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Revue Internationale no 87 - 4e trimestre 1996

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Conflits imperialistes : triomphe " du chacun pour soi " et crise du leadership americain

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Depuis les événements du Sud Liban du printemps dernier, les tensions inter-im­périalistes n'ont cessé de s'accumuler au Moyen‑Orient. Ainsi, une nouvelle fois, tous les discours des « batteurs d'es­trade » de la bourgeoisie quant au pré­tendu avènement d'une « ère de paix » dans cette région qui est l'une des prin­cipales poudrières impérialistes de la planète sont démentis. Cette zone, qui fut un enjeu majeur des affrontements entre les deux blocs pendant 40 ans, est au centre de la lutte acharnée que se li­vrent aujourd'hui les grandes puissances impérialistes qui composaient l'ex-bloc de l'Ouest. Derrière cet actuel regain de tensions impérialistes, il y a fondamenta­lement la contestation grandissante en­vers la première puissance mondiale dans l'une de ses principales chasses gardées, contestation gagnant même ses alliés et lieutenants les plus proches.

La première puissance mondiale contestée dans son fief

La politique musclée mise en place par les Etats-Unis, depuis plusieurs années, pour renforcer leur domination sur tout le Moyen-Orient et en tenir à l'écart tous leurs rivaux, a connu un sérieux dérapage avec l'arrivée au pouvoir de Néthanyaou en Israël ; et cela alors que Washington n'avait cessé d'affir­mer un soutien très appuyé au candidat tra­vailliste, Shimon Peres (Clinton s'était enga­gé personnellement dans ces élections comme jamais aucun président américain ne l'avait fait avant lui). Les conséquences de ce couac électoral n'ont pas tardé à se faire sentir. Contrairement à Peres qui tenait en mains solidement le parti travailliste, Néthanyaou ne parvient manifestement pas à contrôler son propre parti, le Likoud. Cela s'est illustré à travers la pagaille qui a pré­sidé à la formation de son gouvernement mais aussi à travers la mise en quarantaine à laquelle a été soumis D. Lévy, responsable des affaires étrangères. En fait Néthanyaou est soumis à la pression des fractions les plus dures et archaïques du Likoud dont le chef de file est A. Sharon. C'est celui-là même qui avait violemment dénoncé les in­gérences américaines dans les élections is­raéliennes, ingérences qui, selon lui, rédui­sent « Israël au rang de simple république bananière ». Il affirmait ainsi ouvertement la volonté de certains secteurs de la bour­geoisie israélienne à une plus grande auto­nomie vis à vis du pesant tuteur américain. Or, ces fractions, aujourd'hui, poussent à la « politique du pire » en remettant en cause l'ensemble du « processus de paix » imposé par le grand parrain américain avec l'accord du tandem Rabin/Peres, que ce soit envers les palestiniens (de nouvelles colonies de peuplement qui avaient été gelées par le gouvernement travailliste se mettent en place actuellement) ou vis à vis de la Syrie à travers la question du Golan. Et ce sont ces fractions qui ont tout fait pour retarder la rencontre, pourtant prévue de longue date, entre Arafat et Néthanyaou et qui, lorsque cette dernière a finalement lieu, s'activent pour la vider de tout contenu. Cette politi­que ne peut que mettre rapidement en porte-à-faux l'homme-lige des Etats-Unis qu'est Arafat, au point que ce dernier ne pourra pas longtemps conserver le contrôle de ses trou­pes sauf à hausser nettement le ton (ce qu'il a déjà commencé à faire) et ainsi s'achemi­ner vers un nouvel état de belligérance avec Israël. De même, tous les efforts déployés par les Etats-Unis, alternant la carotte et le bâton pour que la Syrie s'inscrive clairement dans son « processus de paix », efforts qui commençaient à porter leurs fruits, se trou­vent aujourd'hui remis en cause par la nou­velle intransigeance israélienne.

Cette arrivée au pouvoir du Likoud a aussi des conséquences sur l'autre grand allié des Etats-Unis dans la région, sur le pays qui, après Israël, est le principal bénéficiaire de l'aide américaine au Moyen Orient, à savoir l'Egypte ; et cela, alors même que cet état clef « du monde arabe » est, depuis un cer­tain temps déjà, l'objet de tentatives de dé­bauchage de la part des rivaux européens de la première puissance mondiale. ([1] [1]) Depuis l'invasion israélienne du Sud Liban, l'Egypte tend à se démarquer de plus en plus de la politique américaine en renforçant ses liens avec la France et l'Allemagne et en dénon­çant de plus en plus violemment la nouvelle politique d'Israël auquel elle est pourtant liée par un accord de paix.

Mais ce qui est sans doute l'un des symptô­mes les plus spectaculaires de la nouvelle donne impérialiste qui est en train de se créer dans la région, c'est l'évolution de la politique de l'Etat saoudien (qui a servi de Q.G. à l'armée américaine pendant la guerre du Golfe) à l'égard de son tuteur américain. Quels que soient les véritables commandi­taires, l'attentat perpétré à Dahran contre les troupes US visait directement la présence militaire américaine et exprimait déjà un net affaiblissement de l'emprise de la première puissance mondiale dans l'une de ses princi­pales places fortes au Moyen-Orient. Mais si l'on ajoute à cela l'accueil particulièrement chaleureux réservé à la visite de Chirac, chef d'un état qui est à la pointe de la contes­tation envers le leadership américain, on mesure l'importance de la dégradation des positions américaines dans ce qui était encore, il y a peu, un Etat soumis pieds et poings liés aux diktats de Washington. Manifestement la pesante domination de « l'Oncle Sam » est de plus en plus mal sup­portée par certaines fractions de la classe dominante saoudienne lesquelles cherchent, en se rapprochant de certains pays euro­péens, à s'en délester quelque peu. Que le prince Abdallah, successeur désigné au trône, soit à la tête de ses fractions montre la force de la tendance anti-américaine qui est en train de se développer.

Que des alliés aussi soumis et dépendants des Etats-Unis, tels Israël et l'Arabie Saoudite, puissent manifester des réticences à suivre en tous points les diktats de « l'Oncle Sam », qu'ils n'hésitent pas à nouer des relations plus étroites avec les princi­paux contestataires de « l'ordre américain » que sont la France, la Grande‑Bretagne et l'Allemagne ([2] [2]), cela signifie clairement que les rapports de force inter impérialistes dans ce qui était encore, il y a peu, une chasse gardée exclusive de la première puissance mondiale connaissent une modification im­portante. En 1995, si les Etats-Unis étaient confrontés à une situation difficile dans ex-Yougoslavie, en revanche ils régnaient en maîtres absolus sur le Moyen‑Orient. Ils avaient alors, en effet, suite à la guerre du Golfe, réussi à évincer totalement de la ré­gion les puissances européennes. La France voyait sa présence au Liban réduite à néant et perdait en même temps son influence en Irak. La Grande-Bretagne, quant à elle, n'était nullement récompensée de sa fidélité et de sa participation très active durant la guerre du Golfe, Washington ne lui ayant oc­troyé que quelques miettes dérisoires lors de la reconstruction du Koweït. L'Europe, lors des négociations israélo-palestiniennes, s'étaient vus offrir un misérable strapontin tandis que les Etats-Unis jouaient le rôle du chef d'orchestre disposant de toutes les car­tes dans leur jeu. Cette situation a globale­ment perduré jusqu'au show de Clinton lors du sommet de Charm El Cheikh. Mais, de­puis lors, l'Europe est parvenue à faire une nouvelle percée dans la région, d'abord dis­crètement puis plus franchement et forte­ment profitant du fiasco qu'a été l'opération israélienne au Sud‑Liban et exploitant habi­lement les difficultés de la première puis­sance mondiale. Celle-ci, en effet, avait de plus en plus de mal à faire pression non seulement sur les classiques récalcitrants de « l'ordre américain » comme la Syrie mais aussi sur certains de ses alliés les plus soli­des comme par exemple l'Arabie Saoudite. Le fait que cela se produise dans une chasse gardée aussi essentielle que le Moyen‑Orient pour le maintien du leader­ship de la superpuissance américaine est à lui seul un symptôme clair des sérieuses difficultés éprouvées par cette dernière pour préserver son statut sur l'arène impérialiste mondiale. Que l'Europe parvienne à se réin­troduire dans le jeu moyen-oriental, à défier ainsi les Etats-Unis dans une des zones du monde qu'ils contrôlent le plus fortement, exprime un affaiblissement incontestable de la première puissance mondiale.

Le leadership des Etats-Unis malmené sur la scène mondiale

Le revers subi au Moyen‑Orient par le gen­darme américain doit d'autant plus être sou­ligné qu'il intervient seulement quelques mois après la victorieuse contre‑offensive qu'il avaient réussi à mener dans l'ex‑Yougoslavie. Offensive qui était desti­née avant tout à remettre sérieusement au pas ses ex‑alliés européens qui étaient pas­sés à la rébellion ouverte. Le N° 85 de la présente revue, tout en soulignant, le recul subi en particulier à cette occasion par le tandem franco-britannique, notait en même temps les limites de ce succès américain en mettant en avant que les bourgeoisies euro­péennes, contraintes de reculer dans l'ex‑Yougoslavie, chercheraient un autre ter­rain pour riposter à l'impérialisme améri­cain. Ce pronostic s'est clairement vérifié avec les événements de ces derniers mois au Moyen‑Orient. Si les Etats-Unis conservent globalement le contrôle de la situation dans l'ex‑Yougoslavie -cela n'empêche que, là aussi, ils doivent toujours se confronter aux manoeuvres en sous-main des européens- on voit actuellement au Moyen-Orient que la domination qu'ils y exerçaient, jusque là sans partage, est de plus en plus remise en cause.

Mais la première puissance mondiale n'est pas seulement confrontée à la contestation de son leadership au Moyen‑Orient et ses difficultés ne se résument pas à cette seule partie du monde. On peut dire que dans la terrible foire d'empoigne que se livrent no­tamment les grandes puissances impérialis­tes, foire d'empoigne qui est la principale manifestation d'un système moribond, c'est pratiquement sur l'ensemble de la planète que les Etats-Unis sont confrontés à des ten­tatives plus ou moins ouvertes de remise en cause de leur leadership

Au Maghreb, leurs tentatives pour évincer ou, du moins, pour fortement amoindrir l'in­fluence de l'impérialisme français se heur­tent à de très sérieuses difficultés et tournent pour le moment plutôt à l'échec. En Algérie, la mouvance islamiste, largement utilisée par les Etats-Unis pour déstabiliser et porter de rudes coups au pouvoir en place et à l'im­périalisme français, est en crise ouverte. Les récents attentats du GIA sont à considérer plus comme des actes de désespoir d'un mouvement en train d'éclater que la manifes­tation d'une force réelle. Le fait que le prin­cipal bailleur de fonds des fractions islamis­tes, l'Arabie saoudite, soit de plus en plus réticent à continuer à les financer, affaiblit d'autant les moyens de pression américains. Si la situation est loin d'être stabilisée en Algérie, la fraction qui est au pouvoir avec l'appui de l'armée et du parrain français a nettement renforcé ses positions depuis la réélection du sinistre Zéroual. Dans le même temps, la France est parvenue à res­serrer ses liens avec la Tunisie et le Maroc alors que ce dernier notamment avait été très sensible, ces dernières années, au chant des sirènes américaines.

En Afrique noire, après le succès qu'ils ont remporté au Rwanda en parvenant à chasser la clique liée à la France, les Etats-Unis sont aujourd'hui confrontés à une situation beau­coup plus difficile. Si l'impérialisme français a renforcé sa crédibilité en intervenant de façon musclée en Centre‑Afrique, l'impéria­lisme américain, par contre, subit un revers au Liberia où il doit se résoudre à abandon­ner ses protégés. Les Etats-Unis ont tenté de reprendre l'initiative au Burundi en cher­chant à réitérer ce qu'ils avaient réussi à faire au Rwanda ; mais là également ils se sont heurtés à une vigoureuse riposte de la France qui a fomenté, avec l'appui de la Belgique, le coup d'état du major Bouyaya, rendant caduque « la force d'interposition africaine » que les Etats-Unis tentaient de mettre sur pieds sous leur contrôle. Il faut souligner que, pour une large part, ces suc­cès remportés par l'impérialisme français -lequel, il y a peu, était aux abois face à la pression américaine- sont dus pour une très grande part à l'efficacité de son étroite colla­boration avec l'autre ancienne grande puis­sance coloniale africaine qu'est la Grande‑Bretagne. Les Etats-Unis ont non seulement perdu l'appui de cette dernière mais ils la retrouvent aujourd'hui contre eux.

Concernant un autre enjeu important de la bataille qui se mène entre les grandes puis­sances européennes et la première puissance mondiale, à savoir la Turquie, là aussi cette dernière est en difficulté. Cet état a une im­portance stratégique cruciale au carrefour entre l'Europe, le Caucase et le Moyen‑Orient C'est un allié historique de l'Allemagne mais il a de solides liens avec les Etats-Unis notamment à travers son ar­mée qui a été largement formée par ces derniers lorsque le bloc américain existait. Pour Washington faire basculer la Turquie dans son camp et l'éloigner de Bonn repré­senterait donc une victoire particulièrement importante. Si la récente alliance militaire nouée par la Turquie avec Israël peut sem­bler correspondre aux intérêts américains, les principales orientations du nouveau gou­vernement turc -à savoir une coalition entre les islamistes et l'ex premier ministre T. Ciller- marquent au contraire une nette distanciation d'avec la politique américaine. Non seulement la Turquie continue à soute­nir la rébellion tchétchène contre la Russie, alliée des Etats-Unis, ce qui fait le jeu de l'Allemagne ([3] [3]), mais elle vient de faire un véritable pied de nez à Washington en si­gnant d'importants accords avec deux états particulièrement exposés à la vindicte amé­ricaine : l'Iran et l'Irak !

En Asie, le leadership de la première puis­sance mondiale est aussi contrarié. La Chine ne manque aucune occasion pour affirmer ses propres prérogatives impérialistes même si celles‑ci sont antagoniques à celles des Etats-Unis ; tandis que le Japon manifeste lui aussi des velléités à une plus grande au­tonomie vis à vis de Washington. De nouvel­les manifestations contre la présence des ba­ses militaires américaines se déroulent à in­tervalles réguliers et le gouvernement nip­pon déclare vouloir nouer des relations poli­tiques plus étroites avec l'Europe. Un pays comme la Thaïlande qui était un véritable bastion de l'impérialisme américain tend, lui aussi, à prendre ses distances en cessant de soutenir les Khmers rouges qui étaient les mercenaires des Etats-Unis, facilitant ainsi d'autant les tentatives de la France de re­trouver une influence au Cambodge.

Très significatives également d'un leader­ship contesté sont les incursions que font aujourd'hui les européens et les japonais dans ce qui est la chasse gardée par excel­lence des Etats-Unis : leur arrière-cour sud‑américaine. Même si ces incursions ne mettent pas fondamentalement en danger les intérêts américains dans cette zone et ne peuvent être mises sur le même plan que les manoeuvres de déstabilisation, souvent réussies, qui sont menées dans d'autres ré­gions du monde contre eux, il est significatif que ce sanctuaire des Etats-Unis, jusque‑là inviolé, soit à son tour l'objet de la convoi­tise de ses concurrents impérialistes. Cela marque une rupture historique dans la do­mination absolue qu'exerçait la première puissance mondiale sur l'Amérique Latine depuis la mise en avant de « la doctrine Monroe ». Alors que l'accord de l'ALENA, au‑delà de ses aspects économiques, visait avant tout à tenir fermement rassemblé sous la houlette de Washington l'ensemble du continent américain, des pays comme le Mexique, le Pérou ou la Colombie auxquels il faut ajouter le Canada, n'hésitent plus à contester certaines décisions des Etats-Unis contraires à leurs intérêts. Récemment le Mexique est parvenu à entraîner pratique­ment tous les états sud‑américains dans une croisade contre la loi Helms-Burton promul­guée par les Etats-Unis pour renforcer l'em­bargo économique contre Cuba et sanction­ner toute entreprise qui passerait outre cet embargo. L'Europe et le Japon se sont em­pressés d'exploiter à leur avantage ces ten­sions occasionnées par la lourde pénalisation occasionnée par cette loi et que subissent de nombreux états d'Amérique Latine. L'excellent accueil réservé au président co­lombien Samper lors de son voyage en Europe, alors que les Etats-Unis font tout pour l'évincer, en constitue une nouvelle il­lustration. Ainsi le journal français Le Monde peut écrire dans son édition du 4 septembre 1996 : « Alors que jusqu'ici, les Etats-Unis ignoraient calmement le Groupe de Rio (association regroupant presque tous les pays du sud du continent), la présence à Cochabamba (lieu où se réunissait ce groupe) de M. Albright, ambassadrice des Etats-Unis à l'ONU, est particulièrement remarquée. Selon certains observateurs, c'est le dialogue politique instauré entre les pays du Groupe de Rio avec l'Union Européenne, puis avec le Japon, qui expli­que le changement d'attitude des Etats-Unis..... »

Disparition des blocs impérialistes, triomphe du « chacun pour soi »

Comment expliquer cet affaiblissement de la superpuissance américaine et les remises en question de son leadership alors qu'elle reste la première puissance économique de la pla­nète et, plus encore, dispose d'une supério­rité militaire absolue sur tous ses rivaux im­périalistes. A la différence de l'URSS, les Etats-Unis ne se sont pas effondrés lors de la disparition des blocs qui avaient régenté la planète depuis Yalta. Mais cette nouvelle situation a néanmoins profondément affecté la seule superpuissance mondiale restante. Nous en donnions d'ailleurs déjà les raisons dans la « Résolution sur la situation inter­nationale » du 12e congrès de RI publiée dans la Revue Internationale n° 86.

Soulignant que le retour en force des Etats-Unis, suite à leur succès yougoslave, ne si­gnifiait nullement qu'ils aient définitivement surmonté les menaces pesant sur leur lea­dership, nous écrivions : « Ces menaces proviennent fondamentalement...... du cha­cun pour soi, du fait qu'il manque aujour­d'hui ce qui constitue la condition princi­pale d'une réelle solidité et pérennité des alliances entre Etats bourgeois dans l'arène impérialiste : l'existence d'un ennemi com­mun menaçant leur sécurité. Les différentes puissances de l'ex‑bloc occidental peuvent, au coup par coup, être obligées de se sou­mettre aux diktats de Washington, mais il est hors de question pour elles de maintenir une quelconque fidélité durable. Bien au contraire, toutes les occasions sont bonnes pour saboter, dès qu'elles le peuvent, les orientations et dispositions imposées par les Etats Unis. »

L'ensemble des coups de boutoirs portés ces derniers mois au leadership de Washington s'inscrit totalement dans ce cadre, l'absence d'ennemi commun fait que les démonstra­tions de force américaine voient leur effica­cité se réduire de plus en plus. Ainsi, « la Tempête du Désert », malgré les moyens politiques, diplomatiques et militaires con­sidérables mis en oeuvre par les Etats-Unis pour imposer leur « nouvel ordre », n'était parvenue à freiner les velléités d'indépen­dance des « alliés » des Etats-Unis que pen­dant un an. Le déclenchement de la guerre en Yougoslavie durant l'été 1992 signait, en effet, l'échec de « l'ordre américain ». Même le succès remporté par les Etats-Unis, fin 1995, dans l'ex‑Yougoslavie n'a pu em­pêcher que la rébellion ne s'étende dès le printemps 1996 ! D'une certaine façon, plus les Etats-Unis font étalage de leur force, plus ils tendent à raffermir la détermination des contestataires de « l'ordre américain » qui entraînent dans leur sillage d'autres Etats jusque là plus dociles aux diktats ve­nant de Washington. Ainsi lorsque Clinton veut entraîner l'Europe dans une croisade contre l'Iran au nom de l'anti-terrorisme, la France, la Grande Bretagne et l'Allemagne lui répondent par une fin de non-recevoir. De même ses prétentions de vouloir punir des Etats commerçant avec Cuba, l'Iran ou la Libye n'ont pour seul résultat que de provo­quer, comme on l'a vu jusqu'en Amérique latine, une levée de boucliers contre les Etats-Unis. Cette attitude agressive a aussi une incidence sur un pays de l'importance de l'Italie dont « le coeur balance » entre les Etats-Unis et l'Europe. Les sanctions infli­gées par Washington à de grandes entrepri­ses transalpines pour leurs relations étroites avec la Libye ne peuvent que renforcer les tendances pro-européennes de celui-ci.

Cette situation traduit l'impasse dans la­quelle se trouve la première puissance mondiale :

- soit elle ne fait rien, renonce à utiliser la force (qui est son seul moyen de pression aujourd'hui) et cela reviendrait à laisser le champ libre à ses concurrents,

- soit elle tente d'affirmer sa supériorité pour s'imposer comme le gendarme du monde par une politique agressive (ce qu'elle tend à faire de plus en plus) et cela se retourne rapidement contre elle en l'isolant davan­tage et en renforçant la hargne anti-améri­caine un peu partout dans le monde.

Cependant conformément à l'irrationalité foncière des rapports inter impérialistes dans la phase de décadence du système capi­taliste, caractéristique qui est exacerbée dans la phase actuelle de décomposition ac­célérée, les Etats-Unis ne peuvent qu'utiliser la force pour tenter de préserver leur statut sur l'arène impérialiste. Ainsi on les voit de plus en plus recourir à la guerre commer­ciale qui n'est plus seulement l'expression de la féroce concurrence économique qui dé­chire un monde capitaliste plongé dans l'en­fer sans fin de sa crise mais une arme pour défendre leurs prérogatives impérialistes face à tous ceux qui contestent leur leader­ship. Mais face à une contestation d'une telle ampleur la guerre commerciale ne peut suf­fire et la première puissance du monde est contrainte de faire à nouveau parler les ar­mes comme en témoigne sa dernière inter­vention en Irak.

En lançant plusieurs dizaines de missiles de croisière sur l'Irak, en réponse à l'incursion des troupes de Saddam Hussein au Kurdistan, les Etats-Unis montrent leur dé­termination à défendre leurs positions au Moyen-Orient et plus largement à rappeler qu'ils entendent préserver leur leadership dans le monde. Mais les limites de cette nouvelle démonstration de force apparais­sent d'emblée :

- au niveau des moyens mis en oeuvre qui ne sont qu'une pâle réplique de ceux de la « Tempête du désert » ;

- mais aussi à travers le fait que cette nou­velle « punition » que les Etats-Unis cher­chent à infliger à l'Irak ne bénéficie que de très peu d'appuis dans la région et dans le monde.

Le gouvernement turc a refusé que les Etats-Unis utilisent les forces qui sont basées dans son pays, tandis que l'Arabie Saoudite n'a pas laissé les avions américains décoller de son territoire pour aller bombarder l'Irak et a même appelé Washington à cesser son opé­ration. Les pays arabes dans leur majorité ont critiqué ouvertement cette intervention militaire. Moscou et Pékin ont clairement condamnée l'initiative américaine alors que la France, suivie par l'Espagne et l'Italie, a nettement marquée sa désapprobation. On voit à quel point on est loin de l'unanimité que les Etats-Unis avaient réussie à imposer lors de la guerre du Golfe. Une telle situa­tion est révélatrice de l'affaiblissement subi par le leadership de Washington depuis cette époque. La bourgeoisie américaine aurait, sans aucun doute, souhaitée faire une dé­monstration de force beaucoup plus écla­tante ; et pas seulement en Irak mais aussi, par exemple, contre le pouvoir en place à Téhéran. Mais faute de soutien et de points d'appui suffisants, y compris dans la région, ils sont contraints de faire parler la poudre sur un registre mineure et avec un impact forcément réduit.

