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Revue Internationale no 117 - 2e trimestre 2004

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Attentats de Madrid : Le capitalisme sème la mort

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Jeudi 11 mars, à sept heures du matin, les bombes ont frappé dans un quartier ouvrier de Madrid. Aussi aveuglément qu'au 11 septembre 2001, aussi aveuglément que lors des bombardements de la Seconde Guerre mondiale ou de Guernica, les bombes de la guerre capitaliste ont frappé une population civile sans défense. Les bombes ont été "larguées" sans discrimination contre hommes, femmes, enfants, jeunes, y compris contre les immigrés venus de pays "musulmans" dont les familles - comble de malheur - n'ont même pas, dans certains cas, osé venir identifier les corps par peur de se faire arrêter et expulser à cause de leur situation irrégulière.

Tout comme l'attaque contre les Twin Towers, ce massacre est un véritable acte de guerre. Il y a néanmoins une différence importante entre les deux : contrairement au 11 septembre, quand la cible était un grand symbole de la puissance du capitalisme américain - même s'il y avait aussi une intention évidente de tuer afin de renforcer l'effet d'horreur et de terreur - cette fois-ci, il ne s'agit pas d'un acte symbolique mais d'une frappe directe contre la population civile comme partie intégrante de la guerre. Le 11 septembre a été un événement d'une portée mondiale, un massacre sans précédent sur le sol américain dont les premières victimes étaient les ouvriers et les employés de bureau new-yorkais. Il a fourni un prétexte à l'Etat américain, qu'il s'est construit de toute pièce en laissant délibérément les préparatifs de l'attentat - dont il était informé - arriver à leur terme, afin d'inaugurer une nouvelle période dans le déploiement et l'utilisation de sa puissance impérialiste : pour mener leur "guerre contre le terrorisme", les Etats-Unis ont proclamé haut et fort que dorénavant ils frapperaient seuls, et partout dans le monde, dans la défense de leurs intérêts. L'attentat du 11 mars représente, non pas l'ouverture d'une nouvelle période, mais une banalisation de l'horreur. Il ne s'agit plus de chercher des effets de propagande en s'en prenant à des cibles de valeur symbolique, mais de frapper directement la population ouvrière : si des patrons et des puissants sont morts dans leurs bureaux luxueux en haut des Twin Towers, il n'y en avait pas dans les trains de banlieue d'Atocha à sept heures du matin. Il est évidemment de bon ton aujourd'hui de dénoncer les crimes du nazisme et du stalinisme.
Mais durant toute la Seconde Guerre mondiale, les puissances démocratiques ont bombardé les populations civiles - et surtout la population ouvrière - dans le but de semer la terreur, voire, vers la fin de la guerre, de dévaster les quartiers ouvriers et de mettre fin à toute possibilité de soulèvement prolétarien. Les bombardements de plus en plus massifs, jour et nuit, des villes allemandes vers la fin de la guerre, sont en eux-mêmes des condamnations sans appel de l'hypocrisie nauséabonde des déclarations gouvernementales qui fustigent chez les autres ce qu'eux-mêmes ont mis en �uvre sans hésitation (Irak, Tchétchénie, Kosovo ne sont que quelques exemples plus récents des moments dans lesquels les rivalités entre les grandes puissances ont pris la population civile pour cible). On peut dire que les terroristes qui ont frappé à Madrid sont allés à bonne école.(1) A l'issue des élections qui ont suivi l'attentat d'Atocha, le gouvernement Aznar de droite a été battu, contrairement à toutes les prévisions d'avant le 11 mars. Selon la presse, la victoire du socialiste Zapatero a été favorisée surtout par deux facteurs : une participation bien plus importante qu'auparavant des ouvriers et des jeunes, et une profonde colère contre les tentatives maladroites du gouvernement Aznar d'esquiver la question de la guerre en Irak et de tout mettre sur le dos de l'organisation terroriste basque, l'ETA. Nous avons déjà souligné, lors de l'attentat des Twin Towers, comment des réactions spontanées de solidarité et de refus de la propagande guerrière revancharde se sont exprimées dans les quartiers ouvriers de New York (2), et comment, faute de pouvoir s'exprimer de façon autonome, ces réactions de solidarité n'ont pas été suffisantes pour susciter une réaction de classe, et ont pu être détournées vers un soutien au mouvement pacifiste contre l'intervention en Irak. De même, on peut dire que, en votant contre Aznar, beaucoup ont voulu récuser les tentatives éhontées de manipulation par le gouvernement - alors que le fait même de voter représente une victoire pour la bourgeoisie qui accrédite ainsi l'idée que l'on peut "voter contre la guerre".

Pourquoi ce crime ?

Comprendre la réalité en vue de la changer est indispensable pour la classe ouvrière révolutionnaire. Il est donc de la première responsabilité des communistes d'analyser l'événement, de participer de leur mieux à l'effort de compréhension que tout le prolétariat doit mener s'il veut être capable d'opposer une réelle résistance, à la hauteur du danger qui le menace et que représente la décomposition de la société capitaliste. Si l'acte de terreur sur Madrid a effectivement été un acte de guerre, il s'agit toutefois d'une guerre d'un nouveau type, où les bombes n'affichent pas leur appartenance à un pays ou à un intérêt impérialiste particulier. La première question que nous devons poser est donc celle-ci : à qui pourrait profiter le crime d'Atocha ? On peut dire d'abord - une fois n'est pas coutume - que la bourgeoisie américaine n'y est pour rien. Si, d'un certain point de vue, le fait même de l'attentat peut donner du crédit à la thèse centrale de la propagande américaine d'une "guerre mondiale contre le terrorisme" dans laquelle tous les Etats sont impliqués, par contre, il décrédibilise complètement les affirmations de cette dernière selon lesquelles la situation en Irak s'améliore au point de pouvoir bientôt rendre le pouvoir à un Etat irakien dûment constitué. Mais surtout, l'arrivée au pouvoir de la fraction socialiste de la bourgeoisie espagnole met en danger les intérêts stratégiques des Etats-Unis. En premier lieu, si l'Espagne retire ses troupes de l'Irak, c'est un sale coup pour les Etats-Unis sur le plan non pas militaire bien sûr, mais politique, un coup important à leur prétention de diriger une "coalition des bonnes volontés" contre le terrorisme. Les socialistes espagnols représentent une aile de la bourgeoisie qui a toujours été beaucoup plus tournée vers la France et l'Allemagne, et qui entend jouer la carte de l'intégration européenne. Leur arrivée au pouvoir a immédiatement ouvert une période de tractations feutrées, dont on aurait du mal aujourd'hui à prédire de façon précise le dénouement. Ayant déclaré après sa victoire électorale que les troupes espagnoles seraient retirées de l'Irak, Zapatero a presque aussitôt fait marche arrière pour annoncer que les troupes resteraient, mais à condition de voir l'occupation en Irak passer sous le commandement de l'ONU. Ce louvoiement espagnol met en question, non seulement la participation de l'Espagne à la coalition américaine en Irak, mais aussi son rôle de cheval de Troie en Europe, ainsi que dans tout le jeu des alliances au sein même de l'Union européenne. Jusqu'ici, l'Espagne, la Pologne, et la Grande-Bretagne - chaque pays pour ses raisons propres - ont formé ensemble une coalition "pro-américaine" contre les ambitions franco-allemandes de rallier les autres pays européens à leur politique d'opposition à l'Oncle Sam. Pour la Pologne, l'envoi de troupes en Irak était destiné surtout à s'acheter les bonnes grâces américaines et un puissant soutien contre les pressions de l'Allemagne, au moment critique de l'entrée de la Pologne dans l'Union européenne. La question se pose donc (si l'Espagne quitte effectivement la coalition américaine et revient en Europe à une orientation pro-allemande, ce qui semble très probable) de savoir si la Pologne aura les reins assez solides pour continuer à s'opposer à l'Allemagne et à la France sans le soutien de son allié espagnol. Les dernières déclarations "privées" - et aussitôt démenties bien sûr - du Premier Ministre polonais, selon lesquelles les Etats-Unis l'auraient "roulé dans la farine" laissent planer un certain doute à ce propos. C'est donc un coup dur pour les Etats-Unis qui ainsi risquent fort de perdre non seulement un allié en Irak - voire deux - mais aussi et surtout, un point d'appui en Europe (3). Avec la défection de l'Espagne et de la Pologne, la capacité de la bourgeoisie américaine de jouer le gendarme du monde risque d'être grandement affaiblie. Si les Etats-Unis et la fraction Aznar sont les grands perdants de l'attentat, qui en sont les gagnants ? Ce sont, évidemment la France et l'Allemagne ainsi que la fraction "pro-socialiste" de la bourgeoisie espagnole, plus orientée vers une alliance avec ces derniers pays. Peut-on donc imaginer un coup monté, par islamistes salafistes interposés, par les services secrets français ou espagnol ? Commençons par écarter l'argument selon lequel "ces choses ne se font pas" en démocratie. Nous avons déjà (4) démontré comment les services secrets peuvent être amenés à jouer un rôle direct dans les conflits et les règlements de compte au sein de la bourgeoisie nationale. L'exemple de l'enlèvement et de l'assassinat d'Aldo Moro en Italie est particulièrement édifiant à cet égard. Présenté comme un crime commis par les terroristes des Brigades rouges gauchistes, l'assassinat d'Aldo Moro était en réalité l'oeuvre des services secrets italiens largement infiltrés au sein de ce groupe : Aldo Moro a été tué par la fraction dominante et pro-américaine de la bourgeoisie italienne parce qu'il proposait de faire participer le Parti communiste italien (à l'époque inféodé à l'URSS) au gouvernement (5). Cependant, essayer d'influencer les résultats d'une élection - c'est-à-dire les réactions d'une partie importante de la population - en plastiquant un train de banlieue est une opération d'une tout autre envergure que l'assassinat d'un seul homme pour éliminer un élément gênant au sein de la bourgeoisie. Trop d'incertitudes et d'impondérables pèsent sur la situation. En particulier, le résultat attendu (la défaite du gouvernement Aznar, son remplacement par un gouvernement socialiste) dépendait en grande partie de la réaction du gouvernement Aznar lui-même : les analystes électoraux s'accordent pour dire que le résultat des élections a été très largement influencé par l'incroyable ineptie des efforts de plus en plus désespérés du gouvernement de faire porter la responsabilité, dans les attentats, sur l'ETA. Or, on pouvait très bien envisager un résultat tout autre si Aznar avait su profiter de l'évènement pour tenter de galvaniser et rassembler l'électorat dans un combat pour la démocratie et contre la terreur. De surcroît, les risques en cas de bavure d'une telle opération sont vraiment trop importants. Quand on regarde l'incapacité de la DGSE française de mener même des opérations de petite envergure (on se rappelle le dynamitage du bateau de Greenpeace "Rainbow Warrior", ou l'échec lamentable de la tentative de récupérer Ingrid Bettancourt dans la jungle brésilienne) sans se faire repérer, on a du mal à imaginer que le gouvernement français se permettrait de mener une telle opération chez un "ami" européen.

Quelle guerre ?

Nous avons dit que l'attentat d'Atocha, tout comme l'attaque contre les Twin Towers, est un acte de guerre. Mais de quelle guerre s'agit-il ? Dans la première période de la décadence du capitalisme, les guerres impérialistes s'affichaient clairement : les grandes boucheries impérialistes de 1914 et de 1939 mettaient en lice les Etats des grandes puissances, avec tout leur arsenal national, militaire, diplomatique, idéologique. Dans la période des grands blocs impérialistes (1945-89), les blocs rivaux s'affrontaient par pions interposés, et il était déjà plus difficile d'identifier les véritables commanditaires des guerres qui se présentaient souvent comme des "mouvements de libération nationale". Avec l'entrée du capitalisme dans sa phase de décomposition, nous avons déjà identifié plusieurs tendances qui aujourd'hui se présentent enchevêtrées dans les attentats terroristes : - "le développement du terrorisme, des prises d'otages, comme moyens de la guerre entre Etats, au détriment des 'lois' que le capitalisme s'était données par le passé pour 'réglementer' les conflits entre fractions de la classe dominante� - le développement du nihilisme, du suicide des jeunes, du désespoir� - le raz-de-marée de la drogue, qui devient aujourd'hui un phénomène de masse, participant puissamment à la corruption des Etats et des organismes financiers� - la profusion des sectes, le regain de l'esprit religieux, y compris dans certains pays avancés, le rejet d'une pensée rationnelle, cohérente, construite�" ("Thèses sur la décomposition", 1990, republiées dans la Revue Internationale n°107). Ces thèses ont été publiées en 1990, alors que l'utilisation des attentats (par exemple les attentats dans les rues de Paris en 1986-87) était surtout le fait de pays de troisième ou de quatrième ordre tels que la Syrie, la Libye, ou l'Iran : le terrorisme était en quelque sorte "la bombe atomique des pauvres". Presque quinze ans plus tard, nous voyons dans le terrorisme dit "islamiste" l'apparition d'un phénomène nouveau : la désagrégation des Etats eux-mêmes, et l'apparition de seigneurs de la guerre se servant de jeunes kamikazes, dont la seule perspective dans la vie est celle de la mort, pour avancer leurs intérêts sur l'échiquier international. Quels que soient les détails - qui restent encore obscurs - de l'attentat de Madrid, il est évident que celui-ci est étroitement lié aux événements et à l'occupation américaine en Irak. On peut imaginer que l'ambition des commanditaires de l'attentat a été de "punir" la population des "croisés" espagnols pour leur participation à l'occupation de l'Irak. Par contre la guerre en Irak aujourd'hui est loin d'être un simple mouvement de résistance à l'occupation mené par quelques irréductibles fidèles de Saddam Hussein. Au contraire, cette guerre est en train d'entrer dans une nouvelle phase, celle d'une sorte de guerre civile internationale qui fait tache d'huile dans tout le Moyen Orient. En Irak même, les affrontements sont de plus en plus fréquents non seulement entre la "résistance" et les forces américaines, mais entre les différentes forces "saddamistes", sunnites d'inspiration wahhabite (la secte dont se réclame Oussama Ben Laden), chiites, kurdes, et même turkmènes. Au Pakistan, une guerre civile larvée est en cours, avec l'attentat à la bombe contre une procession chiite (faisant quarante morts) et l'importante opération militaire que mène en ce moment l'armée pakistanaise au Waziristan sur la frontière afghane. En Afghanistan, toutes les déclarations rassurantes sur la consolidation du gouvernement Karzaï ne peuvent cacher le fait que ce gouvernement ne contrôle, et difficilement, que Kaboul et ses alentours, et que la guerre civile continue de faire rage dans toute la partie sud du pays. En Israël et Palestine, la situation va de mal en pis avec l'utilisation par le Hamas de jeunes enfants pour transporter ses bombes. En Europe même, on voit le resurgissement des conflits entre albanais et serbes au Kosovo, signe que les guerres de l'ex-Yougoslavie ne sont pas terminées, mais ont été seulement mises en veilleuse du fait de la présence massive des armées d'occupation. Ici, nous ne sommes plus en face d'une guerre impérialiste "classique", mais d'une déliquescence générale de la société en bandes armées. On peut faire une analogie avec la situation de la Chine au tournant du 19e et du 20e siècle. Si la phase de décomposition du capitalisme est caractérisée par un blocage dans le rapport de forces entre la classe réactionnaire capitaliste et la classe révolutionnaire prolétarienne, la situation de l'Empire du Milieu était, elle, caractérisée par un blocage entre d'un côté la vieille classe dominante féodale-absolutiste et sa caste mandarine, et de l'autre une bourgeoisie montante, mais trop faible, du fait des spécificités de son évolution, pour renverser le régime impérial. De ce fait, l'Empire s'est décomposé en de multiples fiefs, chacun dominé par son seigneur de la guerre, avec des conflits incessants dépourvus de toute rationalité sur le plan du développement historique. Cette tendance à la désintégration de la société capitaliste ne va absolument pas enrayer celle vers le renforcement du capitalisme d'Etat, ni encore moins transformer les Etats impérialistes en protecteurs de la société. Contrairement à ce que la classe dominante des pays développés voudrait nous faire croire - par exemple en appelant la population espagnole aux urnes "contre la terreur" ou "contre la guerre" - les grandes puissances ne sont en aucune façon des "remparts" contre le terrorisme et la décomposition sociale. Elles en sont en réalité les principales responsables. N'oublions pas que "l'Axe du Mal" d'aujourd'hui - Ben Laden et autres tristes sires du même genre - sont les "combattants de la liberté" contre "l'Empire du Mal" soviétique d'hier, financés et armés par le bloc occidental. Et ce n'est pas fini, loin de là : en Afghanistan, les Etats-Unis se sont servis des seigneurs de la guerre peu recommandables de l'Alliance du Nord, et en Irak des peshmergas kurdes. Contrairement à ce qu'on voudrait nous faire croire, l'Etat capitaliste se blindera de plus en plus face aux tendances guerrières extérieures et aux tendances centrifuges intérieures, et les puissances impérialistes - qu'elles soient de première ou de quatrième ou de 'nième' ordre - n'hésiteront jamais à utiliser à leur avantage les seigneurs de la guerre ou les bandes armées terroristes. La décomposition de la société capitaliste, du fait même de la domination mondiale du capitalisme et du dynamisme de ce système dans la transformation de la société, largement supérieure à celui de tous les types de société qui l'ont précédé, prend des aspects encore plus terribles que par le passé. Nous en soulignons un seul ici : l'obsession de la mort qui pèse d'un poids terrible sur les jeunes générations. Le Monde du 26 mars cite un psychologue de Gaza : "un quart des jeunes garçons de plus de douze ans n'ont qu'un seul rêve : mourir en martyr". L'article continue : "Le kamikaze est devenu une figure respectée et dans les rues de Gaza, de jeunes enfants s'affublent de fausses ceintures d'explosifs pour singer leurs aînés". Comme nous avons écrit en 1990 ("Thèses sur la décomposition") : "Il est de la plus grande importance que le prolétariat, et les révolutionnaires en son sein, prennent la pleine mesure de la menace mortelle que la décomposition représente pour l'ensemble de la société (�). Il convient de combattre avec la dernière énergie toute tendance au sein de la classe ouvrière à chercher des consolations, à se masquer l'extrême gravité de la situation mondiale". Depuis, malheureusement, cet appel est resté largement incompris, voire méprisé, parmi les maigres forces de la Gauche communiste. C'est pourquoi nous entamons dans ce numéro de la Revue une série d'articles sur les bases marxistes de notre analyse de la décomposition.

Une classe de vautours

La bourgeoisie espagnole n'a pas été directement responsable des attentats d'Atocha. Par contre, elle s'est jetée sur les cadavres des prolétaires comme une nuée de vautours. Même dans la mort, les ouvriers ont servi à la classe dominante pour nourrir sa machine de propagande pour la nation et la démocratie. Aux cris de "l'Espagne unie ne sera jamais vaincue", toute la classe bourgeoise, droite et gauche réunies, s'est servie de l'émotion provoquée par les attentats pour pousser les ouvriers dans les isoloirs que beaucoup auraient déserté dans d'autres circonstances. Indépendamment des résultats, la participation électorale particulièrement élevée est déjà une victoire pour la bourgeoisie, puisqu'elle veut dire que - au moins momentanément - une grande partie des ouvriers espagnols ont cru qu'ils pouvaient s'en remettre à l'Etat bourgeois pour les protéger contre le terrorisme, et que, pour ce faire, ils devaient défendre l'unité démocratique de la nation espagnole. Plus grave encore, et au-delà de l'unité nationale autour de la défense de la démocratie, les différentes fractions de la bourgeoisie espagnole ont voulu se servir des attentats pour gagner le soutien de la population, et de la classe ouvrière, à leurs choix stratégiques et impérialistes. En montrant du doigt, contre toute vraisemblance, le séparatisme basque comme responsable, le gouvernement Aznar a cherché à associer le prolétariat au renforcement policier de l'Etat espagnol. En dénonçant la responsabilité de l'engagement d'Aznar aux côtés de Bush, et la présence des troupes espagnoles en Irak, les socialistes ont voulu lui faire endosser un autre choix stratégique, l'alliance avec le tandem franco-allemand. La compréhension de la situation engendrée par la décomposition capitaliste devient donc d'autant plus nécessaire pour le prolétariat, s'il veut retrouver et défendre son indépendance de classe politique face à la propagande bourgeoise qui veut transformer les prolétaires en simples "citoyens" tributaires de l'Etat démocratique.

Les élections passent, la crise reste

Si la bourgeoisie a remporté une victoire lors de ces élections, elle n'a pas le moins du monde enrayé la crise économique qui frappe son système. Les attaques aujourd'hui ne sont plus seulement au niveau de telle ou telle entreprise, voire de telle ou telle industrie, mais au niveau de tout le prolétariat. Dans ce sens, les attaques contre les retraites et la sécurité sociale portées dans tous les pays européens (et également aux Etats-Unis avec la disparition des plans de retraites dans les catastrophes boursières du style Enron) créent une nouvelle situation à laquelle la classe ouvrière doit répondre. Notre compréhension de cette situation, qui est à la base de notre analyse des luttes en les plaçant dans un cadre global, est exposée dans le rapport sur la lutte de classe publié dans ce numéro. Face à la barbarie de la guerre et de la décomposition sociale capitaliste, la classe ouvrière mondiale peut et doit se hisser à la hauteur du danger qui la menace, non seulement au niveau de sa résistance immédiate aux attaques économiques, mais surtout au niveau d'une compréhension générale et politique de la menace de mort que le capitalisme fait planer sur toute l'espèce humaine. Comme le disait Rosa Luxemburg en 1915 (6) "La paix mondiale ne peut être préservée par des plans utopiques ou foncièrement réactionnaires, tels que des tribunaux internationaux de diplomates capitalistes, des conventions diplomatiques sur le 'désarmement' (�) etc. On ne pourra pas éliminer ou même enrayer l'impérialisme, le militarisme, et la guerre aussi longtemps que les classes capitalistes exerceront leur domination de classe de manière incontestée. Le seul moyen de leur résister avec succès et de préserver la paix mondiale, c'est la capacité d'action politique du prolétariat international et sa volonté révolutionnaire de jeter son poids dans la balance.",

Jens, 28/03/04

 

(1) Voir l'article "Les massacres et les crimes des grandes démocraties" dans la Revue Internationale n°66. Les démocrates qui dénoncent aujourd'hui les crimes de Staline faisaient moins la fine bouche pendant la Seconde Guerre mondiale lorsque "l'Oncle Jo" était leur allié précieux contre Hitler. Un autre exemple, plus près de notre époque, nous est donné par le très saint et chrétien Tony Blair, qui vient de rendre visite à ce bienfaiteur bien connu de l'humanité : Muammar Gaddhaffi. Peu importe que ce dernier soit donné comme responsable de l'attentat meurtrier de Lockerbie en Ecosse, et encore moins la nature répressive et tortionnaire de son régime. Il y a du pétrole en Libye, et une chance pour la Grande-Bretagne de prendre une position stratégique en Afrique du Nord via des accords militaires avec l'armée libyenne.

(2) Voir la Revue Internationale n°107.

(3) Cet article ne se donne pas comme but d'analyser la configuration des rivalités entre les bourgeoisies nationales de l'Union européenne. Néanmoins, on peut dire au passage que la réorientation du gouvernement espagnol porte un coup dur également aux intérêts de la Grande-Bretagne. Non seulement elle perd son allié espagnol contre la France et l'Allemagne, dans les conflits sourds qui animent les instances de l'Union, mais de surcroît son autre allié, la Pologne, se trouve également affaiblie par la défection ibérique. (4) "Comment est organisée la bourgeoisie", dans la Revue internationale n°76-77.

(5) De même, on peut rappeler l'attentat du 12 décembre 1969 contre la Banque de l'Agriculture à Milan qui a fait une quinzaine de morts. La bourgeoisie en a immédiatement fait porter la responsabilité aux anarchistes. Pour accréditer cette thèse, on a même fait se "suicider" l'anarchiste Pino Pinelli (arrêté immédiatement après) en le faisant "voler" par la fenêtre du Questura (commissariat) de Milan. En réalité, même si évidemment il n'y a aucune version officielle là-dessus, l'attentat a été réalisé par des fascistes liés aux services secrets italiens et américains.

(6) Brochure de Junius

 

Géographique: 

  • Espagne [1]

Récent et en cours: 

  • 11 septembre 2001 [2]

Rapport sur la lutte de classe 2003

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L'évolution de la lutte de classe dans le contexte des attaques généralisées et de la décomposition avancée du capitalisme

Nous publions ci-après le rapport sur la lutte de classe présenté et ratifié lors de la réunion, à l'automne 2003, de l'organe central du CCI ([1] [3]). Confirmant les analyses de l'organisation sur la persistance du cours aux affrontements de classe (ouvert par la reprise internationale de la lutte de classe en 1968) malgré la gravité du recul subi par le prolétariat au niveau de sa conscience depuis l'effondrement du bloc de l'est, ce rapport avait comme tâche particulière d'évaluer l'impact actuel et à long terme de l'aggravation de la crise économique et des attaques capitalistes sur la classe ouvrière. Ainsi, il analyse que "Les mobilisations à grande échelle du printemps 2003 en France et en Autriche représentent un tournant dans la lutte de classe depuis 1989. Elles sont un premier pas significatif dans la récupération de la combativité ouvrière après la plus longue période de reflux depuis 1968."

