Après 1921, la situation où s'est trouvé le parti bolchevik était un véritable cauchemar. A la suite de la défaite des insurrections ouvrières en Hongrie, en Italie, en Allemagne et ailleurs entre 1918 et 1921, la révolution mondiale a subi un profond reflux qui ne devait jamais être endigué, malgré l'irruption ultérieure de luttes de classe comme en Allemagne et en Bulgarie en 1923, en Chine en 1927. En Russie, tant l'économie que le prolétariat lui-même avaient atteint un niveau proche de la désintégration ; les masses ouvrières s'étaient retirées ou avaient été chassées de la vie politique. N'étant plus un instrument dans les mains de la classe ouvrière, l'Etat des soviets avait effectivement dégénéré en une machine pour la défense de "l'ordre" capitaliste. Prisonniers de leurs conceptions substitutionnistes, les bolcheviks croyaient encore qu'il était possible d'administrer cette machine d'Etat et l'économie capitaliste tout en attendant et même en participant au resurgissement de la révolution mondiale. En réalité, les nécessités du pouvoir d'Etat transformaient les bolcheviks en agents effectifs de la contre-révolution, tant à l'intérieur qu'à l'étranger… En Russie, ils étaient devenus les gardiens d'une exploitation de plus en plus féroce de la classe ouvrière. Bien que la NEP ait amené un certain relâchement de la domination économique de l'Etat, surtout sur les paysans, il n'y eut pas de relâchement de la dictature du parti sur le prolétariat. Au contraire, puisque les bolcheviks considéraient toujours les paysans comme le principal danger pour la révolution en Russie, ils étaient arrivés à la conclusion que les concessions économiques accordées aux paysans devaient être contre balancées par un renforcement de la domination politique du parti bolchevik sur la société russe ; et ceci se traduisait par un renforcement des tendances au monolithisme dans le parti lui-même. La seule façon de construire un rempart prolétarien à l'assaut du capitalisme paysan, c'était alors de resserrer le contrôle du parti et au sein du parti.
Au niveau international, du fait de la place dominante du parti russe au sein de l'IC, les impératifs de l'Etat russe avaient des effets de plus en plus pernicieux sur la politique de celle-ci. Le Front Unique, le Gouvernement ouvrier, de telles "tactiques" réactionnaires étaient, pour une grande part, l'expression de la nécessité de l'Etat russe de trouver des alliés bourgeois dans le monde capitaliste.
Bien que le parti bolchevik n'ait pas encore abandonné définitivement la révolution prolétarienne, toute la logique de la situation dans laquelle il se trouvait le poussait de plus en plus à s'identifier complètement aux besoins du capital national russe; les derniers écrits de Lénine expriment une préoccupation tournant à l'obsession sur les problèmes de la "construction socialiste" dans la Russie arriérée. La victoire du stalinisme a simplement rendu cette logique implicite ; il a éliminé le dilemme entre l'internationalisme et les intérêts de l'Etat russe, en abandonnant simplement le premier en faveur de ces derniers.
Les évènements de ces cinquante dernières années ont montré qu'un parti prolétarien ne peut pas survivre en période de reflux ou de défaite. Ainsi pour les partis communistes, la seule façon de préserver leur existence physique après l'échec de la vague révolutionnaire, c'était de passer avec armes et bagages dans le camp de la bourgeoisie. De plus, en Russie, la tendance à la dégénérescence a été accélérée du fait que le parti s'était confondu avec l'Etat et avait alors à s'adapter encore plus rapidement aux besoins du capital national. Dans une période de défaite, la défense des positions révolutionnaires ne peut être assurée que par de petites fractions qui se détachent du parti en dégénérescence ou survivent à sa mort. Ce phénomène s'est produit en Russie, surtout entre 1921 et 1924 avec l'apparition de petits groupes déterminés à défendre les positions communistes contre les trahisons du parti. Comme nous l'avons vu, l'apparition de tendances oppositionnelles au sein du parti bolchevik, n'était pas nouvelle mais les conditions dans lesquelles ces fractions devaient agir après 1921 différaient de manière dramatique de celles dans lesquelles leurs prédécesseurs avaient travaillé.
Les conditions préalables pour défendre une perspective communiste contre la montée de la contre-révolution résidaient, surtout en Russie, dans la capacité à garder un attachement loyal à cette perspective et à la placer avant tout attachement sentimental, personnel et politique à l'organisation initiale de la classe, maintenant que cette dernière s'était engagée sur la voie de la trahison de classe. Et c'est bien en cela que réside le grand exploit des fractions de gauche russes : leur engagement résolu à mener les tâches communistes contre le parti et contre l'Etat soviétique, dès que ces tâches ne furent plus assumées au sein de ces institutions. Pour la Gauche, les positions communistes passaient avant tout ; si les "héros" de la révolution ne défendaient plus le programme communiste, alors ces héros devaient être dénoncés et abandonnés. Il n'est pas étonnant que les communistes de gauche russes aient été des individus relativement obscurs, surtout des travailleurs qui n'avaient pas fait partie de la direction bolchevik pendant les années héroïques.
Miasnikov avait même l'habitude de se moquer de l'opposition de gauche en disant qu'elle n'était qu'une "opposition de célébrités" qui ne s'opposait à la faction stalinienne que pour leurs propres raisons bureaucratiques ("L'ouvrier communiste", n°6, janvier 1930).
Ces ouvriers révolutionnaires étaient capables de comprendre les conditions qu'affrontait le prolétariat russe beaucoup plus facilement que les officiels bolcheviks de rang élevé qui avaient vraiment perdu le contact avec la classe et n'étaient capables de voir le problème de la révolution qu'en termes d'administration d'Etat. En même temps, cependant, les origines obscures des membres des fractions de gauche étaient souvent un facteur de faiblesse dans ces groupes. Leurs analyses tendaient à se fonder plus sur un pur instinct de classe que sur une formation théorique approfondie. De pair avec les faiblesses historiques du mouvement ouvrier russe, que nous avons déjà évoquées, et l'isolement de la gauche russe vis-à-vis des fractions communistes à l'extérieur, ces facteurs mettaient de sérieuses limites à l'évolution théorique du communisme de gauche en Russie.
En dépit de la capacité des gauches à rompre avec les institutions "officielles" et à s'identifier à la lutte de classe contre elles, l'immense reflux de la classe en Russie posait aux fractions de gauche une série de problèmes difficiles et contradictoires. Malgré sa dégénérescence rapide après 1921, le parti bolchevik restait le centre de la vie politique du prolétariat en Russie ; les conseils, les comités d'usines et les autres organes de masse de la classe étaient morts et l'Etat lui-même était devenu un organe du capital. Du fait de l'apathie et de l'indifférence de la classe, les débats et conflits politiques avaient lieu presque exclusivement dans la sphère du parti. C'est vrai que l'indifférence et l'inactivité de la classe elle-même rendaient la plupart des débats idéologiques au sein du parti dans les années 20 stériles dès le début, mais le fait que le parti était une sorte d'oasis pour la pensée révolutionnaire dans le désert de l'apolitisme de la classe ouvrière, ne pouvait pas être dédaigné par les révolutionnaires.
Cette situation a placé les fractions de gauche devant un horrible dilemme. D'un côté l'apathie des masses et les actes répressifs de l'Etat faisaient qu'il leur était extrêmement difficile de militer au sein du prolétariat "en général". D'un autre côté, tout ce travail en direction du parti était terriblement entravé par l'élimination des fractions en 1921 et l'atmosphère de plus en plus étouffante au sein du parti. Il était presque impossible à n'importe quel groupe véritablement d'opposition de faire un travail légal au sein du parti. Même les critiques relativement modérées exprimées en 1923 par la plate-forme des 46 (le document de fondation de l'opposition de gauche) contenaient le regret que "la libre discussion au sein du parti ait en fait disparu et que la raison sociale du parti ait été étouffée". Pour les tendances à gauche de l'Opposition de gauche, la situation était même pire ; cependant toutes continuaient à allier le travail de propagande au sein "des grandes masses" des usines avec le travail secret au sein des cellules locales du parti. Le groupe Ouvrier, dans son manifeste de 1923, parlait de "la nécessité de constituer le groupe ouvrier du Parti Communiste Russe (bolchevik) sur la base du programme et des statuts du PCR, de façon à exercer une pression décisive sur le groupe dirigeant du parti lui-même". "L'Appel" du groupe la Vérité Ouvrière en 1922 exprimait la vision que "partout dans les usines et les fabriques, dans les organisations syndicales, les universités ouvrières, les écoles des soviets et du parti, l'Union Communiste de la jeunesse et les organisations du parti, doivent être créés des cercles de propagande solidaires de
la Vérité Ouvrière" ([1] [1]). De telles déclarations d'intention démontrent les difficultés extrêmes que rencontraient ces groupes dans leurs tentatives de trouver des solutions organisationnelles nettement tranchées, dans une période de désarroi et de confusion.
Nous devons enfin avoir présent à l'esprit que ces regroupements étaient soumis à la persécution la plus intense et à la répression de la part de l'Etat-Parti. Justement parce que la Russie avait été la "terre des soviets", le pays de la révolution prolétarienne, la contre-révolution devait y être totale, sans merci et implacable, ensevelissant les derniers vestiges de tout ce qui avait été révolutionnaire. Même avant la victoire de la faction stalinienne, les groupes de gauche avaient été soumis aux persécutions de la Guépéou, aux arrestations, aux emprisonnements et à l'exil. Dépourvus de fonds et de matériel, constamment sur la brèche à cause de la police secrète, il leur était difficile d'entreprendre un minimum de travail de propagande. La solidification de la contre-révolution après 1924 a rendu les choses encore plus difficiles.
Et cependant, au cours des sombres années de réaction, les communistes de gauche ont continué à lutter pour la révolution. En 1929 encore, le groupe Ouvrier publiait un journal illégal à Moscou, la Voie ouvrière vers le pouvoir. Même dans les camps de travail staliniens, leur expression politique n'a pu être réduite au silence. Une révolution prolétarienne ne meurt pas facilement. Les révolutionnaires qui luttaient dans des circonstances aussi défavorables, tiraient leur courage du simple fait qu'ils étaient nés d'une révolution de la classe ouvrière. Examinons donc plus en détail les principaux groupes qui ont continué à tenir le drapeau de la révolution en dépit de tout ce qui s'accumulait contre eux.
a) La VERITE OUVRIERE
La Vérité ouvrière s'était constituée à l'automne 1921. Elle semble avoir été surtout composée d'intellectuels et avoir grandi dans le milieu culturel "Pro1etkult" dont le principal animateur était Bogdanov, un théoricien du parti qui avait été en conflit avec Lénine sur des problèmes philosophiques dans les années 20 et qui avait été très en vue dans les tendances de "gauche" du bo1chévisme à cette époque. Dans son "Appel" de 1922, la Vérité ouvrière caractérisait la NEP de "renaissance de rapports capitalistes normaux", comme l'expression d'une profonde défaite du prolétariat russe:
"La classe ouvrière en Russie est désorganisée ; la confusion règne dans les esprits des travailleurs ; sont-ils dans un pays de dictature du prolétariat comme le parti communiste le répète à satiété verbalement et dans la presse ? Ou sont-ils dans un pays où règnent l'arbitraire et l'exploitation, comme la vie le leur dit à chaque instant ? La classe ouvrière mène une existence misérable à une époque où la nouvelle bourgeoisie (c'est-à-dire les fonctionnaires responsables, les directeurs d'usines, les hommes de confiance, les présidents des comités exécutifs, etc.) et les hommes de la NEP vivent dans le luxe et nous rappellent à la mémoire le tableau de la vie de la bourgeoisie de tout temps".
Pour la Vérité ouvrière, l'Etat des soviets était devenu "le représentant des intérêts nationaux du capital... le simple appareil de direction de l'administration politique et de la réglementation économique par l'Intelligentsia". La classe ouvrière a été privée en même temps de ses organes défensifs, les syndicats et de son parti de classe. Dans un manifeste produit au XIIème congrès du parti en 1923, la Vérité ouvrière accusait les syndicats de :
"Se transformer d'organisations pour défendre les intérêts économiques des travailleurs en organisations pour défendre les intérêts de la production, c'est-à-dire du capital étatique d'abord et avant tout" (cité par E.H Carr, The Interregnum).
De même pour le parti, l'Appel affirme que: "Le parti communiste russe est devenu le parti de l'Intelligentsia organisatrice. Le fossé entre le parti communiste et la classe ouvrière s'approfondit de plus en plus".
C'est pourquoi ils déclarent leur intention de travailler à la formation d'un véritable "parti du prolétariat russe", bien qu'ils admettent que leur travail sera "de longue haleine et avant tout idéologique".
Bien que les buts relativement modestes de la Vérité ouvrière semblent exprimer une certaine compréhension de la défaite que la classe avait subie et donc les limites de l'activité révolutionnaire dans une telle période, tout le cadre est faussé par une ambiguïté particulière sur la période historique et les tâches auxquelles doit faire face la classe dans son ensemble.
En se fondant peut-être sur l'idée de Bogdanov, à savoir que tant que le prolétariat n'a pas mûri comme classe capable de s'organiser, la révolution socialiste serait prématurée, ils supposaient que la révolution en Russie devait avoir la tâche d'ouvrir une phase de développement capitaliste :
"Après la révolution et la guerre civile victorieuse, de vastes perspectives se sont ouvertes en Russie, de transformation rapide en un pays capitaliste progressiste. C'est en cela que réside le succès énorme et incontestable de la révolution d'Octobre" (Appel) .
Cette perspective a aussi conduit le groupe la Vérité ouvrière à préconiser une politique étrangère bizarre, en appelant au rapprochement avec les capitalismes "progressistes" d'Amérique et d'Allemagne contre la France "réactionnaire". En même temps le groupe semble n'avoir eu que peu ou pas de contact avec les groupes communistes à l'extérieur de la Russie.
C'étaient des positions comme celles-ci qui ont sans doute conduit le groupe Ouvrier de Miasnikov à affirmer qu'il n'avait "rien de commun avec la soi-disant "Vérité ouvrière", qui essaie d'effacer tout ce qu'il y avait de communiste dans la révolution de 1917 et qui est en conséquence complètement menchevik"(Workers dreadnought, 31 mai 1924), bien que dans son Manifeste de 1923, le groupe Ouvrier ait reconnu que des groupes comme la Vérité ouvrière, le Centralisme Démocratique et l'Opposition Ouvrière contenaient beaucoup d'éléments prolétariens sincères et les ait appelés à se regrouper sur la base du Manifeste du groupe Ouvrier.
A l'époque de la révolution russe, ceux qui parlaient de l'inéluctabilité d'une évolution bourgeoise de la Russie, tendaient à être identifiés aux mencheviks. Mais à la lumière de l'expérience ultérieure, nous préférons comparer les positions de la Vérité ouvrière à l'analyse à laquelle sont arrivées les gauches allemande et hollandaise vers les années 30… Comme la Vérité ouvrière, ces dernières avaient commencé à percevoir réellement la nature du capitalisme d'Etat mais ils ont sapé leurs analyses en arrivant à la conclusion que la révolution russe avait été depuis le début une affaire de l'Intelligentsia qui avait entrepris l'organisation du capitalisme d'Etat dans un pays qui n'était pas mûr pour la révolution communiste. En d'autres termes, l'analyse faite par la Vérité ouvrière est celle d'une tendance révolutionnaire démoralisée et dans la confusion à cause de la défaite de la révolution et par là amenée à mettre en question le caractère originellement prolétarien de cette révolution. En l'absence d'un cadre clair et cohérent dans lequel analyser la dégénérescence de la révolution, de telles déviations sont inévitables, surtout dans les conditions difficiles qu'affrontaient les révolutionnaires en Russie après 1921.
Mais, malgré un certain pessimisme et un certain intellectualisme, la Vérité ouvrière n'a pas hésité à intervenir dans les grèves sauvages qui ont balayé la Russie dans l'été 1923, en essayant d'avancer des mots d'ordre politiques au sein du mouvement général de la classe. Cette intervention a cependant attiré toutes les forces de la Guépéou sur le groupe dont l'échine a été très rapidement brisée dans la répression qui a suivi.
b) Le GROUPE OUVRIER et le PARTI COMMUNISTE OUVRIER
Nous avons vu qu'en grande partie, la faiblesse des groupes comme l'Opposition Ouvrière et la Vérité ouvrière était liée à leur manque de perspectives internationales ; de même nous pouvons dire que la plus importante des fractions communistes de gauche était justement celle qui a mis l'accent sur la nature internationale de la révolution et la nécessité pour les révolutionnaires du monde entier de se regrouper.
C'était le cas de ces éléments en Russie qui correspondaient de très près au KAPD allemand et à ses organisations sœurs.
Le 3 et le 17 juin 1923, le Workers' dreadnought a publié une résolution d'un groupe qui s'était formé peu de temps avant et qui s'appelait le "groupe des communistes révolutionnaires de gauche (parti communiste ouvrier) de Russie". Ils se présentaient comme un groupe qui avait quitté le "parti communiste russe social-démocrate qui avait fait du business sa principale préoccupation" (W.D, 3 juin) ; et bien qu'ils s'engagent à "soutenir tout ce qui est à gauche des tendances révolutionnaires dans le parti communiste russe" et à "accueillir et soutenir toutes les questions et toutes les propositions de l'Opposition Ouvrière qui s'inscrivent dans une saine orientation révolutionnaire", ils insistent sur le fait "qu'il n'y a pas de possibilité de réformer le parti communiste russe de l'intérieur" (W.D, 17 juin). Le groupe dénonçait les tentatives des bolcheviks et du Komintern de compromis avec le capital aussi bien en Russie qu'à l'extérieur et en particulier, il attaquait la politique de front unique du Komintern en disant que c'était un instrument "de la reconstruction de l'économie capitaliste mondiale". (W.D, 17 juin). Depuis que les bolcheviks et le Komintern avaient suivi un cours opportuniste qui ne pouvait mener qu'à leur intégration au capitalisme, le groupe affirmait qu'il était temps de travailler à la construction d'un parti communiste ouvrier de Russie, lié au KAPD en Allemagne, au KAP en Hollande et autres partis de l'Internationale Communiste Ouvrière ([2] [2]).
Le développement ultérieur de ce groupe est mal connu mais il semble avoir été étroitement lié au groupe Ouvrier de Miasnikov, plus connu sous le nom de Groupe Ouvrier Communiste - en fait le PCO de 1922 semble avoir été un précurseur de ce dernier. Le 1er décembre 1923, le Dreadnought annonçait qu'il avait reçu le manifeste du groupe Ouvrier, envoyé par le PCO russe, en même temps qu'une protestation du PCO contre les emprisonnements en Russie de Miasnikov, Kuznetzov et d'autres militants du groupe Ouvrier. En 1924, le KAPD publiait le Manifeste en allemand et parlait du groupe Ouvrier comme de "la section russe de la IVème Internationale". La défense du communisme de gauche, telle que le KAPD en a donné l'exemple, devait en tout cas à partir de ce moment être assurée en Russie par le groupe de Miasnikov.
Gabriel Miasnikov, un ouvrier de l'Oural, s'était distingué dans le parti bolchevik en 1921, quand, tout de suite après le crucial Xème congrès, il avait réclamé "la liberté de la presse, des monarchistes aux anarchistes inclus" (cité par Carr, The Interregnum). Malgré les efforts de Lénine pour le dissuader de mener un débat sur cette question, il refusa de reculer et fut expulsé du parti au début de 1922. En février, mars 1923, il se groupa avec d'autres militants pour fonder "le groupe Ouvrier du parti communiste russe (bolchevik)" et ils publièrent et distribuèrent leur Manifeste au XIIème congrès du PCR. Le groupe commença à faire du travail illégal parmi les ouvriers du parti ou non et semble avoir été présent de façon significative dans la vague de grèves de l'été 1923, en appelant à des manifestations de masses et essayant de politiser un mouvement de classe essentiellement défensif. Leur activité dans ces grèves a suffi pour convaincre la Guépéou qu'ils représentaient une véritable menace ; une vague d'arrestations de certains militants dirigeants porta un coup sévère au groupe.
Mais comme nous l'avons vu, ils ont poursuivi leur travail clandestin, même à une échelle réduite jusqu'au début des années 1930 ([3] [3]). Le Manifeste du groupe Ouvrier est un pas en avant considérable par rapport à l'Appel de la Vérité ouvrière, mais il présente encore les hésitations et les idées à demi-achevées de la gauche communiste à cette époque, surtout en Russie.
Le Manifeste contient les dénonciations habituelles des conditions matérielles épouvantables que subissaient les ouvriers russes et les inégalités qui accompagnaient la NEP et demande : Est-il vraiment possible que la NEP (nouvelle politique économique) se transforme en NEP = la Nouvelle Exploitation du Prolétariat ?
Il poursuit en attaquant la suppression des divergences au sein et en dehors du parti et le danger que le parti ne soit transformé en "une minorité détenant le contrôle du pouvoir et celui des ressources économiques de la nation. ce qui finira en la création d'une caste bureaucratique". Il expose le fait que les syndicats, les soviets et les comités d'usines ont perdu leur fonction d'organes prolétariens, si bien que la classe n'a plus ni le contrôle de la production, ni de l'appareil politique du régime. Il réclame pour régénérer tous ces organes une réforme radicale du système des soviets qui permettra à la classe d’exercer sa domination sur la vie économique et politique.
Ceci nous amène immédiatement au problème majeur que rencontrait la gauche russe dans le début-des années 20. Quelle attitude devait-elle prendre vis-à-vis du régime soviétique ? Est-ce que le régime avait encore un caractère prolétarien ou est-ce que les révolutionnaires devaient appeler à sa destruction? La difficulté était qu'à cette époque, il n'y avait ni l'expérience ni de critères établis pour décider si oui ou non le régime était devenu contre-révolutionnaire. Ce dilemme s'est reflété dans l'attitude ambiguë que le groupe Ouvrier a adopté face au régime. Alors qu'il dénonce les inégalités de la NEP et le danger de "sa dégénérescence bureaucratique", en même temps, il affirme que "la NEP est le résultat direct de la situation des forces productives dans notre pays. Elle doit être utilisée pour consolider les positions conquises par le prolétariat en Octobre" ([4] [4]). Le Manifeste énonce alors une série de suggestions pour "l'amélioration" de la NEP - contrôle ouvrier, indépendance vis-à-vis des capitaux étrangers, etc. De la même manière, tout en critiquant la dégénérescence du parti, le groupe Ouvrier, comme nous l'avons vu, avait choisi de travailler parmi les membres du parti et d'exercer des pressions sur la direction du parti. Alors qu'ailleurs le groupe posait la question de savoir si le prolétariat ne pouvait pas être "forcé une fois encore à commencer une nouvelle lutte, et peut-être une lutte sanglante pour renverser l'oligarchie" (cité par Carr, The Interregnum), dans le Manifeste l'accent était surtout mis sur la régénération de l'Etat des soviets et de ses institutions et non sur leur renversement violent.