Cependant si cette opération en Irak est de portée limitée, on ne doit pas pour autant en sous-estimer les bénéfices qu'en tirent les Etats-Unis. A côté de la réaffirmation à peu de frais de leur supériorité absolue sur le plan militaire, notamment dans cette chasse gardée que représente pour eux le Moyen-Orient, ils sont surtout parvenus à semer la division chez leurs principaux rivaux d'Europe. Ceux-ci étaient encore récemment parvenus à opposer un front commun face à Clinton et ses diktats concernant la politique à mener vis à vis de l'Iran, la Libye ou Cuba. Que la Grande Bretagne se rallie bruyam­ment à l'intervention menée en Irak, au point que Major « salue le courage des Etats-Unis », que l'Allemagne semble partager cette position alors que la France soutenue par Rome et Madrid conteste le bien fondé de ses bombardements, c'est à l'évidence un beau pavé lancé dans la mare de l'Union Européenne ! Que Bonn et Paris ne soit pas, encore une fois, sur la même longueur d'onde n'est pas nouveau. Les divergences entre les deux cotés du Rhin n'ont cessé de s'accumuler depuis 1995. Il n'en va pas de même quant au coin enfoncé à cette occasion entre l'impérialisme français et britannique. Depuis la guerre en ex-Yougoslavie, la France et la Grande-Bretagne n'ont cessé de renforcer leur coopération (ils ont signé dernièrement un accord militaire de grande importance, auquel s'est associé l'Allemagne, pour la construction commune de missiles de croisière) et leur « amitié » au point que l'aviation anglaise a participé au défilé du dernier 14 Juillet à Paris. A travers ce projet Londres exprimait, on ne peut plus claire­ment, sa volonté de rompre avec une longue tradition de coopération et de dépendance militaire vis à vis de Washington. Est ce que le soutien apporté par Londres à l'interven­tion américaine en Irak signifie que « la perfide Albion » cède enfin aux multiples pressions exercés par les Etats-Unis à son encontre pour la ramener dans leur giron et qu'elle va désormais redevenir le fidèle lieu­tenant de « l'Oncle Sam » ? Non car cet ap­pui ne représente pas un acte d'allégeance au parrain d'outre-Atlantique mais la défense des intérêts particuliers de l'impérialisme anglais au Moyen-Orient et en particulier en Irak. Après avoir été un protectorat britanni­que, ce pays a progressivement échappé à l'influence de Londres notamment depuis l'arrivée de Saddam Hussein. La France, par contre, y acquérait de solides positions ; po­sitions qui ont été réduites à la portion con­grue suite à la guerre du Golfe mais qu'elle est en train de regagner grâce à l'affaiblis­sement du leadership US sur le Moyen-Orient. Dans ses conditions le seul espoir pour la Grande-Bretagne de retrouver une influence dans cette zone réside dans le ren­versement du boucher de Bagdad. C'est aussi la raison pour laquelle Londres s'est toujours retrouvée sur la même ligne dure que Washington concernant les résolutions de l'ONU à propos de l'Irak, tandis que Paris, au contraire, n'a cessé de plaider pour un adoucissement de l'embargo pesant sur l'Irak imposé par le gendarme américain.

Si « le chacun pour soi » est une tendance générale qui sape le leadership américain elle se manifeste aussi chez ses contestatai­res et fragilise toutes les alliances impéria­listes qui, quelque soit leur relative solidité, à l'image de celle entre Londres et Paris, sont beaucoup plus à géométrie variable que celles qui prévalaient à l'époque où la pré­sence d'un ennemi commun permettait l'exis­tence des blocs. Les Etats-Unis même s'ils sont les principales victimes de cette nou­velle situation historique générée par la dé­composition du système ne peuvent que chercher à exploiter à leur avantage « le chacun pour soi » qui régit l'ensemble des rapports inter impérialistes. Ils l'ont déjà fait dans l'ex-Yougoslavie en n'hésitant pas à nouer une alliance tactique avec leur rival le plus dangereux, l'Allemagne, et ils tentent aujourd'hui la même manoeuvre par rapport au tandem franco-britannique. Malgré ses limites, le coup ainsi porté à « l'unité » fran­co-britannique représente un succès indé­niable pour Clinton et la classe politique américaine ne s'y est pas trompée en appor­tant un soutien unanime à l'opération en Irak.

Cependant ce succès américain a une portée très limitée et ne peut véritablement endi­guer le déchaînement du « chacun pour soi » qui mine en profondeur le leadership de la première puissance mondiale, ni ré­soudre l'impasse dans laquelle se retrouvent les Etats-Unis. A certains égards, même si les Etats-Unis conservent grâce à leur puis­sance économique et financière, une force que n'a jamais eu le leader du bloc de l'Est, on peut cependant faire un parallèle entre la situation actuelle des Etats-Unis et celle de la défunte URSS du temps du bloc de l'Est. Comme elle, fondamentalement ils ne dis­posent, pour préserver leur domination, que de l'usage répété de la force brute et cela ex­prime toujours une faiblesse historique. Cette exacerbation « du chacun pour soi » et l'impasse dans laquelle se trouve « le gendarme du monde » ne font que traduire l'impasse historique du mode de production capitaliste. Dans ce cadre les tensions im­périalistes entre les grandes puissances ne peuvent qu'aller crescendo, porter la des­truction et la mort sur des zones toujours plus étendues de la planète et aggraver en­core l'effroyable chaos qui est déjà le lot de continents entiers. Une seule force est en mesure de s'opposer à cette sinistre exten­sion de la barbarie en développant ses luttes et en remettant en cause le système capita­liste mondial jusque dans ses fondements : le prolétariat.

RN, 9 septembre 1996




[1] [4]. Les relations entre la France et l'Egypte sont particulièrement chaleureuses et l'allemand Kohl y avait été reçu avec beaucoup d'égards lors de son voyage. Quant au secrétaire général de l'ONU Boutros-Ghali, que les Etats-Unis veulent à tout prix remplacé, il n'a cessé pendant toute la guerre en Yougoslavie d'entraver l'action américaine et de défendre des orientations pro-françaises.

 

[2] [5]. Qu'une rencontre entre des émissaires des gouvernements israéliens et égyptiens aient eu lieu à Paris ne doit rien au hasard ; cela sanctionne la réintroduction de la France au Moyen-Orient mais aussi la volonté israélienne d'adresser un message aux Etats-Unis : si ceux ci se livrent à de trop fortes pressions sur le nouveau gouvernement, ce dernier n'hésitera pas à chercher appui auprès des rivaux européens pour leur résister.

 

[3] [6]. L'Allemagne est contrainte à la prudence face au danger de propagation de l'incroyable chaos russe, mais le fait que la Pologne et l'ex Tchécoslovaquie soient plus « stables » représente pour elle une « zone tampon », une sorte de digue face à ce danger, fait qu'elle a les coudées plus franches pour tenter de réaliser son objectif historique : l'accès au Moyen-Orient, en s'appuyant sur l'Iran et la Turquie ;  et pour faire pression sur la Russie, afin que cette dernière distende ses liens avec les Etats-Unis. La très démocratique Allemagne se nourrit donc du chaos russe pour défendre ses appétits impérialistes.

 

Géographique: 

  • Moyen Orient [7]

Questions théoriques: 

  • Impérialisme [8]

Crise economique : une economie de casino

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  • Le 26 mai 1996, la bourse de New York était dans l'euphorie du centenaire de la naissance de son plus ancien indicateur, l'indice Dow Jones. Gagnant 620 % durant ces 14 dernières années, l'évolution de l'in­dice dépassait de loin tous ses précédents records : celui des années 1920 (468 %)... menant au krach boursier d'octobre 1929, prémisse de la grande crise des années 1930 et celui des années de « prospérité » d'après-guerre (487 % entre 1949 et 1966)... abou­tissant à la stagnation des 16 années de « gestion keynésienne de la crise ». « Plus cette folie spéculative va durer, plus le prix à payer ensuite sera élevé » prévenait l'ana­lyste B.M. Biggs, considérant que « les cours des entreprises américaines ne cor­respondent plus du tout à leur valeur réelle » (Le Monde du 27 mai 1996). Un mois plus tard à peine, Wall Street s'effon­drait brutalement pour la troisième fois en huit jours entraînant dans son sillage toutes les Bourses européennes. Ces nouvelles se­cousses financières viennent remettre tous les discours actuels sur la « reprise améri­caine » et « la future prospérité européenne grâce à la monnaie unique » à leur juste place dans le rayon des accessoires destinés à tromper le « peuple » sur les enjeux et la gravité de la crise du capitalisme. A inter­valles réguliers ces secousses rappellent et confirment la pertinence de l'analyse mar­xiste sur la crise historique du système capi­taliste et mettent plus particulièrement en évidence le caractère explosif des tensions qui sont en train de s'accumuler. Et pour cause ! Confronté à son inéluctable crise de surproduction qui réapparaît ouvertement à la fin des années 1960, le capitalisme survit depuis lors essentiellement grâce à une in­jection massive de crédits. C'est cet endet­tement massif qui explique l'instabilité croissante du système économique et finan­cier et qui engendre la spéculation effrénée et les scandales financiers à répétition : quand le profit tiré de l'activité productive se fait maigre le « profit financier facile » prend le relais.

Ainsi, pour les marxistes, cette nouvelle se­cousse financière était inscrite dans la situa­tion. Dans notre résolution sur la situation internationale d'avril 96, nous écrivions ce­ci : « Le 11e congrès soulignait qu'un des principaux aliments de cette 'reprise', que nous avions qualifiée alors de 'reprise sans emplois', résidait dans une fuite en avant dans l'endettement généralisé qui ne pour­rait aboutir à terme qu'à de nouvelles con­vulsions dans la sphère financière et à une nouvelle plongée dans une récession ou­verte » (Revue Internationale n °86). Essoufflement de la croissance, enfoncement dans la récession, fuite en avant dans l'en­dettement croissant,  déstabilisation finan­cière et spéculation, développement de la paupérisation, attaque massive contre les conditions de vie du prolétariat au niveau mondial, tels sont les ingrédients connus d'une situation de crise qui atteint des pro­portions explosives.

Une situation économique de plus en plus dégradée

La croissance actuelle des pays industriali­sés vivote péniblement autour de 2 %, con­trastant nettement avec les 5 % des années d'après-guerre (1950-70). Elle poursuit son irrémédiable déclin depuis la fin des années 1960 : 3,6 % entre 1970-80 et 2,9 % entre 1980-93. A l'exception de quelques pays du sud-est asiatique, dont la surchauffe éco­nomique préfigure de nouveaux crashs à la mexicaine, cette tendance au déclin du taux de croissance est continue et généralisée à l'échelle mondiale. Longtemps l'endettement massif a pu masquer ce fait et maintenir à intervalles réguliers la fiction d'une possible sortie du tunnel. Ce furent les « reprises » successives de la fin des années 1970 et 1980 dans les pays industrialisés, les espoirs mis dans le « développement du tiers-monde et des pays de l'Est » au cours de la seconde moitié des années 1970 puis, plus récem­ment, les illusions répandues autour de l'ou­verture et de la « reconstruction » des pays de l'ex-bloc soviétique. Mais aujourd'hui, les derniers pans de cette fiction s'effondrent. Après l'insolvabilité et la faillite du tiers-monde ainsi que le plongeon des pays de l'Est dans le marasme, ce sont les deux der­niers « pays modèles » qui s'écroulent : l'Allemagne et le Japon. Longtemps présen­tés comme un modèle de « vertu économi­que » pour le premier et comme un exemple de dynamisme pour le second, l'actuelle ré­cession qui les lamine vient remettre les pendules à l'heure. L'Allemagne, dopée pen­dant un certain temps par le financement de sa réunification, ne fait aujourd'hui que ré­trograder dans le peloton des pays dévelop­pés. L'illusion d'un retour de la croissance par la reconstruction de sa partie orientale a donc été de courte durée. Ainsi se clôture définitivement le mythe de la relance par la reconstruction des économies sinistrées des pays de l'Est (voir Revue Internationale n°73 et n°86).

Comme nous l'avions depuis longtemps mis en avant, les « remèdes » que s'applique l'économie capitaliste ne peuvent à terme que faire empirer le mal et tuer encore plus le malade.

Le cas du Japon est significatif en la ma­tière. Seconde puissance économique de la planète, son économie représente un sixième (17 %) du produit mondial. Pays en excé­dent dans ses échanges extérieurs, le Japon est devenu le banquier international avec des avoirs extérieurs de plus de 1 000 mil­liards de dollars. Erigées en modèle et mon­trées en exemple à travers le monde, les mé­thodes japonaises d'organisation du travail représentaient, aux dires de nouveaux théo­riciens, un nouveau mode de régulation qui aurait permis une sortie de l'état de crise grâce à une « formidable relance de la pro­ductivité du travail ». Ces « recettes » japo­naises ont en fait partout servi à faire passer une série de mesures d'austérité comme la flexibilité accrue du travail (introduction du just in time, de la qualité totale, etc.) et du poison idéologique pernicieux comme le corporatisme d'entreprise, le nationalisme dans la défense de l'économie, etc.

Jusque tout récemment en effet, ce pays semblait encore échapper comme par mira­cle à la crise économique. Après avoir cara­colé autour de 10 % de croissance entre 1960-70, il affichait encore des taux appré­ciables de l'ordre de 5 % au cours des an­nées 1970 et de 3,5 % pendant les années 1980. Depuis 1992 cependant, la croissance n'a pas dépassé le chiffre de 1 %. Ainsi, tout comme l'Allemagne, le Japon a rejoint le peloton des croissances poussives des prin­cipales économies développées. Il n'y avait que les sots ou les pires suppôts idéologi­ques du système capitaliste pour croire ou faire croire à la singularité du Japon. Les performances de ce dernier s'expliquent ai­sément. Certes quelques facteurs internes spécifiques ont bien pu intervenir, mais plus fondamentalement ce pays a bénéficié d'une conjonction particulièrement favorable au sortir de la seconde guerre mondiale et sur­tout, plus encore que pour d'autres pays, il a largement utilisé et abusé du crédit. Pion central dans le dispositif contre l'expan­sionnisme du bloc de l'Est en Asie, le Japon a bénéficié d'un soutien politique et écono­mique exceptionnel de la part des Etats-Unis (réformes institutionnelles mises en place par les américains, crédits à faibles taux, ouverture du marché américain aux produits japonais, etc.). Et, élément trop rarement souligné, c'est très certainement l'un des pays les plus endettés de la planète. A l'heure actuelle, la dette cumulée des agents non financiers (ménages, entreprises et Etat) s'élève à 260 % du PNB. et atteindra les 400 % dans une dizaine d'années (cf. tableau ci-dessous). Autrement dit, c'est une avance de deux ans et demi sur la production et bientôt de quatre ans que le capital japonais s'est octroyé pour maintenir sa machine à flot.

Cette montagne de dettes représente un véri­table baril de poudre dont la mèche se con­sume déjà lentement. Cela est d'autant plus catastrophique, non seulement pour le pays lui-même mais pour l'ensemble de l'écono­mie mondiale, que le Japon constitue la caisse d'épargne de la planète, assurant à lui seul 50 % des financements des pays de l'OCDE. Tout ceci vient relativiser l'annonce au Japon des quelques frémissements de croissance à la hausse après ces quatre an­nées de stagnation. Nouvelle apaisante pour les médias bourgeois, elle n'illustre en fait que l'extrême gravité de la crise. Et pour cause, ce résultat n'a péniblement été atteint qu'à la suite d'une injection de doses massi­ves de liquidités financières à travers la mise en oeuvre de cinq plans de relance. Cette expansion budgétaire, dans la plus pure tradition keynésienne, a bien fini par porter quelques fruits... mais au prix de dé­ficits encore plus colossaux que ceux dont les conséquences avaient déterminé l'entrée du Japon dans la phase récessive. Ceci ex­plique que cette « reprise » demeure on ne peut plus fragile et est vouée à terme à re­tomber comme un soufflé. L'ampleur de la dette publique japonaise, qui représente 60 % du PIB, dépasse aujourd'hui celle des Etats-Unis. Compte tenu des crédits déjà engagés et de l'effet boule de neige, cette dette atteindra dans dix ans 200 % du PIB, ou encore l'équivalent de deux ans de salaire moyen pour chaque japonais. Quand au dé­ficit budgétaire courant il s'élevait à 7,6 % du PIB en 1995, très loin des critères de convergences « jugés acceptables » de Maastricht et des 2,8 % des Etats-Unis la même année. Tout cela sans compter que les conséquences de l'éclatement de la bulle spéculative immobilière de la fin des années 1980 n'ont pas encore produit tous leurs ef­fets et ceci dans le contexte d'un système bancaire très fragilisé. En effet, ce dernier peine à éponger ses pertes massives ; de nombreuses institutions financières ont fait faillite ou sont sur le point de déposer leur bilan. Rien que dans ce domaine, l'économie japonaise doit faire face dès à présent à une montagne de 460 milliards de dollars de det­tes insolvables. Un indice de l'extrême fra­gilité de ce secteur est donné par le classe­ment effectué en octobre 1995 par la firme américaine Moody's, spécialisée en analyse de risques. Elle attribuait un « D » au Japon, ce qui en faisait le seul membre de l'OCDE à se retrouver en compagnie de la Chine, du Mexique et du Brésil. Sur les onze banques commerciales classées par Moody's, cinq seulement disposaient d'actifs supérieurs à leurs créances douteuses. Parmi les 100 premières banques au niveau mondial, 29 sont japonaises (dont les 10 premières), alors que les Etats-Unis n'en placent que neuf et dont la première est à la 26e place. Si l'on cumule les dettes des organismes fi­nanciers évoquées ici, aux dettes des autres agents économiques (cf. ci-dessus), on en­gendre un monstre à côté duquel les reptiles de l'ère secondaire font office d'animaux de compagnie.

Un capitalisme drogué qui engendre une économie de casino

Contrairement à une légende savamment en­tretenue pour justifier les multiples plans d'austérité, le capitalisme n'est pas en train de s'assainir. La bourgeoisie veut nous faire croire qu'il faut aujourd'hui payer pour les folies des années 1970 afin de repartir sur des bases assainies. Rien n'est plus faux, l'endettement est encore le seul moyen dont dispose le capitalisme pour repousser les échéances de l'explosion de ses propres con­tradictions... et il ne s'en prive pas, contraint qu'il est de poursuivre sa fuite en avant. En effet, la croissance de l'endettement est là pour pallier à une demande devenue histori­quement insuffisante depuis la première guerre mondiale. La conquête entière de la planète au tournant de ce siècle représente le moment à partir duquel le système capi­taliste est en permanence confronté à une in­suffisance de débouchés solvables pour as­surer son « bon » fonctionnement. Régulièrement confronté à l'incapacité d'écouler sa production, le capitalisme s'auto-détruit dans des conflits généralisés. Ainsi, le capitalisme survit dans une spirale infernale et grandissante de crises (1912-1914 ; 1929-1939 ; 1968-aujourd'hui), guer­res (1914-1918 ; 1939-1945) et reconstruc­tions (1920-1928 ; 1946-1968).

Aujourd'hui, la baisse du taux de profit et la concurrence effrénée que se livrent les principales puissances économiques pous­sent à une productivité accrue qui ne fait qu'accroître la masse de produits à réaliser sur le marché. Cependant, ces derniers ne peuvent être considérés comme marchandi­ses représentant une certaine valeur que s'il y a eu vente. Or, le capitalisme ne crée pas ses propres débouchés spontanément, il ne suffit pas de produire pour pouvoir vendre. Tant que les produits ne sont pas vendus, le travail reste incorporé à ces derniers ; ce n'est que lorsque la production a socialement été reconnue utile par la vente que les pro­duits peuvent être considérés comme des marchandises et que le travail qu'ils incorpo­rent se transforme en valeur.

L'endettement n'est donc pas un choix, une politique économique que les dirigeants de ce monde pourraient suivre ou non. C'est une contrainte, une nécessité inscrite dans le fonctionnement et les contradictions même du système capitaliste (lire notre brochure sur La Décadence du capitalisme). Voilà pourquoi l'endettement de tous les agents économiques n'a fait que se développer au cours du temps et particulièrement ces der­nières années.


 

Dettes des agents non financiers (*) rapportées au PIB pour les cinq principaux pays développés

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Ménages

Entreprises

Etats

Total

 

 

1980

1992

1980

1992

1980

1994

1980

1992-94

USA

49 %

68 %

52 %

60 %

38 %

64 %

139 %

192 %

G.B.

38 %

82 %

94 %

180 %

-

50 %

-

312 %

Japon

42 %

62 %

89 %

136 %

52 %

79 %

183 %

277 %

France

45 %

52 %

56 %

71 %

-

48 %

-

171 %

Allemagne

50 %

51 %

64 %

72 %

-

54 %

-

177 %

(*) Pour être complet, il faudrait encore ajouter à ces statistiques les données, plus difficilement disponibles,
de la dette contractée par les organismes financiers.

 

 


Ce colossal endettement du système capita­liste qui s'élève à des montants et des taux jamais atteints dans toute son histoire est la véritable source de l'instabilité croissante du système financier mondial. Il est d'ailleurs significatif de constater que, depuis un petit temps déjà, la Bourse semble intégrer dans son fonctionnement le déclin irréversible de l'économie capitaliste ; c'est dire le haut de­gré de confiance qui règne encore dans la classe capitaliste sur l'avenir de son propre système ! Alors qu'en temps normal les va­leurs des actifs boursiers (actions, etc.) s'élèvent lorsque la santé et les perspectives des entreprises sont positives et diminuent dans le cas contraire, aujourd'hui l'évolution est à la hausse à l'annonce de mauvaises nouvelles et à la baisse lorsque les perspec­tives sont positives. Ainsi le fameux Dow Jones a gagné 70 points en une seule journée à l'annonce du chiffre de chômage américain en hausse au mois de juillet 1996. De même, les actions d'ATT se sont envolées à l'annonce de 40 000 licenciements et les ac­tions de Moulinex en France ont grimpé de 20 % au moment de la décision du licencie­ment de 2 600 personnes, etc. Inversement, lors de la publication de chiffres officiels du chômage en baisse, le cours des actions s'oriente à la baisse ! Signe des temps, les bénéfices actuels sont escomptés non plus sur la croissance du capitalisme mais sur la rationalisation.

« Si un homme comme moi peut casser une monnaie, c'est qu'il y a quelque chose de pervers dans le système », a récemment dé­claré George Soros, qui, en 1992, gagna 5 milliards de francs français en spéculant contre la livre sterling. Mais cette perver­sion du système n'est pas le produit de « l'incivisme » ou de la trop grande avidité de certains spéculateurs, des nouvelles liber­tés de circulation des capitaux au niveau in­ternational ou des progrès de l'informatique et des moyens de communication, comme se plaisent à nous le seriner les médias bour­geois au chevet du capitalisme. Les crois­sances poussives et la mévente généralisée se traduisent par un excédent de capitaux qui ne trouvent plus à s'investir productive­ment. La crise s'exprime donc aussi par le fait que les profits tirés de la production ne trouvent plus de débouchés suffisants dans des investissements rentables susceptibles de développer les capacités de production. La « gestion de la crise » consiste alors à trouver d'autres débouchés à cet excédent de capitaux flottants de manière à éviter leur dévalorisation brutale. Etats et institutions internationales s'emploient à accompagner les conditions rendant cette politique possi­ble. Là résident les raisons des nouvelles politiques financières mises en place et la « liberté » retrouvée pour les capitaux.