Nous sommes encore loin d'être confrontés à une vague internationale de luttes massives puisque, à l'échelle internationale, la combativité est encore à l'état embryonnaire et très hétérogène. Néanmoins, il importe de souligner que l'aggravation considérable de la situation contenue de manière évidente dans les perspectives d'évolution du capitalisme, tant en ce qui concerne le démantèlement de l'Etat providence que l'accentuation de l'exploitation sous toutes ses formes ou le développement du chômage, constitue un levier certain de la prise de conscience au sein de la classe ouvrière. Le rapport insiste en particulier sur la profondeur mais aussi la lenteur de ce processus de reprise de la lutte de classe.

Depuis la rédaction de ce rapport, les caractéristiques qu'il donne de ce changement de dynamique intervenu au sein de la classe ouvrière, n'ont pas été démenties par l'évolution de la situation. Celle-ci a même illustré une tendance, signalée par le rapport, à ce que des manifestations encore isolées de la lutte de classe débordent le cadre fixé par les syndicats. La presse territoriale du CCI a rendu compte de telles luttes qui ont eu lieu à la fin de l'année 2003, en Italie dans les transports et en Grande-Bretagne à la Poste, contraignant le syndicalisme de base à entrer en action pour saboter les mobilisations ouvrières. De même, s'est maintenue une tendance, déjà mise en évidence par le CCI antérieurement à ce rapport, à ce que se dégagent des minorités en recherche de cohérence révolutionnaire. C'est un chemin très long que la classe ouvrière devra parcourir. Néanmoins, les combats qu'elle va devoir mener seront le creuset d'une réflexion qui, aiguillonnée par l'aggravation de la crise et fécondée par l'intervention des révolutionnaires, est à même de lui permettre de se réapproprier son identité de classe et sa confiance en elle-même, de renouer avec son expérience historique et de développer sa solidarité de classe.

Le rapport sur la lutte de classe pour le 15e Congrès du CCI ([2] [4]) soulignait le caractère quasi-inévitable d'une réponse de la classe ouvrière au développement qualitatif de la crise et aux attaques frappant une nouvelle génération non défaite de prolétaires, avec en toile de fond une lente mais significative récupération de la combativité. II identifiait un élargissement et Lin approfondissement, encore embryonnaire mais perceptible, de la maturation souterraine de sa conscience.

Il insistait sur l'importance, pour permettre la récupération par la classe ouvrière de son identité de classe et de sa confiance en elle-même, de la tendance à des combats plus massifs. I1 mettait en exergue le fait qu'avec l'évolution objective des contradictions du système, la cristallisation d'une conscience de classe suffisante - en particulier, en ce qui concerne la reconquête de la perspective communiste - devient la question de plus en plus décisive pour l'avenir de l'humanité. Il mettait l'accent sur l'importance historique de l'émergence d'une nouvelle génération de révolutionnaires, réaffirmant qu'un tel processus est déjà en marche depuis 1989, en depit du reflux de la combativité et dans la conscience de la classe dans son ensemble. Le rapport montrait donc les limites de ce reflux, affirmant que le cours historique à des affrontements de classe massifs s'était maintenu et que la classe ouvrière était capable de dépasser le recul qu'elle avait subi. En même temps, le rapport abordait la capacité de la classe dominante à saisir toutes les implications de cette évolution de la situation et à y faire face ; il replaçait également cette évolution dans le contexte des effets négatifs de l'aggravation de la décomposition du capitalisme. Il concluait sur l'énorme responsabilité des organisations révolutionnaires face aux efforts de la classe ouvrière pour aller de l'avant, face à une nouvelle génération de travailleurs en lutte etderévolutionnaires se dégageant dans cette situation.

Presque immédiatement après le 15e Congrès et dans la période qui a suivi la guerre en Irak, la mobilisation des ouvriers en France (parmi les plus importantes dans ce pays depuis la Deuxième Guerre mondiale) a rapidement confirmé ces perspectives. Tirant un premier bilan de ce mouvement, la Revue internationale n°114 note que ces luttes démentaient catégoriquement la thèse de la prétendue disparition de la classe ouvrière. L'article affirme que les attaques actuelles "constituent le ferment d'un lent mûrissement des conditions pour l'émergence de luttes massives qui sont nécessaires à la reconquête de l 'identité de classe prolétarienne et pour faire tomber peu à peu les illusions, notamment sur la possibilitéde réformer le système. Ce sont les actions de masse elles-mêmes qui permettront la réémergence de la conscience d'être une classe exploitée porteuse d'une autre perspective historique pour la société. Pour cela, la crise est l'alliée du prolétariat. Pour autant, le chemin que doit se frayer la classe ouvrière pour affirmer sa propre perspective révolutionnaire n’a rien d 'une autoroute, il va être terriblement long, tortueux, difficile, semé d'embûches, de chausse ­trappes que son ennemi ne peut manquer de dresser contre elle". Les perspectives tracées par le rapport sur la lutte de classe du 15e Congrès du CCI se sont ainsi trouvé confirmées, non seulement par le développement à l'échelle internationale d'une nouvelle génération d'éléments en recherche, mais également par les luttes ouvrières.

En conséquence, le présent rapport sur la lutte de classe se limite à une actualisation et à un examen plus précis de la signification à long terme de certains aspects des derniers combats prolétariens.

2003 : un tournant

Les mobilisations à grande échelle du printemps 2003 en France et en Autriche représentent un tournant dans les luttes de classe depuis 1989. Elles sont un premier pas significatif dans la récupération de la combativité ouvrière après la plus longue période de reflux depuis 1968. Bien sûr, les années 1990 avaient déjà vu des manifestations sporadiques mais importantes de cette combativité. Cependant, la simultanéité des mouvements en France et en Autriche, et le fait que, juste après, les syndicats allemands aient organisé la défaite des ouvriers métallurgistes à l'Est ([3] [5]) pour contrer de façon préventive la résistance prolétarienne, montrent l'évolution de la situation depuis le début du nouveau millénaire. En réalité, ces événements mettent en lumière le fait que la classe ouvrière est de plus en plus contrainte à lutter face à l'aggravation dramatique de la crise et au caractère de plus en plus massif et généralisé des attaques, et cela en dépit de son manque persistant de confiance en elle.

Ce changement affecte non seulement la combativité de la classe ouvrière mais aussi l'état d'esprit en son sein, la perspective dans laquelle s'inscrit son activité. Il existe actuellement des signes d'une perte d'illusions concernant non seulement les mystifications typiques des années 90 (la "révolution des nouvelles technologies", "l'enrichissement individuel via la Bourse", etc.), mais aussi de celles qu'avait suscité la reconstruction d'après la Deuxième Guerre mondiale, à savoir l'espoir d'une vie meilleure pour la génération suivante et d'une retraite décente pour ceux qui survivront au bagne du travail salarié.

Comme le rappelle l'article de la Revue internationale n°114, le retour massif du prolétariat sur la scène de l'histoire en 1968 et le resurgissement d'une perspective révolutionnaire constituaient non seulement une réponse aux attaques sur un plan immédiat mais surtout une réponse à l'effondrement des illusions dans un avenir meilleur que le capitalisme d'après guerre avait semblé offrir. Au contraire de ce qu'une déformation vulgaire et mécaniciste du matérialisme historique aurait pu nous faire croire, de tels tournants dans la lutte de classe, même s'ils sont déclenchés par une aggravation immédiate des conditions matérielles, sont toujours le résultat de changements sous-jacents dans la vision de l'avenir. La révolution bourgeoise en France n'a pas explosé avec l'apparition de la crise du féodalisme (qui était déjà bien installée) mais quand il est devenu clair que le système du pouvoir absolu ne pouvait plus faire face à cette crise. De la même façon, le mouvement qui allait aboutir dans la première vague révolutionnaire mondiale n'a pas commencé en août 1914, mais lorsque les illusions sur une solution militaire rapide à la guerre mondiale se sont dissipées.

C'est pourquoi, la compréhension de leur signification historique, à long terme, est la tâche principale que nous imposent les luttes récentes.

Une situation sociale qui évolue lentement

Tout tournant dans la lutte de classe n'a pas la même signification et la même portée que 1917 ou 1968. Ces dates représentent des changements du cours historique ; 2003 marque simplement le début de la fin d'une phase de reflux au sein d'un cours général à des affrontements de classe massifs. Depuis 1968, et avant 1989, le cours de la lutte de classe avait déjà été marqué par un certain nombre de reculs et de reprises. En particulier, la dynamique initiée a la fin des années 1970 avait rapidement culminé dans les grèves de masse de l'été 1980 en Pologne. L'importance de la modification de la situation avait alors contraint la bourgeoisie à changer rapidement son orientation politique et à mettre la gauche dans l'opposition afin de mieux pouvoir saboter les luttes de l'intérieur ([4] [6]). Il est également nécessaire de faire une distinction entre le changement actuel de la récupération de sacombativité par la classe ouvrière et les reprises dans les années 1970 et 80.

Plus généralement, il faut être capable de distinguer entre des situations où, pour ainsi dire, le monde se réveille Lui matin et ce n'est plus le même monde, et des changements qui ont lieu de façon presque imperceptible à première vue par le monde en général, comme la modification presque invisible qui se produit entre la marée montante et la marée descendante. L'évolution actuelle est incontestablement de la deuxième sorte. En ce sens, les mobilisations récentes contre les attaques sur le régime des retraites ne signifient en aucune manière une modification immédiate et spectaculaire de la situation, qui demanderait un déploiement rapide et fondamental des forces politiques de la bourgeoisie pour y faire face.

Nous sommes encore loin d'être confrontés à une vague internationale de luttes massives. En France, le caractère massif de la mobilisation au printemps 2003 était essentiellement circonscrit dans un secteur, celui de l'éducation. En Autriche, la mobilisation était plus large, mais fondamentalement limitée dans le temps, à quelques journées d'action principalement dans le secteur public. La grève des ouvriers de la métallurgie en Allemagne de l'Est n'était pas du tout une expression d'une combativité ouvrière immédiate, mais un piège tendu à une des parties les moins combatives de la classe (encore traumatisée par le chômage massif apparu presque du jour au lendemain après la "réunification" de l'Allemagne) pour faire passer le message général que la lutte ne paie pas. En plus, les informations sur les mouvements en France et en Autriche ont partiellement subi un black-out en Allemagne, sauf à la fin du mouvement où elles ont été utilisées pour véhiculer un message décourageant pour la lutte. Dans d'autres pays centraux pour la lutte de classe comme l'Italie, la Grande­Bretagne, l'Espagne ou les pays du Benelux, il n'y a pas eu récemment de mobilisations massives. Des expressions de combativité, pouvant échapper au contrôle des grandes centrales syndicales, telles que la grève sauvage du personnel de British Airways à Heathrow, à Alcatel à Toulouse ou à Puertollano en Espagne l'été dernier (cf . Révolution internationale n°339), restent ponctuelles et isolées.

En France même, le développement insuffisant et surtout l'absence d'une combativité plus répandue ont fait que l'extension du mouvement au-delà du secteur de l'éducation n'était pas immédiatement à l'ordre du jour.

Tant à l'échelle internationale que dans chaque pays, la combativité est donc encore à l'état embryonnaire et très hétérogène. Sa manifestation la plus importante à ce jour, la lutte des enseignants en France au printemps dernier, est en première instance le résultat d'une provocation de la bourgeoisie consistant à attaquer plus lourdement ce secteur de manière à faire en sorte que la riposte contre la réforme des retraites, qui concernait toute la classe ouvrière, se polarise sur ce seul secteur ([5] [7]).

Face aux manoeuvres à grande échelle de la bourgeoisie, il faut noter la grande naïveté, voire la cécité de la classe ouvrière dans son ensemble, y inclus des groupes en recherche, et de parties du milieu politique prolétarien (fondamentalement les groupes de la Gauche communiste) et même de beaucoup de nos sympathisants. Pour le moment, la classe dominante est non seulement capable de contenir et d'isoler les premières manifestations de l'agitation ouvrière, mais elle peut, avec plus ou moins de succès (plus en Allemagne qu'en France), retourner cette volonté de combattre encore relativement faible contre le développement de la combativité générale à long terme.

Encore plus significatif que tout ce qui précède est le fait que la bourgeoisie ne soit pas encore obligée de retourner à la stratégie de la gauche dans l'opposition. En Allemagne, le pays dans lequel la bourgeoisie a la plus grande liberté de choix entre une administration de gauche et une administration de droite, à l'occasion de l'offensive "agenda 2010" contre les ouvriers, 95 % des délégués, tant du SPD que des verts, se sont prononcés en faveur d'un maintien de la gauche au gouvernement. La Grande-Bretagne qui, avec l'Allemagne, s'était trouvée dans les années 1970 et 80 à "l'avant garde" de la bourgeoisie mondiale dans la mise en place des politiques de gauche dans l'opposition les plus adaptées pour faire face à la lutte de classe, est également capable de gérer le front social avec un gouvernement de gauche.

A la différence de la situation qui prévalait à la fin des années 1990, nous ne pouvons plus aujourd'hui parler de la mise en place de gouvernements de gauche comme d'une orientation dominante de la bourgeoisie européenne. Alors qu'il y a cinq ans, la vague de victoires électorales de la gauche était aussi liée aux illusions sur la situation économique, la bourgeoisie, face à la gravité actuelle de la crise, doit avoir le souci de maintenir une certaine alternance gouvernementale et jouer ainsi la carte de la démocratie électorale ([6] [8]) . Nous devons nous rappeler, dans ce contexte, que déjà l'année dernière, la bourgeoisie allemande, tout en saluant la réélection de Schroeder, a montré qu'elle se serait aussi satisfaite d'un gouvernement conservateur avec Stoiber.

La banqueroute du système

Le fait que les premières escarmouches de la lutte de classe dans un processus long et difficile vers des luttes plus massives aienteu lieu en France et en Autriche n'est peut-être pas aussi fortuit qu'il pourrait y paraître. Si le prolétariat français est connu pour son caractère explosif, ce qui peut expliquer partiellement qu'en 1968 il se soit trouvé à la tête de la reprise internationale des combats de classe, on peut difficilement en dire autant de la classe ouvrière dans l'Autriche d'après ­guerre. Ce que ces deux pays ont en commun, néanmoins, c'est le fait que les attaques massives concernaient de façon centrale la question des retraites. I1 est aussi à remarquer que le gouvernement allemand qui est actuellement en train de déclencher l'attaque la plus générale en Europe de l'Ouest, procède encore de façon extrêmement prudente sur la question des retraites. A l'opposé, la France et l'Autriche sont parmi les pays où, en grande partie du fait de la faiblesse politique de la bourgeoisie, de la droite en particulier, les retraites avaient été moins attaquées qu'ailleurs. De ce fait l'augmentation du nombre d'annuités travaillées nécessaires pour partir à la retraite et la diminution des pensions y sont encore plus amèrement ressenties.

L'aggravation de la crise contraint ainsi la bourgeoisie, en retardant l'âge du départ à la retraite, à sacrifier un amortisseur social. Celui-ci lui permettait de faire accepter à la classe ouvrière les niveaux insupportables d'exploitation imposés dans les dernières décennies et de masquer l'ampleur réelle du chômage.

Face au retour massif de ce fléau à partir des années 1970, la bourgeoisie avait répondu avec des mesures capitalistes de l'Etat providence, mesures qui sont un non sens du point de vue économique et qui constituent aujourd'hui une des principales causes de l'incommensurable dette publique. Le démantèlement du Welfare State actuellement à l'œuvre ouvre la porte à un questionnement en profondeur sur les perspectives d'avenir réelles pour la société offertes par le capitalisme.

Toutes les attaques capitalistes ne suscitent pas de la même manière les réactions de défense de la classe ouvrière. Ainsi, il est plus facile d'entrer en lutte contre des diminutions de salaire ou l'allongement de la journée de travail que contre la diminution du salaire relatif qui est le résultat de l'accroissement de la productivité du travail (du fait du développement de la technologie) et donc du processus même d'accumulation du capital. C'est cette réalité que Rosa Luxembourg décrivait en ces termes : "Une réduction de salaire, qui entraîne un abaissement du niveau de vie réel des ouvriers est un attentat visible des capitalistes contre les travailleurs, une réduclion des conditions de vie réelles des ouvriers et ceux-ci y répondent aussitôt par la lutte [...] et, dans les cas favorables, ils l’empêchent. La baisse du salaire relatif s'opére sans la moindre intervention personnelle du capitaliste, et contre elle, les travailleurs n'ont pas de possibilité de lutte et de défense à l'intérieur du système salarial, c'est­à-dire sur le terrain de la production marchande. "([7] [9])

La montée du chômage pose le même type de difficultés à la classe ouvrière que l'intensification de l'exploitation (attaque sur le salaire relatif). En effet, l'attaque capitaliste que constitue le chômage, lorsqu'elle affecte les jeunes qui n'ont pas encore travaillé, ne comporte pas la dimension explosive des licenciements, du fait qu'elle est portée sans qu'il soit nécessaire de licencier qui que ce soit. L'existence d'un chômage massif constitue même un facteur d'inhibition des luttes immédiates de la classe ouvrière, parce qu'il représente une menace permanente pour un nombre croissant d'ouvriers encore au travail, mais aussi parce que ce phénomène social pose des questions dont laréponse ne petit éviter d'aborder la nécessité du changement de société. Toujours concernant la lutte contre la baisse du salaire relatif, Rosa Luxembourg ajoute : "La lutte contre la baisse du salaire [relatif] est la lutte contre le caractère de marchandise de la force de travail, contre !a production capitaliste toute entière. La lutte contre la chute du salaire relatif n'est plus une lutte sur le terrain de l'économie marchande, mais un assaut révolutionnaire contre cette économie, c’est le mouvement socialiste du prolétariat".

Les années 1930 révèlent comment, avec le chômage de masse, explose la paupérisation absolue. Sans la défaite qui fut préalablement infligée au prolétariat, la loi "générale, absolue de l'accumulation du capital" risquait de se transformer en son contraire, la loi de la révolution. La classe ouvrière a une mémoire historique et, avec l'approfondissement de la crise, cette mémoire commence lentement à être activée. Le chômage massif et les coupes dans les salaires aujourd'hui font resurgir le souvenir des années 30, des visions d'insécurité et de paupérisation généralisées. Le démantèlement du Welfare State viendra confirmer les prévisions marxistes.

Quand Rosa Luxemburg écrit que les ouvriers, sur le terrain de la production de biens de consommation, n'ont pas la moindre possibilité de résister à la baisse du salaire relatif, cela n'est ni du fatalisme résigné, ni le pseudo radicalisme de la dernière tendance d'Essen du KAPD, "la révolution ou rien", mais la reconnaissance que leur lutte ne peut rester dans les limites des combats de défense immédiate et doit être entreprise avec la vision politique la plus large possible. Dans les années 1980, les questions du chômage et de l'intensification de l'exploitation étaient déjà posées, mais souvent de façon restreinte et locale, restreintes par exemple à la sauvegarde de leurs emplois par les mineurs anglais. Aujourd'hui, l'avancée qualitative de la crise peut permettre que des questions comme le chômage, la pauvreté, l'exploitation soient posées de façon plus globale et politique, de même que celles des retraites, de la santé, de l'entretien des chômeurs, des conditions de vie, de la longueur d'une vie de travail, de l'avenir des générations futures. Sous une forme très embryonnaire, c'est le potentiel qui a été révélé dans les derniers mouvements en réponse aux attaques contre les retraites. Cette leçon à long terme est de loin la plus importante. Elle est d'une portée plus grande que celle du rythme avec lequel la combativité immédiate de la classe va être restaurée. En fait, comme Rosa Luxembourg l'explique, être directement confrontés aux effets dévastateurs des mécanismes objectifs du capitalisme (chômage massif, intensification de l'exploitation relative) rend de plus en plus difficile d'entrer en lutte. C'est pourquoi, même s'il en résulte un rythme ralenti et un cheminement plus tortueux des luttes, celles-ci deviennent aussi plus significatives sur le plan de la politisation.

Dépasser les schémas du passé

Du fait de l'approfondissement de la crise, le capital ne peut plus se reposer sur sa capacité à faire des concessions matérielles importantes de façon à redorer l'image des syndicats comme il l'a fait en 1995 en France ([8] [10]). En dépit des illusions actuelles des ouvriers, il existe des limites à la capacité de la bourgeoisie à utiliser la combativité naissante à travers des manoeuvres à grande échelle. Ces limites sont révélées par le fait que les syndicats sont obligés de revenir graduellement à leur rôle de saboteurs des luttes : "On revient aujourd'hui à un schéma beaucoup plus classique dans l'histoire de la lutte de classes : le gouvernement cogne, les syndicats s’y opposent et prônent l'union syndicale dans un premier temps pour embarquer massivement des ouvriers derrière eux et sous leur ‘contrôle’. Pius le gouvernenient ouvre des négociations et les syndicats se désunnissent pour mieux porter la division et la désorientation dans les rangs ouvriers. Cette méthode, qui joue sur la division syndicale, face à la montée de la lutte de classe, est la plus éprouvée par la bourgeoisie pour ‘préserver’globalement l'encadrement syndical en concentrant autant que possible le discrédit et la perte de quelques plumes sur l'un ou l'autre appareil désigné d'avance. Cela signifie aussi que les syndicats sont à nouveau soumis à l'épreuve du feu et que le développement inévitable des luttes à venir va poser à nouveau le problème pour la classe ouvrière de la confrontation avec ses ennemis pour pouvoir affirmer intérêts de classe et les besoins de son combat." ([9] [11])

Ainsi, si encore aujourd'hui la bourgeoisie n'est quasiment pas inquiétée lors de l'exécution de ses manœuvres à grande échelle contre la classe ouvrière, la détérioration de la situation économique va tendre à engendrer de façon plus fréquente des confrontations spontanées, ponctuelles, isolées entre les ouvriers et les syndicats.

La répétition d'un schéma classique de confrontation au sabotage syndical, désormais à l'ordre du jour, favorise ainsi la possibilité pour les ouvriers de se référer aux leçons du passé.

Cela ne doit pas cependant conduire à une attitude schématique basée sur le cadre et les critères des années 80 pour appréhender les luttes futures et intervenir en leur sein. Les combats actuels sont ceux d'une classe qui doit encore reconquérir, même de façon élémentaire, son identité de classe. La difficulté à reconnaître qu'on appartient à une classe sociale et le fait de ne pas réaliser qu'on a face à soi un ennemi de classe sont les deux faces de la même pièce. Bien que les ouvriers aient encore un sens élémentaire du besoin de solidarité (parce que c'est inscrit dans les fondements de la condition prolétarienne), ils ont encore à reconquérir une vision de ce qu'est vraiment la solidarité de classe.

Pour faire passer sa réforme des retraites, la bourgeoisie n'a pas eu besoin de recourir au sabotage de l'extension du mouvement par les syndicats. Le coeur de sa stratégie avait consisté à faire en sorte que les enseignants adoptent des revendications spécifiques comme objectif principal. A cette fin, ce secteur déjà lourdement affecté par les attaques antérieures, non seulement devait subir l'attaque générale sur les retraites mais il lui en a été infligé une autre supplémentaire, spécifique, le projet de décentralisation des personnels non enseignants contre laquelle il a effectivement polarisé sa mobilisation. Faire siennes des revendications centrales qui condamnent de fait une lutte à la défaite est toujours le signe d'une faiblesse essentielle de la classe ouvrière qu'elle doit dépasser pour pouvoir avancer significativement. Une exemple illustrant à contrario une telle nécessité est donné par les luttes en Pologne en 1980, où ce sont les illusions sur la démocratie occidentale qui ont permis à la revendication de "syndicats libres" d'arriver en tête de la liste de revendications présentée au gouvernement ouvrant ainsi la porte à la défaite et à la répression du mouvement.

Dans les luttes du printemps 2003 en France, c'est la perte de l'identité de classe et la perte de vue de la notion de solidarité ouvrière qui ont conduit les enseignants à accepter que leurs revendications spécifiques passent devant la question générale des attaques contre les retraites. Les révolutionnaires ne doivent pas craindre de reconnaître cette faiblesse de la classe et d'adapter leur intervention en conséquence.

Le rapport sur la lutte de classe du 15e Congrès insiste fortement sur l'importance du resurgissement de la combativité pour permettre au prolétariat d'avancer. Mais cela n'a rien de commun avec un culte ouvriériste de la combativité pour elle-même. Dans les années 30, la bourgeoisie a été capable de dévoyer la combativité ouvrière dans la voie de la guerre impérialiste. L'importance des luttes aujourd'hui, c'est qu'elles peuvent constituer le creuset du développement de la conscience de la classe ouvrière. Si l'enjeu actuel de la lutte de classe, la reconquête de l'identité de classe par le prolétariat, est très modeste en lui-même, il constitue néanmoins la clé pour la réactivation de la mémoire collective et historique du prolétariat et pour le développementde sa solidarité de classe. Celle-ci estlaseule alternative à la folle logique bourgeoise de compétition, de chacun pour soi.

