait jusqu'à son terme, l'URSS se retrouverait dans la situation de l'Allemagne lors des deux premières guerres mondiales: contrainte en dernière instance, sous peine de mourir étouffée, de déclencher une 3ème guerre mondiale. Et cela malgré une situation économique et militaire extrêmement défavorable par rapport au rival de l'Ouest. Et cela malgré toutes les conséquences dramatiques pour l'avenir même de l'humanité avec les armements actuels. Car ce processus d'affrontements menant à la guerre est inhérent au capitalisme et ne peut être stoppé que par la destruction même de ce mode de production.
AUJOURD'HUI LE CAPITALISME C'EST LA CHUTE DANS LA MISERE, LA GUERRE ET LA BARBARIE
Pour l'instant ce processus menant sans doute à la destruction de la plus grande partie de l'humanité, sinon à sa disparition complète, ne peut se développer jusqu'à son terme. Nous allons y revenir.
Mais, il n'en demeure pas moins que le capitalisme continu de survivre, et tel un fruit trop mûr, de pourrir sur pied. C'est la raison pour laquelle nous disons que l'alternative historique n'est plus "socialisme ou barbarie", mais socialisme ou continuation et développement de la barbarie capitaliste. Quatre-vingts ans de décadence historique marquée par une misère jamais vue encore dans l'histoire de l'humanité -en particulier les 2/3 des êtres humains souffrant de la faim !-, des massacres sans fin au cours de guerres ininterrompues -dont deux guerres mondiales avec des millions de morts- ont fait la preuve de l’obsolescence du mode de production capitaliste qui, porteur de progrès historique dans le passé, s'est transformé en une entrave et en un risque mortel pour le développement et la survie même de l'humanité.
Et, pour ceux qui douteraient de la validité de la thèse marxiste sur l'existence de la décadence du capitalisme, rappelons brièvement la réalité macabre du conflit sciemment provoqué, déclenché et entretenu par les USA et leurs alliés occidentaux entre l'Iran et l'Irak. Selon la presse (22/8/88): 1 200 000 morts dont 900 000 du côté iranien parmi lesquels un grand nombre d'enfants, de vieillards et même de femmes. Le nombre des blessés et des invalides est deux fois plus élevé encore. Inutile ici de revenir sur l'utilisation massive des gaz. L'économie de ces pays se retrouve dévastée: les dépenses d'armements des deux pays s'élevant à plus de 200 milliards de dollars tout comme le total des destructions.
Et toute cette horreur sans aucun "bénéfice" historique, économique, ni même territorial pour les deux belligérants sinon une place de choix assurée dans les conflits à venir!
Car, malgré les différents cessez-le-feu, ce n'est pas la paix qui attend les pays directement concernés. Qu'ils soient destinés ou non à servir de place forte d'un impérialisme -tel l'Iran-, c'est la guerre, la misère et la décomposition sociale qui vont se développer. Leur futur immédiat, c'est l'instabilité comme au Liban. Pour les pays africains et le Moyen-Orient en particulier, ainsi que pour l'Afghanistan, le Cambodge, l'Iran, etc., les "paix" de 88 sont un pas de plus dans la décomposition sociale, dans la famine et la misère, et dans les guerres interminables des différentes fractions et bandes locales. Pour ces pays, ce n'est pas la paix, c'est la "libanisation" qui s'annonce, le développement encore plus dramatique de la putréfaction économique et sociale du capitalisme.
Cette "libanisation" s'exprime en particulier dans l'explosion de massacres entre ethnies -dernier en date au Burundi où il y aurait 25 000 morts dans les affrontements entre les "Hutus" et les "Tutsis"- et aussi dans "l'explosion des nationalités" tout autant accompagnée de massacres comme avec les Sikhs en Inde, les Kurdes en Iran et en Irak, et même en URSS, en Azerbaïdjan. Ces conflits sont une des expressions de la décomposition croissante du tissu social dans tous les pays.
Toute cette horreur est la réalité du capitalisme décadent. La guerre et la décomposition sont les seules perspectives que cette société en putréfaction puisse offrir à l'humanité.
LE PROLETARIAT EST LE SEUL FREIN A LA GUERRE IMPERIALISTE
Nous avons affirmé précédemment que le processus de développement des antagonismes impérialistes entre l'Ouest et l'Est ne réussissait pas pour l'instant à se développer jusqu'à son terme apocalyptique. Malgré la profondeur de la crise économique et son accélération, malgré la constitution depuis 1945 des deux grands blocs impérialistes, malgré une économie dirigée principalement vers la production d'armement et par conséquent leur abondance, la 3ème guerre mondiale n'a toujours pas éclaté.
Certes, le temps travaille pour les USA. Cette puissance a pu attendre durant 8 ans de guerre l'épuisement de l'Iran pour sa remise au pas. Elle a adopté la même attitude en Afghanistan par rapport à l'URSS. Le bloc de l'Ouest peut se permettre, car c'est lui qui a l'initiative, de laisser s'épuiser l'URSS dans la course aux armements. D'autant que le bloc de l'Est se trouve dans une situation intérieure difficile. Tout particulièrement sa puissance dominante: l'URSS elle-même se trouve confrontée à "l'explosion des nationalités" -encore dernièrement dans les pays baltes- qui, nous l'avons vu, est une des expressions de la décomposition.
D'un autre côté, l'URSS est sur la défensive et assume de plus en plus mal le poids de l'économie de guerre et les frais de ces diverses occupations militaires. Elle cherche désespérément de l'air face à l'étouffement qui la guette et un répit pour pouvoir faire face et se préparer.
Mais ce n'est pas là la raison du non-déclenchement aujourd'hui du conflit mondial entre les deux blocs. Toutes les conditions sont réunies. Sauf une: l'adhésion et la soumission des populations et en tout premier lieu des ouvriers qui produisent l'essentiel de la richesse sociale et toutes les armes, et qui constitueraient les principaux contingents lors d'une guerre généralisée. Les ouvriers ne sont pas prêts aujourd'hui au sacrifice de leur vie dans une guerre. A l'heure où nous écrivons, au delà des particularités polonaises et de leurs limites propres, les grèves ouvrières en Pologne ([2] [2]) manifestent une fois de plus la combativité du prolétariat international et son refus d'accepter sans réaction les attaques économiques imposées par la crise et l'immense misère accompagnant inévitablement le développement de l'économie de guerre.
Cette combativité ouvrière s'est exprimée dans les luttes de ces dernières années pour la défense des conditions de vie et contre leur brutale et croissante détérioration, principalement en Europe Occidentale ([3] [3]). Elle constitue le frein et l'obstacle au développement du processus capitaliste à la guerre et à son aboutissement logique dans un 3ème conflit impérialiste mondial.
Beaucoup d'ouvriers individuellement, nombre de militants révolutionnaires et presque tous les groupes politiques du prolétariat, victimes de la propagande bourgeoise, désespèrent des luttes de la classe ouvrière et même certains vont jusqu'à nier leur existence ([4] [4]). Et face à la question pourquoi la guerre n'a-t-elle pas encore éclaté alors que toutes les conditions sur le plan objectif sont réunies, ces camarades désespèrent du marxisme et remettent alors en cause ses principes mêmes.
LE PACIFISME DESARME LA CLASSE OUVRIERE ET PREPARE LA GUERRE
La bourgeoisie, elle, ne doute pas de l'existence et du danger des luttes ouvrières. En lien avec la combativité ouvrière, elle sait aussi très bien que les populations civiles ne sont pas disposées aux sacrifices d'une guerre. C'est la raison d'être des campagnes de propagande pacifiste dirigées à l'Ouest comme à l'Est essentiellement contre les ouvriers.
Malgré toute sa puissance idéologique, l'Etat capitaliste US aurait aujourd'hui le plus grand mal à envoyer un corps expéditionnaire de 500 000 soldats du contingent sur un champ de bataille, comme à l'époque du Vietnam, sans susciter des réactions populaires, et sans doute ouvrières, très dangereuses. Et, même si ce n'est pas la première, une des raisons du retrait russe est aussi le mécontentement croissant parmi la population en URSS et même parmi la troupe comme on a pu s'en apercevoir lors des violents troubles qui ont eu lieu à l'occasion d'un rassemblement de plus de 8 000 parachutistes, anciens soldats d'Afghanistan, le 2 août dernier à Moscou (presse du 9/8/88).
Après les accords entre Reagan et Gorbatchev sur les euromissiles, et après les accords et les négociations concernant l'Afrique Australe, l'Iran et l'Irak, le Vietnam, la bourgeoisie internationale utilise le retrait de l'URSS de l'Afghanistan pour entretenir les illusions pacifistes au sein de la classe ouvrière. La "paix" imposée à l'Iran est aussi l'occasion de présenter la présence de l'immense flotte occidentale dans le golfe Persique comme une entreprise civilisatrice et pacificatrice en opposition au fanatisme islamiste des ayatollahs.
Ces campagnes pacifistes sont organisées aussi bien par les gouvernements, les médias, les partis de gauche et les syndicats. Elles ont pour but d'endormir la classe ouvrière en lui faisant croire que la paix est possible dans le capitalisme. Elles essayent ainsi d'empêcher la prise de conscience des dramatiques enjeux historiques actuels: révolution prolétarienne ou 3ème guerre mondiale.
"L'une des formes de mystification de la classe ouvrière est le pacifisme et la propagande abstraite de la paix. En régime capitaliste, et particulièrement à son stade impérialiste, les guerres sont inévitables." (Lénine, Résolution sur "Le pacifisme et la consigne de la paix" de la Conférence des sections du POSDR à l'étranger, mars 1915).
Et surtout, en faisant croire à l'opposition entre la guerre et la paix, le pacifisme au nom de la paix abstraite rejette dans ce mal absolu que serait la guerre, la lutte des classes, et plus particulièrement la lutte de la classe ouvrière et la perspective de la révolution prolétarienne. Le pacifisme veut mener la classe ouvrière à l'abandon de ses combats, à l'acceptation de l'exploitation, de la misère et des sacrifices croissants. Il veut rendre les ouvriers impuissants face au drame historique qui vient en les détournant du terrain de l'opposition aux attaques économiques croissantes du capital en crise.
Que la classe ouvrière ne cède pas aux sirènes du pacifisme et n'abandonne pas ses luttes pour gagner la paix. Elle n'y gagnerait que la défaite d'abord. Et ensuite la guerre généralisée.
Dans le capitalisme, la seule paix possible c'est celle des cimetières. Les "paix de l'été 88" préparent l'intensification de la guerre impérialiste. Et les campagnes pacifistes visent à masquer aux yeux des ouvriers cette monstrueuse réalité.
"Historiquement, le dilemme devant lequel se trouve l’humanité d'aujourd'hui se pose de la façon suivante: chute dans la barbarie, ou salut par le socialisme. Ainsi nous vivons aujourd'hui la vérité que justement Marx et Engels ont formulée pour la première fois, comme base scientifique du socialisme, dans le grand document qu'est le Manifeste communiste: le socialisme est devenu une nécessité historique." (Rosa Luxemburg, "Discours sur le programme du Parti Communiste d'Allemagne", 1/1/1919).
RL. 26/8/88
[1] [5] Sur le mensonge du désarmement et la réalité des accords sur les euro-missiles et du développement des armements, voir éditorial de notre Revue Internationale n°54.
[2] [6] Voir l'article suivant sur les grèves en Pologne dans ce numéro.
[3] [7] Sur la réalité et la signification des luttes ouvrières actuelles, voir les différents articles dans les numéros antérieurs de cette revue (éditorial du n° 53) et dans notre presse territoriale.
[4] [8] Voir dans ce numéro l'article "Décantation du milieu politique prolétarien et oscillations du BIPR".
Une nouvelle fois le prolétariat de Pologne, face à une dégradation insupportable de ses conditions d'existence, a repris le chemin du combat de classe : ses luttes de la deuxième moitié du mois d'août 88, qui ont succédé à celles du printemps, sont les plus importantes depuis les combats de l'été 80. Une nouvelle fois la bourgeoisie a démontré son savoir-faire pour mener dans une impasse et défaire la combativité ouvrière, grâce à un remarquable partage des tâches entre gouvernement et forces d'"opposition" avec en tête "Solidamosc". Ces luttes sont un appel aux ouvriers de tous les pays, et particulièrement à ceux des pays les plus développés : par leur ampleur, leur détermination, leur combativité, mais aussi parce que seul le prolétariat des pays les plus avancés, et notamment celui d'Europe occidentale, est en mesure de montrer le chemin de la lutte contre les pièges et mystifications qui sont venus à bout des ouvriers de Pologne.
Pologne : 31 août 1980 - 31 août 1988 : à huit ans de distance, deux rencontres entre les autorités gouvernementales et des "représentants de la classe ouvrière" symbolisent l'évolution de la situation sociale et des rapports de force entre classes dans ce pays.
Du côté du gouvernement les acteurs ont changé, le ministre de l'intérieur de 88, Kiszczak, a remplacé le vice-Premier ministre de 80, Jagielski, mais le mandataire est toujours le même : le représentant suprême du capital national polonais. En face, par contre, c'est toujours le même Lech Walesa qui sert d'interlocuteur, mais en août 80 il est mandaté par l'organe que s'est donné la classe ouvrière au cours des grèves, le MKS (Comité de grève inter-entreprises), alors qu'aujourd'hui ce n'est pas la classe ouvrière en lutte qu'il représente mais lui aussi le capital national.
En août 80, la classe ouvrière, en un combat qui demeure à ce jour le plus important depuis la reprise historique du prolétariat mondial à la fin des années 60, avait réellement réussi à faire reculer momentanément l'Etat bourgeois. Aujourd'hui, la formidable combativité qu'elle a manifestée depuis plusieurs mois, et tout particulièrement en ce mois d'août, a été dévoyée et bradée par de sordides manoeuvres entre ses ennemis notoires, le gouvernement et le parti au pouvoir (bien que ce dernier se dise toujours "Parti Ouvrier"), et l'organisation qui, malgré (ou plutôt grâce à) sa non existence légale, bénéficie encore de sa confiance : le syndicat "Solidarité".
Le 31 août 80, Lech Walesa n'était que le porte parole des ouvriers en lutte, lesquels pouvaient à chaque instant contrôler les négociations qu'il menait avec les représentants du gouvernement qui avaient été contraints de se rendre dans le bastion ouvrier du chantier naval "Lénine". Le 31 août 88, le même Lech Walesa a rencontré à huis clos, dans une villa gouvernementale des beaux quartiers de Varsovie, le ministre de l'intérieur, c'est-à-dire le spécialiste gouvernemental du "maintien de l'ordre" capitaliste, avec un seul objectif : rechercher le meilleur moyen de rétablir cet "ordre" remis en cause par les grèves ouvrières.
Le 31 août 80, Walesa appelle à la reprise parce que le pouvoir a donné satisfaction aux 21 revendications élaborées par les grévistes. Le 31 août 88, il met à profit la popularité dont il continue encore à jouir auprès des ouvriers pour leur demander qu'ils mettent fin à leur mouvement en échange de vagues promesses sur l'ordre du jour d'une "table ronde" où devrait être abordée la question du "pluralisme syndical", c'est-à-dire du pluralisme des organes destinés à encadrer la classe ouvrière et à saboter ses luttes. C'est d'ailleurs pour cela que, si le 1er septembre 80 l'ensemble des grévistes était retourné au travail avec le sentiment d'avoir gagné, cette fois-ci il a fallu à Walesa une bonne partie de la nuit pour convaincre le comité de grève inter-entreprises de Gdansk d'appeler à la reprise et toute une matinée pour obtenir des ouvriers du chantier "Lénine" qu'ils mettent fin à la grève, alors que dans d'autres villes la grève s'est poursuivie jusqu'à la venue du "pompier volant".
En bref, en août 80, la classe ouvrière avait remporté une victoire (provisoire certes, mais il ne peut en exister d'autre dans la période actuelle), en août 88 elle a subi une défaite.
Faut-il en conclure à un recul général de la classe ouvrière dans tous les pays ? Les derniers événements de Pologne sont-ils significatifs de l'évolution des rapports de force entre classes au niveau mondial ?
Rien n'est moins vrai. En réalité, les dernières luttes du prolétariat en Pologne constituent une confirmation éclatante de toute la perspective mise en avant par notre organisation depuis une vingtaine d'années : plus que jamais l'heure est au déploiement, à l'intensification du combat de classe dans la mesure même où ses conditions n'ont fait que se développer depuis son renouveau historique débuté il y a deux décennies.
L'AGGRAVATION INEXORABLE DE LA CRISE ECONOMIQUE ET L'INTENSIFICATION DES ATTAQUES CAPITALISTES
A l'origine des luttes ouvrières qui ont secoué la Pologne ces derniers mois se trouvent des attaques d'une brutalité incroyable contre le niveau de vie de la classe ouvrière. Ainsi, au début de l'année le gouvernement décide pour le premier de chacun des mois suivants, février, mars, avril, des trains de hausses massives sur les produits alimentaires, les transports, les services... Le taux d'inflation sur cette période se monte à 60%. Malgré les augmentations de salaires qui accompagnent ces hausses, la perte de revenus pour la population est de 20%. En un an, certains prix ont fait plusieurs fois la culbute : ainsi les loyers ont doublé, le prix du charbon a été multiplié par trois, celui des poires par quatre, celui des chaussures en toile pour enfants par cinq, et ce ne sont que des exemples parmi beaucoup d'autres. Par ailleurs, vue la pénurie (par exemple la viande, le lait pour enfants, le papier hygiénique), beaucoup de biens élémentaires doivent être achetés au marché noir ou bien dans les "Pewex" où il faut payer en devises fortes dont le taux délirant au marché noir (seul moyen pour un ouvrier de se les procurer) ramène le salaire moyen mensuel à 23 dollars. Dans ces conditions il n'est pas surprenant que les autorités elles mêmes reconnaissent que 60% de la population vit en dessous du seuil de pauvreté.
Cette misère est vécue de façon particulièrement dure par les jeunes ouvriers qui constituent les bataillons les plus déterminés des combats actuels. D'après Tygodnik Mazowsze, l'hebdomadaire clandestin de Solidarnosc pour Varsovie, les jeunes ouvriers forment "une génération sans perspectives" : "La vie qu'ils vivent est un cauchemar. Leurs chances de trouver un logement à eux sont pratiquement nulles. La plupart d'entre eux vivent dans de prétendus foyers fournis par l'entreprise. Ils sont parfois six entassés dans deux chambres. Un couple avec trois enfants vit dans une petite pièce et une cuisine de quatre mètres carrés où il n'y a que l'eau froide."
Cette dégradation incroyable des conditions de vie de la classe ouvrière, malgré (ou plutôt à cause de) toutes les "réformes économiques" successives mises en oeuvre par le régime depuis de nombreuses années, ne saurait évidemment pas être considérée comme une sorte d'"exception", de "particularité" réservée à la Pologne ou même aux pays dits "socialistes". Même si dans ce pays elle prend une forme extrême, caricaturale, du fait de l'acuité de la crise économique (la dette extérieure de la Pologne se monte à quelque 50 milliards de dollars dont 39 envers les pays occidentaux), on la retrouve dans tous les pays d'Europe de l'Est comme dans les pays les plus avancés. En URSS par exemple, les pénuries n'ont jamais été aussi catastrophiques malgré les hausses des prix qui étaient sensées les faire disparaître. La fameuse "perestroïka" (restructuration) de l'économie est totalement absente des réfrigérateurs, comme le constatent avec humour les habitants de la "patrie du socialisme" et la "glasnost" (transparence) est avant tout celle des rayons des magasins qui restent désespérément vides. Ce que viennent souligner en premier lieu les grèves en Pologne et la catastrophe économique qui les alimente, c'est la faillite de la politique de "perestroïka" chère à Gorbatchev. Et à cela il n'y a nul mystère : alors que l'économie des pays les plus avancés ne réussit à donner l'illusion d'une certaine stabilité qu'au prix d'une fuite en avant vers le gouffre d'un endettement astronomique, il revient aux économies les plus faibles, comme celles d'Europe de l'Est, et notamment en Pologne, d'être les premières à faire les frais de l'effondrement mondial du capitalisme. Et nulle "restructuration" n'y peut rien. Comme partout dans le monde, la "réforme économique" ne peut avoir comme unique conséquence que de nouvelles et encore plus brutales attaques contre les conditions de vie de la classe ouvrière.
Ainsi, ce qu'illustre en premier lieu la situation actuelle en Pologne, c'est le caractère insurmontable de la crise du capitalisme. Le délabrement économique de ce pays, la misère qui en résulte pour la classe ouvrière, ne font qu'indiquer la direction vers laquelle s'acheminent aussi les pays les plus avancés, ceux qui, jusqu'ici, ont été les plus "épargnés" par la crise.
POUR LA CLASSE OUVRIERE UNE SEULE VOIE : LE DEVELOPPEMENT DE SES LUTTES
Le deuxième enseignement qu'il faut tirer de cette situation c'est que, face à l'effondrement irréversible de l'économie mondiale, face à des attaques capitalistes sans cesse croissantes, il ne reste d'autre voie pour la classe ouvrière de tous les pays que de reprendre et développer ses combats. Et les luttes des ouvriers de Pologne font la preuve, une nouvelle fois, que c'est bien sur cette voie que s'est engagé le prolétariat mondial.