A cette raison fondamentale vient s'ajouter la politique américaine de défense de son statut de première puissance économique in­ternationale qui n'a fait qu'amplifier le pro­cessus. La stabilité antérieure du système fi­nancier et des taux de change était la consé­quence de la domination américaine sans partage au lendemain de la seconde guerre mondiale qui se traduisait par la « faim de dollars ». A l'issue de la reconstruction com­pétitive de l'Europe et du Japon, un des moyens pour les Etats-Unis de prolonger ar­tificiellement leur domination et de garantir l'achat des marchandises américaines a été de dévaluer leur monnaie et d'inonder l'éco­nomie en dollars. Cette dévaluation et cet excès de dollars sur le marché n'ont fait qu'amplifier la surproduction de capitaux ré­sultant de la crise des investissements pro­ductifs. Des masses de capitaux ont ainsi flotté ne sachant plus très bien où aller s'in­vestir. La libéralisation progressive des opé­rations financières, conjuguée avec le pas­sage forcé aux changes flottants, a permis que cette masse gigantesque de capitaux trouve divers « débouchés » dans la spécu­lation, les opérations financières et les prêts internationaux douteux. On sait qu'aujour­d'hui, face à un commerce mondial de l'ordre de 3 000 milliards de dollars, les mouve­ments de capitaux internationaux sont esti­més être de l'ordre de 100 000 milliards (30 fois plus !). Sans l'ouverture des frontières et les changes flottants, le poids mort représen­tant cette masse eût encore plus intensément aggravé la crise.

Le capitalisme dans l'impasse

Les idéologues du capital ne voient la crise au niveau de la spéculation que pour mieux la cacher au niveau réel. Ils croient et font croire que les difficultés au niveau de la production (chômage, surproduction, endet­tement, etc.) sont le produit des excès spécu­latifs alors qu'en dernière instance, s'il y a « folie spéculative », « déstabilisation fi­nancière », c'est parce qu'il y avait déjà des difficultés réelles. La « folie » que les diffé­rents « observateurs critiques » constatent au niveau financier mondial n'est pas le produit de quelques dérapages de spéculateurs avi­des de profits immédiats. Cette folie n'est que la manifestation d'une réalité beaucoup plus profonde et tragique : la décadence avancée, la décomposition du mode de pro­duction capitaliste, incapable de dépasser ses contradictions fondamentales et empoi­sonné par l'utilisation de plus en plus mas­sive de manipulations de ses propres lois depuis bientôt près de trois décennies.

Le capitalisme n'est plus un système conqué­rant, s'étendant inexorablement, pénétrant tous les secteurs des sociétés et toutes les régions de la planète. Le capitalisme a perdu la légitimité qu'il avait pu acquérir en appa­raissant comme un facteur de progrès uni­versel. Aujourd'hui, son triomphe apparent, repose sur un déni de progrès pour l'ensem­ble de l'humanité. Le système capitaliste est de plus en plus brutalement confronté à ses propres contradictions insurmontables. Pour paraphraser Marx, les forces matérielles en­gendrées par le capitalisme – marchandises et forces de travail –, parce qu'appropriées privativement, se dressent et se rebellent contre lui. La véritable folie ce n'est pas la spéculation mais le maintien du mode de production capitaliste. L'issue pour la classe ouvrière, et pour l'humanité ne réside pas dans une quelconque politique contre la spé­culation ou le contrôle des opérations finan­cières mais dans la destruction du capita­lisme lui-même.

C. Mcl

Sources

- Les données concernant l'endettement des ménages et des entreprises sont tirées du livre de Michel Aglietta, Macroéconomie financière, Ed. La Découverte, collection Repères n° 166. Sa source est l'OCDE sur la base des comptes natio­naux.

- Les données concernant l'endettement des Etats sont tirées du livre publié annuellement L'état du monde 1996, Ed. La Découverte.

- Les données citées dans le texte sont issues des journaux Le Monde et Le Monde Diplomatique.


Récent et en cours: 

  • Crise économique [9]

Mouvement ouvrier : le marxisme contre la franc-maçonnerie

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C'est suite à l'exclusion d'un de ses mili­tants ([1] [10]) que le CCI a été amené à ap­profondir ce quel furent les positions des révolutionnaires face à l'infiltration de la franc-maçonnerie au sein du mouve­ment ouvrier. En effet, pour justifier la fondation d’un réseau d' « initiés » au sein de l’organisation, cet ex-militant distillait l'idée selon laquelle sa passion pour les idéologies ésotériques et les « connaissances secrètes » permettait une meilleure compréhension de l'his­toire, allant « au-delà » du marxisme. Il affirmait également que de grands révo­lutionnaires comme Marx et Rosa Luxemburg connaissaient l'idéologie franc-maçonne, ce qui est vrai, mais il laissait entendre qu’eux-mêmes étaient peut-être aussi franc-maçons. Face à ce type de falsifications éhontées visant à dénaturer le marxisme, il est nécessaire de rappeler le combat sans merci mené depuis plus d'un siècle par les révolu­tionnaires contre la franc-maçonnerie et les sociétés secrètes qu'ils considéraient comme des instruments au service de la classe bourgeoise. C'est l'objet de cet article.

A l’opposé de l’indifférentisme politique anarchiste, les marxistes ont toujours dé­fendu que le prolétariat, pour pouvoir ac­complir sa mission historique, devait com­prendre tous les aspects essentiels du fonc­tionnement de son ennemi de classe. Comme classe exploiteuse, ces ennemis du prolétariat enploient nécessairement le se­cret et la tromperie dans leurs luttes entre eux et contre la classe ouvrière. C’est pour­quoi Marx et Engels, dans toute une série d’écrits importants, ont dénoncé face à la classe ouvrière les structures et activités se­crètes de la classe dominante.

Ainsi, dans ses « Révélations de l’histoire diplomatique du 18e siècle », basées sur une étude exhaustive des manuscrits diplomati­ques du British Museum, Marx dénonça la collaboration secrète des ministères britan­nique et russe depuis l’époque de Pierre le Grand. Dans ses écrits contre Lord Palmerston, Marx révéla que la poursuite de cette alliance secrète était essentiellement dirigée contre les mouvements révolution­naires à travers l’Europe. En fait, au cours des deux premiers tiers du 19e siècle, la di­plomatie russe, bastion de la contre-révolu­tion à l’époque, était impliquée dans « tous les soulèvements et conspirations » du mo­ment, y compris les sociétés secrètes insur­rectionnelles telles que les Carbonari, es­sayant de les manipuler à ses propres fins. ([2] [11])

Dans sa brochure contre « Monsieur Vogt » Marx mit en lumière comment Bismarck, Palmerston et le Tsar soutenaient les agents du Bonapartisme sous Napoléon III en France en infiltrant et dénigrant le mouve­ment ouvrier. Les moments marquants du combat du mouvement ouvrier contre ces manoeuvres cachées furent la lutte des marxistes contre Bakounine dans la 1re Internationale et des « Eisenachiens » contre l’utilisation des « Lassaliens » par Bismarck en Allemagne.

En combattant la bourgeoisie avec sa fasci­nation du caché et du mystère, Marx et Engels montrèrent que le prolétariat est l’ennemi de toute politique de secret et de mystification quelle qu’elle soit. A l’opposé du travailliste britannique Urquhart – dont la lutte pendant près de 50 ans contre les politiques secrètes de la Russie dégénéra en une « doctrine ésotérique secrète » d’une diplomatie russe « toute puissante » comme le « seul facteur actif de l’histoire mo­derne » (Engels) –, le travail des fondateurs du marxisme sur cette question fut toujours basé sur une approche matérialiste, scienti­fique et historique. Cette méthode démasqua l’ « ordre jésuite » caché de la Russie et de la diplomatie occidentale et démontra que les sociétés secrètes des classes dominantes étaient le produit de l’absolutisme et des « lumières » du 18e siècle, pendant lequel la royauté imposa une collaboration entre la noblesse déclinante et la bourgeoisie ascen­dante. L’ « internationale artistocratique-bourgeoise des lumières » à laquelle se réfé­rait Engels dans ses articles sur la politique étrangère tsariste, fournit aussi la base so­ciale pour la franc-maçonnerie qui surgit en Grande-Bretagne, le pays classique du com­promis entre l’artistocratie et la bourgeoisie. Alors que l’aspect bourgeois de la franc-ma­çonnerie attira beaucoup de révolutionnaires bourgeois au 18e et au début du 19e siècle, particulièrement en France et aux Etats-Unis, son caractère profondément réaction­naire en fit très tôt une arme surtout dirigée contre la classe ouvrière. Ce fut le cas après le soulèvement socialiste de la classe ou­vrière qui poussa rapidement la bourgeoisie à abandonner l’athéisme matérialiste de sa propre jeunesse révolutionnaire. Dans la se­conde moitié du 19e siècle, la franc-maçon­nerie européenne, qui avait été surtout jus­que là le divertissement d’une aristocratie qui s’ennuyait parce qu’elle avait perdu sa fonction sociale, devint de plus en plus un bastion du nouvel athéisme anti-matérialiste de la bourgeoisie dirigé essentiellement con­tre le mouvement ouvrier. Au sein du mou­vement maçonnique, toute une série d’idéologies se développèrent contre le marxisme, idéologies qui devaient devenir plus tard le dénominateur commun des mouvements contre-révolutionnaires du 20e siècle. Selon une de ces idéologies, le mar­xisme lui-même était une création de l’aile « illuminée » de la franc-maçonnerie alle­mande contre laquelle les « vrais » franc-maçons devaient se mobiliser. Bakounine, lui-même franc-maçon actif, fut le père d’une autre de ces allégations que le mar­xisme était une « conspiration juive » : « Tout ce monde juif, comprenant une seule secte dominante, une espèce de gens suceurs de sang, une sorte de parasite collectif, destructif, organique, qui va au-delà non seulement des frontières des Etats mais aussi des opinions politiques, ce monde est maintenant, au moins pour sa plus grande partie, à la disposition de Marx d’un côté, et de Rotschild de l’autre (...) Ceci peut pa­raître étrange. Que peut-il y avoir de com­mun entre le socialisme et une grande ban­que ? Le point est que le socialisme autori­taire, le communisme marxiste, exige une forte centralisation de l’Etat. Et là où il y a centralisation de l’Etat, il doit nécessaire­ment y avoir une banque centrale, et là où existe une telle banque on trouvera la nation juive parasite spéculant avec le Travail du peuple. » ([3] [12])

Au contraire de la vigilance des 1re, 2e et 3e Internationales sur ces questions, une partie importante du milieu révolutionnaire actuel se contente d’ignorer ce danger ou de railler la prétendue vision « machiavélique » de l’histoire du CCI. Cette sous-estimation, liée à une ignorance évidente d’une partie impor­tante de l’histoire du mouvement ou­vrier, est le résultat de 50 ans de contre-ré­volution, qui ont interrompu la transmission de l’expérience organisationnelle marxiste d’une génération à l’autre.

Cette faiblesse est d’autant plus dangereuse que l’utilisation au cours de ce siècle des sectes et idéologies mystiques a atteint des dimensions allant beaucoup plus loin que la simple question de la franc-maçonnerie po­sée dans la phase ascendante du capitalisme. Ainsi, la majorité des sociétés secrètes anti-communistes, qui furent créées entre 1918 et 1923 contre la révolution allemande, n’avaient pas toute leur origine dans la franc-maçonnerie mais furent montées de toutes pièces par l’armée, sous le contrôle d’officiers démobilisés. En tant qu’instruments directs de l’Etat capitaliste contre la révolution communiste, elles furent démantelées dès que le prolétariat fut défait. De même, depuis la fin de la contre-révolu­tion à la fin des années 1960, la franc-ma­çonnerie classique n’est qu’un aspect de tout un dispositif de sectes religieuses, ésotéri­ques, racistes, aux idéologies, qui déclarent la guerre au matérialisme et au concept de progrès historique, avec une influence con­sidérable dans les pays industrialisés. Ce dispositif constitue une arme supplémentaire de la bourgeoisie contre la classe ouvrière.

La Première Internationale contre les sociétés secrètes

Déjà la Première Internationale a été la cible d'attaques enragées de la part de l'occul­tisme. Les adeptes du mysticisme catholique des carbonaristes et du mazzinisme étaient des adversaires déclarés de l'Internationale. A New York, les adeptes de l'occultisme de Virginia Woodhull essayèrent d'introduire le féminisme, l' « amour libre » et les « expériences parapsychologiques » dans les sections américaines. En Grande-Bretagne et en France, les loges maçonni­ques de l'aile gauche de la bourgeoisie, ap­puyées par les agents bonapartistes, organi­sèrent une série de provocations visant à discréditer l'Internationale et à permettre l'arrestation de ses membres, ce qui obligea le Conseil Général à exclure Pyat et ses partisans, et à les dénoncer publiquement. Mais le plus grand danger est venu de l'Alliance de Bakounine, une organisation secrète dans l'Internationale qui, avec les différents niveaux d' « initiation » de ses membres « aux secrets » et avec ses métho­des de manipulation (le Catéchisme révolu­tionnaire de Bakounine) reproduisait exac­tement l'exemple de la franc-maçonnerie.

On connaît bien l'énorme engagement que Marx et Engels ont manifesté pour repousser ces attaques, pour démasquer Pyat et ses partisans bonapartistes, pour combattre Mazzini et les actions de Woodhull, et par-dessus tout pour mettre à nu le complot de l'Alliance de Bakounine contre l'Internationale (voir la Revue Internationale n °84 et 85). La pleine conscience qu'ils avaient de la menace que constitue l'occul­tisme se retrouve dans la résolution propo­sée par Marx lui-même, adoptée par le Conseil général, sur la nécessité de combat­tre les sociétés secrètes. A la conférence de Londres de L'AIT, en septembre 1871, Marx insistait sur le fait que « ce type d'organisa­tion se trouve en contradiction avec le déve­loppement du mouvement prolétarien, à partir du moment où ces sociétés, au lieu d'éduquer les ouvriers, les soumettent à leur lois autoritaires et mystiques qui entravent leur indépendance et entraînent leur con­science dans une fausse direction. » (Marx-Engels, Oeuvres)

La bourgeoisie aussi a essayé de discréditer le prolétariat à travers les allégations des médias suivant lesquelles l'Internationale et la Commune de Paris auraient toutes deux été organisées par une direction secrète de type maçonnique. Dans une interview au journal The New York World, qui suggérait que les ouvriers étaient les instruments d'un « conclave » d'audacieux conspirateurs pré­sents au sein de la Commune de Paris, Marx déclarait : « Cher monsieur, il n'y a pas de secret à éclaircir... à moins que ce ne soit le secret de la stupidité humaine de ceux qui ignorent obstinément le fait que notre Association agit en public, et que des rap­ports développés de nos activités sont pu­bliés pour tous ceux qui veulent les lire. » La Commune de Paris, selon la logique du World, « pourrait également avoir été une conspiration des francs-maçons car leur contribution n'a pas été petite. Je ne serais vraiment pas étonné si le pape venait à leur attribuer toute la responsabilité de l'insur­rection. Mais envisageons une autre expli­cation. L'insurrection de Paris a été faite par les ouvriers parisiens. »

Le combat contre le mysticisme dans la Deuxième Internationale

Avec la défaite de la Commune de Paris et la mort de l'Internationale, Marx et Engels ont appuyé le combat pour soustraire de l'influence de la franc-maçonnerie des orga­nisations ouvrières dans des pays comme l'Italie, l'Espagne ou les Etats-Unis (les « Chevaliers du Travail »). La Deuxième Internationale, fondée en 1889, était, au dé­but, moins vulnérable que la précédente à l'infiltration occultiste, car elle avait exclu les anarchistes. L'ouverture même du pro­gramme de la Première Internationale avait permis à des « éléments déclassés de s'y faufiler et d'établir, en son coeur même, une société secrète dont les efforts, au lieu d'être dirigés contre la bourgeoisie et les gouver­nements existants, l'étaient contre l'Internationale elle-même. » (Rapport sur l'Alliance au congrès de La Haye, 1872)

Alors que la Deuxième Internationale était moins perméable sur ce plan, les attaques ésotériques commencèrent, non pas au moyen d'une infiltration organisationnelle, mais à travers une offensive idéologique contre le marxisme. A la fin du 19e siècle, la franc-maçonnerie allemande et autri­chienne se vantait d'avoir réussi à libérer les universités et les cercles scientifiques du « fléau du matérialisme ». Avec le dévelop­pement des illusions réformistes et de l'op­portunisme dans le mouvement ouvrier, au début du siècle, c'est à partir de ces scienti­fiques d'Europe centrale que le mouvement bernsteinien adopta « la découverte » du « dépassement du marxisme » par l'idéa­lisme et l'agnosticisme néo-kantien. Dans le contexte de la défaite du mouvement prolé­tarien en Russie après 1905, la maladie de la « construction de Dieu » pénétra jusque dans les rangs du bolchevisme, d'où elle fut néanmoins rapidement éradiquée. Au sein de l'Internationale comme un tout, la gauche marxiste développa une défense héroïque et brillante du socialisme scientifique, sans pour autant être capable de stopper l'avancée de l'idéalisme, si bien que la franc-maçon­nerie commença à gagner des adeptes dans les rangs des partis ouvriers. Jaurès, le fa­meux leader ouvrier français, défendait ou­vertement l'idéologie de la franc-maçonnerie contre ce qu'il appelait « l'interprétation économiste pauvre et étroitement matéria­liste de la pensée humaine » du révolution­naire marxiste Franz Mehring. Dans le même temps, le développement de l'anarcho-syndicalisme en réaction au réformisme ou­vrit un nouveau champ pour le développe­ment d'idées réactionnaires, parfois mysti­ques, basées sur les écrits de philosophes comme Bergson, Nietzsche (celui-ci s'étant qualifié lui-même de « philosophe de l'éso­térisme ») ou Sorel. Cela, en retour, affecta des éléments anarchistes au sein de l'Internationale comme Hervé en France ou Mussolini en Italie qui, à l'éclatement de la guerre, s'en allèrent rejoindre les organisa­tions de l'extrême-droite de la bourgeoisie.

Les marxistes tentèrent en vain d'imposer une lutte contre la franc-maçonnerie dans le parti français, ou d'interdire aux membres du parti en Allemagne une « seconde loyauté » pour ce type d'organisations. Mais, dans la période d'avant 1914, ils ne furent pas assez forts pour imposer des mesures organisationnelles semblables à celles que Marx et Engels avaient fait adopter dans l'AIT.

La Troisième Internationale contre la franc-maçonnerie

Déterminé à surmonter les faiblesses organi­sationnelles de la deuxième internationale qui favorisèrent sa faillite en 1914, le Komintern a lutté pour l'élimination totale des éléments « ésotériques » de ses rangs. En 1922, face à la l'infiltration au sein du Parti communiste français d'éléments appar­tenant à la franc-maçonnerie et qui ont gan­gréné le parti dès sa fondation au congrès de Tours, le 4e congrès de l'Internationale Communiste, dans sa « Résolution sur la question française » devait réaffirmer les principes de classe dans les termes sui­vants :

« L'incompatibilité de la franc-maçonnerie et du socialisme était considérée comme évidente dans la plupart des partis de la Deuxième Internationale (...) Si le deuxième Congrès de l'Internationale Communiste n'a pas formulé, dans les conditions d'adhésion à l'Internationale, de point spécial sur l'in­compatibilité du communisme et de la franc-maçonnerie, c'est parce que ce principe a trouvé sa place dans une résolution séparée votée à l'unanimité du Congrès.

Le fait, qui s'est révélé d'une façon inatten­due au 4e Congrès de l'Internationale Communiste, de l'appartenance d'un nombre considérable de communistes français aux loges maçonniques est, aux yeux de l'Internationale Communiste, le témoignage le plus manifeste et en même temps le plus pitoyable que notre Parti français a conser­vé, non seulement l'héritage psychologique de l'époque du réformisme, du parlementa­risme et du patriotisme, mais aussi des liai­sons tout à fait concrètes, extrêmement compromettantes pour la tête du Parti, avec les institutions secrètes, politiques et car­riéristes de la bourgeoisie radicale (...)

L'Internationale considère comme indispen­sable de mettre fin, une fois pour toutes, à ces liaisons compromettantes et démoralisa­trices de la tête du Parti Communiste avec les organisations politiques de la bourgeoi­sie. L'honneur du prolétariat de France exige qu'il épure toutes ses organisations de classe des éléments qui veulent appartenir à la fois aux deux camps en lutte.

Le Congrès charge le Comité Directeur du Parti Communiste français de liquider avant le 1er janvier 1923 toutes les liaisons du Parti, en la personne de certains de ses membres et de ses groupes, avec la franc-maçonnerie. Celui qui, avant le 1er janvier, n'aura pas déclaré ouvertement à son or­ganisation et rendu publique par la presse du Parti sa rupture complète avec la franc-maçonnerie est, par là-même, automatique­ment exclu du Parti communiste sans droit d'y jamais adhérer à nouveau, à quelque moment que ce soit. La dissimulation par quiconque de son appartenance à la franc-maçonnerie sera considérée comme péné­tration dans le Parti d'un agent de l'ennemi et flétrira l'individu en cause d'une tache d'ignominie devant tout le prolétariat. »

Au nom de l'internationale, Trotsky dénonça l'existence de liens entre la « franc-maçon­nerie et les institutions du parti, le comité de rédaction, le comité central » en France.

« La ligue des droits de l'homme et la franc-maçonnerie sont des instruments de la bourgeoisie qui font diversion à la con­science des représentants du prolétariat français. Nous déclarons une guerre sans pitié à ces méthodes car elles constituent une arme secrète et insidieuse de l'arsenal bourgeois. On doit libérer le parti de ces éléments. » (Trotsky, La voix de l'Internationale : le mouvement communiste en France)

De façon similaire, le délégué du Parti communiste allemand (KPD) au 3e congrès du Parti Communiste italien à Rome, en se référant aux thèses sur la tactique commu­niste soumises par Bordiga et Terracini, af­firmait : « Le caractère irréconciliable évi­dent entre l'appartenance simultanée au Parti Communiste et à un autre Parti, s'applique, en dehors de la pratique politi­que, aussi à ces mouvements qui, en dépit de leur caractère politique, n'ont pas le nom ni l'organisation d'un parti (...) on trouve ici en particulier la franc-maçonnerie. » (« Les thèses italiennes », Paul Butcher dans L'Internationale, 1922)

Le développement vertigineux des sociétés secrètes dans la décadence capitaliste

L'entrée du capitalisme dans sa phase de dé­cadence depuis la première guerre mondiale a entraîné un gigantesque développement de l'Etat capitaliste et en particulier de ses ap­pareils militaires et répressifs (espionnage, police secrète, etc.). Cela implique-t-il que la bourgeoisie n'avait plus besoin de ses so­ciétés secrètes « traditionnelles » ? Ce fut en partie le cas. Là où le totalitarisme de l'Etat capitaliste décadent a pris une forme brutale et non dissimulée comme dans l'Allemagne hitlérienne, l'Italie de Mussolini ou la Russie de Staline, les loges maçonniques ou autres, ou les regroupements secrets furent égale­ment interdits.