Cette position de "soutien critique" est encore plus mise en évidence dans le fait qu'en face de la menace de guerre que posait l'ultimatum de Curzon en 1923, on a rapporté que les membres du groupe Ouvrier avaient pris un engagement de résister à "toutes les tentatives de renverser le pouvoir des soviets" (Carr, op.cit.).
Etait-il correct ou non de défendre le régime russe en 1923 ? Là n'est pas la question. Les positions que le groupe Ouvrier a prises alors ne faisaient certainement pas d'eux des contre-révolutionnaires, parce que l'expérience de la classe n'avait pas encore tranché définitivement la question russe. Les ambiguïtés sur la nature du régime russe sont avant tout la manifestation des immenses difficultés que cette question posait aux révolutionnaires dans la confusion et le désarroi de ces années là.
Mais l'aspect le plus important du groupe Ouvrier n'était pas son analyse du régime russe mais sa perspective internationa1iste intransigeante. De façon significative, le Manifeste de 1923 commence par une description puissante de la crise mondiale du capitalisme et de l'alternative devant laquelle se trouve l'ensemble de l'humanité : socialisme ou barbarie. En essayant d'expliquer le retard de la prise de conscience révolutionnaire de la classe ouvrière face a cette crise, le Manifeste attaque de façon éclatante le rôle universellement contre-révolutionnaire de la Social-démocratie :
"Les socialistes de tous les pays sont, à un moment donné, les uniques sauveurs de la bourgeoisie face à la révolution prolétarienne, parce que les masses ouvrières sont habituées à se méfier de tout ce qui vient de leurs oppresseurs, mais quand on leur présente la même chose comme leur intérêt et qu'on l'agrémente de phraséologie socialiste, alors, les travailleurs, trompés par ce langage, croient les traîtres et dépensent leurs énergies dans une lutte sans espoir. La bourgeoisie n'a et n'aura pas de meilleur avocat".
Cette compréhension permet au groupe Ouvrier de faire une série de dénonciations des tactiques du Kominterm, de front unique et de gouvernement ouvrier, comme autant de façons de lier le prolétariat à son ennemi de classe. Bien que moins conscient du rôle réactionnaire des syndicats, le groupe Ouvrier a partagé l'approche du KAPD, selon laquelle, dans la nouvelle période de décadence du capitalisme, toutes les vieilles tactiques réformistes devaient être abandonnées :
"Le temps où la classe ouvrière pouvait améliorer sa condition matérielle et légale par des grèves et son admission au parlement est maintenant irrévocablement terminé. On doit le dire ouvertement. La lutte pour les objectifs les plus immédiats est une lutte pour le pouvoir. Nous devons expliquer par notre propagande que, bien que nous appelions à la grève en diverses occasions, les grèves ne peuvent pas vraiment améliorer les conditions des ouvriers. Mais, vous, travailleurs, n'avez pas encore dépassé les vieilles illusions réformistes et vous poursuivez un combat qui ne fait que vous épuiser. Nous sommes solidaires de vos grèves ; mais il faut le rappeler : ces mouvements ne vous libéreront pas de l'esclavage, de l'exploitation et de la pauvreté sans espoir. La seule voie vers la victoire est la conquête du pouvoir, directement par vos propres mains".
Le rôle du parti est aussi de préparer les masses partout à la guerre contre la bourgeoisie.
La compréhension par le groupe Ouvrier de la nouvelle époque historique semble contenir à la fois les faiblesses et la force de la vision du KAPD sur la "crise mortelle du capitalisme". Pour les deux, une fois que le capitalisme est entré dans sa crise finale, les conditions de la révolution prolétarienne existent à tout moment. Le rôle du parti est alors, vis-à-vis de la classe, celui du détonateur de l'explosion révolutionnaire. Il n'y a nulle part dans le Manifeste une quelconque vision du reflux de la révolution mondiale, nécessitant une analyse minutieuse des nouvelles perspectives ouvertes aux révolutionnaires. Pour le groupe Ouvrier en 1923, la révolution mondiale était autant à l'ordre du jour qu'elle l'avait été en 1917.
C'est pourquoi il pouvait partager les illusions du KAPD sur la possibilité de construire une IVème Internationale en 1922 et aussi tard qu'en 1928-1931, Miasnikov essayait encore d'organiser un parti communiste ouvrier pour la Russie ([5] [5]). Il apparaît que seule la Gauche Italienne a été capable d'apprécier quel était le rôle des fractions communistes dans une période de reflux, quand le parti ne peut plus exister. Pour le KAPD, le Workers' Dreadnought, Miasnikov et d'autres, le parti pouvait exister n'importe quand. Le corollaire de cette vision immédiatiste était une tendance inexorable à la désintégration politique : même en tenant compte des effets de la répression, les communistes de gauche allemands, comme leurs sympathisants russes ou anglais, se sont trouvés dans la quasi impossibilité d'assurer leur existence politique pendant la période de contre-révolution.
Les propositions concrètes avancées par le groupe Ouvrier en ce qui concerne le regroupement international des révolutionnaires manifeste une saine préoccupation de l'unité maximum des forces révolutionnaires, mais elles sont aussi le reflet des mêmes dilemmes au sujet des rapports entre la gauche communiste et les institutions "officielles" en dégénérescence, dilemmes dont nous avons déjà parlé. Ainsi, tout en s'opposant violemment à tout front unique avec les social-démocrates, le Manifeste du groupe Ouvrier appelle à une espèce de front unique de tous les éléments véritablement révolutionnaires, parmi lesquels il incluait les partis de la IIIème Internationale au même titre que les partis communistes ouvriers. On rapporte qu'en une autre occasion le groupe Ouvrier avait commencé des négociations avec la gauche du KPD. groupé autour de Maslow, dans le but d'attirer Maslow dans le "bureau étranger" mort-né. Le KAPD, dans ses commentaires sur le Manifeste, était extrêmement critique sur ce qu'il appelait "les illusions du groupe Ouvrier" : "quant au fait que vous pourriez révolutionner l'Internationale Communiste... la IIIème Internationale n'est plus un instrument de lutte de la classe prolétarienne. C'est pourquoi les partis communistes ont fondé l'Internationale Communiste Ouvrière". Toutefois, le dilemme du groupe Ouvrier sur la nature du régime russe et du Kominterm devait être résolu à la lumière de l'expérience concrète ; la victoire du stalinisme en Russie l'amenait à prendre une ligne de conduite plus intransigeante contre la bureaucratie et son Etat, alors que la décomposition rapide du Kominterm après 1923 rendait inévitable le fait que les futurs "partenaires" internationaux du groupe Ouvrier seraient les vrais communistes de gauche des différents pays.
C'était d'abord et avant tout cette "liaison internationale" avec les survivants de la vague révolutionnaire qui permettait à des révolutionnaires comme Miasnikov d’atteindre un degré de clarté relativement élevé dans l'océan de confusion, de démoralisation et de mensonges qui avaient englouti le mouvement ouvrier russe.
c) LES IRRECONCILIABLES DE L'OPPOSITION DE GAUCHE
Nous ne pouvons envisager toute la question de l'Opposition de gauche ici, bien que sa défense confuse de la démocratie dans le parti, de la révolution chinoise et de l'internationalisme contre la théorie stalinienne du "socialisme dans un seul pays", démontre qu'elle était un courant prolétarien, la dernière étincelle, en fait, de la résistance dans le parti bolchevik et dans le Kominterm. L'insuffisance de sa critique de la contre-révolution montante rend impossible le fait de considérer l'Opposition de gauche comme partie intégrante de la tradition révolutionnaire de la gauche communiste.
Au niveau international, son refus de remettre en question les thèses des quatre premiers congrès du Kominterm l'empêchait de comprendre les causes de la dégénérescence de l'Internationale et d'éviter une répétition dramatique de toutes ces erreurs. En Russie même, l'Opposition de gauche n'a pas réussi à faire la rupture nécessaire avec l'appareil d'Etat-parti, une rupture qui aurait pu le placer solidement sur le terrain de la lutte prolétarienne contre le régime, aux côtés des véritables fractions communistes de gauche. Bien que ses ennemis aient essayé d'accuser Trotski d'être entré en contact avec des groupes illégaux comme la Vérité ouvrière, Trotski lui-même se dissociait explicitement de ces groupes en faisant référence au groupe de Bogdanov comme étant celui de la "Non-Vérité ouvrière" (Carr, Interregnum) et en participant lui-même à la répression de l'ultragauche, par exemple dans la commission qui faisait des recherches sur l'activité de l'Opposition ouvrière en 1922. Tout ce que Trotski admettait, c'est que ces groupes constituaient des symptômes d'une véritable dégénérescence du régime des soviets !
Mais l'Opposition de gauche dans ses premières années, ce n'était pas seulement Trotski. Beaucoup parmi les signataires de la plate-forme des 46 étaient d'anciens communistes de gauche et centralistes démocratiques comme Ossinsky, Smirnov, Pialakov et d'autres. Comme Miasnikov l'a dit :
"Il n'y a pas que de grands hommes dans l'opposition trotskiste, il y a aussi beaucoup d'ouvriers. Et ceux-ci ne veulent pas suivre les leaders ; après quelques hésitations, ils rentreront dans les rangs du groupe Ouvrier" (L'ouvrier communiste, n°6, janvier 1930).
Justement, parce que l'Opposition de gauche était un courant prolétarien, elle a donné naturellement naissance à une aile gauche qui est allée bien au delà des critiques timides du stalinisme par Trotski et de ses disciples "orthodoxes". Vers la fin des années 20, un courant connu sous le nom des "irréconciliables" grandissait au sein de l'Opposition de gauche, composé en grande partie de jeunes ouvriers qui s'opposaient à la tendance des trotskistes "modérés" à se diriger vers une réconciliation avec la faction stalinienne, une tendance qui s'est accélérée après 1928 quand Staline a paru mettre en œuvre rapidement le programme d'industrialisation de l'Opposition de gauche. Isaac Deutscher écrit que parmi les "Irréconciliables" :
"Il devenait déjà évident que 1'Union soviétique n'était p1us un Etat ouvrier ; que 1e parti avait trahi ta révo1ution et que l'espoir de 1e reformer étant devenue sans objet, l'opposition devait se constituer en nouveau parti, prêcher et préparer une nouve1le révolution. Quelques uns voyaient en Sta1ine 1e promoteur du capita1isme agrarien ou même 1e leader d'une "démocratie koulak", alors que pour d'autres, son pouvoir incarnait la domination d'un capita1isme d'Etat imptacab1ement hosti1e au socialisme".
(Le prophète banni, OUP)
Dans son livre, Au pays du grand mensonge, Anton Ciliga donne un témoignage des débats au sein de l'Opposition de gauche qui eurent lieu dans les camps de travail staliniens ; il montre que quelques membres de l'Opposition de gauche défendaient la capitulation devant le système stalinien, que d'autres soutenaient qu'il fallait le réformer, que d'autres encore étaient pour une "révolution politique" pour éliminer la bureaucratie (la position que Trotski devait adopter). Mais les irréconciliables ou les "négateurs", comme il les appelle (Ciliga en faisait partie) :
"Croyaient que non seu1ement l'ordre politique mais aussi l'ordre économique et social étaient étrangers et hostiles au prolétariat. Nous envisageons donc non seulement une révolution politique mais aussi une révolution sociale qui ouvrirait une voie au développement du socialisme. Selon nous, la bureaucratie était une véritable classe, une classe hostile au prolétariat". (reproduit dans les "questions politiques dans les prisons staliniennes", un tract oppositionniste).
En janvier 1930, écrivant dans l'Ouvrier communiste n°6, Miasnikov disait de l’Opposition de gauche que :
"Il n'y a que deux possibilités, soit les trotskistes se regroupent sous le mot d'ordre "guerre aux palais, paix aux maisons", sous l'étendard de la révolution ouvrière, le premier pas que doit faire le prolétariat pour devenir classe dominante, ou ils s'éteindront lentement et passeront individuellement ou collectivement dans 1e camp de la bourgeoisie. Ce sont les deux seuls éléments de l'alternative, il n'y a pas de troisième voie".
Les évènements des années 30, qui ont vu le passage définitif des trotskistes dans les armées du capital, devaient confirmer les prédictions de Miasnikov. Mais encore les meilleurs éléments de l'Opposition de gauche ont été capables de suivre l'autre voie, la voie de la révolution. Dégoûtés par l'incapacité de Trotski à confirmer leurs analyses dans ses écrits à l'étranger, ils ont rompu avec l'Opposition de gauche dans les années 30-32 et ont commencé à travailler avec les survivants du groupe Ouvrier et du groupe du centralisme démocratique en prison, en élaborant une analyse de l'échec de la révolution mondiale et de la signification du capitalisme d'Etat. Comme Ciliga le souligne dans son livre, ils n'avaient plus peur d'aller droit au cœur de la question et d'accepter le fait que la dégénérescence de la révolution n'avait pas commencé avec Staline mais avait pris l'élan même sous l'égide de Lénine et de Trotski. Comme Marx le disait souvent, être radical veut dire aller au fond des choses. Dans les années noires de réaction, quelle meilleure contribution aurait pu faire la gauche communiste que d'avoir creusé sans peur jusqu'aux racines de la défaite du prolétariat ?
Certains peuvent voir les débats menés par les communistes de gauche en prison comme rien d'autre qu'un symbole de l'impuissance des idées révolutionnaires en face du Léviathan capitaliste. Mais même si leur situation était l'expression d'une profonde défaite pour le prolétariat, le simple fait qu'ils aient continué à clarifier les leçons de la révolution dans des circonstances aussi défavorables, est un signe que la mission historique du prolétariat ne peut jamais être liquidée par une victoire temporaire de la contre-révolution. Comme Miasnikov l'écrivait, à propos de l'emprisonnement de Sapranov :
"Maintenant Sapranov a été arrêté. Même 1'exil et l'étouffement de sa voix n'ont pas réussi à diminuer son énergie et la bureaucratie ne pouvait pas se sentir en sécurité vis-à-vis de 1ui tant qu'il n'était pas entre les murs épais d'une prison. Mais un souffle puissant, souffle de la révolution d'Octobre, ne peut pas être mis en prison ; même la tombe ne peut le faire disparaître. Les principes de la révolution sont toujours vivants dans la classe ouvrière en Russie et tant que la classe ouvrière vivra, cette idée ne pourra pas mourir. Vous pouvez arrêter Sapranov mais pas 1’idée de la révolution". (L'ouvrier communiste, 1929)
C'est vrai que la bureaucratie stalinienne a réussi, il y a longtemps, à balayer les dernières minorités communistes en Russie. Mais aujourd'hui, quand une nouvelle vague de luttes prolétariennes internationales trouve un écho assourdi même dans le prolétariat russe, le "souffle puissant" d’un deuxième Octobre est revenu hanter les esprits des bourreaux staliniens à Moscou et de leurs rejetons à Varsovie, Prague et Pékin. Quand les ouvriers de la "patrie du socialisme" se dresseront pour détruire une fois pour toutes l'immense prison de l'Etat stalinien, ils seront enfin capables, en liaison avec leurs frères de classe du monde entier, de résoudre les problèmes posés tant par la révolution de 1917 que par ses plus loyaux défenseurs : les révolutionnaires de la gauche communiste russe.
C.D WARD.
[6] [1]Le Manifeste du groupe Ouvrier est disponible, ainsi que les notes du KAPD, en français dans "Invariance II série n°6". Une version incomplète a paru en anglais dans les numéros suivants du Workers' dreadnought - 1er décembre 1923, 5 janvier 1924, 2 février 1924, 9 février 1924. L’Appel de la Vérité Ouvrière a été publié dans le Socialist Herold, Berlin, 31 janvier 1922 ; des extraits ont paru en anglais dans Daniels : une histoire documentaire du communisme, p.219-223.
[2] [7] Le texte du 17 juin et un autre texte sur le Front Unique par ce même groupe a été reproduit dans Workers' voice, n°14.
[3] [8] L'histoire ultérieure de Miasnikov est celle-ci : de 1923 à 1927, il a passé la plupart de son temps en exil ou en prison à cause de ses activités clandestines. Evadé de Russie en 1927, il a fui en Perse et en Turquie et s'installa définitivement en France en 1930. Pendant cette période, il essayait toujours d'organiser son groupe en Russie. En 1946, pour des raisons mieux connues de lui-même (peut-être parce qu'il attendait une nouvelle révolution après la guerre ?), Miasnikov est retourné en Russie et on n'a plus jamais entendu parler de lui.
[4] [9] Le KAPD a publié le Manifeste du groupe Ouvrier avec ses notes critiques ; il n'acceptait pas l'analyse du groupe Ouvrier sur la NEP. Pour lui, la Russie en 1925 était un pays capitaliste dominé par les paysans. Il soutenait donc "non le dépassement de la NEP mais son abolition violente".
[5] [10] Ecrivant dans L'ouvrier communiste en 1929, Miasnikov faisait un compte rendu d'une conférence tenue en août 1928 par le Groupe Ouvrier, "le groupe des 15" de Sapranov et les survivants de l'Opposition Ouvrière. Arrivée à un niveau d'accord programmatique élevé, la conférence décida que "le Bureau central du Groupe Ouvrier constituerait le Bureau central organisationnel des Partis communistes ouvriers de l'URSS".
La décision de mettre en place des Partis communistes ouvriers pour l'URSS pouvait être l'expression du souci d'assurer l'autonomie de chaque république des soviets et de son Parti communiste, idée exprimée dans le Manifeste de 1923 ; elle montre une tendance "décentralisatrice" qui était critiquée par le KAPD dans ses notes sur le Manifeste.
Sur le centraliste démocratique qu'avait été Sapranov et sur sa compréhension, Miasnikov devait dire ceci : "le camarade Sapranov n'était pas fait du même bois que les leaders de l'opposition des célébrités. Les embrassades et les accolades amicales de Lénine ne l'étouffaient pas et n'enlevaient pas chez lui son esprit critique prolétarien. Et en 1926-27, il réapparut comme leader du "groupe des 15". La plate-forme du "groupe des 15" n'avait aucun lien, ni dans les idées, ni dans les théories avec la plate-forme du centralisme démocratique. C'était une nouvelle plate-forme, d'un nouveau groupe sans autre lien avec le passé du centralisme démocratique que le fait que son porte-parole était Sapranov. Le groupe des 15 devait son nom au fait que sa plateforme avait été signée par 15 camarades. Sur les principaux points, sur son estimation de la nature de l'Etat en URSS, ses idées sur l'Etat ouvrier, le programme des 15 est très proche de l'idéologie du Groupe ouvrier".
"Nous sommes tous soumis à la loi de l'histoire et l'on ne peut introduire l'ordre socialiste qu’à l’échelle internationale. Les bolcheviks ont montré qu'ils pouvaient faire tout ce qu'un parti vraiment révolutionnaire est capable d'accomplir dans les limites des possibilités historiques. Qu'ils ne cherchent pas à faire des miracles! Car une révolution prolétarienne exemplaire et parfaite dans un pays isolé, épuisé par la guerre mondiale, écrasé par l'impérialisme, trahi par le prolétariat international, serait un miracle. Ce qui importe, c'est de distinguer dans la politique des bolcheviks, l'essentiel de l'accessoire, la substance du fortuit. En cette dernière période où les luttes finales décisives nous attendent dans le monde entier, le problème le plus important du socialisme a été et est encore précisément la question brûlante de l'actualité, non pas telle ou telle question de détail de la tactique mais la combativité du prolétariat, l'énergie des masses, la volonté du socialisme de prendre le pouvoir en général. A cet égard, Lénine, Trotski et leurs amis ont les premiers, par leur exemple, ouvert la voie au prolétariat mondial, ils sont jusqu'à présent encore les seuls qui puissent s'écrier comme Hutten : "J'ai osé"!
Voilà ce que la politique des bolcheviks comporte d'essentiel et de durable. En ce sens, ils conservent le mérite impérissable d'avoir ouvert la voie au prolétariat international en prenant le pouvoir politique et en posant le problème pratique de la réalisation du socialisme, d'avoir fait progresser considérablement le conflit entre capital et travail dans le monde entier. En Russie, le problème ne pouvait être que posé. Il ne pouvait être résolu en Russie. Et en ce sens, l'avenir appartient partout au "Bolchevisme".
Rosa Luxembourg, "La Révolution Russe "
Le texte que nous reproduisons ici fait partie de l'introduction au recueil d'articles de "Bilan" sur la guerre d'Espagne, publié par la section du CCI en Italie (Bilan, I933-I938, "Articoli sulla guerra di Spagna" ; Rivista Internazionale n°I, novembre I976). De ce fait, il ne s'attache pas tant à reprendre les positions de la Gauche italienne (développées, elles, dans les articles eux-mêmes) mais plutôt à rappeler le cadre historique dans lequel elles furent développées.
Nous le reprenons ici non seulement parce que les textes qu'il introduit sont ceux qui sont parus dans les n° 4, 6 et 7 de cette revue, mais aussi parce qu'en donnant un aperçu de ce que furent les principales étapes du combat de la Gauche communiste en Italie dans l'entre-deux guerres pour maintenir en vie l'effort théorique de la classe révolutionnaire, au milieu de la tourmente contre-révolutionnaire qui s'abattit sur le mouvement ouvrier au lendemain de la défaite de la grande vague prolétarienne de la fin de la Première Guerre mondiale. il rend compte d'un exemple impérissable d'une des plus indispensables qualités des révolutionnaires prolétariens - savoir maintenir, dégager et approfondir les expériences historiques de la classe sans céder aux pressions contraires des courants dominants de l'idéologie bourgeoise.