A cet égard, les luttes récentes en Pologne sont particulièrement significatives. Dans ce pays les ouvriers ont subi, suite à leur lutte magnifique et leur première victoire de 1980, une défaite cuisante qui s'est en particulier concrétisée par l'instauration de l'état de guerre en décembre 81. Ils ont été emprisonnés par dizaines de milliers, leur résistance a été réduite par la force au prix de la vie de dizaines d'entre eux, ils ont dû subir les matraquages, les sévices, ils ont dû affronter pendant des années la terreur policière, la hantise permanente, au cas où ils voudraient résister aux attaques capitalistes, à perdre leur travail, leur logement ou même d'aller moisir en prison. Malgré cette pression énorme, malgré la démoralisation qui pesait sur beaucoup d'entre eux depuis 1981, ils ont repris le chemin de la lutte au printemps dernier, dès que sont tombées les attaques économiques. Point désarmés par l'échec de cette première tentative (où toute l'habileté de Walesa avait été nécessaire pour convaincre les jeunes ouvriers de Gdansk de reprendre le travail) ([1] [10]), ils se sont replongés dans le combat de classe au cours de l'été, en un mouvement bien plus vaste que le précédent, ce qui illustre bien une des caractéristiques majeures de la période actuelle : l'accélération de l'histoire sous la pression de l'aggravation de la crise économique et qui se manifeste, sur le plan du combat de classe, par une tendance à des vagues de lutte de plus en plus rapprochées dans le temps.
Ce mouvement avait débuté le 16 août de façon spontanée dans le coeur ouvrier de la Pologne, les mines de Silésie. Il était particulièrement significatif puisqu'il affectait un des secteurs les plus anciens et expérimentés de la classe ouvrière et, par ailleurs, traditionnellement les plus "choyés" par le gouvernement (salaires et rations plus élevés,) du fait notamment de son importance économique (le charbon constitue la matière première et la source d'énergie la plus importante du pays et représente 1/4 des exportations), et qui n'en demandait pas moins de fortes augmentations de salaire (jusqu'à 100%, chiffre jamais vu jusqu'à présent dans des luttes ouvrières en Europe). Jour après jour le mouvement s'est étendu à de nouvelles mines et dans d'autres régions, notamment à Szczecin où le port et les transports ont été paralysés par la grève. Partout, la pression en faveur de la grève est très forte notamment de la part des jeunes ouvriers. A Gdansk, au chantier naval "Lénine", entreprise phare pour tous les ouvriers du pays, les jeunes ouvriers veulent en découdre à nouveau malgré leur échec du mois de mai. De nouveau Walesa joue les temporisateurs. Mais le lundi 22 août, il ne peut faire autre chose qu'appeler lui même à la grève qui paralyse aussitôt le chantier "Lénine". La grève se propage en quelques heures à Varsovie (aciérie Huta Warszawa, usine de tracteurs d'Ursus), Poznan, Stalowa Wola et d'autres entreprises de Gdansk. Il y a de 50 000 à 70 000 ouvriers en grève. Le mardi 23 août, la grève continue de s'étendre notamment à Gdansk, dans d'autres chantiers navals, et dans de nouvelles mines de Haute-Silésie. La classe ouvrière semble avoir renoué avec la dynamique de l'été 80. Mais en fait, le mouvement a atteint son apogée et il commence à refluer dès le lendemain car, cette fois-ci, la bourgeoisie est beaucoup mieux préparée que huit ans auparavant.
LA DEFAITE DU MOUVEMENT : GOUVERNEMENT ET OPPOSITION SE PARTAGENT LE TRAVAIL
Il est possible que le gouvernement ait été surpris par l'ampleur des luttes. Cependant, sa conduite tout au long de celles-ci a démontré qu'il avait beaucoup appris depuis l'été 80 et à aucun moment il n'a été débordé par la situation. En particulier il a pris soin, chaque fois qu'une nouvelle entreprise entrait en grève, de l'encercler par un cordon de "zomos" (unités spéciales anti-émeutes). Ainsi, à chaque fois, l'occupation du lieu de travail se refermait comme un piège sur les ouvriers en lutte les empêchant d'entrer en contact avec leurs frères de classe et, partant, d'unifier le mouvement, de le rassembler en un seul front de combat. La répression et l'intimidation n'en restent pas là. Le 22 août, jour où le mouvement s'étend le plus, le ministre de l'intérieur, le général Kiszczak, apparaît en uniforme à la télévision pour annoncer une série de mesures destinées à briser cette extension : établissement du couvre feu dans les trois régions les plus touchées par les grèves : Katowice, Szczecin et Gdansk; toute personne étrangère à une entreprise en grève sera évacuée et risque l'emprisonnement. Il accuse les grévistes d'être armés et il agite la menace d'une "effusion de sang". Au même moment, sa prestation est soutenue par celle de la télévision soviétique qui diffuse des images des entreprises en grève en traitant les grévistes d’"extrémistes qui exercent des pressions et des menaces sur leurs camarades par des grèves illégales". Les barres de fer que tiennent les ouvriers pour faire face à une éventuelle intervention policière sont présentées comme les instruments de ces "menaces". Ainsi, quand il s'agit de faire face à un mouvement de la classe ouvrière, Gorbatchev s'asseoit sur sa "glasnost" et retrouve la langue de bois classique de la terreur stalinienne : il ne faudrait pas que les ouvriers de Russie aient l'idée d'imiter leurs frères de classe de Pologne et ces derniers doivent savoir qu'ils n'ont rien à attendre de la "libéralisation" (d'ailleurs, ils ne se font guère d'illusions depuis le venue de Gorbatchev en Pologne, début juillet, lorsque ce dernier leur a dit qu'"Il doivent être fiers d'avoir un leader comme Jaruzelski" et qu'il a présenté ce dernier comme son "ami personnel".
Mais les menaces n'en restent pas au stade des paroles. Les actes viennent les "crédibiliser" : la Silésie est coupée du reste du pays par des barrages de la police et de l'armée; chaque jour les "zomos" interviennent dans de nouvelles entreprises pour déloger les ouvriers (notamment en Silésie où, au fond des puits, les mineurs manquent de nourriture, de médicaments et de couvertures); les arrestations se multiplient. Celles-ci frappent les grévistes mais aussi des membres de l'opposition et particulièrement des dirigeants de Solidarnosc, tel Frasyniuk, chef du syndicat de Wroclaw et membre de la direction nationale. Dans le premier cas il s'agit d'inciter les grévistes à reprendre le travail et de dissuader les autres ouvriers de les rejoindre dans la lutte. Mais les arrestations de syndicalistes ont une autre fonction : crédibiliser Solidarnosc afin que cette organisation puisse pleinement jouer son rôle de saboteur des luttes. Car, une nouvelle fois, la défaite ouvrière résulte avant tout de l'action du syndicalisme.
Les objectifs anti-ouvriers de Solidarnosc nous sont décrits sans pudeur dès le mois de mai par Kuron, un des principaux "experts" de Solidarnosc et fondateur de l'ex-KOR : "Seul un gouvernement qui aura la confiance sociale pourra stopper le cours des événements, et appeler à l’austérité dans le cadre de réformes. Le véritable enjeu de la bataille actuelle est la constitution d'un tel gouvernement." (Interview au journal français "Libération" du 5 mai 1988). On ne peut être plus clair, le but de Solidarnosc est le même que celui du gouvernement : faire accepter "l'austérité" aux ouvriers.
C'est pour cela que, dès le début du mouvement, le syndicat a développé son action de sabotage. Une des composantes essentielles de sa stratégie a été de détourner dans une impasse le mécontentement ouvrier. Alors que le mouvement débute pour des revendications salariales, Solidarnosc met tout son poids dans la balance pour que ne subsiste qu’'"une seule revendication : la légalisation du syndicat". Ainsi, lorsque Walesa appelle à la grève dans les ateliers du chantier "Lénine", le 22 août, c'est avec le slogan : "Fini les plaisanteries ! Maintenant nous voulons Solidarnosc !" Comme si la défense des conditions de vie les plus élémentaires, la résistance contre la misère, étaient de simples plaisanteries ! Pour sa part, le président du comité de grève du chantier "Lénine", réputé "radical", affirme également : "La seule revendication est le rétablissement de Solidarnosc".
C'est de façon très sélective que Solidarnosc lance ses appels à la grève. D'une part, en beaucoup d'endroits où la pression en faveur de la lutte est très forte, Solidarnosc se garde bien d'appeler à l'arrêt du travail, préférant décréter, afin de "défouler" la combativité ouvrière, l’"état de préparation à la grève"y ou bien menaçant d'appeler à celle-ci dans le cas où les autorités déchaîneraient une répression générale, ce qu'elles ont évité de faire, évidemment. D'autre part, l'appel direct à la grève aux chantiers navals "Lénine" de Gdansk, qui restent depuis l'été 80 un symbole pour toute la classe ouvrière en Pologne, participe également d'une manoeuvre. C'est une des entreprises où Solidarnosc est le mieux implanté, notamment du fait que c'est là où Walesa travaille; de ce fait, il sera plus facile qu'ailleurs de faire reprendre le travail et cette reprise fera figure à son tour de symbole : dans le reste du pays, les ouvriers auront le sentiment qu'il ne leur reste plus qu'à imiter leurs camarades de Gdansk. D'ailleurs, aux chantiers "Lénine", afin de faciliter cette reprise, Walesa a fait tout son possible pour présenter dès son début la grève comme une calamité, inévitable du fait de la mauvaise volonté du gouvernement qui n'a pas voulu entendre ses appels répétés à la négociation : "Je voulais éviter les grèves. Nous ne devrions pas être en grève, nous devrions travailler. Mais nous n'avions pas le choix... Nous attendons toujours des discussions sérieuses." (22 août). Et en fait, afin de mieux fatiguer les ouvriers, le gouvernement et Solidarnosc jouent au chat et à la souris pendant plus d'une semaine, l'un et l'autre faisant preuve d'"intransigeance" sur LA question du pluralisme syndical (polarisant ainsi les ouvriers sur une fausse question) jusqu'au moment où les deux parties "acceptent" de se rencontrer pour discuter "sans tabous" (sic)... de l'ordre du jour d'une hypothétique "table ronde" qui ne pourra se tenir, évidemment, que... lorsque le travail aura repris.
Ainsi, la totale complicité entre les autorités et Solidarnosc est évidente. Elle est encore plus évidente lorsque l'on sait qu'un des sports favoris des dirigeants de Solidarnosc est de franchir impunément les cordons policiers isolant les entreprises et les régions en lutte pour aller rejoindre les grévistes (tel Jan Litynski, fondateur du KOR et responsable de Solidarnosc pour Varsovie qui réussit à rejoindre le comité de grève des mines de Silésie pour en devenir le principal "expert", et Lech Walesa lui-même qui rentre dans le chantier "Lénine" en "faisant le mur"). Décidément, les flics polonais sont des incapables !
A ce partage des tâches participe, comme toujours en Pologne, l'Eglise qui se paie même le luxe de faire entendre deux sons de cloche : le son modéré tel celui de l'aumônier du chantier "Lénine" qui, la veille de la grève, prend position contre en affirmant qu'elle "mettrait le feu à la Pologne", et le son "radical" qui apporte son plein soutien aux grévistes et à leur revendication de "pluralisme syndical". Même les forces au pouvoir font étalage de leurs "désaccords" pour mieux désorienter les ouvriers. Ainsi, le 24 août, les syndicats officiels (OPZZ), dont le président est membre du Bureau politique du Parti, lancent une mise en garde au gouvernement pour qu'"il entende leur opinion" et "menacent" d'appeler à la grève générale. Jaruzelski a du avoir vraiment très peur !
Finalement, grâce à toutes ces manoeuvres, la bourgeoisie est arrivée à ses fins : faire reprendre le travail sans que les ouvriers n'aient RIEN obtenu. C'est une défaite ouvrière importante qui laissera des marques. C'est d'autant plus une défaite que Solidarnosc a réussi, comme organisation, à ne pas se démasquer dans le travail de sabotage en laissant le soin à Walesa, qui est toujours volontaire pour ce genre de besognes, d'apparaître comme celui qui a "vendu la grève". Sa popularité y laissera sans doute quelques plumes, mais "on ne fait pas d'omelette sans casser des oeufs". L'essentiel est que la majorité des ouvriers conserve ses illusions sur le syndicalisme "libre". En refusant de légaliser Solidarnosc (alors qu'en fait cette organisation a déjà "pignon sur rue" : nombreux hebdomadaires, collectes de cotisations, réunions régulières de ses membres et de ses dirigeants, tout cela est "toléré"), en continuant à "persécuter" ses dirigeants, le pouvoir apportera sa contribution à ces illusions.
EN POLOGNE COMME PARTOUT DANS LE MONDE, LA PERSPECTIVE EST PLUS QUE JAMAIS AUX AFFRONTEMENTS DE CLASSE
Août 80 - août 88 : la comparaison des résultats des grèves de ces deux périodes, semble donc indiquer un recul très sensible de la force de la classe ouvrière. Un examen superficiel de ces deux moments de lutte peut confirmer une telle vision : c'est vrai qu'il y a huit ans la classe ouvrière avait été capable de mener des combats beaucoup plus massifs, déterminés, c'est vrai en particulier, qu'en 80, elle avait réussi à se doter d'une organisation de sa lutte lui permettant de la contrôler de bout en bout jusqu'à la victoire. Mais on ne peut s'arrêter à ces simples éléments. En réalité, la faiblesse actuelle de la classe ouvrière en Pologne est fondamentalement l'expression du renforcement politique de la bourgeoisie dans ce pays, tout comme sa force d'août 80 lui venait en grande partie de la faiblesse de la classe dominante. Et ce renforcement de la bourgeoisie, plus qu'à une plus grande habileté des dirigeants du pays, elle le doit à l'existence d'une structure d'encadrement de la classe ouvrière absente en 80 : le syndicat Solidarnosc. Cela est très bien exprimé par Kuron : "Contrairement à juillet-août 1980, l'opposition dispose aujourd'hui de structures organisées capables de contrôler les événements".(Ibid.)
En fait la classe ouvrière de Pologne se trouve aujourd'hui confrontée au même type de pièges que les ouvriers des pays les plus avancés ont dû affronter depuis des décennies. C'est justement parce qu'elle n'avait pas encore fait cette expérience, qu'elle a pu se laisser piéger de cette façon par les manoeuvres du syndicalisme après sa lutte remarquable de l'été 80. En revanche, toute l'expérience accumulée par le prolétariat des grandes métropoles capitalistes, notamment celui d'Europe occidentale, lui permet aujourd'hui de se dégager progressivement de l'emprise syndicale (comme on l'a vu lors de la grève dans les chemins de fer en France fin 86, ou en Italie dans le secteur de l'Ecole, en 87) et de prendre de plus en plus en main et unifier ses luttes comme l'avaient fait les ouvriers de Pologne en 80. Mais quand il y sera pleinement parvenu, la bourgeoisie ne pourra plus le faire revenir en arrière comme elle l'a fait pour le prolétariat de Pologne. Ce sont bien ces secteurs les plus avancés du prolétariat mondial qui pourront alors montrer le chemin à leurs autres frères de classe, et notamment ceux de Pologne et d'Europe de l'Est.
Les luttes de l'été 88 en Pologne ne démontrent nul recul de la classe ouvrière à l'échelle internationale. Au contraire, elles font la preuve des énormes réserves de combativité du prolétariat d'aujourd'hui que les défaites partielles ne réussissent pas à épuiser, mais qui, au contraire, ne font que s'accumuler avec l'intensification des attaques capitalistes. De même, la force des illusions syndicalistes, démocratiques, et même nationalistes pesant sur le prolétariat en Pologne met en relief les pas accomplis par celui des centres décisifs, des grandes concentrations ouvrières d'Europe occidentale, et donc du prolétariat mondial comme un tout; elle met donc en évidence son avancée vers des combats de plus en plus autonomes, puissants et conscients.
FM 4/9/1988
[1] [11] Au sujet des grèves du printemps 88 en Pologne et de leur sabotage par "Solidarnosc", voir la Revue Internationale n°54.
Nous publions ici un article du Grupo Proletario Internacionalista du Mexique. Nous avons déjà présenté ce groupe dans les numéros 50, 52 et 53 de notre revue. Cet article sur la situation au Mexique exprime la position du GPI. Cette prise de position est parue dans la publication du groupe Revolucion Mundial n°4 avant les élections présidentielles mexicaines de juillet dernier.
Par sa publication, outre l'expression de notre accord avec le contenu politique, nous voulons aussi porter à la connaissance du plus grand nombre la réalité du désastre économique que vit le capitalisme au Mexique ainsi que sur les 3/4 de la planète. Nous voulons aussi dénoncer les conditions d'existence dramatiques de milliards d'êtres humains aujourd'hui. Le texte de nos camarades du GPI montre que la barbarie capitaliste n'est pas une fatalité et que la classe ouvrière - même si elle ne peut avoir la même force locale que dans les grandes concentrations industrielles d'Amérique du Nord et d'Europe - lutte contre la misère et s'affirme comme la seule force sociale capable d'offrir une perspective autre que la barbarie à l'ensemble des couches populaires sans travail et miséreuses de ces pays. Oui, le prolétariat au Mexique, tout comme dans le reste de l'Amérique Latine, se bat et se trouve amené à développer les mêmes armes que ses frères de classe des autres continents contre les mêmes difficultés et les mêmes obstacles que sont en tout premier lieu les partis de gauche, les syndicats et la répression étatique.
La réalité de la combativité ouvrière au Mexique se trouve confirmée par le déroulement même des dernières élections présidentielles qui ont vu pour la première fois depuis plus de 60 ans le candidat du PRI - le parti au pouvoir - n'obtenir que 50% des votes dans la confusion la plus totale et de toute évidence grâce à la fraude. Cuauhtemoc Cardenas, son concurrent et lui-même issu du... PRI, était soutenu par une coalition de partis de gauche - dont le PC et les trotskystes. C'est sur les thèmes mystificateurs de la démocratie contre la corruption et la fraude électorale, et du nationalisme contre le remboursement de la dette mexicaine, contre la ''dictature du FMI" et l'impérialisme US que la bourgeoisie a tenté - et semble-t-il réussi - de constituer une force politique de gauche autour de Cardenas afin de dévoyer la colère et le désespoir croissants sur le terrain inoffensif et sans danger de la "démocratie". Et cette adaptation nouvelle des forces politiques de la bourgeoisie au Mexique s'accompagne du développement du "syndicalisme indépendant", indépendant du syndicat unique la CTM, version mexicaine du syndicalisme de base.
Bref, sous les conseils éclairés des USA, la bourgeoisie mexicaine met en place des forces politiques et syndicales de gauche dans l'opposition afin de dévoyer les inévitables luttes ouvrières à venir avec en particulier la mystification démocratique déjà employée dans la plupart des pays latino-américains tel le Chili aujourd'hui.
Dans l’abîme de la crise chronique
Durant ces dernières années, nous constatons une aggravation constante de la crise au Mexique. De fait, cette situation ne peut être comprise dans sa totalité qu'en prenant en compte le fait que le pays fait partie intégrante du système capitaliste mondial et que, de ce fait, il se trouve immergé dans la crise chronique mondiale qui s'étend et s'aggrave inexorablement depuis la fin des années 60, sous la forme de "récessions" (croissance industrielle et commerciale en voie de paralysie) toujours plus dures et profondes suivies de "reprises" toujours plus courtes et factices.
Ainsi, alors que la dernière "récession" de 1980-82 frappa littéralement le monde entier, la "reprise" qui s'en suivit de 1983 à 86 ne concerna que les grandes puissances, et la majorité des pays restèrent plongés dans la stagnation. Aujourd'hui, le monde entier reprend le chemin d'une nouvelle "récession" dont les effets seront certainement encore plus désastreux que ceux de la précédente.
Dans le cas du Mexique, nous assistons depuis 1982 à l'effondrement de l'industrie. Depuis cinq ans, le pourcentage de croissance du PIB reste en dessous de zéro... Tous les secteurs industriels sont stagnants ou en recul... ce qui entraîne une aggravation de la situation des travailleurs. En 1987, "la croissance industrielle continue à être totalement arrêtée" ([1] [14]).
Nous n'allons mettre ici en évidence que trois signes extérieurs, visibles, de l'approfondissement de la crise en 1987 :
1) Le maigre accroissement du PIB (1,4 %) est loin de rééquilibrer la chute de l'année précédente (- 3,8 %). Ceci indique clairement que la production continue à stagner, à cause de l'absence de motifs pour investir due à la surproduction mondiale et à la chute des cours de toutes les matières premières dont le Mexique est producteur (pétrole, minéraux, produits agricoles).