Cependant, même ces formes brutales de capitalisme ne peuvent complètement se dispenser d'un appareil parallèle, sans exis­tence officielle, secret ou illégal. Le totali­tarisme du capitalisme d'Etat implique le contrôle dictatorial de l'Etat bourgeois, pas seulement sur toute l'économie, mais sur l'ensemble des aspects de la vie sociale. Ainsi, dans les régimes staliniens, la mafia constitue une partie indispensable de l'Etat, dans la mesure où elle contrôle la seule par­tie de l'appareil de distribution qui fonc­tionne réellement, mais qui officiellement est supposée ne pas exister : le marché noir. Dans les pays de l'ouest, la criminalité or­ganisée est une partie du régime de capita­lisme d'Etat non moins indispensable.

Mais sous cette forme de capitalisme d'Etat prétendument démocratique, les appareils de repression et d'infiltration tant officiels que non officiels ont connu un développement pharamineux.

Sous son maquillage démocratique, l'Etat impose sa politique sur les membres de sa propre classe et combat les organisations de ses rivaux impérialistes et celles de son en­nemi de classe prolétarien d'une manière pas moins totalitaire que sous le nazisme ou le stalinisme. Sa police politique officielle et son appareil d'informateurs est tout aussi omniprésent que dans n'importe quel autre Etat. Mais alors que l'idéologie « démocratique » ne permet pas à cet appa­reil d'agir aussi ouvertement que la Gestapo en Allemagne ou la Guépéou en Russie, la bourgeoisie occidentale est amenée à déve­lopper et à s'appuyer à nouveau sur ses an­ciennes traditions de franc-maçonnerie ou de mafia politique, mais cette fois sous le con­trôle direct de l'Etat. Ce que la bourgeoisie occidentale ne fait pas ouvertement et léga­lement, elle le fait dans l'illégalité et secrè­tement.

Ainsi, quand l'armée américaine envahit l'Italie de Mussolini en 1943, elle n'amena pas avec elle que la Mafia.

« Dans le sillage des divisions motorisées américaines progressant vers le Nord, les loges maçonniques se développèrent comme des champignons après la pluie. Ce n'était pas seulement une réaction au fait que pré­cédemment elles avaient été interdites par Mussolini qui avait persécuté leurs mem­bres. Les puissants regroupements maçon­niques américains participèrent à ce déve­loppement, en prenant immédiatement sous leur coupe leurs frères italiens. » ([4] [13])

Ici se trouve l'origine de l'une des plus fa­meuses parmi les innombrables organisa­tions parallèles de la bourgeoisie occiden­tale, la Loge de la Propagande Due (Loge P2) en Italie. Ces structures non officielles coordonnèrent la lutte des différentes bour­geoisies nationales et du bloc américain con­tre l'influence du bloc soviétiques rival, dans tous les aspects de la vie sociale. De telles loges recrutent aussi parmi les leaders de l'aile gauche de l'Etat capitaliste, dans les partis staliniens et gauchistes, dans les syn­dicats.

Une série de scandales et révélations (liés à l'éclatement du bloc de l'est après 1989) ont fait apparaître au grand jour le travail qu'as­sumaient de tels regroupements, au profit de l'Etat, dans la lutte contre l'ennemi impéria­liste. Mais un secret de la bourgeoisie de­meure soigneusement dissimulé encore : c'est le fait que, dans la décadence, sa vieille tradition d'infiltration maçonnique des or­ganisations ouvrières a aussi fait partie du répertoire de l'appareil d'Etat du totalita­risme démocratique. Cela fut le cas à chaque fois que le prolétariat a sérieusement mena­cé la bourgeoisie : tout au long de la vague révolutionnaire de 1917-23, mais aussi de­puis 1968 avec la fin de la contre-révolution qui a suivi la défaite de cette vague.

Un appareil contre-révolutionnaire parallèle

Comme Lénine l'a souligné, la révolution prolétarienne en Europe occidentale à la fin de la première guerre mondiale était con­frontée à une classe dominante plus puis­sante et plus intelligente qu'en Russie. Comme en Russie, la bourgeoisie occiden­tale, face à la vague révolutionnaire, a joué immédiatement la carte démocratique en mettant au pouvoir la gauche, c’est-à-dire les anciens partis ouvriers, en annonçant la tenue d'élections ainsi que des projets pour la « démocratie industrielle » et pour « intégrer » les conseils ouvriers dans la constitution et l'Etat.

Mais la bourgeoisie occidentale est allée au delà de ce qu'a fait l'Etat russe après février 1917. Elle a commencé immédiatement à construire un gigantesque appareil contre-révolutionnaire parallèle à ses structures of­ficielles.

A cette fin, elle a mis à profit l'expérience politique et organisationnelle des loges ma­çonniques et des ordres de la droite popu­laire qui s'étaient spécialisés dans le combat contre le mouvement socialiste avant la guerre mondiale, achevant ainsi leur inté­gration dans l'Etat. Une organisation de ce type, l' « Ordre Germanique » et « la Ligue du Marteau », fut fondée en 1912 en ré­ponse à l'imminence de la guerre et à la vic­toire électorale du parti socialiste. Elle af­firmait dans son journal son but « d'organiser la contre-révolution ». « La sainte vendetta liquidera les leaders révolu­tionnaires au tout début de l'insurrection, sans hésiter à lutter contre les masses cri­minelles avec leurs propres armes. » ([5] [14])

Victor Serge fait référence aux services se­crets de l' « Action Française » et des « cahiers de l'anti-France » qui rensei­gnaient sur les mouvements d'avant-garde en France déjà pendant la guerre ; il parle des informateurs et services de provocateurs des partis fascistes en Italie et des agences de détectives privés aux Etats-Unis qui « fournissent à volonté aux capitalistes des mouchards discrets, des provocateurs ex­perts, des tireurs d'élite, des gardes, des contremaîtres et aussi des militants syndi­caux corrompus à souhait » (édition fran­çaise). Et la compagnie Pinkerton est suppo­sée employer 135 000 personnes.

« En Allemagne, les forces vitales de la réaction se concentrent, depuis le désarme­ment officiel du pays, dans les organisations plus qu'à demi secrètes. La réaction a com­pris que même aux partis secondés par l'Etat, la clandestinité est une ressource précieuse. Contre le prolétariat, il va de soi que toutes ces organisations assument plus ou moins les fonctions d'une police oc­culte. » ([6] [15])

Afin de ne pas affaiblir le mythe de la dé­mocratie, ces organisations contre-révolu­tionnaires en Allemagne et dans d'autres pays n'appartenaient pas officiellement à l'Etat. Elles avaient des sources de finance­ment privées. Certaines étaient même décla­rées illégales, se présentaient elles-mêmes comme ennemies de la démocratie et al­laient jusqu'à assassiner des leaders « démocrates » bourgeois comme Rathenau et Erzberger, et commettre des putschs de droite (Putsch de Kapp en 1920, d'Hitler en 1923). Elles purent ainsi jouer un rôle pri­mordial de mystification du prolétariat en le précipitant dans la défense de la contre-révo­lutionnaire « démocratie » de Weimar.

Le réseau contre la révolution prolétarienne

C'est à travers l'expérience en Allemagne, qui était le principal centre hors de Russie de la vague révolutionnaire de 1917-23, qu'on peut le mieux appréhender l'ampleur des opérations contre-révolutionnaires que mène la bourgeoisie lorqu'elle sent sa domi­nation de classe menacée. Un gigantesque réseau de défense de l'Etat bourgeois fut mis en place. Ce réseau utilisa la provocation, l'infiltration et le meurtre politique pour sou­tenir tant les polices contre-révolutionnaires du SPD et des syndicats que la Reichswehr et la non officielle « armée blanche » des corps-francs. L'exemple le plus connu est celui du NSDAP (le parti nazi) qui fut fondé à Munich en 1919 sous le nom de « Parti des travailleurs allemands » pour lutter con­tre la révolution. Hitler, Göring, Röhm et les autres leaders nazis ont débuté leur carrière politique en tant qu'informateurs et agents contre les conseils ouvriers de Bavière.

Ces centres « illégaux » de la contre-révolu­tion faisaient, en réalité, partie intégrante de l'Etat. Bien que ces spécialistes de l'assassi­nat, tels les meurtriers de Liebknecht et Luxemburg, et les tortionnaires de centaines de dirigeants communistes, aient été passés en jugement, soit ils furent déclarés non coupable, soit ils obtinrent des peines sym­boliques, soit ils purent s'échapper. Bien que leurs caches d'armes aient été découvertes par la police, l'armée réclama les armes sous prétexte qu'elles lui avaient été volées.

L’organisation Escherish (« Orgesh »), la plus importante et la plus dangereuse des armées anti-prolétariennes après le putsch de Kapp, ayant pour but déclaré de « liquider le Bolchevisme », « avait près d’un million de membres armés, possédant d’innombrables dépôts d’armes cachés, et travaillant avec les méthodes des services secrets. A cette fin, l’Orgesch a maintenu une agence de renseignement » ([7] [16]). Et le « Teno », soi-disant un service technique in­tervenant en cas de catastrophe publique, était en réalité une troupe de 170 000 hom­mes utilisée essentiellement pour briser les grèves.

La Ligue Anti-bolchevique, fondée le 1er décembre 1918 par des industriels, orientait sa propagande en direction des ouvriers. « Elle suivit attentivement le développement du KPD (Parti communiste allemand) et es­saya de l’infiltrer au moyen de ses informa­teurs. C’est à cette fin qu’elle mit en place un réseau d’informateurs camouflé derrière le nom de quatrième département. Elle maintint des liens avec la police politique et des unités de l’armée. » ([8] [17])

A Munich l’occulte société de Thulé, liée à l’Ordre Germanique d’avant-guerre cité pré­cédemment, créa l’armée blanche de la bourgeoisie bavaroise, les corps-francs Oberland, coordonna la lutte contre la ré­publique des conseils en 1919, et prit en charge le meurtre de Eisner, un dirigeant de l’USPD, dans le but de provoquer un insur­rection prématurée. « Son deuxième dépar­tement était son service de renseignement, avec une activité organisée et étendue d’infiltration, d’information et de sabotage. Selon Sebottendorff, chaque membre de la ligue de combat avait rapidement et sous un autre nom une carte de membre du groupe Spartacus. Les informateurs de la Ligue de Combat siégeaient également dans les comi­tés du gouvernement des conseils et de l’armée rouge, et rapportaient chaque soir au centre de la société de Thulé les plans de l’ennemi. » ([9] [18])

L'arme principale de la bourgeoisie contre la révolution prolétarienne n'est ni la répres­sion ni la subversion mais l'influence idéo­logique et organisationnelle de ses organi­sations de « gauche » dans les rangs du prolétariat. C'est ce rôle essentiel qu'ont joué la social-démocratie et les syndicats. Mais le poids du soutien qu'ont représenté l'infiltra­tion et la provocation aux efforts de la gau­che du capital contre le combat des ouvriers fut particulièrement révélé par le « National-Bolchévisme » durant la révolu­tion allemande. Influencée par le pseudo anti-capitalisme, le nationalisme extrémiste, l'antisémitisme et l'anti-libéralisme des or­ganisations parallèles de la bourgeoisie, avec lesquelles elle tenait des réunions se­crètes, la prétendue « gauche » de Hambourg autour de Laufenberg et Wollfheim a développé une version contre-révolutionnaire du « communisme de gau­che » qui a contribué de façon décisive à diviser le tout nouveau KPD en 1919, et à le discréditer en 1920.

Le travail d'infiltration bourgeoise au sein de la section de Hambourg du KPD commença déjà à être découvert par le parti en 1919 quand furent démasqués environ 20 agents de la police directement en lien avec le GKSD, un régiment contre-révolutionnaire de Berlin. « A partir de là eurent lieu des tentatives répétées pour pousser les ouvriers de Hambourg à se lancer dans des attaques armées de prisons ou dans d'autres actions aventuristes. » ([10] [19])

L'organisateur de ce travail de sape contre les communistes de Hambourg, Von Killinger, devint peu de temps après un di­rigeant de l' « Organisation Consul », une organisation secrète terroriste et criminelle financée par les junkers, dont le but était l'infiltration des organisations communistes et l'unification de la lutte de tous les autres groupes de droite contre le communisme.

La défense de l'organisation révolutionnaire

Au début de cet article, nous avons vu com­ment les communistes internationalistes ti­rèrent les leçons de l'incapacité qu'avait eue la deuxième Internationale à mener un com­bat plus rigoureux au niveau organisationnel contre la franc-maçonnerie et les sociétés secrètes.

Déjà, le deuxième congrès mondial de l'Internationale communiste, en 1920, avait adopté une motion du parti italien contre les francs-maçons, motion qui officiellement ne faisait pas partie des « 21 conditions » pour adhérer à l'internationale mais qui officieu­sement était connue comme la 22e condi­tion. En fait, les fameuses 21 conditions d'août 1920 obligèrent toutes les sections de l'Internationale à organiser des structures clandestines pour protéger l'organisation face à l'infiltration, pour faire des investiga­tions en direction des activités de l'appareil illégal contre-révolutionnaire de la bour­geoisie. Elles les amenèrent également à soutenir le travail centralisé internationale­ment qui était dirigé contre les actions poli­tiques et répressives du capital.

Le troisième congrès en juin 1921 adopta des principes destinés à mieux protéger l'Internationale contre les informateurs et agents provocateurs, par l'observation sys­tématique des activités, officielles et secrè­tes, de la police, de l'appareil paramilitaire, des francs-maçons, etc. Un comité spécial, l'OMS, fut créé pour coordonner internatio­nalement ce travail.

Le KPD, par exemple, publiait régulière­ment des listes d'agents provocateurs et d'in­formateurs de la police exclus de ses rangs, avec leur photo et la description de leur mé­thodes. « D'août 1921 à août 1922 le dépar­tement d'information démasqua 124 infor­mateurs, agents provocateurs et escrocs. Soit ils avaient été envoyés dans le KPD par la police ou des organisations de droite, soit ils avaient espéré exploiter financièrement le KPD pour leur propre compte. » (4)

Des brochures furent préparées sur cette question. Le KPD découvrit aussi qui avait tué Liebknecht et Luxemburg, publia les photos des assassins et demanda l'aide de la population pour les pourchasser. Une orga­nisation spéciale fut créée pour défendre le parti contre les sociétés secrètes et les or­ganisations paramilitaires de la bourgeoisie. Ce travail incluait des actions spectaculai­res. Ainsi, en 1921, des membres du KPD, déguisés en policiers, perquisitionnèrent les locaux d'un bureau de l'armée blanche russe à Berlin et confisquèrent les papiers. Des at­taques surprises furent menées contre les bureaux secrets de la criminelle « Organisation Consul ».

Et surtout, le Kominterm alimentait réguliè­rement toutes les organisations ouvrières en avertissements concrets et en informations sur les experts du bras occulte de la bour­geoisie afin de l'anéantir.

Après 1968 : la renaissance des manipulations occultes contre le prolétariat

Avec la défaite de la révolution communiste après 1923, le réseau secret anti-prolétarien de la bourgeoisie fut soit dissout soit affecté à d'autres tâches par l'Etat. En Allemagne, beaucoup de ces éléments furent plus tard intégrés dans le mouvement nazi.

Mais quand les luttes ouvrières massives de 1968 en France mirent fin à 50 ans de con­tre-révolution et ouvrirent une nouvelle pé­riode de développement de la lutte de classe, la bourgeoisie commença à réactiver son ap­pareil caché anti-prolétarien. En mai 1968 en France, « le Grand Orient salua avec enthousiasme le magnifique mouvement des étudiants et des ouvriers et envoya de la nourriture et des médicaments à la Sorbonne occupée. » ([11] [20])

Ce « salut » n'était qu'hypocrisie. Dès après 1968, en France, la bourgeoisie va mettre en branle ses sectes « néo-templières », « rosicruciennes » et « martinistes » dans le but d'infiltrer les groupes gauchistes et au­tres, en collaboration avec les structures du SAC (le Service d'Action Civique, créé par les hommes de main de De Gaulle). Par exemple, Luc Jouret, le gourou du « Temple solaire », a commencé sa carrière d'agent d'officines parallèles semi-légales en infil­trant des groupes maoïstes ([12] [21]), avant de se retrouver en 1978 comme médecin parmi les parachutistes belges et français qui sautèrent sur Kolwesi au Zaïre.

En fait, les années suivantes apparurent des organisations du type de celles utilisées con­tre la révolution prolétarienne dans les an­nées 1920. A l'extrême-droite, le Front Européen de Libération a fait renaître la tradition du National-Bolchevisme. En Allemagne, le front Ouvrier Social Révolutionnaire, suivant sa devise : « la frontière n'est pas entre la gauche et la droite, mais entre au-dessus et en dessous », se spécialise dans l'infiltration de différentes organisations de gauche. La Loge de Thulé a également été refondée comme société se­crète contre-révolutionnaire. ([13] [22])

Parmi les services de renseignement privés de la droite moderne on trouve ceux de la Ligue Mondiale Anticommuniste, ceux du Comité du Travail ou encore ceux du Parti Européen du Travail dont le leader Larouche est décrit par un membre du Conseil National de Sécurité des Etats Unis comme ayant « le meilleur service privé de rensei­gnement du monde. » ([14] [23]) En Europe, cer­taines sectes rosicruciennes sont d'obédience américaine, d'autres d'obédience européenne telle que l' « Association Synarchique d'Empire » dirigée par la famille des Habsbourg qui a régné sur l'Europe à travers l'empire austro-hongrois.

Des versions de gauche de telles organisa­tions contre-révolutionnaires ne sont pas moins actives. En France, par exemple, des sectes se sont constituées dans la tradition « martiniste », une variante de la franc-ma­çonnerie qui, dans l'histoire, s'est spécialisée dans les missions secrètes d'agents d'in­fluence complétant le travail des services secrets officiels ou dans l'infiltration et la destruction des organisations ouvrières. De tels groupes propagent l'idée que le com­munisme soit n'explique pas tout et doit être enrichi ([15] [24]), soit qu'il peut être instauré plus sûrement par les manipulations d'une mino­rité éclairée. Comme d'autres sectes, ils sont spécialisés dans l'art de la manipulation des personnes, pas seulement leur comportement individuel mais surtout leur action politique.

Plus généralement, le développement de sec­tes occultes et de regroupements ésoté­riques dans les dernières années n'est pas seulement l'expression du désespoir et de l'hystérie de la petite-bourgeoisie face à la situation historique mais est encouragé et organisé par l'Etat. Le rôle de ces sectes dans les rivalités impérialistes est connu (cf. l'utilisation de l'Eglise de Scientologie par la bourgeoisie américaine contre l'Allemagne). Mais tout ce mouvement « ésotérique » fait également partie de l'attaque idéologique de la bourgeoisie contre le marxisme, particu­lièrement depuis 1989 avec la prétendue « mort du communisme ». Historiquement, c'est face au développement du mouvement socialiste que la bourgeoisie européenne commença à s'identifier avec l'idéologie mystique de la franc-maçonnerie, particuliè­rement après la révolution de 1848. Aujourd'hui la haine profonde de l'ésoté­risme envers le matérialisme et le mar­xisme, aussi bien qu'envers les masses pro­létariennes considérées comme « matérialistes » et « stupides », n'est rien d'autre que la haine que concentrent la bour­geoisie et la petite-bourgeoisie face au prolé­tariat non vaincu. Incapable elle-même d'of­frir aucune alternative historique, la bour­geoisie oppose au marxisme le mensonge selon lequel le stalinisme était du commu­nisme mais aussi la vision mystique suivant laquelle le monde ne pourra être « sauvé » que lorsque la conscience et la rationalité auront été remplacées par les rituels, l'intui­tion et les supercheries.

Aujourd'hui, face au développement du mysticisme et à la prolifération des sectes occultes dans la société capitaliste en dé­composition, les révolutionnaires doivent ti­rer les leçons de l'expérience du mouvement ouvrier contre ce que Lénine appelait « le mysticisme, ce cloaque pour les modes con­tre-révolutionnaires. » Ils doivent se réap­proprier cette lutte implacable menée par les marxistes contre l'idéologie franc-maçonne. Ils doivent « rendre la honte plus honteuse encore en la livrant à la publicité » (comme le disait Marx) en dénonçant fermement ce type d'idéologie réactionnaire.

Au même titre que la religion, qualifiée par Marx au siècle dernier, d' « opium du peu­ple » les thèmes idéologiques de la franc-maçonnerie moderne sont un poison distillé par l'Etat bourgeois pour détruire la consc­ience de classe du prolétariat.

Le fait que le mouvement ouvrier du passé ait dû mener un combat permanent contre l'occultisme est assez peu connu aujourd'hui. En réalité, l'idéologie et les méthodes d'infil­tration secrète de la franc-maçonnerie ont toujours été un des fers de lance des tentati­ves de la bourgeoisie pour détruire, de l'in­térieur, les organisations communistes. Si le CCI, comme beaucoup d'organisations révo­lutionnaires du passé, a subi la pénétration en son sein de ce type d'idéologie, il est de son devoir et de sa responsabilité de com­muniquer à l'ensemble du milieu politique prolétarien les leçons du combat qu'il a me­né pour la défense du marxisme, de contri­buer à la réappropriation  de la vigilance du mouvement ouvrier du passé face à la politi­que d'infiltration et de manipulation par l'appareil occulte de la bourgeoisie.

Kr.




[1] [25]. Voir l’avertissement publié à ce sujet dans toute la presse territoriale du CCI.

 

[2] [26]. Voir La politique étrangère de la Russie tsariste, Engels.

 

[3] [27]. .Bakounine, cité par R. Huch, Bakunin und die Anarchie (Bakounine et l’anarchie).

 

[4] [28]. Terror, Drahtzieher und Attentäter (Terreur, manipulateurs et assasins), Kowaljow-Mayschew. La version est-allemande du livre soviétique fut publiée par les éditeurs militaires de la RDA.

 

[5] [29]. Die Thule-Gesellschaft (L’histoire de la Loge de Thulé), Rose.

 

[6] [30]. Ce que tout révolutionnaire doit savoir de la répression, V. Serge.

 

[7] [31]. Der Nachrichtendienst der KPD (Les services de renseignement du KPD), publié en 1993 par d'anciens historiens de la police secrète de l’Allemagne de l’Est, la STASI.

 

[8] [32]. Idem.

 

[9] [33]. Die Thule-Gesellshaft.

 

[10] [34]. Der Nachrichtendienst der KPD.

 

[11] [35]. Frankfurter Allgemeine Zeitung, Supplement, 18 mai 1996.

 

[12] [36] . L'Ordre du Temple solaire.

 

[13] [37]. Drahtzieher im braunen Netz (Ceux qui tirent les ficelles dans le réseau brun), Konkret.

 

[14] [38]. Cité dans Geschäfte und Verbrechen der Politmafia (Les affaires et les crimes de la mafia politique, Roth-Ender).

 

[15] [39]. Ces conceptions ont pour but de discréditer le communisme et le marxisme, d'affaiblir la conscience de classe, d'obscurcir une arme essentielle du prolétariat : sa clarté théorique.

 

Heritage de la Gauche Communiste: 

  • Le Marxisme : la theorie de la révolution [40]

Questions d'organisation, III : le congres de La Haye de 1872 : la lutte contre le parasitisme politique.