La bourgeoisie, pour sa part, ne se permet pas de se faire des illusions sur le caractère secondaire de cette question. Jusqu'à maintenant, elle a fait ce qu'elle a pu pour éviter qu'éclate un mouvement qui rappellerait aux ouvriers leur appartenance à une même classe. La leçon de 2003 est que, avec l'accélération de la crise, le combat ouvrier ne peut que se développer. Ce n'est pas tant cette combativité en tant que telle qui inquiète la classe dominante, mais bien le risque que les conflits alimentent la conscience de la classe ouvrière. La bourgeoisie n'est pas moins, mais plus préoccupée par cette question que dans le passé, précisément parce que la crise est plus grave et plus globale. Sa principale préoccupation est que, chaque fois que les luttes ne peuvent être évitées, d'en limiter les effets positifs sur la confiance en soi, sur la solidarité et la réflexion dans la classe ouvrière, voire de faire en sorte que la lutte soit la source de fausses leçons. Pendant les années 1980, face aux combats ouvriers, le CCI a appris à identifier, dans chaque cas concret, quel était l'obstacle à l'avancée du mouvement et autour duquel l'affrontement avec les syndicats et la gauche devait être polarisé. C'était souvent la question de l'extension. Des motions concrètes, présentées en assemblée générale, appelant à aller vers les autres ouvriers constituaient la dynamite avec laquelle nous essayions de balayer le terrain pour favoriser l'avancement général du mouvement. Les questions centrales posées aujourd'hui - qu'est ce que la lutte de classe, ses buts, ses méthodes, qui sont ses adversaires, quels sont les obstacles que nous devons surmonter ? -semblent constituer l'antithèse de celles des années 80. Elles apparaissent plus "abstraites" car moins immédiatement réalisables, voire constituer un retour à la case départ des origines du mouvement ouvrier. Les mettre en avant exige plus de patience, une vision à plus long terme, des capacités politiques et théoriques plus profondes pour l'intervention. En réalité, les questions centrales actuelles ne sont pas plus abstraites, elles sont plus globales. Il n'y a rien d'abstrait ou de rétrograde dans le fait d'intervenir, dans une assemblée ouvrière, sur la question des revendications du mouvement ou pour dénoncer la façon dont les syndicats empêchent toute perspective réelle d'extension. Le caractère global de ces questions montre la voie à suivre. Avant 1989, le prolétariat a échoué précisément parce qu'il posait les questions de la lutte de classe de façon trop étroite. Et c'est parce que, dans la deuxième moitié des années 1990, le prolétariat a commencé à ressentir, à travers des minorités en son sein, le besoin d'une vision plus globale que la bourgeoisie, consciente du danger que cela pouvait représenter, a développé le mouvement alter-mondialiste de façon à fournir une fausse réponse à un tel questionnement.

De plus, la gauche du capital, spécialement les gauchistes, est passée maître dans l'art d'utiliser les effets de la décomposition de la société contre les luttes ouvrières. Si la crise économique favorise un questionnement qui tend à être global, la décomposition a l'effet contraire. Pendant le mouvement du printemps 2003 en France et la grève des métallos en Allemagne, nous avons vu comment les activistes des syndicats, au nom de "l'extension" ou de la "solidarité" ont cultivé la mentalité qui habite des minorités de travailleurs lorsqu'elles essaient d'imposer la lutte à d'autres travailleurs, jetant sur ces derniers la responsabilité d'une défaite du mouvement quand ils refusent d'être entraînés dans l'action.

En 1921, pendant l'Action de mars en Allemagne, les scènes tragiques des chômeurs essayant d'empêcher les ouvriers de rentrer dans les usines étaient une expression de désespoir face au reflux de la vague révolutionnaire. Les récents appels des gauchistes français à empêcher les élèves de passer leurs examens, le spectacle des syndicalistes ouest-allemands voulant empêcher les métallos est-allemands-qui ne voulaient plus faire une grève longue pour les 35 heures de reprendre le travail, sont des attaques dangereuses contre l'idée même de classe ouvrière et de solidarité. Elles sont d'autant plus dangereuses qu'elles alimentent l'impatience, l'immédiatisme et l'activisme décervelé que produit la décomposition. Nous sommes avertis : si les luttes à venir sont potentiellement un creuset pour la conscience, la bourgeoisie fait tout pour les transformer en tombeau de la réflexion prolétarienne.

Ici, nous voyons des tâches qui sont dignes de l'intervention communiste : "expliquer patiemment" (Lénine) pourquoi la solidarité ne peut être imposée mais demande une confiance mutuelle entre les différentes parties de la classe ; expliquer pourquoi la gauche, au nom de l'unité ouvrière, fait tout pour détruire l'unité ouvrière.

Les bases de notre confiance dans le prolétariat.

Toutes les composantes du milieu politique prolétarien reconnaissent l'importance de la crise dans le développement de la combativité ouvrière. Mais le CCI est le seul courant existant actuellement qui considère que la crise stimule la conscience de classe des grandes masses. Les autres groupes restreignent le rôle de la crise au fait qu'elle pousse simplement physiquement à 1a lutte. Pour les conseillistes, la crise contraint de façon plus ou moins mécanique la classe ouvrière à faire la révolution. Pour les bordiguistes, le réveil de "l'instinct" de classe porte au pouvoir le détenteur de la conscience de classe qu'est le parti. Pour le BIPR, la conscience révolutionnaire vient de l'extérieur, du parti. Au sein des groupes en recherche, les autonomistes (qui se revendiquent dit marxisme concernant la nécessité de l'autonomie du prolétariat par rapport aux autres classes) et les ouvriéristes croient que la révolution est le produit de la révolte ouvrière et d'un désir individuel d'une vie meilleure. Ces démarches incorrectes ont été renforcées par l'incapacité de ces courants à comprendre que l'échec du prolétariat à répondre à la crise de 29 avait résulté de la défaite antérieure de la vague révolutionnaire mondiale. Une des conséquences de cette lacune est la théorisation toujours en cours selon laquelle la guerre impérialiste produit des conditions plus favorables à la révolution que la crise (Cf. notre article "Pourquoi l'alternative guerre ou révolution" de la Revue internationale n°30).

A l'opposé de ces visions, le marxisme pose la question comme suit : "Le fondement scientifique du socialisme s'appuie, comme on sait, sur trois principaux résultats du développement du capitaliste : avant tout sur l’anarchie croissante de l'économie capitaliste, qui mène inévitablement à sa ruine ; deuxièmement, sur la socialisation croissunte du processus de production qui crée les amorces de l'ordre social futur, et troisièmement, sur le renforcement croissant de l'organisation et de la conscience de classe du prolétariat qui constitue le facteur actif de la prochaine révolution". ([10] [12])

En soulignant le lien entre ces trois aspects et le rôle de la crise, Rosa Luxemburg écrit :"La social démocratie fait aussi peu résulter son but final de la violence victorieuse de la minorité qzre de la supériorité numérique de la majorité ; mais de la nécessite économique et de la compréhension de cette nécessité, qui mène à la suppression du capitalisme par les masses populaires, nécessité qui se manifeste avant tout dans l'anarchie capitaliste". ([11] [13])

Alors que le réformisme (et de nos jours la gauche du capital) promet des améliorations grâce à l'intervention de l'Etat, à des lois qui protégeraient les travailleurs, la crise vient révéler que « le système salarial n'est pas un rapport légal, mais un rapport purement économique »

C'est à travers les attaques qu'elle subit que la classe comme un tout commence à comprendre la nature réelle du capitalisme. Ce point de vue marxiste ne dénie en rien l'importance du rôle des révolutionnaires et de la théorie dans ce processus. Dans la théorie marxiste, les ouvriers trouveront la confirmation et l'explication de ce dont ils font eux­ mêmes l'expérience.

Octobre 2003.


[1] [14] Ce texte ayant été rédigé en vue de la discussion interne au sein de l'organisation, il est susceptible de contenir certaines formulations insuffisamment explicites pour le lecteur. Nous pensons cependant que ces défauts n'empêcheront pas les lecteurs de saisir l'essentiel de l'analyse contenue dans ce rapport.

[2] [15] Faute deplace, nous n'avons paspublié ce rapport dans notre presse. En revanche, nous avons publié, dans la Revue internationale n°113, la résolution adoptée à ce congrès qui reprend la plupart des insistances du rapport.

[3] [16] Le syndicat IG Mctal avait poussé les ouvriers métallurgistes des Lander de l'Est à se mettre en grève pour l'application immédiate des 35 heures alors que leur mise en place était planifiée pour 2009. La manoeuvre de la bourgeoisie réside en ceci que non seulement les trente cinq heures constituent une attaque contre la classe ouvrière du fait de la flexibilité qu'elles introduisent, mais la mobilisation par les syndicats pour leur obtention était destinée, à ce moment-là, à faire diversion vis-à-vis de la riposte nécessaire contre les mesures d'autérité de "l'agenda 2010".

 

[4] [17] Cette carte de la gauche dans l'opposition a été déployée par la bourgeoisie à la fin des années 1970 et au début des années 1980. Elle consiste en un partage systématique des tâches entre les différents secteurs de la bourgeoisie. I1 revient à la droite, au gouvernement, de "parler franc" et d'appliquer sans fard les attaques requises contre la classe ouvrière. Il revient à la gauche, c'est-à-dire les fractions bourgeoises qui, parleur langage et leur histoire ont pour tâche spécifique de mystifier et encadrer les ouvriers, de dévoyer, stériliser et étouffer, grâce à leur position dans l'opposition, les luttes et la prise de conscience provoquées par ces attaques au sein du prolétariat. Pour davantage d'éléments concernant la mise en place d'une telle politique par la bourgeoisie lire la résolution publiée dans la Revue internationale n°26.

[5] [18] Pour une analyse plus détaillée de ce mouvement, voir notre article "Face aux attaques massives du capital, le besoin d'une riposte massive de la classe ouvrière" dans la Revue internationale n°114.

[6] [19] Il a existé une autre raison à la présence de la droite au pouvoir, c'est que cette disposition était la mieux adaptée pour contre carrer la montée du populisme politique (lié au développement de la décomposition) dont les partis qui l'incarnent sont en général inaptes à la gestion du capital national.

[7] [20] Rosa Luxembourg, Introduction à l'économie politique (le travail salarié).

[8] [21] En décembre 1995, les syndicats avaient constitué le fer de lance d'une manoeuvre de l'ensemble de la bourgeoisie contre la classe ouvrière. Face à une attaque massive contre la sécurité sociale, le plan Juppé, et une autre attaque visant plus spécifiquement les retraites des cheminots qui, par sa violence, constituait une véritable provocation, les syndicats n'avaient pas eu de difficulté à faire partir massivement les ouvriers en lutte sous leur contrôle. La situation économique n'était pas alors suffisamment grave pour imposer à la bourgeoisie qu'elle maintienne de façon immédiate son attaque contre les retraites des cheminots, si bien que le retrait de cette mesure put apparaître comme une victoire de la classe ouvrière mobilisée derrière les syndicats. Dans la réalité, le plan Juppé passa intégralement mais la plus grande défaite vint du fait qu'à cette occasion la bourgeoisie était parvenue à recrédibiliser les syndicats e tque la défaite est passée pour une victoire. Pour davantage de détails, lire les articles dédiés à la dénonciation de cette manoeuvre de la bourgeoisie dans les n°84 et 85 de la Revue internationale.

[9] [22] Voir notre article consacré aux mouvements sociaux en France, "Face aux attaques massives du capital, le besoin d'une riposte massive de la classe ouvrière" dans la Revue internationale n°I14.

 

[10] [23] Rosa Luxemburg, Réforme ou révolution ?

[11] [24] Rosa Luxemburg, idem

Vie du CCI: 

  • Résolutions de Congrès [25]

Heritage de la Gauche Communiste: 

  • La lutte Proletarienne [26]

Comprendre la décomposition du capitalisme (I) - Les racines marxistes de la notion de décomposition

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Dans les "Thèses sur la décomposition" (publiées pour la première fois dans la Revue internationale n°62 et republiées dans la Revue internationale n°107), de même que dans l'article "La décomposition du capitalisme" (publié dans la Revue internationale n°57), nous avons mis en évidence que le capitalisme était entré dans une nouvelle et ultime phase de sa décadence, celle de sa décomposition, caractérisée par l'aggravation et la culmination de toutes les contradictions du système. Malheureusement, cet effort de la part de notre organisation pour analyser cette évolution importante dans la vie du capitalisme, soit n'a fait que susciter l'indifférence de la part de certains groupes de la Gauche communiste, soit a rencontré une complète incompréhension, quand ce n'est pas des accusations de tout acabit comme celle d'abandonner le marxisme.

L'attitude la plus caricaturale est probablement celle du Parti communiste international (PCI, qui publie Le Prolétaire et Il Comunista). C'est ainsi que dans une brochure publiée récemment, "Le Courant communiste international : à contre-courant du marxisme et de la lutte de classe", cette organisation évoque notre analyse sur la décomposition en ces termes : "Nous ne ferons pas non plus ici la critique en règle de cette fumeuse théorie, nous contentant de signaler ses trouvailles les plus en rupture avec le marxisme et le matérialisme". Et c'est tout ce que le PCI trouve à dire sur notre analyse alors que par ailleurs il consacre 70 pages à polémiquer avec notre organisation. C'est pourtant une responsabilité de premier ordre, pour une organisation qui prétend défendre des intérêts historiques de la classe ouvrière, que de s'investir dans un effort de réflexion théorique en vue de clarifier les conditions de son combat et de critiquer les analyses de la société qu'elle juge erronées, notamment lorsque celles-ci sont défendues par d'autres organisations révolutionnaires[1]. En effet, le prolétariat et ses minorités d'avant-garde ont besoin d'un cadre global de compréhension de la situation. A défaut de quoi, ils sont condamnés à ne pouvoir donner que des réponses au coup par coup et empiriques aux événements, à être ballottés par leur succession. Pour sa part, la Communist Workers' Organisation (CWO), branche britannique du Bureau international pour le Parti révolutionnaire (BIPR) a abordé dans trois articles de ses publications[2] notre analyse sur la décomposition du capitalisme. Nous reviendrons ultérieurement sur les arguments précis mis en avant par la CWO. Notons pour le moment que la critique principale qui est faite dans ses textes à notre analyse sur la décomposition est tout simplement qu'elle se situe en dehors du marxisme.

Face à ce type de jugement (que la CWO n'est pas la seule organisation à porter), nous estimons nécessaire de mettre en évidence les racines marxistes de la notion de décomposition du capitalisme et d'en préciser et développer différents aspects et implications. C'est la raison pour laquelle nous entreprenons la rédaction d'une série d'articles intitulée "Comprendre la Décomposition" qui se situe dans la continuité de celle que nous avions réalisée il y a quelques années intitulée "Comprendre la décadence du capitalisme"[3], parce qu'en dernière instance la décomposition constitue un phénomène de la décadence, qui ne peut pas être compris en dehors d'elle.

La décomposition, phénomène de la décadence capitaliste

La méthode marxiste fournit un cadre, à la fois matérialiste et historique, permettant de caractériser les différents moments de la vie du capitalisme, tant dans sa période d'ascendance que dans celle de sa décadence.

"En fait, de même que le capitalisme connaît différentes périodes dans son parcours historique -naissance, ascendance, décadence-, chacune de ces périodes contient elle aussi un certain nombre de phases distinctes et différentes. Par exemple, la période d'ascendance comporte les phases successives du libre marché, de la société par actions, du monopole, du capital financier, des conquêtes coloniales, de l'établissement du marché mondial. De même, la période de décadence a aussi son histoire : impérialisme, guerres mondiales, capitalisme d'Etat, crise permanente et, aujourd'hui, décomposition. Il s'agit là de différentes manifestations successives de la vie du capitalisme dont chacune permet de caractériser une phase particulière de celle-ci, même si ces manifestations pouvaient déjà exister auparavant ou ont pu se maintenir lors de l'entrée dans une nouvelle phase"[4]. Ainsi l'illustration la plus connue de ce phénomène concerne sans doute l'impérialisme qui, "à proprement parler débute après les années 1870, lorsque le capitalisme mondial arrive à une nouvelle configuration significative : la période où la constitution des Etats nationaux d'Europe et d'Amérique du Nord est achevée et, où, au lieu d'une Grande-Bretagne "usine du monde", nous avons plusieurs "usines" capitalistes nationales développées en concurrence pour la domination du marché mondial -en concurrence non seulement pour l'obtention des marchés intérieurs des autres mais aussi pour le marché colonial" ("Sur l'impérialisme", Revue internationale n° 19). Cependant, l'impérialisme n'acquiert "une place prépondérante dans la société, dans la politique des Etats et dans les rapports internationaux qu'avec l'entrée du capitalisme dans sa période de décadence au point d'imprimer sa marque à la première phase de celle-ci, ce qui a pu conduire les révolutionnaires de cette époque à l'identifier avec la décadence elle-même"[5].

De même, la période de décadence du capitalisme comporte, dès son origine, des éléments de décomposition caractérisés par la dislocation du corps social, le pourrissement de ses structures économiques, politiques et idéologiques. Néanmoins, ce n'est qu'à un certain stade de cette décadence et dans des circonstances bien déterminées que la décomposition devient un facteur, sinon le facteur décisif de l'évolution de la société ouvrant ainsi une phase spécifique, celle de la décomposition de la société. Cette phase est l'aboutissement des phases qui l'ont précédée en se succédant au sein de la décadence comme en atteste l'histoire même de cette période.

Le premier congrès de l'Internationale communiste (mars 1919) a mis en évidence que le capitalisme était entré dans une nouvelle époque, celle de son déclin historique et il a identifié dans celle-ci les germes de la décomposition intérieure du système : "Une nouvelle époque est née : l'époque de désagrégation du capitalisme, de son effondrement intérieur. L'époque de la révolution communiste du prolétariat." (Plate-forme de l'IC). Pour l'humanité entière est posée la menace de sa destruction si le capitalisme survit à l'épreuve de la révolution prolétarienne : "L'humanité, dont toute la culture a été dévastée, est menacée de destruction. L'ancien "ordre" capitaliste n'est plus. Il ne peut plus exister. Le résultat final des procédés capitalistes de production est le chaos." (Ibid) "Maintenant ce n'est pas seulement la paupérisation sociale, mais un appauvrissement physiologique, biologique, qui se présente à nous dans toute sa réalité hideuse." (Manifeste de l'IC aux prolétaires du monde entier). Cette nouvelle époque porte la marque, sur le plan de la vie de la société, de cet événement historique qui l'a ouverte, la Première Guerre mondiale : "Si la libre concurrence, comme régulateur de la production et de la répartition, fut remplacée dans les champs principaux de l'économie par le système des trusts et des monopoles, plusieurs dizaines d'années avant la guerre, le cours même de la guerre a arraché le rôle régulateur et directeur aux groupements économiques pour le transmettre directement au pouvoir militaire et gouvernemental." (Ibid). Ce qui est décrit ici ne constitue pas un phénomène conjoncturel, lié au caractère prétendument exceptionnel de la situation de guerre, mais bien une tendance permanente et dominante irréversible : "Si l'absolue sujétion du pouvoir politique au capital financier a conduit l'humanité à la boucherie impérialiste, cette boucherie a permis au capital financier non seulement de militariser jusqu'au bout l'Etat, mais de se militariser lui-même, de sorte qu'il ne peut plus remplir ses fonctions économiques essentielles que par le fer et par le sang. L'étatisation de la vie économique, contre laquelle protestait tant le libéralisme capitaliste, est un fait accompli. Revenir, non point à la libre concurrence, mais seulement à la domination des trusts, syndicats et autres pieuvres capitalistes, est désormais impossible. La question est uniquement de savoir quel sera désormais celui qui prendra la production étatisée : l'Etat impérialiste ou l'Etat du prolétariat victorieux." (Ibid).

Les huit décennies suivantes n'ont fait que confirmer ce tournant décisif dans la vie de la société : le développement massif du capitalisme d'Etat et de l'économie de guerre après la crise de 1929 ; la Seconde Guerre mondiale ; la reconstruction et le début d'une course nucléaire démente ; la Guerre "froide" qui a fait autant de morts que les deux guerres mondiales ; et, à partir de 1967, qui correspond à la fin de la reconstruction d'après-guerre, l'effondrement progressif de l'économie mondiale dans une crise qui dure maintenant depuis plus de 30 années accompagnée d'une spirale sans fin de convulsions guerrières. Un monde, en somme, qui n'offre d'autre perspective qu'une agonie interminable faite de destructions, de misère et de barbarie.

Une telle évolution historique ne peut que favoriser la décomposition du mode de production capitaliste sur tous les plans de la vie sociale : l'économie, la vie politique, la morale, la culture, etc. C'est ce qu'ont illustré, d'un côté, la folie irrationnelle et la sauvagerie du nazisme avec ses camps d'extermination et du stalinisme avec ses goulags ; de l'autre le cynisme et l'hypocrisie morale de leurs adversaires démocratiques avec leurs bombardements meurtriers responsables de centaines de milliers de victimes parmi la population d'Allemagne (dans la ville de Dresde notamment) ou du Japon (particulièrement les deux bombes atomiques larguées sur Hiroshima et Nagasaki), ces deux pays étant pourtant à ce moment-là déjà vaincus. En 1947, la Gauche communiste de France met en évidence que les tendances à la décomposition s'exprimant au sein du capitalisme sont le produit de ses contradictions insurmontables : "La bourgeoisie, elle, se trouve devant sa propre décomposition et ses manifestations. Chaque solution qu'elle tente d'apporter précipite le choc des contradictions, elle pallie au moindre mal, elle replâtre ici, et la bouche une voie d'eau, tout en sachant que la trombe ne gagne que plus de force" (Internationalisme nº 23, "Instabilité et décadence capitaliste").

La décomposition, phase terminale de la décadence du capitalisme

Les contradictions et manifestations de la décadence du capitalisme qui, successivement, marquent les différents moments de cette décadence, ne disparaissent pas avec le temps, mais se maintiennent. La phase de décomposition qui s'ouvre dans les années 80 apparaît alors "comme celle résultant de l'accumulation de toutes ces caractéristiques d'un système moribond, celle qui parachève et chapeaute trois quarts de siècle d'agonie d'un mode de production condamné par l'histoire". Concrètement, "non seulement la nature impérialiste de tous les Etats, la menace de guerre mondiale, l'absorption de la société civile par le Moloch étatique, la crise permanente de l'économie capitaliste, se maintiennent dans la phase de décomposition, mais cette dernière se présente encore comme la conséquence ultime, la synthèse achevée, de tous ces éléments[6]". Ainsi, l'ouverture de la phase de décomposition (la Décomposition[7]) ne se produit pas comme un éclair dans un ciel d'azur, mais est la cristallisation d'un processus latent à l'œuvre dans les étapes précédentes de la décadence du capitalisme, lequel devient, à un moment donné, le facteur central de la situation. Ainsi, les éléments de décomposition qui, comme on l'a vu, ont accompagné toute la décadence du capitalisme, ne peuvent pas être mis sur le même plan, quantitativement et qualitativement, que ceux se manifestant à partir des années 1980. La Décomposition n'est pas simplement une "nouvelle phase" succédant à d'autres au sein de la période de décadence (impérialisme, guerres mondiales, capitalisme d'Etat) mais la phase terminale du système.

Ce phénomène de décomposition généralisée, de pourrissement sur pied de la société est causé par le fait que les contradictions du capitalisme ne faisant que s'aggraver, la bourgeoisie est incapable d'offrir la moindre perspective à l'ensemble de la société et le prolétariat n'est pas non plus en mesure d'affirmer de façon immédiate la sienne propre.

Dans les sociétés de classe, les individus agissent et travaillent sans contrôler réellement et consciemment leur propre vie. Mais cela ne signifie pas pour autant que la société puisse fonctionner de façon totalement aveugle, sans orientation ni perspective. En effet, "aucun mode de production ne peut vivre, se développer, se maintenir sur des bases viables, assurer la cohésion sociale, s'il n'est pas capable de présenter une perspective à l'ensemble de la société qu'il domine. Et c'est particulièrement vrai pour le capitalisme en tant que mode de production le plus dynamique de l'histoire[8]" (8). Cette tendance croissante à une absence de boussole pour guider la marche de la société constitue une différence importante entre la phase actuelle de décomposition du capitalisme et la période de la Seconde Guerre mondiale.

La seconde grande guerre constitua une manifestation terrifiante de la barbarie du système capitaliste. Mais barbarie n'est pas synonyme de décomposition. Au cœur de la barbarie de la Seconde Guerre mondiale, la société n'était pas dépourvue "d'orientation" puisqu'il existait cette capacité des Etats capitalistes à encadrer avec une main de fer toute la société et à la mobiliser pour la guerre. Sur ce plan, la période de la Guerre froide possède des caractéristiques semblables : toute la vie sociale y est encadrée par les Etats engagés dans un bras de fer sanglant entre les deux blocs. La société s'enfonçait alors dans une barbarie "organisée". Par contre, ce qui change depuis l'ouverture de la phase de décomposition, c'est que la barbarie "organisée" est remplacée par une barbarie anarchique et chaotique où dominent le chacun pour soi, l'instabilité des alliances, la gangstérisation des rapports internationaux.