2) Une inflation qui tourne annuellement autour de 159 %. Comme le marché interne reste épuisé, le gouvernement tente de le ranimer par une augmentation de ses dépenses. Il accélère pour cela la fabrication de billets de banque (papier-monnaie) avec lesquels il paye ses employés, vacataires, etc., ce qui permet à ces derniers de continuer à consommer, faire des crédits, etc.
Cependant, la fabrication incontrôlée de papier-monnaie a sur celui-ci les mêmes effets qu'aurait, par exemple, la production d'une marchandise quelconque à moindre coût : sa valeur baisserait. Et plus il y a du papier-monnaie sans valeur mis en circulation, plus il est déprécié par rapport à l'ensemble des marchandises, ce qui revient à dire que les marchandises coûtent plus cher.
S'il est vrai que toutes les marchandises coûtent plus cher, elles n'augmentent pas dans les mêmes proportions ; le prix de la force de travail (les salaires), en particulier, reste très en arrière par rapport au prix des autres marchandises, mécanisme si bien connu par tous les ouvriers et qui est utilisé par la classe capitaliste pour s'approprier de meilleurs bénéfices par le biais de la chute des salaires.
Le problème, pour le capital, réside dans le fait que chaque hausse des prix provoque une accélération de l'émission de billets... et ainsi de suite, provoquant une "spirale inflationniste " dans laquelle la quantité de monnaie va croissant au même rythme accéléré qu'elle se déprécie, jusqu'à parvenir à une situation où les prix augmentent si rapidement -au jour le jour et même d'heure en heure (la dite "superinflation")- que la monnaie perd toute utilité, puisqu'elle ne sert plus ni à mesurer la valeur des marchandises, ni aux échanges, ni à faire des économies, ni à rien.
Ainsi, le mécanisme utilisé dans un premier temps pour réanimer la circulation des marchandises se transforme en son contraire : un obstacle supplémentaire pour cette même circulation, ce qui approfondit la stagnation.
L'inflation est un exemple clair de la façon dont les mesures de politique économique appliquées actuellement par les Etats nationaux parviennent momentanément à contenir la crise, mais non à en finir avec elle. Et ces derniers mois, l'économie mexicaine courait tout droit vers l’hyperinflation" ([2] [15]).
3) L'accroissement démesuré des valeurs boursières mexicaines en quelques mois et leur effondrement fin octobre 1987, en même temps que s’effondrait toutes les valeurs boursières du monde. La chute de la bourse au Mexique et la simultanéité avec la chute des autres bourses dans le monde n'est pas une simple coïncidence : elle a obéi aux mêmes causes profondes, elle a mis en évidence l'interpénétration totale de l'économie mondiale.
Les principales bourses du monde (New York, Europe et Japon) ne cessaient de croître ces deux dernières années, de façon totalement disproportionnée par rapport à la croissance industrielle. Les capitaux fuyaient les investissements productifs pour se placer dans des opérations financières spéculatives, signe que la "reprise" commencée en 1983 touchait à sa fin. Les principaux centres financiers étant en voie d'être saturés, les moins importants aussi voyaient affluer des capitaux. Ainsi, durant l'année 1987, beaucoup de capitaux "retournèrent" au Mexique, non pour être investis dans l'industrie, mais fondamentalement pour être placés sur le marché boursier, dans l'émission de valeurs papier (actions), s'appropriant l'argent d'autres investisseurs, qui achetaient des actions attirés par la promesse de juteux bénéfices (promesses qui allaient jusqu'à plafonner à 1000 %). Ainsi, par le pur jeu de l'offre et de la demande, jeu animé par la presse et le gouvernement, la bourse mexicaine gonfla en quelques mois de 600 % ... pour s'effondrer avec toutes les autres bourses du monde, quand il s'avéra que ni la production mondiale ni la production nationale n'avaient subi de croissance suffisante et que les bénéfices n'étaient pas réels; la bourse au Mexique alla jusqu'à perdre 80 % de la valeur qu'elle était parvenu à manipuler. Les seuls qui ont pu tirer des bénéfices sont ceux qui connaissent et manipulent l'information et qui ont pu en conséquence se défaire rapidement des actions et garder l'argent liquide, cependant que les autres se ruinaient. ([3] [16])
Ainsi donc, dans les conditions présentes de surproduction et de saturation des marchés, la production industrielle est bloquée cependant que les capitaux s'orientent vers la recherche de bénéfices spéculatifs.
C'est dans cette situation que le gouvernement mexicain décide en décembre 1987 d'adopter un nouveau programme économique, baptisé "Pacte de solidarité économique".
L'Etat reconnaît l'échec des plans antérieurs pour contenir la crise (ce qui confirme que les déclarations officielles optimistes étaient mensongères), que la crise persiste et s'aggrave, et la nécessité d'opérer un autre recul de la façon la plus ordonnée possible, en "distribuant" (dans la mesure où l'Etat peut le faire) les pertes entre les différents secteurs capitalistes mais, fondamentalement, en augmentant encore plus l'exploitation de la classe ouvrière.
Pour lancer ce programme, l'Etat a développé une énorme campagne idéologique, en utilisant tous les moyens de diffusion existant, afin de convaincre les travailleurs qu'ils doivent l'accepter, que le "pacte" servirait de base pour trouver une solution aux "problèmes nationaux", qu'il doit exister une "solidarité" entre tous les "secteurs" sociaux, en d'autres termes, qu'ils doivent se sacrifier encore davantage pour sauver les bénéfices des capitalistes.
Par sa forme, le "pacte de solidarité" est un programme anti-inflationniste, semblable dans une certaine mesure à ceux qui sont appliqués dans d'autres pays comme l'Argentine, le Brésil ou Israël. En partant d'une hausse générale des prix des marchandises, subite et inattendue, jointe au blocage des salaires et à une diminution drastique des dépenses de l'Etat (5,8 %), il s'agit de tenter de contenir peu à peu l'inflation. Ce qui ne signifie rien d'autre qu'une nouvelle et terrible contraction du commerce interne, bien que "régulée" par l'Etat, et davantage de fermetures d'entreprises, en commençant par les entreprises étatisées (fermetures qui à leur tour se répercutent sur le terrain du privé).
De fait, durant ces cinq dernières années, il y a eu une constante liquidation des entreprises semi nationalisées, et elles ont été vendues à des prix d'enchères. Ce processus, nommé par le gouvernement "désincorporation", a atteint quelques 600 entreprises, dont certaines, importantes comme Fundidora Monterrey, ont entraîné dans la liquidation tout un ensemble de filiales et de fournisseurs. Le "pacte" ne fait qu'accélérer ce processus : rien que pendant les trois premiers mois du "pacte", le gouvernement a autorisé la disparition de quelques 40 entreprises (le cas le plus significatif étant celui de Aeroméxico qui employait plus de 10000 travailleurs) et la vente de 40 autres (parmi lesquelles se trouve la mine de cuivre Canaena, la plus importante du pays).
Tel est le sens de l'approfondissement de la crise : l'accélération du processus de destruction-dévalorisation du capital, par la destruction matérielle des moyens de production ou leur dévalorisation, et par la baisse des salaires
Avec le "pacte de solidarité", donc, les conditions de vie de la classe ouvrière ne font qu'empirer. L'épuisement physique au travail, le chômage et la misère s'approfondissent. L'exploitation capitaliste devient toujours plus insupportable.
LA SITUATION DE LA CLASSE OUVRIERE DANS LE PAYS
Comme dans le reste du monde, la situation du prolétariat au Mexique continue d'empirer. Les chiffres donnés par la bourgeoisie ne constituent qu'un reflet bien pâle de cette réalité.
L'effondrement de la base productive trouve son complément dans le chômage massif. On calcule ([4] [17]) qu'au Mexique, plus de 4 millions de travailleurs ont été licenciés ces cinq dernières années, ce qui, joint à la population jeune qui cherche du travail sans en trouver, amène à 6 millions le nombre de chômeurs.. Un dramatique exemple est donné par le groupe DINA, qui employa jusqu'à 27 000 ouvriers, pour ne plus en employer que 10 000 en 1982 et à peine 5 000 en 87; le pacte va réduire davantage cette quantité, d'autant plus du fait de la décision de vendre sept filiales du groupe (opération qui sera accompagnée des mesures de "restructuration" adéquates, ce qui implique pour les ouvriers des licenciements supplémentaires).
Le lancement du "pacte de solidarité" a entraîné, de façon immédiate, 30 000 postes de travail en moins (17 000 dans les industries semi-étatisées et 13 000 dans le secteur central) ([5] [18]), et les licenciements continuent.
Au chômage il faut ajouter la chute du salaire réel de la classe ouvrière. On peut se faire une idée de cette chute en regardant l'évolution de la "distribution des recettes", le pourcentage des salaires dans le PIB par rapport à la quantité du gouvernement et du patronat. En 1977, la part des salaires dans le PIB était de 40 % ; en 1986, elle était de 36 % et en 1987 elle est arrivée juste à 26 %.
Tous reconnaissent la chute libre du salaire minimum (officiellement, le pouvoir d'achat de ce SMIG n'aurait diminué que de 6 % en 1987). Il faudrait ajouter qu'il existe dans ce pays un nombre incalculable de salariés qui gagnent encore moins que ce salaire minimum ; exemple : les travailleurs de la municipalité de Tampico (ville-port de la côte atlantique de 230 000 habitants - ndlr) ont fait grève pour... exiger le salaire minimum ! Il y a, en plus, une tendance à ce que les salaires des travailleurs des plus hautes catégories (aussi bien des ouvriers gue d'autres sortes de travailleurs) aillent vers le bas : en 1976, par exemple, un professeur d'université arrivait à gagner l'équivalent de 4 SMIG et un travailleur de l'université 1 et demi ; aujourd'hui, celui-là ne perçoit que 2,8 fois le SMIG et celui-ci 1,2 fois ([6] [19]).
D'autres exemples : les salaires dans les maquiladoras ([7] [20]) de la frontière nord du pays sont tombés au point d'être les salaires d'usine de montage les plus bas du monde ; les retraités y touchent une pension de moins de la moitié du salaire minimum...
Les chercheurs sont obligés de reconnaître les conséquences de la réduction des salaires sur les conditions de vie des travailleurs. Ainsi, par exemple, "dans les années 81-85, les familles avec bas revenus (40 % de la population nationale) ont souffert une chute très sévère de leurs niveaux alimentaires de sorte qu'elles se trouvent au dessous des niveaux recommandés par la FAO" ([8] [21]). On reconnaît aussi que 100 000 petits enfants meurent chaque année dans ce pays pour des raisons dues à la misère (dénutrition, parasitoses...).
Le "pacte" signifia un nouveau et brutal laminage des salaires et ceci sous deux aspects : d'un côté, les coupes dans les dépenses gouvernementales entraînent des coupes dans le salaire social : éducation, santé et autres services ; d'un autre coté, le mécanisme de base pour le contrôle de l'inflation repose, comme nous le disions plus haut, sur le ralentissement des hausses salariales par rapport à la montée des prix, autrement dit, sur la chute du pouvoir d'achat des salaires.
Au chômage massif et à la chute des salaires, il faudrait ajouter les conditions de travail que le capital impose : rupture complète des conventions collectives, partout, avec le remplacement des postes fixes par des temporaires (avec perte de toute sorte d'avantages, tels que les vacances etc.), augmentation des cadences de travail, des mesures que le "pacte" ne fait qu'accélérer. Un exemple récent est celui de Nissan, où les patrons voulaient en finir avec le temps de tolérance (10 minutes à l'entrée et 10 à la sortie du travail), ce qui reviendrait à produire 12 automobiles de plus par jour.
Enfin, conséquence directe de l'économie de capital (ce qui implique économie en mesures de sécurité) et de l'augmentation des cadences, il y a augmentation des "accidents" de travail, ce qui est même reconnu officiellement. Un cas récent est P"accident" survenu le 25 janvier dernier dans la mine Cuatro y Medio de Cohauila, où 49 travailleurs ont perdu la vie ; les autorités ont eu beau vouloir occulter les causes de l'effondrement qui enterra les mineurs , les faits sont là : l'effondrement a eu lieu à cause de l'explosion d'un transformateur électrique, qui fit exploser à son tour une haute concentration de grisou, ce qui mit en évidence aussi bien le manque d'entretien approprié dans les installations que le manque d'une équipe pour détecter et extraire le gaz. Les autres mineurs furent ensuite obligés de revenir au travail dans les mêmes conditions.
Voilà. Toute la situation au Mexique met en relief les mêmes traits du capitalisme mondial. Une crise chronique, qui n'est pour le prolétariat qu'encore plus d'exploitation, encore plus de misère, et, même, sa destruction physique. Une barbarie sociale croissante, une barbarie sans fin. Aucune "restructuration", aucun "programme" ne fera sortir le capitalisme d'une telle situation.
Pour la classe capitaliste mondiale (y incluse sa fraction mexicaine), la seule "solution" à la crise serait une nouvelle guerre mondiale en tant que moyen de destruction à une échelle mille fois plus grande des moyens de production, seule base qui, d'une façon hypothétique, pourrait donner passage à des nouvelles forces productives et à une nouvelle répartition du marché mondial entre les vainqueurs ([9] [22]).
Mais la crise capitaliste actuelle, avec l'aggravation des conditions de vie et de travail qu'elle entraîne, fait bouger les têtes des millions de prolétaires. Elle réveille leur volonté de lutter contre l'exploitation capitaliste, volonté qui est restée écrasée sous le poids de plus de 50 années de contre-révolution triomphante, mais qui resurgit au niveau international, depuis la fin des années 60 avec des grèves massives.
Le prolétariat mexicain a lui aussi fait montre de ce réveil prolétarien.
LA LUTTE DE CLASSE AU MEXIQUE
A l'échelle mondiale, il n'y a qu'une seule classe ouvrière. Sa condition de classe productrice des richesses matérielles, et, à la fois, exploitée, l'unit face aux mêmes intérêts et objectifs historiques : l'abolition du travail salarié. La crise chronique qui traverse toute la planète rend encore plus évident le fait que les conditions de l'exploitation capitaliste sont fondamentalement les mêmes dans tous les pays du monde, qu'ils s'appellent "développés", "sous-développés" ou "socialistes", et rend encore plus évident le caractère unique, international de la classe ouvrière.
Dans ce sens, la lutte du prolétariat "au Mexique" est une petite partie d'une lutte unique et mondiale du prolétariat, même si, pour le moment, cette unité n'est déterminée qu'"objectivement", à cause de l'exacerbation de l'exploitation qui pousse les ouvriers de partout à résister, et qu'elle exige encore l'unité "subjective", c'est-à-dire, consciente et organisée par la classe ouvrière au niveau international, pour pouvoir mener à terme ses objectifs révolutionnaires.
Dans le numéro précédent de Revolucion Mundial, nous reconnaissions l'existence d'une réponse ouvrière dans ce pays face aux attaques économiques du capital, réponse qui, malgré sa faiblesse, ses limites et les obstacles que le capital met devant elle, s'inscrivait dans l'ensemble des luttes qui parcourt le monde depuis 1983.
Cette réponse a eu comme axe la grève des 36 000 électriciens du début 87, grève qui, malgré le fait d'être restée sous contrôle syndical, réussit à attirer dans une manifestation des centaines de milliers de travailleurs d'autres secteurs, au même moment où d'autres fractions de la classe ouvrière luttaient dans d'autres parties du monde.
Récemment, dans ces trois premiers mois de 1988, nous avons assisté au Mexique à un nouvel élan de la classe ouvrière, à des grèves en série qui, même si elles ont été relativement petites, même si elles n'ont pas eu l'amplitude des grèves qui ont récemment eu lieu dans d'autres pays, n'en expriment pas moins les mêmes tendances générales, les mêmes difficultés et elles affrontent les mêmes attaques de l'Etat.
Presque simultanément, à cause de la période de révision des contrats, des grèves ont éclaté dans tout le pays, aussi bien dans le "secteur public" que dans le "privé" : dans les usines d'automobiles Ford à Chihuahua, chez General Motors à Mexico, chez Volkswagen à Puebla et peu après chez Nissan dans le Morelos ; dans d'autres industries, telles que Quimica y Derivados et Celanese dans le Jalisco ; chez Central de Malta et les transports à Puebla ; Produc-tos Pesqueros à Oaxaca ; Aceitera B y G à San Luis Potosi ; les dockers du port de Veracruz ; chez les carrossiers CASA à Mexico. Une grève éclata aussi dans 25 compagnies d'assurances et dans 10 universités du pays. Les travailleurs du ministère de l'Agriculture ont fait des arrêts de travail dans le Tamaulipas et le Sinaloa ; ceux du Métro de Mexico firent une marche de protestation. Et les travailleurs de la Sécurité Sociale ont réalisé des arrêts de travail et des mobilisations dans Mexico et aussi dans d'autres villes de province. Toutes ces grèves et ces mobilisations exprimaient la revendication centrale d'augmentation des salaires et de rejet des licenciements massifs que le capital avait planifiés.
Mais toutes ces grèves sont restées isolées les unes des autres, sous le contrôle d'airain des syndicats, aussi bien "officiels" (Congrès du Travail) qu'"indépendants" (Bureau de Concertation) ; à une exception près : le mouvement dans la Sécurité Sociale (IMSS) dont nous parlerons plus bas.
Le contrôle syndical s'est exprimé, par exemple, dans les accords qu'ils prenaient et qu'ils faisaient apparaître comme de la "solidarité ouvrière", mais qui n'avaient d'autre but que de soumettre les luttes : l'accord, par exemple, des cinq syndicats de l'industrie automobile, de décompter 1 000 pesos par semaine et par travailleur restant au travail pour "soutenir" ceux qui étaient en grève ; ils annulèrent ainsi toute possibilité de véritable solidarité (laquelle ne peut être que l'extension de la grève à d'autres usines de n'importe quel secteur), faisant croire à un "soutien" qui n'était en fait que passivité et isolement. Un autre exemple similaire est le nouveau genre que se donne le SUNTU (une espèce de fédération de syndicats de l'Université), dont le travail consiste principalement à maintenir dans un cadre de négociation séparée chaque université en grève.
Les syndicats sont toujours le premier obstacle que les ouvriers trouvent dans le développement de leurs luttes. Le syndicat est le principal moyen dont dispose le capital pour empêcher que les luttes dépassent le cadre de la protestation isolée et ne prennent le chemin de leur coordination et unification, laissant de côté les divisions par secteur ou régionales (ce gui est aujourd'hui possible du fait de la simultanéité même des luttes).
C'est là l'importance de la lutte des travailleurs de la Sécurité Sociale, eux dont les efforts pour se libérer du joug syndical ont été un exemple pour d'autres secteurs qui se posaient, à ce moment-là, la question d'entrer en lutte. Depuis déjà 1986, différentes catégories de l'IMSS ont réalisé des mobilisations dans différentes régions du pays ; maintenant ces catégories se sont mobilisées ensemble : les infirmières, les médecins, les travailleurs de l'intendance, etc.
La raison immédiate de cette nouvelle lutte fut le sabotage de la part de la direction et des syndicats de la révision de la convention collective, exigeant des travailleurs qu'ils se contentent de l’"augmentation" octroyée par le "pacte de solidarité".
Les travailleurs, en riposte, commencèrent à faire des arrêts de travail spontanés dans tous les services de la capitale mexicaine et dans d'autres villes de province, des arrêts de travail en dehors et contre le syndicat officiel ; les délégués syndicaux furent explicitement identifiés comme faisant partie des autorités du pouvoir. Le sommet de la lutte fut la manifestation combative du 29 janvier avec 50 000 travailleurs dans la rue et qui attira la solidarité des travailleurs d'autres services du secteur de la santé et des "colons" (habitants des quartiers marginaux). Les travailleurs firent aussi des efforts pour se doter d'un organisme représentatif, mais qui ne réussirent pas à se concrétiser.
La lutte fut durement attaquée par l'Etat. Les média ne faisaient que répéter que les autorités et les syndicats n'accepteraient aucune demande faite en dehors du "cadre juridique et syndical". Beaucoup de travailleurs reçurent des menaces de sanction dans leurs centres de travail ; plus d'une centaine furent mise à pied. La police aussi est venue réprimer ceux qui bloquaient les rues au moment des grèves. Mais la partie la plus importante de l'attaque contre les travailleurs fut prise en charge par la gauche du capital.
A chaque fois que les travailleurs essayent de sortir du contrôle des syndicats officiels, c'est la gauche du capital qui se met en branle pour mettre en avant une politique, tout aussi bourgeoise et néfaste pour les travailleurs, de "démocratisation" du syndicat ou de création d'un quelconque syndicat "indépendant". Cette fois-ci, cette gauche a agi sur deux versants : en essayant, d'un côté, de former un "front" qui appelait à "faire pression sur le syndicat pour que celui-ci remplisse son rôle"...comme s'il ne l'avait pas rempli, en réprimant ouvertement les travailleurs ! D'un autre côté, en minant le mouvement "de l'intérieur", en dévoyant les efforts d'auto organisation des travailleurs vers la création d'une coordination, laquelle, loin de mettre en avant les exigences de la lutte, se posa comme but celui de "gagner des postes dans le syndicat pour le démocratiser". En même temps, la gauche du capital essayait de renforcer les fortes tendances corporatistes dans ce secteur pour le tenir isolé du reste des travailleurs en grève. Et c'est ainsi que la lutte s'est épuisée sans avoir obtenu la moindre revendication.