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Dans les deux premiers articles de cette sé­rie, nous avons montré quelles étaient les origines de l'Alliance de Bakounine, com­ment elle s'est développée et de quelle façon la bourgeoisie avait soutenu et manipulé cette machine de guerre contre la Première Internationale. Nous avons vu la priorité ab­solue qu'ont donné à la défense des principes prolétariens de fonctionnement dans la lutte contre l'anarchisme organisationnel, Marx, Engels et tous les éléments prolétariens sains de l'Internationale. Dans cet article, nous tirerons les leçons du Congrès de La Haye qui a constitué l'un des moments les plus importants de la lutte du marxisme con­tre le parasitisme politique. Les sectes so­cialistes qui ne trouvaient désormais plus leur place dans le jeune mouvement prolé­tarien en plein développement, ont alors orienté le principal de leur activité à lutter non contre la bourgeoisie mais contre les or­ganisations révolutionnaires elles-mêmes. Tous ces éléments parasites, malgré les di­vergences politiques existant entre eux, se sont ralliés aux tentatives de Bakounine pour détruire l'Internationale.

Les leçons de la lutte contre le parasitisme au Congrès de La Haye sont particulière­ment valables aujourd'hui. A cause de la rupture de la continuité organique avec le mouvement ouvrier du passé, on peut faire bien des parallèles entre le développement du milieu révolutionnaire après 1968 et ce­lui des débuts du mouvement ouvrier ; en particulier il existe non une identité mais une forte similarité entre le rôle du parasi­tisme politique à l'époque de Bakounine et celui qu'il joue aujourd'hui.

La tâche des révolutionnaires après la Commune de Paris

Le Congrès de La Haye de la Première Internationale en 1872 est l'un des Congrès les plus célèbres du mouvement ouvrier. C'est à ce Congrès qu'a eu lieu la « confrontation » historique entre le mar­xisme et l'anarchisme. Ce Congrès a ac­compli un pas décisif dans le dépassement de la phase sectaire qui avait marqué les premières années du mouvement ouvrier. A La Haye, le Congrès a jeté les bases pour le dépassement de la séparation entre les or­ganisations socialistes d'un côté et les mou­vements de masse de la lutte de classe de l'autre. Le Congrès a fermement condamné le « rejet » petit-bourgeois de « la politi­que » par les anarchistes ainsi que leurs « réserves » vis-à-vis des luttes défensives de la classe. Surtout, il a déclaré que l'émancipation du prolétariat nécessitait qu'il s'organise en parti politique autonome, en opposition à tous les partis des classes pos­sédantes (« Résolution sur les statuts », Congrès de La Haye).

Ce n'est pas un hasard si c'est à ce moment-là que furent traitées ces questions. Le Congrès de La Haye était le premier congrès international à se tenir après la défaite de la Commune de Paris. Il a eu lieu pendant la vague internationale de terreur réactionnaire qui s'est abattue sur le mouvement ouvrier au lendemain de cette défaite. La Commune de Paris avait montré le caractère politique de la lutte de classe prolétarienne. Elle avait montré la nécessité et la capacité de la classe révolutionnaire à organiser la confron­tation avec l'Etat bourgeois, sa ten­dance historique à détruire cet Etat et à le remplacer par la dictature du prolétariat, pré-condition du socialisme. Elle avait mon­tré à la classe ouvrière qu'elle ne pouvait mettre en oeuvre le socialisme par des ex­périences coopératives de type proudhonien, ni par des pactes avec la classe dominante tels que les proposaient les lassalliens, ni, non plus, grâce à l'action audacieuse d'une minorité décidée comme Blanqui le défen­dait. Par dessus tout, la Commune de Paris a montré à tous les authentiques révolution­naires prolétariens que la révolution socia­liste n'est en aucune façon une orgie d'anar­chie et de destruction, mais un processus or­ganisé et centralisé ; et que l'insurrection ouvrière n'amène pas à l'« abolition » im­médiate des classes, de l'Etat et de l'« autorité » mais requiert, de façon impé­rieuse, l'autorité de la dictature du proléta­riat. En d'autres termes, la Commune de Paris a totalement prouvé la position du marxisme et complètement évincé les « théories » des bakouninistes.

En fait, au moment du Congrès de La Haye, les meilleurs représentants du mouvement ouvrier prenaient conscience du poids qu'avaient eu dans la direction de l'insurrec­tion, les proudhoniens, les blanquistes, les bakouninistes et autres sectaires ; ce poids avait constitué la faiblesse principale de la Commune. Il était lié à l'incapacité de l'Internationale à avoir une influence dans les événements de Paris de la façon centrali­sée et coordonnée d'un parti de classe.

Aussi, après la chute de la Commune de Paris, la priorité absolue pour le mouvement ouvrier a été de secouer le joug de son pro­pre passé sectaire, de surmonter l'influence du socialisme petit-bourgeois.

Tel est le cadre politique qui explique le fait que la question centrale traitée au Congrès de La Haye n'a pas été la Commune de Paris elle-même mais la défense des statuts de l'Internationale contre les complots de Bakounine et de ses adeptes. Les historiens bourgeois que cela déconcerte en ont conclu que ce Congrès était lui-même l'expression du sectarisme puisque l'Internationale avait « préféré » traiter d'elle-même plutôt que des résultats d'un événement de la lutte de classe d'une importance historique. Ce que ne peut pas comprendre la bourgeoisie, c'est que la défense des principes politiques et organisationnels du prolétariat, l'élimination des théories et des attitudes organisationnel­les petites-bourgeoises de ses rangs consti­tuaient la réponse nécessaire des révolution­naires à la Commune de Paris.

Aussi les délégués se rendirent-ils à La Haye non seulement pour répondre à la ré­pression internationale et aux calomnies contre l'Association mais aussi et surtout pour combattre l'attaque contre l'organisation qui venait de l'intérieur. Bakounine avait mené ces attaques internes et réclamait maintenant ouvertement l'abolition de la centralisation organisationnelle, le non res­pect des statuts, le non paiement des cotisa­tions des membres au Conseil Général et le rejet de la lutte politique. Surtout, il était contre toutes les décisions de la Conférence de Londres de 1871 qui, tirant les leçons de la Commune de Paris, défendait la nécessité que l'Internationale joue le rôle de parti de classe. Sur le plan organisationnel, cette Conférence avait appelé le Conseil général à prendre sans hésitation en charge sa fonction de centralisation pour incarner l'unité de l'organisation entre deux congrès. Et elle condamna l'existence de sociétés secrètes dans l'Internationale, ordonnant la prépara­tion d'un rapport sur les scandaleuses activi­tés de Bakounine et de Netchaiev en Russie, menées au nom de l'Internationale. Avec im­pudence, Bakounine prenait les devants car ses activités contre l'Internationale étaient en train d'être découvertes. Mais c'était surtout un calcul stratégique. L'Alliance comptait exploiter l'affaiblissement et la désorienta­tion de beaucoup de parties de l'Internationale, après la défaite de la Commune de Paris, dans le but de ruiner celle-ci lors de son Congrès même sous les yeux du monde entier. Bakounine avait atta­qué la « dictature du Conseil général » dans « la circulaire de Sonvilliers » de novembre 1871, qui avait été envoyée à toutes les sec­tions. Celle-ci visait habilement tous les éléments petits-bourgeois qui se sentaient menacés par la prolétarisation des méthodes organisationnelles de l'Internationale, mé­thodes défendues par les organes centraux. De longs extraits de la « circulaire de Sonvilliers » furent diffusés par la presse bourgeoise (« Le monstre de l'Internationale se dévore lui-même »). « En France où tout ce qui était lié d'une façon ou d'une autre à l'Internationale donnait lieu à des persécu­tions, elle fut postée aux domiciles. »

La complicité du parasitisme et de la classe dominante

Plus généralement, non seulement la Commune de Paris mais aussi la fondation de l'Internationale elle-même ont toutes deux constitué des manifestations d'un seul et même processus. L'essence de celui-ci, c'était la maturation de la lutte d'émancipa­tion du prolétariat. Depuis le milieu des an­nées 1860, le mouvement ouvrier avait commencé à dépasser les « désordres de l'enfance ». Ayant tiré les leçons des révo­lutions de 1848, le prolétariat n'acceptait plus d'être dirigé par l'aile radicale de la bourgeoisie et luttait à présent pour établir sa propre autonomie de classe. Mais celle-ci requérait qu'au sein même de ses rangs le prolétariat surmontât les conceptions et les théories organisationnelles de la petite-bourgeoisie, de la bohème et des éléments déclassés qui y subsistaient et avaient en­core une influence importante.

Aussi, ce n'est pas seulement vers l'exté­rieur, contre la bourgeoisie, mais dans l'Internationale elle-même que devait se me­ner la bataille pour imposer une démarche prolétarienne à ses propres organisations qui atteignaient, au lendemain de la Commune de Paris, une nouvelle étape. C'est dans ses rangs que les éléments petits-bourgeois et déclassés menèrent une lutte féroce contre l'établissement des principes politiques et organisationnels du prolétariat car cela vou­lait dire l'élimination de leur propre in­fluence dans l'organisation ouvrière.

De ce fait, « ces sectes, leviers du mouve­ment à leur origine, lui font obstacle dès qu'il les dépasse ; alors, elles deviennent réactionnaires. » ([1] [41])

Le Congrès de La Haye se donna donc pour objectif d'éliminer le sabotage par les sectai­res de la maturation et de l'autonomisation de la classe ouvrière. Un mois avant le Congrès, dans une Circulaire à tous les membres de l'Internationale, le Conseil Général déclarait qu'il était largement temps d'en finir une fois pour toutes avec les luttes internes causées par la « présence d'un corps parasitaire ». Et il ajoutait : « En pa­ralysant l'activité de l'Internationale contre les ennemis de la classe ouvrière, l'Alliance sert magnifiquement la bourgeoisie et ses gouvernements. »

Le Congrès de La Haye a révélé que les sec­taires qui ne constituaient plus, désormais, un levier du mouvement, mais étaient deve­nus des parasites vivant sur le dos des or­ganisations prolétariennes, avaient organisé et coordonné internationalement leur guerre contre l'Internationale. Ils préféraient dé­truire le parti ouvrier plutôt que d'accepter que les ouvriers s'émancipent de leur in­fluence. Il a révélé que le parasitisme politi­que était prêt à s'allier à la bourgeoisie pour empêcher sa chute dans les fameuses pou­belles de l'histoire auxquelles il était des­tiné. Derrière une telle alliance se trouvait la haine commune à l'égard du prolétariat même si elle n'avait pas les mêmes causes. C'est l'un des accomplissements majeurs du Congrès de La Haye que d'avoir su mettre à nu l'essence de ce parasitisme politique : faire le travail de la bourgeoisie et participer à la guerre des classes possédantes contre les organisations communistes.

Les délégués contre Bakounine

Les déclarations écrites envoyées à La Haye par les sections, en particulier celles qui provenaient de France où l'Association me­nait clandestinement ses activités et dont beaucoup de délégués ne pouvaient assister au Congrès, témoignent de l'état d'esprit qui régnait dans l'Internationale à la veille de celui-ci. Les principaux points mis en avant étaient la proposition d'étendre les pouvoirs du Conseil Général, l'orientation vers un parti politique de classe et la confrontation à l'Alliance de Bakounine ainsi qu'à d'autres cas de violation flagrante des statuts.

Un des principaux signes que l'organisation était bien déterminée à démasquer les diffé­rents complots qui se développaient en son sein (et qui se concentraient tous autour de l'Alliance de Bakounine) en vue d'en finir avec eux fut la décision de Marx d'assister personnellement au Congrès. L'Alliance, qui existait en tant qu'organisation cachée dans l'organisation, était une société secrète éta­blie selon le modèle de la franc-maçonnerie. Les délégués étaient d'ailleurs tout-à-fait conscients que derrière les manoeuvres sec­taires autour de Bakounine se trouvait la classe dominante :

« ... Citoyens, jamais Congrès ne fut plus solennel et plus important que celui dont les séances vous réunissent à La Haye. Ce qui va en effet s'agiter, ce n'est pas telle ou telle insignifiante question de forme, tel ou tel banal article de règlement, c'est la vie même de l'Association.

Des mains impures et souillées de sang ré­publicain cherchent depuis longtemps à je­ter parmi nous une désunion dont profiterait seul le plus criminel des monstres, Louis Bonaparte ; des intrigants honteusement ex­pulsés de notre sein, des Bakounine, des Malon, des Gaspard Blanc et des Richard essayent de fonder nous ne savons quelle ridicule fédération qui, dans leurs projets ambitieux, doit écraser l'Association. Eh bien, citoyens, c'est ce germe de discorde, grotesque par ses visées orgueilleuses mais dangereux par ses manoeuvres audacieuses, c'est ce germe qu'il faut anéantir à tout prix. Sa vie est incompatible avec la nôtre et nous comptons sur votre impitoyable énergie pour remporter un décisif et éclatant succès. Soyez sans pitié, frappez sans hésitations, car si vous reculiez, si même vous faiblis­siez, vous seriez responsables non seulement du désastre essuyé par l'Association mais encore des terribles conséquences qui en ré­sulteraient pour la cause du prolétariat. » (Les membres parisiens de l'AIT, section Ferré, aux délégués du Congrès de La Haye, 23/08/1872) ([2] [42])

Et contre la revendication des bakouninistes qui réclamaient l'autonomie des sections et la quasi-abolition du Conseil Général, or­gane central représentant l'unité de l'organi­sation :

« Si vous prétendez que le Conseil est un agent inutile, que les fédérations peuvent s'en passer en correspondant entre elles... alors l'Association internationale est dislo­quée... Eh bien, nous vous déclarons, nous Parisiens, que nous n'avons pas à chaque génération, versé notre sang à flots pour la satisfaction des intérêts de clocher. Nous vous déclarons que vous n'avez rien compris du caractère et de la mission de l'Association Internationale. » (Déclaration de sections parisiennes aux délégués de l'Association internationale réunis en Congrès, lue à la douzième séance du Congrès le 7 septembre 1872) (2)

Les sections déclaraient encore :

« Nous ne voulons pas nous transformer en société secrète, nous ne voulons pas non plus tomber dans le marais de l'évolution purement économique. Parce que la société secrète aboutit à des aventures où le peuple est toujours victime... » (2)

La question des mandats

Ce que peut concrètement signifier l'infil­tration du parasitisme politique dans les or­ganisations prolétariennes est illustré par le fait que, des six jours prévus pour le Congrès de La Haye (du 2 au 7 septembre 1872), deux jours entiers durent être consa­crés à la vérification des mandats. En d'au­tres termes, il a été nécessaire de vérifier quels étaient les délégués qui disposaient réellement de mandats et qui les manda­taient. Ces questions étaient loin d'être tou­jours très claires. Dans certains cas, on ne savait même pas si les délégués étaient membres de l'organisation ou si les sections qui les avaient envoyés existaient vraiment.

Ainsi Serraillier, le correspondant pour la France au Conseil Général, n'avait jamais entendu parler d'une section à Marseille qui mandatait un membre de l'Alliance, pas plus qu'il n'avait reçu ses cotisations. « Il prouve­ra plus tard que des sections se sont formées en vue de ce Congrès. » ([3] [43])

Le Congrès a dû se prononcer et voter sur l'existence ou non de certaines sections !

Se trouvant minoritaires au Congrès, les supporters de Bakounine ont, à leur tour, cherché à contester les différents mandats, ce qui a aussi fait perdre du temps.

Le membre de l'Alliance, Alerini, déclare que les auteurs des Prétendues scissions dans l'Internationale (c'est-à-dire le Conseil général) devraient être exclus. En fait leur seul crime était de défendre les statuts de l'organisation. L'Alliance cherchait aussi à violer les règles de vote existantes en vou­lant interdire aux membres du Conseil géné­ral de voter au même titre que les délégués mandatés par les sections.

Un autre ennemi des organes centraux, « Mottershead... trouve étonnant qu'un ci­toyen (Barry) qui n'est pas regardé à Londres comme un représentant de la classe ouvrière représente ici une section alle­mande. » Marx lui répondit que c'était à mettre au crédit de Barry que de ne pas « représenter ici une clique de meneurs an­glais plus ou moins vendus à Dilke et con­sorts » et qu'il avait été expulsé du Conseil fédéral anglais du fait de « son refus de servir les intrigues de Mr. Hales. » (3) Hales et Mottershead soutenaient effective­ment la tendance anti-organisationnelle en Grande-Bretagne.

Ne détenant pas la majorité, l'Alliance a tenté, en plein congrès, un putsch contre les règles de l'Internationale, ce qui correspon­dait à sa « conception » des règles, c.a.d valables pour les autres mais pas pour l'élite bakouniniste.

Dans la proposition 4 au Congrès, les mem­bres espagnols de l'Alliance ont cherché à faire passer l'idée que les seuls votes qui de­vaient être pris en compte étaient ceux des délégués disposant d'un « mandat impéra­tif » de leurs sections. Les votes des autres délégués ne devaient ainsi, selon eux, être comptabilisés qu'après que leurs sections aient discuté et voté les motions du Congrès. Le résultat de cette proposition aurait été que la mise en application des résolutions n'aurait pu avoir lieu que deux mois après le Congrès. Elle n'avait d'autre but que de dé­considérer le Congrès, que de le présenter comme n'étant plus l'instance suprême de l'organisation.

Morago annonça alors « que les délégués espagnols ont le mandat de s'abstenir jus­qu'au moment de l'abolition du mode de votation » et qu'« il n'est pas juste que le mandat d'un grand nombre n'ait pas plus de poids que celui d'un petit nombre. » (3)

Dans les notes de Joukowski, on trouve la réponse suivante : « Lafargue déclare qu'il a un mandat contraire à celui des autres délé­gués de l'Espagne. » (3)

Cela révélait la réalité du fonctionnement des délégués appartenant à l'Alliance : ceux qui prétendaient avoir un « mandat impé­ratif » de leurs sections obéissaient en réa­lité aux instructions secrètes de l'Alliance, direction alternative cachée, opposée au Conseil Général et aux statuts.

Pour renforcer leur stratégie les membres de l'Alliance firent un chantage au Congrès. Le bras droit de Bakounine, Guillaume, face au refus du Congrès de violer ses propres règles pour faire plaisir aux bakouninistes espa­gnols, « proteste en disant que les Jurassiens vont aussi s'abstenir. » (3) Ils n'en restèrent pas là et menacèrent de quitter le Congrès.

En réponse à ce chantage, « le président ré­pond que leur conduite est inconcevable, car ce qu'ils se font un jeu d'attaquer n'est ni l'oeuvre du Conseil général, ni celle du pré­sent Congrès, mais les statuts de l'Association Internationale des Travailleurs. » (3)

Comme Engels le souligna : « Ce n'est pas notre faute si les espagnols sont dans la triste position où ils ne peuvent voter, ce n'est pas non plus la faute des ouvriers es­pagnols mais celle du Conseil fédéral espa­gnol qui est composé de membres de l'Alliance. » ([4] [44])

Face au congrès, Engels formula ainsi l'al­ternative :

« Nous devons décider si l'AIT doit conti­nuer à fonctionner sur une base démocrati­que ou être dominée par une clique (cris et protestations au mot clique) secrètement or­ganisée en violation des statuts. » ([5] [45])

« Ranvier proteste contre les menaces de quitter la salle proférées par Splingard, Guillaume et d'autres qui ne font que prou­ver que ce sont EUX et pas nous qui se sont prononcés A L'AVANCE sur les questions en discussion ; il espère que tous les agents de la police du monde démissionneront ainsi. » (4)

« Morago parle de la tyrannie du Conseil, mais n'est-ce pas ce Morago lui-même qui vient imposer la tyrannie de son mandat au Congrès. » (3) (Intervention de Lafargue)

Le Congrès répondit aussi sur la question des mandats impératifs : une telle procédure voulait dire que le Congrès n'était qu'une chambre d'enregistrement de votes présentés par les délégations et déjà adoptés. Il n'était plus ainsi l'instance suprême de l'organisa­tion qui prend les décisions en tant que corps souverain.

« Serrailler dit qu'il n'a pas les mains liées comme Guillaume et ses camarades qui se sont déjà fait à l'avance une idée sur tout puisqu'ils ont accepté des mandats impéra­tifs qui les obligent à voter d'une certaine façon ou à se retirer. » (4)

Dans son article « Le mandat impératif et le Congrès de La Haye », Engels révèle la vé­ritable fonction du « mandat impératif » dans la stratégie de l'Alliance : « Pourquoi les alliancistes, ennemis dans la chair et le sang de tout principe autoritaire, insistent-ils avec tant de roublardise sur l'autorité des mandats impératifs ? Parce que pour une société secrète telle que la leur, existant à l'intérieur d'une société publique telle que l'Internationale, il n'y a rien de plus confor­table qu'un mandat impératif. Les mandats de leurs alliés seront tous identiques. Ceux des sections qui ne sont pas sous l'influence de l'Alliance ou qui se rebellent contre elle, se contrediront entre eux, de sorte que la société secrète aura souvent la majorité ab­solue et toujours la majorité relative, tandis qu'à un congrès sans mandat impératif, le sens commun de délégués indépendants les unira rapidement à un parti commun contre le parti de la société secrète. Le mandat im­pératif est un moyen de domination extrê­mement efficace, et c'est pourquoi l'Alliance, malgré son anarchisme, soutient son autori­té. » ([6] [46]

La question des finances :le « nerf de la guerre »

Comme les finances, en tant que base maté­rielle du travail politique, sont vitales pour la construction et la défense de l'organisation révolutionnaire, il était inévitable que le pa­rasitisme politique s'y attaquât ; c'était un des principaux moyens de saper l'Internationale.

Avant le Congrès de La Haye, il y eut des tentatives de boycotter ou de saboter le paiement des cotisations au Conseil général tel qu'il était prévu par les statuts. Parlant de la politique de ceux qui, dans les sections américaines, s'étaient révoltés contre le Conseil général, Marx déclarait :

« Le refus de paiement des cotisations et même d'objets demandés par la section au Conseil général, correspondait à un avis de la Fédération jurassienne disant que si l'Amérique refusait les cotisations ainsi que l'Europe, le Conseil général tomberait de lui même. » (3)

A propos de la deuxième section « rebelle » de New-York, « Ranvier trouve qu'on joue avec les règlements. La section 2 s'est sépa­rée du Conseil fédéral, s'est endormie et, à l'approche du Congrès universel, a voulu y être représentée et y protester contre ceux qui ont agi. Comment d'ailleurs cette section s'est-elle mise en règle avec le Conseil géné­ral ? C'est seulement le 26 août qu'elle a payé ses cotisations. Une pareille conduite frise la comédie et ne peut être tolérée. Ces petites coteries, ces églises, ces groupes in­dépendants les uns des autres sans lien commun ressemblent à de la franc-maçon­nerie et ne peuvent être tolérés dans l'Internationale. » (3)

Le Congrès décida, avec raison, que seules les délégations ayant payé leurs cotisations pourraient y participer. Voici comment Farga Pellicer a « expliqué » l'absence des cotisations des alliancistes espagnols : « Quant aux cotisations, il s'expliquera :... la situation était difficile, ils ont eu à lutter contre la bourgeoisie, et presque tous les ouvriers appartiennent à des trade-unions. Ils tendent à unir tous les travailleurs contre le capital. L'Internationale fait de grands progrès en Espagne, mais la lutte est coû­teuse. Ils n'ont pas payé leurs cotisations, mais ils le feront. » (3)

En d'autres termes, ils gardaient pour eux l'argent de l'organisation. Telle fut la ré­ponse du trésorier de l'Internationale :

« Engels, secrétaire pour l'Espagne, trouve étrange que les délégués arrivent avec l'ar­gent dans leurs poches et n'aient pas encore payé. A la Conférence de Londres, tous les délégués s'étaient immédiatement acquittés, et les espagnols devaient en faire de même ici car c'était indispensable pour la valida­tion des mandats. » (3)

Deux pages plus loin, on lit dans le procès-verbal : « Farga Pellicer remet les cotisa­tions, moins le dernier trimestre qui n'est pas rentré » (3), c'est-à-dire l'argent que, soi-disant, il n'avait pas !