"Je parlerai brièvement et avec la pleine conscience de mes responsabilités. Ce que j'ai à dire est grave pour nous tous et pour le parti, mais on a voulu créer une situation pénible qui me contraint à parler. Indépendamment de toute considération de sincérité et de pureté plus ou moins grande des individus, je dois déclarer au nom de la Gauche que les procédés qui sont utilisés ici, non seulement n'ont pas ébranlé nos positions, mais constituent, avec l'organisation et la préparation du congrès et avec le programme qu’on y expos, l'argument le plus formidable pour renforcer la sérénité de notre jugement. Je dois dire que la méthode utilisée ici nous apparaît malheureusement mais sûrement être une méthode nuisible aux intérêts de notre cause et du prolétariat (...). Nous pensons que c’est notre devoir de dire sans hésitation et avec toute la conscience de nos responsabilités ce fait très grave : qu'aucune solidarité ne pourra nous unir à des hommes, qu'indépendamment de leurs intentions et de leurs caractéristiques psychologiques, nous jugeons être les représentants de la perspective désormais inévitable de l'évolution opportuniste de notre parti (...). Si je suis victime, si nous sommes tous victimes d'une terrible erreur en évaluant ainsi ce qui va arriver, alors je devrai et nous devrons être considérés comme indignes d'être seulement dans le parti et disparaître aux yeux de la classe ouvrière. Mais si cette impitoyable antithèse que nous voyons se profiler est vraie et nous réserve dans l'avenir de douloureuses conséquences, alors nous pourrons au moins dire que nous avons lutté jusqu'à la fin contre les pernicieuses méthodes par lesquelles on nous attaque et que nous avons apporté, en résistant à chaque menace, un peu de clarté dans l'obscure confusion qu'on veut créer ici. Maintenant que j'ai dû parler, jugez-moi comme vous voulez".
Ceci est la "Déclaration de Bordiga" au Congrès de Lyon en I926 (rapportée dans Prométéo, 1er juin 1928) et qui signait l'exclusion définitive de la Gauche par le Parti Communiste d'Italie. Gauche qui avait fondé et dirigé le parti durant les premières années et avait ensuite mené un dur travail d'opposition en son sein, précisément jusqu'au Congrès de Lyon. Le 6ème exécutif élargi de l'Internationale Communiste en février 1926 sanctionnait définitivement sur le plan international aussi la défaite de la Gauche Italienne dans un affrontement direct entre Bordiga et Staline.
Il nous semble nécessaire de donner quelques "dates" et références sur le processus de dégénérescence de l'IC, tout en étant conscients de leurs insuffisances et limites inévitables dans la mesure où elles ne peuvent donner qu'une bien pâle image de tous les bouleversements qu'a connus le mouvement prolétarien pendant ces années.
D'autre part, ce n'est pas l'objet de cette introduction que de traiter de cette période pourtant si riche et si féconde en enseignements et sur laquelle il existe - même si c'est en grande partie sous l'égide de la propagande contre-révolutionnaire - un certain matériel de documentation, mais bien de considérer pendant les années qui suivent I926, l'activité organisée
de ces noyaux communistes qui malgré des conditions pratiquement impossibles, ont su tenir bon, continuer une lutte désespérée et inégale, traqués dans toute l'Europe par le fascisme nazi et les tueurs staliniens, vus par les uns et par les autres comme les pires ennemis, comme des éléments à éliminer ; une activité complètement méconnue et ignorée même de ceux qui veulent s'y rallier, dans une mesure toujours plus faible à vrai dire.
1921 : IIIème Congrès de l'Internationale Communiste ; on présente la théorie du "Front Unique" ; on discute la validité de la scission de Livourne ; du côté des allemands, le KAPD, déjà en marge, rompt avec l'Internationale Communiste.
La gauche communiste semble vaincue. Suite au travail d'Essen du KAPD, l'éphémère KAI est fondée dont le Manifeste constitutif dit entre autres :
"Rien ne peut arrêter la progression des évènements ni obscurcir la vérité. Nous le disons sans réticences inutiles, sans sentimentalisme : la Russie prolétarienne de l'Octobre rouge devient un Etat bourgeois".
1922 : IIème congrès du Parti Communiste d'Italie, thèses de Rome ; IVème congrès de l'IC ; opposition de la gauche italienne à la fusion avec les socialistes ; analyse du fascisme par la gauche.
1923 : arrestation de Bordiga et autres dirigeants du parti communiste en Italie ; bo1chévisation des partis communistes ; l'opposition entre la gauche italienne et l'IC augmente toujours plus.
1924 : en Italie paraît la revue Prométéo ; Bordiga refuse de se présenter aux élections et déclare :
"Je ne serai jamais député et plus vous ferez vos projets sans moi, moins vous perdrez de temps".
Conférence de Côme ; Vème congrès de l'IC.
1925 : Bordiga écrit "La question Trotski" et "Le danger opportuniste et l'Internationale" ; le "comité d'entente" est fondé puis dissout.
1926 : la gauche est exclue du parti et de l'IC ; la période d'émigration commence ; lettre de Bordiga à Korsch.
La lettre que Bordiga envoie à Naples le 28/ 10/1926 à Korsch répond à la tentative de ce dernier de promouvoir un projet d'unification de ce qui restait de la gauche communiste à l'échelle internationale (seul document qui reste de la correspondance de Bordiga avec d'autres révolutionnaires pendant ces années et dont toute trace semble avoir disparu) ; elle nous paraît particulièrement intéressante ; nous en citons donc certains passages fondamentaux :
"Votre façon de vous exprimer (Bordiga parle de Korsch) ne me semble pas bonne. On ne peut pas dire que la révolution russe est une révolution bourgeoise. La révolution de 1917 a été une révolution prolétarienne bien que ce soit une erreur d'en généraliser les leçons "tactiques". Maintenant se pose le problème de ce qu'il advient de la dictature du prolétariat dans un pays, si la révolution ne se poursuit pas dans d'autres pays. Il peut y avoir une contre-révolution ; il peut y avoir un cours dégénérescent dont il s'agit de découvrir et définir les symptômes et les reflets au sein du parti communiste. On ne peut pas simplement dire que la Russie est un pays où le capitalisme est en expansion.
Nous recherchons la construction d'une ligne de gauche vraiment générale et non occasionnelle qui se construise à travers des phases et des développements de situations distantes dans le temps en les affrontant toutes sur le bon terrain révolutionnaire et certainement pas en ignorant leurs caractéristiques distinctes objectives.
De façon générale je pense qu'aujourd'hui, plutôt que l'organisation et ta manœuvre, ce qu'on doit mettre au premier plan, c'est un travail d'élaboration d'une idéologie politique de la gauche internationale basée sur les éloquentes expériences qu'a traversées le Kominterm. En étant bien en deçà de ce point, toute initiative internationale reste difficile.
Il n'est pas nécessaire de vouloir scissionner des partis et de l'Internationale. Il faut laisser s'accomplir l'expérience de la discipline artificielle et mécanique en la suivant dans ses absurdités de procédure tant que c'est possible, sans jamais renoncer aux positions de critique idéologique et politique et sans jamais se solidariser avec la direction qui prévaut.
Je crois que l'un des défauts de l'Internationale actuelle a été de constituer un "bloc d'oppositions" locales et nationales. Il faut réfléchir à cela, bien entendu sans arriver à des exagérations mais pour accumuler des enseignements. Lénine a réalisé beaucoup de travail d'élaboration "spontanée" en comptant regrouper matériellement les divers groupes pour les fondre seulement après à la chaleur de la révolution russe. En grande partie, cela n'a pas réussi".
Donc, en premier lieu, défense du caractère prolétarien de la révolution russe contre les affirmations simplistes sur la "nature bourgeoise" qu'exprimaient tous ceux qui découvraient à l'improviste qu'en Russie "quelque chose n'allait pas". Ensuite, précision du vrai problème qui
se pose : qu'advient-il de la dictature du prolétariat si la révolution ne se poursuit pas dans d'autres pays et avant tout "comment" affronter cette question en dehors de toute solution organisationnelle, d'alliance ou de bloc de type divers, dans le contexte de la période historique reconnue comme la pire contre-révolution en marche et du difficile travail d'analyse, d'étude, de compréhension des erreurs pour la reprise future ?
Parmi ces positions intransigeantes, une phrase de la lettre de Bordiga tranche : "il n'est pas nécessaire de vouloir scissionner des partis et de l'Internationale", quand, de fait, la gauche a déjà été mise dehors. Ce que la gauche défendait là, c'était de rester liée à ce qui était, cinq ans auparavant seulement, l'avant garde du prolétariat mondial, liée à l'espérance que pour la révolution, cela n'en était pas vraiment fini pour des décennies et des décennies ; c'était de rester liée à l'espérance que dans la crise mortelle du capital, la classe ouvrière serrée dans le terrible étau de la crise, puisse encore relever la tête et que sous la poussée de la "base", les positions que la gauche défendait puissent encore triompher dans le parti de l'Internationale ; la reprise ne pouvait avoir lieu si la classe ne savait pas secréter l'avant garde, le parti qui n'existait plus.
A côté de cela, Bordiga exprime aussi son point de vue sur l'IC. Pour lui, elle était effectivement le parti mondial du prolétariat. Au Vème congrès de l'IC (juillet 1924), il dira :
"Je voudrais dire sincèrement que dans la situation présente, c'est l'Internationale du prolétariat révolutionnaire mondial qui doit rendre au parti communiste russe une partie des nombreux services qu'elle a reçus de lui."
D'après Bordiga, donc, l'IC devait s'opposer à l'involution du parti russe et ne pas devenir un instrument de celui-ci, ou bien il n’y aurait vraiment plus d'espoirs… Mais c’est ce qui eut lieu.
Sur ces bases et avec ces préoccupations, la gauche italienne commence et continue son travail dans l'émigration.
"D'UNE CERTAINE MANIERE, NOUS JOUONS UN RÔLE INTERNATIONAL PARCE QUE LE PEUPLE ITALIEN EST UN PEUPLE D'EMIGRANTS DANS LE SENS ECONOMIQUE ET SOCIAL DU TERME ET, APRES L'AVENEMENT DU FASCISME, AUSSI DANS LE SENS POLITIQUE... IL NOUS ARRIVE UN PEU COMME AUX HEBREUX : SI NOUS AVONS ETE BATTUS EN ITALIE, NOUS POUVONS NOUS CONSOLER EN PENSANT QUE LES HEBREUX AUSSI SONT FORTS NON EN PALESTINE MAIS AILLEURS" (Intervention de Bordiga au VIème Exécutif élargi de l'IC).
Toute l'émigration des militants communistes en Italie ne suit pas le même chemin. Si la majeure partie d'entre eux devait quitter l'Italie en 1925-1926, à la suite de l'impitoyable chasse que leur font les fascistes et de leur exclusion du parti communiste au congrès de Lyon ce qui les privait de tout réseau de secours ou de refuge, certains éléments se trouvaient déjà en Autriche d'abord et ensuite, en 1923, en Allemagne, où les combattants révolutionnaires ont vécu de tragiques évènements. Ils s'opposeront aux décisions de l'IC et quitteront le parti communiste d'Italie. Dans la pratique, ils représentent la première opposition de gauche qui s'organise dans l'émigration. En Allemagne, ils gardent le contact avec les Entschie dene Linke ([1] [13]) et avec Karl Korsch ainsi qu'avec les camarades de la gauche qui, en Italie, avait donné naissance au "comité d'entente". A la suite de cette période, il y a eu la tentative de contact entre Korsch et Bordiga, et la lettre dont nous avons déjà parlé. Le groupe quitte ensuite l'Allemagne et rejoint la France à travers la Suisse et, tout en maintenant le contact avec les Allemands, il adhère à un comité des oppositions communistes (qui n'a rien à voir avec l'opposition trotskiste), tout en maintenant la pleine autonomie du groupe.
En 1927 à Pantin, en pleine banlieue parisienne, refuge des émigrés, des sans-abris, des désespérés et des expulsés de la société civile, est constituée la "Fraction de gauche du parti communiste d'Italie" en l'absence de Vercesi (Ottorino Perrone), plus tard l'un des meilleurs partisans de Bilan parce qu'il avait été expulsé de la "démocratique" France. Ce serait facile de parler des vicissitudes de ces camarades, à la recherche d'un travail et d'un abri, persécutés et indésirables dans les démocraties, traqués par les staliniens, et qui partout ont su continuer une lutte intransigeante, défendre et diffuser sans compromis ni peur les positions communistes. D'ailleurs, pour rendre clair quel type de rapports existait avec les staliniens, nous citerons quelques passages d'une lettre d'un certain Togliatti à Iaroslavsky, lettre du 19 avril 1929 :
"La lutte que notre parti doit mener contre les débris de l'opposition bordiguiste qui tente d'organiser en fraction tous les mécontents. Nous devons lutter contre ces gens dans tous les pays où existe l'émigration italienne (Belgique, France, Suisse, Amérique du Nord, Amérique du Sud, etc.) Pour nous, c'est impossible de mener cette lutte si nos partis frères ne nous aident pas. Le PC d'Italie demande au PC d'URSS une aide pour continuer cette lutte déjà difficile et qui peut le devenir encore plus si l'on a des faiblesses. Notre parti n'a rien d'autre à dire. Il demande seulement qu’on use du maximum de rigueur."
Nous ne savons pas si la scission qui voit se scinder en deux formations l'émigration en France, une minorité très réduite et une majorité, a eu lieu avant ou après Pantin, même si les données que nous avons nous font pencher pour la seconde alternative. Le premier groupe qui représente la continuité de ce petit noyau d'émigrants que nous avons déjà vu en Allemagne, donnera vie à Le Réveil Communiste qui paraîtra en 1928 et 1929. La revue ouvrira ses colonne à des groupes de la gauche en Allemagne (au Korsch de Kommunistische Politik et à ce qui restait du KAPD pendant ces années) et aussi à la gauche russe dans la personne de Miasnikov.
Le point central qui caractérisait les positions du Réveil Communiste était la négation de tout caractère prolétarien de l'Etat russe - point sur lequel pendant ces années, les autres éléments qui ont constitué Bilan par la suite étaient plus prudents – et un appui ouvert et manifeste aux positions du KAPD. Au Réveil Communiste va succéder, au début des années 1930, l'Ouvrier Communiste sur des positions ouvertement conseillistes.
Le second groupe est celui qui est connu, à proprement parler, comme la "Fraction de gauche du Parti Communiste d'Italie" ; il publiera Prométéo, journal en langue italienne, de juin 1928 à 1938. tantôt tous les quinze jours, tantôt tous les mois, et Bilan de 1933 à 1938. Les premières années de vie de la Fraction voient le débat avec Trotski, désormais exilé à Prinkipo, et avec les formations qui se réclament de lui et s'organisent surtout en France.
En novembre 1927 paraît Contre le Courant, "organe de l'Opposition Communiste" qui tente d'être le catalyseur des divers groupuscules trotskistes et de favoriser, ou au moins d'initier, un processus de regroupement de toute l'opposition de gauche. Dans le n°12 de 1928 (juin), une "lettre ouverte aux communistes de l'opposition" est envoyée aux organisations suivantes :
- le "Cercle Marx-Lénine" qui publie Bulletin Communiste,
- la "Fraction de la gauche italienne",
- le groupe "Barré-Treint" qui publie Redressement Communiste,
- le groupe "la lutte de classe" dont le chef est Naville
- le "Réveil Communiste" dont on a déjà parlé.
Il ne sortira rien de ce projet (ce n'est qu'en 1930 que la Vérité avec l'appui de Trotski se fera le porte-parole de toute l'opposition trotskiste) mais il est intéressant de voir la réponse du Bureau politique de la Fraction italienne par Vercesi :
"Beaucoup de groupes d'opposition croient devoir se limiter au rôle de cénacle qui enregistre les progrès d'un cours dégénérescent et ne présentent au prolétariat que l’évidence de la vérité qu'on pense avoir trouvée. Et bien nous pensons que nous aurons l'avenir que nous aurons su préparer. Mais la chose la plus importante, c'est d'établir avec quel moyen on peut tracer l'orientation de l'action communiste.
Nous pensons que la crise de l'Internationale dépend de causes très profondes, de son fondement apparemment uniforme mais essentiellement hétérogène, de l'absence d'une politique ferme et d'une tactique communiste, dont découle une altération des principes marxistes qui a conduit à une série de désastres révolutionnaires.
Hors de l'opposition russe, seule notre fraction a élaboré une direction d'action systématique dans une plate-forme qui est due au camarade Bordiga ([2] [14])
Il y a beaucoup d’oppositions. C’est un mal ; mais il n’y a pas d’autre remède que la confrontation de leurs idéologies respectives, la polémique pour parvenir en suite à ce que vous nous proposez.
S’il existe tant d’oppositions, c’est parce qu’il y a plusieurs idéologies qui doivent se manifester dans leur substance et non simplement se rencontrer dans une simple discussion dans un organe commun. Notre mot d’ordre, c’est de pousser à fond notre effort sans se laisser guider par la possibilité d’un résultat qui serait en réalité un nouvel échec.
Nous pensons que si l'Internationale, après avoir officiellement altéré ses programmes, a failli à son rôle de guide la révolution, les partis communistes n'en ont pas moins fait. Vu la nature de la situation que nous vivons, ce sont les organes dans lesquels on doit travailler pour combattre l'opportunisme et ce n'est pas du tout exclu pour en faire le guide de la révolution".
La lettre (publiée dans le n°13 de Contre le Courant) se termine (pour les raisons susdites) par le refus de l'invitation. Comme on le voit, cette réponse de Vercesi reprend celle de Bordiga à Korsch ; à nouveau est affirmée la nécessité d'examiner de façon critique le passé, de tirer les leçons de la dégénérescence et de la vague contre-révolutionnaire qui s'est abattue sur le mouvement prolétarien ; à nouveau la confiance dans une lutte autonome et intransigeante sur les principes, à l'intérieur des partis communistes. Bien plus importants seront les contacts épistolaires entre Prométéo, qui avait commencé à paraître en juin 1928 et Trotski (une bonne documentation se trouve dans le livre de Corvisieri "Trotski et le communisme italien).
Dans la première lettre adressée à Trotski, Prométéo retrace un peu son histoire : la rupture avec Le Réveil Communiste, la constitution en fraction, l'analyse de la situation internationale caractérisée par l'offensive capitaliste, l'ana1yse de la Russie qui divisera - une majorité voyant dans la Russie un Etat prolétarien et une minorité qui se prononce "pour la négation du caractère prolétarien de l'Etat russe" -, la question italienne sur laquelle la fraction refuse de reconnaître que la social-démocratie ou les forces d'opposition démocratique puissent mener une lutte contre le fascisme et affirme que "la classe ouvrière a seulement la possibilité de mener cette lutte sur les bases du programme communiste".
A la suite de la non-participation de la "Fraction" à une conférence de "l'Opposition" à Paris, les rapports avec Trotski deviennent plus tendus et dans une lettre le révolutionnaire russe pose à Prométéo les questions suivantes :
"Vous considérez-vous comme un mouvement national ou comme une partie d'un mouvement international ?
Pourquoi ne pensez-vous pas créer une fraction internationale de votre tendance ?
A quelle tendance appartenez-vous ?
Et Prométéo répond :
"En l’occurrence vous nous invitez à vous dire si nous sommes ou non des communistes.
(...) et maintenant nous répondons à vos questions :
Nous nous considérons comme partie d'un mouvement international.
Nous appartenons, depuis la fondation de 1'IC et même avant à la tendance de gauche.
Nous ne pensons pas créer une fraction internationale de notre tendance parce que nous croyons avoir appris du marxisme que l'organisation internationale du prolétariat n'est pas une somme artificielle de groupes et de personnalités de tous pays autour d'un groupe donné. Par contre, nous pensons que cette organisation doit bien être le résultat de l'expérience du prolétariat de tous les pays."
Des questions de méthode et de principe opposaient donc Prométéo et Trotski : de la part de Prométéo, il n'y avait pas d'acceptation intégrale des quatre premiers congrès de l'IC mais une critique du "front unique" qui (écrit Prométéo) amène "au gouvernement ouvrier-paysan, au comité ang1o-russe, au Kuomitang, aux comités prolétariens antifascistes". Les événements d'Espagne 1930-1931 ont amené la rupture et l'interruption définitive du contact. A Trotski qui écrit dans "La révolution espagnole et les devoirs des communistes" :
"Le mot d'ordre de la répub1ique, naturellement, est aussi un mot d'ordre du prolétariat. Mais pour lui, il ne s'agit pas seulement de changer un roi contre un président, mais d'une épuration radicale de toute la société des immondices du féodalisme", et aussi:
"Les tendances séparatistes posent à la révolution le devoir démocratique de l'autodétermination nationale… Le séparatisme des ouvriers et des paysans est l'enveloppe de 1eur indignation sociale" ;
Prométéo ne pouvait que répondre :
"Il est clair que nous ne pouvons pas le suivre dans cette voie et à lui autant qu'aux dirigeants anarcho-syndicalistes de La CNT, nous répondons en niant de là façon la plus explicite que les communistes doivent prendre place aux premiers rangs de la défense de la république et d'autant moins de la république espagnole." (Prométéo, 23 août 1931)
Une rupture définitive qui ne pouvait qu'aller s'accentuant lorsqu'il s'agira de la nature sociale de l'URSS, de l'analyse de Trotski sur la direction bureaucratique en Russie et sur la défense de la Russie en cas de guerre impérialiste.
En novembre 1933, paraît le premier numéro de Bilan "Bulletin théorique mensuel de la Fraction de gauche du PC d'Italie". Dans l'introduction, le cadre historique dans lequel s'inscrivent précisément le travail de la revue et les tâches que ce groupe révolutionnaire se propose d'assumer, est d'emblée délimité :
"Ce n’est pas un changement de situation historique qui a permis au capitalisme de traverser la tourmente des événements de l’après-guerre : en 1933, tout comme en 1917 et encore plus, le capitalisme se trouve être définitivement condamné en tant que système d’organisation sociale. Ce qui a changé de 1917 à 1933, c’est le rapport de force entre les deux classes fondamentales, entre les deux forces historiques qui agissent dans la période actuelle : le capitalisme et le prolétariat.
Nous sommes aujourd’hui à un terme extrême de cette période : le prolétariat n’est peut-être plus à même d’opposer le triomphe de la révolution à l’explosion d’une nouvelle guerre impérialiste. Toutefois, s’il existe encore des chances de reprise révolutionnaire immédiate, elles consistent seulement dans la compréhension des défaites passées. Ceux qui opposent à ce travail indispensable d'analyse historique le cliché de la mobilisation immédiate des travailleurs ne font que jeter la confusion et empêcher la réelle reprise prolétarienne.