Malgré tout, la lutte dans l'IMSS a encore une fois montré que non seulement le syndicat, en tant qu'organe du capital, peut très bien arriver à réprimer ouvertement les travailleurs, mais, et c'est le plus important, qu'il est possible de se mobiliser sans faire appel au syndicat. C'est donc un pas en avant, un exemple à suivre pour l'ensemble de la classe ouvrière, même s'il faut encore rompre avec les divisons sectorielles et régionales, rompre l'isolement des luttes.
En bref : les grèves que nous avons connues au Mexique, reflètent les mêmes tendances qu'à l'heure actuelle on a pu déceler dans des luttes ouvrières d'autres pays :
- d'abord, une tendance croissante à leur simultanéité : des séries de grèves qui éclatent un peu partout, dans différents secteurs, en même temps.
- tentatives de rompre le contrôle syndical, de s'auto- organiser dans les luttes les plus exemplaires.
- et, dans une moindre mesure, quelques manifestations de solidarité entre secteurs différents.
Les grèves affrontent l'attaque concentrée de l'Etat, dont le premier front est constitué par les syndicats. Les syndicats n'ont pas réussi à empêcher l'éclatement des grèves, mais, par contre, ils ont réussi à les maintenir isolées et dans le cadre des revendications "particulières" de chaque secteur.
Le contrôle syndical est en mesure de changer d'habit, là où les ouvriers sont décidés à s'en défaire, que ce soit en remplaçant un syndicat officiel par un autre "radical" ou "indépendant", que ce soit en présentant comme de l’ "auto organisation" ce qui n'est qu'une coquille sans le moindre contenu prolétarien et qui joue le même rôle que le syndicat : isolement et usure des luttes.
En même temps l'attaque se concrétise dans un renforcement continu des appareils répressifs, l'énorme déploiement policier contre les mobilisations, la répression directe dans certaines luttes.
A ce qui précède, il faut encore ajouter les campagnes pour maintenir la domination politique sur les travailleurs, par le jeu de la "démocratie", question qui est aujourd'hui au : Mexique, à plein rendement face au prochain changement de président. C'est ainsi que les partis d'opposition ont essayé de canaliser le mécontentement dû au "pacte de solidarité" vers les élections, en particulier avec des marches convoquées soi-disant contre le "pacte" et qui finissent en fait en demandant l'appui à tel ou tel candidat.
Enfin, l'Etat bourgeois veut apparaître aux yeux du prolétariat comme quelque chose d'inamovible et intouchable.
La dernière expression de la récente vague de grèves au Mexique a été la grève d'Aeroméxico. Plus de 10 000 travailleurs (fondamentalement ceux au sol) se sont soulevés contre le souhait de la compagnie de mettre hors service 13 avions, ce qui aurait entraîné un bon paquet de licenciements.
Etant assuré du fait que le syndicat tenait bien en main le contrôle de ces travailleurs, le gouvernement, contraire ment à ce qu'ils craignaient, n'a pas "réquisitionné" l'entreprise (ce qui aurait impliqué l'entrée de la police et des jaunes), tel qu'il le fait en général dans les entreprises para-étatiques, mais il laissa éclater la grève pour, peu de j jours après, sous prétexte des "pertes dues à la grève" déclarer la compagnie en faillite, jetant à la rue des milliers de travailleurs.
Il est évident qu'à cette occasion, l'Etat a voulu donner une "leçon", non seulement à ce secteur, mais à toute la classe ouvrière. Le message, diffusé à profusion par tous les média du capital, était on ne peut plus clair : "les travailleurs doivent se résigner...la grève ne sert à rien".
Mais, pour la classe ouvrière les leçons que ces luttes ont laissées sont bien différentes; et bien différentes sont les perspectives que nous devons en extraire.
PERSPECTIVES DE LA LUTTE OUVRIERE
Pour le moment, les grèves ont cessé dans ce pays. Mais il n'est pas nécessaire d'être sorcier pour deviner que face à l'approfondissement de la crise, les ouvriers continueront à être poussés à résister, et il ne se passera pas longtemps avant de revoir des nouvelles luttes. De fait, la tendance actuelle dans tous les pays du monde va vers la multiplication des grèves, même s'il s'agit de luttes à caractère défensif, des grèves de résistance face aux attaques économiques du capital.
Cependant, au fur et à mesure que les grèves s'étendent, en embrassant d'autres fractions de la classe ouvrière de par le monde entier, en montrant des tentatives de rupture avec les syndicats, d'auto organisation et de solidarité, les contre-attaques du capital sont aussi de plus en plus dures. Chaque nouvelle lutte devient de plus en plus difficile, elle exige une plus grande détermination, une plus grande énergie ouvrière, car elle affronte un ennemi de moins en moins disposé à ne céder à aucune revendication. Chaque fraction nationale du capital essayera d'écraser les luttes par tous les moyens à sa portée pour ne pas prendre le risque de perdre la moindre parcelle de terrain dans la concurrence sur les marchés.
Depuis longtemps déjà, les grèves de résistance isolées ne réussissent pas à arracher au capital la moindre solution aux revendications. Aujourd'hui, seule une lutte vraiment massive et combative, qui embrasse des centaines de milliers de travailleurs peut avoir l'espoir d'arrêter momentanément les attaques économiques du capital, mais même cela aussi devient de plus en plus difficile. Cela veut dire que le développement des luttes de résistance ne pourra culminer en aucune façon dans une amélioration réelle et durable pour les travailleurs, tant que le contexte de crise chronique subsiste.
Le développement des luttes, dans un sens progressif, ne peut être, par conséquent, en plus de l'extension, que l'approfondissement des objectifs, le passage des luttes isolées pour des revendications particulières à une lutte générale et organisée pour des objectifs de classe. Les efforts actuels pour la solidarité et l'auto organisation des ouvriers nous démontrent cette tendance.
Mais le fait que les luttes de résistance prennent cette voie n'est pas un produit automatique de la crise, mais cela exige un effort supplémentaire de la classe ouvrière : l'effort de récupération, d'assimilation et de transmission de l'expérience de ses luttes, historiques et récentes, de ces expériences qui lui montrent la nécessité de se hisser à partir des luttes qui ont seulement pour but de résister seulement face aux effets de l'exploitation capitaliste, jusqu'à la lutte qui a pour but d'en finir définitivement avec cette exploitation; et pour cela elle devra renverser la bourgeoisie et prendre le pouvoir politique, instaurer la dictature du prolétariat.
Cela exige, donc, que le prolétariat se hisse à la conscience de ses objectifs historiques révolutionnaires. C'est là un effort collectif, de l'ensemble de la classe, dans lequel l'organisation des révolutionnaires (et plus le Parti Mondial), en tant que partie la plus active et consciente de la classe, joue un rôle déterminant.
Le résultat du combat pour la conscience de classe sera décisif, en dernier ressort, dans l'issue des affrontements de classe à venir.
Ldo Mai 1988.
[1] [23] Voir Revolucion Mundial n° 1 et 3. Le PIB (Produit Intérieur Brut) c'est un chiffre de l'économie bourgeoise qui, d'une certaine manière, exprime la croissance d'une année sur l'autre. Il faut cependant avoir à l'esprit que, étant donné les présupposés théoriques utilisés (division de l'économie en "secteurs" industriel, agraire et financier ; "valeur ajoutée" etc.) et la manipulation que les "scientifiques" font des résultats, ce genre de chiffres présente une réalité déformée en fonction des intérêts du capital.
[2] [24] La tendance à "hyperinflation" était évidente pour quiconque sait que deux et deux font quatre :
INFLATION : Pourcentage de variation annuel
1983 1984 1985 1986 1987
% 80 60 64 106 160
[3] [25] Dans la phase suivante du jeu, les gagnants récupèrent aussi, à des prix donnés, les papiers émis, en gardant finalement aussi bien l'argent que les actions. C'est pour cela que la bourse paraît se récupérer dans une certaine mesure par la suite et les licenciements massifs d'ouvriers (qui vont de pair avec l'augmentation des cadences pour ceux qui continuent à avoir un travail). Sur cette base, le capital tente de compenser la chute des profits, en s'appropriant davantage de plus-value par rapport au capital investi, ce qui, sur le plan du marché international, signifie présenter des produits moins chers, plus compétitifs.
[4] [26] D'après les données du SIPRO (Servicios Informativos y Procesados A.C.), qui coïncident avec d'autres sources
[5] [27] Rapport officiel sur le "pacte" du Secrétariat de la Présidence, mars 88.
[6] [28] Du journal Uno mâs uno du 27-1-88
[7] [29] Les "maquiladoras" sont pour la plupart, des industries de composants électroniques et automobiles à capital étranger, dont la production est dirigée vers le marché des Etats-Unis (c'est pour cela qu'elles sont installées de préférence sur la frontière nord). Le tableau suivant montre le salaire payé dans ces "maquiladoras" par rapport à d'autres installées dans d'autres pays :
Moyenne du salaire de base/heure (1986) : Corée du Sud : 3,65 $ ; Taïwan : 2,95 $ ; Singapour : 2,30 $ ; Hong-Kong : 2,05 $ ; Jamaïque : 1,25 $ ; Costa-Rica : 1,05 $ ; R. Dominicaine : 0,95 $ ; Mexique : 0,85 $. Source : El Financière, 10/08/87
[8] [30] Le Monde Diplomatique, version espagnole, Décembre 87.
[9] [31] La bourgeoisie mexicaine participa, par exemple, à la 2ème Guerre Mondiale, pas tant avec des soldats (ce fut purement symbolique), mais avec la fourniture des matières premières. Par la suite, elle tira profit de la période de reconstruction d'après-guerre, ce qui a permis l'industrialisation accélérée du pays
Dans cette cinquième partie (cf. Revue Internationale n° 48, 49, 50 et 54) nous revennons sur la critique ou le rejet de la notion de décadence par une série de groupes du milieu politique prolétarien (Parti Communiste Intemationaliste (Programma, bordiguiste; PCI), Groupe Communiste Internationaliste (GCI), A Contre Courant (récente scission du GCI), Communisme ou Civilisation (CoC), en partie la Fraction Externe du CCI (FECCI) etc.). Ici encore nous montrerons en quoi ces critiques cachent en réalité un abandon de la conception marxiste de l'évolution de l'histoire qui fonde la nécessité du communisme, et, par là même, affaiblissent la nécessaire dimension historique dans la prise de conscience du prolétariat, ou, pour certains comme le GCI, aboutissent à présenter la révolution comme la vieille utopie anarchiste.
"Les visions décadentistes correspondent non pas au point de vue prolétarien mais à celui bourgeois de l'évolutionnisme" (Le Communiste - LC - n° 23). Le GCI ([1] [34]) ne se limite pas à récuser l'idée même d'une décadence du mode de production capitaliste (cf. articles précédents), il généralise ce refus à toute l'histoire de l'humanité. Ce "groupe" s'écarte ainsi de l'analyse de Marx pour qui chaque mode de production connait une phase où les nouveaux rapports sociaux de production aiguillonnent le développement des forces productives et une phase où ces rapports constituent un frein à la croissance de celles-là: « A un certain degré de leur développement, les forces productives matérielles de la société entrent en collision avec les rapports de production existants, ou avec les rapports de propriété au sein desquels elles s'étaient mues jusqu'alors, et qui n'en sont que l'expression juridique. Hier encore fontes de développement des forces productives, ces conditions se changent en de lourdes entraves. Alors commence une ère de révolution sociale" ("Avant-Propos à la critique de l'économie politique", Ed. La Pléiade).
Pour mieux pouvoir nier toute phase de décadence, le GCI nie son corollaire : l'existence même d'une phase ascendante ! Au nom de la défense des classes exploitées le GCI enfourche la vision morale des anarchistes qui, arguant du développement de l'exploitation tout au long de l'histoire, refuse de reconnaître le rôle progressiste du développement des forces productives. "Pour nous qui partons de la vision de tout l'arc historique du communisme primitif au comnuanisnte intégral, il s'agit au contraire de voir en quoi la marche forcée du progrès et de la civilisation a signifié chaque fois plus l'exploitation, la production de surtravail, en fait la réelle afflinnation de la barbarie par la domination de plus en plus totalitaire de la valeur." (LC n° 23). A l'instar de Proudhon, le GCI ne voit dans la misère que la misère sans voir son côté révolutionnaire. Concevoir, avec Marx, la succession des "modes de production asiatique, antique, féodal et bourgeois moderne comme des époques progressives de la formalion économique de la société"("Avant-Propos"), montrer le rôle progressiste des classes exploiteuses du passé reviendrait à défendre ces dernières contre les classes exploitées... Ainsi, Marx deviendrait le pire des contre-révolutionnaires lui qui, tout au long des pages du Manifeste Communiste, souligne ce rôle de la bourgeoisie dans sa phase ascendante : "La bourgeoisie a joué dans l'histoire un rôle éminemment révolutionnaire (...). Elle a accompli des merveilles qui sont autre chose que les pyramides égyptiennes, les aqueducs romains, les cathédrales gothiques (...) Au cours de sa domination de classe à peine séculaire, la bourgeoisie a créé des forces productives plus massives et plus colossales que ne l'avaient fait dans le passé toutes les générations dans leur ensemble" ("Le Manifeste Communiste").
Se couvrir de l'autorité de Bordiga ([2] [35]) pour masquer son involution anarchiste n'est d'aucun secours pour le GCI "La vision marxiste (du développement historique NDLR) peut se représenter en autant de branches, de courbes toutes ascendantes jusqu'à ses sommets auxquelles succède une violente chute brusque, presque verticale, et, au fond, un nouveau régime social surgit; on a une autre branche historique d'ascension." (Bordiga, Procès verbal de la réunion de Rome 1951, publié dans Invariance n° 4) car c'est une planche pourrie pour plusieurs raisons et nous allons le montrer dans ce point et au suivant.
Bordiga écrivit ce texte contre ceux qui, au sein du PCInt, défendaient encore les acquis de la Gauche Communiste Internationale. L'acte de naissance du courant bordiguiste (1951) correspond à la liquidation des restes des positions politiques de la Fraction Italienne de la G.C.I. de 1926 à 45 au sein du PCInt ([3] [36]). Et pour cause, toutes les analyses et positions politiques de la Fraction s'articulaient autour de la compréhension que le capitalisme était entré dans sa phase de décadence depuis 1914: « Aujourd'hui dans la phase extrêrne de décadence capitaliste, il n'y a plus de territoire à conquérir pour le mode bourgeois de production, car celui-ci est arrivé au point ultime de sa situation et les pays arriérés ne peuvent être industrialisés que par le prolétariat luttant pour la société communiste (..) L'accumulation progressive de plus-value capitalisée porte ce contraste (entre le travail payé et le travail spolié) à son terme extrême lorsque les forces productives, débordant du cadre limité de la production bourgeoise, heurtent les limites historiques du champ d'écoulement et de réalisation des produits capitalistes." (Extraits du Manifeste et de la Résolution de constitution du Bureau International des Fractions de la Gauche Communiste Internationale, Octobre n° 1, février 1938) ([4] [37]).
Quant aux autres références du GCI elles parlent d'elles mêmes : "La Gauche Internationaliste", un groupe moderniste issu de la décomposition du maoïsme et aujourd'hui disparu, et "Socialisme ou Barbarie" un groupe qui n'a pu véritablement rompre d'avec le trotskysme et qui, tout au long de son existence, a combattu les continuateurs de la Fraction Italienne : la Gauche Communiste de France ([5] [38]).
Bordiga s'écarte sur trois plans de la conception marxiste. C'est ce que nous allons développer à l'aide d'exemples puisés dans la réalité historique elle-même. Cette dernière constitue un violent démenti à la vision développée par Bordiga, mais confirme par contre, pleinement, toutes les thèses de Marx.
Aucune société dans le passé n'a disparu à la suite d'une "violente chute brusque". La courbe d'évolution de la population mondiale que nous reproduisons ci-dessous est une magistrale confirmation d'une part, de la succession des modes de production (primitif, asiatique, antique, féodal et capitaliste), d'autre part, du mouvement lent d'ascendance et de décadence de chaque mode de production et, enfin, de la longue transition entre eux. Nous sommes loin "des branches de courbes toutes ascendantes jusqu'à leur sommet auxquelles succède une violente chute brusque" de Bordiga ([6] [39]).
SOURCE : « Essai sur l'évolution du nombre des hommes », J.N. Biraben, Population, n° 1, 1979. Ce graphique est la plus cohérente et récente reconstitution de l'évolution de la population mondiale. Nous avons, nous même, subdivisé cette courbe pour y distinguer clairement les différentes phases de chaque mode de production. L'évolution démographique des sociétés passées était, du fait du faible développement de leurs forces productives, étroitement liée aux fluctuations de la production agricole qui constituait l'activité productrice essentielle de celles-ci. Le mouvement de la population est donc un bon indicateur des grandes tendances économiques, des fluctuations dans le développement des forces productives. Pour les sociétés qui précèdent le féodalisme nous constatons ce lien direct entre la production agricole et le mouvement de la population. Dans la décadence féodale, par contre, la courbe de population, après une chute, continue de croître. Ceci est le résultat de la montée du capitalisme (l6ème siècle), qui, par l'accroissement de la productivité du travail qu'il induit, rompt ce lien. En fait, si l'on isole la production strictement féodale, celle-ci stagne globalement du 14ème au 18ème siècle.
Les récentes reconstitutions d'histoire économique nous fournissent de précieuses indications qui confirment cette évolution globale :
FEODALISME. Après une transition qui dure 7 siècles (de 300 à l'an 1000), pendant laquelle la nouvelle classe féodale et les nouveaux rapports sociaux de production du servage prennent place, se développe la phase ascendante de l'an 1000 au 14ème siècle. "...Vers la fin du ler millénaire les forces de production ne différaient que fort peu de celles de l'Antiquité (..). Du l0ème au 13ème siècle c'est la révolution agricole qui nourrit le développement de toutes les branches de la société (...) un nouveau système agraire dont la capacité de production est doublée par rapport à celle de l'ancien (..). C'est pourquoi, en relation avec la croissance démographique, la production céréalière augmenta jusqu'au 14ème siècle (...)". A cette date, la féodalité entre en décadence jusqu'au 18ème siècle. "Inversement il y a arrêt de la croissance agricole et démographique à la fin du 13ème siècle (...). On conjecture donc que l'agriculture médiévale avait atteint dès la fin du 13ème siècle un niveau technique moyen équivalent à celui du début du 18ème siècle." (citations tirées de : Agnès Geshard, "La Société Médiévale", 1985, Ed. M.A. et Antonetti Guy, "L'économie féodale", Que sais-je?). Au sein de cette décadence commence la transition au capitalisme à partir du l6ème siècle
ANTIQUITE. Le cas de l'Antiquité est trop connu pour devoir s'y étendre; tout le monde a au moins une fois dans sa vie entendu parler de la décadence de Rome ! Les besoins croissants de l'empire, la pression démographique, la gestion d'un territoire de plus en plus grand imposait à Rome d'aller au-delà des limites permises par ses rapports de production. L'appropriation privée du sol et la faible productivité de l'esclavagisme obligeaient Rome à piller du blé pour se nourrir et à importer des esclaves pour travailler la terre. A un certain stade de son expansion, Rome n'est plus à même de s'alimenter : les conquêtes sont de plus en plus lointaines et difficiles à assurer et l'esclave se fait cher (son prix est multiplié par 10 entre l'an 50 et 150 après J.C.). Dépasser la faible productivité de l'esclavagisme nécessitait d'autres rapports de production plus productifs. Mais ceci passe nécessairement par une révolution sociale, par la perte de pouvoir de l'ancienne classe dominante liée à ces rapports de production. C'est pourquoi, s'additionnant aux blocages économiques, la classe au pouvoir bloque le développement des forces productives afin de préserver sa domination politique. En l'absence d'innovations technologiques (c'est-à-dire d'accroissement de la productivité du travail) l'agriculture subit la loi des rendements décroissants, la famine se développe, la natalité baisse, la population décroît, c'est la décadence romaine. Nous publions ci-dessous un graphique intéressant dans la mesure où il illustre clairement l'action de frein exercée par les rapports de production sur le développement des forces productives : nous y constatons l'antécédence du déclin des découvertes scientifiques sur la chute de la population.
SOURCE : “The effects of population on nutrition and economic wellbeing", Julian L. Simon, in Hunger and History, Ed. Cambridge University Press.
Ce graphique montre, d'une part, l'évolution de la population (en millions d'habitants, 2ème échelle de gauche), d'autre part, le taux de croissance de cette dernière (en %, lère échelle de gauche) et, enfin, le nombre de découvertes scientifiques (échelle de droite).
