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Revue Internationale no 79 - 4e trimestre 1994

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Editorial : les grandes puissances répandent le chaos

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Jeudi 8 septembre 1994, une se­maine après le retrait définitif des troupes russes de la totalité du territoire de l’ex-RDA, le tour était venu aux trois alliés d'hier, Amé­ricains, Britanniques et Français d'évacuer Berlin. Quel symbole ! S'il est une ville qui, à elle seule, résume ces 45 années d'affron­tements Est-Ouest, ce demi siècle de guerre dite froide, cynique euphémisme d'historien car il n'y a qu'à voir combien furent chauds et sanglants les bras de fer enga­gés en Corée et au Viêt-nam, c'est bien Berlin. La sinistre page d'histoire des rivalités impérialis­tes qui avait commencé à s'écrire dès la fin du second conflit mon­dial entre les Etats-Unis, la dé­funte URSS et leurs alliés respec­tifs, et dont l'Allemagne, à travers Berlin, avait constitué un des enjeux principaux, est donc tournée. Pourtant, force est de constater que la fin de cette épo­que, qui en réalité a débuté dès novembre 1989 avec la chute du mur de Berlin, ne correspond en rien à ce « nouvel ordre mondial » tant promis par tous les dirigeants des grands Etats capitalistes. Les dividendes de la paix se font dé­cidément attendre.

En fait, jamais nous n'avons été aussi éloignés d'un monde fondé sur la concorde entre les Etats et sur la prospérité économique. En revanche, à l'exception peut-être des deux premiers conflits mon­diaux, jamais l'humanité n'a eu autant à subir la barbarie, la sau­vagerie d'un mode de production décadent, le capitalisme, qui partout se distingue à travers l'éternelle litanie des massacres, des épidémies, des exodes et des destructions.

Bombardements en Bosnie, attentats au Maghreb, massacres au Rwanda, tueries au Yémen, embuscades en Afghanistan, exode à Cuba, famine en Somalie... les contrées du globe épargnées par le chaos se font de plus en plus rares. C'est chaque jour désormais que sur tous les continents habités la liste des pays sombrant dans le désordre le plus total s'allonge.

Cela d'ailleurs, plus personne ne l'ignore. Il faut dire que quotidienne­ment les médias bourgeois et leurs zélés journalistes aux ordres ne manquent pas de nous montrer, de nous faire lire et entendre jusque dans les moindres détails la façon dont souffrent des millions d'êtres humains de part le monde. C'est, paraît-il, la déontologie de nos informa­teurs qui l'exige. Les citoyens des pays démocratiques peuvent et surtout doi­vent savoir. Nous vivons là, soi-disant, les temps modernes du triomphe de l'information objective. En vérité, si les renseignements bourgeois sont toujours bien à même de nous jeter à la figure le film de l'agonie de centaines de milliers d'individus comme au Rwanda, ils en masquent toujours les causes réelles. Constamment ils font passer pour vraies de fausses explications.

Le déchaînement du chaos porte la signature des grandes puissances

Pour ce qui est du dernier massacre en date, celui des populations ruandaises où près de 500 000 personnes ont péri, les interprétations fallacieuses de la bourgeoisie n'ont pas manqué. Tout, à peu près, a été dit au sujet des haines inexpiables qu'entretiennent entre eux les Tutsis et les Hutus et sur leurs diffé­rends remontant, paraît-il, à la nuit des temps. Rien n'est plus faux. Les vrais barbares se sont, entre autres, les offi­ciels français, hauts fonctionnaires et diplomates aux discours onctueux, défenseurs acharnés des intérêts de l'impérialisme français dans la région. Car c'est bel et bien la bourgeoisie fran­çaise qui, des années durant, a équipé militairement les troupes majoritaire­ment hutues de feu le président Habyarimana, les sinistres FAR, responsables des premières tueries et des premiers exodes massifs de populations essentiel­lement tutsies. Cette orgie meurtrière, les autorités locales l'avaient planifiée ; ça, tous les grands journalistes et autres experts patentés se sont bien gardés de le dévoiler avant ou pendant les massa­cres. De même, très peu de choses ont filtré quant au soutien massif de la part des Etats-Unis et de la Grande-Bretagne dont a bénéficié l'autre faction, tout aussi assassine, du FPR majoritairement tutsie. Il n'y a rien d'étonnant à ce que la France n'ait pas vigoureusement dé­noncé cet appui américain au FPR, sans quoi elle n'aurait pas pu se draper dans sa vertueuse défense des Droits de l'Homme dont elle est, à l'en croire, la patrie universellement garante. L'opé­ration Turquoise n'a été que l'alibi hu­manitaire du criminel Etat français, la défense de ses sordides intérêts impé­rialistes, son mobile. Toutefois cette intervention n'a pu ni empêcher la pour­suite des tueries, tel n'était pas son but, ni, par-dessus tout, empêcher la prise de Kigali par les pro-américains du FPR. Pour Paris, c'est nettement plus fâcheux. Mais qu'à cela ne tienne, les fameuses FAR, réfugiées au Zaïre et manipulées par la France, seront encouragées à har­celer, voire à reprendre le pouvoir au FPR.

Ainsi, toute puissance démontre par-là qu'elle est toujours prompte à déchaîner le chaos dans le pré-carré de sa rivale. Afin donc de mieux déstabiliser une position française, les Etats-Unis et l'Angleterre ont sciemment, en aidant le FPR, joué la carte du désordre. Si elle le peut, la bourgeoisie française finira tôt ou tard par leur rendre la monnaie de leur pièce. Le calvaire qu'endure la po­pulation ruandaise est donc loin d'être achevé. La guerre, le choléra, la dysen­terie ou la famine n'ont pas fini de faire de nouvelles victimes et au bout du compte, de tous ces fléaux, le Rwanda ne se relèvera pas.

A l'aune de cet exemple on comprend mieux la situation en Algérie. Les ac­teurs, les armes utilisées, les objectifs sont les mêmes. Ici aussi il s'agit pour l'impérialisme américain de déloger la France d'une de ses traditionnelles zones d'influence, le Maghreb. C'est délibérément que les Etats-Unis, par l'intermédiaire de l'Arabie Saoudite qui finance le FIS (Front Islamique du Salut), cherchent à chasser la France de la région. Ainsi, d'attentats en exécu­tions fomentés par un FIS sponsorisé par Washington, de répression en incar­cérations pratiquées par des militaires parrainés par Paris, l'Algérie est en proie aux pires convulsions. Ici aussi on peut imaginer le chemin de croix que représente pour ces populations la prise en tenailles entre le FIS et les militaires. En outre, il y a fort à parier que bientôt toute l'Afrique du Nord connaîtra le même sort. Les enjeux étant de nature identique, comme le reconnaît le géo­politicien Y. Lacoste, dans une inter­view donnée à la revue L'Histoire n°180: «A la suite de l'Algérie, la Tunisie va sans doute basculer. Et même le Maroc... Aussi allons-nous au-devant d'une période très difficile pour la France. »

Plus proche encore des grandes métro­poles industrialisées d'Europe que l'Al­gérie, il y a l'ex-Yougoslavie où, depuis plus de trois ans déjà, la guerre et l'anarchie règnent en maîtres. Réguliè­rement pourtant, on n'hésite pas à nous y annoncer l'imminence de la paix. Systématiquement cependant, la réalité se charge de tailler en pièces toutes les calembredaines pacifistes dont nous abreuve la bourgeoisie.

Souvenons-nous. L'hiver dernier, c'est Sarajevo qui était censée retrouver un peu de calme. Messes célébrées, concerts retransmis en mondovision, collectes organisées pour venir en aide aux enfants de cette ville martyre, rien n'avait manqué pour fêter solennelle­ment l'arrêt des combats, consécutif aux bons offices des chancelleries des « grandes démocraties ». Qu'en reste-t-il à présent ? Les bombardements et les tirs des snipers ont repris sur la ville, à tel point que le Pape, Jean-Paul II lui-même, n'a pas pris le risque de vérifier si, en septembre, sa papamobile résiste­rait à l'épreuve du gros calibre. Il a pré­féré se rendre à Zagreb, en Croatie. C'est moins dangereux, pour le moment. Pour le moment seulement, car tous les agissements des grandes puissances participent à l'aggravation du conflit. Pour exemple, la récente initiative américaine de constitution d'une fédé­ration croato-bosniaque qui vise à déta­cher la Croatie de son alliance avec l'Allemagne, risque de porter la confrontation à un niveau plus élevé encore. En effet, la politique de la Maison Blanche, en étant prête à épau­ler les Croates dans leur entreprise d'annexion de la Krajina, qui est une enclave serbe sur leur territoire, aura pour conséquence l'opposition, à grande échelle cette fois-ci, des Croato-bosniaques aux Serbes. Ici, mais sûrement plus qu'ailleurs étant donné l'importance stratégique des Balkans, comme en So­malie, en Afghanistan ou au Yémen, l'exacerbation des tensions entre les grandes puissances conduit et conduira à la désolation. Certes, encore s'agit-il là de pays sous-développés où le proléta­riat, trop faible, ne peut empêcher le déchaînement de la barbarie. Néan­moins, ce qu'il faut constater, c'est qu'autant naguère le capitalisme avait encore les moyens de repousser à la pé­riphérie ce chaos, autant à présent il ne peut empêcher le rapprochement des manifestations de celui-ci des grandes métropoles industrialisées. Les convul­sions qui secouent l'Algérie et l'ex-Yougoslavie l'attestent.

De même, ce qui frappe actuellement c'est le nombre de zones géographiques totalement ravagées par la guerre et les fléaux. D'une certaine manière, jusque dans les années soixante-dix, grosso modo, un conflit chassait l'autre. Désormais, comme en Afghanistan, ils se poursuivent sous d'autres formes. Ce phénomène n'est pas un hasard. A l'instar d'un cancéreux parvenu au stade terminal et dans le corps duquel les métastases prolifèrent, le capitalisme de cette fin de siècle est dévoré par les cellules folles de la guerre qu'il ne peut stopper.

Le capitalisme se décompose : seul le prolétariat offre une perspective

Certains ne manqueront pas d'objecter qu'il est certaines régions de la planète où la paix des braves est possible. Il en serait apparemment ainsi en Irlande du Nord où l'IRA semble déposer les armes. Rien n'est plus trompeur. En forçant les extrémistes catholiques du Nord à négocier, les Etats-Unis cher­chent à faire pression sur l'Angleterre afin que celle-ci n'ait plus de prétexte à son maintien en Ulster. Pourquoi ? Parce que la Grande-Bretagne n'est plus le docile allié d'hier.

Depuis l'effondrement de l'URSS les divergences d'intérêts impérialistes vont bon train des deux côtés de l'Atlantique, et ce tout particulièrement à propos de l'ex-Yougoslavie. La « pax capitalista » n'est jamais qu'un moment particulier dans le combat que se livrent les Etats. En fait, la décomposition capitaliste a plutôt tendance à affecter de plus en plus certains pays industrialisés. Bien sûr, le niveau des manifestations de celle-ci est encore infiniment moins catastrophique comparé aux pays précé­demment cités. Mais tel est pourtant le cas en Italie et ce précisément à cause des rivalités impérialistes qui traversent cet Etat. Si historiquement l'Etat démo­cratique italien ne s'est jamais distingué par sa stabilité ([1] [1]), cette fragilité s'en trouve aujourd'hui aggravée, du fait des * rivalités qu'opposent en son sein différentes factions qui n'ont pas les mêmes options en matière d'alignements impé­rialistes. La clique de Berlusconi a plu­tôt choisi l'alliance américaine, tandis que l'autre, celle qui contrôle la magis­trature, penche plutôt en faveur d'une alliance avec la France et l'Allemagne. Cet affrontement qui voit cette dernière faction n'avoir de cesse de dévoiler scandales sur scandales, conduit le pays à une situation de quasi paralysie. Bien évidemment, l'heure n'est pas venue d'un contexte à la ruandaise, où l'on ver­rait les bourgeois italiens régler leurs comptes à la machette. Non, pour le moment les coups de flingue et les pains de plastic suffisent. Le niveau de déve­loppement du pays n'est pas le même, l'histoire non plus, mais surtout et en premier lieu, la classe ouvrière italienne n'est pas prête à se ranger derrière tel ou tel clan bourgeois en présence.

Il en va d'ailleurs ainsi de l'ensemble du prolétariat des pays centraux. Cepen­dant, ce non embrigadement de la seule classe capable d'apporter une perspec­tive à l'humanité n'empêche pas pour autant le capitalisme de littéralement pourrir sur pied. Au contraire, c'est bien cette situation de blocage historique où ni le prolétariat ne peut imposer sa perspective historique immédiatement, c'est-à-dire le renversement du système, et où ni la bourgeoisie ne peut déclen­cher la guerre mondiale, qui est à l'ori­gine de la phase de décomposition. Tou­tefois il est certain que si la classe ouvrière ne parvient pas au terme de sa mission historique, tous les scénarios les plus effroyables sont plausibles. De guerres en abominations de toute sortes, l'humanité finirait par être anéantie.

La classe bourgeoise n'a donc stricte­ment rien à présenter face à la faillite de son organisation sociale. Elle ne nous propose que la résignation, l'acceptation de toute cette barbarie au nom de la fa­talité, autant dire le suicide.

Car même en la reprise économique mondiale elle ne croit pas. Et pour cause. Elle sait que, même si elle par­vient à relancer la production, en se li­vrant à une nouvelle fuite dans l'endet­tement (en particulier public), elle ne pourra plus résorber véritablement le chômage ni empêcher de violentes et destructrices explosions financières. La saturation du marché mondial et sa conséquence, à savoir la recherche de débouchés, cette autre guerre, commer­ciale cette fois, en obligeant tous les Etats et les entreprises à licencier, conduit les capitalistes à scier la bran­che sur laquelle ils sont assis. Finale­ment, comme c'est écrit dans le dernier roman du français J. Attali ce « brillant penseur» bourgeois, ex-conseiller de Mitterrand, ex-président de la BERD et personnage probablement le plus diplômé de France, il n'y a pas d'avenir sinon pour un monde abominable fait de trafics d'organes et où les pères tuent leur fils. Cet ouvrage qui s'intitule « Il viendra », mais il est déjà là, n'est jamais qu'un triste résumé du monde actuel et du néant qu'il nous garantit si le prolétariat ne le renverse pas.