Il n'était pas surprenant qu'ensuite, l'Alliance et ses supporters aient proposé de diminuer les cotisations des membres en vue d'affai­blir l'organisation. Le Congrès, quant à lui, proposait de les augmenter.

« Brismée est pour la diminution des coti­sations car les travailleurs ont à payer à la section, au Conseil fédéral et que c'est une grande charge pour lui de donner dix centi­mes par an au Conseil général. » (3)

Frankel y répondit en défense de l'organisa­tion :

« Frankel est ouvrier salarié et justement il pense que dans l'intérêt de l'Internationale il faut absolument augmenter les cotisations. Il y a des fédérations qui ne paient qu'au dernier moment et le moins possible. Le Conseil n'a pas le sou en caisse (...) Frankel croit qu'avec les moyens de propagande que permettra l'augmentation des cotisations (...) les divisions cesseraient dans l'Internationale et elles n'existeraient pas aujourd'hui si le Conseil général avait pu envoyer des émissaires dans les différents pays où elles se sont manifestées. » (3)

Sur cette question, l'Alliance obtint une vic­toire partielle : les cotisations furent mainte­nues au niveau précédent.

Finalement, le Congrès rejeta fermement les calomnies de l'Alliance et de la presse bour­geoise à ce sujet :

« Marx observe que tandis que les membres du Conseil avançaient leur argent pour payer les frais de l'Internationale, des ca­lomniateurs dont la Fédération jurassienne a été l'un des organes, ont accusé ces mê­mes membres de vivre du Conseil. Lafargue dit que la Fédération jurassienne a été l'un des organes de ces calomnies. » (3)

La défense du Conseil général au coeur de la défense de l'Internationale

« Le Conseil général... met à l'ordre du jour en tant que question la plus importante à discuter au Congrès de la Haye la révision des statuts et règlements généraux. » (Résolution du Conseil général sur l'ordre du jour du Congrès de La Haye)

Sur le plan du fonctionnement, la question centrale portait sur la modification suivante des règles générales :

« Article 2. Le Conseil général est tenu d'exécuter les résolutions du Congrès et de veiller dans chaque pays à la stricte obser­vation des principes fondamentaux et des Statuts et règlements généraux de l'Internationale.

Article 6. Le Conseil général a également le droit de suspendre des branches, sections, conseils ou comités fédéraux et fédérations de l'Internationale jusqu'au prochain Congrès. » (Résolution relative aux règles administratives)

A l'inverse, les ennemis du développement de l'Internationale cherchaient à détruire son unité centralisée. Il est manifeste que « l'opposition de principe à la centralisa­tion » ne constituait qu'un prétexte pour l'Alliance dont les statuts secrets convertis­saient la « centralisation » en une dictature personnelle d'un seul homme, celle du « Citoyen B. » (Bakounine). Derrière l'amour des bakouninistes pour le fédéra­lisme résidait, en fait, la conscience que la centralisation constituait l'un des principaux moyens de résistance de l'Internationale à la destruction, l'empêchant d'être démantelée morceau par morceau. Pour réaliser cette « sainte destruction » les bakouninistes ex­ploitèrent les préjugés fédéralistes des élé­ments petit-bourgeois dans l'organisation :

« Brismée veut qu'on révise d'abord les Statuts, ce qui pourrait bien amener la sup­pression du Conseil général, ce qui a déjà été proposé par les belges à leur Congrès et n'a été remis qu'à la condition de couper ongles et crocs au Conseil. » (3)

Quant à Sauva (Etats-Unis), « ses mandatai­res à lui veulent le maintien du Conseil mais ils veulent d'abord qu'il n'ait aucun droit et que ce souverain n'ait pas le droit de donner des ordres à ses domestiques (rires). » (3)

Le Congrès rejeta ces tentatives de destruc­tion de l'unité de l'organisation en adoptant le renforcement du Conseil général, trans­mettant ainsi un message que les marxistes ont suivi jusqu'à nos jours. Comme Hepner l'a déclaré au cours du débat :

« Hier soir, deux grandes idées ont été mentionnées : centralisation et fédéralisme. Cette dernière s'est exprimée dans l'absten­tionnisme ; mais cette abstention de toute activité politique mène au poste de police. » ([7] [47])

Et Marx de rajouter : « Sauva a changé d'opinion depuis Londres. Quant à l'auto­rité, à Londres il était pour l'autorité du Conseil général et contre celle des Conseils fédéraux ; ici il a défendu le contraire. » (...) « Par pouvoir du Conseil on ne parle pas de celui qui a existé, ce n'est donc pas pour nous mais pour l'institution. »

«  Marx a déclaré qu'il voterait plutôt pour l'abolition que pour un Conseil boîte à let­tre » (3)

Contre l'exploitation par les bakouninistes de la peur petite bourgeoise de la « dictature », Marx argumentait :

« Mais que nous attribuions au Conseil gé­néral les droits d'un prince nègre ou d'un tsar russe, son pouvoir est illusoire si le Conseil général cesse d'exprimer la volonté de la majorité de l'AIT. » (4)

 « Le Conseil général n'a ni armée, ni bud­get, il n'a que sa force morale et si vous lui retiriez ses pouvoirs, vous ne seriez qu'une force factice. » (3)

Le Congrès fit également le lien entre la question des principes prolétariens de fonc­tionnement et celle de la nécessité d'un parti politique de classe (autre changement ma­jeur qu'il adopta dans ses statuts). Ce lien s'illustrait dans la lutte contre « l'anti-au­toritarisme » qui constituait une arme contre le parti et contre la discipline de parti.

« Ici nous entendons des discours contre l'autorité. Nous sommes également contre les excès de toutes sortes mais une certaine autorité, un certain prestige seront toujours nécessaires pour permettre la cohésion du parti. Il est logique que les antiautoritaires doivent aussi abolir les conseils fédéraux, les fédérations, les comités et même les sec­tions puisque de l'autorité y est exercée à un degré plus ou moins grand ; ils doivent partout établir l'anarchie absolue, c.a.d transformer l'Internationale combattante en parti petit bourgeois en robe de chambre et en pantoufles. Comment peut-on s'opposer à l'autorité après la Commune ? Nous, ou­vriers allemands, sommes pour le moins convaincus que la Commune a failli en grande partie parce qu'elle n'a pas exercé assez d'autorité ! » ([8] [48])

 

L'enquête sur l'Alliance

Durant le dernier jour du Congrès, le rapport de la commission d'enquête sur l'Alliance fut présenté et discuté.

Cuno déclarait : « Il est absolument sûr qu'il y a eu des intrigues dans l'Association ; des mensonges, des calomnies et des tricheries ont été prouvées. La commission a fait un travail de surhomme, elle a siégé pendant 13 heures aujourd'hui. Maintenant, elle de­mande un vote de confiance pour l'accepta­tion des demandes mises en avant dans le rapport. » (4)

En fait, le travail de la commission d'en­quête pendant le Congrès fut phénoménal. Une montagne de documents fut examinée. Une série de témoins furent appelés pour rendre compte de différents aspects de la question. Engels lut le rapport du Conseil général sur l'Alliance. Il est significatif que l'un des documents présentés par le Conseil général à la commission ait été : « Les sta­tuts généraux de l'Association Internationale des Travailleurs après le Congrès de Genève, 1866 ». Cela illustre le fait que ce qui menaçait l'Internationale n'était pas les divergences politiques qui peuvent être traitées normalement dans le cadre prévu par les statuts mais la violation systématique des statuts eux-mêmes. Bafouer les principes organisationnels de classe du prolétariat constitue toujours un danger mortel pour l'existence et la réputa­tion des organisations communistes. La pré­sentation des statuts secrets de l'Alliance par le Conseil général prouvait suffisamment que c'était le cas ici.

La commission, élue par le Congrès, ne prit pas sa tâche à la légère. La documentation fournie par son travail est aussi longue que tous les autres documents du Congrès pris ensemble. Le texte le plus long, le rapport d'Outine, demandé par la Conférence de Londres l'année précédente, fait presque 100 pages. A la fin, le Congrès de La Haye de­manda la publication d'un document encore plus long, le fameux texte « L'Alliance de la Démocratie Socialiste et l'Association Internationale des Travailleurs ». Les or­ganisations révolutionnaires n'ayant rien à cacher au prolétariat ont toujours voulu in­former celui-ci sur ces questions dans la me­sure où le permettait la sécurité de l'organi­sation.

La commission a établi, sans aucun doute possible, le fait que Bakounine avait dissout puis refondé l'Alliance au moins trois fois pour tromper l'Internationale ; qu'il s'agissait d'une organisation secrète au sein de l'Association agissant contre les statuts dans le dos de l'organisation, dans le but de s'en emparer ou de la détruire.

La commission reconnut également le carac­tère irrationnel, ésotérique de cette forma­tion :

« Il est évident que dans toute cette organi­sation il existe trois degrés différents dont certains mènent les autres par le bout du nez. Toute l'affaire paraît si exaltée et ex­centrique que la commission se tord de rire sans arrêt. Ce genre de mysticisme est géné­ralement considéré comme une maladie mentale. Dans toute l'organisation se mani­feste le plus grand absolutisme. » (Procès-verbal de la commission d'enquête sur l'Alliance) (4)

Le travail de la commission fut entravé par plusieurs facteurs. L'un d'entre eux fut l'ab­sence de Bakounine au Congrès. Après avoir proclamé, à sa façon grande gueule, qu'il viendrait défendre son honneur au Congrès, il préféra laisser ses disciples le faire. Mais il proposa une stratégie ayant pour but de saboter l'enquête. D'abord, ses adeptes refu­sèrent de divulguer quoi que ce soit sur l'Alliance ou sur les sociétés secrètes en gé­néral pour « des raisons de sécurité », comme si leurs activités avaient visé la bourgeoisie et non l'AIT. Guillaume répéta ce qu'il avait déjà défendu au Congrès suisse romand :

« Chaque membre de l'Internationale garde la liberté pleine et entière de s'affilier à n'importe quelle société secrète, fût-ce même à la franc-maçonnerie ; une enquête sur une société secrète, ce serait simplement une dé­nonciation à la police. » ([9] [49])

De plus, le mandat impératif rédigé pour les délégués du Jura au Congrès stipulait :

« Les délégués du Jura élimineront toute question personnelle et ne mèneront des dis­cussions sur ce sujet que s'ils y sont forcés ; ils proposeront au Congrès qu'il oublie le passé et, pour le futur, la nomination d'un jury d'honneur qui devra prendre une déci­sion chaque fois qu'une accusation sera portée contre un membre de l'Internationale. » (4)

C'est un document d'esquive politique. La question de clarifier le rôle joué par Bakounine comme leader d'un complot con­tre l'Internationale est posée comme étant une « question personnelle » et non une question politique. Les investigations doi­vent être réservées « pour le futur » et pren­dre la forme d'une institution permanente pour régler les disputes comme le ferait un tribunal bourgeois. C'est une façon d'émas­culer totalement toute commission d'enquête ou tout jury d'honneur prolétarien.

Enfin, l'Alliance se posait comme « victime » de l'organisation. Guillaume con­testait « le pouvoir du Conseil général à mener une enquête sur l'Internationale. » ([10] [50]). Il affirmait que « tout le procès, c'est d'eliminer la soi-disant minorité, en réalité la majorité... c'est le principe fédéraliste qu'on condamne ici. » ([11] [51])

« Alerini pense que la commission n'a que des convictions morales et pas de preuves matérielles ; il a appartenu à l'Alliance et il en est fier (...) » Il accusa : « mais vous êtes la sainte inquisition ; nous demandons une enquête publique avec des preuves con­cluantes et tangibles. » ([12] [52])

Le Congrès alla jusqu'à nommer un sympa­thisant de Bakounine, Splingard, à la com­mission. Celui-ci dut admettre que l'Alliance avait existé comme société secrète dans l'Internationale bien qu'il ne comprît pas la fonction de la commission. Il y voyait son rôle comme celui d'un « avocat défendant Bakounine » (qui, de toutes façons, était as­sez grand pour se défendre lui-même) et non comme partie d'un corps collectif d'investi­gation.

« Marx dit que Splingard s'est conduit dans la commission comme un avocat de l'Alliance, pas comme un juge impartial. » ([13] [53])

L'autre accusation était qu'il n'y avait « pas de preuves ». Marx et Lucain y répondirent.

« Splingard sait très bien que Marx a donné tous ces documents à Engels. Le Conseil fé­déral espagnol lui-même a fourni des preu­ves et il (marx) en a ajouté de Russie mais ne peut divulguer le nom de celui qui les a envoyées ; sur ce sujet en général, la com­mission a donné sa parole d'honneur de ne rien divulguer de ce qu'elle a traité, en par­ticulier aucun nom, sa décision à ce sujet est irrévocable. » ([14] [54])

Lucain déclara : « Je demande si on doit at­tendre que l'Alliance ait perturbé et désor­ganisé toute l'Internationale, puis apporter des preuves. Mais nous refusons d'attendre aussi longtemps. Nous attaquons le mal là où nous le voyons car c'est notre devoir. » ([15] [55])

Le Congrès, sauf la minorité bakouniniste, soutint les conclusions de la commission. En réalité, la commission ne proposa que 3 ex­clusions : celles de Bakounine, Guillaume et Schwitzguébel. Seules les deux premières furent adoptées par le Congrès. Voila ce que vaut la légende selon laquelle l'Internationale voulait éliminer une minorité gênante par des moyens disciplinaires ! Contrairement à ce qu'anarchistes et con­seillistes proclament, les organisations pro­létariennes n'ont pas besoin de telles mesu­res, elles n'ont pas peur d'une clarification politique totale à travers le débat, mais y sont, au contraire, très attachées. Et elles n'excluent des membres que dans des cas, totalement exceptionnels, d'indiscipline ou de déloyauté graves.

Comme l'a dit Johannard à La Haye : « L'exclusion de l'AIT constitue la sentence la pire et la plus déshonorante qui puisse être portée contre un homme ; un tel homme ne pourra plus jamais faire partie d'une so­ciété honorable. » (4)

Le front parasitaire contre l'Internationale

Nous ne traiterons pas ici de l'autre décision grave du Congrès, c'est-à-dire le transfert du Conseil général de Londres à New York. La raison de cette proposition c'est que, malgré la défaite des bakouninistes, le Conseil gé­néral à Londres pouvait tomber entre les mains d'une autre secte, les blanquistes. Ces derniers, refusant de voir le recul internatio­nale de la lutte de classe causé par la défaite de la Commune de Paris, risquaient de dé­truire le mouvement ouvrier par une série de luttes de barricades sans raison d'être. En fait, alors qu'à l'époque Marx et Engels espé­raient pouvoir ramener plus tard le Conseil général en Europe, la défaite de Paris avait marqué le début de la fin de la première Internationale. ([16] [56])

Par contre, ce sur quoi nous conclurons cet article, c'est sur l'une des plus grandes réali­sations historiques accomplies par le Congrès de La Haye. Cette réalisation que la postérité a fondamentalement ignorée ou complètement incomprise (comme Franz Mehring par exemple, dans sa biographie de Marx), c'est d'avoir su identifier l'existence du parasitisme politique contre les organi­sations ouvrières.

Le Congrès de La Haye montra que l'Alliance de Bakounine n'avait pas agi toute seule mais qu'elle était le centre coordina­teur d'une opposition parasitaire au mouve­ment ouvrier soutenue par la bourgeoisie.

L'un des principaux alliés de l'Alliance dans sa lutte contre l'Internationale était constitué par le groupe autour de Woodhull et West en Amérique qu'on ne pouvait même pas qualifier d'« anarchiste ». « Le mandat de West est signé par Victoria Woodhull qui a mené des intrigues pendant des années pour accéder à la présidence des Etats-Unis ; elle est présidente des spiritualistes, prêche l'amour libre, fait des affaires bancaires, etc. » Elle publia, comme l'a rappelé Marx, le « célèbre appel aux citoyens de langue anglaise des Etats Unis dans lequel toute une série de non-sens sont attribués à l'AIT et sur la base duquel plusieurs sections fu­rent formées dans le pays. Entre autres cho­ses, l'appel mentionnait la liberté person­nelle, la liberté sociale (l'amour libre), la façon de s'habiller, le droit de vote des fem­mes, un langage universel, etc. (Ces gens) posaient la question des femmes avant celle de la classe ouvrière et refusaient de recon­naître l'AIT comme organisation ouvrière. » (Intervention de Marx) ([17] [57])

Sorge révéla le lien de ces éléments avec le parasitisme international :

« Ils (la section 12) ont reçu les communi­cations des intrigants contre l'Association avec zèle et ardeur. A l'insu du Comité cen­tral, des autres sections, etc., ils deman­daient au Conseil général la domination de l'organisation en Amérique, intriguant ainsi contre leurs compagnons qui avaient le malheur d'être nés dans une autre partie du globe... Dans leurs conseils, ils ont souvent parlé avec dédain des Communards français et des athées allemands dont ils voulaient se débarrasser ; et ces déclarations ont été publiées avec leur consentement.

Nous demandons la discipline ; nous de­mandons la soumission, non pas à une per­sonne, un comité ou un conseil quelconque mais au principe, à l'organisation.

La classe ouvrière en Amérique se compose d'abord d'irlandais, puis d'allemands, puis de nègres et en quatrième lieu d'américains nés (...). Il nous faut donc des irlandais pour créer une bonne organisation ; et les irlandais nous ont déclaré et nous déclarent toujours que leurs compatriotes ne s'affilie­ront jamais à notre Association tant que Woodhull, Claflin et ses adhérents y jouent un rôle. »

La discussion mit à jour ensuite la coordi­nation internationale des attaques contre l'AIT avec les bakouninistes en leur centre.

« Le Moussu vit dans la Fédération juras­sienne la reproduction d'une lettre que lui adressait le Conseil de Spring Street en ré­ponse à l'ordre de suspension de la section 12 (...) concluant à la formation d'une nou­velle Association au moyen des éléments dissidents d'Espagne, de Suisse et ceux de Londres. Ainsi, non contents de méconnaître l'autorité que le Conseil général tient d'un Congrès, et de réserver leurs griefs jusqu'à ce jour, ainsi que le commandent les statuts, ces individus, prétendant fonder une société nouvelle, se mettent en rupture ouverte avec l'Internationale. »

Le Moussu « appelle surtout l'attention du Congrès sur la coïncidence des attaques dont le Conseil général et ses membres sont l'objet de la part de la Fédération juras­sienne et de sa soeur la Fédération des sieurs Vésinier et Landeck, cette dernière déclarée policière et ses rédacteurs expulsés comme policiers par la Société des Réfugiés de la Commune à Londres.

La falsification commise a pour effet de re­présenter les communalistes siégeant au Conseil général comme des admirateurs du régime bonapartiste, les autres membres étant des bismarckiens, ces misérables ne cessent de l'insinuer... Comme si les vérita­bles bismarckiens et les bonapartistes n'étaient pas ceux qui, comme ces écrivas­siers de toutes les fédérations, se traînent à la remorque des limiers de tous les gouver­nements pour insulter les vrais soutiens du prolétariat... Je leur dis donc, à ces vils in­sulteurs : vous êtes les dignes auxiliaires des polices bismarckienne, bonapartiste et thiériste. Vous êtes des faussaires ! »

Sur le lien entre l'Alliance et la police : « Dereure informe le Congrès qu'il y a une heure à peine Alerini lui a dit avoir été l'ami intime de Landeck, espion de la police à Londres. » ([18] [58])

Le parasitisme allemand, sous la forme des lassalliens expulsés de l'« Association édu­cative des ouvriers allemands » à Londres, était également lié à ce réseau parasitaire in­ternational via le Conseil fédéraliste univer­sel de Londres mentionné plus haut, au sein duquel il collaborait avec d'autres ennemis du mouvement ouvrier tels que des francs-maçons radicaux français et les mazzinistes italiens.

« Le parti bakouniniste en Allemagne était l'Association générale des ouvriers alle­mands dirigée par Schweitzer et ce dernier fut finalement démasqué comme agent de la police. » (Intervention d'Hepner)

Le Congrès mit aussi en évidence la collabo­ration entre les bakouninistes suisses et les réformistes britanniques de la Fédération anglaise de Hales.

En réalité, en plus d'infiltrer et de manipuler des sectes dégénérées qui avaient appartenu dans le passé au mouvement ouvrier, la bourgeoisie a également créé ses propres or­ganisations en vue de contrer l'Internationale. Les philadelphiens et les mazzinistes de Londres tentèrent de s'empa­rer directement du Conseil général mais ils échouèrent avec l'éviction de leurs membres du sous-comité du Conseil général en sep­tembre 1865.

« Le principal ennemi des philadelphiens, l'homme qui a empêché qu'ils fassent de l'Internationale le théâtre de leurs activités, était Karl Marx. »

Le lien direct entre ce milieu et les ba­kouninistes que fait Nicolaïevski est plus que probable étant donnée leur identification ouverte avec les méthodes et les organisa­tions de la franc-maçonnerie.

Les activités destructrices de ce milieu fu­rent prolongées par les provocations terroris­tes de la société secrète de Félix Pyat, « la Commune révolutionnaire républicaine ». Ce groupe, ayant été exclu et condamné publiquement par l'Internationale, continua d'opérer en son nom, attaquant sans cesse le Conseil général.

En Italie par exemple, la bourgeoisie monta une « Societa universale dei razionalisti » (Société universelle des rationalistes), sous la direction de Stefanoni, pour combattre l'Internationale dans ce pays. Son journal publiait les mensonges de Vogt et des las­salliens allemands sur Marx et défendait ar­demment l'Alliance de Bakounine. Le but de ce réseau de pseudo-révolutionnaires était de « calomnier à faire rougir les journaux bourgeois, dont ils sont les infâmes inspira­teurs, contre les internationaux », et ils ap­pelaient cela « grouper les ouvriers » (Intervention de Duval)

C'est pourquoi, au coeur des interventions de Marx au Congrès de La Haye, il y avait la nécessité vitale de défendre l'organisation contre toutes ces attaques. Sa vigilance et sa détermination doivent nous guider aujourd'­hui face à des attaques similaires.

« Quiconque sourit avec scepticisme à la mention de sections formées par la police doit savoir que de telles sections ont existé en France, en Autriche et ailleurs ; et le Conseil général a reçu la requête de ne re­connaître aucune section qui ne soit fondée par des délégués du Conseil général ou de l'organisation là-bas. Vésinier et ses cama­rades, que les réfugiés français ont récem­ment expulsés, sont naturellement de la Fédération jurassienne... Des individus comme Vésinier, Landeck et d'autres, à mon avis, forment d'abord un conseil fédéral puis une fédération et des sections ; les agents de Bismarck peuvent faire la même chose, donc le Conseil général doit avoir le droit de dissoudre ou de suspendre un con­seil fédéral ou une fédération... En Autriche, les braillards, l'ultramontagne, les radicaux et les provocateurs forment des sections afin de discréditer l'AIT ; en France, un commis­saire de police a formé une section. » (4)

« Le cas de suspendre un Conseil fédéral s'est présenté à New York ; il se peut que dans d'autres pays des sociétés secrètes veuillent s'emparer des Conseils fédéraux, il faut les suspendre. Quant à la faculté de former librement des fédérations, ainsi que Vésinier, Landeck et un mouchard allemand, elle ne peut être.