Les cadres pour les nouveaux partis du pro1étariat ne peuvent surgir que de la connaissance profonde des causes de la défaite. Et cette connaissance ne peut supporter aucun interdit non plus qu'aucun ostracisme.
Tirer le bilan des évènements de l’après-guerre, c'est donc établir les conditions pour la victoire du prolétariat dans tous les pays".
C'est selon cet axe que Bi1an a avancé et travaillé en traitant toujours les questions fondamentales du mouvement révo1utionnaire. De l'analyse de la crise du capitalisme (décadence) à la critique des mouvements de libération nationale, de la délimitation des moments qui rendront à nouveau possib1e la reprise de classe du prolétariat à la critique impitoyable des "partis communistes" et de la Russie - dont la nature sociale n'était pas encore claire - mais son rôle politique ne puissance impérialiste à laquelle la classe ouvrière doit refuser toute forme de soutien vu la proximité de la guerre mondiale, se précisait. Comme moment fondamental du travail révolutionnaire, Bilan sollicitait aussi le débat avec d'autres formations politiques et a publié des textes d'autres camarades.
En 1935, Bilan, de "bulletin théorique mensuel de la Fraction de gauche du PC d'Italie", devient "bulletin théorique mensuel de la Fraction Italienne de la Gauche Communiste", ce qui marque la rupture définitive avec un parti qui est désormais un maillon de la contre-révolution capitaliste ainsi que l'affirmation du caractère international de ses tâches.
En 1936, commencent les divergences sur la question de la guerre d'Espagne qui allaient provoquer une scission dans Bilan. Parallèlement a aussi lieu la rupture des liens qui s’étaient établis fin 1932 avec la "Ligue des Communistes Internationalistes de Belgique", groupe qui venait du trotskisme et avait tout de suite après subi une forte influence conseilliste. En 1932, Bilan et la Ligue se trouveront sur les mêmes positions dans la critique de "l'Opposition Internationale de gauche" (trotskiste) qui, en Allemagne, face à l'attaque fasciste, avait lancé un appel à un front unique pour la défense "des revendications démocratiques" considérées comme autant d'étapes de la lutte pour la révolution communiste.
Cet accord, ainsi que le refus de la solution proposée par l'opposition trotskiste pour la reconstruction du parti communiste, renforçait la possibilité d'un débat et d'un contact entre les deux organisations : débat qui devait avoir comme but la reconstruction du patrimoine historique du prolétariat et se basait sur l'analyse et la réponse politique à donner aux évènements qui se succédaient pendant ces années.
La guerre d'Espagne a signé la rupture d'un débat qui s'était poursuivi pendant six ans et que Bilan avait amplement alimenté. La majorité de la "Ligue des Communistes Internationalistes de Belgique" choisit l'appui à la guerre antifasciste comme la minorité de Bilan et du groupe français "L'Union Communiste". En fait, Hennaut, représentant très important de la Ligue, écrira dans un document daté de février 1937 (et qui sanctionnait la rupture) :
"Nous savons que la défense de la démocratie n'est que l'aspect formel de la lutte ; l'antagonisme entre le capitalisme et le prolétariat n'en est pas l'essence réelle. Et, à condition de n’abandonner en aucune circonstance la lutte de classe, le devoir des révolutionnaires est d'y participer".
Une expression SUBSTANTIELLE de la lutte du capitalisme contre le prolétariat est donc considérée comme une expression FORMELLE de la lutte prolétarienne contre le capitalisme...
Mais ce n'est pas toute la Ligue qui prendra cette position. Une minorité, mais la majorité à Bruxelles, reste sur la position de Bilan. Elle fut expulsée de l'organisation et s'est constituée en "Fraction belge de la Gauche Communiste". De 1937 à 1939, elle a publié Communisme, revue mensuelle ronéotée.
En 1938, Bilan s'arrête et Octobre s'y substitue, "organe mensuel du Bureau International des Fractions de la Gauche Communiste". Cinq numéros d'Octobre ont été publiés, le dernier en août 1939. Un mois plus tard, commencera le deuxième carnage mondial.
Quel est le lien des groupes qui prétendent être la "continuité" (plus ou moins organique) de la Gauche Italienne, avec le travail de la "Fraction" à l'étranger?
Examinons la position du "Parti communiste International" (Programme Communiste) sur ce point.
En paroles, Programme Communiste s'est toujours revendiqué du travail de Bilan et de Prométéo, peut-être pour combler le trou qui va de 1926 à la Deuxième Guerre mondiale. Il n'a jamais cherché à clarifier pour ses militants et ses lecteurs les positions et le travail de Bilan (sinon dans quelques courts articles dans un numéro du journal en 1957 lors de la mort d'Ottorino Perrone, alias Vercesi) qui reste donc pour lui un nom et pas grand chose de plus. C'est probablement par pudeur qu'il en a été ainsi !
Lire Bilan aurait été traumatisant pour ceux qui désormais prenaient un chemin diamétralement opposé à celui indiqué par la "Fraction italienne" dans l'émigration. Aujourd'hui il semble qu'il n'y ait même plus trace de cette fausse pudeur ; non qu'on dise ouvertement qu'il n'y a rien à tirer du travail de Bilan, mais cela se comprend implicitement à la lecture de certains articles qui touchent à la question du mouvement ouvrier des années 1930. Si dans un article de 1971 (Programma Communista, n°21, 1971), on critiquait encore le travail de Trotski qui comportait "toute une série de coalitions hybrides sur la scène de l'opposition internationale" pour dire ensuite "qu'ultérieurement cette opposition pot-pourri se retrouvera dans la IVème Internationale mort-née", en 1973 (Programma Communista, n°19, 1973) on en arrivait à écrire :
"Quand Trotski affirmait la nécessité prioritaire de former un noyau solide basé sur les positions révolutionnaires comme condition, non exclusive ou suffisante, mais indispensable d'une reprise révolutionnaire, plus ou moins proche, et de façon à faire fructifier dans un sens révolutionnaire le prochain confit, il ne faisait pas qu'énoncer une vérité première du marxisme, une vérité d'autant plus importante qu'elle est moins évidente, à tel point qu'elle peut être ignorée et même raillée par la droite, par le centre, par ta "gauche" et même par l'extrême gauche".
Pour celui qui voudrait savoir ce qu'entend Programma Cornmunista par "solidement basé sur des positions révolutionnaires", peut-être le renverra-t-il à l'entrisme dans les partis social-démocrates, ou bien à la défense de la Russie pendant la Seconde Guerre mondiale ?
De quoi s'agit-il d'autre sinon, lorsqu'il parle de "faire fructifier dans un sens révolutionnaire le prochain conflit" selon la tradition trotskiste.
Plus loin, on trouve encore:
"Si Trotski s'est trompé, ce n'est pas pour avoir présenté la nécessité de la IVème Internationale, ni pour avoir conçu une telle nécessité comme un but de travail, au contraire de ceux qui la reconnaissaient abstraitement dans l'atmosphère ouatée des bibliothèques où se sont réfugiés, en s'en faisant un honneur, les Korsch et les Pannekoek".
Et pourquoi n'écrit-on pas aussi les Vercesi et les Bordiga, etc. ? Mais l'article continue :
"Seuls les sectaires sans cervelle peuvent se réjouir d'une tragédie comme celle de la prétendue IVème Internationale tombée parce que devenue la proie des formes les plus hétérogène d'opportunisme et ricaner de satisfaction", pour arriver à son point culminant :
"la IVème Internationale reste à construire".
Enfin ! ! !
Qu'a donc à partager avec la Gauche Communiste et avec Bilan un groupe qui veut :
"Travailler aujourd’hui avec patience, ténacité, modestie, pour rendre possible le jour où le cri de l’avant-garde révolutionnaire du monde entier sera : vive la IVème Internationale !" ?
Messieurs, vous avez dû attendre d'ensevelir des cadavres avant de pouvoir écrire des choses de ce genre qui, d'autre part, ne peuvent être attribuées à la folie d'un quelconque imbécile qui écrirait sous l'anonymat de votre journal, mais sont l’œuvre "collective" du "parti".
Le "Parti Communiste Internationaliste" (Battaglia Communista) se réclame aussi de Bilan. Un numéro de Prométéo - mars 1958 (série II, n°10), revue théorique de Battaglia Communista, fut entièrement dédié à l’œuvre théorico-politique d'Ottorino Perrone (Vercesi). Nous citons quelques extraits de la présentation de ce texte :
"Les évènements de la révolution espagnole, comme ils ont été de loin supérieurs à leurs propres protagonistes, ont ainsi mis en évidence les points forts et les points faibles de notre propre vision : la majorité de Bilan nous apparaît avec une formulation théoriquement impeccable mais qui avait le défaut de rester une simple abstraction; la minorité nous apparaît, d'un autre côté, avoir la préoccupation de prendre le chemin d'une participation qui ne s'est pas toujours avisée d'éviter les virages du jacobinisme bourgeois, même quand on monte des barricades.
Etant donné les possibilités objectives, nos camarades de Bilan auraient dû poser le problème, celui-là même que notre parti devait poser plus tard face à l'appel partisan, en invitant les ouvriers qui se battaient à ne pas tomber dans le piège de la stratégie de la guerre impérialiste".
Exactement. Battaglia Communista défend au tout début du deuxième après-guerre (pour ne pas parler de la participation électorale en 1948) la même position que la minorité de Bilan pendant la guerre d'Espagne. La minorité de Bilan n'est pas allée défendre en Espagne la république contre le fascisme (comme le montrent par ailleurs les textes que nous avons publiés) ([3] [15]), mais pour défendre parmi les miliciens les principes et la tactique communistes.
Mais le problème ne s'arrête pas là. La question centrale, c'est ce que Battaglia appelle notre "formalisme", ou bien des "abstractions" et qui, pour nous, sont un principe, une frontière de classe.
S.
[1] [16] Entschiedene Linke : groupe formé par les expulsés du KPD (avec Schwarz à leur tête) très proche du KAPD (de Berlin) à l'activité duquel participe aussi Korsch. Peu de temps auparavant, c'est aussi la constitution face à la dissolution du KPD d'une "ligue de Spartacus n°2" qui réunissait l'AAUE, le groupe autour de Iwan Katz et d'autres éléments. Par la suite, Korsch se détacha, à cause de ses divergences avec le KAPD, de ces formations et donna vie au Kommunitische Politik.
[2] [17] Selon toute probabilité: on se réfère ici aux thèses présentées par la Gauche au congrès de Lyon.
[3] [18] Voir Revue Internationale n°4 et 7.
La tache première de tout congrès consiste à tirer le bilan de l'activité de l'organisation et à se doter de perspectives pour l'année à venir. Cette préoccupation a pris une importance particulière au cours du premier Congrès d'Internationalisme, section du CCI en Belgique. Rappelons-nous qu'il y a un peu plus d'un an, lors de son congrès de fondation, ce fut de trois groupes (le JLC, le RRS et le VRS), dépassant avec l'aide du CCI leurs confusions antérieures, que naquit la section en Belgique. Trois groupes qu'avait fait surgir la reprise de la lutte prolétarienne, et qui, au cours de plusieurs années de recherche 1aborieuse, tombant souvent dans le piège des idéologies bourgeoises, furent petit à petit gagnés aux positions de classe. A l'époque, cet évènement fut salué par le CCI comme un pas important dans son renforcement, non pas tant pour la nouvelle section en elle-même, que pour l'expérience positive qu'avait constitué l'unification de trois groupes isolés sur la base du programme prolétarien ; celle-ci étant la manifestation de la compréhension croissante, chez les éléments révolutionnaires, de la nécessité de l'unité mondiale. Vaincre les préjugés localistes et réaliser une centralisation effective de la section, surmonter les divisions linguistiques, assumer la publication d'une revue en deux langues (français et néerlandais), s'intégrer dans le travail de l'ensemble du CCI, assimiler les expériences des autres sections et enfin assurer une formation accélérée des militants pour se hisser à la compréhension théorique générale du Courant : telles furent quelques unes des tâches qu'Internationalisme a dû mener à bien au cours de l'année écoulée. L'importance de la synthèse d'un tel travail ne peut être sous-estimée, car c'est seulement l'assimilation complète des difficultés rencontrées au cours des pas précédents qui permet d'accomplir le pas suivant avec assurance.
Après avoir analysé la situation économique et politique aux niveaux international et national ([1] [21]), le congrès a concrétisé la nouvelle étape que s'apprête à franchir la section dans son développement et son renforcement par l'adoption de ses perspectives politiques pour l’année à venir. L'aspect le plus important de celles-ci est sans conteste la décision de publier bientôt Internationalisme mensuellement, en deux langues. Cette augmentation de la fréquence de parution de la revue est le reflet de la multiplication des problèmes qui commencent à se poser à la classe au cours de sa lutte et auxquels l'organisation des révolutionnaires se doit de répondre pour remplir sa fonction au sein du prolétariat. Avec l’approfondissement de la crise et l'exacerbation saccadée de la lutte de classe, les révolutionnaires sont poussés à intervenir de plus en plus intensément, non seulement pour faire face aux besoins immédiats de la lutte, mais encore pour se préparer de façon continue et progressive aux explosions révolutionnaires futures qui germent aujourd'hui dans le sol fertile des luttes quotidiennes.
C'est encore pour se préparer au futur qu'une deuxième tâche d'un congrès consiste à se prononcer sur des questions générales qui ne se posent pas directement dans la pratique, mais qui ne manqueront pas de surgir dans le cours ultérieur de la lutte. Tout comme le second congrès de Révolution Internationale, le premier congrès d’Internationalisme s'est penché sur le problème de la période de transition qui s'étend entre le capitalisme et le communisme achevé. Il s'agit là par excellence d'un problème qui nécessite une réflexion préparatoire. Car, lorsque le prolétariat se soulèvera tout entier contre la bourgeoisie, lorsqu'il balaiera de fond en comble l'Etat bourgeois, dans ce bouillonnement fiévreux qu'est la révolution, les révolutionnaires n'auront jamais trop réfléchi, trop tiré les leçons des expériences passées pour faire face à la nécessité immédiate de l'organisation du pouvoir prolétarien. C'est parce que la dialectique interne des luttes de la classe ouvrière entraîne aujourd'hui celles-ci vers la révolution, c'est parce que chaque lutte porte en filigrane le contenu de la révolution, donc du communisme, que le CCI estime indispensable de prendre position, au cours de son prochain congrès international, sur les grandes lignes des rapports politiques qui existeront dans la période de transition.
L'adoption par le premier congrès d'Internationalisme d'une résolution sur ce sujet s'inscrit donc dans le cadre de la discussion internationale qui prépare le second congrès international.
Et, si la résolution présentée au congrès de Révolution Internationale (publiée dans la Revue Internationale n°8) fut également acceptée par le congrès d'Internationalisme, les discussions n'en furent pas moins controversées et très fructueuses. Le débat fondamental, qui porte sur la nature de l'Etat dans la période de transition, a déjà trouvé une expression dans la Revue Internationale n°6 ; il s'est encore considérablement enrichi d’arguments au cours de la discussion du congrès.
Enfin, le premier congrès d'Internationalisme fut l'occasion de présenter deux textes importants : les thèses sur la lutte de classe en Belgique et les thèses sur la filiation des groupes communistes en Belgique ([2] [22]). Ce congrès fut un moment important de la vie de la section en Belgique, en quelque sorte l'étape qui marquait la tenue de sa constitution effective et le dépassement de ses premières expériences, pour entrer dans une phase d'affirmation politique. Or il est capital de comprendre d'où nous venons pour mieux cerner où nous allons. Ces textes furent ainsi, pour la jeune section en Belgique, un moyen de renouer avec le passé de la classe et de mieux se comprendre comme un maillon de la chaîne qui relie, à travers l'histoire, toutes les luttes et toutes les expressions politiques de la classe.
M.L.
[1] [23] Nous ne reprenons pas ces points ici puisque des textes complets sur la situation internationale, émanant du second congrès de Révolution Internationale ont été publiés dans la Revue Internationale n°8, tandis qu'une résolution sur la situation en Belgique a été publiée dans Internationalisme n°8.
[2] [24] Ces textes seront publiés ultérieurement dans la presse du CCI.
Une scission importante vient récemment d'avoir lieu au sein du Communist Workers Organisation (CWO), groupe révolutionnaire en Grande-Bretagne qui défend des positions proches de celles du CCI. Bien que les détails de la scission restent obscurs puisque les scissionnistes du CWO ne font apparemment publié aucun texte expliquant pourquoi ils rompent, il semble que la section de Liverpool toute entière -plus ou moins l'ancien Workers'Voice- ait quitté le CWO, lui reprochant son attitude intolérante vis-à-vis des autres groupes et dans la discussion interne. Ceci a peut-être de solides justifications mais l'ancien Workers’Voice (WV) a beau jeu de se plaindre de 1'intolérance vis-à-vis d'autres groupes : il fut le premier de différents groupes à rompre avec le CCI, l'accusant d'être contre-révolutionnaire avec des arguments politiques des plus légers (voir WV n°13, "Statement"). Du peu que nous savons, il semble que le principal motif du groupe de Liverpool pour quitter le CWO est une tendance prononcée au localisme et à l'activisme, une insistance purement verbale d'intervenir dans la lutte de classe, comprenant à la fois l'intervention et la classe ouvrière dans le sens le plus étroit et le plus parcellaire. Ces tendances localistes d'une part et l'échec du groupe de Liverpool à débattre des divergences de façon véritablement politique d'autre part, sont la continuation directe de la pratique de l'ancien WV (voir «Sectarisme illimité» dans WR n°3). Cependant la réaction de ceux qui restent comme le CWO, semble être en droite ligne dans cette tradition de dogmatisme enfermé sur lui-même au point que leurs publications n'ont pas cherché à approfondir les implications politiques de cette scission.
Nous ne voulons pas nous appesantir sur les détails de cette scission. Nous disons simplement qu'elle est la conclusion logique de ce que nous avons qualifié de "regroupement incomplet" (World Révolution (WR), n°5) lorsque Workers’Voice et Revolutionary Perspectives fusionnèrent pour former le CWO en septembre 1975. C'est là le résultat inévitable de la politique d'isolé ment sectaire que le CWO se choisit lorsqu'il rompit avec le CCI. Cet isolement s'est même accru depuis la formation du CWO ; la plupart des contacts avec des éléments révolutionnaires dans d'autres pays (Pour une Intervention Communiste en France, l'ex Revolutionary Workers Group aux USA), n'ont rien donné et le groupe a maintenant perdu une de ses plus fortes sections. Plus que jamais le CWO reste un groupe local pris au piège de l'étroitesse de ses horizons. Bien que le CWO lui-même soit peut-être incapable de comprendre ce qui s'est passé, alors que la période est fondamentalement favorable pour le regroupement des révolutionnaires, il est important pour nous de voir toute l'expérience du CWO comme un problème du ressurgissement du mouvement révolutionnaire et quelles leçons peuvent être dégagées de cette expérience pour le processus de regroupement des révolutionnaires engagé aujourd'hui. Nous saisissons aussi cette occasion pour exprimer nos critiques sur ce que nous considérons être les principales erreurs politiques du CWO ; cette critique servira de réponse à la polémique avec le CCI de l'article du CWO dans Revolutionary Perspectives n°4, "les convulsions du CCI", qui vise a montrer comment le CCI fait partie de la bourgeoisie.
Pour comprendre la situation bizarre qui fait qu'en Grande-Bretagne deux groupes révolutionnaires défendent des positions de classe et en même temps n'entretiennent aucune relation entre eux parce que l'un considère l'autre comme "contre-révolutionnaire", il faut revenir plu» sieurs années en arrière quand le mouvement révolutionnaire d'aujourd'hui, faible mais grandissant, commence à émerger de la longue nuit de contre-révolution dont la fin est marquée par la résurgence du prolétariat après 1968.
C'est précisément parce que la contre-révolution qui a suivi la défaite de la vague révolutionnaire des années I917-I923, a été si longue et si profonde que le ressurgissement du mouvement révolutionnaire à la fin des années 60 s'est heurté à de nombreux obstacles et confusions. En effet il n'y a pas de lien automatique entre le niveau de la lutte de classe à un moment donné et la clarté des minorités révolutionnaires du prolétariat. A la suite des événements de mai 1968 en France, le prolétariat international, réagissant aux premiers coups de la crise économique globale qui s'amorce, se lance dans une série de batailles à une échelle que le monde n'avait plus connue depuis cinquante ans. Mais bien que la réapparition du prolétariat sur la scène de l'histoire pose les conditions générales pour la renaissance d'une fraction communiste au sein de la classe, les premiers groupes engendrés par le réveil de la lutte de classe se trouvent devant d'extrêmes difficultés pour comprendre la signification de leur propre existence et les tâches à entre prendre pour lesquels ils ont surgi. Le problème le plus important auquel ils se heurtent est la rupture complète de la continuité organique avec le mouvement révolutionnaire du passé. Dans les périodes précédentes, le prolétariat avait vu ses partis s'effondrer ou le trahir mais chaque fois une nouvelle organisation émergeait peu après, regroupant les meilleurs éléments des anciens partis" et reprenant la synthèse de tous les acquis. Ainsi, bien que la IIème Internationale fut perdue pour le prolétariat lorsqu'elle capitula devant la guerre impérialiste en 1914, l'écroulement ne fut pas total : en quelques années une nouvelle Internationale se reconstituait tel le phénix renaissant de ses cendres, basée sur les éléments de l'ancienne Internationale qui restaient attachés aux principes programmatiques de la classe ouvrière. En rompant avec les partis de la social-démocratie, la nouvelle Internationale Communiste n'avait pas à partir de "zéro" ; elle pouvait compter sur une expérience organisationnelle et une présence au sein de la classe ouvrière entretenue par les révolutionnaires pendant des décades avant le désastre de 1914. Au contraire la défaite de la vague révolutionnaire des années 20, parce qu'elle a lieu dans une nouvelle période où la seule perspective pour le prolétariat est socialisme ou barbarie et donc où seules restent des minorités politiques prolétariennes (ceux qui se basent sur un programme communiste explicite) signifie la quasi disparition du mouvement révolutionnaire de la scène de l'histoire. Les fractions communistes de gauche qui se détachent de l'IC qui dégénère, continuent à jouer leur rôle vital de tirer les leçons de la défaite de la révolution mais n'arrivent pas en fin de compte à résister à l'énorme pression de l'idéologie bourgeoise dans une période de défaite et de démoralisation. L'histoire du mouvement communiste de gauche des années 20 aux années 50 est celle d'une dispersion, d'un isolement croissant.