Arkady, 17 septembre 1994


[1] [2] Voir à ce sujet dans la Revue internationale n° 76 et 77 la série « Comment est organisée la bourgeoi­sie ».

Questions théoriques: 

  • Décomposition [3]
  • Guerre [4]

Les commémorations de 1944 : 50 ans de mensonges impérialistes (2e partie)

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Dans la première partie de cet ar­ticle nous nous sommes efforcés de souligner l'ignominie des com­mémorations du débarquement de 1944, lequel n'a signifié au­cune libération « sociale » pour le prolétariat mais un massacre inouï au cours de l'ultime année de la guerre, misère et terreur au cours des années de reconstruc­tion. L'ensemble des camps capi­talistes antagonistes a été res­ponsable de la guerre qui s'est terminée par un repartage-dépeçage du monde entre grandes puissances. Comme nous l'avons souligné à plusieurs reprises dans cette revue, le prolétariat n'est pas apparu au devant de la scène contrairement à la première guerre mondiale. Les ouvriers de tous les pays sont restés tétanisés par la terreur capitaliste. Mais si la classe ouvrière n'a pu se porter à la hauteur de sa capacité historique, à renverser la bour­geoisie, cela ne signifie pas qu'elle ait «disparu», ni qu'elle ait complètement abandonné sa combativité, ni que ses minorités révolutionnaires soient restées to­talement paralysées.

La classe ouvrière est la seule force ca­pable de s'opposer au déchaînement de la barbarie impérialiste comme elle l'a prouvé de manière incontestable au cours de la première guerre mondiale. Aussi, la bourgeoisie ne s'est-elle lancée dans la guerre qu'après avoir réuni les conditions pour l'embrigadement et l'impuissance   du  prolétariat   international. La bourgeoisie démocratique ac­tuelle peut pérorer sur sa libération. Ses prédécesseurs avaient pris avec vigilance toutes les précautions, avant, pendant et après-guerre pour éviter que le prolétariat n'ébranle à nouveau son édifice de barbarie comme en 1917 en Russie et 1918 en Allemagne. Cette ex­périence de la vague révolutionnaire surgie au cours et contre la guerre avait confirmé que la bourgeoisie n'est juste­ment pas une classe toute-puissante. La lutte de masse du prolétariat qui débouche sur sa phase insurrectionnelle est une bombe sociale mille fois plus paralysante que la bombe atomique préparée par les nazis et achevée sous les auspices des chefs « démocratiques » et staliniens. Tout le déroulement de la seconde guerre mondiale, une fois qu'on cesse de se laisser abuser par le bour­rage de crâne dithyrambique sur la chronologie des seules batailles mili­taires contre le mal hitlérien, révèle que le prolétariat est resté une des préoccupations centrales de la bour­geoisie dans les divers camps antago­nistes. Cela ne signifie pas que le prolétariat était en mesure de menacer l'ordre existant comme deux décennies auparavant mais qu'il restait une préoccupation de premier plan de la bour­geoisie dans la mesure, notamment, où elle ne pouvait massacrer complètement cette classe qui produit l'essentiel de la richesse de la société. Il fallait détruire sa conscience. Il fallait faire perdre aux ouvriers l'idée même qu'ils existent comme corps social antagonique aux intérêts de la « nation », faire oublier aux ouvriers qu'unis massivement ils sont en mesure de changer le cours de l'histoire.

Comme nous le rappellerons brièvement ici, à chaque fois que le prolétariat a menacé de se redresser et tenté de s'affirmer comme classe, l'Union sacrée des impérialistes s'est rétablie par-delà les lignes de bataille. La bourgeoisie nazie, démocratique ou stalinienne, a réagi implicitement, sans concertation même souvent, pour préserver l'ordre social capitaliste. Les défenses immuni­taires de l'ordre social réactionnaire surgissent naturellement. De cette longue défaite, de cette capacité de la bourgeoisie décadente à défendre son ordre de terreur, le prolétariat ne peut pas ne pas tirer les enseignements un demi-siècle plus tard.

1. L'avant-guerre

La guerre de 1939-45 n'a été possible que parce que le prolétariat, dans les années 1930, n'avait plus la force suf­fisante pour empêcher le conflit mondial, qu'il avait perdu la conscience de son identité de classe. C'était le résultat de trois étapes d'annihilation de la menace prolétarienne :

-  l'épuisement de la grande vague révo­lutionnaire de l'après 1917, close avec le triomphe du stalinisme et de la théorie du « socialisme dans un seul pays » adoptée par l'Internationale communiste ;

-  la liquidation des convulsions sociales dans le centre décisif où se jouait l'alternative capitalisme ou socia­lisme : en Allemagne, principalement sous la houlette de la Social-démocratie elle-même, le nazisme ne venant que parachever le travail pour imposer aux prolétaires une terreur sans précédent ;

- le dévoiement total du mouvement ouvrier dans les pays démocratiques sous le masque de la « liberté face au fascisme », avec l'idéologie des «fronts populaires » qui servit à paralyser plus subtilement les ouvriers des pays industrialisés que « l'union nationale » de 1914.

En Europe, cette formule des «fronts populaires » n'était que l'anticipation du Front National des PC et autres partis de gauche au cours de la guerre. Les prolétaires des pays développés étaient mis en condition pour ployer derrière l'antifascisme ou derrière le fascisme, idéologies symétriques les soumettant à la défense de « l'intérêt national », c'est-à-dire à l'impérialisme de leurs bour­geoisies respectives. Dans les années 1930, les ouvriers allemands n'étaient pas les « victimes du Traité de Ver­sailles », comme leur clamaient leurs gouvernants, mais de la même crise qui frappait leurs frères de classe du monde entier. Les ouvriers d'Europe de l'ouest et des Etats-Unis n'étaient pas plus vic­times d'Hitler, seul «fauteur de guerre » devant l'éternel, que de leur propre bourgeoisie « démocratique » soucieuse de la défense de ses sordides intérêts impérialistes. En 1936, les mystifications sur l'antifascisme et la « défense de la démocratie » se ca­ractérisent par le bourrage de crâne pour pousser les ouvriers à prendre partie en­tre les fractions rivales de la bourgeoi­sie : fascisme/antifascisme, droite/gauche, Franco/République. Dans la plupart des pays européens, ce sont des gouvernements de gauche ou des partis de gauche « en opposition » et avec l'appui idéologique de la Russie stalinienne, qui génèrent l'idéologie des « Fronts Populaires », qui, comme leur nom l'indique, ont servi à convaincre les ouvriers d'accepter - à travers cette nou­velle version de l'alliance des classes ennemies - des sacrifices inimaginables.

La guerre d'Espagne a été la répétition générale de la guerre mondiale par la confrontation des différents impérialismes qui se sont logés derrière chacune des fractions de la bourgeoisie espa­gnole. Elle a surtout été le laboratoire de ces «fronts populaires » permettant la concrétisation et la désignation de « l'ennemi » contre qui on appelait les ouvriers d'Europe occidentale à se mobiliser derrière leur bourgeoisie : le fascisme. Les centaines de milliers d'ouvriers espagnols massacrés ont été une « preuve » de la nécessité de la « guerre démocratique », mieux que l'assassinat d'un archiduc à Sarajevo 20 ans auparavant.

La bourgeoisie n'a pu faire la guerre qu'en trompant les prolétaires, en leur faisant croire que c'était aussi leur guerre :

« C'est l'arrêt de la lutte de classe, ou plus exactement la destruction de la puissance de classe du prolétariat, la destruction de sa conscience, la dévia­tion de ses luttes, que la bourgeoisie parvient à opérer par l'entremise de ses agents dans le prolétariat, en vidant ses luttes de leur contenu révolutionnaire et les engageant sur les rails du réformisme et du nationalisme, qui est la condition ultime et décisive de l'éclatement de la guerre impérialiste. » ([1] [5])

En fait, instruite par l'expérience de la vague révolutionnaire qui a débuté au cours même de la première guerre mondiale, la bourgeoisie, avant que de se lancer dans la seconde guerre mon­diale, s'est assurée d'un écrasement complet du prolétariat, une soumission sans commune mesure avec celle qui avait permis le déclenchement de la « Grande Guerre ».

En particulier, il faut constater que, concernant l'avant-garde politique du prolétariat, plus nettement qu'en 1914, l'opportunisme a clairement triomphé dans les partis ouvriers plusieurs années avant le début du conflit, transformant ces derniers en des agences de l'Etat bourgeois. En 1914, dans la plupart des pays, il existe encore des courants révolutionnaires dans les partis de la 2e internationale. Par exemple les bol­cheviks russes ou les spartakistes alle­mands étaient membres des partis so­cial-démocrates et ont mené la lutte au sein de ces partis. Lorsque la guerre éclate, les partis social-démocrates ne sont pas en totalité aux ordres de la bourgeoisie. En leur sein continue à se manifester une vie prolétarienne qui va brandir le flambeau de l'internationalisme prolétarien, particu­lièrement aux conférences de Zimmerwald et Kienthal. En revanche, les par­tis se réclamant de la 3e Internationale ont fini dans le giron bourgeois au cours des années 1930, bien avant le début de la guerre mondiale pour laquelle ils vont servir de zélés sergents-recruteurs. Et ils pourront même bénéficier du ren­fort des organisations trotskistes qui passent à ce moment-là, avec armes et bagages, dans le camp de la bourgeoisie en embrassant la cause d'un des camps impérialiste contre l'autre (au nom de la défense de l'URSS, de l'anti-fascisme et autres thèmes crapuleux). Enfin, l'éclatement, l'extrême isolement des minorités révolutionnaires qui main­tiennent, elles, les positions de principe contre la guerre confirment l'ampleur de la défaite subie par le prolétariat.

Atomisés, émiettés politiquement du fait de la trahison des partis qui parlaient en leur nom et de la quasi inexistence de leur avant-garde communiste, les prolétaires, ont donc réagi par la déban­dade généralisée au moment du déclenchement de la guerre.

2. Pendant la guerre

Comme lors du premier conflit mondial, il faut que s'écoulent au moins deux ou trois années avant que la classe ouvrière, assommée par l'entrée en guerre, ne puisse retrouver le chemin de ses combats. Malgré les conditions épouvantables de la guerre mondiale, et en particulier de la terreur qu'elle faisait régner, la classe ouvrière se montre toutefois capable de lutter sur son ter­rain. Cependant, du fait de la terrible défaite subie préalablement à la guerre, la plupart de ses combats n'auront pas une envergure susceptible de tracer à moyen terme la voie vers la révolution, ni pour inquiéter sérieusement les bour­geoisies en lice. La plupart des mouve­ments sont dispersés, coupés des leçons des luttes antérieures et surtout pas en­core armés par une réelle réflexion sur les raisons de l'échec de la vague révo­lutionnaire internationale qui avait débuté en Russie, en 1917.

Dans les pires conditions donc, les ou­vriers se montrent capables de relever la tête dans la plupart des pays belligérants, mais la censure et le matraquage des ondes sont omni­présents quand la presse n'a pas disparu. Dans les usines bombardées, dans les camps de prisonniers, dans les quartiers, les ouvriers tendent naturellement à retrouver leurs méthodes classiques de protestation. En France, par exemple, dès la seconde moitié de 1941 on compte des dizaines de grèves pour des revendications de salaires et de temps de travail. Il existe une propension des ou­vriers à tourner le dos à toute participa­tion à la guerre (bien que le pays soit à moitié occupé) : « le sentiment de classe restait plus fort que tout devoir na­tional.» ([2] [6]) La grève des mineurs du Pas-de-Calais est significative à cet égard. Ils font porter aux seuls patrons français la responsabilité de l'aggravation des conditions de travail, n'obéissant pas encore aux mots d'ordre des staliniens en faveur de la « lutte patriotique ». La description de cette grève est saisissante :

« La grève du 7 de Dourges a éclaté comme éclatent les grèves dans toutes les fosses, depuis qu'elles existent. Le mécontentement règne. On en a assez. Pas plus en 1941 qu'en 1936 ou en 1902, les mineurs n'ont consulté le re­gistre des lois. Ils ne se sont pas préoc­cupés s'il y avait des compagnies as­sistées de l'infanterie de ligne ou un gouvernement de Front populaire en puissance, ou des hitlériens prêts à les déporter. Au fond du puits, ils se sont consultés, ils se sont mis d'accord. Ils ont crié "Vive la grève" et ils ont chanté la gorge serrée, les larmes aux yeux, des larmes de joie, les larmes de la réussite. » ([3] [7]) Le mouvement s'étendra pendant plusieurs jours, laissant la soldatesque allemande impuissante, en­traînant plus de 70 000 mineurs. Le mouvement sera sévèrement réprimé ([4] [8]).

 

L'année 1942 connaît d'autres luttes ou­vrières, certaines avec des manifesta­tions de rues. L'instauration de la « relève » (travail obligatoire en Al­lemagne), entraînera même des grèves avec occupation, avant que PCF et trot­skistes ne dévient ce combat vers la lutte nationaliste. Il faut noter, cependant, que ces grèves et manifestations demeurent limitées au plan économique, face au rationnement de la nourriture et du ravitaillement. Le mois de janvier, dans le Borinage, en Belgique, a été marqué par toute une série de grèves et de mouvements de protestation dans les charbonnages. En juin, éclate une grève à la fabrique Nationale de Herstal et on voit des manifestations de ménagères devant l'Hôtel de Ville de Liège. Face à l'annonce de la déportation obligatoire de milliers de travailleurs à l'hiver 1942, 10 000 ouvriers se mettent en grève encore une fois à Liège, et le mouvement en entraînera 20 000 autres. A la même époque, grève de travailleurs italiens en Allemagne dans une grande fabrique d'avions. Début 1943, en Allemagne, à Essen, grève des ouvriers étrangers, français entre autres.