La Décomposition et la lutte de classe

Pour le marxisme, "les rapports sociaux de production changent et se transforment avec l'évolution et le développement des moyens matériels de production, des forces productrices. Les rapports de production, pris dans leur totalité, constituent ce que l'on nomme les rapports sociaux, et notamment une société parvenue à un stade d'évolution historique déterminé, une société particulière et bien caractérisée. La société antique, la société féodale, la société bourgeoise sont de tels ensembles de rapports de production, dont chacun désigne un stade particulier de l'évolution historique de l'humanité" (Marx, Travail salarié et capital). Mais également, ces rapports de production constituent le cadre au sein duquel s'exerce le moteur de leur évolution et de celui de l'humanité, la lutte de classe : "Le mode de production et d'échange économique qui domine à une époque, et l'organisation sociale qui en dérive nécessairement, constituent la base sur laquelle s'édifie l'histoire politique et intellectuelle de l'époque ; seule elle permet d'expliquer cette histoire ; par conséquent, toute l'histoire de l'humanité (depuis la dissolution de la société tribale primitive, qui possédait les terres en commun) a été l'histoire de la lutte entre les classes, entre exploiteurs et exploités, entre classes dominantes et classes opprimées ; l'histoire de cette lutte de classe représente une série d'évolutions… " (F. Engels, Préface à la réédition allemande du Manifeste de 1890)

Les liens entre, d'une part, les rapports de production et le développement des forces productives et, d'autre part, la lutte de classe n'ont jamais été conçus par le marxisme d'une manière simple et mécanique : les premiers étant déterminants et la seconde déterminée. Sur cette question, en réponse à l'Opposition de Gauche, Bilan mettait en garde contre l'interprétation matérialiste vulgaire du fait que "toute l'évolution de l'histoire peut être ramenée à la loi de l'évolution des forces productives et économiques", élément nouveau du marxisme par rapport à toutes les théories historiques qui l'ont précédé et pleinement confirmé par l'évolution de la société capitaliste. Pour une telle interprétation matérialiste vulgaire, "le mécanisme productif représente non seulement la source de la formation de classes mais il détermine automatiquement l'action et la politique des classes et des hommes les constituant ; ainsi, le problème des luttes sociales serait singulièrement simplifié ; hommes et classes ne seraient que des marionnettes actionnées par des forces économiques." ("Les principes, armes de la révolution", Bilan nº 5).

Les classes sociales n'agissent pas selon un scénario fixé à l'avance par l'évolution économique. Bilan ajoute que "l'action des classes n'est possible qu'en fonction d'une intelligence historique du rôle et des moyens appropriés à leur triomphe. Les classes doivent au mécanisme économique, et leur naissance, et leur disparition, mais, pour triompher (…) [elles] doivent pouvoir se donner une configuration politique et organique, à défaut de quoi, bien qu'élues par l'évolution des forces productives, elles risquent de rester longtemps les prisonnières de la classe ancienne qui, à son tour -pour résister- emprisonnera le cours de l'évolution économique[9]" (ibid.).

A ce stade, deux conclusions très importantes doivent être tirées.

Premièrement, tout en étant déterminant, le mécanisme économique est aussi déterminé parce que la résistance de l'ancienne classe -condamnée par l'histoire- emprisonne le cours de son évolution. L'humanité a aujourd'hui derrière elle presque un siècle de décadence du capitalisme, ce qui constitue une illustration de cette réalité. Afin d'éviter des effondrements brutaux et de pouvoir assumer les contraintes de l'économie de guerre, le capitalisme d'Etat a triché de façon permanente avec la loi de la valeur[10] tout en enfermant l'économie dans des contradictions de plus en plus insurmontables.

Loin de pouvoir résoudre les contradictions du système capitaliste, une telle fuite en avant n'a eu pour autre conséquence que de les aggraver de façon considérable. Suivant Bilan, elle a emprisonné le cours de l'évolution historique dans un nœud gordien fait de contradictions insurmontables.

En deuxième lieu, la classe révolutionnaire, tout en étant investie par l'histoire de la mission de renverser le capitalisme, n'a pu jusqu'à présent accomplir cette mission historique. La longue période des trente dernières années constitue une confirmation lumineuse de cette analyse de Bilan qui se situe dans la lignée de toutes les positions du marxisme : si le resurgissement historique du prolétariat en 1968 a réussi à entraver la capacité de la bourgeoisie à entraîner la société vers la guerre généralisée, il n'a pas pour autant réussi à orienter ses luttes défensives vers un combat offensif pour la destruction du capitalisme.

Cet échec, qui est le résultat d'une série de facteurs généraux et historiques que nous ne pouvons analyser ici[11], a été déterminant dans l'entrée du capitalisme dans sa phase de décomposition.

Par ailleurs, si la Décomposition est le résultat des difficultés du prolétariat, elle contribue également activement, en retour, à l'aggravation de celles-ci : "les effets de la décomposition ont un impact profondément négatif sur la conscience du prolétariat, sur son sens de lui-même comme classe, puisque dans tous ses différents aspects -la mentalité de gang, le racisme, la criminalité, la drogue, etc.- ils servent à atomiser la classe, à accroître les divisions en son sein, et à la dissoudre dans une foire d'empoigne sociale généralisée[12]".

En effet :

  • les classes intermédiaires comme la petite bourgeoisie, ou encore le lumpen, tendent sous la Décomposition à avoir un comportement de plus en plus attaché aux pires aberrations du capitalisme ou même à d'autres systèmes l'ayant précédé. Leurs révoltes sans espoir ni futur peuvent contaminer le prolétariat ou entraîner avec elles des secteurs de celui-ci ;
  • l'atmosphère générale de décomposition morale et idéologique affecte les capacités de prise de conscience, d'unité, de confiance et de solidarité du prolétariat : "La classe ouvrière n'est pas séparée de la vieille société bourgeoisie par une muraille de Chine. Lorsque la révolution éclate, les choses ne se passent pas comme à la mort d'un homme, où l'on emporte et enterre son cadavre. Au moment où la vieille société périt, on ne peut pas clouer ses restes dans une bière et les mettre dans la tombe. Elle se décompose au milieu de nous, elle pourrit et sa pourriture nous gagne nous-mêmes. Aucune grande révolution au monde ne s'est accomplie autrement et il ne peut jamais en être autrement. C'est justement ce que nous devons combattre pour sauvegarder les germes du nouveau [monde] au milieu de cette atmosphère empestée des miasmes du cadavre en décomposition[13]".
  • la bourgeoisie peut utiliser les effets de la décomposition contre le prolétariat. Cela a été le cas en particulier lors de l'effondrement, sans guerre ni révolution, de l'ancien bloc soviétique, manifestation majeure et typique de la Décomposition, qui a permis à la bourgeoisie de déchaîner une énorme campagne anti-communiste dont il a résulté un recul important de la conscience et de la combativité dans les rangs prolétariens. Tous les effets de ces campagnes sont encore loin, aujourd'hui encore, d'avoir été surmontés.

Marxisme contre fatalisme

Le passage d'un mode de production à un autre mode de production supérieur n'est pas le produit fatal de l'évolution des forces productives. Ce passage ne peut s'effectuer qu'au moyen d'une révolution qui est le produit de la capacité de la nouvelle classe dominante à renverser l'ancienne et à construire les nouveaux rapports de production.

Le marxisme défend le déterminisme historique mais cela ne signifie pas que le communisme serait le résultat inévitable et inéluctable de l'évolution du capitalisme. Une telle vision constitue une déformation matérialiste vulgaire du marxisme. En effet, pour le marxisme, le déterminisme historique signifie que :

1. Une révolution n'est possible que lorsque le mode de production précédent a épuisé toutes ses capacités à développer les forces productives : "Jamais une société n'expire, avant que soient développées toutes les forces productives qu'elle est assez large pour contenir ; jamais des rapports supérieurs de production ne se mettent en place, avant que les conditions matérielles de leur existence ne soient écloses dans le sein même de la vieille société." (Marx, Avant-propos de la Contribution à la critique de l'économie politique).

2. Le capitalisme ne peut pas revenir en arrière (vers le féodalisme ou d'autres modes de production précapitalistes) : soit il est remplacé à travers la révolution prolétarienne, soit il entraîne l'humanité dans sa destruction.

3. Le capitalisme constitue la dernière société de classes. La "théorie" défendue par le groupe "Socialisme ou Barbarie" ou par certaines scissions du trotskisme[14], annonçant l'avènement d'une "troisième société" ni capitaliste ni communiste, est une aberration du point de vue du marxisme qui souligne avec force que "les rapports de production bourgeois sont la dernière forme antagonique du processus social de production (…) Avec ce système social, c'est donc la préhistoire de la société humaine qui se clôt." (Ibid.)

Le marxisme a toujours posé en termes d'alternative le dénouement de l'évolution historique : soit la classe révolutionnaire s'impose et ouvre la voie vers le nouveau mode de production, soit la société tombe dans l'anarchie et la barbarie. Le Manifeste communiste montre comment la lutte de classe s'est manifestée à travers "une guerre ininterrompue, tantôt ouverte, tantôt dissimulée, une guerre qui finissait toujours soit par une transformation révolutionnaire de la société tout entière, soit par la destruction des deux classes en lutte".
"Contre toutes les erreurs idéalistes qui essayaient de séparer le prolétariat du communisme, Marx a défini ce dernier comme l'expression de "son mouvement réel" et a insisté sur le fait que les ouvriers "n'ont pas d'idéal à réaliser, mais à libérer les éléments de la nouvelle société dont la vieille société bourgeoise qui s'effondre est elle-même enceinte." (La guerre civile en France)[15]". La lutte de classe du prolétariat n'est pas "l'instrument" d'un "destin historique" (la réalisation du communisme). Dans l'Idéologie Allemande, Marx et Engels critiquent fortement une telle vision :

  • "L'histoire n'est pas autre chose que la succession des différentes générations dont chacune exploite les matériaux, les capitaux, les forces productives qui lui sont transmis par toutes les générations précédentes ; de ce fait, chaque génération continue donc, d'une part le mode d'activité qui lui est transmis, mais dans des circonstances radicalement transformées et d'autre part elle modifie les anciennes circonstances en se livrant à une activité radicalement différente ; ces faits on arrive à les dénaturer par la spéculation en faisant de l'histoire récente le but de l'histoire antérieure ; c'est ainsi par exemple qu'on prête à la découverte de l'Amérique cette fin : aider la Révolution française à éclater."

Ainsi, appliquée à l'analyse de la phase actuelle de l'évolution du capitalisme, la méthode marxiste permet de comprendre que, malgré son existence bien réelle, la Décomposition ne constitue pas un phénomène "rationnel" dans l'évolution historique. La Décomposition n'est en rien un maillon nécessaire dans la chaîne conduisant au communisme.

Au contraire, elle contient le danger d'une érosion progressive des bases matérielles de celui-ci. D'abord parce que la Décomposition signifie un lent processus d'anéantissement des forces productives jusqu'à un point où la construction du communisme devient désormais impossible : "On ne peut pas soutenir, comme le font les anarchistes par exemple, qu'une perspective socialiste resterait ouverte quand bien même les forces productives seraient en régression, en écartant toute considération relative à leur niveau. Le capitalisme représente une étape indispensable et nécessaire à l'instauration du socialisme dans la mesure où il parvient à en développer suffisamment les conditions objectives. Mais, de même qu'au stade actuel - et c'est l'objet de la présente étude - il devient un frein au développement des forces productives, de même la prolongation du capitalisme, au-delà de ce stade, doit entraîner la disparition des conditions du socialisme[16]". Ensuite, parce qu'elle érode les bases de l'unité et de l'identité de classe du prolétariat : "Le processus de désintégration apporté par un chômage massif et prolongé, en particulier parmi les jeunes, par l'éclatement des concentrations ouvrières traditionnellement combatives de la classe ouvrière dans le cœur industriel, tout cela renforce l'atomisation et la concurrence entre les ouvriers (…) La fragmentation de l'identité de classe dont nous avons été témoins durant la dernière décennie en particulier ne constitue en aucune façon une avancée mais est une claire manifestation de la décomposition qui comporte de profonds dangers pour la classe ouvrière[17]".

La lutte de classe, moteur de l'histoire

L'étape historique de la Décomposition porte en elle la menace d'anéantissement des conditions de la révolution communiste. En ce sens elle n'est pas différente d'autres étapes de la décadence du capitalisme où a existé aussi une telle menace mise en évidence par les révolutionnaires. Par rapport à celles-ci, il existe cependant un certain nombre de différences :

1. La guerre pouvait déboucher sur une reconstruction, alors que le processus de destruction de l'humanité, sous les effets de la Décomposition, bien que lent et sournois, est irréversible[18] ;

2. La menace de destruction était liée à l'éclatement d'une troisième guerre mondiale, alors qu'aujourd'hui, dans la Décomposition, différentes causes (les guerres locales, la destruction de l'équilibre écologique, la lente érosion des forces productives, l'effondrement progressif des infrastructures productives, la destruction graduelle des rapports sociaux) agissent de façon plus ou moins simultanée en tant que facteurs de destruction de l'humanité ;

3. La menace de destruction se présentait sous la forme brutale d'une nouvelle guerre mondiale, alors qu'aujourd'hui elle revêt désormais une allure moins visible, plus insidieuse, beaucoup plus difficile à cerner : "dans le contexte de la décomposition, la "défaite" du prolétariat peut être plus graduelle, plus insidieuse, et bien moins facile à contrecarrer" [Voir note (*) en fin d'article].

4. Le fait que la décomposition soit le facteur central de l'évolution de toute la société signifie, comme nous l'avons déjà évoqué, qu'elle a un impact direct et plus permanent sur le prolétariat à tous les niveaux : la prise de conscience, l'unité, la solidarité, etc.

Cependant, "la mise en évidence des dangers considérables que fait courir à la classe ouvrière et à l'ensemble de l'humanité le phénomène historique de la décomposition ne doit pas conduire la classe, et particulièrement ses minorités révolutionnaires, à adopter face à lui une attitude fataliste[19]". En effet :

  • le prolétariat n'a pas subi des défaites importantes et sa combativité reste intacte ;
  • le même facteur qui constitue la cause fondamentale de la décomposition -l'aggravation inexorable de la crise- constitue aussi "le stimulant essentiel de la lutte et de la prise de conscience de la classe, la condition même de sa capacité à résister au poison idéologique du pourrissement de la société[20]".

Mais, dans la mesure où seule la révolution communiste est à même d'écarter définitivement la menace que fait peser la décomposition sur l'humanité, les luttes ouvrières de résistance aux effets de la crise ne peuvent y suffire. En effet, la conscience de la crise, en elle-même, ne peut pas résoudre les problèmes et les difficultés que le prolétariat affronte et devra de plus en plus confronter. C'est pourquoi il devra développer :

  • "La conscience des enjeux considérables de la situation historique présente, en particulier les dangers mortels que fait courir la décomposition à l'humanité ;
    Sa détermination à poursuivre, développer et unifier son combat de classe ;
    Sa capacité à déjouer les multiples pièges qu'une bourgeoisie, même affectée par sa propre décomposition, ne manquera pas de semer sur son chemin.
    [21]".

La décomposition oblige le prolétariat à affûter les armes de sa conscience, de son unité, de sa confiance en lui-même, de sa solidarité, de sa volonté et de son héroïsme, ce que Trotski appelait les facteurs subjectifs et dont il a souligné, dans son Histoire de la Révolution Russe, l'énorme importance qu'ils eurent dans cet évènement historique. Sur tous les fronts de la lutte de classe du prolétariat (Engels parlait de trois fronts : économique, politique et théorique), les révolutionnaires et les minorités les plus avancées du prolétariat devront cultiver et développer en profondeur et en extension ces qualités.

La phase de décomposition révèle que, des deux facteurs qui régissent l'évolution historique - le mécanisme économique et la lutte de classes - le premier est plus que mûr et contient le danger d'anéantissement de l'humanité. De ce fait, le deuxième facteur devient décisif. Plus que jamais, la lutte de classe du prolétariat est le moteur de l'histoire. La conscience, l'unité, la confiance, la solidarité, la volonté et l'héroïsme, qualités que le prolétariat est capable de hisser dans la lutte de classe à un niveau complètement différent et supérieur aux autres classes de l'histoire, sont les forces qui, développées au plus haut degré, lui permettront de surmonter les dangers contenus dans la Décomposition et d'ouvrir la voie à la libération communiste de l'humanité.

C. Mir

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(*) Dans un tract intitulé "Questions aux militants et sympathisants du CCI actuel" et distribué à la porte de nos réunions publiques ainsi que dans la manifestation pacifiste du 20 mars à Paris, le groupe parasitaire autoproclamé "Fraction interne du CCI" (composé de quelques ex-membres de notre organisation) commente des extraits de la résolution sur la situation internationale adoptée par notre 15e congrès international.

Premier extrait : "Bien que la décomposition du capitalisme soit le résultat de cet écart historique entre les classes, cette situation ne peut pas demeurer statique. La crise économique (…) continue à s'approfondir, mais contrairement à la période de 1968 à 1989, alors que l'issue de ces contradictions de classe ne pouvait être que la guerre ou la révolution, la nouvelle période ouvre la voie à une troisième possibilité : la destruction de l'humanité, non au travers d'une guerre apocalyptique, mais au travers d'une avance graduelle de la décomposition, qui pourrait au bout d'un temps saper la capacité du prolétariat à répondre comme une classe, et pourrait également rendre la planète inhabitable dans une spirale de guerres régionales et de catastrophes écologiques. Pour mener une guerre mondiale, la bourgeoisie devrait commencer par affronter directement et défaire les principaux bataillons de la classe ouvrière, et ensuite les mobiliser pour marcher avec enthousiasme derrière les bannières et l'idéologie de nouveaux blocs impérialistes ; dans le nouveau scénario, la classe ouvrière pourrait être battue d'une manière moins ouverte et moins directe, simplement en n'arrivant pas à répondre à la crise du système et en se laissant de plus en plus entraîner dans la spirale de la décadence." [les soulignés sont de la FICCI]

Commentaire de la FICCI : "C'est l'introduction clairement opportuniste d'une "troisième voie", opposée à la thèse classique du marxisme d'une alternative historique. Comme chez Bernstein, Kautsky et leurs épigones, l'idée même de troisième voie s'oppose à l'alternative historique, "simpliste" selon l'opportunisme, de "guerre ou révolution". Il s'agit là de l'affirmation explicite, ouverte, de la révision d'une thèse classique du mouvement ouvrier…"

Deuxième citation de notre résolution : "Ce qui a changé avec la décomposition, c'est la possible nature d'une défaite historique, qui peut ne pas venir d'un heurt frontal entre les classes principales, mais d'un lent reflux des capacités du prolétariat à se constituer en classe, auquel cas le point de non-retour serait plus difficile à discerner, comme ce serait le cas avant toute catastrophe définitive. C'est le danger mortel auquel la classe est confrontée aujourd'hui."

Commentaire de la FICCI : "Ici s'exprime la tendance opportuniste, révisionniste qui "liquide" la lutte des classes."

En fait, ce qui s'exprime dans ces lignes de la FICCI c'est la volonté délibérée de ce regroupement de nuire à notre organisation (faute de pouvoir la détruire) par tous les moyens. Effectivement, les membres de la FECCI, qui après plusieurs décennies de militantisme au sein de notre organisation ont perdu leurs convictions communistes et ont juré la perte du CCI, sont prêts aux pires bassesses pour parvenir à leurs fins : le vol, le mouchardage auprès de la police (voir à ce sujet notre article "Les méthodes policières de la FICCI", sur notre site Internet et dans notre presse territoriale) et, évidemment, le mensonge le plus éhonté. Le CCI n'a nullement "révisé" ses positions depuis que les chevaliers blancs de la FICCI ne sont plus là pour l'empêcher de "dégénérer".

C'est ainsi que le 13e congrès du CCI a adopté, avec le plein soutien des militants qui allaient plus tard former la FICCI, un rapport sur la lutte de classe où l'on peut lire : "Les dangers contenus dans la nouvelle période pour la classe ouvrière et l'avenir de ses luttes ne peuvent être sous-estimées. Si le combat de la classe ouvrière a clairement barré la voie à la guerre mondiale dans les années 1970 et 1980, il ne peut stopper ni ralentir le processus de décomposition. Pour engager une guerre mondiale, la bourgeoisie aurait dû infliger une série de défaites majeures aux bataillons centraux de la classe ouvrière. Aujourd'hui, le prolétariat est confronté à une menace à plus long terme mais non moins dangereuse d'une 'mort à petit feu' où la classe ouvrière serait toujours plus écrasée par ce processus de décomposition jusqu'à perdre sa capacité à s'affirmer en tant que classe, tandis que le capitalisme s'enfonce de catastrophe en catastrophe (guerres locales, catastrophes écologiques, famine, etc.)." (Revue internationale n° 99)

De même, dans le rapport sur la lutte de classe adopté par le 14e congrès du CCI au printemps 2001 (avec le soutien des mêmes futurs membres de la FICCI) on peut lire : "… cette évolution… a créé une situation dans laquelle les bases d'une nouvelle société pourraient être sapées sans guerre mondiale et donc sans la nécessité de mobiliser le prolétariat en faveur de la guerre. Dans le précédent scénario, c'est une guerre nucléaire mondiale qui aurait définitivement compromis la possibilité du communisme (…). Le nouveau scénario envisage la possibilité d'un glissement plus lent mais non moins mortel dans un état où le prolétariat serait fragmenté au-delà de toute réparation possible et où les bases naturelles et économiques pour la transformation sociale seraient également ruinées à travers un accroissement des conflits militaires locaux et régionaux, les catastrophes écologiques et l'effondrement social." (Revue internationale n° 107)

Quant à la résolution adoptée par ce congrès, elle évoque dans son point 13 "le danger que le processus de décomposition le plus insidieux pourrait submerger la classe sans que le capitalisme ait à lui infliger une défaite frontale" (Revue internationale n° 106).

Faut-il croire que les glorieux défenseurs du "vrai CCI" (comme ils se définissent) dormaient quand ces documents ont été adoptés ou que leur bras s'est levé machinalement pour leur apporter un soutien. Il faut alors considérer qu'ils ont dormi pendant plus de 11 ans puisque dans un rapport adopté en janvier 1990 par l'organe central du CCI (et que ces éléments avaient soutenu sans la moindre réserve) on pouvait lire : "Même si la guerre mondiale ne saurait, à l'heure actuelle, et peut être de façon définitive, constituer une menace pour la vie de l'humanité, cette menace peut très bien provenir, comme on l'a vu, de la décomposition de la société. Et cela d'autant plus que si le déchaînement de la guerre mondiale requiert l'adhésion du prolétariat aux idéaux de la bourgeoisie (…) la décomposition n'a nul besoin d'une telle adhésion pour détruire l'humanité." (Revue internationale n° 61)


[1] Pour notre part, nous avons consacré de nombreux articles de notre presse à la critique de ce que nous considérons être de telles visions erronées, à commencer par l'aberration que constitue cette "innovation" par rapport au marxisme appelée paradoxalement "l'invariance". Au nom de celle-ci, le courant bordiguiste (appartenant comme le CCI au courant de la Gauche communiste) se refuse dogmatiquement à reconnaître la réalité d'une évolution en profondeur de la société capitaliste depuis 1848, et donc l'entrée de ce système dans sa période de décadence (cf. l'article "Le rejet de la notion de décadence" dans la Revue internationale n°77 et 78).

[2] Il s'agit des articles suivants : "War and the ICC" (La guerre et le CCI) dans Revolutionary Perspectives (RP) 24, "Workers' Struggles in Argentina: Polemic with the ICC" (Luttes ouvrières en Argentine : polémique avec le CCI) dans Internationalist Communist 21 et "Imperialism's New World Order" (Le nouvel ordre mondial de l'impérialisme) dans RP 27.

[3] Voir les numéros suivants de la Revue internationale : 48, 49, 50, 54, 55 et 56.

[4] "Thèses sur la décomposition", point 3, Revue internationale nº 62 et 107.

[5] Ibid.

[6] Ibid.

[7] Lorsque nous faisons référence à la Décomposition au moyen d'un nom propre, nous nous référons à la phase de la décomposition, laquelle constitue une notion distincte du phénomène de décomposition. Ce dernier, comme nous l'avons vu, accompagne tout processus de décadence, de façon plus ou moins marquée, et devient dominant dans la phase de décomposition.

[8] "Thèses sur la décomposition", point 5, Revue internationale nº 62 et 107 [27].

[9] Nous sommes bien conscients que le fait qu'une idée ait été mise en avant par le courant de la Gauche communiste d'Italie ne lui confère pas d'emblée aux yeux du lecteur un caractère marxiste irréfutable. Cependant, il devrait faire réfléchir les camarades et sympathisants des organisations qui aujourd'hui se réclament de ce courant historique, telles que le BIPR ou les différents groupes nommés Parti communiste international.

[10] Voir l'article "Le prolétariat dans le capitalisme décadent" dans la Revue internationale n° 23

[11] Voir, entre autres, l'article "Pourquoi le prolétariat n'a pas encore renversé le capitalisme ?" ; Revue internationale numéros 103 et 104.

[12] ) Rapport sur la lutte de classe - le concept de cours historique dans le mouvement révolutionnaire, adopté par le 14ème Congrès du CCI ; Revue internationale nº 107.

[13] Lénine : La lutte pour le pain (discours prononcé par Lénine au C.C.E Panrusse des Soviets) Cité par Bilan n°6.

[14] Burnham et sa théorie de la nouvelle classe "managériale".

[15] "Le prolétariat dans le capitalisme décadent", Revue internationale n° 23.

[16] "L'évolution du capitalisme et la nouvelle perspective", Gauche communiste de France, Internationalisme nº 46 de mai 1952, republié dans la Revue internationale n° 21.

[17] Rapport sur la lutte de classe adopté par le 14ème Congrès du CCI, Revue internationale nº 107.

[18] La période de la "guerre froide" avec sa course démentielle aux armements nucléaires a marqué déjà la fin de toute possibilité de reconstruction suite au déchaînement d'une troisième guerre mondiale.

[19] "Thèses sur la décomposition", point 17, Revue internationale nº 62 et 107.