La rupture tragique dans la continuité avec le mouvement passé signifie que les nouveaux groupes qui surgissent à la fin des années 60 se trouvent privés d'une expérience théorique et organisationnelle vitale , n'ont pas de tradition d'intervention dans la lutte révolutionnaire, sont isolés de la classe,etc.. De plus, le mouvement surgit « parallèlement » à la soi-disant révolte étudiante et beaucoup de nouveaux éléments révolutionnaires viennent au départ du milieu universitaire avec toutes les confusions et les préjugés qui fleurissent dans un tel milieu.
Cette influence petite-bourgeoise est ressentie le plus fortement dans le domaine où les nouveaux groupes révolutionnaires sont les plus confus : la question d'organisation. Les trahisons du parti bolchevik, la transformation des partis révolutionnaires au départ en monstrueuses machines bureaucratiques ont produit et ceci dès les années 20, une réaction dans le mouvement ouvrier tendant à suspecter toute forme d'organisation révolutionnaire comme voulant se substituer à la classe ouvrière. Certaines tendances provenant des Communistes de Conseils des années 30 et 40 ont commencé à évoluer vers la position selon laquelle les organisations révolutionnaires constituent une barrière au développement d'un mouvement prolétarien autonome,
Il n'est guère surprenant que le jeune mouvement révolutionnaire des années 60 adopte au début ces erreurs conseillistes. Beaucoup d'éléments évoluent vers des positions révolutionnaires en réaction aux prétentions bureaucratiques et avant-gardistes des diverses organisations gauchistes ; et si on se rend compte du fait que les conceptions libertaires, situationnistes et autres "anti-autoritaires" sont intimement liées au milieu petit-bourgeois d'où sortent beaucoup de révolutionnaires, on peut voir pourquoi la question d'organisation est une pierre d'achoppement de la majorité des nouveaux courants révolutionnaires. Le rôle des révolutionnaires au sein de la lutte de classe, comment organiser une minorité révolutionnaire, la signification de l'intervention dans la lutte de classe, toutes ces questions sont beaucoup moins nettement comprises que les positions de classe plus générales telles que la nature bourgeoise des syndicats ou des régimes staliniens. Il y a une peur presque réflexe du "léninisme", du "bolchévisme", un sentiment que quiconque met l'accent sur 1'importance de l'organisation révolutionnaire ne peut être que "la même chose" que les trotskystes ou les staliniens, intéressé à s'auto-ériger en faux "leader" de la classe ouvrière. De même, toute tentative d'organiser l'activité révolutionnaire de façon centralisée est suspecte : le seul centralisme qu'on imagine est la hiérarchie bureaucratique des organisations gauchistes. En même temps, les aspects du travail révolutionnaire tels que la publication régulière et méthodique, une approche systématique de l'intervention, de la diffusion des textes, sont souvent considérés comme du "fétichisme organisationnel". Cette méfiance, allant parfois jusqu'à la paralysie en fait de tout travail révolutionnaire, est un produit direct du "traumatisme" de la contre-révolution : hantise compréhensible mais qui doit être dépassée le plus rapidement possible pour que le mouvement révolutionnaire puisse aller plus loin.
A cause de ces problèmes, beaucoup de groupes surgis de la première vague de luttes prolétariennes entre 1968 et 1972 ont complètement disparu et pour la majorité d'entre eux à cause d'une profonde confusion sur l'organisation. Le groupe suédois Internationall Arbetarkamp (IAK) en est un exemple typique. Commençant comme une saine réaction contre le maoïsme, IAK est parvenu tout près de l'élaboration d'une plate-forme communiste claire mais lorsqu'il s'est agi de s'affronter au problème de s'organiser, la peur a repris le dessus. Sous l'influence des idées modernistes comme celle d’Invariance en France, IAK a rapidement commencé à théoriser sa propre décomposition interne, affirmant que tout groupe est un "racket" et bourgeois par nature, que la tâche des communistes est de"vivre comme des communistes" : il n'est pas surprenant que le groupe ait bientôt éclaté entre des individus démoralisés poursuivant leur « propre » évolution vers le "végétarisme", la rédaction de romans "anti-capitalistes", etc..
Un des problèmes principaux pendant cette période a été l'absence d'une tendance politique capable d'agir comme pôle solide de regroupement, d’offrir à des groupes corme IAK une alternative à la désintégration politique. Ceci était inévitable car le mouvement révolutionnaire naissant n'avait d'autre alternative que de croître et mûrir à travers ses propres expériences. Néanmoins, ce processus de maturation s'est développé lentement : un des premiers signes est la disparition de la plupart des courants qui, éblouis par le boom d'après-guerre, avaient rejeté la conception marxiste de la crise et ont aujourd'hui vu leurs fantaisies sur un capitalisme ayant surmonté ses crises, démenties par le net infléchissement de la crise économique après 1973 (situationnisme, Gauche marxiste, ICO, etc.).
Entre 1968 et 1973 s'est poursuivi un processus graduel et continu de décantation dans le mouvement révolutionnaire ; dans ce contexte, la persistance et la persévérance du Courant international (alors représenté par Révolution Internationale en France, Internationalism aux USA et Internationalismo au Venezuela) défendant la nécessité d'une plate-forme politique cohérente comme base du regroupement des révolutionnaires, a été l'expression des besoins objectifs du mouvement révolutionnaire. Pour nous, l'affirmer aujourd'hui n'est pas une question de fanfaronner rétrospectivement ou de nous auto-proclamer arbitrairement pôle de regroupement (l'unique et l'éternel !) comme le CWO semble le prétendre dans leur "Convulsions du CCI". Si le Courant international a été le regroupement révolutionnaire le plus consistant après 1968, c'est par son souci constant de réappropriation et d'approfondissement des acquis du mouvement révolutionnaire passé. Le fait que quelques-uns des membres fondateurs du Courant international aient fait partie directement du mouvement de la Gauche communiste des années 30 à 50 est un élément important bien qu'il n'ait pas été un facteur décisif comme nous l'avons dit, toute continuité organique avec la Gauche communiste ayant finalement été rompue par la contre-révolution. Mais le Courant international s'est engagé à construire une continuité politique avec le mouvement de la Gauche communiste du passé et a ainsi élaboré une plateforme qui s'efforce de synthétiser les contributions fondamentales du mouvement ouvrier historique. Ceci a fait que le Courant tendait à devenir un pôle de regroupement et contribuait à la clarification du mouvement révolutionnaire des années 70. Mais, de par sa propre immaturité, il a fallu longtemps pour que les implications d'une telle orientation soient comprises par le Courant lui-même et beaucoup de conflits internes et de confusions ont du être résolues avant que le Courant international puisse pleinement assimiler la réalité de sa propre existence. Par exemple, il a fallu résoudre les hésitations "anti-organisationnelles" en son sein, exprimées par le départ des éléments activistes du PIC de RI en 1973 et de la "Tendance Communiste" moderniste en 1974, etc.. (Dans les "Convulsions du CCI", le CWO présente ces revers comme signes d'un groupe agonisant ; aujourd'hui on peut les voir clairement comme des maladies de croissance du CCI).
Ainsi, comme la plupart des courants révolutionnaires de l'époque, le Courant international qui est devenu le CCI aujourd'hui, a compris en dernier la question d'organisation, après les questions politiques plus générales ; l'immaturité relative du Courant était inévitable mais devait avoir des répercussions importantes sur certains des premiers efforts de regroupement. C'est ce qui devait apparaître douloureusement en Grande-Bretagne.
En mai 1973, divers éléments et individus essayant de clarifier les positions communistes se réunissent à Liverpool pour discuter des perspectives politiques. Il y a trois groupes en Grande-Bretagne : Workers'Voice de Liverpool, qui a rompu avec le trotskisme et essaie de réassimiler les acquis des Communistes de gauche du début des années 20 ; quelques camarades d'Ecosse qui ont scissionné de Solidarity pour défendre une conception marxiste de la crise du capitalisme et un groupe de Londres, dont certains membres ont également scissionne de Solidarity mais qui se considèrent proches des positions de Révolution Internationale et d'Internationalism (qui participent également aux discussions sur le les questions importantes comme les syndicats, l'organisation et la décadence du capitalisme) ; la confusion est grande dans les groupes britanniques et les contributions de RI et Internationalism sont importantes pour essayer de clarifier quelques-uns de ces problèmes.
De nombreuses réunions se poursuivent pendant quelques mois et les groupes en Grande-Bretagne progressent considérablement (le groupe, de Londres devient World Révolution et les éléments en Ecosse Revolutionary Perspectives). La discussion entre les groupes se poursuit de façon fraternelle et constructive et des interventions conjointes ont lieu (par exemple le tract de WR et WV sur le Chili en septembre 1973 au moment de la chute d'Allende). Mais un problème commence à se poser par le fait que WR évolue plus rapidement vers la plateforme et la politique du Courant international que WV et RP. Des questions importantes comme la décadence du capitalisme ou l'alternative de guerre ou révolution, socialisme ou barbarie, soulèvent des hésitations et des incompréhensions de la part de WV, au début RP, tout en niant le problème de la saturation des marchés comme source de la crise capitaliste, assimile le concept général de décadence plus rapidement. RP cependant, exprime des désaccords sur la question de la révolution russe et du parti bolchevik en particulier. Il faut longtemps à RP pour saisir pleinement le caractère prolétarien du parti bolchevik. Ce développement inégal des trois groupes devient une source de complications pour une raison fondamentale : la discussion et la coopération entre les groupes n'ont à aucun moment été fondées sur une conception claire du regroupement des révolutionnaires. Dès le début, le regroupement est vu comme un projet vague et lointain, peut-être seulement nécessaire au début de la révolution. La discussion entre les groupes se mène sur la compréhension tacite que chaque groupe a sa propre"autonomie", ses « propres positions » à développer et à défendre. La fraternité dans la discussion est authentique mais instable dans la mesure où elle n’a pas à faire face à la question difficile d'une réelle implication, une fusion en une seule organisation centralisée à l'échelle internationale. Là encore, le Courant International est le premier à poser la question du regroupement de façon claire. Mais au moment où la question devient explicite, son apparition implicite sans vraiment comprendre ce que cela signifie, a déjà mené à une détérioration des relations entre les groupes en Grande-Bretagne. Ceci se vérifie particulièrement après la Conférence de janvier 1974 lorsque WR change de position sur la révolution russe (l'insurrection d'Octobre était jusque là considérée comme une contre-révolution capitaliste d'Etat dirigée par un parti bolchevik "bourgeois") et montre une volonté claire de prendre part au Courant international de RI-Internationalism-Internacionallsmo. WV interprète cela comme une "capitulation" de WR face aux desseins « semi-bolcheviks » du Courant international (interprétation encore mise en avant par le CWO dans les "convulsions du CCI") et les relations entre WR et WV se détériorent ensuite rapidement. WV se retire de plus en plus dans un refus renfrogné de discuter ses divergences (cf, ''Sectarisme illimité", WR, n°3) et ne répond pas aux diverses lettres qu'écrit WR pour tenter de poursuivre la discussion (il semble qu'aujourd'hui le groupe de Liverpool veuille continuer la mène politique de silence sur ses divergences avec le CWO).
Au moment où le Courant international commence à mettre réellement en avant que le regroupement signifie regroupement aujourd'hui en une seule organisation internationale, il apparaît aux groupes "hors" du Courant que le Courant international (alors rejoint par les groupes en Italie et en Espagne) exprime une sorte de "désir impérialiste" de s'étendre a tout prix et d'incorporer tous les autres groupes pour accroître ses propres prétentions. Le Courant ne parle pas seulement de regroupement, il commence à construire un cadre organisationnel dans lequel le regroupement peut réellement se faire. Ceci provoque une réponse soupçonneuse des autres groupes et pas seulement en Grande-Bretagne. Le Revolutionary Workers'Group (RWG) de Chicago qui a rompu avec le trotskisme et évolue de façon positive vers le Courant commence aussi à se retirer quand la question pratique de son intégration dans le Courant commence à se poser. Quelques éléments de WV et RWG gardent certaines illusions sur la possibilité d'un travail indépendant avec la Tendance Communiste avant sa désintégration politique et sa disparition complète.
En novembre 1974, le silence de WV est rompu par une mise au point affirmant que le Courant est une force contre-révolutionnaire à cause de ses positions sur l'Etat dans la période de transition. RP montre encore une volonté de discuter les questions politiques mais commence à soulever de plus en plus d'objections aux positions du Courant, particulièrement sur la révolution russe et la période de transition. Après avoir discuté la possibilité d'entrer dans le Courant international comme "minorité" et avoir été sévèrement critiqué sur cette position, RP commence à se considérer comme le groupe "le plus clair" et agir comme si lui-même était le pôle de regroupement et non le Courant. Il demande que le Courant qui s'est constitué en janvier 1975 comme Courant Communiste International, change ses positions considérées alors comme des "frontières de classe" sur la question de l'Etat et sur la mort définitive de la révolution russe. A ce stade, sa perspective est de convaincre le CCI de ses "erreurs" qui sont subjectives et ne représentent pas un point étranger à la classe (Lettre ouverte au CCI, RP, février 1975). Peu après, RP abandonne l'espoir de réformer le CCI et se consacre au regroupement avec les autres groupes qui semblent être plus proches de ses propres positions et qui forcent une sorte de "contre-courant" au CCI : WV, RWG et PIC ((Pour une Intervention Communiste), France).
Les discussions avec le RWG et le PIC révèlent des divergences importantes mais en septembre 1975, WV et RP fusionnent pour former le CWO. Il semble au début que les éléments de RP dans le CWO continuent de considérer le CCI comme un groupe "confus" et non-bourgeois, mais plus tard, l'ensemble du CWO adepte la position de l'ancien WV - que le CCI est une faction contre-révolutionnaire du capital avec laquelle toute discussion est inutile. Malgré tout, le CWO affirme dans "Les convulsions du CCI" que c'est le CCI qui a mis fin à la discussion entre les groupes, ce qui est une affirmation invraisemblable si l'on se rappelle les prises de positions ininterrompues du CCI à la fois avant et après la formation du CWO, affirmant sa volonté de maintenir un dialogue avec le CWO, position qu'il maintient encore aujourd'hui, sans mettre aucune condition au débat.
Ceci est d'autant plus invraisemblable quand on considère qu'au cours du processus de regroupement en Belgique, les groupes participants (RRS d'Anvers, VRS de Gand et Journal de luttes de classe de Bruxelles) invitent le CWO à participer à leur conférence en plein accord avec le CCI. Le CWO n'est cependant pas venu et leur silence a été déploré dans les documents issus de la Conférence de 1975 (Revue Internationale n°4 [27]).
Cette brève trajectoire du processus qui a mené à la formation du CWO n'apporte que peu de choses sauf si on analyse les raisons sous-jacentes et si on essaye d'en tirer les leçons. Nous n'entrerons pas dans tous les détails de cette affaire. Notre tache aujourd'hui est de comprendre pourquoi a pu se produire une telle détérioration des relations ; c'est seulement en considérant les caractéristiques générales qu'il sera possible de voir comment à certains moments, des questions secondaires peuvent exacerber un problème Rétrospectivement, il est possible de voir beaucoup de raisons générales pour l'échec de cette tentative de regroupement.
De la part des groupes hors du Courant, les obstacles principaux au regroupement sont des problèmes qui, comme nous l'avons vu, sont communs à beaucoup de groupes qui ont surgi de la période de contre-révolution: une peur du bolchevisme et l'héritage de la contre-révolution et une profonde absence de clarté sur la question d'organisation.
1- Une des principales pommes de discorde entre le CCI et les autres groupes est la révolution russe et les leçons â en tirer. Ce n'est pas par hasard. La révolution russe a été un des événements les plus importants de l'histoire du prolétariat et quiconque échoue à comprendre les leçons de cette expérience n'arrivera pas à se dégager de la contre-révolution. La réaction de quelques éléments du prolétariat à la défaite de cette révolution est le rejet de toute l'expérience comme rien de plus qu'une révolution bourgeoise ou un moment dans l'évolution du capital vers de nouvelles formes. Le parti bolchevik, en particulier, est souvent rejeté de tout le mouvement prolétarien et présenté comme le porteur parfait du capitalisme d'Etat, intéressé à la seule modernisation de la Russie. Ce genre d'interprétation que nous pouvons qualifier vaguement de "conseilliste", a eu une influence importante sur les groupes en Grande-Bretagne quand ils ont surgi, WR se nomme au départ "Conseil Communism" et s'oppose violemment au bolchevisme ; WV passe par une phase explicitement conseilliste lorsqu'il rejette toute idée d'un parti révolutionnaire ; RP commence avec des positions proches d'Otto Ruhle à savoir que tous les partis sont bourgeois et que 1917 en Russie est une révolution bourgeoise. Au contraire, RI, dès le début, insiste sur le caractère prolétarien de l'insurrection d'Octobre et du parti bolchevik. Ceci provoque "naturellement" des soupçons que RI est encore quelque peu teinté de bolchevisme et de léninisme, qu'il se prépare à excuser et défendre toutes les actions anti-ouvrières des bolcheviks après 1917. D'autres soupçons sont provoqués par l'affirmation de RI que pendant la période de transition l'Etat est inévitable, un fléau nécessaire que le prolétariat aura à utiliser mais avec lequel il ne pourra jamais s'identifier. Et comme RI a toujours défendu la nécessité d'un "parti révolutionnaire", ce que dit le Courant sur le regroupement est interprété comme une autre aventure, à la manière trotskyste, de construction du parti.
Echouant à comprendre la méthode du Courant international pour tirer les leçons de l'expérience bolchevik, les autres groupes tendent à voir la « contre-révolution » derrière chaque position qu'ils ne saisissent pas immédiatement.
Après beaucoup de discussions, WR et RP se séparent tous deux de l'interprétation conseilliste et acceptent le caractère prolétarien de la révolution russe et du parti bolchevik. Ils commencent également à parler de la nécessité d'un parti révolutionnaire, mais ils ne considéreront jamais l'idée que l'Etat de transition est quelque chose de distinct de la classe ouvrière et sous-entendent que la position du CCI signifie la répétition de l'erreur des bolcheviks de subordonner les conseils ouvriers à une force étrangère au prolétariat (ce qui est exactement le contraire de la position du CCI qui met l'accent sur la nécessité pour les conseils ouvriers d'exercer leur pouvoir sur toutes les autres institutions de la société !). En même temps, tout en reconnaissant le caractère prolétarien de la révolution russe, WV et RP (et le RWG) commencent à mettre en avant que quiconque ne reconnaît pas que le parti bolchevik est "fini" en 1921 (Kronstadt, la NEP, le front unique), a franchi les "frontières de classe" et devient un apologiste de la contre-révolution. Nous discuterons l'absurdité de cette position plus loin mais même cette absurdité n'est pas sans signification. Jamais auparavant dans l'histoire du mouvement ouvrier, une question de date, une interprétation historique a posteriori, n'a constitué une "frontière de classe". La seule explication possible pour l'intransigeance avec laquelle WV, RP et le RWG ont défendu leur position sur "1921" est qu'ils voient cette date comme une sorte de cordon sanitaire les protégeant d'un lien possible avec la dégénérescence du bolchevisme. C'est comme s'ils voulaient diminuer leurs réticences à accepter le parti bolchevik comme une partie de leur propre histoire en disant "jusque là mais pas plus loin". Ils ont évolué d'une position conseilliste à une position plus cohérente, proche de celle du CCI, comme nous l'avons dit, ils n'ont pas assimile de méthode cohérente pour analyser les erreurs et même les crimes du mouvement ouvrier passé, ni l'approche du problème de la dégénérescence et de la mort des organisations prolétariennes.
2- Les confusions de WV-RP sur le regroupement et l'organisation ont été liées de très près à leur peur du "léninisme" et du "bolchévisme". Particulièrement, WV a considéré pendant longtemps que parler de regroupement aujourd'hui est "substitutionniste". Bien que leur position ait changé ultérieurement (sans explication aucune), la question du regroupement n'a jamais été pleinement clarifiée dans le CWO comme nous le venons. Parallèlement à cette hostilité au regroupement, il y a eu cette réticence vis-à-vis du parti et une difficulté sur la conception de la centralisation. Les idées de WV sur l'organisation ont été plus ou moins fédéralistes : chaque groupe est autonome et a sa propre intervention à faire dans son coin du monde. La perspective d'être absorbé dans un corps international les a remplis d'angoisse. RP a accepté l'idée du regroupement et de la centralisation plus facilement mais la compréhension des implications a été très limitée, ce qui a été démontré par exemple par l'idée d'entrer dans le Courant comme un bloc avec sa propre plateforme au sein de l'organisation et leur basculement ultérieur, de la conception sous-fédéraliste à un monolithisme extrême, pour lequel le regroupement est impossible tant qu'il n'y a pas accord absolu sur tous les points quels qu'ils soient, a montré qu'il n'a pas compris réellement la conception de la centralisation. En général, ni RP, ni WV n'ont abandonné l'idée qu'ils ont leur propre contribution à apporter au mouvement ouvrier, que ce sont eux qui ont fait et clarifié l'essentiel d'une plateforme révolutionnaire : il est vrai, disent-ils que le Courant international les a aidés un tout petit peu mais le principal vient d'eux. Il se sont sortis du gauchisme par leurs propres moyens.