Le prolétariat n'est pas en mesure de s'élever dans une lutte frontale contre la guerre, c'est-à-dire contre sa propre bourgeoisie, au niveau des ouvriers russes de 1917. Restant à ce stade, la lutte revendicative qui ne se généralise pas peut être une protestation contre les patrons et les syndicats briseurs de grèves, mais tout en permettant la pour­suite plus effective de la guerre par le gouvernement, lorsque les patrons accordent des hausses de salaires (aux USA et en Angleterre par exemple). Là réside le danger que vienne se greffer l'idéologie nationaliste de la Libération. Bien avant l'instauration en France du « travail obligatoire » (qui a été du pain béni pour l'Union Nationale en 1942-43), la bourgeoisie britannique disposa d'un fanatique partisan du travail obli­gatoire avec le PC britannique devenu hystérique après l'attaque de l'Allemagne contre la Russie au milieu de l'année 1941. Dès lors, de concert avec les trotskistes à travers les syndi­cats, il ne fut plus question de faire grève mais de développer la production visant à favoriser l'effort de guerre pour soutenir le bastion (l'impérialisme) russe. ([5] [9])

Malgré l'extrême faiblesse du prolétariat, la poursuite de la guerre mondiale joue néanmoins contre la bourgeoisie. Ainsi on peut mesurer la crue des journées de grève en An­gleterre. Autant la période de déclara­tion de guerre montre un brutal frei­nage, autant dès 1941 le nombre de grèves va s'accroître jusqu'en 1944, puis décroître après la « Victoire».

Faisant le bilan de cette période de guerre, le groupe de la Gauche Com­muniste de France ne niera pas l'importance de ces grèves et les aura soutenues dans leurs objectifs immé­diats, mais il ne « se leurre pas sur leur portée encore limitée et contingente. » ([6] [10]) Face à cet ensemble de grèves rela­tivement dispersées et sans liaisons la plupart du temps, du fait du règne de la censure militariste, la bourgeoisie mondiale s'est toujours efforcée d'éviter leur radicalisation, faisant souvent des concessions économiques mineures, tant du côté allemand que du côté des alliés, et en ayant recours toujours au syndica­lisme qui, sous ses diverses formes, était et reste un instrument de l'Etat bour­geois. Les relations sociales ne pou­vaient rester longtemps pacifiques dans la guerre d'autant que l'inflation s'était aggravée.

La gravité terrible de la situation permet de comprendre pourquoi les minorités révolutionnaires espéraient la révolution plus qu'elle n'était contenue dans le véritable rapport de forces entre les classes. L'Europe entière vivait « au ras des rutabagas », seuls les travailleurs qui effectuaient de quinze à vingt heures supplémentaires par semaine étaient en mesure d'acheter des produits alimen­taires dont le prix avait décuplé en trois ans. Dans une telle situation de priva­ tions et de haine doublée d'impuissance face aux internements et déportations, l'éclatement de la lutte massive de près de deux millions d'ouvriers italiens en mars 1943, d'une durée de plusieurs mois, plus encore que cette série des grèves qui se vérifie au niveau interna­tional, vient alerter la bourgeoisie mondiale, sonner l'heure de la prépara­tion du mensonge de la Libération comme seule issue possible à la guerre.

 

Il ne s'agit pas de surestimer la portée de ce mouvement, mais de mesurer que face à cette action autonome du prolétariat italien sur son terrain de classe, la bourgeoisie italienne a pris immédiatement ses propres mesures, et a été aidée en cela par l'ensemble de la bourgeoisie mondiale, confirmant sa vigilance de l'avant-guerre.

Fin mars, 50 000 ouvriers de Turin se mettent en grève pour l'obtention d'une prime « de bombardement », pour l'augmentation des rations de vivres sans se soucier de ce qu'en pensera Mussolini. Leur rapide victoire encou­rage l'action de classe dans toute l'Italie du nord contre le travail de nuit dans les régions menacées de bombardements. Ce mouvement triomphe à son tour. Les concessions ne calment pas la classe ou­vrière, de nouvelles grèves surgissent accompagnées de manifestations contre la guerre. La bourgeoisie italienne prend peur et tourne casaque en 24 heures. Mais la bourgeoisie alliée veille et occupe l'Italie du Sud à l'automne. Cette résurgence du prolétariat doit être contrée en replâtrant l'Union nationale sur une base royaliste et démocratique. Victor-Emmanuel sort de dessous la ta­ble pour faire arrêter Mussolini, avec la complicité des vieilles barbes fascistes Grandi et Ciano, soudainement conver­ties à l'anti-fascisme. Malgré tout, les manifestations de masse continuent à se répandre à Turin, Milan, Bologne. Les cheminots organisent des grèves im­posantes. Face à l'ampleur de ce mou­vement, l'intérimaire gouvernemental Badoglio finit par s'enfuir en Sicile pour laisser Mussolini -libéré par Hitler -revenir assumer la répression avec les nazis et le consentement tacite de Chur­chill. La soldatesque allemande bom­barde sauvagement les villes ouvrières. Churchill qui a déclaré qu'il faut « laisser les italiens mijoter dans leur jus », affirme ne vouloir traiter qu'avec un gouvernement de l'ordre. Il n'est pas question que la classe ouvrière ap­paraisse comme libératrice (d'autant qu'elle est capable d'aller plus loin pour son propre compte), les Alliés anglo-saxons veulent changer les pantins et tirer les ficelles eux-mêmes. Après la terrible répression et le gonflement con­comitant des rangs de la résistance bourgeoise des partisans, les Alliés pourront avancer depuis le sud pour « libérer » le nord et réinstaller Badoglio ([7] [11]). Comme en France face au travail obligatoire, la bourgeoisie réus­sira à embrigader les ouvriers italiens battus sur leur terrain de classe dans l'idéologie de l'Union Nationale jusqu'à la dite Libération, sévèrement contrôlée par les milices staliniennes et la mafia.

Ce magnifique mouvement débuté en mars 1943 n'est pas un accident ou une rareté dans l'horreur de l'holocauste universel. Au cours de cette même an­née 1943, comme nous venons de le souligner, existait une timide vague de reprise des luttes au niveau interna­tional, sur laquelle nous ne disposons évidemment que de maigres informa­tions. Quelques exemples : grève à l'usine Coqueril de Liège ; 3500 ouvriers en lutte à l'usine d'aviation de la Clyde et grève des mineurs près de Doncaster en Angleterre (mai 1943) ; grève des ouvriers étrangers à l'usine Messerschmidt en Allemagne ; grève à AEG, un importante usine près de Berlin où, pour protester contre une mauvaise cantine, des ouvriers hollandais entraînent des ouvriers belges, français mais aussi allemands dans la lutte ; grèves à Athènes et manifestations de ménagères ; 2000 ouvrières sont en grève en Ecosse en décembre 1943...

La grève massive des ouvriers italiens est restée cloisonnée en Italie, puis la résistance a dénaturé son sens. Cepen­dant, le massacre est là aussi un abou­tissement de l'échec ouvrier en pleine guerre : quand le prolétariat se laisse enfermer dans l'ornière nationaliste, il est férocement décimé. C'est une tac­tique constante de la bourgeoisie de faire régner la terreur après de telles tentatives. Et cette terreur est nécessaire à la bourgeoisie car elle n'a pas terminé la guerre et elle veut avoir les mains li­bres jusqu'à la fin de celle-ci, notam­ment sur d'autres théâtres d'opération qu'en Europe.

En Europe de l'Est, partout où ris­quaient de surgir des soulèvements ou­vriers même sans perspective révolu­tionnaires, la bourgeoisie pratique la politique préventive de la terre brûlée.

A Varsovie, durant l'été 1944, les ou­vriers sont restés contrôlés par le PS polonais depuis Londres. Ils participent à     l'insurrection lancée par la« Résistance » lorsqu'ils apprennent que « l'Armée rouge » est entrée dans les faubourgs de la capitale, de l'autre côté de la Vistule. Et c'est avec le consente­ment tacite des Alliés, tout comme c'est avec la passivité évidente de l'Etat sta­linien que l'Etat allemand a pu assurer son rôle de gendarme et de boucher, massacrant des dizaines de milliers d'ouvriers, rasant la ville. Huit jours plus tard Varsovie est un cimetière. En­suite c'est au tour de Budapest où l'armée « rouge » laisse accomplir aussi le massacre puis fait son entrée comme une armée de fossoyeurs.

Pour sa part, la bourgeoisie « libéra­trice » d'occident ne veut pas de risques d'explosions sociales anti-guerres dans les pays vaincus. Pour ce faire, elle pro­cède à des bombardements monstrueux sur les villes allemandes, des bombardements qui n'ont pas, la plupart du temps, d'intérêt militaire mais qui visent en priorité les quartiers ouvriers (à Dresde en février 1945, il y a près de 150 000 morts, plus du double qu'à Hi­roshima). Il s'agit d'exterminer le plus possible de prolétaires et de terroriser les survivants pour qu'ils ne s'avisent pas de renouer avec leurs combats révolutionnaires de 1918 à 1923. De même, la bourgeoisie « démocratique » se donne les moyens d'occuper systématiquement les territoires d'où les nazis ont dû se replier. Il n'est pas question de laisser l'Allemagne vaincue se doter de son propre gouvernement succédant aux hitlériens. Toutes les offres de négocia­tions ou d'Armistice par les opposants à Hitler ont été rejetées. Laisser se former un gouvernement allemand autochtone dans un pays « vaincu » aurait empêché de dormir les Churchill, Roosevelt et Staline, cela aurait constitué un risque majeur. Comme en 1918, un Etat alle­mand vaincu ne pouvait qu'être affaibli face à la classe ouvrière, révoltée par le meurtre massif et la misère noire, et aux soldats en débandade. Les armées alliées se chargeront de faire régner l'ordre elles-mêmes dans toute l'Alle­magne pour une durée indéterminée (et restant sur place finalement jusqu'en 1994, mais pour d'autres raisons), en faisant peser pour longtemps un des plus grossiers mensonges du siècle : la «culpabilité collective» du peuple allemand.

 

3. Vers la « Libération »

Dans les tous derniers mois de Ma guerre, l'Allemagne est marquée par une série d'émeutes, de désertions, de grèves. Mais nul besoin de potiche démocratique à la Badoglio dans l'enfer des bombardements. Terrorisée, la classe ouvrière allemande est prise entre le marteau et l'enclume, entre les armées alliées et la soldatesque russe qui va déferler. Tout au long de la route de la débâcle de l'armée allemande les déserteurs sont pendus pour dissuader les autres. La situation aurait pu devenir inquiétante si la bourgeoisie n'avait pas continué à baliser le terrain de misère pour l'immédiat après-guerre. La répression féroce sera suffisante et la paix sociale préservée par l'occupation et la partition sans vergogne de l'Allemagne. Même s'ils pouvaient à juste titre se réjouir des réactions du prolétariat en Allemagne, nos ca­marades de cette époque surestimaient ce à quoi la bourgeoisie savait avoir af­faire :

« Quand les soldats refusent de se bat­tre, frisent en plusieurs endroits la guerre civile, quand les marins mani­festent les armes à la main contre la guerre, quand les ménagères, la Volksturm, les réfugiés viennent augmenter la nervosité de la situation allemande, la plus formidable machine militaire et policière se casse et la révolte est en perspective immédiate. Von Rundstedt reprend la politique de Ebert en 1918, il espère par la paix éviter la guerre civile. Les alliés, eux, ont compris la menace révolutionnaire des événements italiens commencés en 1943. La paix maintenant c'est se trouver face à la crise qui sévit en Europe le plus in­tensément, sans armes, pour masquer les contradictions qui vont se solution­ner par la guerre de classe. L’effort de guerre, la peste brune, la caserne, ne pourront plus servir de prétexte soit pour alimenter les industries hypertro­phiées, soit pour continuer à tenir la classe ouvrière dans l'état d'esclavage et de famine actuels. Mais, fait encore plus grave, c'est la perspective du re­tour des soldats allemands dans leurs foyers détruits et de la répétition de la révolution de 1918 qui devient inévi­table (...) Aux grands maux, des moyens héroïques : détruire, tuer, affamer, anéantir la classe ouvrière allemande. Nous sommes loin de la peste brune et de son châtiment, nous sommes très loin des promesses de paix des capitalistes. La démocratie a prouvé qu'elle était plus apte à défendre les intérêts bour­geois que la dictature fasciste. » ([8] [12])

En réalité, dans les pays vaincus, dont l'Allemagne, on assiste à la ruée des armées américaines et russes qui jamais ne laissent un no man's land dans les villes conquises et étouffent toute velléité de résistance prolétarienne. Dans les pays vainqueurs se déploie un chauvinisme incroyable, bien pire que lors de la première guerre mondiale. Comme le supputait la minorité révolu­tionnaire, craignant la contagion des soldats allemands démobilisés dont cer­tains ne cachent pas leur joie, sourient sur les vieux films et jettent leurs casquettes en l'air, la bourgeoisie démocratique décide de les interner en France et en Angleterre. Une partie de l'armée allemande désintégrée est re­tenue à l'étranger; 400 000 soldats, maintenus prisonniers, sont amenés et internés en Angleterre plusieurs années après la fin de la guerre pour éviter que, comme leurs pères, ils ne fomentent une révolution une fois de retour au pays dans la misère européenne de l'immédiat après-guerre. ([9] [13])

La plupart des groupes révolutionnaires se sont enthousiasmés au vu de ces faits, plaquant le schéma de la révolution vic­torieuse en Russie par l'éruption du prolétariat contre la guerre. Or, de même qu'on ne se baigne jamais deux fois dans le même fleuve, de même les conditions de 1917 ne pouvaient pas se reproduire parce que la bourgeoisie en avait tiré les leçons.