SOCIETE DE TYPE ASIATIQUE. Un phénomène analogue se développe au sein des sociétés vivant sous la domination des rapports de production de type asiatique ([7] [40]). Ces dernières disparaissent pour la plupart d'entre elles entre 1000 et 500 avant J.C. (cf. courbe de la population). La décadence de ces sociétés se manifeste par d'incessantes guerres entre sociétés royales cherchant par le pillage de richesses une solution aux blocages productifs internes, des révoltes paysannes incessantes, un développement, gigantesque des dépenses étatiques improductives. Les blocages politiques et rivalités intestines au sein de la caste dominante épuisent les ressources de la société dans des conflits sans fin et les limites d'expansion géographique des empires attestent que le maximum du développement, compatible avec les rapports de production, a été atteint.
SOCIETES PRIMITIVES. De même, les sociétés de classes n'ont pu naître que de la décadence des sociétés primitives, comme le disait Marx : "L'histoire de la décadence des sociétés primitives (...) est encore à faire. Jusqu'ici on n'a fourni que de maigres ébauches (..). Deuxièmement, les causes de leur décadence dérivent de données économiques qui les empêchaient de dépasser un certain degré de développement (...). En lisant les histoires de communautés primitives, écrites par des bourgeois, il faut être sur ses gardes." (Lettre à Vera Zassoulitch dans "L'origine de la famille, de la propriété privée et de l'Etat", Ed. Sociales). "Durant la période paléolithique qui a précédé le néolithique, la croissance de la population a été très lente (0,01 à 0,03 % par an), mais cela a quand même permis à la population mondiale d'atteindre quelque 9 à 15 millions de personnes (vers -8000). Chiffres certes très faibles, mais qui, dans le contexte d'une économie de chasse et de cueillette, a atteint un niveau qui ne permettait plus la poursuite de la croissance de la population SANS UNE MODIFICATION RADICALE DE L'ECONOMIE. (...) D'après les estimations de Hassan (1981), la capacité optimum de la population du monde dans le contexte d'une société basée sur la chasse et la cueillette serait de l'ordre de 8,6 millions de personnes." (P.Bairoch, "De Jéricho à Mexico", Gallimard-Arcades, 1985).
Décréter l'inexistence d'une phase de décadence pour toute société comme le fait Bordiga, c'est rendre impossible tout passage à un nouveau mode de production. La nécessité de celui-ci est un douloureux enfantement qui ne peut émerger que face aux blocages de l'ancien mode de production. Pourquoi tout à coup les hommes s'ingénieraient-ils à produire autrement si le système dans lequel ils vivent est toujours ascendant et productif ? Pourquoi, sous quelles nécessités - restons matérialistes tout de même ! -, une partie de la société développerait de nouveaux rapports de production plus productifs si les anciens sont toujours pcrformants ? "... jamais des rapports de production ne se mettent en place avant que les conditions matérielles ne se soient écloses dans le sein même de la vieille société." (Marx, Avant-Propos).
Le pouvoir de la classe dominante et l'attachement de celle ci à ses privilèges sont de puissants facteurs de conservation d'une forme sociale. Or ce pouvoir est à son maximum au moment de l'apogée d'un mode de production et, seule une longue décadence est à même de l'éroder et de remettre en cause la légitimité de cette domination. L'épuisement historique du rôle d'une classe sociale n'apparaît pas du jour au lendemain dans la conscience sociale, et quand bien même apparaîtrait-elle, que cette dernière, à l'image d'un gentleman anglais, ne laisserait pas le libre passage à une nouvelle classe dominante. C'est par les armes et la répression qu'elle défendra son pouvoir jusqu'au bout. Il aura fallu des dizaines d'années de famines, d'épidémies, de guerres et d'anarchie avant que l'ancien mode de production soit abandonné: 7 siècles pour l'esclavagisme, 4 siècles pour le féodalisme ! Un ensemble de rapports sociaux ayant lié entre eux des hommes pendant des siècles n'est pas dépassé du jour au lendemain. Seuls de tels événements parviennent à venir à bout de siècles de coutumes, d'idées et de traditions. La conscience collective retarde toujours sur la réalité objective qu'elle vit.
Un nouveau mode de production ne peut s'instaurer que s'il existe une classe porteuse de nouveaux rapports sociaux de production plus productifs, or seule une décadence crée les conditions de son développement. De plus, et conjointement, le développement du mécontentement de la classe exploitée doit également mûrir pendant une longue période. Ce sont des dizaines d'années de famines et d'humiliation qui pousseront les exploités à se révolter aux côtés de la nouvelle classe dominante contre l'ancienne.
Le développement de nouveaux rapports sociaux de production plus productifs est un long processus, d'une part, parce que les hommes n'abandonnent pas un outil avant d'avoir fait la preuve de son inutilité et, d'autre part, parce qu'ils naissent en milieu hostile, subissant la gangue et la répression de l'ancien mode de production.
Les castes des sociétés du mode de production asiatique n'ont pu se développer que dans la déstructuration des rapports sociaux de production "égalitaires" du communisme primitif.
La classe des propriétaires fonciers esclavagistes naît dans la décadence du mode de production asiatique. Concrètement, à Rome, du combat entre la nouvelle force constituée par les propriétaires terriens qui s'approprient le sol de façon privée et la caste princière de la société royale étrusque qui vit encore à partir du tribut extorqué à un ensemble de collectivités villageoises produisant sous des rapports communautaires hérités des sociétés post-néolithiques.
La féodalité naît au sein de la décadence de Rome. C'est à la périphérie de l'empire que commencent à s'instaurer de nouveaux rapports sociaux de production : le servage. Les anciens maîtres romains affranchissent leurs esclaves, ces derniers peuvent alors cultiver un lopin de terre et posséder leurs moyens de production en contrepartie d'une fraction de leur récolte.
La bourgeoisie naît au sein de la décadence féodale, écoutons Marx : "...les moyens de production et d'échange qui servirent de base à la formation de la bourgeoisie furent créés dans la société féodale (nous sommes aux antipodes de la chute brusque, verticale, au fond de laquelle un nouveau régime social surgit de Bordiga, NDLR). "La société bourgeoise moderne est issue des ruines de la société féodale (...) Ils (le commerce mondial, les marchés coloniaux) hâtèrent le développement de l'élément révolutionnaire au sein d'une société féodale en décomposition. L'ancien mode de production, féodal ou corporatif, ne suffisait plus aux besoins qui augmentaient en même temps que les nouveaux marchés (...) A un certain stade du développement de ces moyens de production et d'échange, les conditions dans lesquelles la société féodale produisait et commerçait, l'organisation féodale de l'agriculture et de la manufacture, en un mot, les rapports féodaux de propriété, cessèrent de correspondre aux forces productives en pleine croissance. Ils entravaient la production au lieu de la faire avancer. Ils se transformèrent en autant de chaînes. Ces chaînes, il fallait les briser: elles furent brisées." ("Le Manifeste Communiste"). "... L'ère capitaliste ne date que du 16ème siècle. Partout où elle éclôt, l'abolition du servage est depuis longtemps un fait accompli, et le régime des villes souveraines, cette gloire du Moyen Age, est déjà en pleine décadence. (...) L'histoire moderne du capital date de la création du commerce et du marché des deux mondes au 16ème siècle." (Marx, "Le Capital", Ed. La Pléiade). Le régime des villes souveraines, c'est la pleine ascendance du Moyen Age (llème - 14ème siècle). Le capitalisme naît au sein de la décadence féodale (14ème - 18ème siècle) au 16ème siècle au moment des grandes découvertes.
Il aura fallu deux siècles de décadence de Rome pour que s'ébauchent de nouveaux rapports sociaux de production (le colonat, forme primitive du servage) à la périphérie de l'empire et encore 4 à 6 siècles pour qu'ils se développent et se généralisent. Il faudra attendre 2 siècles de décadence féodale avant que n'apparaissent les rapports capitalistes de production et encore 3 siècles avant qu'ils ne se généralisent. Nous sommes donc très loin également de la pétition de principe du GCI, dénuée de tout fondement théorique et historique, qui pour nier toute phase ascendante postule que dès sa naissance le capitalisme est "directement et invariablement universel (...) Ainsi le capital pose lui-même tous ses présupposés, il est lui-même auto présupposition de sa domination mondiale, dès qu'il apparaît comme mode de production il pose en bloc et mondialement son caractère universel ..." (LC n° 23). Par ce biais, le GCI élimine d'un trait de plume l'existence des marchés extra-capitalistes. Comme il postule "l'existence pleine et entière du marché mondial comme présupposition de l'apparition du mode de production capitaliste (...) l'échange entre production capitaliste et production extra-capitaliste est un non-sens, ... ".
Ainsi sont gommées de l'histoire les dizaines d'années mises par la bourgeoisie pour se développer et se dégager des rapports trop étroits du féodalisme. Sont également gommées des dizaines de pages où Marx décrit ce difficile et long procès qu'est l'accumulation primitive du capital... "La grande industrie a fait naître le marché mondial (...) en retour, ce développement a entraîné l'essor de l'industrie (où est la présupposition du marché mondial chez Marx ? ) (...) Nous voyons donc que la bourgeoisie moderne est elle-même le produit d'un long processus de développement de toute une série de révolutions survenues dans les modes de production et d'échange." ("Le Manifeste").
Comment peut-on prendre au sérieux un "groupe" qui invente et réécrit l'histoire au gré de ses humeurs?
La prise de conscience de la nécessité politique de la destruction du capitalisme ne peut venir que de la crise historique de celui-ci et non d'une simple crise de croissance ou de restructuration. C'est face à l'enjeu actuel : socialisme ou barbarie, révolution communiste ou guerre impérialiste généralisée irrémédiable pour l'humanité, que le prolétariat pourra comprendre et mesurer toute l'immensité de sa tâche. Nier la décadence c'est amoindrir la nécessité du communisme et affaiblir la dimension historique dans la prise de conscience du prolétariat. Si le capitalisme se développe "...au moins deux fois plus rapidement que dans sa phase ascendante" comme le prétend le GCI ([8] [41]), la révolution est encore moins possible aujourd'hui qu'hier; elle devient une lointaine utopie anarchiste. C'est ce que le GCI propose aujourd'hui à la classe ouvrière.
Nos censeurs se plaisent à nous confondre avec le trotskysme. "Une telle conception (la décadence) pouvait à la limite s'expliquer dans l'entre-deux-guerres où effectivement la production capitaliste a stagné. C'est à cette époque qu'un Trotsky pouvait déclarer en tête du Programme de Transition que « les forces productives de l'humanité ont cessé de croître. Les nouvelles inventions et les nouveaux progrès techniques ne conduisent plus d’un accroissement de la richesse matérielle ». C'est à cette époque aussi que certains courants de gauche (la Gauche Communiste) fondent une analyse de la décadence du mode de production capitaliste sur des thèses luxemburgistes en considérant que la plus-value a cessé d'augmenter." (CoC n° 22), "Pour les décadentistes trotskystes, les forces productives ont cessé de croître, en l'occurrence à partir de 1914 pour le capitalisme (...) la conception de la décadence est étroitement liée à celle de la dégénérescence du caractère ouvrier de l'URSS chère tant aux staliniens qu'aux trotskystes" (LC n° 23).
De Marx à la troisième Internationale, la problématique de la décadence est devenue une question centrale au sein du courant marxiste. Avec la dégénérescence de la vague révolutionnaire de 1917-23 et de ses organisations politiques, débutait, pour le mouvement ouvrier, une longue nuit de plus de 50 ans, qui a fait dire à Victor Serge qu'il était "minuit dans le siècle". Depuis, les contributions sur cette question se concentrèrent dans les groupes de gauche issus du combat contre la dégénérescence de la troisième Internationale, y compris l'Opposition Internationale de Gauche animée par Trotsky jusqu'en 1939 ([9] [42]). Ces groupes ont certes balbutié sur bien des questions. Nous ne sommes pas des bordiguistes qui considérons les textes anciens comme des tables de lois intouchables. Néanmoins ces groupes, malgré certaines erreurs, ont eu le mérite de développer la théorie révolutionnaire dans un cadre marxiste contrairement à nos critiques qui renient ce cadre à la simple vue des taux de croissance d'après 1945 ! Les premiers nous lèguent un cadre de compréhension fécond même entaché d'imprécisions, les autres nous mènent à l'impasse ou à l'anarchisme.
Mais faisant flèche de tout bois, le GCI et CoC nous attribuent à tort la conception développée par la "IVème Internationale" trotskyste. A y regarder de plus près, c'est CoC et le GCI qui sont de bien pâles copistes des positions de Mandel et Cie ! Certains trotskystes ont depuis belle lurette abandonné la sentence de Trotsky du "Programme de Transition" pour reprendre la vision de Lénine pour qui "Dans l'ensemble, le capitalisme se développe infiniment plus vite qu'auparavant". Pour Mandel "...ce n'est donc pas la baisse des forces productives, mais un parasitistne exacerbé et un gaspillage accru qui accompagnent la croissance et s'en emparent (...). La forme la plus néfaste du gaspillage inhérent au 3ème âge du capitalisme est dès lors la mauvaise utilisation des forces productives", le pourrissement du système se manifeste par "...les résultats pitoyables en comparaison des possibilités de la troisième révolution technologique et de l'automation (..). Mesuré en rapport à ces possibilités, le gaspillage de forces productives potentielles et réelles à crû de façon démesurée. En ce sens - mais uniquement sur la base d'une telle définition - la description donnée par Lénine de l'impérialisme comme phase de pourrissement généralisée du mode de production capitaliste' demeure justifiée". Pour Mandel, le capitalisme connaît trois phases, "...le capitalisme de libre concurrence de Waterloo à Sedan, l'époque de l'impérialisme classique et entre les 2 guerres mondiales et le 3ème âge du capitalisme aujourd'hui" et de nous spécifier que, "en valeur absolue, les forces productives ont augmenté plus vite à l'époque du 3ème âge du capitalisme qu'auparavant': Voilà CoC et le GCI en belle compagnie ! Plus loin Mandel réinterprète explicitement la définition que donne Marx de la décadence d'un mode de production exprimée dans "L'Avant-Propos" : "Ceci est d'autant plus évident que Marx ne se réfère pas ici à la chute du capitalisme, mais à la chute de toutes les sociétés de classes. II ne lui serait sûrement pas venu à l'idée de caractériser la période qui a précédé la victoire des révolutions bourgeoises dans l'histoire moderne (celle de la révolution des Pays-Bas du XVIème siècle, de la révolution anglaise du XVilème siècle, de la révolution américaine et de la grande révolution française du XVIIIème siècle) comme une phase où les forces productives auraient stagné ou même diminué" ("Le troisième âge du capitalisme", Ed. 10/18,1976).
SOURCES: Rostow W. W., -ne world economy, history and prospect"., University of Texas Press, 1978.
Ce graphique nous montre l'évolution de la Production Industrielle Mondiale (P.LM.) depuis 1820 jusqu'en 1983 (traits continus avec des valeurs pour l'indice - sous les petits triangles - à certaines dates clefs). L'échelle des indices est logarithmique, ce qui permet d'apprécier le taux de croissance à la pente plus ou moins forte de la courbe. Le graphique est illustratif de la dynamique générale du capitalisme au cours de ses deux phases historiques. En ascendance, la croissance est en progression continue avec de faibles fluctuations. Elle est rythmée par des cycles de crise / prospérité / crise atténuée / prospérité accrue / etc. En décadence, outre un frein global sur la croissance (le phénomène de frein des rapports sociaux de production capitaliste sur la croissance des forces productives produit un différentiel entre la croissance potentiellement possible sans frein (droite en pointillé: indice 2401) et la croissance effective (indice: 1440), elle connaît d'intenses fluctuations jamais vues auparavant : deux guerres mondiales et un fort ralentissement ces quinze dernières années, voire une stagnation depuis moins de 10 ans. Si nous défalquons les frais improductifs de la production réelle le frein à la croissance des forces productives atteint et dépasse les 50% ! Le commerce mondial (suite de petites croix) n'a lui-même jamais connu d'aussi fortes contractions (st.ignation de 1913 à 1948, violent freinage ces dernières années : un taux de croissance nul s'exprime par une droite horizontale sur le graphe) illustrant le problème permanent, en décadence, de l'insuffisance de marchés solvables. La forte croissance du commerce mondial de 1948 à 1971 est artificiellement gonflée par la comptabilisation des échanges internes aux multinationales. ('_e biais statistique représente près du tiers (33%) du commerce mondial !
Qu'est-ce qui se dégage de ce fouillis inextricable ? Une négation pure et simple de la conception marxiste de l'évolution historique. Le déclin d'un mode production n'est plus le résultat d'une entrave des forces productives par les rapports de production, c'est-à-dire du décalage entre une croissance potentielle sans frein et la croissance effective mais, dit Mandel, est défini comme la différence entre ce qui est techniquement possible sous un mode de production socialiste (!) et la croissance actuelle, entre une économie d'automation et d'abondance et la croissance d'aujourd'hui "infiniment plus rapide qu'auparavant" mais ô! combien "gaspilleuse" et "mal utilisée". Définir le pourrissement du capitalisme en montrant la supériorité du socialisme ne démontre rien du tout et ne répond sûrement pas à la question pourquoi, quand et comment une société entre en déclin. Mais Mandel contourne la question en niant toute décadence à l'instar de nos censeurs. Ainsi il prétend que l'époque qui va du 16ème au 18ème siècle est une période non de décadence du mode de production féodale et de transition au capitalisme mais de pleine croissance, se permettant d'attribuer à Marx une conception contraire à tout ce qu'il a développé à ce sujet. Mandel additionne deux dynamiques opposées dans une période où s'enchevêtrent deux modes de production différents : le déclin du féodalisme du 14ème au 18ème siècle qui engendre guerres, famines, épidémies et crises agricoles et la transition au capitalisme (16ème au 18ème) qui dynamise la production (marchands, artisans...).
Le graphique ci-dessus illustre ce que nous avons développé jusqu'ici (pour un commentaire détaillé de ce graphique voir l'article précédent dans la Revue Internationale n° 54) et montre ce qu'il faut entendre par décadence pour le mode de production capitaliste : non une chute ou une stagnation, comme pour les modes de production antérieurs, mais un frein, une entrave au développement des forces productives par les rapports sociaux de production capitalistes. Ceci est illustré par le freinage général de la croissance en décadence et par la spirale infernale de crise / guerre / reconstruction / crise décuplée / guerre plus meurtrière / reconstruction droguée / etc. dans laquelle s'est enfoncé le capitalisme.
C.Mcl
[1] [43] Pour les références concernant les groupes cités dans cet article voir l'article précédent dans le n° 54.
[2] [44] Voir l'article du n° 54..
[3] [45] Les éléments qui continueront à défendre, tant bien que mal, les positions de la Fraction scissionneront pour créer le Parti Communiste Internationaliste (Battaglia Comunista) qui existe encore de nos jours. Lire notre brochure "Contribution à une histoire du mouvement révolutionnaire : La Gauche Communiste d'Italie" .
[4] [46] Pourquoi diable le GCI ose-t-il encore se réclamer de la Fraction italienne ? C'est eux plus que tout autre groupe qui ont développé l'analyse de la décadence. Pourquoi ne traitent-ils pas la Gauche Communiste Internationale d'adepte de Moon, de Témoins de Jéhovah, puisque la décadence constitue l'ossature de toutes leurs positions politiques puisqu'elle est inscrite dans tous leurs textes programmatiques ?
[5] [47] Lire notre brochure "Contribution à une histoire du mouvement révolutionnaire : La Gauche Communiste d'Italie".
[6] [48] Cette courbe a été réalisée à partir d'une reconstitution de l'évolution de la population dans 12 régions du monde (Chine / Inde-PakistanBangladesh / Sud Ouest asiatique / Japon / Reste de l'Asie / Europe / URSS / Afrique du Nord / Reste de l'Afrique / Amérique du Nord / Amérique Centrale et du Sud / Océanie). Toutes, à de petits décalages près dans le temps, suivent la même évolution que le total mondial (un test statistique qui mesure la significativité des différences entre ces évolutions a été réalisé et confirme ce parallélisme dans l'évolution de la population de ces différentes régions). Nous n'avons pas la place ici pour développer toutes les implications qui en découlent, nous y reviendrons ultérieurement.
[7] [49] Ces sociétés (4000 à 500 av. J.C. - sociétés mégalithiques, égyptiennes, etc.) sont l'aboutissement du processus de néolithisation, de division en classe de la société. Une caste dominante a pu s'ériger par l'accaparement des surplus dégagés de l'augmentation de la production. Celle-ci est encore le fait d'une multitude de collectivités villageoises produisant selon des rapports communautaires. L'esclavage existe pour les besoins de la caste dominante (serviteurs, grands travaux, etc.) mais pas encore dans la production agricole.
[8] [50] La réfutation de cette assertion a été largement développée dans notre précédent article.