La vérité est quelque peu différente. Ni RP, ni WV, ni le CWO n'ont fait de critique systématique de leur propre passé, nais s'ils l'avaient fait, ils seraient arrivés à quelques conclusions désagréables. Alors que la discussion entre révolutionnaires n'est jamais un monologue et que des deux cotés on a gagné dans les débats qui se sont tenus en Grande-Bretagne, un coup d’oeil rapide aux faits ne laissera aucun doute sur qui a été la source principale de clarification. Le Courant avait déjà un cadre et une plateforme clairs avant que ces discussions s'engagent : ceux de RI (la Déclaration de principes de 1968 et la plateforme de 1972). Quand RP et WV ont commencé à discuter avec le Courant, ils étaient confus sur des questions absolument vitales comme les shop stewards, la révolution russe, la décadence, l'organisation, le mouvement de la gauche communiste et les positions claires vers lesquelles ils ont évolué, ont été les positions que le Courant défendait déjà ; ce qu'ils ont considéré plus tard comme la preuve de leur clarté supérieure (1921, l'Etat, etc.) ont été principalement des confusions qu'ils n'ont jamais surmontées. Le résultat est que les plateformes de WV, de RP et du CWO sont essentiellement des versions affadies de la plateforme du CCI avec en plus leurs propres dadas. Sans l'intervention du Courant, il est peu probable que WV et RP seraient arrivés à une perspective politique relativement claire. Une fois de plus, nous n'affirmons pas cela pour donner du prestige au CCI, nous réaffirmons simplement que les circonstances historiques ont fait que le Courant international a été le premier à élaborer une plateforme politique cohérente, ce qui lui a donné une responsabilité particulière dans le développement d'autres groupes. Autant RP que WV n'ont jamais pu admettre ce fait. Leur désir de défendre leur autonomie et de développer "leurs" idées les a empêchés de voir la nécessité pour les communistes d'unifier leurs efforts et de se regrouper dans une seule organisation.
Mais les erreurs de WV et RP ne peuvent pas expliquer toute l'histoire. Nous n'avons pas affaire ici à des problèmes psychologiques : les hésitations, confusions et craintes de WV-RP sont en grande partie un produit historique de 1'immaturité du mouvement révolutionnaire et cette immaturité a aussi affecté le Courant international en freinant ses propres efforts vers la constitution d'un pôle de regroupement.
Comme nous l'avons vu, bien que les groupes du Courant international aient eu une vision plus cohérente sur les problèmes organisationnels en général, ils ont mis du temps à tirer toutes les conclusions pratiques de cette compréhension globale. Ceci s'applique autant à leur structure interne qu'à la question du regroupement, tous deux étant des aspects de la centralisation. Ce n'est que graduellement qu'il est devenu clair qu'il était nécessaire aujourd'hui de construire une organisation de révolutionnaires centralisée internationalement, laquelle ne serait à son tour qu'un moment de la reconstitution du parti communiste mondial dans une période de lutte de classe intense. Bien qu'il ait imposé sa clarté générale dans la discussion avec les autres groupes, le Courant international n'a pas réussi à poser le problème fondamental du regroupement dès le début. Il n'a pas insisté suffisamment tôt sur le fait que la discussion et la coopération entre les groupes en Grande-Bretagne avaient pour but la clarification sur les points essentiels d'une plateforme communiste et la fusion des différents éléments dans une seule organisation internationale.
Quand les divergences ont surgi entre les groupes, le Courant n'a pas toujours répondu de manière adéquate et c'était là essentiellement le résultat de son inexpérience à traiter de tels problèmes. Le développement de nouveaux groupes est un processus extrêmement délicat qui requiert en même temps qu'une défense intransigeante des positions politiques générales, beaucoup de souplesse et de patience de la part d'un groupe plus mur. Ceci ne veut pas dire que les problèmes auraient pu être évités si le Courant avait fait preuve de plus de"tact" - arrivés à un certain point, le tact et la bonne disposition du Courant ont été interprétés comme des manifestations d'un opportunisme dénué de principes. Mais quand le mouvement révolutionnaire est si jeune et faible, les problèmes secondaires et mêmes personnels peuvent avoir un effet sans commune mesure avec leur importance réelle. Ceci veut dire que la manière de mener une discussion est très importante. Il est nécessaire particulièrement de séparer les problèmes d'importance secondaire de ceux d'importance fondamentale et de mener la discussion à un niveau strictement politique, sans se perdre dans les minuties de la psychologie inter-groupes.
Au manque d'expérience du Courant international à mener de telles discussions, s'ajoutait le fait qu'il n'avait pas encore les moyens organisationnels de diriger le débat vers une conclusion fructueuse. Par le fait que le Courant n'existait pas encore comme une seule organisation unifiée, il n'avait pas les moyens d'élaborer une orientation globale et cohérente dans ses relations avec d'autres groupes. Pour la même raison, il était difficile que les autres groupes le voient comme un pôle de regroupement alors qu'il n'avait pas de plateforme commune et de structure organisationnelle unifiée. Des groupes comme le RWG lui ont reproché effectivement de ne pas être centralisé sans comprendre que la centralisation est un processus qui ne peut être proclamé du jour au lendemain. Toute la perspective du Courant était qu'il devait s'acheminer vers la constitution d'une seule organisation internationale. Mais le fait qu'il n'avait pas encore atteint ce stade devait peser lourdement sur ses premières tentatives de regroupement avec d'autres éléments. De plus, la naissance du CCI s'est accompagnée des inévitables douleurs de l'enfantement qui ont donné lieu à un certain nombre de défections et de scissions :
Si on compare la faillite du regroupement avec RP et WV en Grande-Bretagne avec le regroupement mené à bien après en Belgique, il devient évident que l'existence du Courant en tant que corps unifié était extrêmement importante. Les trois groupes qui ont commencé à discuter les positions révolutionnaires en Belgique, ont démarré avec les mêmes problèmes que les groupes en Grande-Bretagne avaient affrontés : origines différentes, développement inégal vers les positions du CCI... Mais cette fois, le CCI non seulement existait en tant que tel mais avait appris de son expérience négative en Grande-Bretagne et a été capable de situer les discussions dans un cadre cohérent dès le début. Il a été capable de minimiser les problèmes secondaires et d'aider à la clarification de tous les groupes. Pendant cette période, le CCI a mis clairement en avant le fait que le but de la discussion était l'unification des différents éléments dans une même organisation internationale et le CCI a été capable de se présenter comme cette organisation. En fait, il est devenu rapidement clair pour les camarades en Belgique que le CCI était la seule organisation capable de fournir un cadre permettant le regroupement international. L'intervention du PIC et du CWO dans ce processus a simplement révélé leur préoccupation d'attaquer le CCI et de faire obstruction à toute unification dans le mouvement révolutionnaire. La constitution d'Internationalisme comme section belge du CCI, de même que d'autres regroupements qui ont été menés à bien au Canada, en Italie et Espagne, ont prouvé que le CCI avait surmonté beaucoup de ses difficultés du début et commençait à montrer une capacité réelle d'agir comme pôle de regroupement et de clarification.
Il est dommage que beaucoup des leçons amères que le CCI a apprises sur le regroupement - la nécessité de placer la discussion dans un cadre global, la nécessité d'une organisation unifiée et internationale, etc., l'ont été par une expérience négative en Grande-Bretagne mais la défaite a toujours été l'école du mouvement prolétarien. Les conditions qui ont mené à la formation du CWO sont surtout un produit d'une phase particulière dans la reconstitution du mouvement révolutionnaire et ne se répéteront probablement plus. En ce sens le CWO est une anomalie d'une période révolue. La croissance positive du CCI et la fragmentation et l'isolement croissants du CWO le confirment.
Depuis qu'il s’est créé, le CWO s'est enfermé de plus en plus dans une coquille de sectarisme misanthrope. Son rôle principal a été de semer la confusion parmi les éléments qui s'approchaient des positions communistes, les désorientant avec son insistance obsessionnelle sur les "divergences" avec le CCI. Après tout, qu'est ce qui peut être plus déroutant pour qui commence à comprendre les vraies positions de classe et la différence réelle entre un groupe communiste et un groupe gauchiste, que de découvrir tout d'un coup une série de "nouvelles frontières de classe" ? Il est difficile d'évaluer à l'heure actuelle l'influence confusionniste du CWO dans le mouvement révolutionnaire naissant. Nous avons mentionné leur rôle entièrement négatif dans le processus de regroupement en Belgique. En Grande-Bretagne, ils ont réussi à dévoyer plusieurs éléments dans leur tanière isolationniste, sans parler du fait que les militants du CWO se sont retirés eux-mêmes de la discussion au sein du mouvement révolutionnaire et se sont ainsi privés de la contribution au mouvement qu'il promettaient au début de leur développement.
Mais il serait erroné de surestimer l'influence (négative) du CWO. Dans beaucoup de cas avec les groupes en Belgique, par exemple et avec certains camarades en Grande-Bretagne qui font maintenant partie de WR , ils n'ont pas réussi à convaincre des révolutionnaires qui venaient de surgir que leur point d'appui « contre le CCI » était basé sur des critères politiques sérieux. Maintenant que leur attitude sectaire n'est plus dirigée seulement contre le CCI, ils ont des difficultés à maintenir des contacts avec un certain nombre d'autres groupes et encore plus à se regrouper avec eux. L'attitude qu'ils ont adopté envers le PIC est typique, exigeant que le PIC abandonne tout simplement sa position luxembourgiste sur la crise comme préalable à un regroupement (cf WR n°5 "Un regroupement incomplet"). Ils ont adopté la même attitude sectaire envers un groupe à Goteborg, en Suède en rupture avec l'anarchisme : la réponse du CWO n'a pas été de faire la critique de ses confusions mais d'écrire une attaque retentissante contre le mouvement anarchiste dans l'histoire (cf "Anarchism" dans RP n°3) et insister pour que le groupe de Goteborg réponde à cette attaque avant d'entamer une quelconque discussion. Il n'est pas surprenant que ni le PIC ni le groupe suédois n'aient voulu accepter un tel ultimatum. D'autres contacts internationaux n'ont également mené nulle part. Le CWO a eu un bref flirt avec le groupe Union Ouvrière en France, scission du groupe trotskyste Lutte Ouvrière. Bien que le CWO ait clairement encouragé les premiers efforts d'UO vers des positions révolutionnaires, il a sous-estimé les difficultés sur le plan politique général d'une rupture complète avec un passé organisationnel contre-révolutionnaire. La recherche désespérée du CWO d'autres contacts révolutionnaires après s'être arbitrairement coupé lui-même du CCI et de tous ceux qui ont des contacts avec lui, les a amenés à se bercer d'illusions sur la véritable clarté d'UO et de se jeter dans la proclamation de la victoire d'UO avant la bataille. En tout cas, le "dialogue politique" avec UO semble s'être terminé en un silence embarrassé puisque ce dernier s'est maintenant transformé en une sorte de rassemblement de modernistes. La fin des relations du CWO avec le groupe américain RWG, dont le CWO disait à ses débuts que c'était le groupe qui lui était "le plus proche" (WV 15), a aussi été passée sous silence. Le fait d'être proche du CWO n'a pas empêché le RWG de se démoraliser complètement et de se dissoudre (cf. WR n°5). Après une brève résurrection comme "Groupe Prolétarien Communiste", les vestiges du RWG ont finalement fusionné avec un étrange club de Chicago appelé "Comité pour un Conseil Ouvrier" pour former une ridicule secte semi-moderniste "Forward". "Forward" pense que l’ensemble de l'histoire du mouvement ouvrier depuis Marx jusqu'aux Bolcheviks (et probablement la gauche communiste aussi) n'a été que l'aile gauche du capital et que les luttes revendicatives de la classe (que "Forward" identifie avec mépris et à tort avec le "marchandage syndical") devraient être abandonnées. Leur journal est principalement consacré à des attaques fumeuses contre le CCI et le CWO.
La rupture de ses relations internationales accentue l'isolement du CWO et son incapacité à offrir une perspective réelle pour le regroupement des révolutionnaires. Bien que le CWO ait jusqu'à présent échoué à tirer un bilan de ces tentatives de regroupement, cette série d'échecs doit avoir produit des tensions dans l'organisation ; comme nous l'avons vu, la section de Liverpool qui a scissionné, a donné, parmi les raisons de sa scission, l'attitude intolérante du CWO envers les autres groupes. Lorsqu'un groupe s'enferme sur lui-même comme le CWO, il se crée une immense pression interne qui peut mener à des défections et des scissions soudaines, sans explication. La pression à l'intérieur du CWO a été augmentée par le caractère monolithique du groupe, son insistance sur un accord total sur tous les points de la plateforme, son refus de permettre des positions minoritaires. Comme nous l'avions prédit dans WR n°6, cette conception monolithique de l'organisation :
Ce monolithisme n'a jamais permis aux divergences de surgir et d'être débattues publiquement ou même au sein de l'organisation d'après les "scissionnistes". Cela ne peut servir qu'à cacher les divergences réelles et créer une atmosphère étouffante à l'intérieur du groupe ; mais en même temps le CWO a été incapable de se passer d'une structure monolithique. A 1'origine réaction excessive contre le fédéralisme de RP et WV, le monolithisme du CWO est devenu un paravent indispensable pour marquer nettement la séparation d'avec les autres groupes et pour protéger la "virginité" de la plateforme. Mais il est aussi clair que cette structure monolithique n'a jamais réellement éliminé la fragilité du regroupement d'origine entre WV, RP. Le CWO lui-même l'admet dans sa récente lettre au CCI :
Sous l'unité apparente et le "centralisme programmatique" du CWO, il existait encore deux groupes et l’acceptation du groupe de Liverpool des perspectives politiques défendues par le CWO, semble avoir été plutôt superficielle, à en juger par la facile régression de WV vers ses anciennes activités localistes et activistes. Dès le début l'organisation unie du CWO était une création artificielle, construite sur une base politique entièrement inadéquate, comme une sorte de miroir reflétant en négatif l'image du CCI. La scission était donc inscrite dans le groupe dès le début et à moins que le CWO ne change radicalement son orientation présente, il se dirige encore vers des tendances à la désintégration dans l'avenir.
Une des conséquences de l'isolement du CWO est une accumulation de confusion et de conceptions politiques erronées qui, en l'absence de discussions avec d'autres, ne sont pas clarifiées mais servent comme nouvelle justification du caractère "unique" du CWO. Un exemple suffira pour l'instant : dans RP n°5, nous trouvons l'incroyable affirmation que ni le soulèvement du 19 juillet 1936 ni les journées de mai 1937 à Barcelone, n'ont été des expressions d'une lutte prolétarienne. Cette vision est totalement en désaccord avec la position défendue par BILAN (cf. "L'appel de la Gauche communiste" publié dans la Revue Internationale n°7) et de fait obscurcit la signification de ce qui est arrivé en Espagne, en particulier le rôle de l'extrême gauche, rôle d'autant plus important que la bourgeoisie espagnole avait senti de façon aigue le danger prolétarien. Nous ne voulons pas entrer dans les détails de cette question ici : nous la citons comme exemple de la façon dont l'isolement du CWO par rapport au mouvement révolutionnaire d'aujourd'hui et aux traditions de la gauche communiste est en train de le mener à adopter des positions de plus en plus bizarres et sans fondement. Le CWO continue à défendre des positions de classe et reste dans le camp prolétarien ; sa dégénérescence politique est entrain de se faire lentement mais la prolifération de confusion dans ses rangs accélérera inévitablement cette tendance qui devient de plus en plus apparente.
C.D.WARD
SPARTACUSBOND : SEUL AU MONDE ?
L'article qui suit a été écrit par un camarade hollandais qui a quitté le SPARTACUSBOND (SB). Cet article est composé de différents textes écrits en préparation de la dernière conférence de SB et sert de lettre de rupture avec cette organisation. Le but de l'article est de clarifier pour le monde extérieur les développements qui ont eu lieu au sein de SB et, se faisant, de contribuer aussi au processus de regroupement international des révolutionnaires qui a amené F.K. à rejoindre le CCI, considérant qu'il est "le seul pôle sérieux de regroupement international des révolutionnaires aujourd'hui
LE "SPARTACUSBOND" : SEUL AU MONDE
Depuis la seconde partie des années 60, la lutte ouvrière a repris une forme ouvertement révolutionnaire. Au même moment, nous voyons émerger des noyaux révolutionnaires qui tentent de comprendre la crise du capitalisme et le resurgissement de la lutte de classes. Ces groupes révolutionnaires jettent ainsi les bases pour une reprise des activités de propagande qu'ont menées les organisations révolutionnaires issues de la première vague révolutionnaire du prolétariat mondial, après le massacre inter impérialiste de 1914-18. Ces tentatives sont d'autant plus difficiles que 50 années de contre-révolution ont rompu la continuité organique avec ces partis communistes qui s'étaient organisés dans la 3ème Internationale et avec ces groupes qui sont restés fidèles à la révolution mondiale après la dégénérescence et la désintégration de la 3ème Internationale et du Parti Bolchevik. Il est donc normal que les groupes révolutionnaires surgis pendant ces dernières années engagent une discussion approfondie, dans le but de se réapproprier les acquis historiques de la classe ouvrière, de clarifier les positions de classe et finalement de créer un regroupement international sur la base d'une plate-forme où sont élaborées les positions de classe. Le CCI est le résultat des efforts théoriques et organisationnels de ces groupes révolutionnaires qui ont pris conscience du fait que c'est seulement dans un cadre organisé internationalement qu’ils pourront assumer leurs responsabilités vis-à-vis de la classe ouvrière.
Tout le monde ne comprend pas immédiatement la portée d'un tel effort et ceci d'autant plus que les nombreuses organisations contre-révolutionnaires existantes contribuent à dévoyer le sens de cet effort. Elles ont, en effet. l'honneur douteux de pouvoir se réclamer d'une continuité organique et vivante avec ces courants qui, l'un après l'autre, se sont révélés être les massacreurs de la classe ouvrière - comme, par exemple, les trotskistes, les staliniens et les maoïstes, tous produits de la dégénérescence de la 3ème Internationale et du Parti Bolchevik.
Les groupes contre-révolutionnaires ne sont pas menacés par le reflux des luttes ouvrières. Au contraire, ils sont l'expression bourgeoise de ce reflux, et l'accélèrent. Leur rôle de mystification consiste à présenter n'importe quelle défaite de la classe ouvrière comme une victoire : le reflux des luttes dans le giron des syndicats, c'est l'expression d'une "unité croissante" ; le retour au parlementarisme, c'est une "lutte politique" ; le retour au nationalisme devient "l'internationalisme prolétarien" et la participation à la guerre, c'est là défense d'un quelconque "pays socialiste".
Le rôle de ces organisations bourgeoises contre-révolutionnaires est clair : mais au sein du camp prolétarien, les efforts pour un regroupement international sont-ils compris par les descendants des gauches allemande et hollandaise, ces groupes qui ne sont pas le produit de la reprise de la lutte de classe aujourd'hui mais qui ont été capables de maintenir une position révolutionnaire sur des questions vitales que la lutte de classe a affronté dans le passé ? Représentent-ils la continuité organique, vivante et non rompue, avec les courants révolutionnaires produits de la vague des années 1917-23 ? En d'autres termes, défendent-ils des positions de classe et accomplissent-ils leurs taches d'organisations révolutionnaires au sein de la classe ? On ne peut pas répondre à ces questions en termes généraux. Dans les pages qui suivent, nous allons examiner le cas du Spartacusbond (SB), organisation hollandaise qui est considérée parfois comme la continuité organique de la Gauche allemande et hollandaise des années 1920, 30 et 40.
LES ORIGINES DU "SPARTACUSBOND"Lorsque le "Communistenbond ‘Spartacus’"(Ligue des communistes 'Spartacus') resurgit de l'illégalité après la Seconde Guerre mondiale, beaucoup de membres du GIC ([1] [31]) d'avant la guerre font partie de ce groupe qui était auparavant un groupe trotskiste. En effet, à l'origine, le “Spartacusbond” était l'une des continuations illégales du RSAP de Sneevliet (Maring) qui, dans le second massacre inter impérialiste, avait pris une position internationaliste prolétarienne cohérente en refusant de choisir un camp ou un autre, et en défendant la lutte de classe. La fraction “Spartacus” en particulier a évolué positivement vers des positions de classe et abandonné les positions trotskistes : compréhension de la nature capitaliste de l'URSS, rejet des syndicats et reconnaissance des comités d'usine comme organisation de lutte de la classe ouvrière, dénonciation du parlementarisme et insistance sur la nature politique de la lutte dans les usines. Dans cette évolution, le groupe "Spartacus" était poussé de l'avant par le GIC, qu'il avait contacté après l'arrestation et l'assassinat de Sneevliet et de 7 autres camarades en 1943. L'étude et la discussion théorique entre les ex trotskistes et les membres du GIC ont évolué si positivement qu'ils ont tous décidé de continuer en tant que "Cormnunistenbond 'Spartacus'" qui a défendu publiquement les positions de classe en Hollande après la dernière guerre mondiale.
La fin de la Seconde Guerre mondiale n'a pas amené la révolution prolétarienne qu'ils attendaient en regard des évènements de Russie et d'Allemagne qui s'étaient produits après la Première Guerre mondiale. A la place, le capitalisme s'est engagé dans une phase de reconstruction à laquelle il a tenté d'atteler la classe ouvrière. Les "Eenheidsvakcentrale" (syndicats unis), à la création desquels les Spartacistes avaient contribué pendant les dernières années d'illégalité et qu'ils espéraient voir évoluer, à travers leur propagande pour des comités d'usine, vers un genre d"'Arbeiter Union" comme ceux de la révolution allemande, vont en fait devenir des syndicats ordinaires et pour couronner le tout, vont tomber entre les mains des staliniens. Ils ont rejoint ensuite la "Onafhankelijke Vakbond van Bedrijfsorganisaties", (Alliance Indépendante des organisations d'usine) qui, tout en n'étant pas dominée par les staliniens, est aussi devenue une sorte de syndicat sous la pression de la période de reconstruction ; après quoi les spartacistes l'ont quittée. Avec le déclin des grèves sauvages immédiatement après la Seconde Guerre mondiale, le "Spartacusbond" est entré dans une périodes difficile. Beaucoup de camarades l'ont quitté et il est devenu un petit groupe tentant désespérément de lutter contre le déclin des luttes ouvrières. La diffusion des positions de classe ne trouvait pas d'audience à cause de l'absence d'un mouvement de classe. Le SB a naturellement tenté d'expliquer cette situation, mais il est peu à peu tombé dans une théorisation de la défaite. Ce processus s'est 1ui-même reflété à travers l'émergence d'une fraction conseilliste dans SB qui a commencé à publier "Daad en Gedachte" ("action et pensée") indépendamment de SB en 1965.