Après le formidable mouvement des ou­vriers d'Italie, en 1943, il faudra près de deux ans à la minorité révolutionnaire la plus claire pour tirer les leçons de cet échec des ouvriers, au niveau interna­tional, pour mettre à profit une nouvelle fois des conditions drastiques de la guerre mondiale pour s'orienter vers la révolution : la bourgeoisie a su garder l'initiative et a profité de l'absence de partis révolutionnaires.

« Enrichi par l'expérience de la pre­mière guerre, incomparablement mieux préparé à l'éventualité de la menace révolutionnaire, le capitalisme interna­tional a réagi solidairement avec une extrême habileté et prudence contre un prolétariat décapité de son avant-garde. A partir de 1943, la guerre se transforme en guerre civile. En l'affirmant nous n'entendons pas dire que les antagonismes inter-impérialistes ont disparu, ou qu'ils ont cessé d'agir dans la poursuite de la guerre. Ces an­tagonismes subsistaient et ne faisaient que s'amplifier, mais dans une mesure moindre et acquérant un caractère se­condaire, en comparaison de la gravité présentée pour le monde capitaliste par la menace d'une explosion révolutionnaire. La menace révolutionnaire sera le centre des soucis et des préoccupations du capitalisme dans les deux blocs : c'est elle qui déterminera en premier lieu le cours des opérations militaires, leur stratégie et le sens de leur déroulement. (...) A l'encontre de la première guerre impérialiste, où le prolétariat une fois engagé dans le cours de la révolution garde l'initiative et impose au capitalisme mondial l'arrêt de la guerre, dans cette guerre-ci, dès le premier signal de la révolution en Italie, en 1943, c'est le capitalisme qui se saisira de l'initiative et poursuivra implacablement une guerre civile con­tre le prolétariat, empêchera par la force toute concentration de forces prolétariennes, n'arrêtera pas la guerre, même quand, après la disparition du gouvernement d'Hitler, l'Allemagne demandera avec insistance l'Armistice, afin de s'assurer par un carnage mon­stre et un massacre préventif impi­toyable, contre toute velléité de menace de révolution du prolétariat allemand (...) La révolte des ouvriers et des soldats, qui, dans certaines villes, se sont rendus maîtres des fascistes, a forcé les alliés à précipiter leur marche et à finir cette guerre d'extermination avant le plan prévu. » ([10] [14])

L'action des minorités révolutionnaires

La guerre n'a pu se produire, comme nous l'avons vu, que parce que le pro­cessus de dégénérescence de la 3e Internationale et de passage dans le camp bourgeois des partis communistes était achevé. Les minorités révolutionnaires qui ont combattu la montée du sta­linisme et du fascisme du point de vue de classe ont toutes été vaincues, épuisées dans les pays démocratiques, éliminées et déportées en Russie et en Allemagne. De l'unité mondiale que représentent les Internationales à chaque époque, il ne reste plus que des bribes, des fractions, des minorités dis­persées et souvent sans lien entre elles. Le mouvement de l'Opposition de gauche avec Trotsky qui a représenté un courant de combat contre la dégénéres­cence de la révolution en Russie s'est peu à peu enferré dans les positions opportunistes sur le Front Unique (possibilité d'alliance avec les partis de gauche de la bourgeoisie) et dans son successeur 1'« anti-fascisme ». Si Trot­sky meurt, assassiné comme Jaurès (parce qu'il symbolise aux yeux de la bourgeoisie mondiale le danger prolétarien plus encore que le grand tribun de la 2e Internationale), au début du second holocauste mondial, ses partisans ne valent guère mieux que les sociaux-chauvins du début du siècle puisqu'ils prennent parti pour un camp impérialiste : celui de la Russie et celui de la Résistance.

La plupart des minorités, fragiles es­quifs dans le désarroi du prolétariat, avaient éclaté au moment de la guerre. Seule la Fraction italienne autour de la revue Bilan annonçait depuis les années 1930 que le mouvement ouvrier était entré dans une période de défaites qui conduirait à la guerre. ([11] [15])

Le passage à la clandestinité entraîna tout d'abord l'éparpillement, la perte des précieux contacts bâtis pendant des années. En Italie, il ne subsiste aucun groupe organisé. En France, ce n'est qu'en 1942, en pleine guerre impéria­liste, que se regroupent des militants ayant combattu dans la Fraction ita­lienne réfugiée dans ce pays, et qui avaient délimité des positions politiques de classe face à l'opportunisme des or­ganisations trotskistes. Il se dénomme Noyau français de la Gauche commu­niste. Ces courageux militants produi­sent une déclaration de principes qui re­jette très nettement la « défense de l'URSS»:

« L'Etat soviétique, instrument de la bourgeoisie internationale, exerce une fonction contre-révolutionnaire. La défense de l'URSS au nom de ce qu'il reste des conquêtes d'Octobre doit donc être rejetée et faire place à la lutte sans compromis contre les agents staliniens de la bourgeoisie (...) La démocratie et le fascisme sont deux aspects de la dictature de la bourgeoisie qui correspon­dent aux besoins économiques et poli­tiques de la bourgeoisie à des moments donnés. En conséquence la classe ou­vrière qui doit instaurer sa propre dic­tature après avoir brisé l'Etat capita­liste, n'a pas à prendre parti pour l'une ou l'autre de ces formes. »

Des contacts sont rétablis avec les éléments du courant révolutionnaire en Belgique, en Hollande et avec des révolutionnaires autrichiens réfugiés en France. Dans les conditions très dan­gereuses de la clandestinité, à partir de Marseille, des débats très importants seront menés sur les raisons du nouvel échec du mouvement ouvrier, sur la nouvelle délimitation des «frontières de classe ». Cette minorité révolutionnaire ne cessera pas d'intervenir pour autant contre la guerre capitaliste, pour l'émancipation du prolétariat, en totale continuité avec le combat de la 3e Internationale à son origine. D'autres groupes émergeront plus ou moins clairement du giron trotskiste en re­fusant également la défense de l'URSS impérialiste et contre tous les chauvinismes : le groupe espagnol de Munis, les Revolutionare Kommunisten Deutschlands d'Autriche, et des groupes conseillistes hollandais. Les tracts de ces groupes contre la guerre, diffusés clandestinement, posés sur les banquettes de trains, sont vilipendés par la bourgeoisie « résistante », des staliniens aux démocrates, comme « hitléro-troskystes ». Ceux qui les diffusent risquent d'être fusillés sur place (voir les documents publiés ci-dessous et leur présentation).

En Italie, à la suite du puissant mouve­ment de lutte de 1943, les éléments de la Gauche dispersés se regroupent au­tour de Damen puis, ultérieurement au­tour de la figure mythique de Bordiga, personnalité de la gauche des 2e et 3e Internationale. Ils constituent, en juillet 1943, le Partito comunista internazionalista mais, croyant comme la plupart des révolutionnaires à une poussée in­surrectionnelle de la classe ouvrière, ils subiront la Libération capitaliste et, malgré leur courage, éprouveront de grandes difficultés à défendre des posi­tions claires face aux ouvriers entraînés derrière les sirènes bourgeoises ([12] [16]). Ils se montreront incapables de favoriser le regroupement des révolutionnaires au niveau international et se retrouveront à l'état d'infime minorité après guerre. En particulier, ils se refuseront à tout tra­vail sérieux avec le noyau français qui se nomme désormais Gauche Commu­niste de France ([13] [17]).

En fait, malgré tout leur courage, les groupes révolutionnaires qui ont défendu des positions de classe, internationalistes, au cours de la seconde guerre mondiale, ne pouvaient pas in­fluencer le cours des événements, compte tenu de la terrible défaite qu'avait subi le prolétariat et de la ca­pacité de la bourgeoisie à prendre systématiquement les devants pour em­pêcher le développement de tout mou­vement de classe vraiment menaçant. Mais leur contribution au combat histo­rique du prolétariat, ne pouvait en rester là. Elle passait principalement par une réflexion permettant de tirer les enseignements des événements con­sidérables qui venaient de se dérouler, une réflexion qu'il s'agit de poursuivre jusqu'à aujourd'hui.

Quels enseignements pour les révolutionnaires ?

C'est respecter la tradition marxiste portée par ces groupes du passé qu'être capable de continuer avec leur méthode critique, de passer au crible nous-mêmes leurs erreurs. C'est cela rester fidèle au combat qu'ils ont mené. Si la Gauche Communiste de France a su corriger son erreur d'appréciation sur la possibilité d'une inversion du cours de défaite au cours de la guerre mondiale, sans for­cément tirer toutes les implications du fait que celle-ci ne favorise plus la révolution, les autres groupes, en Italie en particulier, ont maintenu la vision schématique du « défaitisme révolutionnaire ».

Constituant de manière volontariste et aventuriste un parti en Italie autour des personnalités de l'IC comme Bordiga et Damen, les révolutionnaires italiens ne se donnaient pas réellement les moyens de « restaurer les principes », encore moins de tirer les véritables enseigne­ments de l'expérience passée. Ce Parti Communiste Internationaliste devait non seulement faillir - se retrouvant rapidement à l'état de secte - mais fa­voriser le rejet de la méthode d'analyse marxiste par un dogmatisme stérile qui ne fait que répéter les schémas du passé sur la question de la guerre en particu­lier. Le PCI persiste à la Libération à croire en l'ouverture d'un cycle révolu­tionnaire en parodiant Lénine : « La transformation de la guerre impérialiste en guerre civile commence après la fin de la guerre » ([14] [18]). Reprendre l'analyse de Lénine selon lequel chaque proléta­riat devait souhaiter « la défaite de sa propre bourgeoisie » tremplin pour la révolution -position déjà erronée à l'époque puisqu'elle induisait que les ouvriers des pays vainqueurs, eux, n'au­raient pas disposé de ce même trem­plin -, faire reposer la réussite de la ré­volution sur l'échec de sa propre bour­geoisie, relevaient d'un automatisme ab­strait. En réalité, déjà dans la première vague révolutionnaire elle-même, la guerre, après avoir été un ferment de premier ordre dans la mobilisation du prolétariat, avait conduit à une division de celui-ci entre les ouvriers des pays vaincus, les plus combatifs et les plus lucides, et ceux des pays vainqueurs sur qui la bourgeoisie réussit à faire peser l'euphorie de la « victoire »  pour para­lyser leur combat et leur prise de con­science. En outre, l'expérience des an­nées 1917-18, avait aussi fait la preuve que, face à un mouvement révolution­naire qui se développe à partir de la guerre mondiale, la bourgeoisie dispose toujours d'une carte, qu'elle ne s'est pas privée déjouer en novembre 1918, alors que se développait la révolution en Allemagne : mettre un terme à la guerre, c'est-à-dire supprimer le princi­pal aliment de l'action et de la prise de conscience du prolétariat.

En leur temps, nos camarades de la Gauche communiste s'étaient trompés lorsqu'ils avaient, en se basant sur le seul exemple de la révolution russe, sous-estimé les conséquences paralysan­tes de la guerre impérialiste mondiale pour le prolétariat. La seconde guerre mondiale se devait d'apporter les élé­ments pour une meilleure analyse de cette question cruciale. Aussi, répéter aujourd'hui les erreurs du passé, c'est entraver le véritable chemin vers les affrontements de classe : en s'avérant impuissant à enrichir la méthode mar­xiste, en s'interdisant d'être le guide dont le prolétariat a besoin comme le révèlent malheureusement ceux qui se prétendent les seuls héritiers de la Gauche Communiste Italienne. ([15] [19])

La question de la guerre a toujours été une question de premier plan dans le mouvement ouvrier. En même temps que l'exploitation et les attaques décou­lant de la crise économique, la guerre impérialiste moderne reste un facteur majeur de prise de conscience de la né­cessité de la révolution. Il est évident que la permanence des guerres dans la phase de décadence du capitalisme doit être un précieux facteur de réflexion. Aujourd'hui que l'effondrement du diabolisé bloc de l'Est a momentanément repoussé la possibilité d'une nouvelle guerre mondiale, cette réflexion ne doit pas s'arrêter. Les guerres que nous con­naissons aux frontières de l'Europe sont là pour rappeler au prolétariat que « celui qui oublie la guerre la subira un jour » ([16] [20]). Il reste de la plus haute re­sponsabilité du prolétariat de s'ériger contre cette société en décomposition. La perspective d'une autre société sous le contrôle du prolétariat passe néces­sairement par la prise de conscience qu'il doit lutter sur son terrain social et y trouver sa puissance. La lutte du prolétariat croissante est une lutte an­tinomique à l'Etat, et donc antinomique aux objectifs militaires de la bourgeoi­sie.

Malgré les chants dithyrambiques sur le « nouvel ordre mondial » instaurés en 1989, la classe ouvrière des pays industrialisés ne doit se faire aucune illusion sur le répit qui lui est promis en atten­dant la prochaine destruction de l'hu­manité. Un sort que le capital, pour sa part, nous promet de façon inéluctable, qu'il découle d'une troisième guerre mondiale, au cas où se reconstituerait un nouveau système de blocs impérialis­tes, ou d'un total pourrissement de la société accompagné de famines, d'épi­démies et d'une multiplication des con­flits guerriers dans lesquels les armes nucléaires, qui aujourd'hui se propagent partout, reprendraient du service.

L'alternative reste bien ou révolution communiste ou destruction de l'huma­nité. Unis et déterminés les prolétaires peuvent désarmer la minorité qui tire les ficelles, et même les bombes atomiques seront frappées d'obsolescence. Ainsi, nous devons combattre fermement l'ar­gument pacifiste bourgeois, qui n'a pas changé, selon lequel une telle technique moderne empêcherait désormais toute révolution prolétarienne. La technique est produite par les hommes, elle obéit à une politique déterminée. La conduite de la politique impérialiste reste étroi­tement déterminée, comme nous le dé­montre le déroulement de la deuxième guerre mondiale, par la soumission de la classe ouvrière. Or, désormais, depuis la reprise historique du prolétariat, à la fin des années 1960, les enjeux sont po­sés simultanément, même si le proléta­riat mondial n'en tire pas encore toutes les leçons. Là où la guerre ne fait pas ses ravages, la crise économique s'appesantit, décuple la misère et révèle la faillite du capitalisme.