Monsieur Thiers se fait le domestique de tous les gouvernements contre l'Internationale et il faut au Conseil le pou­voir d'éloigner les éléments dissolvants. (...) Vos anxiétés sont des subterfuges car vous appartenez aux sociétés qui se cachent et sont les plus autoritaires. »

Dans la quatrième et dernière partie de cette série d'articles, nous traiterons de Bakounine, l'aventurier politique et nous ti­rerons des leçons générales de l'histoire du mouvement ouvrier sur cette question de l'aventurisme.

Kr.

 


[1] [59]. « Les prétendues scissions dans l'Internationale », La première Internationale, Editions 10/18, 1976.

 

[2] [60]. Dans Le Congrès de la Haye de la Première Internationale, Procès-verbaux, Editions du Progrès, Moscou 1972.

 

[3] [61]. Le Congrès de la Haye de la Première Internationale, Procès-verbaux, Editions du Progrès, Moscou 1972.

Les citations du procès-verbal du Congrès de La  Haye du présent article sont soit reprises du Procès-verbal du Congrès pris en français par Benjamin Le Moussu (proscrit de La Commune et membre du Conseil général dès le 5 septembre 1871), retraduites du russe, soit traduites par nous de l'anglais.

 

[4] [62]. Traduit du PV en anglais par nous.

 

[5] [63]. Traduit du PV en anglais par nous.

Dans le PV français, on trouve : « La question est importante : nous allons voter si l'Internationale doit obéir à une coterie en société secrète. »

 

[6] [64]. Traduit de l'anglais par nous

 

[7] [65]. Traduit de l'anglais par nous.

Dans le PV en français on trouve : « Hepner dit que l'abstention a eu un triste succès en Allemagne - ils en ont assez - le parti étant des lassalliens mêlés de policiers. »

 

[8] [66] Traduit de l'anglais par nous.

Dans le PV français on trouve : « (Hepner) n'aime pas l'autorité inutile ni le culte des personnes, mais elle est nécessaire en ce moment pour unir les forces révolutionnaires. - Il demande aux Communalistes présent si c'est l'autorité qui les a perdus ou bien le contraire. »

 

[9] [67]. La vie de Karl marx, B. Nicolaïevski, Edition Gallimard, 1970.

 

[10] [68]. Traduit de l'anglais par nous.

Dans le PV français on trouve : « Guillaume proteste contre l'enquête du Congrès sur une société secrète. »

 

[11] [69]. Traduit de l'anglais par nous.

Dans le PV français, on trouve : « C'est un procès de tendance que vous faites(...) On a voulu condamner nos doctrines fédéralistes. »

 

[12] [70]. Traduit de l'anglais par nous.

Dans le PV français, on trouve : « Alerini... Vous n'avez pas de preuves morales. Il a appartenu à l'Alliance. C'est elle qui a fait l'Internationale espagnole... Vous n'avez pas le droit de m'empêcher de faire partie des sociétés secrètes. Si vous le faites, je dirai que c'est une coterie, une église, une sainte inquisition. »

 

[13] [71]. Traduit de l'anglais par nous.

Dans le PV français, on trouve : « Marx voit que Splingard parle comme l'avocat des accusés et non comme un juge d'instruction. »

 

[14] [72]. Traduit de l'anglais par nous.

Dans le PV français, on trouve : Marx « en appelle à la commission pour prouver qu'il a apporté des pièces et qu'il est faux de dire qu'il n'a apporté que des affirmations - J'ai encore prouvé l'existence de l'Alliance, etc, etc.

Quant aux papiers secrets, nous ne les avons pas demandés – ils existent – les documents que j'ai communiqués n'étaient pas des choses secrètes. J'ai encore fait une allusion au procès Netchaiev. »

 

[15] [73]. Traduit de l'anglais par nous.

Dans le PV français, on trouve : Lucain « Ce n'est pas assez de fonder une société qui tend à désorganiser l'Association et les auteurs de pareils projets -quand même ils ne réussiraient pas à les faire triompher- ne méritent-ils pas d'être expulsés de l'Internationale ? »

 

[16] [74]. Lire la deuxième partie de cette série dans la Revue Internationale

 

[17] [75]. Traduit de l'anglais par nous.

Dans le P.V. en français, on trouve : « Le second motif de son retrait (de la section 2 de New York), ce sont les intrigues politiques tendant à porter Mme Woodhull à la présidence des Etats Unis. » (Sauva)

« La section 12 veut l'émancipation des hommes et des femmes - elle s'occupe de la question politique pour atteindre ce but. L'homme et la femme sont esclaves l'un de l'autre, et si West pratique l'amour libre, cela le regarde seul. Il y a des spiritualistes parmi eux. Ils veulent en finir avec le mariage. » (West)

 

[18] [76]. Traduit de l'anglais par nous.

Dans le P.V. en français de Le Moussu, on trouve : « Alerini dit que Landeck est un honnête homme. »

 

 

Conscience et organisation: 

  • La première Internationale [77]

Courants politiques: 

  • Aventurisme, parasitisme politiques [78]

Approfondir: 

  • Questions d'organisation [79]

Réponse à la Communist Workers Organisation - Une politique de regroupement sans boussole

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La lettre qui suit a été envoyée au CCI ainsi qu'à d'autres groupes et éléments isolés comme réponse à une polémique publiée dans le journal du CCI en Grande-Bretagne et intitulée « Le CWO victime du parasitisme politique ». Cette polémique estimait que l'arrêt de la publication de Workers Voice, journal de la CWO, son apparent regroupement avec le CBG et son refus d'aider à la défense d'une réunion publique du CCI à Manchester contre des attaques, constituaient des concessions au parasitisme. De telle concessions trouvent une explication dans des conceptions erronées concernant le milieu politique prolétarien et qui se trouvaient déjà dans les bases de la formation de la CWO ainsi que de son regroupement avec Battaglia Comunista pour constituer le « Bureau International Pour le Parti Révolutionnaire » (BIPR).

Lettre de la CWO à World Revolution

C'est avec une certaine stupéfaction que nous avons lu votre attaque contre nous dans World Révolution n°190. La férocité de la polémique n'était pas une surprise et nous ne discuterons pas de l'importance de la question en jeu (l'organisation révolutionnaire), mais du fait que cette polémique est entièrement fondée sur une série d'erreurs factuelles qui auraient pu aisément être évitées en nous demandant tout simplement ce qu'il en était. Lorsque nous avons lu le compte-rendu très déroutant de votre 11e congrès, nous ne nous sommes pas lancés dans une polémique sur les dernières scissions dans le CCI sur la base de son stalinisme supposé. Au contraire, le BIPR a discuté de ce rapport avec les camarades de RI à Paris en juin dernier et a été rassuré par eux sur le fait que le CCI ne faisait que garantir un fonctionnement interne futur en accord avec les normes d'une politique principielle prolétarienne. Nous sommes entièrement d'accord que l'existence de «clans» (fondés sur des loyautés personnelles), contrairement à l'existence de tendances (basées sur des divergences politiques concernant des questions nouvelles) sont quelque chose qu'une organisation saine doit éviter. Cependant, nous pensons que la manière dont vous avez ensuite traité cette question vous a conduits à une vision caricaturale de la question de l'organisation politique à l'heure actuelle. Nous aborderons cela dans un prochain article de notre presse. Pour le moment, nous aimerions que vous publiez cette lettre, en guise de correctif, pour permettre à vos lecteurs de juger par eux-mêmes.

  1. Nous allons écrire une histoire de la CWO pour nos propres membres et sympathisants mais nous pouvons assurer à vos lecteurs que, bien longtemps avant que la CWO ou le CCI n'ait vu le jour, la question des droits fédéralistes avait été tranchée en faveur d'une organisation internationale centralisée. La demande de «droits fédéralistes» à laquelle FS fait référence est une simple lettre écrite avant que ni la CWO ni le CCI n'existent, lorsque RP (Revolutionnary Perspectives) se réduisait à un seul individu !
  2. En septembre 1975, c'était une condition d'admission dans la CWO que de reconnaître la révolution russe d'Octobre 1917 comme prolétarienne et comme l'étant restée durant les 3 ans et demi qui ont suivi.
  3. La réévaluation par la CWO de la contribution des gauches allemande et italienne à l'actuelle clarté de la Gauche communiste internationale ne s'est pas faite du jour au lendemain. Elle a pris cinq années de débat, souvent difficile et quelquefois douloureux, avec des changements constants dans les positions en présence à mesure que les questions étaient approfondies. On peut trouver les textes de la CWO sur ce débat dans Revolutionnary Perspectives n°18, 19 et 20. Nos discussions avec Il Partito Comunista Intemazionalista (Battaglia Comunista) ont commencé lorsqu'il a fraternellement critiqué notre plate-forme en septembre 1975 et nous n'avons pas formé le Bureau avant 1984. Ce n'était certainement pas un arrangement opportuniste précipité !
  4. Les «maoïstes» iraniens dont vous parlez étaient les «Student Supporters of thé Unity of Communist Militants» (Partisans étudiants de l'unité des combattants communistes). Ils ne pouvaient pas être maoïstes sinon le CCI n'aurait pas mené (à notre insu à l'époque) des discussions secrètes avec eux, des mois avant que nous ne les rencontrions. Ils ne pouvaient pas être maoïstes puisqu'ils ont accepté tous les critères fixés comme critères prolétariens de base par les Conférences Internationales de la Gauche Communiste. Leur évolution ultérieure les a conduits dans le parti communiste d'Iran qui s'était formé sur des principes contre-révolutionnaires. Notre critique de cette organisation peut être trouvée dans la Communist Review n°1.
  5. Le «Communist Bulletin Group» n'était pas seulement constitué d'ex-membres de la CWO, comme tous vos articles essayent de le maintenir. Il comprenait également des gens qui n'ont jamais été à la CWO, y compris un membre fondateur de World Revolution (qui venait, comme tous les autres fondateurs, du groupe Solidarity). Il peut également avoir échappé à vos lecteurs que le CBG n'existe plus, excepté dans les pages de WR.
  6. La CWO ne participe à aucun regroupement, formel ou informel, avec l'ex-CBG ni avec aucun de ses membres individuellement. En fait, à part l'accusé de réception à l'annonce de sa disparition, nous n'avons eu aucun contact direct avec le CBG depuis que nous lui avons envoyé un texte sur l'organisation en juin 1993. Ceci semble avoir précipité sa crise finale.
  7. Des membres de la CWO ont effectivement participé au cercle d'études de Sheffield, qui incluait au départ des anarchistes, des personnes non affiliés se réclamant de la Gauche communiste, Subversion et un membre de l'ex-CBG. Cependant, comme des membres du CCI de Londres y ont également assisté (après avoir demandé leurs invitations aux anarchistes plutôt qu'à nous !), nous n'étions pas trop inquiets sur le risque d'être happés par les parasites. Ceci s'est terminé au printemps 1995, lorsqu'il fut clair que seule la CWO était intéressée à poursuivre le travail d'approfondissement. Le cercle de Sheffield a depuis été remplacé par des «réunions de formation» de la CWO qui sont ouvertes à tous ceux qui sympathisent avec les positions de la Gauche communiste et sont prêts à approfondir sur les thèmes de chaque réunion. Jusque là, personne d'aucune autre organisation n'y a participé.
  8. Nous n'avons jamais exclu le CCI d'aucune de nos initiatives. Lorsque nous l'avons invité à prendre part aux réunions communes de tous les groupes de la Gauche Communiste, il a refusé sur la base qu'il «ne voulait pas partager une plate-forme avec les parasites» (mais il était quand même présent à la réunion). Loin de redouter la confrontation politique avec le CCI, c'est nous qui avons initié la série de débats qui se sont tenus à Londres à la fin des années 70 et au début des années 80. Par le passé, nous avons été présents à une douzaine de réunions publiques du CCI à Londres et Manchester, malgré les problèmes géographiques. En 15 ans, le CCI n'a assisté qu'à une seule de nos réunions à Sheffield (et uniquement pour vendre WR).
  9. En réalité, il n'y avait aucun membre de la CWO à la réunion de Manchester autour de laquelle votre attaque fait tant de tapage. Un sympathisant de la CWO constituait tout le public jusqu'à ce que les deux autres individus arrivent. Pratiquement chacun de vos mots sur la réunion est une grossière exagération. Notre sympathisant s'est comporté d'une manière absolument correcte durant la réunion. Il s'est explicitement dissocié de toutes les accusations de «stalinisme» faites au CCI, mais a attendu que le reste du « public » soit parti avant de critiquer le comportement du présidium (...).
  10. Nous n'avons pas liquidé notre journal mais adopté une nouvelle stratégie de publication qui, pensons-nous, nous permettra de toucher plus de communistes potentiels. La CWO n'a pas abandonné toute existence organisationnelle, ni «apparemment» ni autrement. Au contraire, le début de 1996 a marqué notre renforcement organisationnel. Vue la condition actuelle de World Révolution, rendue évidente par sa polémique d'un sectarisme sans précédent, il est plus nécessaire que jamais que nous poursuivions notre tâche pour l'émancipation de notre classe. Ce qui inclut naturellement des débats sérieux parmi les révolutionnaires.

CWO.

Réponse à la CWO

Pour répondre à la lettre de la CWO et rendre nos désaccords mutuels intelligibles pour le milieu politique prolétarien, nous devons aller au delà d'une réplique au coup par coup aux «rectifications» ci-dessus. Nous ne pensons pas que notre polémique était basée sur des erreurs factuelles, comme nous allons le montrer. Nous pensons que les «démentis factuels» de la CWO ne font qu'obscurcir les questions sur lesquelles portent nos désaccords. Ils tendent à donner l'impression que les débats entre organisations révolutionnaires sont de vulgaires querelles de chapelles et font de ce fait, le jeu des parasites qui prétendent qu'une confrontation organisée des divergences est inutile.

Nous avons donné comme argument dans notre polémique que la faiblesse de la CWO envers le parasitisme était basée sur une difficulté fondamentale à définir le milieu politique prolétarien, le processus de regroupement qui doit prendre place au sein de celui-ci et même à clarifier les bases de sa propre existence comme organisation séparée dans le milieu. Ces confusions organisationnelles se sont illustrées dans les événements entourant la naissance de la CWO et dans son attitude politique avec Battaglia Comunista lors des Conférences des groupes de la Gauche Communiste (1977-1980). Malheureusement, dans sa lettre, la CWO n'évoque pas ces arguments (qui ne sont pas nouveaux et qui ont été développés dans la Revue Internationale au cours des 20 dernières années), préférant se cacher derrière le rideau de fumée de ses accusations à propos de nos «erreurs factuelles».

La fondation incomplète de la CWO

La CWO a été formée sur la base des positions programmatiques et du cadre théorique développés par la Gauche Communiste. C'était de ce fait une expression véritable du développement de la conscience de classe dans la période qui suit la fin de la contre-révolution. Mais la CWO a été formée en 1975, en même temps qu'une autre organisation - avec laquelle elle avait été en discussion jusqu'alors - était créée sur la base des mêmes positions de classe et du même cadre principiel : le Courant Communiste International. Pourquoi la création par la CWO d'une organisation séparée avec les mêmes positions politiques ? Comment justifier une telle division des forces révolutionnaires alors que leur unité et leur regroupement sont d'une importance fondamentale pour l'accomplissement de leur rôle d'avant-garde dans la classe ouvrière ? Pour le CCI, le processus de regroupement devait se poursuivre en dépit des difficultés. Pour la CWO, une politique de développement séparé était nécessaire à cause de certaines divergences avec le CCI qui, sans être négligeables, étaient secondaires. La CWO avait une interprétation différente de celle du CCI sur QUAND s'était achevée la dégénérescence de la Révolution russe. Ces camarades considéraient que, du fait de ces divergences, le CCI n'était pas un groupe communiste mais un groupe contre-révolutionnaire.

Une telle confusion à propos des bases sur lesquelles il fallait créer une organisation séparée et sur lesquelles il fallait établir des relations avec d'autres organisations, a renforcé inévitablement l'esprit de chapelle qui était si prégnant lors de la réémergence des forces communistes depuis 1968. Une des illustrations de cet esprit sectaire était la requête de la part du noyau qui allait constituer la CWO en faveur de droits fédéraux au sein du CCI.

Dans leur lettre les camarades de la CWO affirment leur accord pour la centralisation internationale et leur rejet du fédéralisme. C'est évidemment très louable mais ne répond pas à la question : une telle requête (qui n'est pas démentie par les camarades) était-elle ou non une expression de mentalité sectaire ? N’était-ce pas une tentative de préserver artificiellement l'identité du groupe en dépit de son accord avec le CCI sur les principes fondamentaux du marxisme ? La véritable erreur de la requête n'était pas dans ses concessions au fédéralisme comme tel mais dans la tentative de maintenir en vie la mentalité de boutiquier. Néanmoins, nous pouvons voir qu'un tel esprit sectaire peut conduire à l'affaiblissement de certains principes que l'organisation peut par ailleurs s'efforcer de défendre. Malgré la ferme conviction de la CWO en faveur de l'organisation internationale centralisée, son regroupement avec Battaglia Comunista en 1984 conduisant à la formation du BIPR (c'est-à-dire au moins 9 ans après que la question des droits fédéralistes ait été apparemment tranchée par la CWO) l'autorise à conserver une plate-forme séparée, tant la plate-forme de Battaglia que celle du BIPR, à conserver son propre nom et à décider de sa propre activité nationale.

La question ici n'est pas si la CWO croit à l'esprit de centralisation internationale mais que la confusion sur les problèmes organisationnels du regroupement rend la chair faible.

C'est vrai que la proposition de «droits fédéraux» n'était probablement pas le signe le plus important de la confusion sur les problèmes du regroupement. Mais nous pensons que la CWO a tort d'en nier complètement l'importance. Si le CCI n'avait pas fermement rejeté cette proposition, il apparaît bien probable, à en juger par le caractère fédéraliste du regroupement avec Battaglia Comunista, que cette demande de droits fédéralistes n'en serait pas restée à un peu d'encre jetée sur du papier.

Il est stupide que les camarades protestent que la lettre avait été écrite avant que la CWO et le CCI ne se constituent et que, de ce fait, elle n'était pas significative. Une telle lettre n'aurait pu être écrite après la formation de la CWO, puisqu'une des bases de cette dernière était que le CCI était passé dans le camp du capital !

Dans une autre «rectification» de notre polémique initiale, les camarades de la CWO insistent sur le fait que la reconnaissance de la nature prolétarienne de la Révolution d'Octobre 1917 était une condition d'admission à la CWO depuis septembre 1975. Nous l'accordons volontiers aux camarades et nous n'avons pas défendu le contraire dans notre polémique. Les camarades qui ont fondé le CCI se souviennent bien des longues discussions qu'ils ont dû mener à partir de 1972-74 pour convaincre ceux qui allaient fonder la CWO de la nature prolétarienne d'Octobre1. Nous avons mentionné, dans notre polémique, que le groupe Workers Voice de Liverpool, à qui Revolutionnary Perspectives s'est joint en 1975 pour former la CWO, n'était pas homogène sur cette question vitale, pour ensuite illustrer le fait que ce regroupement était, au mieux, contradictoire. Cela semble s'être confirmé avec la séparation, un an plus tard, entre les deux parties constitutives de la CWO suivie d'une nouvelle séparation en deux, peu après. Non seulement la CWO avait élevé des questions secondaires au niveau de frontières de classe, mais elle avait aussi minimisé des questions fondamentales.

La CWO, les Conférences internationales et le BIPR

Les problèmes de compréhension de ce qu'est le milieu politique prolétarien et de comment il peut être unifié, ont également été rencontrés lors des Conférences internationale. L'appel à ce type de rencontre par Battaglia Comunista et les réponses positives données par le CCI, la CWO et d'autres groupes exprimaient indiscutablement la volonté d'éliminer les fausses divisions dans le mouvement révolutionnaire. Malheureusement, la tentative est finalement tombée par terre après trois conférences. La principale raison de cet échec résidait dans des erreurs politiques sérieuses concernant les conditions et le processus du regroupement des révolutionnaires.

Les critères d'invitation par BC à la première conférence n'étaient pas clairs puisque des groupes gauchistes de l'époque, comme Combat Communiste et Union Ouvrière faisaient partie de la liste. Des organisations faisant partie du camp révolutionnaire, comme Programma Comunista, n'en faisaient pas partie. En outre, il n'était pas clair pour quelle raison la rencontre des groupes communistes devait avoir lieu. Dans son document d'invitation initial, BC considérait que c'était à cause de la social-démocratisation des PC européens.

Depuis le début, le CCI insistait pour une claire délimitation des groupes pouvant participer à de telles conférences. A cette époque, la Revue internationale n°11 avait publié une Résolution sur les groupes politiques prolétariens adoptée au 2e Congrès du CCI. Dans la Revue internationale n° 17 a été publiée une Résolution sur le processus de regroupement qu'il avait soumise à la 2e Conférence. Une idée claire de qui appartenait au milieu révolutionnaire était nécessaire pour poursuivre le processus de regroupement. Le CCI insistait également pour que les discussions des conférences soient dédiées à l'examen des divergences politiques fondamentales existant entre les groupes et à l'élimination progressive des fausses divisions, particulièrement celles créées par le sectarisme.

Une illustration des différentes conceptions sur ce que devraient être les conférences est donnée à travers la discussion d'ouverture à la 2e Conférence (novembre 1978). Le CCI avait proposé une résolution incluant une critique des groupes comme Programma et le FOR qui avaient refusé, de façon sectaire, de participer. Cette résolution fut rejetée à la fois par BC et la CWO, cette dernière répondant :

«Nous pouvons regretter que certains de ces groupes aient jugé sans intérêt de participer. Cependant, certains de ces groupes vont changer de position dans le futur. De plus, la CWO est en train de discuter avec certains d'entre eux, et il ne serait guère diplomatique de faire une telle résolution» (Brochure sur la 2e Conférence des groupes de la Gauche communiste, Vol.2).

Là résidait le problème des conférences. Pour le CCI, elles devaient continuer, en se basant sur des principes organisationnels clairs au centre du processus de regroupement. Pour la CWO et BC ce processus était une question de... diplomatie, même si seule la CWO était assez maladroite pour le dire ouvertement.2

Initialement, la CWO et BC n'étaient pas clairs sur qui devrait participer aux conférences. Ultérieurement, ces organisations sont passées à une bien plus grande restriction dans les critères, restriction sur laquelle elles ont insisté soudainement à la fin de la 3e conférence. Le débat sur le rôle du parti, qui demeurait une question essentielle en discussion entre les différents groupes, a été clos. Le CCI, qui n'était pas d'accord avec la position adoptée par BC et la CWO, a été exclu des conférences.

Le caractère erroné de cette démarche s'est révélé quand, à la 4e conférence, la CWO et BC ont relâché les critères afin de permettre que la place du CCI soit prise par le SUCM (Student supports of the Unity of Communist Militants) dont la rupture avec le gauchisme iranien n'était qu'apparente. Cependant, d'après la lettre de la CWO, le SUCM n'était pas maoïste puisque le CCI avait discuté avec lui «secrètement» et puisqu'il avait accepté les critères de participation aux conférences. La CWO semble ici adopter un «argument» assez malencontreux - nos fautes ont été aussi vos fautes - qui relève d'une méthode bien peu appropriée pour traiter des faits. Nous reviendrons sur cet «argument» plus loin.