LE CONSEILLISME ([2] [32])
Il faut faire une distinction entre les communistes de gauche d'avant la Seconde Guerre et le conseillisme en tant que courant qui surgit pendant la période de reconstruction. Les germes du conseillisme, qui ont produit la dégénérescence ultérieure, peuvent être trouvés dans certains courants d'avant-guerre au sein des gauches allemande et hollandaise, en particulier dans le communisme de conseils de ²l’Einheidsorganisation² (organisation unitaire) d'Otto Rühle, et dans le communisme de conseils du GIC. Cependant, ces deux courants étaient encore une expression de tentatives sérieuses pour clarifier les problèmes posés par les "Arbeiter Union" (unions d'ouvriers). Nous les appelons donc communistes de conseils et non conseillistes. Bien qu'à l'époque, le rejet par Rühle de la nécessité d'une organisation politique et du parti soit déjà une erreur, on ne peut comprendre cette position que dans le contexte de la confusion qui existait aussi dans le KAPD sur la question des ²Arbeiter Union". Ce n'est que peu à peu qu'a été comprise l'impossibilité pour la classe ouvrière d'avoir désormais des organisations permanentes. Cette compréhension a été exprimée dans les conceptions du GIC. Le communisme de conseils du GIC doit donc être distingué de celui de Rühle.
D'un autre côté, le "conseillisme" se base sur des fragments du communisme de conseils du GIC et de celui d'Otto Rühle. Il ne faut pas voir le "conseillisme" comme une tentative de clarification des vrais problèmes surgis de la lutte de classe. Tout au contraire, il retourne au rejet de Rühle des organisations politiques, à une époque où le problème des organes de lutte de la classe et de leur relation avec l'organisation politique avait été clarifié par le GIC. En ce sens, le "conseillisme" néglige une leçon fondamentale tirée de la lutte des ouvriers.
Les "conseillistes" prennent bien soin de relier leurs positions à celles des révolutionnaires comme Pannekoek. "Daad en Gedachte" se réclame même comme étant la continuation du GIC en disant qu'en 1965 tous les ex membres du GIC qui étaient encore membres du SB sont devenus membres de "Daad en Gedachte² ("D en G", 1976, n°3, p.7). Mais la continuité d'un courant révolutionnaire n'est pas garantie par des personnes. Un courant révolutionnaire ne peut se maintenir que dans le cadre d'une organisation qui diffuse publiquement les positions de classe et ce n'est sûrement pas le cas de "Daad en Gedachte". Au contraire, "D en G" considère que la diffusion des positions de classe est une "pratique de partis", mot qui, dans le vocabulaire "conseilliste", se réfère aux positions social-démocrates et léninistes sur les tâches du parti. Ce qui échappe complètement aux "conseillistes", c'est le fait que depuis la fondation du KAPD en 1920, les révolutionnaires défendent la position selon laquelle les tâches du parti sont de propagande et de clarification de la conscience et que celle de mener la lutte et de prendre le pouvoir doit être accomplie par les masses en lutte et qu'elles utilisent des comités élus dans ce but. Cette conception selon laquelle la tâche urgente du parti est d'intervenir dans la lutte de classe de façon exclusivement propagandiste est une position de classe. En d'autres termes, c'est une position de classe fondamentale que le KAPD avait appris de la pratique des partis réformistes et des syndicats, et de la poursuite de son activité dans la "centrale" du KPD(S) suivant la "direction" de Moscou ([3] [33]). Otto Rühle s'est éloigné du KAPD parce que, d'après lui, il "était payé par Moscou" et suivait la ligne léniniste. Gorter, Hempel et Pannekoek au contraire ont désapprouvé la position de Rühle car ils étaient convaincus que les ouvriers qui les premiers prennent conscience commencent nécessairement par se regrouper ensemble pour étudier et discuter, puis diffusent leurs positions dans l'ensemble de la classe.
Les "conseillistes" pensent trouver un argument supplémentaire ([4] [34]) contre les tâches de propagande du parti dans le fait que les positions de classe ont leur fondement dans l'activité créatrice de la classe ouvrière, et ne sont pas des créations indépendantes de théoriciens de salon contemplant leur nombril. En réalité, les positions de classe sont le résultat de l'étude de la lutte ouvrière par la classe ouvrière. Et donc les positions de classe changent quand la lutte de classe se heurte à un nouvel obstacle et réussit à le surmonter par sa créativité. Pour cette raison, les "conseillistes" pensent qu'il vaut mieux ne pas faire de propagande pour des positions qui risquent dans le futur de s'avérer limitées. Et deuxièmement, ils pensent que cela peut amener à une tentative de voler aux ouvriers la conduite de leur lutte. Une telle opinion se base sur une vision bien trop limitée des positions de classe. Les positions de classe ne sont pas des plans détaillés sur ce que doit faire la classe ouvrière dans chaque situation donnée. Les positions de classe tendent à cristalliser les acquis de l'expérience des plus hauts moments de la lutte de classe – comme ceux de la Commune de Paris, de la révolution russe, de la révolution allemande, par exemple - ainsi que les acquis de l'expérience de la contre-révolution - comme ceux des deux guerres mondiales, par exemple. Les frontières de classe ne sont pas plus qu'une orientation générale, un large cadre où s'inscrit l'action consciente de la classe et qui ne peut être développé qu'à travers des évènements de la lutte de classe de dimension historique mondiale. La peur des "conseillistes" de voir les groupes politiques prendre la direction de la lutte ouvrière s'ils se livrent à des activités de propagande est complètement erronée. Elle est d'autant plus erronée lorsqu'on sait que depuis 1920, les révolutionnaires ont compris qu'au cours de ses luttes, la classe ouvrière produit deux organisations : l'organisation unitaire et l'organisation des révolutionnaires.
Depuis l'éclatement de la Première Guerre mondiale, le capitalisme a prouvé qu'il était entré dans sa phase de décadence et dans l'ère de la révolution. Durant la période de décadence, des améliorations graduelles des conditions de vie de la classe ouvrière au moyen du parlement et des syndicats sont devenues impossibles à cause de l'absence d'un réel développement des forces productives. Et ceci implique que la classe ouvrière ne peut plus s'unir désormais au sein d'organisations permanentes de lutte, ce qu'avaient été dans le passé les syndicats et les partis parlementaires. C'est seulement directement dans les luttes, lorsqu’elle défend ses intérêts immédiats, qu'elle peut temporairement créer des unités organisationnelles. Ces luttes directes tout comme les formes organisationnelles unitaires secrétées dans ces luttes se heurtent toujours à l'impossibilité de gagner des réformes durables dans la période de décadence du capitalisme. Ce qu'il reste alors, ce sont les expériences de la lutte de son organisation et de ses résultats. En élaborant ces expériences, dans le cadre du processus de prise de conscience des ouvriers à travers leurs luttes de la nature des rapports de production capitalistes et de leurs propres formes d'organisation, la classe se prépare à remplir ses tâches historiques : le renversement conscient du capitalisme et la fondations du pouvoir ouvrier basé sur les conseils et dans le but de réaliser la société communiste. La classe ouvrière en train de prendre conscience de sa tâche historique n'est donc pas un fantasmé idéaliste qu'on pourrait injecter dans la classe de l'extérieur. Au contraire, cette conscience est produite de l'élaboration de ses expériences par la classe ouvrière, à travers des discussions intenses autour de différents points de vue.
Afin de diffuser leurs positions le mieux possible, ceux qui ont les mêmes positions s'unissent dans les organisations politiques des révolutionnaires qui elles, sont des expressions permanentes de la lutte de classe pour autant qu'elles se fondent sur l'étude des expériences de cette lutte du point de vue de la classe ouvrière. A côte de ces organisations, existent des organisations de lutte où se développent l'unité et l'indépendance de la classe ouvrière contre le capital et qui sont des expressions temporaires des surgissements de la lutte de classe. Les conseils ouvriers deviennent permanents lorsqu'ils ont détruit l'Etat bourgeois.
RUPTURE AVEC SPARTACUSBONDComprendre la distinction entre les organes unitaires de la classe et l'organisation des révolutionnaires ainsi que leurs rapports mutuels, c'est une nécessité fondamentale pour une organisation des révolutionnaires qui veut remplir ses tâches dans la classe le mieux possible. Ce n'est qu'à cette condition que nous pouvons parler de continuité organique et vivante avec la gauche communiste avant la guerre. "D en G" n'est pas la continuation de la gauche hollandaise - aucune équivoque n'est possible là dessus -, bien qu'il soit exagéré de dire que ce n’est qu'un groupe contre-révolutionnaire. Qu'en est-il de SB ?
Il est impossible de retracer ici toute l'histoire de SB. Nous nous bornerons à remarquer que le SB ne s’est pas libéré du "conseillisme" après le départ de la fraction "D en G". Il est vrai que c'est "D en G" qui a le plus contribué à donner des fondements théoriques au "conseillisme", l'a mis en pratique et diffusé à l'échelle internationale de la façon la plus conséquente ; cependant on trouve dans le SB des fragments du conseillisme. Nous pouvons évaluer la nature conseilliste ou communiste de SB en étudiant les thèmes traités lors de la première conférence de SB totalement dédiée à la question de l'organisation des révolutionnaires. La direction des décisions pratiques prises à cette conférence a constitué une raison suffisante pour l'auteur de cet article de quitter le SB. Les arguments développés ici ne sont pas inconnus du SB ; on peut les trouver dans les nombreux textes préparatoires à la conférence et dans les lettres envoyées au SB après la conférence.
A la dernière conférence de SB, la tendance conseilliste à voir tous les acquis historiques et politiques à travers le prisme de la défaite a pris fortement le dessus. Cette conférence dédiée à la question de l'organisation des révolutionnaires, était devenue nécessaire à cause de la manière défectueuse dont travaillait le SB. Après la parution de deux bulletins internationaux, le SB n'a plus semblé capable de réagir face aux différents groupes surgis dans le milieu révolutionnaire. Le SB fonctionnait si mal que même la discussion interne devenait impossible. La conférence aurait dû résoudre ces problèmes en développant une compréhension des tâches et de l'organisation du travail dans une organisation politique. Hélas, la conférence a montré qu'il y avait une confusion terrible dans le SB sur:
a) le regroupement international,
b) les origines dans la gauche allemande et hollandaise,
c) les tâches d'une organisation révolutionnaire,
d) le regroupement des révolutionnaires en Hollande.
a) Le regroupement international
Dans son rapport de la conférence des 25 et 26 septembre, le SB justifie son refus d'élaborer une plate-forme de la façon suivante :
"Dans une plate-forme (thèses), on est obligé de transcrire ses opinions en termes très généraux, parce qu'on doit dire beaucoup de choses en très peu de mots. Donc, en pratique, une plate-forme ne peut être comprise que par d'autres groupes. Elle ne peut être utile que dans ce genre de communications. Spartacus est différent : nous ne sommes pas intéressés en premier lieu par les autres groupes...
Ceux qui cherchent la forme parti avec d'autres groupes, internationalement, ont besoin d'une plate-forme, d'une déclaration élaborée, pour décider s'ils peuvent coopérer et avec qui" (Spartacus, nov. 1976).
A la conférence, l'argument était qu'une plate-forme n'est utile que pour établir des contacts avec d'autres groupes. Nous devons en conclure que le SB pense être la seule organisation révolutionnaire au monde, ou bien que les contacts avec d'autres organisations révolutionnaires n'ont aucune importance. L'isolationnisme de SB n'est évidemment pas un acquis de la gauche hollandaise, comme le montrent les faits suivants :
- Quand, en 1908, Gorter et Pannekoek ont quitté le parti social-démocrate hollandais pour fonder un nouveau parti social-démocrate vraiment marxiste, ils ont tout fait pour rester organisés dans la IIe Internationale. Pendant la même période, Pannekœk participait aussi activement à l'aile gauche du parti social-démocrate allemand.
- Lors du premier massacre impérialiste, Gorter, en particulier, a participé aux efforts de regroupement des gauches à Zimmerwald. qui ont abouti à la fondation de la IIIe Internationale. Pendant la révolution allemande, Pannekoek et Gorter se sont engagés avec passion dans les débats au sein du KPD(S) et du KAPD. Gorter fit un voyage à Moscou pour défendre les positions au Comité Exécutif de la Troisième Internationale. Après le Troisième Congrès du Comintern et que les efforts pour former une opposition eurent échoué, Gorter est devenu l'un des fondateurs du KAI (Kommunistische Arbeiter International ou Internationale Communiste Ouvrière).
- Après les scissions dans le KAPD et dans l'"Union", Canne Meijer et Hempel ont activement contribué au travail de regroupement des révolutionnaires allemands dans le KAU (Kommunistische Arbeiter Union ou Union Communiste Ouvrière).
- Dans le GIC, Canne Meijer, Hempel et Pannekoek ont tiré les leçons des révolutions russe et allemande, tout en gardant un contact permanent avec des camarades en Allemagne, en France, aux Etats-Unis et en Belgique.
- Après la Deuxième Guerre mondiale, lorsque les membres du GIC sortis de l'illégalité ont formé une partie du SB, le SB ne se tenait pas alors à l'écart des discussions internationales. Il avait des contacts en Allemagne, en France et en Belgique. A cette époque, le SB était aussi en contact avec les précurseurs du CCI.
Ces faits montrent clairement qu'il n'y aurait pas eu de Gauche hollandaise si elle ne s'était pas développée dans le cadre de la discussion internationale, au sein des 2e et 3e Internationales, et dans le cadre de contacts internationaux après la dégénérescence de la 3e. Ni la classe ouvrière, ni ses luttes ne s'arrêtent aux frontières nationales. Au contraire, la classe ouvrière constitue une unité qui dépasse les différentes nations ; elle est contrainte à cette unité dans ses luttes parce que le capitalisme qui l'a engendrée et qui est l'objet de sa lutte est organisé internationalement et en marché mondial. Deux guerres mondiales et deux vagues de lutte ouvrière internationale - celle de 1911-20 et celle qui débute aujourd'hui - l'ont prouvé. La nature internationale de la lutte ouvrière signifie aussi que les différentes organisations de révolutionnaires ne peuvent pas s'enfermer derrière les frontières nationales, et donc étudier et discuter la lutte de classe dans ce cadre limité, mais qu'elles doivent au contraire jeter les bases d'un regroupement international.
Malheureusement, c'est typique de l"'isolationnisme" du SB de ne pas avoir invité d'autres groupes à sa Conférence "pour éviter que la discussion ne s'axe trop sur les positions des différents groupes" (Spartacus, Novembre 76). Avant la Conférence, ce qui motivait le refus d'inviter d'autres groupes, c'était que le travail de la Conférence était la base et la pré-condition pour permettre ultérieurement la discussion systématique des positions des différents groupes, Mais lorsqu'à la Conférence s'est exprimée la "position très déviationniste" (Spartacus, nov. 76) qui proposait de traduire les plate-formes de différents groupes étrangers (par exemple, celles de la CWO, du PIC, du RWG, d'Arbetarmakt, dans la mesure où elles n'étaient pas traduites comme l'est celle du CCI) pour pouvoir les étudier et les évaluer, cette proposition fut rejetée. Aussi pouvons-nous craindre que dans les prochaines Conférences du SB, il n'y ait pas non plus d'autres groupes présents. Ce choix d'isolement face au resurgissement de la lutte ouvrière à l'échelle mondiale et aux questions qu'elle fera naître, entraînera inévitablement le SB à une position de plus en plus dogmatique. La progression de la nouvelle vague révolutionnaire l'abandonnera sur la berge, dans le camp bourgeois.
b) Les origines du SB dans les Gauches allemande et hollandaise.
Le SB ne s'est pas borné à refuser d'étudier les plates-formes des groupes existants aujourd'hui ; il a aussi refusé de se pencher sur les programmes des organisations dont il vient : le KPD (S), le KAPD, le KAPN (KAP hollandais), le GIC, et même sur son propre programme de 1945. Son argument était : "Mais tout cela n'est que de la vieille histoire. Maintenant, nous vivons dans une autre époque". Mais le fait est que presque tout ce que le SB met en avant, ce sont des fragments de théories délibérément sorties du contexte de la théorie globale des Gauches allemande et hollandaise. Refuser de l'admettre, n'est pas seulement terriblement arrogant, mais c'est aussi dangereux. C'est justement à cause de cette tendance dans le SB à mettre en avant (de manière superficielle et non critique) tantôt un élément, tantôt un autre des positions de Rosa Luxembourg, Anton Pannekoek, Herman Gorter, Henk Canne Meijer ou Hempel que le SB risque de tomber dans des positions dogmatiques qu'il redoute tellement. Le seul moyen de retrouver les positions de classe et de voir comment elles doivent éventuellement être développées ou changées en conséquence de changements radicaux dans la lutte de la classe, c'est d'étudier les positions fondamentales de la Gauche allemande et hollandaise dans le contexte des circonstances qui les ont fait surgir, et en tenant compte de ce qui nous sépare dans la période actuelle, des communistes d'avant-guerre. Car en en premier lieu, le SB ne connaît pas la globalité des positions de la Gauche allemande et hollandaise. Deuxièmement, le SB n'a jamais entendu parler des positions de la Gauche italienne par exemple. Troisièmement, le SB n'a pas la moindre idée de ce que veut dire "frontière de classe", ce qui l'amène à conclure superficiellement qu'une position "en dehors de son époque" peut être dangereuse ou même contre-révolutionnaire.
L'étude critique des positions de la Gauche allemande et hollandaise ainsi que des organisations existantes aujourd'hui auraient pu pousser le SB à adopter une plate-forme. Dans la façon même dont il rejette l'idée d'une plate-forme, il montre sa tendance à utiliser de façon superficielle des fragments de théorie :
"Notre tâche consiste à rendre nos positions claires aux gens, aux individus qui luttent. En d'autres termes, nous essayons de propager nos positions de classe ; nous tentons de propager la lutte de classe. Avec une plate-forme, on court le risque de se baser trop sur le passé pour juger l'évolution présente, on risque de devenir conservateur" (Spartacus, nov.76, souligné par nous).
Ceci n'est pas une contribution nouvelle du SB. Non, c'est en fait un fragment de théorie tiré de Rosa Luxembourg comme le montre la citation suivante :
"Dans ses grandes lignes, la tactique de lutte de la social-démocratie n'est, en général, pas à "inventer" ; elle est le résultat d'une série ininterrompue de grands actes créateurs de la lutte de classe souvent spontanée, qui cherche son chemin. L'inconscient précède le conscient et la logique du processus historique objectif précède la logique de ses protagonistes. Le rôle des organes directeurs du Parti revêt dans une large mesure un caractère conservateur : comme le démontre l'expérience, chaque fois que le mouvement ouvrier conquiert un terrain nouveau, ces organes le labourent jusqu'à ses limites les plus extrêmes ; mais le transforment en même temps en un bastion contre des progrès ultérieurs de plus vaste envergure".
(Rosa Luxembourg, "Centralisme et démocratie")
Mais chez Rosa Luxembourg, cette conception n'était pas un motif pour s'opposer à l'existence d'un programme du parti. Quelques lignes plus loin, elle écrit :
"Ce qui importe toujours pour la social-démocratie, c'est évidemment, non point la préparation d'une ordonnance toute prête pour la tactique future, ce qui importe, c'est de maintenir l'appréciation historique correcte des formes de lutte correspondant à chaque moment donné, la compréhension vivante de la relativité de la phase donnée de la lutte et de l'inéluctabilité de l'aggravation des tensions révolutionnaires sous l'angle du but final de la lutte de classe".
(Ibid. )
Rosa Luxembourg donne une excellente définition des origines et de la fonction des positions de classe contenues dans la plate-forme ou le programme de toute organisation révolutionnaire. En fait, défendre les positions de classe n'a rien à voir avec "s'efforcer d'être les 'chefs'" des luttes de la classe ouvrière, ni (ce qui en serait le résultat) avec freiner "les expériences souvent spontanées de la lutte de classe".
Le texte de Rosa Luxembourg cité ci-dessus a été écrit dans une période où la décadence du capitalisme n'avait pas commencé et où la classe ouvrière pouvait encore forcer le système à céder des réformes au moyen du parlement et des syndicats. A cette époque, les révolutionnaires militaient dans les organisations social-démocrates parce qu’elles étaient des organisations prolétariennes permanentes de lutte et de propagande. Le programme sur lequel s'est fondé le KAPD en 1920 rendait compte de la période de décadence du capitalisme qui avait commencé en 1914, ce qui s'exprimait dans ce programme par l'inadéquation du parlement et des syndicats comme moyens de lutte du prolétariat et par la distinction entre les organisations unitaires et l'organisation des révolutionnaires. Cette distinction est la continuation de l'approfondissement théorique commencé par Rosa Luxembourg dans son opposition au sein de la social-démocratie. Cette évolution n'est pas du tout le résultat de la recherche d'"intellectuels en chambre", mais vient d'une élaboration profonde des développements de la lutte de classe jusqu'à 1920, qui ont marqué une distinction entre les organisations de lutte et les organisations de révolutionnaires dans la réalité de la lutte de classe. La Première Guerre mondiale et la vague révolutionnaire de 1917-20 ont fait changer les frontières de classe et le programme du KAPD en témoigne. Quand le SB suggère maintenant que les frontières de classe décrites par le KAPD ont changé parce que c'est de "la vieille histoire", il a la responsabilité de démontrer les faits historiques qui le prouvent. C'est notre conviction que, de façon générale, ces faits n'existent pas. Mais le SB a de très bonnes raisons de refuser d’étudier les plates-formes et programme du KAPD et de leur continuation dans la Gauche hollandaise : pour le moment, le SB continue d'exister grâce à son refus conseilliste et activiste de remplir ses tâches en tant qu'organisation des révolutionnaires. Les "conseillistes", les plus vieux militants dans le SB, n'essaient plus de mettre en avant les positions de classe après leur expérience décevante pendant la période de reconstruction maintenant terminée. Les activistes, les plus jeunes du SB, ont peur de perdre dans une organisation de révolutionnaires agissante la sécurité des limites localistes de leur "lieu de travail", de leur "quartier" et de leur niveau théorique : celui du bavardage avec l'ouvrier!
c) Les tâches de l'organisation des révolutionnaires.
Pendant la Conférence, le SB n'a pas pu nier la distinction entre l'organisation des révolutionnaires et les organisations unitaires. Mais il ne l'a fait qu'après de très grands efforts et malgré des "objections" du genre de celle que l'on peut trouver dans le rapport de la Conférence que le SB a publié :
"Mais la conception selon laquelle l'organisation politique est si schématiquement distincte des organisations unitaires qu'elles en arrivent dans la pratique à être même séparées ne colle pas à la réalité. D'abord, il n'arrive pratiquement jamais que dans une lutte ou une action, seuls des intérêts indirects et immédiats soient en cause. C'est précisément dans la lutte concrète que se développent des intérêts et des idées qui transcendent l’aspect immédiat, local et matériel de la lutte. C'est justement là que réside la base de toute évo1ution politique future. Et, en second lieu, dans beaucoup de mouvements, il n'y a pas d'unité de classe, et ce qui domine est la coopération des intérêts concernés (par exemple, les actions dans les quartiers ouvriers). Il doit y avoir une évolution de la part des organisations unitaires et des groupes d'action vers l'étude et l'approfondissement de questions plus générales : une évolution de la pratique vers l'étude de la pratique. Bien entendu, le groupe politique est distinct des groupes d'action, comités de grève, etc. Parce que le groupe politique a la tâche spécifique de remettre les expériences acquises au cours des luttes dans une perspective plus vaste".