Les minorités révolutionnaires doivent ainsi passer au crible l'expérience antérieure. Il était « minuit dans le siècle » au coeur du plus grand crime que l'humanité ait connu, mais il serait plus criminel encore de croire que l'humanité en a fini avec ses risques de destruction totale. Dénoncer les guerres actuelles n'est pas suffisant, les mi­norités révolutionnaires doivent être ca­pable d'analyser les arcanes de la poli­tique impérialiste de la bourgeoisie mondiale, non pour prétendre pouvoir mettre le feu à la mèche là où le milita­risme règne en maître, dans tous les foyers guerriers qui dévastent le monde aujourd'hui, mais pour indiquer au prolétariat que la lutte, beaucoup plus qu' « au front » se mène « à l'arrière ».

Combattre la guerre impérialiste omni­présente, lutter contre les attaques de la crise économique bourgeoise, signifie développer toute une série de luttes et d'expériences qui conduiront à l'étape de la guerre civile révolutionnaire, là où la bourgeoisie se croit en paix. Une longue période de combats de classe est encore nécessaire, rien ne sera facile.

Le prolétariat n'a pas le choix. Le capi­talisme ne peut que mener à la destruc­tion de l'humanité si le prolétariat s'avérait une nouvelle fois impuissant à le détruire.

Damien



[1] [21] Rapport sur la situation internationale de la conférence de juillet 1945 de la Gauche Commu­niste de France, Revue Internationale n° 59.

[2] [22] Grégoire Madjarian, « Conflits, pouvoirs et société à la Libération», et aussi intéressant, l'ou­vrage de Stéphane Courtois «Le PCF dans la guerre».

[3] [23] Mémoires d'Auguste Lecoeur, ex-bras droit du chef stalinien français Thorez, exclu après-guerre, et donc plus libre d'exprimer la vérité de la lutte que lorsqu'il mentait avec les autres sur la primauté de la lutte nationaliste.

[4] [24] Par la force des choses, ce mouvement était prématuré et isolé, il ne pouvait avoir l'effet de réso­nance de la lutte massive des ouvriers italiens en 1943. Il faut noter cependant la différence entre l'oc­cupation craintive de la soldatesque allemande (les officiers n'osent jamais descendre dans les fosses) et la dictature exercée par le PCF à la Libération sur les mineurs. Une émission de télévision de la 3e chaine française, au mois d'août, offrit des révéla­tions stupéfiantes de la part de quelques mineurs survivants de la # bataille de la production ». Valets du pouvoir gaulliste, les ministres staliniens exigèrent un effort considérable au point que ce fut une véritable hécatombe... après-guerre. Des milliers de leurs compagnons, morts de silicose, du fait de la mécanisation et des cadences à outrance, furent donc les martyrs, non pas des <r boches » ni de la lutte <r anti-boche », mais des ordres du ministre stalinien Thorez. Pour le «r redressement du pays », Thorez n'avait pas hésité à vociférer : « Si des mineurs doi­vent mourir à la tâche, leurs femmes les remplace­ront ». Il n'y a pas qu'en Russie totalitaire que l'espé­rance de vie était de très courte durée...

[5] [25] « Anti-Parliamentary communism, The movement for Workers'Councils, 1917-45 », Mark Shipway.

[6] [26] Rapport sur la situation internationale, juillet 1945.

[7] [27] Nous traitons de ce mouvement de 1943 en Italie dans la Revue Internationale n° 75.

[8] [28] « La Paix », L'Etincelle n° 5, organe de la Gauche Communiste de France, mai 1945.

[9] [29] « La rééducation des prisonniers allemands en Angleterre, de 1945 à 1948», Henry Faulk, ed Chatto & Windus, Londres 1977.

[10] [30] Extraits du Rapport sur la situation internatio­nale, Gauche Communiste de France, juillet 1945, reproduit in Revue Internationale n° 59, 1989.

[11] [31] Nous n'avons pas la place\de revenir en détail ici sur les débats dans la Fraction italienne ni sur les di­vergences entre les différents groupes, mais nous te­nons à la disposition de nos lecteurs l'histoire de La Gauche Communiste d'Italie.
 

[12] [32] Voir les articles : « Les ambiguïtés de Battagîia Comunista sur la question des "partisans" », Revue internationale n°8, déc. 1976, « Le PCI à ses origi­nes : tel qu'il prétend être, tel qu'il est », Revue internationale n° 32, 1er trim. 1983 et « A propos des origines du PCI », Revue internationale n° 34, 3e trim. 1983..

[13] [33] Sur l'histoire de ces groupes, consulter La Gau­che communiste d'Italie, et la Revue internationale n° 34, 35, 38, 39, 64, 65, 66.

[14] [34] Cité dans Internationalisme n° 36, 1948, reprint m Revue Internationale n° 36, 1er trim. 1984.

[15] [35] Au moment de la guerre du Golfe nous avons démontré quel mauvais usage les courants qui se ré­clament de la Gauche italienne pouvaient encore faire du « défaitisme révolutionnaire » avec leur appel « à la fraternisation entre soldats irakiens et occidentaux » (voir notre article « Le milieu politi­que prolétarien face à la guerre du Golfe », Revue Internationale n° 64, 1er trim. 1991). Dans une zone et des conditions où le prolétariat est extrêmement faible lancer en l'air de tels mots d'ordre relève du volontarisme anarchiste ne pouvant au mieux que valoriser des désertions individuelles. Ces camarades devraient se demander pourquoi la bourgeoisie a les moyens de mener des guerres locales sans être inquiétée par le prolétariat et pourquoi elle n'a pas les moyens de les déclencher au coeur des métropo­les industrialisées. Pire encore, ces mots d'ordre, re­pris en gros par toutes les sectes gauchistes, ne sont souvent que la feuille de vigne du soutien à l'impé­rialisme des petits pays opprimés par les gros. Ainsi, dernièrement, le n° 427 du Prolétaire titrait benoî­tement avec pour mot d'ordre : « Impérialisme fran­çais hors d’Afrique et du Rwanda ! ». Que l'impé­rialisme français soit un boucher dans sa résistance au coup de pied au derrière que lui inflige l'impéria­lisme américain, portant même la plus lourde res­ponsabilité dans le massacre de plus de 500 000 êtres humains au Rwanda, nous sommes les premiers à le dénoncer. Mais nous aurions honte de reprendre le mot d'ordre que s'approprie l'impérialisme améri­cain ! Un tel mot d'ordre a certainement pour le PCI une consonance très « défaitiste » et alors ? L'impé­rialisme français est effectivement défait au Rwanda, en quoi cela a-t-il fait avancer d'un pas la conscience de classe des ouvriers en France ?

[16] [36] Albert Camus.

 

Evènements historiques: 

  • Deuxième guerre mondiale [37]

Courants politiques: 

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  • Impérialisme [39]

Documents : la gauche communiste de France en 1944

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Présentation 

Nous publions ci-après un tract de la Fraction française de la Gauche Communiste qui a été collé sur les murs de Paris en août 1944 pour s'opposer à l'ordre de mobilisation générale lancé par les F.F.I. le 18 août.

Nous publions également l'article paru en première page de L'Etincelle, journal du même groupe, paru en août 1944.

La Fraction française de la Gauche Communiste s'est créée à Marseille au début de cette même année.

C'est autour de la Fraction Italienne de la Gauche Communiste ([1] [40]) reconstituée à Marseille que s'est développé en 1942 un noyau d'une dizaine d'éléments français : certains venaient de rompre d'avec le trotskisme et d'autres, encore jeunes, se rapprochaient des positions politiques révolutionnaires.

Un peu d'histoire

La Gauche Communiste italienne (GCI) est bien connue de nos lecteurs. Cepen­dant, en quelques lignes, il nous faut rappeler que la Gauche italienne a une longue tradition politique, théorique, et de lutte dans le mouvement ouvrier italien et international. Son existence re­monte à quelques années avant la pre­mière guerre mondiale (au combat des jeunes du Parti Socialiste Italien (PSI) contre la guerre coloniale en Tripolitaine ([2] [41]), 1910-1912), la GCI est le principal acteur de la création à Livourne du Parti communiste italien en 1921. Dans le milieu des années 1920, elle maintient toujours des positions ré­volutionnaires contre l'Internationale communiste en dégénérescence et se bat en son sein jusqu'en 1928, date de son exclusion définitive, ainsi que de celle d'autres courants de Gauche comme l'Opposition de Gauche russe avec Trotsky lui-même. Enfin, à l'arrivée du fascisme en Italie, nombre de ses mem­bres se trouvent en prison ou relégués dans les îles de la mer Tyrrhénienne. Dès lors, c'est dans l'émigration en France et en Belgique que la Gauche italienne continue son combat politique et internationaliste, d'abord dans l'Opposition de Gauche Internationale, qui n'est pas encore trotskiste, puis presque seule après son exclusion de cette dernière.

Dans les années 1930, la vague révolu­tionnaire est bien terminée, la révolu­tion russe est restée isolée et définitive­ment vaincue, la classe ouvrière est bat­tue ; et, plus les années passent, plus les révolutionnaires se retrouvent seuls et de plus en plus éloignés de leur classe : la classe ouvrière. « Il est minuit dans le siècle » selon les paroles de Victor Serge, mais la volonté communiste de la Gauche italienne ne faiblit pas ; elle maintiendra pendant toute cette période les principes communistes et internationalistes. C'est la seule organisation ré­volutionnaire qui comprend que le cours historique n'est plus favorable à la classe ouvrière et que le cours est ouvert à la guerre impérialiste mondiale. Cette compréhension de la situation politique lui permet de saisir que la guerre d'Es­pagne en 1936, comme la guerre d'Ethiopie ou en Mandchourie n’est que des préludes à la future guerre im­périaliste généralisée. Elle défend alors l'idée que le prolétariat est battu et que la période n'est pas encore à la formation de nouveaux partis révolutionnai­res. Dès lors son rôle, en tant que frac­tion d'un futur parti communiste, est de maintenir les « principes communistes » et de préparer « les cadres révolution­naires » du futur parti qui naîtra avec le resurgissement du prolétariat dans une autre période historique.

Le début de la deuxième guerre a fini par avoir raison de la Gauche italienne et par disperser ses membres. Elle disparaît en août 1939 à la déclaration de guerre, le Bureau International de Bruxelles se dissout.

Mais des éléments rescapés de la « gauche italienne » se regroupent à Marseille et décident de continuer le combat pour l'internationalisme prolé­tarien ; ils dénoncent seuls et à contre-courant la guerre impérialiste. Ils appel­lent les prolétaires de tous les pays d'Eu­rope à se battre contre tous les Etats capitalistes : démocratiques, fascistes, staliniens. ([3] [42])

Une surestimation de la période historique

Quand se développe de puissants mou­vements de grèves en Italie en 1943, à Turin, Milan, etc. ([4] [43]), c'est enfin (!) une nouvelle perspective qui s'ouvre aux yeux de ces révolutionnaires. Ils esti­ment que le cours historique qui entraî­nait la classe ouvrière de défaites en dé­faites s'est enfin inversé. « Après 3 années de guerre, l'Allemagne et par là, l'Europe présente les premiers signes de faiblesses... On peut dire que les condi­tions objectives ouvrent l'ère de la révo­lution. » (Projet de résolution sur les perspectives et les tâches de la période transitoire, conférence de juillet 1943). ([5] [44])

Les événements insurrectionnels qui viennent de se produire en Italie sont très importants, mais la bourgeoisie veille ; elle ne fera pas les mêmes er­reurs qu'elle a commises à la fin de la première guerre mondiale et qui ont conduit à la révolution en Russie et en Allemagne.

Les révolutionnaires eux commettent une double erreur :

- ils sous-estiment la bourgeoisie (cf. ar­ticle ci dessus), ils estiment que de la guerre impérialiste sortira la révoluti­on prolétarienne comme en 1871, 1905 et surtout 1917;

- ils sous-estiment la défaite subie par la classe ouvrière qui a été battue idéologiquement à la fin des années 1920, puis physiquement pour enfin être écrasée et assassinée dans la guerre impérialiste.

Les documents que nous reproduisons ci-dessous montrent cette surestima­tion : les slogans appellent les ouvriers à ne pas marcher derrière la Résistance, mais à organiser leurs « Comités d'ac­tion » pour suivre l'exemple des ouvriers italiens.

Après la trahison des partis communis­tes et des groupes trotskistes passés avec « armes et bagages » dans un camp impérialiste : celui des « démocraties » et du stalinisme, ils sont, et c'est leur im­mense mérite, l'expression de la classe ouvrière et la seule flamme révolutionnaire et internationaliste dans l'hystérie nationaliste, chauvine et revancharde de la « Libération ». C'est contre le courant et contre l'union nationale retrouvée : de la droite aux trotskistes en passant par les staliniens, que ces ouvriers et ces apatrides de la Gauche Communiste de France vont coller et diffuser leurs tracts et leurs journaux.

Il fallait un courage fou pour s'opposer à tous et appeler les ouvriers à déserter l'encadrement des « partisans », et passer entre les filets de la Gestapo, de la police de Vichy, des réseaux gaullistes et des « tueurs » staliniens.

RX.

 

TRACTS :

OUVRIERS!

Les troupes anglo-américaines viennent remplacer le GENDARME ALLEMAND dans l'oeuvre de répression de la classe ouvrière et de sa réintégration dans la guerre impérialiste.

La RESISTANCE vous pousse à l'insurrection, mais sous sa direction et pour des buts capitalistes.

Le PARTI COMMUNISTE abandonnant la cause du prolétariat a sombré dans le patriotisme funeste à la classe ouvrière.