[9] [51] 'L.e capitalisme, oui ou non, a-t-il fait son temps? Est-il en mesure Cie développer dans te monde les forces productives et de faire progresser l'humanité? Cette question est fondamentale. Elle a une importance décisive pour le prolétariat (...) S'il s'avérait que le capitalisme est encore capable de remplir une mission de progrès, de rendre les peuples plus riches, leur travail plus productif, cela signifierait que nous, parti communiste de 1't]MS'S, nous nous sommes hâtés de chanter son DE PROFUNDIS; en d'autres termes, que nous avons pris trop tôt le pouvoir pour essayer de réaliser le socialisme. Car, comme l'expliquait Marx, aucun régime social ne disparaît avant d'avoir épuisé toutes ses possibilités latentes. (...) Mais la guerre de 1914 n'a pas été un phénomène fortuit. Cela a été le soulèvement aveugle des forces de production contre !es formes capitalistes, y compris celles de l'F_tat national. Les forces de production créées par le capitalisme ne pouvaient plus tenir dans le cadre des formes sociales du capitalisme." fI'rotsky, Europe et Amérique, 1924, Ed. Anthropos) .
Si on se limite à une vision superficielle de l'état du milieu politique international, on risque sûrement d’être immédiatement déprimé. Les groupes existants se scindent (à Contre-Courant du GCI, le Groupe Leninista Internazionalista de l OCI), dégénèrent (Daad en Gedachte capitule, cède au frontisme démocratique à travers la stratège du front anti-apartheid en Afrique du Sud ; la FECCI met de plus en plus en discussion les bases programmatiques du CCI dont elle est sortie), perdent la boussole (Communisme ou Civilisation se discrédite en proposant défaire sans aucun sérieux "des revues communistes" a qui veut bien l'écouter ; Comunismo, ex-Alptraum, prétend d'un jour à l'autre ne plus être d'accord avec le concept de décadence du capitalisme sur lequel il fondait ses positions), ou, plus simplement, disparaissent (auto-dissolution du groupe Wildcat ; disparition progressive par auto-dissolution dans le néant des nombreux fragments qui avaient survécu à l'explosion de Programma Comunista).
C'est effectivement sur la base de l'impression qui se dégage d'une telle observation que se répand dans le milieu une ambiance de dépression et de pessimisme qui donne l'occasion aux anciens de 68 de proclamer qu'est venu le temps des "bilans autocritiques"1. Et ces bilans vont presque tous dans le même sens : malgré la crise, malgré des luttes même importantes de la classe, l'influence et l'importance numérique des révolutionnaires ne se sont pas accrues, alors que la guerre désormais menace... donc tout est perdu ou presque.
Dans la première partie de cet article, nous chercherons à démontrer en quoi cette attitude de "reflux" :
ne correspond pas en réalité à l'état du milieu prolétarien ;
ne sert qu'à fournir une couverture idéologique à l'incapacité d'une bonne partie du milieu d'assumer ses responsabilités par rapport aux nécessités de la lutte de classe.
Dans ce contexte de confusion, la responsabilité qui pèse sur les épaules des deux pôles de regroupement, le CCI et le BIPR, est d'autant plus grande, et ils sont appelés à faire un rempart contre cette vague insidieuse de méfiance et de désertion. Dans la deuxième partie de l'article nous montrerons comment du fait de son incapacité congénitale à affronter et à résoudre ses contradictions internes, le BIPR a de plus en plus de difficultés à remplir la tâche de donner des orientations aux débats du milieu dans son ensemble.
Bien qu'on puisse retrouver des signes d'une attitude de méfiance par rapport à la possibilité pour les révolutionnaires de jouer un rôle dans la lutte de classe dans presque tous les groupes, leur expression la plus claire se manifeste évidemment dans les groupes qui font de la méfiance envers l'intervention des révolutionnaires leur unique raison d'exister. Le cas le plus exemplaire est sans aucun doute la Fraction externe du CCI (FECCI) dont les militants ont déserté de façon irresponsable le CCI, sous le prétexte que sa dégénérescence était telle qu'aucune lutte ne pouvait plus l'empêcher de jeter sa plate-forme d'origine aux orties. La fausseté de cette affirmation est évidente aujourd'hui : trois ans après, le CCI est plus que jamais renforcé sur sa plate-forme alors que c'est la FECCI qui lui découvre toujours de nouvelles "limites". En réalité, la divergence portait sur l'analyse de la dynamique de la lutte de classe et la tendance de ces camarades à privilégier arbitrairement le débat interne par rapport à l'intervention militante dans les luttes ouvrières. La FECCI l'a d'abord nié avec une vertueuse indignation pendant trois années de suite, puis, étant donné l'ambiance de pessimisme qui règne dans le milieu, elle a pris courage et a mis cartes sur table. Dans le n°9 de Perspective Internationaliste, on découvre "qu'à la base de la dégénérescence" du CCI, il y a la stagnation et la dégénérescence de tout le milieu et que, loin de se renforcer il est aujourd'hui beaucoup plus faible et beaucoup plus divisé par le sectarisme qu'il ne l'était dans les années 70. En conséquence il faut avoir le courage de reconnaître que "dans cette période, l'élaboration théorique (dont la clarté dans l'intervention fait partie intégrante) doit être une priorité bien supérieure par rapport au développement organisationnel. En conséquence la clarification théorique est aujourd'hui notre travail principal". (PI n°9)
Est enfin théorisé ce qui est déjà depuis 3 ans la pratique de non intervention dans la lutte de classe de la part de la FECCI. Naturellement, une telle régression, un tel abandon de l'engagement militant ne peuvent qu'être salués avec enthousiasme par cette fraction du milieu qui base justement son existence sur le refus de cette responsabilité militante dans les affrontements de la lutte ouvrière. Communisme ou Civilisation s'était déjà réjoui des pas qui menaient dans cette direction : "face au désert théorique du CCI, la prose de la FECCI peut être comparée à un oasis" (Communisme ou Civilisation n°22, mai 87).
Mais c'est une autre secte qui fait de la lutte contre le CCI sa raison d'exister, le Communist Bulletin Group (CBG), qui a manifesté le plus grand enthousiasme. Ce groupe (qui s'est mis en dehors du camp politique prolétarien avec son soutien aux actions de gangstérisme de l'aventurier Chenier contre le CCI) s'est empressé de se déclarer "entièrement d'accord" avec les conclusions de la FECCI, ou mieux, a de façon juste, souligné que la FECCI aujourd'hui se met au niveau de la lutte contre toute activité communiste militante et centralisée, niveau que le CBG a atteint triomphalement dès le début des années 80. Il saisit donc le moment favorable pour sa propagande défaitiste qui finalement "trouve un écho". Le n°13 de son bulletin a immédiatement mis à disposition de ceux qui ont des doutes ou des hésitations une théorisation "cohérente" du défaitisme qui se base sur les points suivants :
"Comme le souligne la FECCI, notre affirmation de base selon laquelle l'approfondissement de la crise économique trouverait sa contrepartie dans un approfondissement de la lutte de classe et un accroissement correspondant de la taille et de l'influence des fractions révolutionnaires, a été démentie par la réalité".
Le milieu s'est développé positivement de 68 à 75 ; "à ce point, le mouvement révolutionnaire avait atteint un plateau". Par la suite "il n'y a eu d'accroissement ni en nombre, ni en influence. (...) Sous beaucoup d'aspects, le milieu est beaucoup plus faible qu'il y a dix ans".
"Les divisions qui ont surgi dans les années 70 se sont aujourd'hui solidifiées en barrières dogmatiques d'une telle résistance qu'il est difficile de voir comment elles peuvent être surmontées. Il est certain qu'il ne semble pas correct du tout de croire qu'une plus grande combativité de la classe ouvrière pousserait les révolutionnaires à s'unir".
Les conclusions sont prévisibles : il faut arrêter les efforts de construction d'une organisation centralisée en vue de l'intervention dans la lutte de classe, il faut se dédier à un travail d'étude et de débat "ouvert", auquel participeraient, sur un plan d'égalité formelle, les organisations militantes, les individus et les cercles qui n'ont rien de mieux à faire. Ce débat académique "fraternel" ne manquera pas de poser les bases du futur parti du prolétariat.
De telles théorisations ne manqueront pas de "trouver un écho" de ci, de là. Le Collectif mexicain Alptraum (Comunismo) sera certainement d'accord, lui qui a finalement résolu ses longues hésitations par rapport à l'intervention dans la lutte de classe, en niant la nécessité de l'intervention et la réalité de la lutte de classe (toutes deux inventions du CCI...) et en se donnant comme seule tâche la publication d'une revue théorique (avec Communisme ou Civilisation comme par hasard) dans l'attente du parti tout puissant de demain.
Le comique de cette tendance à la retraite stratégique, c'est qu'en fait elle agglomère en un seul front aussi bien les partisans du Parti unique, de fer, monolithique (Communisme ou Civilisation, Comunismo) que les admirateurs d'un parti "ouvert", démocratique, dans lequel tout le monde est libre de dire et de faire ce qui lui plaît (FECCI, CBG). Les deux seules choses qui unissent ce front disparate sont :
l'espoir de vivre assez longtemps pour assister à cet "écroulement du CCI" qu'ils attendent tous et qui ne vient jamais ;
l'absolue conviction que dans les conditions actuelles de la lutte de classe, l'intervention des révolutionnaires ne joue aucun rôle réel.
Les deux choses sont naturellement liées entre elles : le CCI est aujourd'hui le principal pôle de regroupement du milieu prolétarien international et le défenseur le plus décidé du rôle des révolutionnaires dans la lutte de classe. Ceci signifie que toute tentative de remettre ce rôle en discussion est obligée de régler des comptes avec le CCI. Mais ça veut dire aussi que le CCI est prêt à régler les comptes à toute tentative qui va dans ce sens, en revenant sur les arguments un par un. C'est ce que nous avons fait et entendons continuer à faire.
On trouvera une réponse plus détaillée aux tentatives de falsification de la vie du mouvement révolutionnaire dans les vingt dernières années, dans la série d'articles "L'évolution du milieu politique prolétarien après 68" et nous renvoyons nos lecteurs à ces articles. Dans celui-ci, nous nous limiterons donc à répondre aux différentes affirmations de base contenues dans le de profundis sur le milieu théorisé par CBG et partagées par une bonne partie du milieu lui-même.
Commençons par l'observation centrale, selon laquelle le mouvement révolutionnaire croît numériquement et politiquement de 68 à 75, puis stagne de nouveau numériquement et régresse politiquement. Pour présenter les choses de cette manière, il est nécessaire de falsifier sans pudeur la dynamique réelle des événements. Il est absolument vrai que les années 68-75 ont vu tout un processus de décantation et de politisation autour du groupe français Révolution Internationale, qui conduira à un regroupement international dans le CCI, et à celui limité à l'Angleterre dans la CWO. Mais c'est vrai aussi que les années 72-75 ont vu l'explosion de la mode "moderniste", avec l'abandon qui s'ensuit du marxisme de la part d'un nombre énorme de militants qui, dans ces années-là, en étaient à peine à rompre avec les groupes extra-parlementaires en redécouvrant les positions de la Gauche communiste. Si CBG pense nous émouvoir en nous parlant des "beaux jours" où il semblait que tous se dirigeaient vers les positions de la Gauche communiste, alors il se trompe complètement d'adresse. Le fait que des milliers d'individus, qui la veille encore, ne juraient que par le Programme de transition de Trotsky ou le Bloc des quatre classes de Mao, se soient mis à l'improviste à citer à tort et à travers Pannekoek et Bordiga, n'était pas une force mais une faiblesse, et surtout, un très grave danger pour le mouvement révolutionnaire.
Si nous avons été capables de regrouper une petite partie de ces camarades dans une organisation politique homogène, c'est parce que tout cela nous l'avions compris et dit à l'époque et pas seulement aujourd'hui : "la réapparition internationale d'un courant communiste est laborieuse, tâtonnante, incertaine et en retard par rapport à la reprise de la lutte de classe. De plus, elle est encore trop souvent due à la conjoncture d'éléments relevant du hasard plus que d'une détermination historique. Mais en même temps, le long purgatoire traversé par les groupes existant actuellement et les crises que provoquera en leur sein le cours de plus en plus opportuniste, racoleur et lèche-bottes des courants radicaux issus de la contre-révolution (trotskysme principalement) débouchera et débouche déjà sur de brusques accès de mode pour nos idées. La faiblesse numérique ne sera plus alors le lourd boulet traîné par notre courant mais bien le danger de 'trop plein' et de dilution dans une masse d'éléments n'ayant pas encore pleinement compris nos positions et leurs implications."2
Nous avons été capables de constituer ce qui est aujourd'hui le principal pôle de regroupement justement parce qu'alors nous ne nous sommes pas fait prendre par "l'enthousiasme" par le fait que les positions de la Gauche communiste devenaient à la mode tout à coup, mais nous nous sommes rigoureusement différenciés de tous ceux qui refusaient des délimitations politiques sur des positions claires. Ce n'est pas par hasard que déjà à l'époque, en 1975, la constitution du CCI ait été saluée par un chœur unanime d'accusations de "monolithisme", "sectarisme", "fermeture à l'égard des autres groupes", "isolement paranoïaque", "conviction d'être les uniques dépositaires de la vérité", etc. de la part d'une foule de cercles et d'individus qui, un an plus tard, se sont heureusement dissous dans le néant.
Les années comprises entre 1975 et 1980, loin de montrer une nouvelle stagnation du milieu révolutionnaire, sont caractérisées par le fait qu'elles voient tous ces groupes (la majorité) évoluer, alors qu'ils avaient stagné pendant la phase de confrontation et de regroupement des années 68-75. Le milieu entier se subdivise en trois grandes tendances :
l'isolement dans la passivité et l'académisme (les restes du courant conseilliste historique) ;
l'isolement dans l'activisme dépourvu de principes (Programme Communiste qui pendant toutes les années 70 a été la principale organisation communiste) ;
la rupture de l'isolement à travers la confrontation et le débat politique (Conférences internationales des groupes de la Gauche communiste animées par Battaglia Comunista et le CCI).
Le premier bilan qu'on peut tirer est que les conférences ont été le premier élément dynamique capable de polariser TOUT le milieu ; en fait, même les groupes qui N'ONT PAS participé (Spartacusbond, Programma, etc.) se sont sentis obligés de motiver publiquement leur refus. Le second bilan est que, au-delà des résultats immédiats qui cependant existent (rapprochement de Battaglia Comunista de la CWO, fusion des NLI et d'Il Leninista, naissance d'une section du CCI en Suède), les conférences restent un acquis pour le futur.
"Les bulletins publiés en trois langues à la suite de chaque conférence et contenant les diverses contributions écrites et le compte-rendu de toutes les discussions sont restés une référence indispensable pour tous les éléments ou groupes qui depuis ont rejoint les positions révolutionnaires."3
De tout ceci, les idéologues du reflux se gardent bien de parler : le fait que les positions de la gauche communiste sont aujourd'hui présentes en Inde et défendues en Amérique latine n'est probablement pour eux qu'une "curiosité exotique". Mais passons à un autre point, au fait que l'influence de la minorité communiste n'aurait pas grandi parallèlement à la crise et à la lutte de classe. Naturellement, si par influence, on entend le nombre d'ouvriers directement organisés dans les organisations révolutionnaires, alors il est clair qu'elle a très peu grandi ! Mais dans la phase décadente du capitalisme, l'influence de la minorité révolutionnaire se manifeste d'une tout autre façon, elle se manifeste en tant que capacité de jouer un rôle de direction politique à l'intérieur des luttes significatives de la classe. C'est sur la base du renforcement de cette capacité à pousser les luttes en avant, à influencer politiquement les éléments ouvriers les plus actifs, les plus combatifs, que se développeront les conditions pour l'intégration toujours croissante de militants ouvriers dans les organisations révolutionnaires.
Si nous considérons les choses de ce point de vue, le point de vue marxiste, c'est une donnée de fait que dans les dernières années les organisations qui, comme le CCI, ont maintenu une pression constante au niveau de l'intervention dans la lutte de classe, ont été pour la PREMIERE FOIS capables d'influencer des secteurs minoritaires de la classe dans le cours de luttes de grande ampleur comme celle des cheminots français ou des enseignants italiens. Ceci n'était jamais arrivé et NE POUVAIT PAS arriver dans les années 70, parce que les conditions n'existaient pas encore4. Aujourd'hui, ÇA COMMENCE A ETRE POSSIBLE, grâce à la maturation de la crise, de la lutte de classe ET des organisations communistes qui ont été capables de faire face victorieusement à la sélection qui s'est opérée pendant ces années.
Venons en enfin à la troisième question douloureuse : le fait qu'aujourd'hui, le milieu serait plus divisé et sectaire que dans les années 70 et que la lutte de classe elle-même ne pourrait pas pousser les révolutionnaires à discuter entre eux.
Nous avons déjà vu que cette vision pessimiste ne tient pas compte du fait que la majorité du milieu révolutionnaire dans les années 1968-75 était restée rigoureusement étrangère à toute dynamique de contact et de discussion, alors qu'aujourd'hui, les deux principaux pôles de regroupement qui existent à l'échelle internationale -le CCI et le BIPR- sont tous les deux des défenseurs -même si c'est en termes différents- de la nécessité de ce débat.
Ce n'est pas par hasard si les nouveaux groupes qui sont en train d'apparaître, en particulier à la périphérie du capitalisme, tendent immédiatement à faire référence aux débats entre ces deux pôles. Aujourd'hui, n'en déplaise à ceux qui croient que le débat entre les révolutionnaires est une espèce de supermarché, qui, pour être riche et satisfaisant, devrait offrir le choix entre des milliers de produits divers, cette sélection n'est pas un "appauvrissement", mais un pas en avant. Cette polarisation permet aux nouveaux éléments qui surgissent de se situer clairement par rapport aux divergences politiques FONDAMENTALES qui existent parmi les grands courants essentiels du mouvement révolutionnaire, au lieu de se perdre dans les mille finasseries secondaires de telle ou telle secte. Que les sectes s'en attristent, c'est évident, qu'elles poussent de grands cris sur le "renforcement des divisions", c'est encore plus évident : ce qui leur fait pousser de hauts cris, ce n'est pas autre chose que l'accélération de l'histoire, c'est-à-dire de la crise et de la lutte de classe, qui pousse toujours plus à la décantation du camp révolutionnaire. C'est cette accélération qui a contraint les camarades de Wildcat à reconnaître qu'ils s'étaient engagés dans une impasse et à dissoudre un groupe qui n'était que source de confusion. C'est cette accélération qui a permis le processus relativement rapide par lequel tout un milieu de militants mexicains a réussi à rompre avec la contre-révolution, faisant surgir un nouveau groupe communiste, le Grupo Proletario Internacionalista. C'est l'obligation de prendre en compte cette accélération qui a fait surgir au sein du même pays un groupe communiste MILITANT qui a finalement poussé le groupe déjà existant, le collectif Alptraum à résoudre ses hésitations de six ans face à l'engagement militant, en se suicidant dans la régression académique. Même un choix négatif de ce type est préférable de toute façon à l'ambiguïté : à partir de maintenant, les éléments mexicains à la recherche d'une cohérence de classe, auront face à eux une alternative claire : ou l'engagement dans le militantisme révolutionnaire avec le GPI ou le hobby de la discussion sans implications dans Comunismo ex-Alptraum (si toutefois il survit).
La question de l'intervention militante dans la lutte de classe devient donc facteur de clarification et de sélection. Mais ce qui est le plus important, c'est que –contrairement aux sombres prophéties des oiseaux de mauvais augure– l'intervention commence à devenir un facteur d'INTERACTION entre les révolutionnaires. Le dégagement progressif d'une minorité nettement classiste, qui se manifestait ouvertement dans la lutte des travailleurs de l'école en Italie, a été aussi et surtout le résultat d'un travail ORGANISE et COMMUN de la part des militants internationalistes qui participaient à la lutte (militants du CCI, de Battaglia et du groupe bordiguiste II Partito Comunista). Il s'agit d'un petit exemple, mais c'est le PREMIER EXEMPLE d'une collaboration dans la lutte que l'approfondissement de la lutte de classe ne manquera pas de multiplier.
Les conséquences pour l'ensemble du milieu sont évidentes : les débats -souvent abstraits- du passé, vont tendre à s'approfondir grâce à la confrontation des positions dans la réalité de la lutte de classe. Très bon pour le débat, très mauvais pour les groupes parasites qui n'ont que peu ou rien à voir avec la lutte de classe.
Dans cette seconde partie de l'article, nous allons chercher à retracer les difficultés que le BIPR (le plus grand pôle de regroupement international après le CCI) rencontre pour établir une résistance adéquate à la vague de défaitisme qui déferle sur le milieu révolutionnaire.
La première difficulté vient du fait que le BIPR est lui-même victime d'une vision pessimiste du mouvement actuel de lutte de classe et qu'il se trouve donc dans une position difficile pour résister à la propagande défaitiste. Dans le numéro précédent de la Revue Internationale, nous avons abordé spécifiquement la question de la sous-estimation de la lutte de classe actuelle par le milieu et en particulier par le BIPR, alors que dans les numéros 50 et 51 de cette revue, nous avons traité des incompréhensions du BIPR sur le cours historique et la question "syndicale". Dans cet article, nous reviendrons spécifiquement sur un problème que nous avons cependant souligné plus d'une fois : les contradictions croissantes dans les prises de position du BIPR sur l'ensemble des questions qui sont aujourd'hui à l'ordre du jour.