[20] Ibid

[21] Ibid

 

Vie du CCI: 

  • Polémique [28]

Questions théoriques: 

  • Décomposition [29]

Rubrique: 

Question de la décomposition

Révoltes 'populaires' en Amérique latine : L'indispensable autonomie de classe du prolétariat

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L'explosion massive de luttes ouvrières en Mai 68 en France, suivie par les mouvements en Italie, en Grande-Bretagne, en Espagne, en Pologne et ailleurs mettait fin à la période de contre-révolution qui avait pesé si lourdement sur la classe ouvrière internationale depuis la défaite de la vague révolutionnaire de 1917-23. Le géant prolétarien s'est redressé sur la scène de l'histoire. Et pas seulement en Europe. Ces luttes ont eu un écho immense en Amérique latine, à commencer par le "Cordobaza" en Argentine en 1969. Entre 1969 et 1975, dans toute la région, du Chili, au Sud, jusqu'au Mexique à la frontière avec les Etats-Unis, les travailleurs ont mené un combat intransigeant contre les tentatives de la bourgeoisie de leur faire payer la crise économique. Et dans les vagues de luttes qui ont suivi, celle de 1977 à 1980 culminant dans la grève de masse en Pologne, celle de 1983 à 1989 marquée par des mouvements massifs en Belgique, au Danemark et d'importantes luttes dans de nombreux autres pays, le prolétariat d'Amérique latine a continué à lutter, même si cela n'a pas été de façon aussi spectaculaire, montrant ainsi que, quelles que soient les différences de conditions, la classe ouvrière mène un seul et même combat contre le capitalisme, qu'elle est une seule et même classe internationale.

Aujourd'hui, ces luttes en Amérique latine ressemblent à un rêve lointain. La situation sociale actuelle dans la région n'est pas marquée par des luttes massives, des manifestations et des confrontations armées entre le prolétariat et les forces de répression, mais par une instabilité sociale généralisée. Le "soulèvement" en Bolivie en octobre 2003, les manifestations de rue massives qui ont conduit cinq fois en quelques jours à un changement de présidence en Argentine en décembre 2001, la "révolution populaire" de Chavez au Venezuela, la lutte hautement médiatisée des Zapatistes au Mexique, ces événements et d'autres, similaires, ont dominé la scène sociale. Dans ce tourbillon de mécontentement populaire, de révolte sociale contre la paupérisation et la misère qui se répand, la classe ouvrière apparaît comme une couche mécontente parmi d'autres qui devrait, pour avoir une chance quelconque de se défendre contre l'aggravation de sa situation, participer et se fondre dans la révolte des autres couches opprimées et appauvries de la société. Face à ces difficultés que rencontre la lutte de classe, les révolutionnaires ne doivent pas baisser les bras mais maintenir la défense intransigeante de l'indépendance de classe du prolétariat.

"L'autonomie du prolétariat face à toutes les autres classes de la société est la condition première de l'épanouissement de sa lutte vers le but révolutionnaire. Toute les alliances, et particulièrement celles avec des fractions de la bourgeoisie, ne peuvent aboutir qu'à son désarmement devant son ennemi en lui faisant abandonner le seul terrain où il puisse tremper ses forces : son terrain de classe" (Point 9 de la Plate-forme du CCI).

Car seule la classe ouvrière est la classe révolutionnaire, seule elle porte une perspective pour toute l'humanité et alors qu'aujourd'hui elle est entourée de toutes parts par les manifestations de la décomposition sociale croissante du capitalisme moribond, qu'elle éprouve de grandes difficultés à imposer sa lutte comme classe autonome ayant des intérêts propres à défendre, plus que jamais il faut rappeler ce qu'écrivait Marx : "Il ne s'agit pas de savoir quel but tel ou tel prolétaire, ou même le prolétariat tout entier, se représente momentanément. Il s'agit de savoir ce que le prolétariat est et ce qu'il sera obligé historiquement de faire, conformément à cet être." (La Sainte Famille).

La classe ouvrière en Amérique latine de 1969 à 1989

L'histoire de la lutte de classe en Amérique latine ces 35 dernières années fait partie du combat de la classe ouvrière internationale ; il a été émaillé de luttes âpres, de confrontations violentes avec l'Etat, de victoires temporaires et d'amères défaites. Les mouvements spectaculaires de la fin des années 1960 et du début des années 1970 ont ouvert la voie à des luttes plus difficiles et tortueuses, où la question de fond, comment défendre et développer l'autonomie de classe, s'est trouvé posée avec encore plus d'acuité.

La lutte des ouvriers de la ville industrielle de Cordoba en 1969 a été particulièrement importante. Elle a donné lieu à une semaine de confrontation armée entre le prolétariat et l'armée argentine, et a constitué un formidable stimulant aux luttes à travers l'Argentine, l'Amérique latine et le monde. Elle a été le début d'une vague de luttes qui a culminé en Argentine en 1975, avec la lutte des métallurgistes de Villa Constitución, le centre de production d'acier le plus important du pays. Les travailleurs de Villa Constitución ont été confrontés à la pleine puissance de l'Etat, la classe dominante souhaitant faire un exemple de l'écrasement de leur lutte. Il en est résulté un très haut niveau de confrontation entre bourgeoisie et prolétariat : "La ville a été placée sous l'occupation militaire de 4.000 hommes... Le ratissage systématique de chaque quartier et l'emprisonnement d'ouvriers (...) ne firent que provoquer la colère des ouvriers: 20.000 travailleurs de la région se sont mis en grève et ont occupé les usines. Malgré des assassinats et le bombardement de maisons ouvrières, un Comité de Lutte s'est immédiatement créé en dehors du syndicat. A quatre reprises, la direction de la lutte a été emprisonnée ; mais à chaque fois, le Comité resurgissait, plus fort qu'avant. Comme à Cordoba en 1969, des groupes d'ouvriers armés ont pris en charge la défense des quartiers ouvriers et ont mis fin aux activités des bandes paramilitaires.

L'action des ouvriers sidérurgistes et métallurgistes qui demandaient une augmentation de salaire de 70% a rapidement bénéficié de la solidarité des travailleurs d'autres entreprises du pays, à Rosario, Cordoba et Buenos Aires. Dans cette dernière ville, par exemple, les ouvriers de Propulsora, qui étaient entrés en grève par solidarité et avaient arraché toutes les augmentations de salaires qu'ils exigeaient (130.000 pesos par mois), ont décidé de donner la moitié de leur salaire aux ouvriers de Villa Constitución" ("L'Argentine six ans après Cordoba", World Revolution n°1 1975, pages 15-16).

De même, c'est en défense de leurs propres intérêts de classe que les ouvriers au Chili, au début des années 1970, ont refusé les sacrifices que leur demandait le gouvernement d'Unité Populaire d'Allende : "La résistance de la classe ouvrière à Allende a commencé en 1970. En décembre 1970, 4 000 mineurs de Chuquicamata se mettaient en grève, exigeant des salaires plus élevés. En juillet 1971, 10 000 mineurs cessaient le travail à la mine Lota Schwager. Quasiment en même temps, de nouvelles grèves se répandent dans les mines de El Salvador, El Teniente, Chuquicamata, La Exotica et Rio Blanco, demandant des augmentations de salaires... En mai-juin 1973, les mineurs se remettaient en mouvement. 10 000 d'entre eux partaient en grève dans les mines de El Teniente et Chuquicamata. Les mineurs de El Teniente exigeaient une augmentation de 40%. C'est Allende qui a placé les provinces de O'Higgins et de Santiago sous contrôle militaire, parce que la paralysie de El Teniente constituait une sérieuse menace pour l'économie" ("La chute irrésistible d'Allende", World Revolution n° 268).

Des luttes importantes se sont déroulées également dans d'autres concentrations prolétariennes significatives d'Amérique latine. Au Pérou en 1976, des grèves semi-insurrectionnelles éclataient à Lima et étaient écrasées dans le sang. Quelques mois après, les mineurs de Centramin se mettaient en grève. En Equateur, avait lieu une grève générale à Riobamba. Au Mexique avait lieu une vague de luttes en janvier de la même année. En 1978, de nouveau des grèves générales au Pérou. Et au Brésil, après 10 ans de pause, 200 000 ouvriers métallurgistes se mettaient à la tête d'une vague de grèves qui dura de mai à octobre. Au Chili, en 1976, les grèves reprenaient chez les employés du métro de Santiago et dans les mines. En Argentine, malgré la terreur imposée par la junte militaire, des grèves éclataient à nouveau en 1976, dans l'électricité, l'automobile à Cordoba avec des affrontements violents avec les forces de l'armée. En Bolivie, au Guatemala, en Uruguay, toutes ces années ont également été marquées par la lutte de classe.

Durant les années 1980, le prolétariat d'Amérique latine a aussi pleinement participé à la vague internationale de luttes commencée en 1983 en Belgique. Parmi ces luttes, les plus avancées ont été marquées par des efforts déterminés de la part des travailleurs pour étendre le mouvement. Ce fut le cas, par exemple, en 1988, de la lutte des travailleurs de l'éducation au Mexique qui se battaient pour une augmentation de salaire : "La revendication des travailleurs de l'éducation posait depuis le début la question de l'extension des luttes, parce qu'il y avait un mécontentement généralisé contre les plans d'austérité. Même si le mouvement était en train de retomber au moment où commençait le mouvement dans le secteur de l'éducation, 30 000 employés du secteur public menaient des grèves et des manifestations en dehors du contrôle syndical, les travailleurs de l'éducation eux-mêmes ont reconnu la nécessité de l'extension et de l'unité : au début du mouvement, ceux du Sud de Mexico City ont envoyé des délégations à d'autres travailleurs de l'éducation, les appelant à rejoindre la lutte, et ils sont aussi descendus dans les rues pour manifester. De même, ils ont refusé de limiter la lutte aux seuls enseignants, regroupant tous les travailleurs de l'éducation (enseignants, travailleurs administratifs et manuels) dans des assemblées massives pour contrôler la lutte." ("Mexique : luttes ouvrières et intervention révolutionnaire", World Revolution n° 124, mai 1989).

Les mêmes tendances se sont manifestées dans d'autres parties de l'Amérique latine : "Même les médias bourgeois ont parlé d'une "vague de grèves" en Amérique latine, avec des luttes ouvrières éclatant au Chili, au Pérou, au Mexique... et au Brésil ; dans le dernier cas, il y a eu de la part des travailleurs des banques, des docks, de la santé et de l'éducation, des grèves et manifestations simultanées contre un gel des salaires." ("Le difficile chemin de l'unification de la lutte de classe", World Revolution n° 124, mai 1989).

De 1969 à 1989, la classe ouvrière d'Amérique latine, avec des avancées et des reculs, avec des difficultés et des faiblesses, a montré qu'elle s'inscrivait pleinement dans la reprise historique de la lutte internationale de la classe ouvrière.

L'effondrement du mur de Berlin et le raz-de-marée de la propagande bourgeoise sur la " mort du communisme", qui l'a suivi, ont engendré un profond recul des luttes ouvrières à l'échelle internationale dont la caractéristique essentielle a été la perte de son identité de classe par le prolétariat. Sur les fractions du prolétariat des pays de la périphérie, comme en Amérique du Sud, ce recul a eu des effets d'autant plus délétères que le développement de la crise et de la décomposition sociale entraîne des masses paupérisées, opprimées et miséreuses dans des révoltes interclassistes, ce qui leur rend encore plus difficile la tâche de s'affirmer comme classe autonome et de garder des distances face aux révoltes et aux expériences de pouvoir "populaire".

Les effets nocifs de la décomposition capitaliste et les révoltes interclassistes

L'effondrement du bloc de l'Est, lui-même produit de la décomposition du capitalisme, a constitué un considérable accélérateur de celle-ci au niveau mondial, sur fond de crise économique aggravée. L'Amérique latine a été frappée de plein fouet. Des dizaines de millions de personnes ont été contraintes de se déplacer des campagnes vers les bidonvilles des principales cités, dans une recherche désespérée d'emplois inexistants alors que, dans le même temps, des millions de jeunes travailleurs étaient exclus du processus du travail salarié. Un tel phénomène, qui est à l'œuvre depuis 35 ans, a connu un aggravation brutale ces dix dernières années conduisant des masses de la population, non exploiteuse ni salariée, à crever de faim et à vivre au jour le jour en marge de la société.

En Amérique latine, 221 millions de personnes (41% de la population) vivent dans la pauvreté. Ce nombre a augmenté de 7.millions rien que pour l'an dernier (parmi ceux-ci, 6 millions ont plongé dans une pauvreté extrême) et de 21 millions depuis 1990. Actuellement, 20% de la population latino-américaine vit dans l'extrême pauvreté (Commission Economique pour l'Amérique latine et les Caraïbes - ECLAC).

L'aggravation de la décomposition sociale voit son pendant dans la croissance de l'économie informelle, des petits métiers et du commerce de rue. La pression de ce secteur varie en fonction de la puissance économique du pays. En Bolivie, en 2000, le nombre de personnes ainsi "à leur compte" a dépassé le nombre total des salariés (47,8% contre 44,5% de la population active) ; alors qu'au Mexique, le chiffre était de 21%, contre 74,4% (ECLAC).

Dans tout le continent, 128 millions de personnes, soit 33% de la population urbaine, vivent dans des taudis (ONU : les taudis gonflent une "bombe à retardement", 6 octobre 2003).

Ces millions d'êtres humains sont confrontés à une quasi-absence de système sanitaire ou d'électricité, et leurs vies sont empoisonnées par le crime, les drogues et les gangs. Les taudis de Rio sont, depuis des années, le champ de bataille de gangs rivaux, une situation dépeinte dans le film La Cité de Dieu. Les ouvriers d'Amérique latine, particulièrement ceux qui vivent dans les taudis, sont aussi confrontés aux taux de criminalité les plus élevés du monde. Le déchirement des relations familiales a aussi conduit à une croissance énorme du nombre d'enfants abandonnés dans les rues.

Des dizaines de millions de paysans éprouvent de plus en plus de difficultés à arracher au sol des moyens de subsistance misérables. Pour survivre, ils sont conduits au défrichement sauvage de certaines zones tropicales, accélérant ainsi le processus de destruction de l'environnement dont les compagnies d'exploitation forestière sont les premières responsables. Cette solution n'offrant qu'un répit temporaire du fait de l'épuisement rapide du sol, il en résulte une spirale incontrôlée de déforestation.

L'accroissement de ces couches de miséreux a eu un impact important sur la capacité du prolétariat à défendre son autonomie de classe. Cela s'est révélé clairement à la fin des années 1980, quand des révoltes de la faim ont éclaté au Venezuela, en Argentine et au Brésil. En réponse à la révolte au Venezuela, qui a fait plus de mille morts et autant de blessés, nous mettions en garde contre le danger que de telles révoltes constituent pour le prolétariat. "Le facteur vital alimentant ce tumulte social était une rage aveugle, sans aucune perspective, accumulée au cours de longues années d'attaques systématiques contre les conditions de vie et de travail de ceux qui en ont encore un ; il exprimait la frustration de millions de sans-emploi, de jeunes qui n'ont jamais travaillé et qui sont impitoyablement poussés dans le marais de la lumpénisation par une société qui, dans les pays de la périphérie du capitalisme, est incapable d'offrir à ces éléments une quelconque perspective à leur vie...

Le manque d'orientation politique prolétarienne, ouvrant une perspective prolétarienne, a signifié que ce sont cette rage et cette frustration qui ont constitué la force motrice des émeutes, des incendies de véhicules, des confrontations impuissantes avec la police et, plus tard, du pillage des magasins d'alimentation et de matériel électrique. Le mouvement qui avait commencé comme une protestation contre le "paquet" de mesures économiques s'est donc rapidement désintégré en saccages et en destructions sans aucune perspective." ("Communiqué à l'ensemble de la classe ouvrière" publié dans, Internacionalismo, organe du CCI au Venezuela, republié dans World Revolution n°124, mai 1989).

Dans les années 1990, le désespoir des couches non exploiteuses a pu être utilisé de manière croissante par des parties de la bourgeoisie et de la petite-bourgeoisie. Au Mexique, les Zapatistes se sont montrés experts en la matière, avec leurs thèmes sur le "pouvoir populaire" et la représentation des opprimés. Au Venezuela, Chavez avait mobilisé les couches non exploiteuses, particulièrement les occupants des taudis, derrière l'idée d'une "révolution populaire" contre l'ancien régime corrompu.

Ces mouvements populaires ont eu un réel impact sur le prolétariat, en particulier au Venezuela, où subsiste le danger de voir certaines de ses parties embrigadées dans une guerre civile sanglante derrière des fractions rivales de la bourgeoisie.

L'aube du 21ème siècle n'a vu aucune diminution de l'impact destructeur du désespoir croissant des couches non exploiteuses. En décembre 2001, le prolétariat d'Argentine - un des plus anciens et des plus expérimentés de la région - a été pris dans la tourmente de la révolte populaire qui a conduit cinq présidents à accéder, puis à renoncer, au pouvoir en l'espace de quinze jours. En octobre 2003, le secteur principal du prolétariat en Bolivie, les mineurs, se sont trouvés entraînés dans une "révolte populaire" sanglante, menée par la petite-bourgeoisie et les paysans, qui a fait de nombreux morts et beaucoup de blessés, le tout au nom de la défense des réserves de gaz bolivien et de la légalisation de la production de coca !

Le fait que des parties significatives du prolétariat se retrouvent happées dans ces révoltes est de la plus grande importance, parce que cela révèle que la classe ouvrière a largement perdu son autonomie par la classe ouvrière. Au lieu de se considérer comme des prolétaires avec leurs propres intérêts, les ouvriers en Bolivie et en Argentine se sont vus comme des citoyens partageant des intérêts communs avec les couches petites-bourgeoises et non exploiteuses.

La nécessité absolue d'une clarté révolutionnaire

Avec l'aggravation de la situation, il y aura d'autres révoltes de ce type ou, comme cela a failli être le cas du Venezuela, il peut aussi y avoir des guerres civiles sanglantes, des massacres qui pourraient écraser idéologiquement et physiquement des parties importantes du prolétariat international. Face à cette sinistre perspective, il est du devoir des révolutionnaires de centrer leur intervention sur la nécessité pour le prolétariat de se battre pour défendre ses intérêts de classe spécifiques. Malheureusement, toutes les organisations révolutionnaires n'ont pas été à la hauteur de leurs responsabilités sur ce plan. Ainsi, le Bureau international pour le Parti révolutionnaire (BIPR), confronté à l'explosion de violence "populaire" en Argentine, a perdu toute boussole politique, prenant la réalité pour ce qu'elle n'était pas : "Spontanément, des prolétaires sont descendus dans la rue, attirant derrière eux des jeunes, des étudiants et des parties importantes de la petite-bourgeoisie prolétarisée qui sont paupérisées comme eux-mêmes. Ensemble, ils ont dirigé leur colère contre des sanctuaires du capitalisme : banques, bureaux, mais par-dessus tout supermarchés et magasins en général, qui ont été attaqués comme les boulangeries dans les émeutes du pain au Moyen-âge. Le gouvernement, espérant intimider les rebelles, n'a pas trouvé mieux à répondre que de déchaîner une répression sauvage, faisant des dizaines de morts et des milliers de blessés. Cela n'a pas mis fin à la révolte, mais l'a au contraire étendue au reste du pays, et lui a conféré un caractère de plus en plus classiste. Même les bâtiments gouvernementaux, monuments symboliques de l'exploitation et du pillage financier, ont été attaqués" ("Leçons d'Argentine : prise de position du BIPR : Soit le parti révolutionnaire et le socialisme, soit la pauvreté généralisée et la guerre" Internationalist Communist n°21, Automne/hiver 2002).

Plus récemment, face aux troubles sociaux en Bolivie qui ont culminé dans les massacres d'octobre 2003, Battaglia Comunista a publié un article soulignant les potentialités des "ayllu indiens" de Bolivie (conseils communaux) : "Les ayllu n'auraient pu jouer un rôle dans la stratégie révolutionnaire que s'ils avaient contrebalancé les institutions présentes par le contenu prolétarien du mouvement et dépassé leurs aspects archaïques et locaux, c'est-à-dire, seulement s'ils avaient agi comme un mécanisme efficace pour l'unité entre les Indiens, le prolétariat métis et blanc dans un front contre la bourgeoisie, au-delà de toute rivalité raciale... Les ayllu pouvaient être le point de départ de l'unification et de la mobilisation du prolétariat indien, mais en soi c'est insuffisant et trop précaire pour constituer la base d'une nouvelle société émancipée du capitalisme". Cet article de Battaglia Comunista date de novembre 2003, alors que venaient de se produire les événements sanglants d'octobre dans lesquels c'est précisément la petite-bourgeoisie indienne qui a entraîné le prolétariat, et en particulier les mineurs, dans une confrontation désespérée avec les forces armées. Une tuerie au cours duquel les ouvriers ont été sacrifiés pour que la bourgeoisie et la petite-bourgeoisie indienne puissent avoir une plus grosse part du gâteau, et se tailler la "part du lion" dans la redistribution du pouvoir et des profits sur base de l'exploitation des mineurs et des travailleurs ruraux. De l'aveu même de leurs dirigeants, tel Alvero Garcia, les Indiens en tant que tels ne font aucun rêve fumeux dans lequel les ayllu seraient le point de départ d'une "autre" société.

L'enthousiasme du BIPR pour les événements en Argentine est la conclusion logique de son analyse sur la "radicalisation de la conscience" des masses non-prolétariennes dans les pays de la périphérie : "La diversité des structures sociales, le fait que l'imposition du mode de production capitaliste renverse le vieil équilibre et que le maintien de son existence est basé sur, et se traduit par la misère croissante pour des masses grandissantes de prolétarisés et de déshérités, l'oppression politique et la répression qui sont donc nécessaires pour asservir les masses, tout cela conduit à un plus grand potentiel de radicalisation de la conscience dans les pays périphériques que dans les sociétés des métropoles... Dans beaucoup de ces pays (périphériques), l'intégration idéologique et politique de l'individu dans la société capitaliste n'est pas encore le phénomène de masse qu'il est dans les pays métropolitains." ("Thèses sur les tactiques communistes pour la périphérie du capitalisme", consultables sur le site du BIPR : www.ibrp.org [30][1]. Selon ce point de vue, les manifestations populaires violentes et massives doivent être vues comme quelque chose de positif. Une "révolte stérile et sans lendemain" dans un contexte où le prolétariat est submergé par une marée d'interclassisme, cela devient, dans l'imaginaire du BIPR, la concrétisation "de potentialités pour la radicalisation de la conscience." Ce point de vue du BIPR l'a rendu impuissant à tirer les réelles leçons d'événements comme ceux de décembre 2001 en Argentine.

Dans ses "Thèses" et dans ses analyses des situations concrètes, le BIPR commet deux erreurs - et de taille - assez communément répandues dans la mouvance gauchiste et alter-mondialiste. La première erreur, c'est la vision théorique selon laquelle les mouvements de défense des intérêts nationaux, bourgeois ou petit-bourgeois, directement antagoniques à ceux du prolétariat (comme les évènements récents en Bolivie ou les soulèvements de décembre 2001 en Argentine) peuvent se transformer en luttes prolétariennes. La deuxième erreur - bêtement empirique celle-ci - c'est d'imaginer que cette transformation miraculeuse a eu lieu dans la réalité, et de prendre des mouvements dominés par la petite bourgeoisie et les slogans nationalistes pour de véritables luttes prolétariennes.

Nous avons déjà polémiqué avec le BIPR sur son analyse politique des événements en Argentine dans un article de la Revue internationale n°109 ("Argentine : seul le prolétariat sur son propre terrain peut faire reculer la bourgeoisie"). A la fin de celui-ci, nous résumions ainsi notre position : "Notre analyse ne signifie nullement que nous méprisons ou sous-estimons les luttes du prolétariat en Argentine ou dans d'autres zones où le capitalisme est plus faible. Elle signifie simplement que les révolutionnaires, en tant qu'avant garde du prolétariat, ayant une vision claire de la marche générale du mouvement prolétarien dans son ensemble, ont la responsabilité de contribuer à faire en sorte que le prolétariat et ses minorités révolutionnaires aient, dans tous les pays, une vision plus claire et plus exacte de ses forces et de ses limites, de qui sont ses alliés et de comment orienter ses combats. Contribuer à cette perspective est la tâche des révolutionnaires. Pour l'accomplir, ils doivent résister de toutes leurs forces à la tentation opportuniste de voir, par impatience, par immédiatisme et manque de confiance historique dans le prolétariat, un mouvement de classe là où - comme ce fut le cas en Argentine, il n'y a eu qu'une révolte interclassiste.".

Le BIPR a répondu à notre critique (voir "Luttes ouvrières en Argentine: polémique avec le CCI" dans Internationalist Communist n°21, Automne/hiver 2002) en réaffirmant sa position selon laquelle le prolétariat a dirigé ce mouvement et en condamnant la position du CCI : "Le CCI souligne les faiblesses dans la lutte et pointe sa nature interclassiste et hétérogène, et sa direction gauchiste bourgeoise. Il se plaint de la violence au sein de la classe, et de la domination d'idéologies bourgeoises comme le nationalisme. Pour lui, ce manque de conscience communiste fait du mouvement une 'révolte stérile et dans lendemain‘". Il est clair que le BIPR n'a pas compris notre analyse, ou plutôt, l'interprète en fonction de ce qui l'arrange. Nous laissons le soin aux lecteurs de se pencher sur ces deux articles.