- Ne répondez pas à l'insurrection qui se fera avec votre sang pour le plus grand bien du capitalisme international.

- Agissez en tant que prolétaires et non en tant que Français revanchards.

- Refusez d'être réintégrés dans la guerre impérialiste.

OUVRIERS!

- Organisez vos comités d'action et quand les conditions le permettront, vous suivrez l'exemple des ouvriers italiens.

 

Plus que jamais votre arme demeure LA LUTTE DE CLASSE sans considération de frontières et de nations.

Plus que jamais votre place n'est à côté, ni du fascisme, ni de la démocratie bourgeoise.

Plus que jamais le capitalisme ANGLO-AMERICAIN, RUSSE ET ALLEMAND SONT LES EXPLOITEURS DE LA CLASSE OUVRIERE.

La grève qui s'est déclenchée a été provoquée par LA BOURGEOISIE et pour SES INTERETS.

Demain pour lutter contre le chômage qu'elle ne peut résoudre, vous serez MOBILISES ET ENVOYES SUR LE FRONT IMPERIALISTE.

LE CAPITALISME INTERNATIONAL NE PEUT PLUS VIVRE QUE DANS LA GUERRE.

LES ARMEES ANGLO-AMERICAINES VOUS LE FERONT COMPRENDRE COMME VOUS L'A FAIT SENTIR L'ARMEE ALLEMANDE !

VOUS NE SORTIREZ DE LA GUERRE IMPERIALISTE QUE PAR LA GUERRE CI VILE !

PROLETARIAT CONTRE CAPITALISME !

GAUCHE COMMUNISTE FRANÇAISE

Août 1944

 

 

 

L'Etincelle

FRACTION FRANÇAISE GAUCHE COMMUNISTE

Août 1944.

 

« Le monde va changer de base, Nous ne sommes rien, soyons tout ! »

 

Ouvriers,

Après 5 ans de guerre, avec sa lon­gue suite de misère, de morts et de car­nage, la bourgeoisie faiblit sous les coups d'une crise qui ouvre les portes de la guerre civile. L'Europe demain sera un vaste champ en éruption où les ar­mées contre-révolutionnaires anglaises, américaines et russes, implacablement, essayeront d'étouffer les mouvements révolutionnaires de la classe ouvrière.

La tâche de répression entre les bel­ligérants est déjà répartie. L'Italie, vaste champ d'expérience, a enseigné au capi­talisme le danger de laisser subsister sur les chemins de la guerre des concentra­tions ouvrières susceptibles toujours de réapparaître comme classe indépen­dante, comme les ouvriers italiens l'ont prouvé.

Voilà pourquoi depuis deux ans l'Allemagne vous entrepose dans ses immenses usines où, côte à côte, les prolétaires européens s'échinent et se crèvent à fabriquer des armes pour la guerre impérialiste. Voilà pourquoi de­puis deux ans les patriotards à la solde du capitalisme vous poussent vers le maquis pour vous faire perdre votre conscience de classe en vous transfor­mant en revanchards. Tous les centres industriels importants de la France sont vides de plus en plus pour amoindrir les risques de la guerre civile et permettre la réduction des foyers révolutionnaires qui jailliront de cette guerre.

Le drainage de toutes les énergies ouvrières s'est fait dans l'esprit politique de vous affaiblir dans votre conscience et de vous parquer comme des animaux pour vous fouetter et vous abattre dès vos premiers murmures.

La guerre actuellement ne se joue pas entre les impérialistes belligérants, mais entre le capitalisme conscient de sa volonté de demeurer au pouvoir malgré l'impossibilité que l'Histoire lui impose et le prolétariat aveuglé par la démagogie qui jaillira spontanément des cadres du système bourgeois.

Les armes démagogiques et répressi­ves du capitalisme sont déjà à pied d'oeuvre.

Au camp de concentration, au ma­quis, à l'exploitation forcenée de tous les ouvriers en Allemagne viennent s'ajou­ter les bombardements des villes, sur­tout là où des mouvements de grèves éclatent, comme à Milan, à Naples, à Marseille. Par radio, la tromperie bour­geoise emprunte une tenue et un lan­gage qui s'auréole de la Révolution d'Octobre, et qui depuis 1933, date de la mort de l'Internationale Communiste, vous a conduit de défaites en défaites à la guerre impérialiste.

L'Armée Rouge, usurpatrice d'un nom qui s'est couvert de gloire parce qu'elle fut une armée ouvrière luttant révolutionnairement pour la dictature du prolétariat viendra continuer l'oeuvre de mort du fascisme, avec ses étiquettes de Soviets pour déguiser sous une unani­mité à coups de crosse, l'exploitation capitaliste.

De Gaulle, « ce négrier », comme l'appelaient avant 1941 les staliniens dans une accolade anglo-américaine et russe vous étouffera sous l'habit kaki de votre nouvelle mobilisation.

L'Europe est mûre pour la guerre civile, le capitalisme est prêt à réagir pour vous conduire vers la guerre im­périaliste.

Ouvriers, chaque arme du capita­lisme contient en elle une arme dange­reuse pour lui.

A la réduction des foyers révolution­naires, la situation répond par une con­centration plus dense de la classe ou­vrière dans un point névralgique du ca­pitalisme.

A la politique patriotarde, la solida­rité prolétarienne s'est créée dans les usines allemandes et se fortifiera par la nécessité inéluctable pour les ouvriers de se défendre en tant qu'ouvriers dans une Europe livrée demain à la famine et au chômage.

La crise qui déferlera au lendemain de la transformation de la guerre impé­rialiste en guerre civile n'épargnera pas les armées impérialistes des soubresauts sociaux de leurs arrières, ainsi que de la contamination révolutionnaire venant des insurrections du prolétariat euro­péen qu'elles auront à mater. La cause du prolétariat français est irrémédia­blement soudée à la cause du prolétariat européen après quatre années de centra­lisation et de concentration économique. Les ennemis les plus dangereux pour la classe ouvrière européenne et mondiale sont les capitalismes anglo-américain et russe qui n'entendent pas se laisser dé­posséder.

Ouvriers, quel que soit le nom que vous donnerez à vos organismes unitai­res, l'exemple des Soviets russes de la Révolution d'Octobre 1917 doit vous en­seigner le chemin, sans compromis ni opportunisme, du pouvoir.

Ni la démocratie, ni le stalinisme avec leur démagogie de « Pain, Paix et Liberté » ne pourront vous libérer de l'oppression et de la famine qui poin­tent, dans un monde où le capitalisme ne peut apporter que la guerre.

La société est dans une impasse in­franchissable sans la Révolution prolé­tarienne.

Le premier pas à faire, c'est de briser d'avec la guerre impérialiste par une claire conscience de classe qui proclame avant tout la lutte de classe partout et toujours. La crise dans la bourgeoisie mondiale, qui s'est ouverte en Italie et en Allemagne, forge les conditions et les armes favorables à la guerre civile, début spontané de la Révolution.

Ouvriers ! Brisez d'avec toute anglofolie, americanofolie et russofolie,

 

Rejetez tout patriotisme dont le capitalisme lui même ne sait que faire,

Proclamez votre solidarité de classe et organisez la pour pouvoir résister victorieusement le jour de la Révolution,

Coupez court d'avec tous les partis traîtres à la cause ouvrière qui vous ont conduits à cette guerre impéria­liste et qui tentent de vous y faire rester. Le gaullisme, la social-démocratie, le stalinisme, le trotskisme, voilà les paravents derrière lesquels l'ennemi de classe tentera de pénétrer dans vos rangs pour vous abattre.

Ouvriers ! Le salut ne peut venir que de vous parce que l'Histoire vous a donné toutes les possibilités de comprendre votre mission historique et les armes pour les accomplir.

En avant pour la transformation de la guerre impérialiste en guerre civile !

Les ouvriers italiens vous ont montré la voie, à vous de répondre coup pour coup à la contre-révolution qui se camoufle dans vos rangs !

La F.F.G.C.



[1] [45] Cf. le livre La Gauche Communiste d'Italie.

[2] [46] Libye d'aujourd'hui.

[3] [47] Cf. "Manifeste de la Gauche Communiste aux prolétaires d'Europe" p.371 du livre cité ci-dessus.

[4] [48] Cf.  Revue Internationale n° 75,  4e trimestre 1993.

[5] [49] In Internationalisme n° 5, 1945.

Evènements historiques: 

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Questions théoriques: 

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Polémique avec Prometeo - Communist Review : la conception du B.I.P.R.de la decadence du capitalisme

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La guerre impérialiste est-elle une solution à la crise des cycles d'accumulation du capitalisme ?

Le futur Parti communiste mondial, la nouvelle Internationale, se construira sur des positions politiques qui dépasseront les erreurs, les insuffisances ou les questions non résolues, de l'ancien parti, l'Internationale communiste. Pour cette raison, il est vital de poursuivre le débat des organisations qui se réclament de la Gauche communiste. Parmi ces positions, nous considérons comme fondamentale la notion de la décadence du capitalisme. Nous avons montré, dans les numéros précédents de la Revue Internationale, comment l'ignorance de cette notion par le courant bordiguiste conduisait à des aberrations théoriques sur la question de la guerre impérialiste, et amenait à un désarmement politique de la classe ouvrière ([1] [50]).

Nous abordons dans cet article les positions du Partito Comunista Internazionalista et de la Communist Workers'Organisation, qui forment ensemble le Bureau International pour le Parti Révolutionnaire (BIPR) ([2] [51]), organisations qui fondent quant à elles clairement la nécessité de la révolution communiste sur l'analyse que le capitalisme, depuis la 2e guerre mondiale, est entré dans sa phase de décadence.

Cependant, tout en se distinguant ainsi des groupes bordiguistes, aussi bien BC que la CWO défendent toute une série d'analyses qui impliquent, à notre avis, une relativisation ou même un rejet de la notion de décadence du capitalisme.

Dans cet article, nous examinerons une série d'arguments que défendent ces organisations sur le rôle des guerres mondiales et sur la nature de l'impérialisme, qui, selon nous, les empêchent de défendre au fond et jusqu'au bout, dans toutes ses implications, la position communiste sur la décadence du capitalisme.
 

La nature de la guerre impérialiste
 

Le BIPR explique la guerre impérialiste généralisée, un phénoméne essentiel du capitalisme décadent de la manière suivante : « Et de la même façon qu'au 19e siécle les crises du capitalisme conduisaient à la dévaluation du capital existant (par le biais des faillites), ouvrant ainsi un nouveau cycle d'accumulation fondé sur la concentration et la fusion, au 20e siécle, les crises de l'impérialisme mondial ne peuvent plus se résoudre que par une dévaluation plus grande encore du capital existant, par la faillite économique de pays entiers. Telle est précisément la fonction économique de la guerre mondiale. Comme cela s'est produit en 1914 et en 1939, c'est la "solution" inexorable de l'impérialisme à la crise de l'économie mondiale. » ([3] [52]).

Cette vision de la «fonction économique de la guerre mondiale », «faillite économique de pays entiers », par analogie avec les faillites du siécle dernier, revient en fait à concevoir la guerre mondiale comme le moyen que trouve le capitalisme pour relancer un « nouveau cycle d'accumulation », ce qui signifie attribuer à la guerre mondiale une rationalité économique.

Les guerres du siècle passé avaient cette rationalité : elles permettaient, dans le cas des guerres nationales (comme les guerres italiennes ou la guerre franco-prussienne) de constituer de grandes unités nationales qui signifiaient une avancée réelle dans le développement du capitalisme, et, dans le cas des guerres coloniales, une extension des rapports de production capitalistes aux régions les plus éloignées du globe, contribuant à la formation du marché mondial.

Il ne se passe pas la même chose au 20e siécle, dans la période de décadence du capitalisme. La guerre impérialiste n'a pas une rationalité économique. Si la «fonction économique » de la guerre mondiale consistant en la destruction de capital peut sembler analogue à ce qui se passait au siécle dernier, ce n'est qu'une apparence. Comme le pressent confusément le BIPR en accolant des guillemets au mot « solution », la fonction de la guerre est radicalement différente au 20e siécle. Elle n'est précisément pas une solution face à une crise cyclique « ouvrant ainsi un nouveau cycle d'accumulation », mais elle est la manifestation la plus aigue de la crise permanente du capitalisme, elle exprime la tendance au chaos et à la désintégration qui s'est emparée du capitalisme mondial, et elle est de plus un accélérateur puissant de cette tendance.

Les 80 dernières années ont confirmé pleinement cette analyse. Les guerres impérialistes sont l'expression la plus achevée de l'engrenage infernal du chaos et de la désintégration dans lequel est enfermé le capitalisme dans sa période de décadence. Il ne s'agit plus d'un cycle passant d'une phase d'expansion à une phase de crise, de guerres nationales et coloniales, pour déboucher sur une nouvelle expansion, manifestant le dé-veloppement global du mode de production capitaliste, mais d'un cycle passant de la crise à la guerre impérialiste généralisée pour le rapartage du marché mondial, puis de la reconstruction d'aprés-guerre à une nouvelle crise plus large, comme ce fut le cas par deux fois au cours de ce siécle.
 

La nature de la reconstruction aprés la 2e guerre mondiale
 

Pour le BIPR « le capitalisme a vécu, bien sûr, les deux crises précédentes (il se référe à la 1e et à la 2e guerre mondiale) d'une manière dramatique, mais il avait encore devant lui des marges assez vastes pour espérer un développement ultérieur y inclus dans le cadre général de la décadence. » ([4] [53])

Le BIPR se rend compte de la gravité des destructions, des souffrances, que provoquent les guerres impérialistes et pour cela dit que c'est quelque chose de « dramatique ». Mais les guerres de la période ascendante étaient aussi « dramatiques » : elles provoquaient des destructions, la faim, des souffrances innombrables. Le capitalisme est né « dans la boue et le sang » comme le disait Marx.