Pour une question de place, nous nous limiterons évidemment à une seul exemple qui paraît particulièrement significatif. Nous voulons parler de la question centrale, c'est-à-dire du niveau de la lutte de classe et la possibilité qui s'ensuit ou non pour les révolutionnaires de jouer un rôle en son sein. Dans la désormais fameuse lettre du BIPR au Collectif Alptraum de juin 87, amplement critiquée par nous dans l'article sur la sous-estimation de la lutte de classe dans le numéro précédent de la Revue Internationale, les luttes des travailleurs de l'école en Italie, organisées pendant des mois dans les COBAS, étaient mises sur le même pied que celles des professionnels de certains milieux (pilotes, magistrats, etc.) et donc abandonnées à elles-mêmes à peu près jusqu'à l'été. A l'automne 87 se tient l'assemblée annuelle de la CWO, qui fait une théorie sur le profond coma du prolétariat anglais, cauchemar de Thatcher, et dans ses perspectives, étant donné "la période de calme social", affirme que "nous avons plus besoin -et plus le temps- de nous réorienter vers le travail théorique" (Workers'Voice n°39, février-mars 1988).
En février 1988, l'assemblée annuelle de Battaglia Comunista affirme qu'« avec l'affaire des Cobas, débute une phase nouvelle et intéressante de la lutte de classe en Italie et que s'offre pour notre organisation la possibilité de susciter dans les mouvements un intérêt certainement plus grand que par le passé (...). Les camarades de CWO qui sont intervenus à la réunion ont fait référence aux développements récents de la lutte de classe en Grande-Bretagne (...) : les grèves, inexistantes jusqu'alors, et les grèves de solidarité entre travailleurs de secteurs différents.
Ces luttes aussi confirment le commencement d'une période marquée par l'accentuation des conflits de classe. » (d'après le rapport publié dans BC n°3 de mars 88)
Comme on le voit, aussi bien l'analyse ponctuelle de la situation en Italie qu'en Angleterre, que les conséquences qui en sont tirées sur le plan général ("le commencement d'une période marquée par l'accentuation des conflits entre classes") sont en totale contradiction (heureusement !) avec les analyses précédentes. Ce qui frappe, c'est que pourtant, on trouve encore dans le n°39 de Workers'Voice, A LA SUITE de la vague de luttes en Grande-Bretagne, publié tel quel, SANS UN MOT DE CRITIQUE, les perspectives de la réunion annuelle de la CWO qui sont fondées sur la "démoralisation et la passivité" du prolétariat anglais et mondial. Quelle est donc en février-mars 1988, la position des camarades de la CWO ? Celle, optimiste qui est publiée dans Battaglia, ou celle, pessimiste, qu'eux-mêmes publient dans Workers'Voice ?
La situation semble s'éclaircir dans le n°40 d'avril-mai 1988 où, dans l'introduction à un article sur mai 68 ("le premier réveil généralisé de la lutte de classe après les années de la reconstruction d'après-guerre") on affirme clairement : "les derniers mois ont vu en Angleterre, Allemagne et ailleurs une agitation qui est le signe avant-coureur d'une reprise des affrontements sociaux". Mais l'espoir d'avoir enfin compris quelque chose à la position de ces camarades est de courte durée. Quelques semaines après, la CWO expédie au Communist Bulletin Group une lettre sur les mêmes questions : "l'article (sur les 20 ans après 68) paraîtra dans Workers'Voice n°41, mais globalement, nous avons rejeté ce que nous ressentons comme notre dernier bagage du CCI, c'est-à-dire l'idée que mai 68 a ouvert une nouvelle période, la fin de la contre-révolution, et le commencement d'une nouvelle période révolutionnaire... Nous voyons définitivement la période comme une continuation de la domination capitaliste qui a régné, en étant seulement sporadiquement contestée, depuis la fin de la vague révolutionnaire qui a suivi la première guerre mondiale. Cela a beaucoup de conséquences et je suis sûr que vous serez d'accord là-dessus... L'avant-garde va mal parce que ce n'est pas une période 'pré-révolutionnaire' mais une période de domination capitaliste (croissante)."5
Cette lettre n'est pas qu'un démenti total de ce qui est écrit dans le n°40 de Workers'Voice, qui était diffusé à ce moment-là, mais aussi une CAPITULATION SANS CONDITION devant la pression du défaitisme de la partie parasitaire du milieu et du CBG en particulier. Notons que la CWO s'est donnée la peine de préciser qu'elle ne s'opposait pas à la publication de cette lettre. C'est donc très préoccupés que nous avons ouvert le n°41 de Workers'Voice, où devait se trouver l'article mentionné dans la lettre. Mais, énième volte-face, l'article sur 1968 n'y est pas alors qu'au contraire, il y a un article sur le milieu révolutionnaire où on affirme que : "Cependant, les événements de mai 68 en France ont été les premières de beaucoup dégrèves ouvrières qui marquaient la fin du boum capitaliste d'après-guerre...ceci a donné naissance au camp politique prolétarien actuel (...). Dans les récentes années, il y a eu un développement des groupes communistes à la périphérie du capitalisme."
C'est exactement le contraire de ce qui est écrit dans la lettre qui était publiée au même moment dans le Bulletin.
Le minimum qu'on puisse dire, c'est que sur cette question essentielle, il y a dans le BIPR au moins trois positions différentes :
CWO n°l : hier, fin de la contre-révolution en 68 ; aujourd'hui, reprise de la lutte.
CWO n°2 : hier, aucun changement en 68 ; aujourd'hui, domination croissante du capital.
BC n°3 : hier, aucun changement en 68 ; aujourd'hui, "quelque chose se met à bouger, même si ce n'est pas encore suffisant" (Prometeo n°11, décembre 87).
Nous avons donc trois positions ou peut-être quatre, puisqu'à la réunion publique tenue par le CCI en juin 88 à Milan, un camarade de BC est intervenu pour soutenir que "nous sommes moins nombreux aujourd'hui qu'en 68".
Il est évident que "cela a beaucoup de conséquences". La première, c'est que le BIPR non seulement est tout à fait incapable de réagir de manière adéquate à la propagande défaitiste qui infiltre le milieu, mais qu'il tombe lui-même dans le piège du défaitisme, à la profonde satisfaction de tous les groupes parasites en lutte contre l'engagement militant dans les luttes.
La seconde constatation qu'on peut faire, c'est que le BIPR, qui rejette la nécessité de définir clairement le cours historique (à la guerre ou aux affrontements de classe) est nécessairement forcé de se faire secouer ad eternam dans les balançoires de l'IMMEDIATISME, en ce qui concerne son analyse des affrontements de classe.
Nous avons vu comment BC et la CWO, en l'absence de luttes en Italie et en Grande-Bretagne, avaient parlé de passivité de la classe, en considérant comme des "exceptions" sans importance les vagues de luttes en Allemagne, en Espagne, etc. (Perspectives pour la CWO, Workers Voice n°39). Avec le développement des luttes, d'abord en Italie, puis en Angleterre, BC d'abord, la CWO ensuite, ont commencé à parler de reprise des luttes. Avec le reflux de ces deux périodes de luttes, aussi bien dans BC que dans la CWO (surtout) sont ressorties les analyses pessimistes, les discours sur l'isolement des communistes, etc. Nous savons bien que BC dans le n°11 de sa revue Prometeo a tout juste nié que ses analyses dépendent d'influences localistes et/ou immédiatistes. Il nous semble cependant que les faits sont plus convaincants que les démentis de BC.
Le dernier problème qui naît du développement des contradictions dans lesquelles tourne en rond le BIPR concerne l'existence même du BIPR, c'est le fait même que sur une question aussi décisive que "qu'est ce qui se passe et que devons-nous faire ?", il y ait dans l'organisation au moins trois positions; cela en dit long sur leur désorientation. Mais ce qui est le plus grave, ce n'est pas qu'il existe des positions différentes, mais qu'elles s'expriment côte à côte, en s'ignorant et sans le moindre souci de débat pour chercher à résoudre les divergences.
La chose est d'autant plus grave qu'en 1980, BC et la CWO, pour justifier leur sabotage des Conférences internationales, affirmaient qu'il fallait en finir avec la méthode utilisée par le CCI "pour résoudre les divergences politiques -c'est-à-dire les minimiser- pour maintenir l'unité" (Revolutionary Perspectives n°18). Le BIPR, créé au contraire pour "favoriser l'harmonisation politique (des organisations qui lui sont affiliées) en vue de leur centralisation organisationnelle" (statuts du BIPR) se retrouve aujourd'hui, après cinq ans d'existence, avec ces résultats : la non-homogénéité n'a pas diminué entre BC et la CWO, en revanche cependant, elle a augmenté à l'intérieur de la CWO. Ce n'est pas nous qui nous en étonnerons vu qu'on notait déjà en 1985 : "ce qui est sûr, c'est que nous, nous ne pourrons jamais accuser BC et la CWO de 'minimiser' leurs divergences ; en réalité, ils les font purement et simplement disparaître"6.
Le résultat de cette méthode erronée, c'est une difficulté croissante pour le BIPR à remplir le rôle qui incombe à un pôle de regroupement international. Ce rôle ne consiste pas seulement à chercher à regrouper autour de soi les noyaux avec lesquels on a des points de contact, mais aussi à savoir faire un barrage aux tendances négatives qui menacent l'ensemble du milieu révolutionnaire. La lettre, déjà citée, au Collectif Alptraum, qui est une exhortation à ne pas SUR-évaluer la lutte de classe, envoyée à un groupe sur le point de couler à cause de sa SOUS-estimation de la lutte de classe, est un bon exemple de cette difficulté.
Mais le risque le plus grand réside dans la contamination des bases politiques du BIPR lui-même. Les virages périodiques de la CWO, la tendance manifeste à se retirer de l'intervention pour "faire de la théorie", ne mènent à aucun approfondissement théorique, mais seulement à une remise en discussion systématique de la clarté atteinte précédemment ("le moteur de l'histoire n'est plus la lutte de classe, mais la guerre" ; "le capitalisme d'Etat n'est plus la tendance dominante à notre époque" ; "nous sommes dans une phase de domination croissante du capital" ne sont que quelques exemples de ces résultats intéressants.)
Ce n'est pas en tournant le dos à l'engagement militant qu'on avancera en quoi que ce soit théoriquement. Il y a trois ans, en saluant l'apparition des thèses du collectif Alptraum, nous mettions déjà en garde : "Le CCA doit se situer plus activement, plus directement sur le terrain de l'intervention politique au sein du mouvement actuel du prolétariat (...). La théorie révolutionnaire ne peut vivre et se développer qu'en vue de cette intervention, surtout dans la période historique actuelle."7
Cette mise en garde, nous la réitérons aujourd'hui auprès des camarades de la CWO, du BIPR, de tous les groupes du milieu révolutionnaire. Les batailles décisives sont devant nous. Veillons à ce qu'elles ne nous trouvent pas la tête dans le sable.
Beyle
1 Pour le bilan des 20 ans depuis 68 tiré par le CCI, voir l'ensemble des articles publiés dans le numéro 53 de la Revue Internationale et la série d'articles sur le milieu dans les numéros 53 et 54 et à paraître dans le n°56.
2 Bulletin d'études de discussion de Révolution Internationale n°4, janvier 74.
3 "L'évolution du milieu révolutionnaire depuis 1968 (II)", Revue Internationale n°54, p.l9.
4 Programme Communiste a tenté de forcer la cadence dans les années 70, avec une bataille politique complètement inadéquate : la catastrophe était inévitable.
5 Lettre publiée dans le n°13 du bulletin du Communist Bulletin Group
6 "BIPR : un regroupement-bluff". Revue Internationale n°40
7 "Une nouvelle voix de classe à Mexico". Revue Internationale n°40.
INTRODUCTION
Il y a 70 ans, le prolétariat en Allemagne se lançait dans la plus importante expérience de son histoire. Il s'attelait à la tâche de porter plus loin la flamme de la révolution que le prolétariat russe avait allumée en 1917, pour l'étendre à l'Europe de l'ouest.
Partout en Allemagne des conseils d'ouvriers et de soldats surgirent dans les premiers jours de novembre 1918. L'exemple des ouvriers en Russie, qui était également repris par les ouvriers en Autriche et en Hongrie, et, dans une certaine mesure, en Italie, constituait un formidable stimulant.
Les révolutionnaires avaient mis tous leurs espoirs dans l'Allemagne parce que, plus que toute autre, la classe ouvrière dans ce pays, du fait de sa position-clé en Europe, pouvait venir en aide aux ouvriers isolés en Russie, en battant la classe capitaliste en Allemagne, ouvrant ainsi la voie de la révolution mondiale.
Le destin de la classe ouvrière internationale, et même celui de toute l'humanité, se trouvait entre les mains de la classe ouvrière en Allemagne. La capacité de celle-ci à pousser vers une révolution victorieuse, à conquérir le pouvoir et à le maintenir, devait être décisive pour le cours ultérieur des luttes en Russie, au centre de l'Europe, et même à l'échelle mondiale. Mais les obstacles à affronter étaient à la mesure de l'immense responsabilité qui reposait sur la classe ouvrière en Allemagne. Le prolétariat faisait face à une classe capitaliste fortement expérimentée et bien armée contre la classe ouvrière. Classe dominante d'un pays industrialisé, elle était capable d'opposer une résistance bien plus âpre que la bourgeoisie en Russie qui avait été chassée relativement rapidement sans bain de sang pour le prolétariat en octobre 1917.
Tous les révolutionnaires étaient conscients de cela. Ainsi Lénine écrivait le 23 juillet 1918: "Tour nous, il était plus facile de commencer la révolution, mais il est extrêmement difficile pour nous de la poursuivre et de l’accomplir. Et la révolution a des difficultés énormes pour aboutir dans un pays aussi industrialisé que l'Allemagne, dans un pays avec une bourgeoisie aussi bien organisée." (Discours à la Conférence de Moscou des délégués de comités d'usines).
En comprenant ce qui était en jeu, les révolutionnaires en Russie en particulier étaient prêts à venir en aide aux ouvriers en Allemagne. Bien avant le véritable surgissement des ouvriers, Lénine écrivait le 1er octobre 1918: "Pour les masses ouvrières allemandes nous sommes en train de préparer... une alliance fraternelle, une aide alimentaire et militaire. Nous allons tous mettre nos vies en jeu pour aider les ouvriers allemands, pour pousser en avant la révolution qui a commencé en Allemagne." (Lettre à Sverdlov, dans "Lénine: sur l'Allemagne et le mouvement des ouvriers allemands", Berlin-Est 1957).
Mais la bourgeoisie allemande a aussi reçut le soutien de la classe dominante d'autres pays, en particulier des "vainqueurs" de la 1ère guerre mondiale qui étaient effrayés par le spectre de l'extension de la révolution prolétarienne mondiale. Alors qu'auparavant les différentes bourgeoisies nationales s'étaient entre-déchirées pour la conquête de territoires sur les champs de bataille de la guerre impérialiste au prix de plus de 20 millions de morts et un nombre innombrable de blessés, elles étaient désormais prêtes à resserrer leurs rangs vis-à-vis d'une classe ouvrière combattant sur son terrain de classe. Une fois encore était confirmé que la classe dominante, divisée par nature, tend à s'unifier dans une situation révolutionnaire pour faire face à la classe ouvrière.
Le soulèvement de la classe ouvrière en Allemagne contre le régime capitaliste put être enrayé par la bourgeoisie. Plus de 20 000 ouvriers furent massacrés et plus encore furent blessés entre 1918 et le début des années 1920. La bourgeoisie en Allemagne parvint en 1919 à décapiter la direction du prolétariat, le KPD (Parti Communiste). Rosa Luxemburg et Karl Liebknecht furent assassinés par les corps francs organisés du SPD (Parti Social-Démocrate) au cours du soulèvement de janvier 1919. Même si le KPD qui venait d'être fondé au feu des luttes de décembre 1918-jan-vier 1919 fut un des premiers à se prononcer contre les syndicats et le parlement, il était engagé dans les luttes avec des positions programmatiques insuffisamment élaborées, mal préparé organisationnellement, et divisé peu de temps après sa fondation. Politiquement affaibli, le prolétariat ne put faire la preuve de sa capacité dans le cours des luttes à surmonter ces faiblesses.
Les tentatives d'étendre la vague révolutionnaire au-delà des frontières russes échouèrent avec la défaite de la classe ouvrière en Allemagne. Ceci devait avoir des conséquences catastrophiques pour la classe ouvrière internationale. Avec la défaite des luttes en Allemagne, la bourgeoisie était capable d'entreprendre une offensive à l'échelle mondiale contre la classe ouvrière. Ceci plaça les ouvriers en Russie dans une situation d'isolement encore plus grand face aux attaques des armées blanches. L'écrasement des luttes révolutionnaires en Allemagne, et, du fait de celui-ci, l'isolement des ouvriers en Russie, accélérèrent ainsi la défaite de la révolution en Russie; l'échiné du prolétariat isolé pouvait être ainsi brisée.
LES LUTTES EN ALLEMAGNE ET EN RUSSIE : LA MEME FORCE LES DYNAMISAIT LA MEME PERSPECTIVE LES UNISSAIT
Les luttes en Allemagne furent stimulées par la même force que les luttes de la classe ouvrière en Russie.
Après la mobilisation de la classe ouvrière en Allemagne sur le champ de bataille pour les buts de la guerre impérialiste de la bourgeoisie allemande, à travers la trahison ouverte de la fraction parlementaire qui était à la tête du SPD en août 1914, et après que les syndicats aient maintenu un calme relatif dans les usines et dans la classe ouvrière dans son ensemble dans les premières années de la guerre, la classe ouvrière, surtout à partir de 1916, releva lentement la tête. La vague de grèves sauvages qui, à partir de l'hiver 1917, commença à secouer l'industrie d'armement à l'arrière, et la résistance contre une politique amenant la famine, mit le feu au mouvement particulièrement au cours de l'hiver 1917-18. Ces luttes ouvrières contre la guerre et ses misères, sous l'influence de la révolution russe, montrèrent clairement qu'en Allemagne aussi, la classe ouvrière, malgré un affaiblissement significatif à cause de la guerre, se remettait de la défaite et de l'ivresse chauviniste et guerrière. Au contraire elle était en train de se dresser contre la politique de guerre à l'extérieur et de paix sociale à l'intérieur (Burgfrieden). Cette vague de grèves brisa cette paix sociale sur laquelle s'étaient mis d'accord les syndicats et le capital au début de la guerre. Cet accord non seulement emporta irréversiblement les syndicats dans le camp de la bourgeoisie, mais constitua aussi un pilier de la domination du capital.
Le mouvement de novembre 1918 mit en avant les mêmes revendications que celles avancées un an auparavant par les ouvriers en Russie: du pain et la paix. Le mouvement contre la guerre partit non du front, mais des usines.
Son axe central unificateur était alors la lutte contre la faim, contre la continuation de la guerre. Il était nécessaire de mettre à bas la classe dominante pour satisfaire ces revendications.
C'est pourquoi les Spartakistes et Rosa Luxemburg résumèrent le but et les premières mesures qu'il y aurait à prendre dans les termes suivants: "Le but de la révolution (l'abolition de la domination du capital, la réalisation de l'ordre socialiste de la société) indique clairement sa marche, la tâche dicte sa méthode. Tout le pouvoir dans les mains des masses, dans les mains des conseils d'ouvriers et de soldats assurant le travail de la révolution face à ses lâches ennemis : telle est l'orientation pour toutes les mesures du gouvernement révolutionnaire :
- le développement futur et la réélection des conseils locaux d'ouvriers et de soldats pour que ce premier geste impulsif et chaotique de leur surgissement puisse être remplacé par le processus conscient d'auto-compréhension sur les buts, les tâches et la marche de la révolution;
- le rassemblement permanent de ces représentants des masses et la prise en main du pouvoir politique réel depuis le plus petit comité ('Vollzugsrat') à la plus large formation de conseils d'ouvriers et de soldats;
- la formation d'une garde rouge prolétarienne;
- l'appel immédiat à un congrès mondial d'ouvriers en Allemagne pour indiquer directement et clairement le caractère socialiste et international de la révolution. La révolution internationale, mondiale, du prolétariat est le seul point d'ancrage du futur de la révolution allemande" (Le début, 18 novembre 1918, Rosa Luxemburg, Oeuvres Choisies, Vol.4, édition est-allemande, p.398).
Partout les ouvriers étaient au centre des luttes. Les ouvriers se rassemblèrent en conseils d'ouvriers et de soldats dans presque toutes les grandes villes. Les syndicats, qui durant la guerre s'étaient eux-mêmes révélés être le meilleur rempart du capital, perdirent de l'influence pendant cette phase initiale. Comme Lénine l'avait dit, les conseils d'ouvriers et de soldats se révélaient être la forme enfin trouvée de l'organisation de la révolution ouvrière. Les ouvriers formaient des manifestations pour resserrer leurs rangs comme une seule classe, pour montrer leur véritable force dans la société. D'innombrables manifestations eurent lieu en novembre, décembre, dans la plupart des grandes villes allemandes. Elles étaient le point d'unification de la classe ouvrière par-delà toutes les limites d'usine et de région. C'est pourquoi les communistes y attachèrent autant d'importance dans leur agitation:
"En période de crise révolutionnaire, la rue appartient naturellement aux masses. Elles sont le seul refuge, la seule sécurité de la révolution... Leur présence même, les contacts entre elles, sont une menace et un avertissement contre tous les ennemis ouverts et cachés de la révolution." (Devoirs inaccomplis, Rosa Luxemburg, 8 janvier 1919, vol.4, p.524).