Contrairement à ce point de vue, le Nucleo Comunista Internationalista - groupe qui s'est constitué en Argentine à la fin de l'année 2003 analyse et tire des leçons tout à fait différentes de ces événements. Dans le deuxième numéro de son bulletin, le NCI polémique avec le BIPR sur la nature des événements en Argentine : "... le BIPR dit de façon erronée que le prolétariat a entraîné les étudiants et d'autres couches sociales derrière lui ; c'est une grossière erreur, et il la partage avec les camarades du GCI. Le fait est que les luttes ouvrières qui se sont déroulées durant l'année 2001 ont montré l'incapacité du prolétariat d'Argentine à assumer la direction non seulement de l'ensemble de la classe ouvrière, mais aussi à se mettre à la tête, comme "dirigeant", du mouvement social descendu dans les rues pour protester, tirant derrière lui l'ensemble des couches sociales non exploiteuses. Au contraire, ce sont les couches non-prolétariennes qui ont pris la tête des événements des 19 et 20 décembre ; dès lors, nous pouvons dire que le développement de ces mouvements n'avait pas d'avenir historique, et cela s'est démontré dans l'année qui a suivi" ("Deux ans après les 19 et 20 décembre 2001", Revolucion Comunista n°2).

Parlant de l'implication de prolétaires dans les saccages, le GCI[2] dit: "s'il existait une volonté de trouver de l'argent et par-dessus tout, d'en prendre le plus possible aux entreprises, aux banques..., il y avait plus que cela : c'était une attaque généralisée contre le monde de l'argent, la propriété privée, les banques et l'Etat, contre ce monde qui est une insulte à la vie humaine. Ce n'est pas seulement une question d'expropriation, mais aussi d'affirmation du potentiel révolutionnaire, le potentiel pour la destruction d'une société qui détruit les être humains." ("A propos de la lutte prolétarienne en Argentine", Comunismo n°49). S'inscrivant en contre d'une telle vision, le NCI présente une tout autre analyse de la relation entre ces événements et le développement de la lutte de classe : "Les luttes en Argentine dans la période 2001-2002 ne sont pas un événement isolé, elles étaient le produit de tout un développement que nous pouvons scinder en trois parties :

  • a) premier élément, en 2001: comme nous l'avons dit ci-dessus, 2001 a été marquée par une série de luttes ouvrières typiquement revendicatives, leur commun dénominateur étant l'isolement vis-à-vis des autres détachements du prolétariat, et l'empreinte de la contre-révolution : médiation produite par l'hégémonie de la direction politique de la bureaucratie syndicale.
    Cependant, malgré ces limites, d'importantes manifestations d'auto-organisation ouvrière ont vu le jour, comme celle des mineurs de Rio Turbio, dans le Sud du pays, Zan
    n à Neuguen, Norte de Salta dans l'unité avec les ouvriers du bâtiment et les ex-travailleurs du secteur pétrolier, au chômage. Ces petits détachements d'ouvriers étaient l'avant-garde avançant la nécessité de l'unité de la classe ouvrière et des prolétaires au chômage.
  • b) deuxièmement, il y a eu spécifiquement les deux journées des 19 et 20 décembre qui, répétons-le, n'étaient pas une révolte menée par des sections de la classe ouvrière, ni par des ouvriers au chômage, mais une révolte interclassiste ; la petite-bourgeoisie était l'élément central dans tout ceci, puisque les attaques économiques du gouvernement De La Rua étaient directement dirigées contre ses intérêts, et contre la base électorale et le soutien politique qu'elle fournissait à ce même gouvernement, au travers du décret de décembre 2001 gelant les comptes en banque...
  • c) troisièmement, il faut être prudent et se garder de fétichiser les soi-disant assemblées populaires, qui ont pris la tête du mouvement dans les quartiers petits-bourgeois de Buenos-Aires loin des concentrations et des quartiers ouvriers. Cependant, il y avait à ce moment-là un développement des luttes très modeste sur le terrain ouvrier, et celles-ci continuaient à grossir : ouvriers municipaux et enseignants manifestaient, exigeant le paiement de leurs salaires, des ouvriers industriels luttaient contre des licenciements orchestrés par les organisations patronales (par exemple, les chauffeurs de camions).

C'est à ce moment que les ouvriers, au travail ou au chômage, ont été confrontés à la possibilité non seulement d'une réelle unité, mais aussi de semer les graines d'une organisation autonome de la classe ouvrière. Contre cela, la bourgeoisie a essayé de diviser et de dévoyer le prolétariat, et cela s'est fait avec la complicité de la nouvelle bureaucratie des piqueteros, jetant aux orties l'expérience qui avait été une arme importante dans les mains du prolétariat, comme c'était le cas avec la prétendue Assemblée Nationale des ouvriers au travail et au chômage.

Pour ces raisons, nous pensons que c'est une erreur d'identifier les luttes qui se sont développées en 2001 et 2002 avec les événements des 19 et 20 décembre 2001, car ils diffèrent l'un de l'autre, et l'un n'est pas la conséquence de l'autre.

Les événements des 19 et 20 décembre n'avaient absolument aucun caractère prolétarien, puisqu'ils n'étaient pas dirigés par le prolétariat ni par les chômeurs ; ces derniers ont plutôt cédé aux slogans et aux intérêts de la petite-bourgeoisie de Buenos-Aires, qui sont radicalement différents des buts, des objectifs du prolétariat...

Il est fondamental de dire cela, parce que dans cette période de décadence capitaliste, le prolétariat court le risque de perdre son identité de classe et sa confiance comme sujet de l'histoire et comme force décisive de la transformation sociale. C'est le résultat du recul de la conscience prolétarienne, lui-même résultant de l'explosion du bloc stalinien et du poids sur la pensée des ouvriers de la propagande capitaliste sur la défaite de la lutte de classe. En plus de cela, la bourgeoisie a inculqué l'idée qu'il n'existait plus d'antagonismes de classe, les gens étant plutôt unis ou divisés selon qu'ils ont été intégrés au marché ou exclus de celui-ci. Elle essaye donc d'effacer la rivière de sang qui sépare le prolétariat de la bourgeoisie.

Ce danger s'est vu en Argentine pendant les événements des 19 et 20 décembre 2001, où la classe a été incapable de se transformer en une force autonome luttant pour ses propres intérêts de classe, et s'est au contraire faite happer par le tourbillon de la révolte interclassiste sous la direction de couches sociales non-prolétariennes..."

Le NCI place les événements de Bolivie dans le même cadre : "Il faut d'abord saluer et soutenir totalement les ouvriers boliviens en lutte, mais il est ensuite nécessaire de clarifier le fait que la combativité de la classe n'est pas le seul critère pour déterminer le rapport de forces entre la bourgeoisie et le prolétariat, puisque la classe ouvrière de Bolivie n'a pas été capable de développer un mouvement massif et unifié qui aurait pu attirer derrière lui le reste des secteurs non exploiteurs de la société. C'est en fait le contraire qui s'est produit : ce sont les paysans et la petite-bourgeoisie qui ont conduit cette révolte.

Cela signifie que la classe ouvrière bolivienne s'est diluée dans un "mouvement populaire" interclassiste, et nous affirmons cela pour plusieurs raisons :

  • a) parce que c'était la paysannerie qui dirigeait cette révolte avec deux objectifs clairs : la légalisation de la cocaïne et le refus de la vente de gaz aux Etats-Unis ;
  • b) à cause de l'utilisation de la revendication d'une assemblée constituante comme moyen de sortir de la crise et de "reconstruire la nation" ;
  • c) et parce que nulle part, ce mouvement n'a mis en avant la lutte contre le capitalisme.

Les événements en Bolivie comportent une grande similitude avec ceux d'Argentine en 2001, où le prolétariat a également été submergé par les slogans de la petite-bourgeoisie. Ces "mouvements populaires" ont en fait recouvert un aspect assez réactionnaire, mettant en avant des slogans comme la reconstruction de la nation, ou l'expulsion des "gringos" et le retour des ressources naturelles à l'Etat bolivien ...

(...) Les révolutionnaires doivent parler clairement et se baser sur des faits concrets de la lutte de classe, sans illusion et sans se tromper. Il est nécessaire d'adopter une position prolétarienne révolutionnaire et, par conséquent, ce serait une sérieuse erreur de confondre ce qu'est une révolte sociale à l'horizon politique étroit avec un combat prolétarien anti-capitaliste" ("La révolte bolivienne", Revolucion Comunista n°1).

Cette analyse du NCI qui s'appuie sur des faits réels met clairement en évidence que le BIPR prend ses désirs pour la réalité quand il avance l'idée de "radicalisation de la conscience" parmi les couches non exploiteuses. La réalité concrète de la situation dans la périphérie est la destruction croissante des relations sociales, la propagation du nationalisme, du populisme et d'autres idéologies réactionnaires similaires, tout ceci ayant un impact très sérieux sur la capacité du prolétariat à défendre ses intérêts de classe.

Heureusement, cette réalité semble néanmoins ne pas passer totalement inaperçue de certaines publications du BIPR. En effet, le numéro 30 de Revolutionary Perspectives (organe de la Comunist Worker Organisation, groupe du BIPR en Grande-Bretagne) présente une image bien plus proche de la réalité des événements en Argentine et en Bolivie dans son éditorial "Les tensions impérialistes s'intensifient, la lutte de classe doit s'intensifier": "Comme dans le cas de l'Argentine, ces protestations étaient interclassistes et sans objectif social clair, et seront contenues par le capital. Nous avons vu cela dans le cas de l'Argentine, où l'agitation violente d'il y a deux ans avait ouvert la voie à l'austérité et à la paupérisation (...). Alors que l'explosion de la révolte démontre la colère et le désespoir de la population dans beaucoup de pays périphériques, de telles explosions ne peuvent trouver d'issue à la situation sociale catastrophique qui y existe. Le seul moyen d'avancer est de revenir à la lutte classe contre classe et de la lier aux luttes des ouvriers des métropoles.".

Cependant, l'article ne dénonce malheureusement pas le rôle du nationalisme ou de la petite-bourgeoisie indienne en Bolivie. Si bien que la position officielle du BIPR sur cette question demeure nécessairement celle défendue dans Battaglia Comunista selon laquelle "les ayllu pouvaient être le point de départ de l'unification et de la mobilisation du prolétariat indien". La réalité est que les ayllu ont été le point de départ pour la mobilisation des prolétaires d'origine indienne derrière la petite-bourgeoisie indienne, les paysans et les planteurs de coca dans leur lutte contre la fraction de la bourgeoisie au pouvoir.

Cette aberration de Battaglia Comunista attribuant des potentialités aux "conseils communaux indiens" dans le développement de la lutte de classe n'est pas passée inaperçue du NCI qui a jugé nécessaire d'écrire à cette organisation sur cette question. Après avoir rappelé ce que sont les "ayllu", "un système de caste dédié à maintenir les différences sociales entre la bourgeoisie, qu'elle soit blanche, métisse ou indigène, et le prolétariat", le NCI dans sa lettre (en date du 14 novembre 2003) adresse la critique suivante à Battaglia :

"A notre avis, cette position est une erreur grave, dans la mesure où elle tend à donner à cette institution traditionnelle indigène la capacité d'être le point de départ des luttes ouvrières en Bolivie, même si elles déterminent par la suite les limites de celles-ci. Nous considérons que ces appels de la part des leaders de la révolte populaire à la reconstitution du mythique ayllu ne sont rien de moins que la mise en place de différences factices entre les secteurs blancs et indigènes de la classe ouvrière, comme l'est aussi le fait d'exiger des classes dominantes une part du gâteau constitué grâce à la plus-value réalisée sur le dos du prolétariat bolivien sans distinction alors de caractère ethnique.

Mais nous croyons fermement, à l'encontre de votre déclaration, que l'"ayllu" ne pourra jamais agir comme "un accélérateur et un intégrateur dans une seule et même lutte", ayant lui-même une nature réactionnaire, l'approche "indigéniste" se basant sur une idéalisation (une falsification) de l'histoire des communautés, puisque "dans le système inca, les éléments communautaires de l'ayllu étaient intégrés dans un système de castes oppressives au service de la couche supérieure, les Incas" (Osvaldo Coggiola, L'indigénisme bolivarien). Pour cette raison, c'est une erreur grave que de considérer que l'ayllu puisse agir comme accélérateur et intégrateur des luttes, vu ce qui est dit précédemment.

Il est vrai que la rébellion bolivarienne fut dirigée par les communautés indigènes, paysannes et cultivatrices de la feuille de coca, mais là se trouve précisément son extrême fragilité et non sa force, s'agissant purement et simplement d'une rébellion populaire où les secteurs prolétariens ne jouèrent qu'un rôle secondaire et, dans cette mesure, la révolte interclassiste bolivarienne souffrit de l'absence de perspective ouvrière et révolutionnaire. A l'opposé de ce que pensent certains courants du camp dénommé trotskiste et guévariste, on ne peut en aucun cas caractériser cette révolte de "révolution", les masses indigènes et paysannes ne se donnèrent à aucun moment comme objectif le renversement du système capitaliste bolivien ; bien au contraire, comme cela a été dit antérieurement, les événements de Bolivie furent fortement marqués par le chauvinisme : défense de la dignité nationale, refus de vendre du gaz aux chiliens, opposition aux tentatives d'éradication de la culture de la feuille de coca.".

Ce rôle joué par les "ayllu" en Bolivie n'est pas sans évoquer la manière dont l'AZLN (Armée zapatiste de libération nationale) a utilisé les "organisations communales" indigènes pour mobiliser la petite-bourgeoisie indienne, les paysans et les prolétaires au Chiapas et dans d'autres régions du Mexique, dans la lutte contre la principale fraction de la bourgeoisie mexicaine (une lutte qui s'intègre aussi dans les tensions inter-impérialiste entre les Etats-Unis et certaines puissances européennes).

Ces secteurs des populations indiennes en Amérique latine qui n'ont pas été intégrés ni dans le prolétariat ni dans la bourgeoisie ont été cantonnés dans une extrême pauvreté et dans la marginalisation. Cette situation "a conduit des intellectuels et des courants politiques bourgeois et petit-bourgeois à chercher à développer des arguments qui expliqueraient pourquoi les Indiens sont un corps social qui offrirait une alternative historique et qui les impliquerait, comme chair à canon, dans les soi-disant luttes de défense ethnique. En réalité, ces luttes camouflent les intérêts de forces bourgeoises, comme on l'a vu non seulement au Chiapas, mais aussi en ex-Yougoslavie, où des questions ethniques ont été manipulées par la bourgeoisie pour fournir un prétexte formel au combat de forces impérialistes." ("Seule la révolution prolétarienne pourra émanciper les Indiens", deuxième partie, Revolucion Mundial n°64 septembre-octobre 2001, organe du CCI au Mexique)

Le rôle vital de la classe ouvrière dans les pays centraux du capitalisme

Le prolétariat est confronté à une très sérieuse dégradation de l'environnement social dans lequel il doit vivre et lutter. Sa capacité à développer sa confiance en lui est menacée par le poids croissant du désespoir de couches non exploiteuses et l'utilisation de cette situation par les forces bourgeoises et petites-bourgeoises, à leurs propres fins. Ce serait un très grave abandon de nos responsabilités révolutionnaires que de sous-estimer ce danger de quelque façon que ce soit.

Ce n'est qu'en développant son indépendance de classe et en affirmant son identité de classe, en renforçant la confiance en ses capacités à défendre ses propres intérêts que le prolétariat pourra représenter une force lui permettant de rallier derrière lui les autres couches non exploiteuses de la société.

L'histoire de la lutte prolétarienne en Amérique latine démontre que la classe ouvrière a une longue et riche expérience derrière elle. Les efforts de la part des ouvriers argentins en 2001 et 2002, de retrouver le chemin des luttes indépendantes de classe (décrits dans les citations du NCI[3]) démontrent que la combativité du prolétariat y est intacte. Cependant elle rencontre d'énormes difficultés qui sont l'expression de faiblesses de longue date du prolétariat à la périphérie du capitalisme, mais aussi de l'énorme force matérielle et idéologique du processus de la décomposition dans ces régions. Ce n'est pas par hasard si les manifestations les plus importantes de l'autonomie de classe en Amérique latine nous ramènent aux années 1960-70, en d'autres termes, avant que le processus de décomposition n'ait entamé l'identité de classe du prolétariat. Une telle situation ne fait que renforcer la responsabilité historique du prolétariat des concentrations industrielles du cœur du capitalisme, là où se trouvent ses détachements les plus avancés les plus à même de résister aux effet délétères de la décomposition. Le signal de la fin de cinquante années de contre-révolution, à la fin des années soixante, avait sonné en Europe et trouvé ensuite un écho en Amérique latine. De même, l'affirmation sur la scène sociale des bataillons les plus concentrés et les plus expérimentés politiquement de la classe ouvrière, en premier lieu ceux d'Europe occidentale, sera en mesure de faire renouer l'ensemble du prolétariat mondial avec des combats s'inscrivant à nouveau dans la perspective du renversement du capitalisme. Cela ne signifie pas que les ouvriers en Amérique latine n'ont pas un rôle vital à jouer dans la future généralisation et internationalisation des luttes. De tous les secteurs de la classe ouvrière dans la périphérie du système, ils sont certainement les plus avancés politiquement, comme en témoignent l'existence de traditions révolutionnaires dans cette partie du monde et l'apparition actuelle de nouveaux groupes à la recherche d'une clarté révolutionnaire. Ces minorités sont le sommet d'un iceberg prolétarien qui promet de couler l'insubmersible Titanic du capital.

Phil


 


 

[1] Voir la critique de ces Thèses par le CCI dans la Revue internationale n°100 : "La lutte de la classe ouvrière dans les pays de la périphérie du capitalisme".

[2] Le GCI (Groupe communiste internationaliste) est un groupe anarcho-gauchiste, fasciné entre autres par la violence en soi, sous toutes ses formes. Certaines de ses positions très "radicales" inspirées de l'anarchisme se parent de justifications théorico-historiques qui les rendent similaires aux positions de certains groupes du milieu politique prolétarien.

[3] Voir également Révolution internationale n°315 de septembre 2001.

Géographique: 

  • Amérique Centrale et du Sud [31]

Notes sur l'histoire des conflits impérialistes au Moyen-Orient, 2e partie

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Comme nous l'avons vu à la fin de l'article précédent de cette série (cf. Revue internationale n°115), le développement du nationalisme sioniste et sa manipulation par l'Angleterre dans sa lutte contre ses rivaux impérialistes pour la domination du Moyen-Orient à la fin de la Première Guerre mondiale, ont représenté un nouveau facteur de déstabilisation de la région. Dans cet article, nous voulons montrer comment les nationalismes sioniste et arabe ont tous deux été amenés à jouer un rôle de plus en plus important au Moyen-Orient en tant que pions dans l'équilibre complexe des forces entre les grandes puissances impérialistes et en tant qu'armes contre la menace représentée par la classe ouvrière dans la période qui a suivi la révolution russe.

Le sionisme utilisé pour semer la division dans la classe ouvrière

La classe capitaliste a toujours cherché à utiliser et même à exagérer les différences ethniques, culturelles et religieuses au sein de la classe ouvrière afin de "diviser pour mieux régner", selon la vieille expérience des classes dominantes. Néanmoins, il est vrai que dans sa phase ascendante, le capitalisme a été capable d'intégrer à la société différents groupes ethniques et religieux à travers la prolétarisation de leurs membres et de réduire ainsi de façon substantielle les divisions raciales, ethniques et religieuses au sein de la population. Mais le sionisme moderne est profondément marqué par le fait qu'il est né à la fin de la période ascendante du capitalisme, alors que la période de formation des États nationaux arrivait à son terme, que le Lebensraum[1] pour la formation de nouvelles nations était plein et que, désormais, le capitalisme ne pouvait survivre qu'à travers la guerre et la destruction. En 1897, lorsque le Premier Congrès sioniste à Bâle revendiquait un territoire pour la nation juive, l'aile gauche de la Deuxième Internationale avait déjà commencé à rejeter la formation de nouvelles entités territoriales distinctes. En 1903, le POSDR (Parti ouvrier social-démocrate russe) refusait le maintien dans ses rangs d'une organisation juive distincte et indépendante, et exigeait que l'organisation juive -le Bund- se dissolve dans le Parti territorial de Russie. Ainsi, il a non seulement mis la question du Bund en premier point de l'ordre du jour de son Congrès, avant même le débat sur les statuts, mais il "a rejeté comme absolument inadmissible en principe toute possibilité de rapports fédérés entre le POSDR et le Bund". À cette époque, le Bund lui-même rejetait la formation d'une "nation juive" en Palestine. Avant la Première Guerre mondiale, l'aile gauche de la Deuxième Internationale rejetait donc clairement la formation d'une entité nationale juive en Palestine. À l'époque, le sionisme politique était apparu avec le développement de l'immigration juive au Moyen-Orient et particulièrement en Palestine. La première grande vague de colons juifs est arrivée de Russie en Palestine à la suite des pogroms et de la répression tsariste en 1882 ; la seconde vague de réfugiés venue de l'Europe de l'Est a déferlé après la défaite des luttes révolutionnaires de 1905 en Russie. En 1850, il y avait 12,000 juifs en Palestine, en 1882 leur nombre atteignait 35,000 et il était de 90,000 en 1914. L'Angleterre allait alors s'appliquer à utiliser les sionistes comme des alliés fiables contre ses rivaux européens, en particulier contre la France et contre la bourgeoisie arabe. L'Angleterre se trouvait en position de faire des promesses aussi bien aux sionistes qu'à la bourgeoisie panarabe naissante, mettant pleinement en pratique la stratégie du "diviser pour mieux régner", politique qu'elle a réussi à mener avec succès dans la région jusqu'avant la Seconde Guerre mondiale. Pendant la Première Guerre mondiale, les sionistes -mais également les pionniers du nationalisme panarabe- avaient reçu la promesse d'obtenir la Palestine en récompense de leur soutien à l'Angleterre dans la guerre. La déclaration de Balfour en 1917 le promettait aux sionistes alors que précisément, au même moment, T.S. Lawrence (le célèbre "Lawrence d'Arabie"), envoyé du Ministère britannique des Affaires étrangères, promettait la même chose aux chefs des tribus arabes en échange d'un arrêt des révoltes arabes contre l'Empire ottoman qui s'écroulait. Lorsque l'Angleterre reçut de la Société des Nations le "mandat sur la Palestine" en 1922, sur 650,000 habitants recensés en Palestine, 560 000 étaient musulmans ou chrétiens, 85,000 étaient juifs. Les sionistes allaient maintenant tenter d'accroître aussi vite que possible le nombre des colons juifs, en régulant leur affluence selon leurs visées impérialistes. Un "Bureau colonial" fut créé pour développer en Palestine la colonisation de la terre par les Juifs. Cependant le sionisme n'était pas qu'un instrument des intérêts britanniques au Moyen-Orient, il poursuivait également son propre projet d'expansion capitaliste, la création de son propre État juif - projet qui, dans le capitalisme décadent, ne peut se réaliser qu'aux dépens de ses rivaux locaux et est inévitablement associé à la guerre et la destruction. L'apparition du sionisme moderne constitue donc une expression typique de la décadence de ce système. C'est une idéologie qui ne peut prendre corps sans méthodes militaires ; en d'autres termes, sans guerre, sans militarisation totale, sans exclusion et sans "politique d'endiguement", le sionisme est impossible. Ainsi, en soutenant la création d'une patrie juive, les "protecteurs" anglais n'ont rien fait d'autre que donner le feu vert au nettoyage ethnique, à la déportation violente des populations locales. Cette politique est devenue une pratique permanente et largement appliquée dans tous les pays déchirés par la guerre. Elle est devenue une caractéristique classique de la décadence[2]. Bien que la politique de nettoyage ethnique et de ségrégation ne fût pas limitée aux territoires de l'ancien Empire ottoman, cette région est devenue un centre de ces pratiques meurtrières. Tout au long du 20e siècle, les Balkans ont souffert d'une série de nettoyages ethniques et de massacres - tous soutenus ou manipulés par les puissances européennes et les États-Unis. En Turquie, la classe dominante a perpétré un terrible génocide contre les Arméniens -le bain de sang commencé en 1915, dans lequel 1,500,000 Arméniens furent massacrés par les troupes turques, a continué après la Première Guerre mondiale. Dans la guerre entre la Grèce et la Turquie, de mars 1921 à octobre 1922, 1,3 million de Grecs furent expulsés de Turquie et 450,000 Turcs le furent de Grèce. Le projet sioniste de créer sa propre unité territoriale était nécessairement basé sur la ségrégation, la division, la discorde, la déportation, bref sur la terreur militaire et l'anéantissement - tout cela bien avant que l'État sioniste ne soit proclamé en 1948. En réalité, le sionisme est une forme particulière de colonisation qui n'est pas fondée sur l'exploitation de la force de travail locale, mais sur son exclusion, sur sa déportation. Les ouvriers arabes ne devaient pas faire partie de la "Communauté juive", ils en étaient rigoureusement exclus sur la base des mots d'ordre : "La terre juive, le travail juif, les marchandises juives !". Les lois mises en place par le "protectorat" britannique exigeaient que les colons juifs achètent leur terre aux propriétaires terriens arabes. Les droits de propriété étaient tous entre les mains de riches propriétaires terriens arabes pour qui la terre constituait principalement un objet de spéculation. De plus, ils acceptaient de chasser les travailleurs journaliers palestiniens et les paysans en fermage si les nouveaux propriétaires le souhaitaient. Voilà comment de nombreux paysans et travailleurs agricoles arabes ont perdu leur terre et leur travail. La création de la colonie juive ne signifiait pas seulement l'expulsion des terres mais aussi l'enfoncement dans une misère encore plus grande. Une fois qu'elle avait été vendue aux colons juifs, les sionistes interdisaient la revente de la terre aux non-juifs. Elle n'était plus seulement un morceau de propriété privée juive, une marchandise, elle était devenue une partie du territoire sioniste qui devait être défendu militairement comme une conquête. Au niveau économique, les ouvriers arabes étaient expulsés de leur travail. Le syndicat sioniste Histadrout, en étroite collaboration avec les autres organisations sionistes, fit tout pour empêcher les ouvriers arabes de vendre leur force de travail aux capitalistes juifs. Les travailleurs palestiniens étaient ainsi poussés à entrer en conflit avec les immigrés juifs qui, en nombre croissant, cherchaient, eux aussi, du travail. La mise en place d'une patrie juive, telle que celle promise par le "protectorat" britannique, ne signifiait rien d'autre que des confrontations militaires constantes entre les sionistes et la bourgeoisie arabe, la classe ouvrière et les paysans étant entraînés sur ce terrain sanglant. Quelle avait été la position de l'Internationale Communiste sur la situation impérialiste au Moyen-Orient et sur la formation d'une "patrie juive" ?