Cependant, il y a une différence abyssale entre les guerres de la période ascendante et les guerres de la période décadente: dans les premières, « le capitalisme a des marges assez vastes de développement » pour reprendre les termes du BIPR, dans les secondes ces marges se sont dramatiquement réduites et n'offrent plus un champ suffisant pour l'accumulation du capital.

Là réside la différence essentielle entre les guerres de l'une et de l'autre période, entre ascendance et décadence du capitalisme. Aussi, penser qu'à travers la 1e et la 2e guerre mondiale, le capitalisme « avait encore devant lui des marges assez vastes pour espérer un développement ultérieur» , c'est jeter par dessus bord l'essentiel de la période de décadence du capitalisme.

Il est évident que cette analyse sur les « marges de développement » du capitalisme dans la décadence est trés liée aux explications du BIPR sur la crise fondées sur la seule théorie de la tendance à la baisse du taux de profit, sans tenir compte de la théorie développée par Rosa Luxemburg de la saturation du marché mondial, cependant, sans entrer dans cette discussion, un simple bilan de la reconstruction qui a suivi la 2e guerre mondiale dément ces prétendues « marges assez vastes de développement. »

Selon les apparences, aprés le cataclysme de la guerre, en 1945 l'économie mondiale non seulement « était revenue à la normale » mais avait de plus dépassé les niveaux de croissance précédents. Cependant; nous ne pouvons pas nous laisser aveugler par les chiffres mirifiques fournis par les statistiques. Si on laisse de côté le probléme de la manipulation de ces dernières par les gouvernements et les institutions économiques, phénoméne qui existe, mais qui est totalement secondaire dans le cas qui nous occupe, nous avons l'obligation d'analyser la nature et la composition de cette croissance.

Si nous procédons à cette analyse, nous voyons qu'une part importante de cette croissance est composée d'une part de la production d'armement et des dépenses de défense, et d'autre part de toute une série de dépenses (bureaucratie étatique, marketing et publicité, médias de « communication ») qui sont totalement improductives du point de vue de la production globale.

Commençons par la question de l'armement. A la différence de la période postérieure à la 1e guerre mondiale, en 1945 les armées ne sont pas complétement démobilisées et les dépenses d'armement augmentent de manière pratiquement ininterrompue jusqu'à la fin des années 1980.

Les dépenses militaires représentaient pour les Etats-Unis, avant l'effondrement de l'URSS, 10 % du Produit National Brut. En URSS elles représentaient 20-25 %, dans les pays de 1’Union européenne elle sont actuellement 3-4 %, dans les pays du « tiers-monde », elles atteignent dans beaucoup de cas 25 %.

La production d'armement augmente dans un premier temps le volume de la production, cependant, dans la mesure oú ces valeurs créées ne « retournent » pas dans le processus productif mais que leur aboutissement est ou bien la destruction ou bien de rouiller dans les casernes ou les silos nucléaires, elles représentent en fait la stérilisation, la destruction d'une partie de la production globale : avec la production d'armes et les dépenses militaires « une part chaque fois plus grande de cette production va à des produits qui n'apparaissent pas dans le cycle suivant. Le produit quitte la sphére de la production et ne retourne pas dans celle-ci. Un tracteur retourne à la production sous la forme de gerbes de blé, un tank non. » ([5] [54])

De la même manière, la période d'aprés-guerre a signifié un accroissement formidable des dépenses improductives: l’Etat a développé une immense bureaucratie, les entreprises ont suivi la même régle en augmentant de manière disproportionnée les systémes de contrôle et d'administration de la production, la commercialisation des produits, face aux difficultés de la vente sur le marché, a pris des proportions chaque fois plus grandes jusqu'à représenter prés de 50 % du prix des marchandises. Les statistiques capitalistes attribuent à cette masse formidable de dépenses un signe positif, en les comptabilisant comme « secteur tertiaire ». Cependant, cette masse croissante de dépenses improductives constitue plutôt une soustraction pour le capital global. « Lorsque les rapports de production capitalistes cessent d'être porteurs du développement des forces productives pour en devenir des entraves, tous les 'faux frais" qu'ils peuvent occasionner deviennent de simples gaspillages. Ce qu'il est important de noter, c'est que cette inflation de 'faux-frais" a été un phénopéne inévitable qui s'est imposé au capitalisme avec autant de violence que ses contradictions. L'histoire des nations capitalistes depuis un demi-siécle est rempli de "politiques d'austérité", d'essais, de retour en arrière, de luttes contre l'expansion incontrôlée des frais de l'Etat, des dépenses improductives en général. (..) Toutes ces tentatives aboutissent cependant systématiquement à des échecs. (..) Plus le capitalisme connaît de difficultés, plus il doit développer ses 'faux -frais". Ce cercle vicieux, cette gangréne qui ronge le systéme du salariat n'est qu'un des symptômes d'une même maladie : la décadence capitaliste. »([6] [55])

Une fois vue la nature de la croissance aprés la 2e boucherie impérialiste, voyons maintenant sa répartition dans les différentes aires du capitalisme mondial.

En commençant par l'ex-URSS et les pays qui ont constitué son bloc, une part non négligeable de la «  reconstruction » en URSS s'est faite par le transfert d'usines entières de Tchécoslovaquie, Pologne, Hongrie, ex-RDA, Mandchourie, etc., sur le territoire de 1’URSS, ce qui ne signifie pas globalement une véritable croissance mais un simple changement de localisation géographique.

D'un autre côté, comme nous l'avons mis en évidence depuis des années ([7] [56]), l'économie des régimes staliniens produisait des marchandises d'une qualité plus que douteuse, de telle manière qu'une grande proportion était inutilisable. Sur le papier la production a pu croître à des niveaux «formidables », et le BIPR tombe dans le panneau à pieds joints ([8] [57]), mais en réalité la croissance a été en grande partie fictive.

En ce qui concerne les pays qui sont sortis des vagues successives de « décolonisation », dans l'article « Des nations mort-nées » ([9] [58]), nous avions mis en évidence le mensonge de ces « taux de croissance plus grands que ceux du monde industrialisé ». Aujourd’hui, nous pouvons voir qu'un grand nombre de ces pays est entré dans un processus accéléré de chaos et de décomposition, de faim, d’épidémies, de destructions et de guerres. Dans ces pays la guerre impérialiste comme mode de vie permanent du capitalisme décadent s'est imposée depuis le début comme une plaie dévastatrice constituant un terrain d’affrontement permanent entre les grandes puissances avec la complicité active des bourgeoisies locales.

Du point de vue strictement économique, l'immense majorité de ces pays est embourbée depuis des décennies dans une situation de marasme total. Et aujourd'hui par exemple les «fantastiques » taux de croissance des fameux « Quatre dragons asiatiques » ne doivent pas nous tromper. Ces pays se sont fait une petite place sur le marché mondial par la vente à des prix dérisoires de certains produits de consommation et de quelques composants auxiliaires de l'industrie électronique. Ces prix viennent d’une part de la surexploitation de la main d’oeuvre ([10] [59]) et, surtout, du recours systématique aux crédits d’Etat à l'exportation et au dumping (vente au-dessous de la valeur).

Ces pays ne peuvent pas échapper, comme les autres, à une loi implacable qui opére pour toutes les nations qui sont arrivées trop tard sur le marché mondial : « La loi de l'offre et de la demande joue contre tout développement de nouveaux pays. Dans un monde oú les marchés sont saturés, l'offre dépasse la demande et les prix sont déterminés par les coûts de production les plus bas. De ce fait, les pays ayant les coûts de production les plus élevés sont contraints de vendre leurs marchandises avec des profits réduits quand ce n'est pas à perte. Cela raméne leur taux d'accumulation à un niveau extrêmement bas et, même avec une main d'oeuvre trés bon marché, ils ne parviennent pas à réaliser les investissements nécessaires à l'acquisition massive d'une technologie moderne, ce qui a pour résultat de creuser encore plus le fossé qui sépare ces pays des grandes puissances industrielles. » ([11] [60])

Quant aux pays industriels, il est certain qu'entre 1945 et 1967, ils ont connu une réelle croissance économique (de laquelle il faut décompter le volume énorme des dépenses militaires et improductives).

Cependant, nous devons faire au moins deux précisions. En premier lieu : « Certains taux de croissance atteints depuis la deuxiéme guerre mondiale approchent - voire dépassent - ceux atteints au cours de la phase ascendante du capitalisme avant 1913. C'est le cas pour les pays comme la France et le Japon. C'est cependant loin d'être le cas pour la première puissance industrielle, les USA (50 % de la production mondiale au début des années 1950, 4,6 % de taux de crois-sance annuel moyen entre 1957 et 1965 contre 6,9% entre 1850 et 1880 »([12] [61]). De plus, la production mondiale entre 1913 et 1959 (y compris la fabrication d'armements) croît de 250 % , alors que si elle l'avait fait au même rythme moyen qu'entre 1880 et 1890, période d'apogée du capitalisme, elle aurait crù de 450 %. ([13] [62])

En deuxiéme lieu, la croissance de ces pays s'est faite au prix d'un appauvrissement croissant du reste du monde.Durant les années 70, le systéme de crédits massifs aux pays du « tiers-monde » de la part des grands pays industrialisés pour qu'il absorbent les énormes stocks de marchandises invendables, a donné l'apparence d'une « grande croissance » à toute l'économie mondiale. La crise de la dette qui a éclaté à partir de 1982, a dégonflé cette énorme bulle, mettant en évidence un probléme trés grave pour le capital: « pendant des années, une bonne partie de la production mondiale n'a pas été vendue mais tout simplement donnée. Cette production, qui peut correspondre à des biens réellement fabriqués, n'est donc pas une production de valeur, c'est à dire la seule chose qui intéresse le capitalisme. Elle n'a pas permis une réelle accumulation de capital. Le capital global s'est reproduit sur des bases de plus en plus étroites. Pris comme un tout, le capitalisme ne s'est donc pas enrichi. Au contraire, il s'est appauvri. » ([14] [63])

Il est significatif qu'aprés la crise de la dette dans le « tiers-monde » entre 1982 et 1985, la «  solution » ait été l'endettement massif des Etats-Unis qui, entre 1982 et 1988, sont passés du statut de pays créditeur à celui de premier pays endetté du monde.

Cela montre l'impasse dans laquelle se trouve le capitalisme là oú il est le plus fort, dans les grandes métropoles industrialisées d'Occident.

De ce point de vue, l'explication que donne BC de la crise de la dette américaine, est erronée et représente une forte sous-estimation : « mais le véritable levier qui a été utilisé pour drainer les richesses de tous les coins de la terre vers les Etats-Unis fut la politique d'élévation des taux d'intérêt » BC caractérise cette politique comme « appropriation de la plus-value au travers du contrôle de la rente financière » en signalant que «du développement des profits au moyen du développement de la production industrielle, on est passé au développement des profits grâce au développement de la rente financière. » ([15] [64])

BC devrait se demander pourquoi on passe «du développement des profits au moyen du développement de la production industrielle » au « développement des profits grâce au développement de la rente financière. » Et la réponse est évidente : alors que dans les années 1960, un développement industriel était encore possible pour les grands pays capitalistes, alors que dans les années 1970, les crédits massifs aux pays du « tiers-monde » et de l’Est ont permis de maintenir à flot ce « développement », dans les années 1980, ces robinets se sont fermés définitivement et ce furent les Etats-Unis qui ont apporté une nouvelle fuite en avant avec leurs immenses dépenses en armements.

Voilà pourquoi BC se trompe en considérant comme « lutte pour la rente financière » le processus d'endettement massif des Etats-Unis et se rend ainsi incapable de comprendre la situation des années 1990 oú les possibilités d'un endettement des Etats-Unis dans les proportions des années 1980, n'existent plus. Le capitalisme a le plus développé » s'est fermé une autre de ses portes illusoires face à la crise ([16] [65]).
 

Le rapport entre la guerre impérialiste et la crise capitaliste

Pour BC, la guerre a devient à l'ordre du jour de l'histoire quand les contradictions du processus d'accumulation du capital se développent jusqu'à déterminer une surproduction de capital et une chute du taux de profit. » ([17] [66]) Historiquement, et historiquement seulement, cette position est juste. L'ére de l'impérialisme, la guerre impérialiste généralisée, naît de la situation d'impasse dans laquelle se trouve le capitalisme dans sa phase de décadence, quand il ne peut plus poursuivre son accumulation à cause de la pénurie des nouveaux marchés qui lui permettaient jusque là d'étendre ses rapports de production.

BC s'essaie à démontrer, à partir d'une série d'éléments sur le chômage avant la 1e guerre mondiale, et sur le chômage et l'utili-sation de la capacité productive avant la 2e, que « les données (..) montrent sans équivoque le lien étroit qui existe entre le cours du cycle économique et les deux guerres mondiales. »([18] [67])

Outre le fait que les données sont limitées exclusivement aux Etats-Unis, nous renvoyons ici sans la reprendre à l'argumentation développée dans les articles déjà cités de la Revue Internationale n° 77 et 78 en réponse à Programme communiste qui énonce la même idée.

Le déchaînement de la guerre requiert, outre les conditions économiques, une condition décisive : l'enrôlement du prolétariat dans les grands pays industrialisés pour la guerre impérialiste. Sans cette condition, même si toutes les conditions u objectives u existent, la guerre ne peut être déchaînée. Nous ne revenons pas sur cette position fondamentale que BC rejette également ([19] [68]). Disons simplement que le lien mécanique entre guerre et crise économique que le BIPR prétend établir (coincidant sur cette position avec le bordiguisme qui rejette la notion de déca-dence), entraîne une sous-estimation du probléme de la guerre dans le capitalisme décadent.