Tout comme en Russie, des résolutions étaient adoptées, des délégations mandatées, et des mesures prises contre les institutions étatiques. Les formes de lutte qui dans la décadence du capitalisme devaient devenir les armes typiques du prolétariat étaient en place : grèves sauvages, formation de conseils d'ouvriers et de soldats comme organes unitaires de la classe, manifestations de masse rassemblant tous les ouvriers quelle que soit leur profession, qu'ils aient ou non du travail, initiatives des ouvriers eux-mêmes.
Comme l'avaient proclamé en Russie les conseils ouvriers et les révolutionnaires à leur tête, la perspective du mouvement consistait en l'extension immédiate de la révolution aux autres pays pour la construction d'une société communiste:
"... Le moment des comptes avec la domination capitaliste est venu. Mais cette grande tâche ne peut pas être remplie par le seul prolétariat allemand. Ce dernier ne peut lutter et vaincre que s'il appelle à la solidarité des prolétaires du monde entier." ("Aux prolétaires de tous les pays", 25 novembre 1918, Spartakusbund).
Les ouvriers s'étaient entre massacrés comme chair à canon de chaque capital national dans la guerre impérialiste. La classe ouvrière en Europe était paralysée par le poison nationaliste. Surtout dans les pays "Vainqueurs" comme la France en particulier où la bourgeoisie sut utiliser la "victoire" pour entretenir le chauvinisme et le nationalisme parmi la classe ouvrière.
Les spartakistes, considérant cette faiblesse du prolétariat international, et convaincus qu'ils étaient de la nécessité de l'extension de la révolution, proclamaient ainsi:
"Souvenons-nous ! Vos capitalistes victorieux sont prêts à f supprimer dans le sang notre révolution qu'ils craignent tout autant que la vôtre. Vous n'êtes vous-mêmes pas devenus plus libres à travers la 'victoire', vous êtes seulement devenus plus esclaves. Si vos classes dominantes réussissent à étrangler la révolution prolétarienne en Allemagne et en Russie, elles se retourneront contre vous avec une férocité redoublée...Elisez des conseils d'ouvriers et de soldats partout pour prendre le pouvoir politique et établir la paix ensemble avec nous...". (Ibid.)
LA BATAILLE POUR LA PRISE DU POUVOIR PAR LES CONSEILS OUVRIERS
La classe ouvrière en Russie réussit à renverser le gouvernement bourgeois, après des mois de polarisation du pouvoir entre les soviets et le gouvernement provisoire, pour prendre le pouvoir elle-même à travers les soviets. Le gouvernement provisoire put être renversé sans bain de sang. Les conseils d'ouvriers et de soldats furent rapidement capables d'exercer un contrôle réel dans tout le pays. Ce fut seulement quelque temps APRES la prise du pouvoir victorieuse à travers les conseils de soldats et d'ouvriers, que la bourgeoisie put commencer une contre-offensive effective qui jeta le pays dans une guerre civile qui fit couler le sang des ouvriers et des paysans, avec le soutien des armées blanches, pour finalement pas à pas complètement les priver de leur pouvoir (Voir Revue internationale n°2).
Bien que le mouvement en Allemagne ait été mené par la classe ouvrière, qui mit en avant les mêmes perspectives en lien direct avec les luttes des ouvriers en Russie, les ouvriers en Allemagne ne réussirent pas à renverser la classe capitaliste. La bourgeoisie torpilla le pouvoir des conseils d'ouvriers et de soldats dès le début. Elle ne permit jamais la formation d'un nouveau centre de pouvoir des ouvriers. Elle provoqua des affrontements militaires prématurés pour la classe ouvrière, à un moment où celle-ci n'était pas encore mûre pour l'insurrection. Elle lança immédiatement des confrontations armées et infligea des coups dévastateurs aux ouvriers sur le terrain militaire, APRES avoir préparé politiquement ce terrain.
L'aspect le plus important fut le véritable désarmement politique, et la destruction politique des conseils d'ouvriers et de soldats de Berlin, qui survécurent seulement de nom (nom qui fut employé par le capital contre la révolution).
La mainmise des sociaux-démocrates sur les conseils, la transformation de ceux-ci en organes contrôlés par l'Etat bourgeois, la dénaturation des conseils ouvriers, ont eu pour effet de détruire de l'intérieur les conseils. De conseils-organes prolétariens pour l'organisation en classe du prolétariat et la destruction de l'Etat bourgeois, ils deviennent la caution de l'Etat social-démocrate avant que celui-ci les supprime définitivement par l'instauration de l'Assemblée nationale; fort de son contrôle sur les conseils, la social-démocratie peut organiser la provocation de janvier 1919 à Berlin pour décapiter le mouvement prolétarien et le parti spartakiste.
La montée du mouvement en novembre-décembre 1918 fut brisée dès les premiers mois de 1919.
Avec l'aide des corps francs, force militaire contre-révolutionnaire mise en place à la veille de la dissolution de l'armée régulière, à la fin de la guerre, avec l'aide du gouvernement social-démocrate SPD, la bourgeoisie parvint à massacrer les ouvriers de Berlin en janvier 19, de Brème en février, en mars en Allemagne centrale et dans la région de la Ruhr, en avril-mai à Munich, les uns après les autres, ville par ville, région par région, paquet par paquet, écrasant la colonne vertébrale du mouvement.
Bien que ceci n'ait pas mis fin à la combativité de la classe ouvrière, et que la classe ouvrière ait encore repris la lutte jusqu'en 1923 (du soulèvement contre le putsch du général Kapp en avril 1920, jusqu'au soulèvement en Allemagne centrale en mars 1921 et à Hambourg en octobre 1923), en fait le mouvement était défait dès les premiers mois de 1919.
LES ORIGINES DE LA DEFAITE AU COEUR DE LA VAGUE REVOLUTIONNAIRE
Tout comme l'échec des révolutions ouvrières les plus importantes de 1848, 1871, 1905, la vague révolutionnaire de 1917-23 ne fut pas simplement le résultat des fautes, ou même de l'absence d'une avant-garde révolutionnaire; dans le même sens, la défaite de la classe ouvrière en Allemagne ne peut pas simplement être expliquée par la faible influence et le manque d'expérience du Parti Communiste (nouvellement créé). L'influence relativement faible du KPD reflétait à son tour une faiblesse profondément ancrée dans la classe ouvrière elle-même : la difficulté à comprendre le changement fondamental pour la perspective communiste que constituait l'ouverture d'une nouvelle période historique de décadence et de décomposition du mode de production capitaliste.
Il est vrai que le retard dans la formation de fractions révolutionnaires en Allemagne a été une cause déterminante du retard des révolutionnaires allemands à affronter la nouvelle situation. Le parti communiste s'est formé trop tard et trop rapidement sous la poussée de la révolution de novembre, sans une longue tradition de luttes et de combat contre la bourgeoisie et les fractions bourgeoises dans la social-démocratie, dont la politique contre-révolutionnaire s'était révélée pleinement en 1914.
LA GUERRE n'est pas la meilleure condition pour l'issue victorieuse de la révolution
Néanmoins, bien qu'à la fois la Commune de Paris et la grève de masse de 1905 aient surgi dans des moments de guerre, le mouvement marxiste s'attendait à ce que la révolution soit déclenchée non en réaction à la guerre, mais comme conséquence ultime de la résistance du prolétariat à la crise économique.
La chute rapide du capitalisme dans le bain de sang de la 1ère Guerre mondiale rendait incomparablement plus difficile pour la classe ouvrière le développement d'une pleine conscience de la gravité réelle et la signification de cette guerre. Après avoir subi le massacre bestial de la guerre, la classe ouvrière était surtout consciente des conséquences de la guerre, sans être déjà consciente des autres conséquences de la décadence du capitalisme.
Ce fait avait déjà amené Rosa Luxemburg à tirer la conclusion suivante: "En partant de la base du développement historique, on ne peut pas attendre d'une Allemagne qui a présenté la terrible image du 4 août 1914 et des quatre années qui ont suivi, de pouvoir soudainement faire le 9 novembre 1918 l’expérience d'une magnifique révolution de classe consciente de ses buts. Ce que nous avons vécu le 9 novembre 1918 était aux trois-quarts plus un effondrement de l'impérialisme existant que la victoire d'un nouveau principe. Le moment était simplement venu pour que l'impérialisme, comme un géant aux pieds d'argile, pourri de l'intérieur, n'ait qu'à s'effondrer. Ce qui s'ensuivit fut un mouvement plus ou moins chaotique, sans plan, très peu conscient, dans lequel l'unique lien et principe resté sauf était résumé dans le seul slogan: formation de conseils d'ouvriers et de soldats." (Congrès de fondation du KPD, 1918-19, Oeuvres Choisies, vol.4, p.497).
Bien que le capitalisme soit à cette époque entré dans une phase de décomposition, ceci n'amena pas automatiquement et mécaniquement la classe ouvrière à comprendre toutes les implications du changement de période. La classe ouvrière souffrait encore du poids du réformisme et n'était pas capable de tirer toutes les leçons de cette nouvelle époque aussi rapidement que l'évolution des événements eux-mêmes.
L'illusion d'un retour à la prospérité du 19ème siècle fut renforcée à partir du moment où la bourgeoisie accordait la paix.
LES LEÇONS DE LA REVOLUTION EN ALLEMAGNE
Les anciennes armes du prolétariat se retournent contre les ouvriers
En Allemagne où la classe ouvrière au siècle dernier avait développé le plus le pouvoir des syndicats et du parti de masse, le SPD, ceci pesait d'un poids particulier. Les anciens piliers du prolétariat servaient désormais directement de gardes-chiourmes contre la classe ouvrière:
- les SYNDICATS passèrent un accord avec les patrons en 1914 pour interdire les grèves; sans cela, l'énorme production d'armements et la paix du début sur le "front de la production" n'auraient pas été possibles; ils agirent désormais comme forteresse contre les conseils d'ouvriers et de soldats;
- la participation aux ELECTIONS PARLEMENTAIRES, l'espoir d'obtenir des concessions de la part de la bourgeoisie dans la phase de décadence et d'utiliser la tribune du Parlement pour gagner les ouvriers hésitants à la cause de la révolution, se révéla non seulement être une illusion, mais aussi un dangereux poison;
- le SPD, sous le contrôle de la direction de droite, avec plusieurs millions de membres du parti, n'était pas seulement devenu inutile comme parti de masse, mais une arme directe du capital soutenant la guerre, puis ensuite dans l'écrasement des luttes révolutionnaires.
L'aile droite du SPD passa dans le camp de la bourgeoisie en 1914, à travers son vote aux crédits de guerre. Ceci se fit contre l'âpre résistance d'une petite minorité qui gagna du terrain au cours de la guerre, mais qui, en 1917, fut expulsée par la direction du SPD, et dont la majorité de cette minorité constitua l'USPD (Parti Social-Démocrate Indépendant). Après avoir été une arme du prolétariat, le SPD devait devenir le bourreau du prolétariat en 1918-19. En Allemagne où résidaient les plus importantes concentrations du prolétariat en Europe et où les ouvriers avaient accumulé l'expérience organisationnelle la plus étendue, la classe ouvrière souffrait aussi le plus du poids du réformisme et de l'influence de l'opportunisme.
Avec le surgissement des luttes révolutionnaires en 1918, la classe ouvrière non seulement ne put faire face aux armes qu'elle avait elle-même forgées et utilisées au siècle dernier et qui étaient maintenant tombées dans les mains de ses bourreaux, mais elle avait aussi à combattre contre le poids des traditions du réformisme.
Mais la reconnaissance que ces anciennes armes (parlement, syndicats) sont devenues caduques ne tombe pas du ciel et doit être élaborée dans la pratique. Le prolétariat n'a pas d'autre chemin d'apprentissage qu'à travers sa propre expérience.
La transition du capitalisme de sa phase ascendante à sa phase de décadence était un facteur objectif. Mais la classe ouvrière elle-même n'avait fait que commencer à tirer les premières leçons du changement de situation. Même les organisations révolutionnaires, l'avant-garde du prolétariat, étaient loin d'avoir tiré les leçons de cette nouvelle période.
La gauche de la social-démocratie avait déjà commencé avant la guerre à se confronter à la reconnaissance de l'apparition d'une nouvelle période (cf. les positions de Luxemburg, Pannekoek, Radek, etc., sur la grève de masse, le parti, la question nationale, la lutte contre le réformisme et l'opportunisme). Mais l'avant-garde révolutionnaire ne prit elle-même position que dans le feu de la lutte sur beau coup de ces questions. Dans les premières années après 1914, il n'y avait pas encore d'assimilation profonde et étendue de toutes les implications du changement de période.
La leçon première de la révolution allemande - sur laquelle nous reviendrons dans un prochain article - est évidemment la question du rapport du prolétariat à l'Etat bourgeois, des conseils comme organes du pouvoir dont le rôle est non seulement d'organiser unitairement le prolétariat mais de détruire l'ensemble de l'Etat capitaliste. L'échec de l'Allemagne vérifie par la négative la justesse des Thèses d'Avril de Lénine en 1917. Les conseils ouvriers doivent prendre le pouvoir et détruire l'ensemble de l'appareil politique de la bourgeoisie, dont la social-démocratie en Allemagne était le principal défenseur idéologique, et même le corps armé par l'organisation des corps francs dès décembre 1918. Nous reviendrons sur ces principales leçons, décisives pour l'avenir de la future révolution mondiale.
Le capitalisme était entré dans sa période de décadence avec la 1ère guerre mondiale. La nécessité de sa transformation par une révolution prolétarienne mondiale se trouva ainsi à l'ordre du jour de l'histoire ainsi que le souligna 1l'Internationale communiste
"Une nouvelle époque est née. Epoque de désagrégation du capitalisme, et de son effondrement intérieur. Epoque de la révolution communiste du prolétariat". (Plate-forme de l’IC, 1919).
Les pré conditions objectives de la révolution prolétarienne étaient remplies. Mais, par elles-mêmes, elles ne suffisent pas. Bien que le capitalisme développe un cours irrésistible vers la destruction, il ne se détruira pas lui-même. Seule la classe ouvrière est capable de l'abolir. Mais pour ce faire, le fossoyeur de l'ancienne société, le prolétariat, doit avoir suffisamment développé ses armes (sa conscience et sa capacité organisationnelle) pour détruire véritablement le système capitaliste. La première vague révolutionnaire, dont la clé de la généralisation à l'échelle mondiale résidait dans les mains de la classe ouvrière en Allemagne, échoua finalement parce que le prolétariat, après quatre ans de boucherie dans les tranchées, ne réussit pas à se relever de la déroute politique d'août 14 avec la trahison des grands partis sociaux-démocrates appelant à l'union nationale et à la participation à la guerre impérialiste.
Bien que l'insurrection ait échoué et ait abouti à une défaite, elle reste néanmoins une partie de l'expérience internationale et historique de la classe ouvrière mondiale. L'insurrection victorieuse en Russie, tout autant que la défaite rapide des ouvriers en Allemagne, sont deux éléments- clés dans la vague révolutionnaire, deux parties d'un seul et même processus, deux expériences d'une seule et même tentative de la classe ouvrière de renverser le système capitaliste.
(à suivre) Dino. Eté 88.
Quelques dates :
1914
4 août : la fraction parlementaire du SPD vote à l'unanimité (moins Ruhle) les crédits de guerre ; l'opposition commence à se rassembler.
1915
Février : Liebknecht mobilisé, Rosa Luxemburg emprisonnée.
Mars : Liebknecht et Ruhle votent contre les crédits de guerre.
Mai : tract de Liebknecht "L'ennemi est dans notre pays".
Décembre : 18 députés "centristes" votent contre les crédits militaires.
1916
1er Mai : manifestations ouvrières pour la paix.
Juin : grèves et manifestations en faveur de Liebknecht
1er Septembre : première Lettre de Spartakus
1917
Février : début de la révolution en Russie.
Avril : grèves à Berlin, premiers conseils ouvriers à Berlin et Leipzig ; l'opposition contre la guerre, exclue par la droite du SPD, forme l'USPD.
Août : manifestations de marins.
Octobre : le prolétariat prend le pouvoir en Russie.
Décembre : négociations de paix russo-allemande de Brest-Litovsk.
1918
Janvier : vague de grèves en Autriche et en Hongrie; vague de grèves à Berlin de 400 000 ouvriers ; le Conseil ouvrier de Berlin est formé.
Printemps et été : série de grèves, en particulier dans l'armement.
Octobre:
le 3 : le SPD entre au le gouvernement,
le 30 : les marins de Kiel refusent de repartir au front.
Novembre :
le 4 : la répression contre les marins provoque une vague de solidarité ; des conseils d'ouvriers et de soldats sont formés dans une douzaine de villes;
le 8 : le premier Gouvernement républicain est formé en Bavière ;
le 9 : accord entre le SPD et le Commandement militaire suprême contre la révolution ; l'Empereur abdique; Ebert, dirigeant SPD, chancelier du Conseil des commissaires du peuple; 3 membres du SPD et 3 membres de l'USPD forment ce gouvernement bourgeois au nom de la révolution.
le 10 : formation du Conseil d'ouvriers et de soldats du grand Berlin; son pouvoir est contrebalancé par le Conseil des commissaires du peuple.
le 11 : armistice ; organisation de la Ligue Spartakus avec une centrale.
le 12 : capitalistes et syndicats mettent en place le code du travail (journée de 8 heures sans perte de salaire décrétée pour le 1er janvier 1919).
le 16 : le SPD organise les corps francs (troupes contre-révolutionnaires).
le 23 : le Conseil d'ouvriers et de soldats de Berlin délègue le pouvoir exécutif au Conseil des commissaires du peuple.
Décembre :
les 6 et 8 : affrontements militaires et grandes manifestations à Berlin.
du 16 au 21 se tient le congrès des Conseils d'ouvriers et de soldats de Berlin ; 250 000 ouvriers manifestent sous la direction des Spartakistes.
le 23 : affrontements militaires à Berlin.
le 25 : manifestation de masse à Berlin; le quotidien du SPD est occupé.
le 29 : l'USPD quitte le gouvernement, Noske Ministre de la guerre.
les 30,31 et le 1er janvier 1919 se tient le Congrès de fondation du KPD
1919
Janvier:
le 5 : grandes manifestations à Berlin.
du 6 au 12 : batailles de rue à Berlin, Stuttgart, Nurenberg, Brème, Dusseldorf ; les corps francs rétablissent l'ordre à Berlin.
le 10 : proclamation d'une République des Conseils à Brème.
le 15 : assassinat de Rosa Luxemburg et Karl Liebknecht à Berlin.
le 16 : le "Rote Fahne", journal quotidien du KPD, est déclaré illégal.
le 26 : élections de l'assemblée constituante.
Février :
du 2 au 4 : écrasement de la République de Brème par les corps francs
le 11 : vague de grèves dans la Ruhr, Ebert élu président.
du 18 au 22 : intervention militaire par les mêmes corps francs
le 24 : grève générale en Allemagne centrale, en Saxe.
Mars :
le 2 : congrès de fondation de l'Internationale communiste à Moscou.
du 3 au 8 : grève générale à Berlin et "semaine sanglante" : intervention des mêmes corps francs de retour de la Ruhr
7 Avril : proclamation de la République des conseils de Bavière.
1er Mai : prise de Munich et massacre par les corps francs.
28 Mai : fin de la grève dans la Ruhr.
Fin Juin : grève des cheminots.
Août : liquidation de la République des conseils de Hongrie.
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[51] https://fr.internationalism.org/rinte55/decad.htm#_ftnref9
[52] https://fr.internationalism.org/en/tag/approfondir/comprendre-decadence-du-capitalisme
[53] https://fr.internationalism.org/en/tag/questions-theoriques/decadence
[54] https://fr.internationalism.org/en/tag/courants-politiques/gauche-communiste
[55] https://fr.internationalism.org/en/tag/courants-politiques/tci-bipr
[56] https://fr.internationalism.org/en/tag/courants-politiques/battaglia-comunista
[57] https://fr.internationalism.org/en/tag/courants-politiques/communist-workers-organisation
[58] https://fr.internationalism.org/en/tag/approfondir/polemique-milieu-politique-regroupement
[59] https://fr.internationalism.org/en/tag/heritage-gauche-communiste/lorganisation-revolutionnaire
[60] https://fr.internationalism.org/en/tag/5/38/allemagne
[61] https://fr.internationalism.org/en/tag/histoire-du-mouvement-ouvrier/revolution-allemande
[62] https://fr.internationalism.org/en/tag/heritage-gauche-communiste/revolution-proletarienne