La politique de l'Internationale communiste : une impasse désastreuse

Comme l'avait affirmé Rosa Luxemburg pendant la Première Guerre mondiale : "A l'époque de cet impérialisme déchaîné, il ne peut plus y avoir de guerres nationales. Les intérêts nationaux ne sont qu'une mystification qui a pour but de mettre les masses populaires laborieuses au service de leur ennemi mortel : l'impérialisme". (Brochure de Junius, avant-projet, adopté par le Spartakus-Bund en janvier 1916) Lorsque les ouvriers russes prirent le pouvoir en octobre 1917, les bolcheviks tentèrent de desserrer la pression exercée par la bourgeoisie et ses armées blanches sur la classe ouvrière en gagnant le soutien des "masses opprimées" des pays limitrophes avec le mot d'ordre de "l'autodétermination nationale", une position du POSDR qui avait déjà été critiquée par le courant autour de Rosa Luxemburg avant la Première Guerre mondiale (Cf. les articles de la Revue Internationale n°34, 37, 42). Mais au lieu de parvenir à affaiblir la pression de la bourgeoisie et de mettre les "masses opprimées" de leur côté, la politique des bolcheviks eut au contraire un effet désastreux. Comme l'écrit encore Rosa Luxemburg dans sa brochure La Révolution russe : "Alors que Lénine et ses camarades s'attendaient manifestement, en se faisant les champions de la liberté des nations 'jusqu'à la séparation en tant qu'État' à faire de la Finlande, de l'Ukraine, de la Pologne, de la Lituanie, des Pays baltes, des populations du Caucase, etc. autant d'alliés fidèles de la Révolution russe, nous avons assisté au spectacle inverse : ces 'nations' ont l'une après l'autre, utilisé la liberté dont on venait tout juste de leur faire cadeau pour se déclarer les ennemies mortelles de la Révolution russe, s'allier contre elle à l'impérialisme allemand et porter, sous sa protection, le drapeau de la contre-révolution en Russie même. (?) Au lieu de mettre en garde les prolétaires des pays de la périphérie contre tout séparatisme parce que c'est là un piège purement bourgeois, et d'étouffer les tendances séparatistes dans l'?uf d'une main de fer -user de la force, c'était dans ce cas-là, agir vraiment dans le sens et dans l'esprit de la dictature prolétarienne -ils ont au contraire, par leur mot d'ordre, semé la confusion dans les masses de tous les pays périphériques, les ont livrées à la démagogie des classes bourgeoises. En encourageant de la sorte le nationalisme, ils ont préparé et provoqué eux-mêmes la désagrégation de la Russie, mettant ainsi dans la main de leurs ennemis le poignard que ceux-ci allaient enfoncer dans le cœur de la Révolution russe." (in La Révolution russe, Éditions sociales). Avec le début du reflux de la vague révolutionnaire, le Deuxième Congrès de l'Internationale communiste, en juillet 1920, commençait à développer une position opportuniste sur la question nationale dans l'espoir de gagner le soutien des travailleurs et des paysans des pays coloniaux. À ce moment-là, le soutien aux prétendus mouvements "révolutionnaires" n'était pas encore "inconditionnel" mais dépendait de certains critères. Le 5e alinéa du point 11 de ces thèses insiste : "il est nécessaire de combattre énergiquement les tentatives faites par les mouvements émancipateurs qui ne sont en réalité ni communistes, ni révolutionnaires, pour arborer les couleurs communistes : l'Internationale Communiste ne doit soutenir les mouvements révolutionnaires dans les colonies et les pays arriérés, qu'à la condition que les éléments des plus purs partis communistes - et communistes en fait - soient groupés et instruits de leurs tâches particulières, c'est à dire de leur mission de combattre le mouvement bourgeois et démocratique. L'Internationale Communiste doit entrer en relations temporaires et former aussi des unions avec les mouvements révolutionnaires dans les colonies et les pays arriérés, sans toutefois jamais fusionner avec eux, et en consacrant le caractère indépendant de mouvement prolétarien même dans sa forme embryonnaire". L'alinéa suivant de ces thèses reprend : "il est nécessaire de dévoiler inlassablement aux masses laborieuses de tous les pays, et surtout des pays et des nations arriérées, la duperie organisée par les puissances impérialistes -avec l'aide des classes privilégiées- dans les pays opprimés, lesquelles font semblant d'appeler à l'existence des États politiquement indépendants qui, en réalité, sont des vassaux aux points de vue économique et militaire. Comme exemple frappant des duperies pratiquées à l'égard de la classe des travailleurs dans les pays assujettis par les efforts combinés de l'impérialisme des Alliés et de la bourgeoisie de telle ou telle nation, nous pouvons citer l'affaire des sionistes en Palestine (...). Dans la conjoncture internationale actuelle, il n'y a pas de salut pour les peuples faibles et asservis hors de la fédération des républiques soviétiques"[3]. Cependant, l'isolement de la révolution russe grandissait, l'Internationale communiste et le Parti bolchevique devenaient de plus en plus opportunistes et les critères établis au début pour déterminer à quels mouvements "révolutionnaires" apporter un soutien, étaient abandonnés. À son 4e Congrès en novembre 1922, l'Internationale communiste adopta la politique désastreuse du "Front unique", en mettant en avant que : "la tâche fondamentale, commune à tous les mouvements nationaux-révolutionnaires, consiste à réaliser l'unité nationale et l'autonomie politique". ("Thèses générales sur la question d'Orient", Fac-Similé, Maspero). Alors que la Gauche communiste, en particulier autour de Bordiga, menait une lutte implacable contre la politique du "Front unique", l'Internationale communiste déclarait : "le refus des communistes des colonies de prendre part à la lutte contre l'oppression impérialiste sous le prétexte de "défense" exclusive des intérêts de classe, est le fait d'un opportunisme du plus mauvais aloi qui ne peut que discréditer la révolution prolétarienne en Orient" (idem). Mais c'était bel et bien l'Internationale qui tombait dans l'opportunisme. Cette tendance opportuniste s'était déjà révélée au Congrès des peuples d'Orient qui s'était tenu à Bakou en septembre 1920, juste après le 2e Congrès de l'Internationale communiste. Le Congrès de Bakou s'adressait particulièrement aux minorités nationales des pays limitrophes de la République soviétique assiégée, là où l'impérialisme britannique menaçait de renforcer son influence et de créer ainsi de nouvelles bases pour mener une intervention armée contre la Russie. "Résultat d'un carnage colossal et barbare, l'impérialisme britannique est apparu comme l'unique et seul maître tout puissant de l'Europe et de l'Asie" ("Manifeste" du Congrès des Peuples d'Orient). À partir de la fausse hypothèse selon laquelle "l'impérialisme britannique, ayant battu et affaibli tous ses rivaux, est devenu le maître tout puissant de l'Europe et de l'Asie", l'Internationale communiste ne pouvait que sous-estimer le nouveau niveau des rivalités impérialistes que l'entrée du capitalisme dans sa décadence déchaînait. La Première Guerre mondiale n'avait-t-elle pas montré que tous les pays, petits ou grands, étaient devenus impérialistes ? A l'inverse, le Congrès de Bakou se focalisa sur la perspective de lutte contre l'impérialisme britannique : "L'Angleterre, dernier puissant prédateur impérialiste d'Europe, a déployé ses ailes noires sur les pays musulmans d'Orient, elle tente d'écraser les peuples d'Orient pour les réduire à l'état d'esclaves, en faire son butin. Esclavage ! Effroyable esclavage, ruine, oppression et exploitation, voilà ce que l'Angleterre est en train d'apporter aux peuples d'Orient. Défendez-vous, peuples d'Orient ! (...) Dressez-vous pour combattre l'ennemi commun, l'impérialisme britannique !" (idem). Concrètement, la politique de soutien aux mouvements "nationaux-révolutionnaires" et l'appel à un "front anti-impérialiste" signifiaient que la Russie et le Parti bolchevique de plus en plus absorbés dans l'État russe, faisaient des alliances avec des mouvements nationalistes. Déjà en 1920, Kemal Atatürk[4] avait pressé la Russie de former une alliance anti-impérialiste avec la Turquie. Peu après l'écrasement de la révolte ouvrière de Kronstadt en mars 1921 et le déclenchement de la guerre entre la Grèce et la Turquie, Moscou signa un traité d'amitié entre la Russie et la Turquie. Pour la première fois, après des guerres à répétition, un gouvernement russe soutenait l'existence de la Turquie comme État national. Les travailleurs et les paysans de Palestine furent également poussés dans l'impasse du nationalisme : "Nous considérons le mouvement nationaliste arabe comme l'une des forces essentielles qui combat le colonialisme anglais. Il est de notre devoir de tout faire pour aider ce mouvement dans sa lutte contre le colonialisme". Le Parti communiste de Palestine, fondé en 1922, appela à soutenir Mufti Hafti Amin Hussein. En 1922, ce dernier était devenu mufti de Jérusalem et Président du Conseil suprême musulman : il avait été un de ceux qui avait réclamé le plus haut et fort la création d'un État palestinien indépendant. Comme en Turquie en 1922, en Perse et en Chine en 1927, cette politique de l'Internationale communiste s'avéra être un désastre pour la classe ouvrière. En soutenant la bourgeoisie locale, l'Internationale communiste jeta la classe ouvrière dans les bras couverts de sang d'une bourgeoisie soi-disant "progressiste". En 1931, l'ampleur du rejet de l'internationalisme prolétarien peut se voir dans un appel que lança l'Internationale communiste, devenue alors un simple instrument du stalinisme en Russie : "Nous appelons tous les communistes à s'engager dans la lutte pour l'indépendance nationale et l'unité nationale, non seulement dans les étroites frontières de chaque pays arabe artificiellement créées par l'impérialisme et les intérêts des clans familiaux régnant et de la classe dominante, mais sur tout un vaste front pan islamiste pour l'unité de l'Orient dans son ensemble". La lutte au sein de l'Internationale communiste entre, d'un côté, les concessions opportunistes aux mouvements de "libération nationale" et, de l'autre, la défense de l'internationalisme prolétarien, était visible à travers l'opposition des différentes délégations juives au Congrès de Bakou. Une "délégation des Juifs des Montagnes" pouvait encore s'exprimer en termes véritablement contradictoires, en déclarant que "seule la victoire des opprimés sur les oppresseurs nous amènera au but sacré : la création d'une société communiste juive en Palestine". La délégation du Parti communiste juif (Poale Zion, précédemment lié au Bund juif) lançait l'appel "à la construction, au peuplement et à la colonisation de la Palestine selon les principes communistes". Le Bureau central des sections juives du Parti communiste de Russie s'opposa avec vigueur aux dangereuses illusions sur la construction d'une communauté juive en Palestine et à la manière dont les sionistes utilisaient le projet juif pour leurs propres buts impérialistes. Contre la division entre les travailleurs juifs et arabes, la section juive du Parti communiste de Russie souligna : "Avec l'aide des valets sionistes de l'impérialisme, la politique de la Grande-Bretagne cherche à éloigner une partie du prolétariat juif du communisme en faisant naître en elle des sentiments nationalistes et des sympathies pour le sionisme (...) Nous condamnons aussi fermement les tentatives de certains groupes socialistes juifs de gauche de combiner le communisme avec l'adhésion à l'idéologie sioniste. C'est ce que nous voyons dans le programme du soi-disant Parti communiste juif (Poale Zion). Pour nous, dans les rangs des combattants pour les droits et les intérêts de la classe ouvrière, il n'y a pas de place pour les groupes qui, d'une manière ou d'une autre, cachant les appétits nationalistes de la bourgeoisie juive derrière le masque du communisme, soutiennent l'idéologie sioniste. Ils utilisent les slogans communistes pour exercer l'influence bourgeoise sur le prolétariat. Nous remarquons que durant tout le temps que le mouvement de masse des travailleurs juifs a existé, l'idéologie sioniste a été étrangère au prolétariat juif (...) Nous disons que les masses juives ne doivent pas voir la possibilité de développement de leur économie sociale et de leur développement culturel dans la création d'un "centre national" en Palestine mais dans l'établissement de la dictature du prolétariat et la création de Républiques soviétiques socialistes dans les pays où ils vivent.". (Congrès de Bakou, septembre 1920). Mais alors que les tensions entre les colons juifs d'une part et les ouvriers et les paysans palestiniens de l'autre s'accentuaient, la dégénérescence de l'Internationale communiste qui se soumettait progressivement à l'État russe, conduisit à une séparation entre l'Internationale communiste, de plus en plus stalinisée, et la Gauche communiste sur la question de la Palestine comme sur d'autres questions. Alors que l'Internationale communiste poussait les ouvriers palestiniens à soutenir leur "propre" bourgeoisie nationale contre l'impérialisme, les communistes de gauche comprenaient les conséquences de la politique anglaise (diviser pour régner) et celles, désastreuses, de la position de l'Internationale communiste, qui conduisaient la classe ouvrière dans une impasse : "La bourgeoisie anglaise a réussi à cacher les antagonismes de classe. Les Arabes ne voient que les races, jaune ou blanche, et considèrent les Juifs comme les protégés de cette dernière" (Proletarier, mai 1925, journal du Parti communiste ouvrier allemand, le KAPD). "Pour le vrai révolutionnaire, naturellement, il n'y a pas de question 'palestinienne', mais uniquement la lutte de tous les exploités du Proche-Orient, arabes ou juifs y compris, qui fait partie de la lutte plus générale de tous les exploités du monde entier pour la révolution communiste" (Bilan, n°31 -1936- Bulletin de la Fraction italienne de la Gauche Communiste, voir la Revue Internationale n°110 : "La position des internationalistes dans les années 30 ", Bilan n°30 et 31). (À suivre)

D.


[1] La nécessité d'un Lebensraum (littéralement "espace vital") a constitué la justification hitlérienne pour l'expansion vers l'Est de la "race aryenne" dans les régions occupées par les "sous-humains" slaves.

[2] Si l'on suit la "logique" du "nettoyage ethnique", les Allemands et les Celtes devraient quitter l'Europe et retourner en Inde et en Asie centrale, de là d'où ils sont partis ; les Latino-américains d'origine espagnole devraient être renvoyés dans la péninsule ibérique. Cette logique absurde n'a pas de limite : les Sud-américains devraient chasser tous les Sud-américains d'origine européenne ou autre, les Nord-américains devraient redéporter tous les esclaves africains, sans parler de la totalité de la population européenne qui est arrivée durant le 19e siècle. À vrai dire, nous devrions nous demander si l'ensemble de l'espèce humaine ne devrait pas retourner au berceau africain d'où elle a, il y a longtemps, commencé d'émigrer... ? Depuis la 2e Guerre Mondiale, il y a eu une interminable série de déplacements de populations : 3 millions d'allemands furent déplacés de l'ancienne République tchèque ; les Balkans ont été un laboratoire permanent de nettoyage ethnique ; la partition entre l'Inde et le Pakistan en 1947 a donné lieu au plus grand déplacement de populations de tous les temps dans les deux sens ; dans les années 1990, le Rwanda a été un exemple particulièrement sanglant de massacres entre Hutus et Tutsis ; en 3 mois, entre 300 000 et un million de gens furent massacrés.

[3] Manifestes, thèses et résolutions des quatre premiers Congrès mondiaux de l'Internationale communiste, 1919-1923, fac-similé de l'édition 1934 de la Librairie du Travail par les Éditions Maspero, 1978, pages 58 et 59.

[4] Kemal Atatürk, né à Salonique en 1881. Devenu héros militaire de la 1e Guerre mondiale, à la suite de son succès contre l'attaque alliée en Gallipoli en 1915, il a organisé le Parti national républicain turc en 1919 et renversé le dernier sultan ottoman. Plus tard, il a joué un rôle important dans la fondation de la première République turque en 1923 après la guerre contre la Grèce. Il a conservé son poste de président jusqu'à sa mort en 1938. Sous son gouvernement, l'État turc a détruit le pouvoir des écoles religieuses et entrepris un large programme "d'européanisation" y compris en remplaçant l'écriture arabe par l'écriture latine.

 

Géographique: 

  • Moyen Orient [32]

Questions théoriques: 

  • Impérialisme [33]

Histoire du mouvement ouvrier 1903-1904. La naissance du bolchevisme (2e partie) Trotsky contre Lénine

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En 1904, l'empire russe était au bord de la révolution. La lourde machine de guerre du Tsar subissait une défaite humiliante face à un impérialisme japonais bien plus dynamique. La débâcle militaire alimentait le mécontentement de toutes les couches de la population. Dans sa brochure Grève de masse, partis et syndicats, Rosa Luxemburg raconte comment, dès l'été 1903, au moment même où le Parti social-démocrate de Russie (POSDR) tenait son célèbre Deuxième Congrès, le sud de la Russie était secoué par une "grève générale colossale". La guerre mit temporairement un terme au mouvement de classe et, pendant quelque temps, la bourgeoisie libérale a occupé le devant de la scène avec ses "banquets de protestation" contre l'autocratie, mais à la fin de 1904, le Caucase était de nouveau enflammé par des grèves ouvrières massives contre le chômage. La Russie était une poudrière et l'étincelle qui devait l'embraser, allait bientôt être allumée : ce fut le massacre du dimanche sanglant en janvier 1905, lorsque des ouvriers qui apportaient humblement au Tsar une pétition demandant que leurs conditions de vie épouvantables soient adoucies, ont été abattus par centaines par les Cosaques du "Petit Père des peuples". Le parti du prolétariat, le POSDR, comme on l'a montré dans la première partie de cet article, devait affronter cette situation au lendemain de la grave scission qui l'avait divisé en deux fractions, l'une bolchevique, l'autre menchevique. Dans sa brochure Nos tâches politiques dans laquelle Trotsky donne son aperçu du Second Congrès du POSDR où la scission a eu lieu, il parle de celle-ci comme d'un "cauchemar" qui a jeté d'anciens camarades dans des camps hostiles et qui fait que les révolutionnaires marxistes sont en train de polémiquer avec rage sur l'organisation interne du parti, ses règles de fonctionnement et la composition de ses organes centraux, alors que la classe ouvrière se trouve confrontée à la guerre, à la grève de masse et aux manifestations de rue. Il attribue carrément la responsabilité de cette situation à l'homme avec lequel il a étroitement travaillé dans le groupe d'exilés de l'Iskra mais qu'il considère maintenant comme "le chef de l'aile réactionnaire de notre parti" et le désorganisateur du POSDR - Lénine. Beaucoup d'ouvriers en Russie se plaignaient du fait que le parti semblait perdu dans des querelles internes et être incapable de répondre aux besoins pressants de l'heure ; aussi la réalité immédiate semblait conforter l'avis de Trotsky. Mais avec le recul de l'histoire, nous voyons que même s'il a commis d'importantes erreurs, c'est Lénine qui incarnait alors la vision la plus avancée du parti, la tendance révolutionnaire, et Trotsky, ainsi que d'autres militants remarquables, qui était tombé dans une vision rétrograde. En réalité, les questions organisationnelles posées par la scission n'étaient pas des questions abstraites sans rapport avec les besoins de la classe ouvrière ; elles trouvaient aussi leur origine dans les questions posées par le bouleversement politique et social grandissant en Russie. Les grèves de masse et les soulèvements ouvriers qui ont secoué la Russie en 1905, étaient les signes précurseurs d'une nouvelle époque dans l'histoire du capitalisme et de la lutte du prolétariat : la fin de la période de capitalisme ascendant et l'ouverture de sa période de décadence (voir notre article "1905 : la grève de masse ouvre la voie à la révolution prolétarienne" dans la Revue internationale n°90) qui allait nécessiter que la classe ouvrière dépasse ses formes d'organisation traditionnelles adaptées à la lutte pour des réformes au sein du système capitaliste, et découvre de nouvelles formes d'organisation capables d'unifier l'ensemble de la classe et de la préparer au renversement révolutionnaire de ce système. Pour résumer, cette transition s'est exprimée sur le plan des organisations de masse de la classe, dans le passage de la forme syndicale d'organisation à la forme du soviet qui fit sa première apparition en 1905 Mais ce profond changement dans les formes et les méthodes d'organisation de la classe a eu également des implications sur les organisations politiques de la classe. Comme nous avons essayé de le montrer dans la première partie de cet article, la question fondamentale posée au Second Congrès était la nécessité de se préparer à la période révolutionnaire à venir en rompant avec le vieux modèle social-démocrate de parti - un parti large portant l'insistance sur la "démocratie" et sur la lutte pour l'amélioration des conditions de la classe ouvrière dans la société capitaliste - et en construisant ce que Lénine appelait un parti révolutionnaire d'un type nouveau, plus étroit, plus discipliné, plus centralisé, armé du programme socialiste pour le renversement du capitalisme et composé de révolutionnaires engagés. Dans les deux articles suivants, nous allons illustrer ce point de vue en examinant les polémiques qui ont fait rage en 1904 entre Lénine d'une part, et Trotsky et Rosa Luxemburg de l'autre. Dans cette période, comme pendant la plus grande partie de sa vie politique, Lénine a dû s'affronter à un éventail complet de critiques dans le mouvement ouvrier. Non seulement les dirigeants mencheviques comme Martov, Axelrod et plus tard Plekhanov l'ont accusé d'agir au mieux comme Robespierre et au pire comme Napoléon, non seulement les dirigeants reconnus de la social-démocratie internationale comme Kautsky et Bebel se sont instinctivement rangés aux côtés des mencheviks contre ce nouveau venu relativement peu connu, mais encore ceux qui se trouvaient clairement à la gauche du mouvement international - Trotsky et Luxemburg, tous deux profondément influencés par la lame de fond de la révolution russe et qui devaient apporter des contributions essentielles à la compréhension des méthodes et des formes d'organisation adaptées à la nouvelle période, tous deux n'ont rien compris au véritable sens du combat organisationnel mené par Lénine. Contrairement à beaucoup de révolutionnaires d'aujourd'hui, Trotsky comme Luxemburg étaient d'accord sur un aspect important de la question : ils comprenaient que la question d'organisation était une question politique à part entière et un sujet qui méritait d'être débattu par les révolutionnaires. En publiant leurs critiques à Lénine, ils participaient à une confrontation des idées à l'échelle internationale, de façon profonde et significative. De plus, leurs contributions à ce débat nous ont laissé de brillants éclairs de perspicacité. Mais malgré tous ces éclairs, les arguments de ces deux militants restent fondamentalement erronés.