(Spartacus, novembre 76).
Ce que dit le SB ici est très correct. Mais ce n'est pas du tout un argument contre la nécessité pour les révolutionnaires de s'organiser sur la base d'une plate-forme politique. Ce n'est pas parce que la conscience se développe dans la lutte, à partir de l'expérience que l'on peut en conclure, que c'est un processus automatique et simultané. C'est pour cela que les éléments qui prennent conscience d'abord se regroupent pour mieux développer et diffuser leurs positions. Le SB semble confirmer cela quand il dit :
"Une plate-forme consiste il rédiger les positions sous forme de thèses. Positions sur l'histoire de la lutte de classe, sur les expériences présentes et internationales, sur le capitalisme et les perspectives futures. Tout le monde a été d'accord sur le fait qu'un groupe politique comme le SB devrait s'attaquer à cette tâche. Il y a eu une longue discussion à ce sujet et aussi beaucoup de confusion, mais dans ce rapport on ne peut qu'être bref ; tout le monde a été d'accord et est toujours d'accord".
(Spartacus, novembre 76)
Mais quelle était la divergence à la Conférence ? D'après le SB :
"La divergence était sur la nécessité (ou non) de rédiger les positions sous la forme de thèses et sur l'accent à mettre sur l'étude de points particuliers". (Spartacus, nov.76).
Bien sûr, la divergence n'était pas sur la forme de thèses, d'essai ou de poème... ou bien de déclaration de principes. La divergence était et est sur le contenu d'une plate-forme, d'une déclaration de principes, quel que soit le mot qu'on emploie. C'est ce que montrent les lignes suivantes :
"Si nous voulons accomplir nos tâches, c'est-à-dire diffuser la vision qui résulte de l'étude, alors nous avons besoin d'une discussion permanente. L'évolution de nombreux groupes a montré en pratique qu'une plate-forme (avec toutes ses conséquences : ligne générale nationale à laquelle les sections doivent obéir, mois de discussion sur la formulation des objectifs, mode de fonctionnement, etc.) ne peut qu'empêcher cette confrontation permanente avec la réalité".
(Spartacus, Nov. 76)
Par "réalité", le SB veut dire la "pratique quotidienne" de l'activiste qui a choisi un certain "champ d'action", c'est-à-dire la lutte partielle et qui ne veut rien entendre des sujets qui, selon lui, n'ont rien à voir avec ça. S'il a choisi un quartier ouvrier, il ne veut pas entendre parler de luttes salariales, pas plus que des luttes de Soweto, de Vitoria, de Gdansk et encore moins des positions de classe élaborées dans les hauts moments de la lutte de classe.
Les activistes sont caractérisés par leur refus de fait de l'organisation des révolutionnaires qu'ils identifient à tort avec le parti léniniste. L'organisation politique est superflue, pensent les activistes, car ils estiment que les positions politiques doivent être directement applicables dans leur "champ d'action". Les positions qui sont les produits des grands moments de la lutte de classe, ou de la lutte de classe dans les autres pays sont considérées comme "théoriques" et "inapplicables". Donc l'activisme est une tendance ahistorique, localiste, qui se restreint principalement à des luttes partielles. Au mieux, l'activisme peut être le reflet d'une lutte ouvrière limitée. L'activisme ne peut jamais aider à dépasser ces limites. Au contraire, il se fait l'apôtre des limitations de la lutte partielle qu'il présente à la classe comme exemplaire. Alors que la classe ouvrière dans son ensemble est toujours obligée d'élargir sa lutte à tous les aspects de la vie et à une partie toujours plus grande de la classe pour pouvoir faire la révolution prolétarienne, alors que dans ce processus, elle rencontre le même type de problèmes qu'elle a dû dépasser dans les révolutions précédentes, les activistes continuent à rejeter les expériences des grands moments révolutionnaires du passé qui ont été élaborées et formulées dans les positions du mouvement ouvrier. Tout comme Lénine, les activistes considèrent ces conceptions théoriques comme quelque chose qui aliène tout simplement la classe ouvrière qui, selon eux, ne lutte que sur la base d'intérêts limités (ce il quoi Lénine ajoute qu'elle ne peut jamais dépasser ce stade sans l'aide de l'intelligentsia). A la différence des léninistes, les activistes en concluent que "L'organisation politique est superflue". En agissant ainsi, ils se retrouvent en compagnie des conseillistes qui ne croient plus à la diffusion des positions de classe parce qu'ils se sont fatigués à lutter contre le reflux du mouvement de la classe pendant les années de la contre-révolution.
Léninistes, activistes et conseillistes sont tous d'accord, malgré leurs autres divergences, pour nier que les positions de classe ont leur origine dans la lutte historique de la classe ouvrière. De là vient leur rejet de l'intervention exclusivement de propagande dans la classe ouvrière par l'organisation des révolutionnaires.
Après tout, l'intervention de propagande dans la classe ne semble complètement naturelle et nécessaire que si l'on pense que les positions sont élaborées à partir des expériences de la classe elle-même et que la propagande est une contribution à l'élaboration de ces expériences au sein de la classe, une contribution à la discussion dans la classe ouvrière.
On trouve une bonne illustration de la tendance du SB à considérer les positions de classe comme le produit de théoriciens "qui contemplent leur nombril" dans les notes marginales du Spartacus d'octobre 76 traitant des luttes ouvrières en Pologne durant l'hiver 1970-71 et l'été 1976. Sur l'auteur de l'édition polonaise, le SB remarque :
"Il est... lui-même prisonnier des conceptions partidaires, conceptions qui néanmoins doivent être distinguées de celles qui correspondent aux théories de capitalisme d'Etat dans lesquelles le Parti "dirige" et "utilise" la classe ouvrière, parti qui doit prendre le pouvoir d'Etat. Cependant l'auteur a la conception d'un parti qui met en avant le but de la lutte, la conquête du pouvoir par les travailleurs et qui stimule toujours les ouvriers à se préparer dans chaque aspect de la lutte pour ce but final. Nous avons l'impression qu'avec ces conceptions, il ne voit pas le fait, immensément important, que la classe ouvrière ne permet pas aux idéaux sociaux de guider sa lutte, mais que la classe ouvrière est inspirée par la réalité sociale qu'elle vit."
(Spartacus, déc. 76)
Comme si le but final de la lutte : la conquête du pouvoir par les travailleurs, était une "invention" du parti ! Même dans les premières années du socialisme scientifique, la conquête du pouvoir par les travailleurs n'était pas le produit d'une pensée abstraite, mais la conclusion de la recherche matérialiste historique de l'essence et du développement du capitalisme. Et, en plus, depuis la révolution russe, la conquête du pouvoir par les travailleurs est un fait d'expérience. Pour les ouvriers de Szczecin durant l'hiver 1970-71, le pouvoir des travailleurs n'était pas un fait inconnu ; dans les faits, ils ont eu le pouvoir entre leurs mains, dans la ville, pendant quelque temps ! Ce pouvoir leur a été arraché par l'arrivée de Gierek dans les chantiers navals. La discussion entre les conseils ouvriers de Szczecin et Gierek et entre les travailleurs eux-mêmes (reproduite dans "Spartacus", oct.76) était centrée sur la question "maintenir le pouvoir des travailleurs ou le laisser à Gierek en échange de la satisfaction des "revendications". A cet égard, la Pologne est un test pour évaluer la position du SB dans une situation révolutionnaire :
"Donc, c'est notre opinion que les ouvriers de Szczecin et de quelques autres villes de Pologne n'étaient pas capables de renverser les Etats capitalistes de l'Est. Ceci n'est pas plus surprenant que la défaite finale des révoltés en Allemagne de l'Est en 1953 et celle des ouvriers hongrois de 1956. Dans un tel isolement les possibilités étaient trop restreintes pour rendre possible la conquête complète du pouvoir par ces travailleurs."
(Spartacus, décembre 76)
d)Le regroupement des révolutionnaires en Hollande
En plein éveil de la lutte de classe révolutionnaire, après 50 ans de contre-révolution, la tendance "conseilliste" du SB à voir tous les événements avec les yeux de la défaite, devient une propagande ouvertement défaitiste. Les récentes luttes ouvrières en Pologne ne sont pas un phénomène isolé derrière le rideau de fer mais font partie de la lutte de classe internationale depuis la deuxième moitié des années 60 : France 1968, Italie et Allemagne 1969, Pays-Bas 1970, Pologne 1970-71, Angleterre 1972, Belgique 1973, Portugal 1974-75, Espagne et de nouveau Pologne 1976, sans mentionner les autres parties du monde.
C'est toujours le devoir des révolutionnaires de diffuser les positions de classe. Dans le passé, ceci était aussi l'opinion du SB :
"C'est seulement quand le troisième groupe d'opposition a quitté les rangs du SB qu'il est devenu clair que la seconde et aussi la troisième scissions avaient vraiment des divergences de principe. Le réel désaccord portait sur la position du SB dans le mouvement ouvrier actuel, dans une période où selon ceux qui ont scissionné il n'y aurait pas de mouvements de masse révolutionnaires, ou, s'il y en avait, ceux-ci ne prendraient pas un caractère révolutionnaire. Le point de vue de ces anciens camarades, c'était que, tout en poursuivant la propagande pour "la production dans les mains des organisations d'usine", "tout le pouvoir aux conseils ouvriers" et "pour une production communiste sur la base d'un calcul des prix en fonction du temps de travail moyen" ([5] [35]), le SB n'avait pas à intervenir dans la lutte des ouvriers telle qu'elle se présente aujourd'hui. La propagande du SB doit être pure dans ses principes et si les masses ne sont pas intéressées aujourd’hui, cela changera quand les mouvements de masse redeviendront révolutionnaires."
("Vit Engenkring" end 47)
C'est le résumé des raisons politiques des deux groupes d'opposition qui ont quitté le SB par ceux qui restaient. La crainte du second et du troisième groupes de l'opposition selon laquelle le SB se "diluerait" quand la lutte des travailleurs reprendrait un caractère révolutionnaire est devenue vraie. Dans une période où la lutte révolutionnaire renaît, c'est devenu une nécessité absolue de défendre les acquis historiques de la classe ouvrière, les positions de classe, avec la plus grande clarté. Le SB en est incapable. Une organisation de révolutionnaires qui n'est pas basée sur la discussion permanente de tous ses membres sur les positions fondamentales rassemblées dans une plate-forme, périra, parce qu'une telle organisation
- n'est pas capable de diffuser au maximum ses positions (qui n'ont pas encore été définies) au sein de la classe qui les a produites dans son expérience même ;
- n'a pas de critères d'appartenance pour ses membres et doit donc, soit s'isoler de nouveaux membres potentiels et mourir, soit ouvrir la porte à toutes sortes de positions ;
- ne peut se distinguer elle-même d'organisations "concurrentes" et devient donc un porteur de confusion au lieu de clarification.
CONCLUSIONLe refus du SB d’engager une discussion dans le but d'écrire une plate-forme aboutit essentiellement au refus de se soumettre à une cure de rajeunissement contre les trois "maladies" de vieillesse exposées plus haut. Le SB existe depuis trente-sept ans mais ceci ne suffit pas à en faire la continuation de la Gauche Hollandaise. C'est surtout par ses positions confuses sur la question de l'organisation des révolutionnaires et de ses tâches que le SB montre qu'il y a eu une véritable rupture dans la continuité avec les communistes d'avant-guerre. Avec les positions qu'a adoptées SB à sa dernière conférence, il serait difficile de le considérer apte à remplir efficacement la fonction de pôle de regroupement des révolutionnaires en Hollande. Et ceci à l'heure où l'évolution de la crise et de la lutte ouvrière exigent plus que jamais un tel regroupement.
Contrairement à la période antérieure, quand la gauche hollandaise était active, la Hollande est aujourd'hui un pays hautement industrialisé avec une classe ouvrière développée. Mais ceci ne doit pas inciter à croire que la constitution d'une organisation des révolutionnaires en Hollande peut être conçue dans le seul cadre national. La bourgeoisie hollandaise, surtout depuis la période de reconstruction, est étroitement liée à l'économie allemande et peut donc s'appuyer sur la position relativement forte de cette dernière ainsi que sur ses propres réserves de gaz naturel pour essayer d'alléger le poids du chômage par un développement des mesures sociales et des subventions étatiques visant à stimuler l'industrie. A cause de ce rythme lent du développement de la crise en Hollande jusqu'à ces derniers temps, la lutte ouvrière a pu être cantonnée et détournée vers des revendications telles que le nivellement des salaires et des nationalisations. Les révolutionnaires savent que les nationalisations et les nivellements des salaires peuvent ralentir la crise pendant un temps mais que, tel un boomerang, celle-ci reviendra inéluctablement. Récemment, la crise a commencé à frapper plus durement et le gouvernement de coalition social-démocrate chrétien est revenu sur certaines mesures sociales ; et la politique de l'échelle mobile des salaires est très menacée par l'inflation. Lentement la classe ouvrière hollandaise commence à se libérer du carcan syndical :.en 1976 on a pu voir des grèves sauvages dans les ports et dans la construction, deux secteurs traditionnellement combatifs de la classe ouvrière. Le PC, les trotskistes, les maoïstes se sont efforcés de jouer leur rôle de caution de gauche de la social-démocratie. Ils se sont employés à ramener les ouvriers dans les syndicats officiels ou dans les mini-syndicats style maoïste. Leur défense du parlementarisme, des nationalisations et de "l'indépendance nationale" est une caricature bourgeoise de la lutte politique.
Etant donné ce développement, bien qu'encore faible, des luttes ouvrières dans le pays, la tâche des révolutionnaires est de rendre les ouvriers conscients d'une part des luttes menées par leurs frères de classe dans d'autres pays frappés plus tôt et plus durement par la crise et, d'autre part, de la perspective historique de ces luttes. Ceci veut dire que la formation d'une organisation des révolutionnaires en
Hollande doit se situer dans une vision et donc dans un cadre international. Par conséquent, l'activité du CCI et surtout de sa section en Belgique par rapport à la Hollande doit être applaudie par les révolutionnaires.
La décision du SB de ne pas entamer une discussion sur une plate-forme n'est pas forcément définitive. Toutes les questions abordées à la dernière conférence reviendront quand le SB essaiera de formuler une "déclaration de principes". Si cette discussion se situe dans un cadre international de confrontation des idées sur les positions de la gauche communiste pendant la période d'avant-guerre et sur les positions des groupes révolutionnaires aujourd'hui, elle sera une contribution vers la création d'un pôle de regroupement des révolutionnaires en Hollande. En plus, le SB pourrait faire une contribution internationale importante en aidant les groupes révolutionnaires qui ont surgi ces dernières années à se réapproprier de façon critique les acquis de la gauche hollandaise. Parce que le SB n'a jamais été et n'est pas aujourd'hui seul au monde.
Fred Kraai
[1] [36] GIC : "Groep(en) van Internationale Communisten" (Groupe(s) de communistes Internationalistes) ; peut être considéré comme la continuation du KAP hollandais.
[2] [37] Nous ne donnons ici un examen critique des positions conseillistes que sur la question d'organisation. On trouvera davantage sur cette question et les positions conseillistes à propos de la révolution russe et des luttes de "libération nationale" dans la Revue Internationale n°2 ("Les épigones du conseillisme").
[3] [38] Le "Kommunistische Arbeiter Partei Deutschlands" (KAPD) a été formé par la majorité du "Kommunistische Partei Deutschlands (Spartakusbund)" qui est sortie de ce parti sur la base de positions conséquentes contre le parlementarisme et contre les syndicats.
[4] [39] Cet argument tiré de la théorie de la connaissance est ainsi formulé par "D en G" : "Dans tout acte spécifique, la pensée précède l'action. Dans l'action des classes et des masses cependant, la signification de l'acte vient ensuite. Là l'action précède la compréhension". Pour le lecteur intéressé par la comparaison avec la position de Pannekoek, il y a un passage dans "Les Conseils Ouvriers" qui s'appelle, et non entièrement par hasard, "Pensée et Action". Nous nous contenterons de la citation suivante :
"C'est seulement lorsque chez les ouvriers -vaguement au début - est présente la compréhension qu'ils ont tout à faire eux-mêmes et que c'est eux qui doivent créer l'organisation du travail dans les usines, que leur action sera le point de départ d'un nouveau et puissant développement.
Eveiller cette compréhension, c'est la tâche la plus importante de notre propagande qui commence avec des individus et des petits groupes pour qui, les premiers, cette compréhension devient claire. Aussi difficile que ce soit au départ, aussi fructueux ce sera car c'est exactement dans la ligne des propres expériences vivantes du prolétariat. Alors, cette idée gagnera les masses comme une flamme et guidera leurs premiers actes. Mais là où quelles que soient les circonstances d'arriération politique et économique qui le causent, cette compréhension manque, l'évolution aura à passer par des hauts et des bas encore plus durs." (Pannekoek)
[5] [40] Cette position du GIC était développée par Hempel quand il a été prisonnier politique ; il a tenté de tirer les leçons des révolutions russe et allemande et de ses propres expériences, aussi bien en ce qui concerne sa participation aux luttes des ouvriers des chantiers navals à Hambourg que ses visites aux Soviets dans les environs de Moscou à l'occasion du 3eme Congrès du Komintern. Le GIC a élaboré les idées de Hempel dans les "Principes de Base de la Production et Distribution Communistes" (en allemand et hollandais) qui constitue une contribution importante sur les aspect économiques de la période de transition.
Nous publions ci-dessous une lettre du groupe "COMBATE" du Portugal. Quelques explications s'imposent pour la comprendre et dissiper les malentendus qui se sont produits dans les relations que nous avions avec ce groupe.
Dans l'énorme confusion dans laquelle se déroulaient les événements au Portugal après la chute du régime de Salazar-Caetano, "Combate" paraissait être l'unique groupe se situant sur un terrain de classe. Pour cette raison nous avons toujours cherché à établir et à maintenir les contacts avec ce groupe - en nous rendant sur place, en invitant des camarades responsables de passage à Paris à venir débattre avec nous les problèmes touchant la lutte du prolétariat au Portugal et également, comme cela doit être naturel entre groupes révolutionnaires, en portant les débats et les critiques dans nos publications.
Nos divergences avec "Combate" sont certes de taille. Ce n'est pas là une raison pour les passer sous silence ou se contenter simplement d'échanger "des informations", mais, au contraire, c'est un devoir de tout groupe révolutionnaire de confronter et de discuter ouvertement les divergences. C'est une condition pour parvenir à les clarifier et, éventuellement, à les dépasser.
C'est dans ces dispositions et alors qu'un camarade responsable de "Combate" se trouvait parmi nous que nous avons eu l’ahurissante surprise de recevoir la lettre de "Combate" du 9 septembre, nous informant laconiquement de la décision de suspendre la vente des publications du C.C.I. dans les librairies de "Combate". Notre réponse publiée dans le dernier numéro de la Revue Internationale (n°8) est une protestation véhémente contre une telle décision que nous qualifiions à juste titre d"'aberrante". Nous demandions dans cette lettre des explications, et que "Combate" revînt sur sa décision.
Nous sommes satisfaits de recevoir aujourd'hui les explications et la rectification qui s'imposaient et laissons volontiers de côté les remarques ironiques qui les accompagnent. Les rapports sains qui doivent exister entre les groupes militants de la classe sont pour nous un problème extrêmement grave et dépasse de loin les ironies faciles. En toute occasion nous entendons rester vigilants et fermement décidés à les défendre afin d'extirper les mœurs perverties introduites depuis des décennies par le stalinisme dans la vie de la classe.
Nous retenons la suggestion de republier des pages de "Combate" sur les luttes concrètes. Nous devons cependant faire remarquer que nous divergeons notablement avec "Combate" sur ce que doit être la tâche de la presse révolutionnaire. Alors que pour "Combate" la presse est essentiellement un instrument d'information et de description, elle est pour nous un instrument d'intervention et d'orientation politique.
La question n'est pas une différence entre ouvriers en lutte et "professeurs", mais entre immédiatistes qui se contentent d"'informer" et groupes politiques qui disent leur nom et qui, au sein de la classe et dans ses luttes, défendent une orientation révolutionnaire.
Aussi, souhaitons-nous voir "Combate" défendre plus nettement dans ses colonnes une orientation en la confrontant franchement aux positions d'autres courants politiques.
CONTRA-A-CORRENTE
Lisbonne, le 5 janvier I977
Edicoes - Livraria, "Mons mus parturiens"
Chers camarades,
Vos interprétations sont remarquables et leur lecture est un plaisir, mais les faits sont, hélas, bien plus banals et prosaïques. Il vaut donc toujours mieux s'en assurer avant de brandir le glaive vengeur.
Les faits : un camarade qui a mal compris une décision d'une réunion ; d'autres camarades qui ne lisent pas les lettres une fois écrites. La décision : la librairie de Porto a décidé de ne plus assurer la diffusion de vos publications auprès des librairies de Porto, Lisbonne et Coimbra, en raison des difficultés commerciales. Cela n'a rien à voir avec la vente de vos publications dans nos librairies. D'ailleurs, la librairie de Lisbonne a toujours étalagé vos publications et continuera de le faire.
Nous vous remercions de votre bienveillance en ayant déjà par deux fois jugées les idées de Combate suffisamment dignes d'intérêt pour figurer en tant qu'objet de critique dans les pages de vos publications. Nous tenons pourtant à vous signaler que dans les pages de Combate, vous trouverez maintes informations directement élaborées par des ouvriers sur les luttes concrètes - banales certes, mais qui constituent le petit monde dans lequel la classe ouvrière vit en attendant que les professeurs changent la société. Peut-être quelques-uns de vos lecteurs auraient-ils intérêt à les voir figurer sur vos pages ?
Sa1utations révolutionnaires
Le collectif de Combate
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