«1.1 La domination du révisionnisme sur le parti communiste de Russie a abouti à la défaite et au recul de la classe ouvrière mondiale dans une des ses principales places fortes»3. Par révisionnisme, ces maoïstes iraniens, comme ils l'expliquent ailleurs dans leur programme, entendaient la révision «Kroutchévienne» du «Marxisme-Léninisme», c'est-à-dire du stalinisme. Selon eux, le prolétariat a été définitivement défait, non pas lorsque Staline a annoncé la construction du socialisme dans un seul pays, mais au contraire après la mort de Staline, c'est-à-dire bien après l'écrasement de la classe ouvrière russe dans les goulags et sur les champs de bataille impérialistes, la destruction du parti bolchevik, l'écrasement de la classe ouvrière allemande, espagnole, chinoise, bien après l'envoi de 20 millions d'être humains dans l'abattoir de la seconde guerre mondiale...

A ses débuts, la CWO taxait le CCI de contre-révolutionnaire parce que ce dernier considérait que la dégénérescence de la révolution d'Octobre n'était pas achevée en 1921. Sept ans plus tard, la CWO tenait des discussions fraternelles en vue de former le futur parti avec une organisation qui considérait la révolution comme ayant pris fin en ... 1956 !

Selon le SUCM, ce n'était pas la révolution socialiste qui était à l'ordre du jour en Iran comme partout ailleurs mais la «révolution démocratique», supposée en être une étape.

Niant la nature impérialiste de la guerre Iran-Irak, le SUCM avançait les arguments les plus sophistiqués pour appeler au sacrifice du prolétariat sur l'autel de la défense nationale. Le SUCM semblait être d'accord avec BC et la CWO sur le rôle du parti mais le «rôle organisateur» du parti qu'il avait à l'esprit c'était la mobilisation des masses derrière sa tentative de prise du pouvoir bourgeois.

A la 4e Conférence, la CWO avait pourtant fait preuve d'une timide clairvoyance sur la nature réelle du SUCM :

«Notre réelle objection concerne cependant la théorie de l'aristocratie ouvrière. Nous pensons que ce sont les derniers germes du populisme de l’UCM et que son origine est dans le maoïsme.»4

«La théorie de la révolution paysanne [du SUCM] est une réminiscence du maoïsme, chose que nous rejetons totalement»5

Voilà pour l'organisation dont la CWO dit maintenant qu'elle «ne pouvait pas être maoïste».

Le grand intérêt et l'apparente fraternité dont faisait montre le SUCM à l'égard du milieu politique prolétarien en Grande-Bretagne ainsi que la dissimulation de son stalinisme derrière un écran de radicalisme verbal, donnent probablement un début d'explication au fait que la CWO et BC ont pu se laisser rouler. C'est vrai que la section du CCI en Grande-Bretagne, World Revolution, avait initialement pensé que le SUCM pouvait être une expression de la vague de luttes ouvrières en Iran à l'époque (1980), avant de réaliser la nature contre-révolutionnaire du SUCM. Mais ceci ne suffit pas à fournir une explication satisfaisante de l'auto-mystification de la CWO dans la mesure, en particulier, où WR l'avait mise en garde sur la nature du SUCM et avait critiqué le laxisme de sa propre appréciation initiale. WR avait également tenté de dénoncer cette organisation à une conférence de la CWO mais avait été interrompu par les huées de la CWO avant d'avoir pu terminer son intervention.6

Le débat entre révolutionnaires ne peut être basé sur la moralité philistine des «torts partagés». Il y a erreur et erreur. World Revolution a réussi à ne pas tomber dans des erreurs majeures et en a tiré les leçons. La CWO et BC ont commis une faute tragique, dont les effets négatifs sur le milieu politique prolétarien se font encore sentir aujourd'hui. La farce de la 4e Conférence donna le coup de grâce aux Conférences en tant que pôle de référence pour l'émergence des forces révolutionnaires. Et la CWO refuse toujours aujourd'hui de reconnaître le désastre et les origines de celui-ci. Ces origines résident dans la cécité concernant la nature du milieu politique prolétarien et qui a conduit à une politique de regroupement basée sur la diplomatie.

La formation du BIPR

Dans la polémique de WR nous avançons que le regroupement entre la CWO et BC a souffert du même type de faiblesses que les Conférences internationales. En particulier, ce regroupement n'est pas intervenu comme résultat d'une claire résolution des divergences qui séparaient les groupes de la Gauche communiste, ni de celles entre BC et la CWO.

D'une part, le BIPR affirmait qu'il n'était pas une organisation unifiée puisque chaque groupe avait sa propre plate-forme. Le BIPR a pas mal de plates-formes : celle de BC, celle de la CWO et celle du BIPR qui est un agrégat des deux premières moins leurs désaccords. En plus, la CWO a une plate-forme pour les groupes de chômeurs et une plate-forme pour les groupes d'usine. Il s'était également engagé dans le processus d'écriture d'une «plate-forme populaire» avec le Communist Bulletin Group, comme nous le verrons plus loin. Si elle continue comme cela, la CWO aura bientôt plus de plates-formes que de militants... Le BIPR est «pour le parti» mais comporte déjà une organisation, BC, qui prétend être le parti : le «Partito Comunista Internazionalista».

D'un autre côté, nous n'avons jamais vu dans la presse de ces organisations ou dans leur presse commune le moindre débat sur leurs désaccords. Et il subsiste des divergences sur la possibilité du «parlementarisme révolutionnaire», sur les syndicats et sur la question nationale. De ce point de vue, le BIPR présente un contraste saisissant avec le CCI, lequel est une organisation internationale unifiée, centralisée et qui, en accord avec la tradition du mouvement ouvrier, ouvre ses débats internes en direction de l'extérieur.

Sur la question de son rapprochement avec BC, la lettre de la CWO fait valoir que le regroupement du BIPR n'a pas eu lieu du jour au lendemain et que, de ce fait, il ne peut être considéré comme un «rapide arrangement opportuniste». Cependant, notre polémique ne mentionne pas la rapidité avec laquelle ce regroupement a eu lieu mais critique la solidité de ses bases politiques et organisationnelles. Le BIPR était basé sur une sélection auto-décidée des forces qui devraient conduire le futur parti. Pourtant, durant les 12 années qui se sont écoulées entre la formation du BIPR et aujourd'hui, celui-ci n'a même pas réussi à unifier ses deux organisations fondatrices.

La tentative de regroupement de la CWO avec le CBG

La politique de la CWO concernant le regroupement - caractérisée par l'absence de critères sérieux définissant le milieu politique prolétarien et ses ennemis - a une nouvelle fois conduit à des difficultés potentiellement catastrophiques au début des années 90. Les leçons de l'aventure malheureuse avec les gauchistes iraniens n'avaient pas été tirées. La CWO s'est laissé aller à un rapprochement avec les groupes parasites, le CBG et la FECCI, annonçant un possible «nouveau départ» à l'intérieur du milieu révolutionnaire en Grande-Bretagne. La lettre de la CWO nous dit cependant qu'il n'y a pas de regroupement avec le CBG et qu'elle n'a pas eu de contact avec ce groupe depuis 1993. Nous sommes heureux de l'apprendre. Mais quand la polémique dans WR n°190 a été écrite, cette information n'avait pas été rendue publique et, de ce fait, nous nous sommes basés sur les informations les plus récentes de Workers Voice sur ce sujet :

«Etant donnée la récente coopération pratique entre membres de la CWO et du CBG dans la campagne de fermeture des mines, les deux groupes se sont rencontrés à Edimbourg en décembre pour discuter des implications de cette coopération. Politiquement le CBG a accepté que la plate-forme du BIPR ne ferait pas obstacle au travail politique si la CWO clarifie ce qu'elle entend par une organisation centralisée dans la période actuelle. Un grand nombre d'incompréhensions ont été éclaircies des deux côtés. Il a donc été décidé de rendre la coopération pratique plus formelle. Un accord a été rédigé, que la CWO comme un tout aura à ratifier en janvier (après quoi un rapport plus complet sera publié) et qui comprend les points suivants :

  1. le CBG fera régulièrement des contributions dans Workers Voice et recevra tous les rapports rédactionnels (de même pour les tracts, etc.) ;

  1. les réunions trimestrielles de la CWO seront ouvertes aux membres du CBG après janvier ;

  1. les deux groupes doivent discuter d'un projet de "plate-forme populaire" préparé par un camarade de la CWO en tant qu'outil d'intervention. Le CBG doit donner une réponse écrite avant une réunion qui se tiendra en juin pour évaluer les progrès du travail commun ;

  1. Les camarades de Leeds des deux organisations doivent préparer cette réunion.

  1. Les réunions publiques communes doivent se poursuivre auxquelles tous les autres groupes de la Gauche Communiste basés en Grande-Bretagne seront invités à se joindre.

  1. Cet accord sera, au moins brièvement, rapporté dans le prochain numéro de WV.».7

Dans la mesure où aucun accord (ou désaccord) ne fut rapporté dans le WV suivant, brièvement ou pas, ni dans aucun de ceux qui ont suivi, et puisqu'une activité commune s'était déjà mise en place, il était assurément valable de supposer qu'un certain type de regroupement s'était poursuivi entre la CWO et le CBG. La rectification de la CWO donne l'impression, à tort, que ce regroupement est une pure invention de notre part. De même que la CWO a cru qu'il était possible de transformer une organisation maoïste en avant-garde prolétarienne, elle a pensé qu'elle pourrait transformer des parasites en communistes militants. De même qu'elle a pris pour argent comptant l'acceptation par le SUCM des «critères prolétariens de base», elle a cru sur parole le CBG lorsqu'il a accepté la plate-forme du BIPR. La CWO a cru qu'elle avait clarifié la conception de «l'organisation centralisée» avec un groupe qui a contribué à former une tendance secrète au sein du CCI dans le but de transformer son organe central en «boîte à lettres» (exactement comme l'Alliance de Bakounine avait essayé de le faire avec le Conseil Général de la Première Internationale). Elle a estimé qu'elle pouvait faire confiance à des éléments qui avaient volé du matériel au CCI et l'avaient ensuite menacé d'appeler la police s'il venait le récupérer !

L'initiative de la CWO avec les parasites, qui sont clairement des ennemis des organisations révolutionnaires, a eu pour effet de donner une dignité aux groupes parasitaires, en les faisant passer pour d'authentiques membres de la Gauche Communiste et ainsi que de légitimer les calomnies contre les organisations de ce milieu.

Les dégâts causés par la tentative de regroupement de la CWO avec le CBG incluent aussi ceux faits à sa propre organisation. Nous en sommes particulièrement convaincus pour les raisons suivantes :

  • Premièrement, le parasitisme n'est pas un courant politique au sens prolétarien. Il ne se définit pas comme une organisation cohérente autour d'un programme politique. Au contraire son objectif même est de détruire une telle cohérence au nom de l'anti-sectarisme et de la «liberté de pensée». Son travail de dénigrement des organisations révolutionnaires et d'encouragement de la désorganisation et de la confusion peut être poursuivi informellement par d'ex-membres, même après qu'ils aient laissé tomber leur prétention à une existence formelle - comme dans le cas du CBG.

  • Deuxièmement, le parasitisme, s'il est accepté comme faisant partie du milieu révolutionnaire, ramollit la colonne vertébrale des organisations existantes, réduisant leur capacité à se définir elles-mêmes (et les autres) de façon rigoureuse. Les résultats en sont catastrophiques, même si cela peut conduire temporairement à un accroissement numérique.

Même si le regroupement avec le CBG a avorté, il reste cependant des questions graves pour la CWO. Pourquoi a-t-elle développé des relations avec un tel groupe alors que ce dernier n'avait pas d'autre raison d'exister que de dénigrer les organisations du milieu politique prolétarien ? Pourquoi, au lieu de garder le silence, n'a-t-elle pas mis en évidence sincèrement et ouvertement les faiblesses et incompréhensions qui avaient conduit à une telle erreur politique ?

Les conséquence de l'aventure avec le CBG

La polémique de WR avec la CWO avait été écrite en tant que réponse directe et immédiate essayant d'expliquer deux inquiétants événements récents : l'incapacité à défendre une réunion publique de WR contre le sabotage par un groupe parasite, Subversion, et la liquidation du journal Workers Voice. Cela indiquait, de notre point de vue, un aveuglement dangereux envers les ennemis du milieu politique prolétarien et même une tendance à reprendre à son compte certaines des activités du parasitisme politique au détriment du militantisme communiste. Malheureusement, la lettre de la CWO ne prend pas en considération les arguments de la polémique sur cette question pas plus que sur les autres.

En ce qui concerne la réunion publique, il n'y a rien à répondre, selon la CWO, parce que le récit du CCI à ce sujet est une «exagération grossière».

La question fondamentale à laquelle la CWO évite de répondre est la suivante : la réunion a-t-elle été sabotée par les parasites, oui ou non ? Le CCI a apporté la démonstration de ce sabotage dans deux numéros de son journal mensuel en Grande-Bretagne, World Revolution. Il consistait à interrompre la réunion, à répéter des provocations verbales et physiques contre les militants du CCI, incluant toutes les calomnies typiquement parasitaires nous taxant de stalinisme, d'autoritarisme, etc., à créer un climat rendant toute discussion impossible et finalement à amener la réunion à prendre fin prématurément. Le sympathisant de la CWO n'a pas bougé pour combattre le sabotage de la réunion et, au lieu de cela, a réservé ses critiques au CCI et à sa défense de la réunion. La CWO aurait fait pareil, comme sa lettre le montre. Elle refuse d'admettre et nie qu'un tel sabotage ait eu lieu - encore moins le dénonce-t-elle - et réprimande le CCI pour ses prétendues «grossières exagérations».

Même chose concernant Workers Voice. Mais la lettre nous dit que la CWO n'a pas liquidé son journal mais a adopté une nouvelle stratégie de publication avec Revolutionnary Perspectives. La CWO a bel et bien stoppé la publication du journal Workers Voice et l'a remplacé par une revue théorique Revolutionnary Perspectives.

La lettre de la CWO ne répond pas à notre argument disant que derrière cette «nouvelle stratégie», il y a une concession sérieuse au parasitisme politique. La CWO déclarait que Revolutionnary Perspectives était «pour la reconstitution du prolétariat». Elle suggérait également, sans entrer dans les détails, que «l'effondrement de l'URSS avait créé tout un nouvel ensemble de tâches théoriques».

Au moment même où il est important d'insister sur le fait que la théorie révolutionnaire ne peut se développer que dans le contexte d'une intervention militante dans la lutte de classe, la CWO fait des concessions aux idées colportées par certains groupes parasites de la tendance académiste, qui habillent leur impuissance et leur absence de volonté militante avec la prétention de se plonger dans les «nouvelles questions théoriques». Certes la CWO n'en est pas là, mais puisque c'est un groupe du milieu politique prolétarien, ses faiblesses risquent de servir de feuille de vigne aux groupes qui parasitent ce milieu. Il faut d'ailleurs noter que la grande préoccupation de la CWO sur la «reconstitution du prolétariat» a un petit air de famille avec le dada de la FECCI sur le même thème, dada que cette dernière est allé récupérer chez des docteurs en sociologie comme Alain Bihr, porte-parole subtil - et appointé par les médias bourgeoises - de l'idée que le prolétariat n'existe plus ou qu'il n'est plus la classe révolutionnaire8. Le propos de telles remises en cause de la part des parasites est bien sûr non d'aboutir à une claire orientation pour la classe ouvrière mais de dénigrer l'approche organisationnelle militante de la théorie marxiste et de détruire ses fondements. Ce n'est pas ce que veut la CWO, mais l'abandon de son journal et la restriction de son intervention à la seule publication d'une revue théorique n'est certainement pas en cohérence avec le besoin criant pour la presse révolutionnaire d'être un «propagandiste collectif», un «agitateur collectif» et un «organisateur collectif» ?

Dans sa nouvelle publication, la CWO n'a pas été capable, jusqu'au n°3, de publier ses principes de bases ni de donner la moindre idée de son existence en tant qu'organisation. Ce n'est pas un accident, cela représente encore un affaiblissement de sa présence politique dans la classe ouvrière.

La CWO et le CCI

Les faiblesses de la CWO sur la question du milieu politique prolétarien l'a conduite à une aventure dangereuse avec des ennemis de ce milieu, tant les gauchistes que les parasites. D'un autre côté, elles ont abouti à une politique, également nocive, d'hostilité sectaire envers le CCI. En Grande-Bretagne, elle a essayé d'éviter toute confrontation systématique des divergences politiques avec World Revolution et de poursuivre une politique de «développement séparé» particulièrement à travers les groupes de discussion dont les critères de participation sont extrêmement peu clairs sauf sur la question de l'exclusion du CCI. Selon sa lettre, la CWO a «participé» au «Groupe d'études de Sheffield» avec des anarchistes, des communistes de gauche, des parasites comme Subversion et un ex-membre du CBG. Récemment, ce groupe d'études a été remplacé par les «réunions de formation» de la CWO.

Non, la CWO a organisé ce cercle d'études de Sheffield comme un club sans aucun critère politique clair quant à la participation ou aux objectifs.

La «réunion de formation» de la CWO ne semble pas y avoir changé grand chose : est-ce qu'elle exclut désormais les anarchistes et parasites ou bien uniquement ceux qui ne veulent pas approfondir ? Par contre, la non présence du CCI continue d'être une condition de son existence. A la dernière réunion, apparemment sur la question de la Gauche russe, le CCI comme organisation était explicitement non invité même si une camarade du CCI l'était mais uniquement sur la base du fait qu'elle était la compagne d'un des participants privilégiés ! Naturellement, puisque les membres du CCI sont des militants responsables devant l'organisation et non des francs tireurs, cette gracieuse invitation fut déclinée.

Le CCI n'a toujours pas été informé de la tenue d'autres réunions de formation malgré ce qui est dit dans la lettre de la CWO et jusqu'à ce que nous le soyons, nous jugerons qu'elles se veulent, non un lieu de référence pour la confrontation politique et théorique au sein du milieu politique prolétarien, mais un rassemblement sectaire où la discussion est alimentée plus par les besoins de la diplomatie que par des principes clairs.

C'est vrai que la CWO n'a jamais admis sa politique de développement séparé en ce qui concerne les réunions politiques et proclame, contre toute évidence, qu'elle a maintenu une ouverture envers le CCI uniquement restreinte par des «difficultés» géographiques ou autres contingences.

En plus de 20 ans depuis la formation d'un courant de la Gauche communiste en Grande-Bretagne, la CWO est peut-être venue à une douzaine de réunions publiques du CCI. Mais durant cette même période, c'est plus d'une centaine de réunions que nous avons tenues.

Depuis que la CWO nous a écrit sa lettre, le CCI a tenu deux réunions publiques à Londres et une à Manchester sur l'Irlande et sur les grèves en France à la fin de l'année dernière, deux sujets sur lesquels la CWO a écrit de courtes polémiques dans sa presse. Mais elle n'est pas venue défendre son point de vue à ces réunions ! La CWO ne s'est pas dérangée non plus pour la réunion du CCI à Londres en janvier sur la question vitale de la défense des organisations révolutionnaires. Durant la même période, la CWO a tenu une réunion ouverte à Sheffield sur «Racisme, sexisme et communisme», annoncée dans RP n°3, qui est arrivée aux librairies et à la boîte postale de WR une semaine environ après que la réunion ait eu lieu.

L'attitude sectaire de la CWO à l'égard du CCI s'explique difficilement par des difficultés géographiques à moins que nous puissions croire que des internationalistes comme les camarades de la CWO sont incapables de surmonter régulièrement les problèmes géographiques d'un trajet de 37 miles de Sheffield à Manchester, ou de 169 miles jusqu'à Londres.

Voici la véritable raison, selon la CWO :

«Le débat est impossible avec le CCI, comme la CWO s'en est rendu compte lors d'une récente réunion publique à Manchester, parce que les camarades sont incapables de comprendre le moindre fait, argument ou point de vue politique s'il ne rentre pas dans leur "cadre". Mais ce cadre est un cadre idéaliste et, comme le disait un de nos camarades à la même réunion, il se ramène aux quatre murs d'un asile de fous.» 9

Ainsi, «le débat est impossible avec le CCI» - mais possible avec des gauchistes, des anarchistes, le SPGB (Socialist Party of Great-Britain) et les parasites ?

Il est temps que la CWO reconsidère sa politique sans boussole à l'égard du regroupement des révolutionnaires.

D'après la CWO, la polémique du CCI est «d'un sectarisme sans précédent». Mais une critique profonde et sérieuse d'une organisation révolutionnaire par une autre, y compris en mettant en cause ses fondements même, ce n'est pas du sectarisme. Les organisations révolutionnaires ont le devoir de confronter leurs divergences afin d'éliminer le plus possible la confusion et la dispersion dans le camp révolutionnaire et de hâter l'unification des forces révolutionnaires dans le futur unique parti mondial du prolétariat.

Le sectarisme se caractérise au contraire par l'esquive de telles confrontations, soit en se réfugiant dans un superbe isolement, soit par des manœuvres opportunistes, dans le but de préserver à tout prix l'existence de son groupe séparé.

Michael, août 1996.

1 C'est vrai qu'au cours de la même période, les camarades qui allaient publier World Revolution et qui ont constitué la section du CCI en Grande-Bretagne (et qui provenaient en bonne partie du groupe conseilliste Solidarity, tout comme le groupe Revolutionnary Perspectives) n'étaient pas encore clairs sur la nature de la Révolution russe. Mais les autres groupes constitutifs du CCI, notamment Révolution Internationale, avaient défendu très clairement sa nature prolétarienne tout au long des conférences et discussions qui se sont tenues alors.

2 La lettre de la CWO donne l'impression que le CCI aurait forcé la dose afin de pouvoir l'attaquer. Mais il n'est nullement nécessaire d'alimenter nos critiques de la CWO avec des mensonges, même si nous le voulions, car au cours des années elle a exprimé ses confusions organisationnelles et politiques de façon vraiment transparente.

3 «Programme du parti communiste», adopté par l'«Unité des Combattants Communistes». Ce programme, que l'UCM a adopté avec Komala (une organisation de guérilla liée au Parti démocratique kurde) a été publié en mai 1982, 5 mois avant la 4e conférence. Il était, pour sa part, basé sur celui de l'UCM publié en mars 1981, et il a été présenté comme une contribution à la discussion pour la 4e conférence.

4 4e conférence des groupes de la gauche communiste. Septembre 1982. p.18.

5 Ibid. p.22.

6 Voir World Revolution n°60. Mai 1983.

7 Workers Voice n°64, Janvier-Février 1993. p.6.

8 Voir Revue Internationale n°74, «Le prolétariat est toujours la classe révolutionnaire».

9 WV n°59. Hiver 1991-92.

Courants politiques: 

  • Gauche Communiste [80]
  • TCI / BIPR [81]
  • Communist Workers Organisation [82]

Approfondir: 

  • Polémique dans le milieu politique : sur le regroupement [83]

Heritage de la Gauche Communiste: 

  • L'organisation révolutionnaire [84]

Source URL:https://fr.internationalism.org/en/revue-internationale/199610/149/revue-internationale-no-87-4e-trimestre-1996

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