Trotsky prend le parti des mencheviks

Dans son autobiographie Ma vie, Trotsky raconte l'arrivée en 1902, sur le lieu de son exil en Sibérie, du livre de Lénine Que faire ? et du journal l'Iskra : "Nous sûmes ainsi qu'en Europe avait été créé un journal, l'Iskra, organe marxiste ayant pour dessein de constituer une organisation centralisée des révolutionnaires de profession et de les unir dans l'action par une discipline de fer." C'est avant tout cette perspective qui a convaincu Trotsky de la nécessité de s'évader et de partir à la recherche du groupe d'exilés qui publiait ce journal. C'était une décision vraiment importante à prendre ; elle signifiait qu'il devait quitter sa femme et ses deux petites filles (même si sa femme était une camarade de parti et considérait qu'il était de son devoir de partir) et se lancer dans un voyage extrêmement risqué à travers les steppes de Russie jusqu'en Europe. Trotsky nous dit aussi que dès son arrivée à Londres où vivaient Lénine, Martov et Zassoulitch, il "était tombé amoureux de l'Iskra" et s'était immédiatement mis au travail. Le comité de rédaction de l'Iskra comptait six membres : Lénine, Martov, Zassoulitch, Plekhanov, Axelrod et Potressov. Lénine proposa rapidement que Trotsky devienne le septième membre, en partie parce que six était un nombre peu adapté quand il fallait prendre des décisions, mais surtout peut-être parce qu'il savait que la vieille génération, en particulier Zassoulitch et Axelrod, était en train de devenir un obstacle au progrès du parti, et qu'il voulait injecter de la passion révolutionnaire de la nouvelle génération. Cette proposition fut bloquée par Plekhanov qui s'y opposait, en grande partie pour des raisons personnelles. Au Second Congrès, Trotsky a été un des défenseurs les plus cohérents de la ligne de l'Iskra, la défendant de façon vigoureuse - les positions de Lénine en particulier - contre l'opposition tatillonne ou totale des bundistes, des économistes et des semi-économistes. Pourtant, à la fin du congrès, Trotsky liait son sort aux "anti-léninistes" ; en 1904, il écrivit deux des polémiques les plus vitupératrices contre Lénine, le Rapport de la délégation sibérienne et Nos tâches politiques, et il rejoignit la "nouvelle Iskra", dont se revendiquaient les mencheviks après que Plekhanov eut retourné sa veste et Lénine démissionné de l'Iskra. Tournons-nous vers les réflexions de Trotsky pour comprendre cette extraordinaire transformation. Il faut rappeler que la scission n'a pas eu lieu sur les fameuses divergences concernant les statuts du parti, mais sur la proposition de Lénine de changer la composition du comité de rédaction de l'Iskra. Dans Ma vie, Trotsky confirme que c'était cela la question cruciale. "Pourquoi me suis-je trouvé au congrès parmi les "doux"? De tous les membres de la rédaction, j'étais le plus lié avec Martov, Zassoulitch et Axelrod. Leur influence sur moi fut indiscutable. Dans la rédaction, jusqu'au Congrès, il y avait eu des nuances, mais non des dissentiments nettement exprimés. J'étais surtout éloigné de Plékhanov : après les premiers conflits qui n'avaient en somme qu'une importance secondaire, Plékhanov m'avait pris en aversion. Lénine me traitait fort bien. Mais c'était justement lui, alors, qui, sous mes yeux, attaquait une rédaction formant à mon avis un ensemble unique et portant le nom prestigieux de l'Iskra. L'idée d'une scission dans le groupe me paraissait sacrilège. Le centralisme révolutionnaire est un principe dur, autoritaire et exigeant. Souvent, à l'égard de personnes ou de groupes qui partageaient hier vos idées, il prend des formes impitoyables. Ce n'est pas par hasard que, dans le vocabulaire de Lénine, se rencontrent si fréquemment les mots: irréconciliable et implacable. C'est seulement la plus haute tension vers le but, indépendante de toutes les questions bassement personnelles, qui peut justifier une pareille inclémence. En 1903, il ne s'agissait tout au plus que d'exclure Axelrod et Zassoulitch de la rédaction de l'Iskra. A leur égard, j'étais pénétré non seulement de respect, mais d'affection. Lénine, lui aussi, les estimait hautement pour leur passé. Mais il en était arrivé à conclure qu'ils devenaient de plus en plus gênants sur la route de l'avenir. Et, en organisateur, il décida qu'il fallait les éliminer des postes de direction. C'est à quoi je ne pouvais me résigner. Tout mon être protestait contre cette impitoyable suppression d'anciens qui étaient enfin parvenus au seuil du parti. De l'indignation que j'éprouvais alors provint ma rupture avec Lénine au 2e congrès. Sa conduite me semblait inacceptable, impardonnable, révoltante. Pourtant, cette conduite était juste au point de vue politique et, par conséquent, nécessaire pour l'organisation. La rupture avec les anciens qui étaient restés figés dans l'époque préparatoire était de toutes façons inévitable. Lénine l'avait compris avant les autres. Il fit encore une tentative pour conserver Plékhanov, en le séparant de Zassoulitch et d'Axelrod. Mais cet essai, comme le montrèrent bientôt les événements, ne devait donner aucun résultat. Ainsi, ma rupture avec Lénine eut lieu en quelque sorte sur un terrain "moral", et même sur un terrain individuel. Mais ce n'était qu'en apparence. Pour le fond, nos divergences avaient un caractère politique qui ne se manifesta que dans le domaine de l'organisation. Je me considérais comme centraliste. Mais il est hors de doute qu'en cette période je ne voyais pas tout à fait à quel point un centralisme serré et impérieux serait nécessaire au parti révolutionnaire pour mener au combat contre la vieille société des millions d'hommes. Ma première jeunesse s'était écoulée dans une atmosphère crépusculaire de réaction qui dura, à Odessa, cinq ans de plus qu'ailleurs. L'adolescence de Lénine remontait à l'époque de la "Liberté du Peuple". Ceux qui étaient plus jeunes que moi de quelques années étaient déjà éduqués dans l'ambiance d'un nouveau redressement politique. Au temps du Congrès de Londres de 1903, une révolution était encore à mes yeux, pour une bonne moitié, une abstraction théorique. Le centralisme léniniste ne procédait pas encore pour moi d'une conception révolutionnaire claire et indépendamment méditée. Or, le besoin de comprendre par moi-même un problème et d'en tirer toutes les déductions indispensables fut toujours, ce me semble, l'exigence la plus impérieuse de ma vie spirituelle."

Le poids de l'esprit de cercle

Dans un passage d'Un pas en avant, deux pas en arrière que nous avons cité dans notre article précédent sur la différence entre l'esprit de parti et l'esprit de cercle, Lénine caractérise aussi l'Iskra comme un cercle, et bien qu'il soit tout à fait vrai que, dans ce cercle, existait une tendance qui défendait de façon claire et cohérente le centralisme prolétarien, le poids des différences personnelles, de la mentalité des exilés etc. était encore très fort. Lénine était conscient de la "douceur" de Martov, de sa tendance à hésiter, à concilier, et Martov était également conscient de l'intransigeance de Lénine et ça ne le mettait pas toujours à l'aise. Comme cela n'était pas posé sur le plan politique, il en résultait des tensions et des non dits. Plekhanov, le père du marxisme russe, très proche de Lénine sur beaucoup de questions-clé jusqu'au lendemain du Congrès, tenait beaucoup à sa réputation et se rendait compte en même temps qu'il était en train d'être dépassé par une nouvelle génération (comprenant Lénine). Il répondit à "l'intrusion" de Trotsky dans le cercle de l'Iskra avec une telle hostilité que tous trouvèrent cela tout à fait indigne de lui. Et Trotsky ? Là encore, malgré son respect pour Lénine, Trotsky avait vécu dans la même maison que Martov et Zassoulitch ; il développa une amitié encore plus forte envers Axelrod à Zürich et lui a même dédié son livre Nos tâches politiques : "A mon cher maître, Pavel Bortsovich Axelrod". Dans cette mesure, comme le dit Trotsky, "[sa] rupture avec Lénine eut lieu en quelque sorte sur un terrain "moral", et même sur un terrain individuel." Il a pris le parti de Martov et Cie parce qu'ils étaient plus ses amis que Lénine, il ne pouvait supporter d'être dans le camp de Plekhanov à cause de l'antipathie ressentie par ce dernier à son égard ; plus important encore peut-être, il faisait du sentimentalisme vraiment conservateur vis-à-vis de la "vieille garde" qui avait servi le mouvement révolutionnaire en Russie pendant si longtemps. En fait, sa réaction personnelle envers Lénine à cette époque fut si forte que beaucoup furent choqués de l'âpreté et du manque de camaraderie du ton de ses polémiques contre Lénine. (Dans sa biographie de Trotsky, Deutscher mentionne que les lecteurs de l'Iskra en Russie, à l'époque où le journal était aux mains des mencheviks, s'opposèrent fortement au ton des diatribes de Trotsky contre Lénine) Mais en même temps, "pour le fond, nos divergences avaient un caractère politique qui ne se manifesta que dans le domaine de l'organisation". Cette formulation reste ambiguë laissant l'idée que "le domaine de l'organisation" est secondaire alors que la prépondérance des liens personnels et des antagonismes des anciens cercles constituait, précisément, le problème politique que Lénine posait dans sa défense de l'esprit de parti. En fait, toutes les polémiques de Trotsky en 1904 sont du même type : elles présentent quelques divergences politiques très générales, mais reviennent sans cesse sur la question des méthodes organisationnelles ou des rapports entre l'organisation révolutionnaire et la classe ouvrière dans son ensemble. Dans le Rapport de la Délégation sibérienne, Trotsky pose d'entrée de jeu la principale question organisationnelle et aussitôt révèle son incapacité à comprendre l'enjeu du Congrès puisqu'il porte l'insistance sur l'idée que "le Congrès est un enregistreur, un contrôleur mais pas un créateur". Ce qui veut dire, même si Trotsky parle du parti comme "n'étant pas la somme arithmétique des comités locaux" ou qu'il "est une totalité organique" (ibid.), que le Congrès n'est plus l'expression la plus haute et la plus concrète de l'unité du parti. Lénine dans "Un pas en avant, deux pas en arrière" écrit : "A l'époque du rétablissement de l'unité véritable du Parti et de la dissolution, dans cette unité, des cercles qui ont fait leur temps, ce sommet est nécessairement le congrès du Parti, organisme suprême de ce dernier." Ou encore : "La controverse se ramène par conséquent au dilemme : l'esprit de cercle ou l'esprit de parti ? Limitation des droits des délégués au congrès, au nom de droits ou règlements imaginaires de toutes sortes de collèges ou cercles, ou dissolution complète, non seulement verbale, mais effective, devant Ie congrès, de toutes les instances inférieures, des anciens petits groupes..." Alors que les accusations contre Lénine portaient sur sa conception du centralisme, son prétendu désir de concentrer tout le pouvoir entre les mains d'un comité central sans mandat ou même dans ses propres mains, le fait qu'il serait le Robespierre de la révolution à venir, Lénine était absolument clair sur le fait que l'instance suprême d'un parti révolutionnaire du prolétariat ne pouvait être que son congrès ; c'était le vrai centre auquel toutes les autres parties de l'organisation, que ce soit le comité central ou les sections locales, étaient subordonnées, et c'est ce que Lénine défendait contre le point de vue "démocratiste" selon lequel le congrès n'était que le lieu de rassemblement des représentants des sections locales, avec un mandat impératif, ce qui signifiait que ces représentants ne pouvaient rien faire d'autre qu'être les porte-parole de leurs sections. C'est ce qu'il a défendu contre la révolte anarchiste des mencheviks qui refusaient de se plier aux décisions du Congrès. Trotsky a raison de dire qu'au moment du Congrès il n'avait pas pleinement compris la question du centralisme. C'est également évident dans un autre thème de ses polémiques - la vieille bagarre entre l'Iskra et les économistes. Dans le Rapport de la délégation sibérienne, Trotsky utilise l'argument selon lequel beaucoup de bolcheviks sont d'anciens économistes qui ont fait volte-face et adopté l'ultra centralisme en répétant comme des perroquets les "plans" organisationnels de Lénine (pour Trotsky à ce moment-là, Lénine était le seul véritable cerveau de la majorité, les autres ne faisaient que le suivre comme des moutons, alors que la minorité (menchevique) qu'il avait rejointe, défendait le véritable esprit critique). Pourtant, cette accusation est le contraire de la réalité : alors qu' au début du congrès, ils étaient aux côtés de Lénine contre les économistes, ce sont les mencheviks qui ont repris à leur compte l'ensemble des critiques vis-à-vis de Lénine qu'avaient initialement portées Martynov, Akimov et leurs accolytes, y compris le point de vue selon lequel la vision de Lénine sur le parti préparait le terrain pour une dictature sur le prolétariat (en fait, Martynov lui-même est rentré au bercail une fois que Lénine eut démissionné de l'Iskra). De même que les économistes avaient défendu l'idée que la bourgeoisie devait assumer la révolution politique contre le Tsarisme et les sociaux-démocrates s'occuper de la lutte de classe quotidienne pour les besoins vitaux de base, en 1904, les mencheviks comme Zassoulitch et Dan parlaient de plus en plus ouvertement de la nécessité de s'allier à la bourgeoisie dans la révolution à venir. Et même Trotsky - qui allait bientôt rompre avec les mencheviks essentiellement sur cette question et formuler sa théorie de la révolution permanente selon laquelle il reviendrait au prolétariat d'assumer le rôle dirigeant même dans la révolution russe qui arrivait - en prenant le parti des mencheviks en 1903-04, prit également en charge leur défense de positions économistes. Ceci apparaît très fortement dans les deux textes : Trotsky passe beaucoup de temps à ironiser sur le temps perdu à discuter avec minutie de détails organisationnels alors que les masses en Russie sont en train de poser des questions brûlantes comme les grèves et les manifestations de masse ; comme Axelrod, il ridiculise la thèse de Lénine selon laquelle il y aurait un opportunisme sur les questions organisationnelles : "Comme notre intrépide polémiste ne se décide quand même pas à mettre Axelrod et Martov dans la catégorie des opportunistes en général (ce serait si attirant du point de vue de la clarté et de la simplicité !), il crée pour eux la rubrique "opportunisme en matière d'organisation". Cela devient le "croque-mitaine" avec lequel on fait peur aux petits enfants... Opportunisme en matière d'organisation ! Girondisme dans la question de la cooptation par les deux tiers en l'absence d'un vote motivé ! Jaurésisme en matière du droit du Comité central de fixer le lieu de l'administration de la Ligue !..." Derrière les sarcasmes, cet argument représente en réalité un glissement vers l'économisme : il minimise la position spécifique et la nécessité de l'organisation politique et de son mode de fonctionnement qui constitue une question politique qu'on ne peut éluder et noyer dans des considérations sur la lutte de classe en général. Dans la question du fonctionnement se posent des questions de principe qui, sous la pression de l'idéologie bourgeoise, peuvent être sujettes à des interprétations opportunistes.

Le retour à l'économisme

En fait, les textes de Trotsky remettent complètement en question le travail de l'Iskra qui l'avait tant attiré auparavant - son appel à un parti centralisé avec des règles formelles de fonctionnement, son effort vital pour faire sortir le mouvement révolutionnaire du marais du terrorisme, du populisme, de l'économisme et d'autres formes d'opportunisme. Les économistes, a l'air de dire Trotsky maintenant, ont commis des fautes, mais au moins, ils avaient une pratique réelle dans la classe, alors que le centre des préoccupations de l'Iskra était de gagner l'intelligentsia au marxisme, tout en faisant de vagues "proclamations" ou en se centrant presque exclusivement sur la diffusion de la presse. Dans la période précédent le Congrès, dit Trotsky, "l'organisation oscille entre deux types : elle est conçue tantôt comme un appareil technique destiné à diffuser massivement la littérature éditée, soit sur place, soit à l'étranger, tantôt comme un "levier" révolutionnaire susceptible d'engager les masses dans un mouvement finalisé, c'est-à-dire de développer en elles les capacités préexistantes d'activité autonome. L'organisation "artisanale" des économistes était particulièrement proche de ce second type. Bonne ou mauvaise, elle contribua directement à unir et à discipliner les ouvriers dans le cadre de la lutte "économique", c'est-à-dire essentiellement gréviste". Ici Trotsky passe complètement à côté du problème central posé par cette conception : elle réduit l'organisation révolutionnaire à un organisme de type syndical. Ce n'est pas une question de bonne ou mauvaise organisation, car il est évident que la classe a besoin de développer des organisations générales pour sa lutte de défense contre le capital. Le problème est que la minorité révolutionnaire ne peut pas, par sa nature même, jouer ce rôle et en tentant de le faire, elle oubliera son rôle central, celui de direction politique dans le mouvement. Mais l'Iskra, insiste Trotsky dans son texte, à la différence des économistes, n'était pas du tout dans le mouvement. "Il est vrai que le parti se rapproche maintenant au moins du prolétariat pour la première fois. Au temps de "l'économisme", le travail était entièrement dirigé vers le prolétariat mais, principiellement, ce n'était pas encore un travail politique social-démocrate. Pendant la période de l'Iskra, le travail prit un caractère social-démocrate, mais il n'était pas dirigé directement vers le prolétariat". En d'autres termes, le principal but de l'Iskra n'était pas l'intervention dans les luttes immédiates de la classe, mais de développer des polémiques dans l'intelligentsia. Trotsky conseille donc à ses lecteurs de reconnaître les limites historiques de l'Iskra : "Il ne suffit pas de reconnaître les mérites historiques de l'Iskra, encore moins d'énumérer toutes ses affirmations malheureuse et ambiguës. Il faut aller au-delà : il faut comprendre le caractère historiquement limité du rôle joué par l'Iskra. Elle a beaucoup contribué au processus de différenciation de l'intelligentsia révolutionnaire ; mais elle a également entravé son libre développement. Les débats de salon, les polémiques littéraires, les disputes d'intellectuels autour d'une tasse de thé, tout cela elle l'a traduit en langage de programmes politiques. De façon matérialiste, elle a réalisé la multitude des sympathies théoriques et philosophiques à des intérêts de classe déterminés ; et c'est bien en employant cette méthode "sectaire" de différenciation qu'elle a conquis à la cause du prolétariat une bonne partie de l'intelligentsia ; enfin, elle a consolidé son "butin" par les résolutions diverses du 2e Congrès en matière de programme, de tactique et d'organisation." Les références de Trotsky aux "débats de salon" et aux "disputes d'intellectuels autour d'une tasse de thé" trahissent sa conversion temporaire à une vision marquée par une méfiance immédiatiste, activiste et ouvriériste vis-à-vis des tâches de l'organisation politique. En définissant l'économisme et l'Iskra comme ayant eu la même valeur et ayant tous deux constitué des moments limités de l'histoire du parti, il affaiblit le rôle décisif de l'Iskra dans la lutte pour une organisation révolutionnaire capable de jouer un rôle dirigeant dans les luttes massives de la classe - un rôle dirigeant et pas seulement d'"assistant" des mouvements de grève. C'est plus qu'une observation sur la composition sociologique de l'Iskra, plus qu'un simple flirt avec l'ouvriérisme. C'est lié à la théorie qui allait avoir une longue histoire : la notion selon laquelle l'avant-garde politique est essentiellement le représentant d'une intelligentsia qui cherche à s'imposer à la classe ouvrière. Evidemment cette théorie a trouvé son incarnation la plus haute dans la critique conseilliste du bolchevisme après la défaite de la révolution russe, mais elle avait certainement un précurseur dans le "cher maître" de Trotsky, Axelrod ; il défendait l'idée que la revendication d'un fonctionnement ultra centraliste par Lénine démontrait que le courant bolchevique était en réalité l'expression de la bourgeoisie russe, puisque cette dernière avait aussi besoin du centralisme pour mener ses tâches politiques.

Trotsky et le substitutionnisme

La réinterprétation par Trotsky de la contribution de l'Iskra est également liée aux critiques de substitutionnisme et de jacobinisme qui compose une grande partie de son ouvrage Nos tâches politiques. Selon le point de vue de Trotsky, toute la conception politique de l'Iskra, son insistance sur les polémiques politiques contre les faux courants révolutionnaires, se fondait sur la notion d'agir au nom du prolétariat : "Mais comment s'expliquer que la méthode de la pensée "substitutive" - à la place de celle du prolétariat - pratiquée sous les formes les plus variées � pendant toute la période de l'Iskra n'ait pas (ou presque pas) suscité d'autocritique dans les rangs des "iskristes" eux-mêmes ? L'explication de ce fait, le lecteur l'a déjà trouvée dans les pages précédentes : sur tout le travail de l'Iskra a pesé la tâche de se battre pour le prolétariat, pour ses principes, pour son but final - dans le milieu de l'intelligentsia révolutionnaire." C'est dans Nos tâches politiques que Trotsky a écrit le célèbre passage "prophétique" sur le substitutionnisme : "Dans la politique interne du parti, ces méthodes conduisent, comme nous le verrons plus loin, l'organisation du parti à se "substituer" au parti, le comité central à l'organisation du parti, et finalement le dictateur à se substituer au comité central." Là comme le note Deutscher dans Le prophète armé, Trotsky semble avoir l'intuition de la future dégénérescence du parti bolchevique. Trotsky montre aussi cette perception lorsqu'il souligne le danger de substitutionnisme par rapport à l'ensemble de la classe dans la révolution future (danger dans lequel il devait lui-même tomber plus encore que Lénine à certains moments) : "Les tâches du nouveau régime seront si complexes qu'elles ne peuvent être résolues autrement que par une compétition entre différentes méthodes de construction économique et politique, à travers de longues "disputes", au moyen d'une lutte systématique non seulement entre différents courants au sein du socialisme, courants qui émergeront inévitablement dès que la dictature du prolétariat posera des dizaines et des centaines de problèmes nouveaux. Aucune organisation "dominante" forte ne sera capable de supprimer ces courants et ces controverses... Un prolétariat capable d'exercer sa dictature sur la société ne tolérera aucune dictature sur lui-même". Trotsky a aussi fait des critiques valables à l'analogie faite par Lénine dans Que faire ? entre les révolutionnaires prolétariens et les jacobins, en montrant les différences essentielles qui existent entre les révolutions bourgeoises et la révolution prolétarienne. De plus, il note qu'en polémiquant contre les économistes qui voyaient la conscience de classe comme le simple reflet ou produit de la lutte immédiate, Lénine a fait l'erreur d'avoir recours à "l'idée absurde" de Kautsky sur la conscience socialiste ayant son origine dans l'intelligentsia bourgeoise. Etant donné que sur beaucoup de ces questions, Lénine a admis "avoir tordu la barre" dans son assaut contre l'économisme et le localisme organisationnel, il n'est pas surprenant que certaines polémiques de Trotsky montrent une grande perspicacité et soient des contributions théoriques qu'on peut encore utiliser aujourd'hui. Mais ce serait une vraie erreur, comme le font les conseillistes, de traiter son point de vue hors de son contexte global. Il fait partie d'une argumentation fondamentalement erronée qui exprimait l'incapacité de Trotsky à ce moment-là à comprendre les enjeux véritables du débat. Par rapport aux intuitions de Trotsky sur le substitutionnisme en particulier, nous devons garder à l'esprit d'abord et avant tout qu'il partait de l'idée que la lutte menée par Lénine pour le centralisme correspondait non à un combat pour des principes, mais à une "volonté de pouvoir" machiavélique de sa part, et interprétait donc toutes les actions et les propositions de ce dernier lors du Congrès comme faisant partie d'une grande manoeuvre pour assurer sa dictature unique sur le parti et peut-être sur l'ensemble de la classe. La seconde faiblesse de la critique portée par Trotsky au substitutionnisme est qu'elle ne voit pas ses racines dans la pression générale de l'idéologie bourgeoise qui peut affecter le prolétariat aussi bien que la petite-bourgeoisie intellectuelle. Au contraire, il développe une analyse sociologique et ouvriériste selon laquelle la raison pour laquelle l'Iskra a failli, serait qu'elle était principalement constituée d'intellectuels et qu'elle orientait la plus grande partie de ses activités vers des intellectuels. Et, last but not least, alors que le substitutionnisme allait devenir un danger réel, en théorie comme dans la pratique avec l'isolement et le déclin de la révolution russe, à la veille de 1905 au moment de la marée montante de la lutte de classe, ce n'était pas le principal danger. Le vrai danger qui avait été dénoncé au 2e Congrès, l'obstacle principal au développement du mouvement révolutionnaire en Russie, n'était pas que le parti agisse à la place des masses ; c'était que la sous-estimation du rôle distinct du parti, intrinsèque à la vision des économistes et des mencheviks, empêche la formation d'un parti capable de jouer son rôle dans les soulèvements sociaux et politiques à venir. En ce sens, les avertissements de Trotsky sur le substitutionnisme étaient une fausse alarme. Dans une certaine mesure, on peut comparer la situation à la phase de lutte de classe qui s'est ouverte en 1968 : durant toute cette période caractérisée par une courbe ascendante de la lutte de classe et la faiblesse extrême des minorité révolutionnaires, le danger de loin le plus grand pour le mouvement de la classe n'est pas que les minorités révolutionnaires violent en quelque sorte la virginité de la classe mais que le prolétariat se lance dans des confrontations massives avec l'Etat bourgeois dans un contexte où l'organisation révolutionnaire est trop petite et trop isolée pour influencer le cours des événements. C'est pourquoi le CCI a défendu depuis le milieu des années 1980 que le plus grand danger aujourd'hui n'est pas le substitutionnisme mais le conseillisme, pas l'exagération du rôle et des capacités du parti mais sa sous-estimation ou sa négligence. Le flirt de Trotsky avec les mencheviks en 1903 a été une erreur grave et allait aboutir à une rupture entre Lénine et lui qui allait durer jusqu'à la veille de la révolution d'Octobre. Néanmoins, ce flirt allait s'avérer temporaire. A la fin de 1904, Trotsky était brouillé avec les mencheviks - principalement sur la base de leur analyse de la révolution qui se préparait : il n'a jamais pu digérer la vision selon laquelle la classe ouvrière russe était obligée de subordonner sa lutte aux besoins de la bourgeoisie libérale. Le caractère fondamentalement prolétarien de la réponse de Trotsky allait être démontré pendant les événements de 1905 au cours desquels il joua un rôle absolument crucial comme président du Soviet de Petrograd. Mais plus importantes encore peut-être sont les conclusions théoriques qu'il a tirées de cette expérience, en particulier la théorie de la révolution permanente et l'élucidation du rôle historique de la forme des soviets dans l'organisation de la classe. Trotsky a rejoint Lénine et le parti bolchevique en 1917 et a reconnu, comme nous l'avons vu, que c'est Lénine qui avait eu raison en 1903 sur la question de l'organisation. Cependant, il n'est jamais revenu à fond sur cette question et, notamment, sur les erreurs qu'il a exprimées dans les deux importantes contributions (Rapport de la délégation sibérienne et Nos tâches politiques) que nous avons examinées. Et malgré l'importance qu'il a accordée à ces problèmes d'organisation, il a continué à les sous-estimer au cours de sa vie politique ultérieure, contrairement à d'autres courants en opposition au stalinisme, comme la Gauche italienne par exemple. Avec le recul de l'histoire, l'examen des désaccords peut encore nous apprendre beaucoup non seulement sur les questions débattues mais aussi sur la façon dont la polémique entre de vrais représentants de la pensée marxiste peut donner naissance à la clarté qui transcende les contributions individuelles des penseurs eux-mêmes. Comme nous le verrons dans le prochain article, c'est aussi vrai pour le débat sur les questions d'organisation entre Lénine et Rosa Luxemburg.

Amos

 

 

Histoire du mouvement ouvrier: 

  • 1903: Fondation du Parti Bolchevique [34]

Approfondir: 

  • La naissance du bolchevisme [35]

Heritage de la Gauche Communiste: 

  • L'organisation révolutionnaire [36]

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