Rosa Luxemburg dans L'accumulation du capital souligne que « plus s'accroît la violence avec laquelle à l'intérieur et à l'extérieur le capital anéantit les couches non-capitalistes et avilit les conditions d'existence de toutes les classes laborieuses, plus l'histoire quotidienne de l'accumulation dans le monde se transforme en une série de catastrophes et de convulsions, qui, se joignant aux crises économiques périodiques finiront par rendre impossible la continuation de l'accumulation et par dresser la classe ouvrière internationale contre la domination du capital avant même que celle-ci ait atteint économiquement les dernières limites objectives de son développement. » ([20] [69])

En général, la guerre et la crise économique ne sont pas des phénoménes liés dans un rapport mécanique. Dans le capitalisme ascendant, la guerre est au service de l'économie. Dans le capitalisme décadent, c'est l’inverse : surgissant de la crise historique du capitalisme, la guerre impérialiste acquiert sa propre dynamique et devient progressivement le mode de vie même du capitalisme. La guerre, le militarisme, la production d'armes, tendent à mettre à leur service l'activité économique, provoquant des déformations monstrueuses des propres lois de l'accumulation capitaliste et générant des convulsions supplémentaires dans la sphére économique.

C'est ce que pose avec lucidité le 2e congrés de 1`Internationale communiste :

« La guerre a fait subir au capitalisme une évolution. (..) La guerre l'a accoutumé, comme aux actes les plus ordinaires, à réduire par le blocus des pays entiers à la famine, à bombarder et incendier des villes et villages pacifiques, à infecter les sources et les rivières en y jetant des cultures du choléra, à transporter de la dynamite dans des valises diplomatiques, à émettre des billets de banque faux imitant ceux de l'ennemi, à employer la corruption, l'espionnage et la contrebande dans des proportions jusque-là inouies. Les moyens d'action appliqués à la guerre restérent en vigueur dans le monde commercial aprés la conclusion de la paix. Les opérations commerciales de quelque importance s'effectuent sous l'égide de 1’Etat. Ce dernier est devenu semblable à une association de malfaiteurs armés jusqu aux dents. » ([21] [70])
 

La nature des « cycles d'accumulation » dans la décadence capitaliste

 
        Selon BC, « chaque fois que le systéme ne peut contrecarrer par une impulsion antagonique les causes qui provoquent la chute du taux de profit, se posent alors deux types de problémes : a) la destruction du capital en excés ; b) l'extension de la domination impéréaliste sur le marché international. » ([22] [71]).

Avant tout, il faut préciser que BC a un siécle de retard: la question de « l'extension de la domination impérialiste sur le monde » a commencé à se poser chaque fois plus de manière aiguë dans la dernière décennie du siécle passé. Depuis 1914, cette question ne se pose plus pour la simple raison que tout le monde est pris, et bien pris, dans les filets sanglants de l'impérialisme. La question qui se répéte et s'aggrave depuis 1914 n'est pas l'extension de l'impérialisme mais le partage du monde entre les différents vautours impérialistes.

L'autre « mission » que BC assigne à la guerre impérialiste – « la destruction du ca-pital en excés » - tend à comparer les destructions de forces productives qui se produisaient au 19e siécle comme conséquences des crises cycliques du systéme, avec les destructions causées par les guerres impérialistes de ce siécle. Néammoins BC reconnaît la différence qualitative entre ces destruc-tions: « alors, il s'agissait du coût douloureux d'un développement "nécessaire" des forces productives, aujourd'hui nous sommes en présence d'une oeuvre de dévastation systématique projetée à échelle planétaire, aujourd'hui au sens économique, demain au sens physique, plongeant l'humanité dans l'abîme de la guerre. » ([23] [72]) Mais pas suffisamment, et BC a toujours persisté à relativiser cette différence pour insister bien plus sur une identité de fonctionnement du capitalisme dans sa phase ascendante et dans sa phase de décadence : « toute l'histoire du capitalisme est la course sans fin vers un équilibre impossible, seules les crises, c'est à dire famine, chômage, guerre et mort pour les travailleurs, sont les moments par lesquels les rapports de production créent de nouveau les conditions pour un cycle ultérieur d'accumulation qui aura comme ligne d'arrivée une autre crise encore plus profonde et plus vaste » ([24] [73]).

Il est certain qu'aussi bien dans le capitalisme ascendant que dans le capitalisme décadent, le systéme ne peut se libérer des crises périodiques qui l'aménent au blocage et à la paralysie. Cependant, constater cela nous laisse sur le terrain des économistes bourgeois qui nous confortent en répétant: « aprés une récession, vient une reprise et ainsi de suite. »

Certes, BC ne reprend pas ces chiméres et défend clairement la nécessité de détruire le capitalisme et de faire la révolution, mais il reste prisonnier du schéma du « cycle de l'accumulation. »

En fait :

- les crises cycliques de la période ascendante sont différentes des crises de la période décadente ; la racine de la guerre impérialiste ne se situe pas dans la crise de chaque cycle d'accumulation, ce n'est pas une sorte de dilemme qui se reproduit chaque fois qu'un cycle d'accumulation entre en crise, mais elle se situe dans une situation historique permanente qui domine toute la décadence capitaliste.

Alors que dans la période ascendante, les crises étaient de courte durée et survenaient de manière assez régulière chaque 7 ou 10 ans, depuis 1914, durant 80 ans, en nous limitant exclusivement aux grands pays industrialisés, nous avons eu :

- 10 ans de guerres impérialistes (1914-18 et 1939-45) avec plus de 80 millions de morts;

- 46 ans de crise ouverte : 1918-22, 1929-39, 1945-50, 1967-94 (nous ne prenons pas en compte les courts moments entre 1929-39 et 1967-94 de o reprise dopée u qui se sont intercalés entre ces années) ;

- 24 ans seulement (à peine le quart de la période) de reprise économique : 1922-29 et 1950-67.

Tout cela montre que le simple schéma de l'accumulation ne suffit pas à expliquer la réalité du capitalisme décadent et paralyse la compréhension de ses phénoménes.

Bien que BC reconnaisse le phénoméne du capitalisme fEtat, essentiel dans la décadence, il n'en tire pas toutes ses conséquences ([25] [74]). En effet, une caractéristiqüe essentielle de la décadence, qui affecte de manière décisive la manifestation des a crises cycliques », est l'intervention massive de lEtat (liée étroitement à la formation d'une économie de guerre), au moyen de toute une série de mécanismes que les économistes appellent a politique économique ». Cette intervention altére profondément la loi de la valeur provoquant des déformations monstrueuses dans l'ensemble de l'économie mondiale, qui aggravent et aiguisent systématiquement les contradictions du systéme, conduisant à des convulsions brutales non seulement dans l'appareil économique mais dans toutes les sphéres de la société.

Ainsi, le poids permanent de la guerre dans toute la vie sociale et, fautre part, le capitalisme dEtat, transforment radicalement la substance et la dynamique des cycles économiques : « Les conjonctures ne sont pas déterminées par le rapport entre la capacité de production et la taille du marché existant à un moment donné, mais par des causes essentiellement politiques. (..) Dans ce cadre, ce ne sont nullement des problémes d'amortissement du capital qui déterminent la durée des phases du développement économique mais en grande partie, l'ampleur des destructions subies au cours de la guerre précédente. (..) Contrairement au siécle dernier caractérisé par le "laisser faire", l'ampleur des destructions des récessions au 20e siécle est limitée par des mesures artificielles mises en place par les Etats et leurs institutions de recherche pour retarder la crise généralisée (..) [avec] tout un éventail de mesures politiques qui tendent à rompre avec le strict fonctionnement économique du capitalisme » ([26] [75]).

Le probléme de la guerre ne peut pas se situer dans la dynamique des « cycles d'accumulation » que, d'autre part, BC élargit à sa guise pour la période de décadence en l'identifiant avec les cycles « crise-guerre-reconstruction », alors que, comme nous l'avons vu, ces cycles n'ont pas une nature strictement économique.

Rosa Luxemburg précise: « Il est cependant trés important de constater de prime abord que cette succession périodique des conjonctures et la crise, si elles sont des éléments essentiels de la reproduction, ne constituent cependant pas le véritable probléme de la reproduction capitaliste. Successions périodiques de conjonctures et crise sont la forme spécifique du mouvement vers la production capitaliste, mais non pas ce mouvement lui-même. » ([27] [76])

Le probléme de la guerre dans le capitalisme décadent, doit être situé en-dehors des strictes oscillations du cycle économique, en-dehors des va-et-vient et des conjonctures du taux de profit.

« Dans cette ére non seulement la bourgeoisie ne peut plus développer les forces productives mais elle ne subsiste qu'à la condition de se livrer à leur destruction et d'anéantir les richesses accumulées, fruit du travail social des siécles passés. La guerre impérialiste généralisée est la manifestation principale de ce processus de décomposition et de destruction dans laquelle est entré la société capitaliste. » ([28] [77])

Le BIPR a les mains liées par ses théories sur les cycles d'accumulation selon la tendance à la chute du taux de profit et explique la guerre au travers du « déterminisme économique » des crises des cycles d'accumulation.

Comme marxistes, il est clair que nous savons trés bien que « l'infrastructure économique détermine toute la superstructure de la société ». Mais nous ne le comprenons pas d'une manière abstraite comme un calque qu'il faut appliquer mécaniquement à chaque situation, mais d'un point de vue historico-mondial. Et c'est pour cela que nous comprenons que le capitalisme décadent dont le marasme et le chaos ont une origine économique, a aggravé ceux-ci à tel point qu'on ne peut les comprendre limités à un strict économisme.

« L'autre aspect de l'accumulation capitaliste concerne les relations entre le capital et les modes de production non capitalistes, il a le monde entier pour théâtre. Ici les méthodes employées sont la politique coloniale, le systéme des emprunts internationaux, la politique des sphéres d'intérêts, la guerre. La violence, l'escroquerie, l'oppression, le pillage se déploient ouvertement, sans masque, et il est difficile de reconnaître les lois rigoureuses du processus économique dans l'enchevêtrement des violences et des brutalités politiques.

La théorie libérale bourgeoise n'envisage que l'aspect unique de la "concurrence pacifique", des merveilles de la technique et de l'échange pur de marchandises ; elle sépare le domaine économique du capital de l'autre aspect, celui des coups de force considérés comme des incidents plus ou moins fortuits de la politique extérieure. » ([29] [78]).

Le BIPR dénonce avec rigueur la barbarie du capitalisme, les conséquences catastrophiques de ses politiques, de ses guerres. Cependant, il n'arrive pas à avoir, comme il convient d'avoir avec une théorie conséquente de la décadence, une vision unitaire et globale de la guerre et de l'évolution économique. L'aveuglement et l'irresponsabilité qu'implique cette faiblesse, est manifeste dans cette formulation: « Dés les premières manifestations de la crise économique mondiale notre parti a soutenu que l'issue était obligatoire. L'alternative qui se pose est nette : ou dépassement bourgeois de la crise à travers la guerre mondiale vers un capitalisme monopoliste concentré ultérieurement dans les mains d'un petit numéro de groupes de puissances, ou la révolution prolétarienne. » ([30] [79])

Le BIPR n'est pas assez conscient de ce que signifierait une 3e guerre mondiale: purement et simplement l'anéantissement complet de la planéte. Même aujourd'hui oú la chute de 1’URSS et la disparition postérieure du bloc occidental rendent difficile la reconstitution de nouveaux blocs, les risques de destruction de l'humanité sous la forme d'une succession chaotique de guerres locales continuent à être trés graves.

Le degré de putréfaction du capitalisme, la gravité de ses contradictions ont atteint un tel niveau que dans ces conditions une 3e guerre mondiale conduirait à la destruction de l’humanité.

C'est une rêverie grossière, un jeu ridicule avec des schémas et des « théories » qui ne répondent pas à la réalité historique, que de supposer qu'aprés une 3e guerre mondiale puisse apparaître « un capitalisme monopo-liste concentré en un petit nombre de puissances ». C'est de la science-fiction... mais ancrée lamentablement dans des phénoménes de la fin du siécle dernier.

Le débat entre les révolutionnaires doit partir du niveau le plus élevé atteint par l'ancien parti, 1’Internationale communiste qui a dit trés clairement à la fin de la 1e Guerre mondiale: « Les contradictions du régime capitaliste se révélérent b l'humanité à la suite de la guerre, sous forme de souffrances physiques.- la faim, le froid, les maladies épidemiques et une recrudescence de barbarie. Ainsi est jugée sans appel la vieille que-relle académique des socialistes sur la théorie de la paupérisation et du passage progressif du capitalisme au socialisme. (..) Maintenant ce n'est pas seulement la paupérisation sociale, mais un appauvrissement physiologique, biologique, qui se présente à nous dans toute sa réalité hideuse. » ([31] [80])

La fin de la 2e guerre mondiale a confirmé, en allant beaucoup plus loin, cette analyse cruciale de l’IC. Depuis lors, la vie capitaliste, dans la « paix » comme dans la guerre, a aggravé les tendances que les révolutionnaires avaient prédites, à des niveaux qu'ils ne pouvaient imaginer à l'origine. A quoi bon jouer avec des hypothéses ridicules sur un « capitalisme monopoliste » aprés une 3e guerre mondiale ? L'alternative n'est pas « révolution prolétaienne ou guerre pour accoucher d'un capitalisme monopoliste », mais révolution prolétarienne ou destruction de 1’humanité.

Adalen, 1/9/94.


[1] [81] Voir Revue Internationale n° 77 et 78, « Le rejet de la notion de décadence », Polémique avec Programme communiste.

[2] [82] Le Partito Comunista Intemazionalista (PCInt) publie le journal Battaglia Comunista (BC) et la revue théorique Prometeo. La Communist Workers'Organisation (CWO) publie le journal Workers'Voice. La Communist Review est publiée conjointement par ces deux organisations et contient des articles du BIPR comme tel ainsi que des traductions d'articles de Prometeo.

[3] [83] Crise du capitalisme et perspectives du BIPR, dans la Communist Review n° 4, automne 1985.

[4] [84] Communist Review, n° 1, « Crise et impérialisme ».

[5] [85] Internationalisme n° 46, organe de la GCF, été 1952.

[6] [86] La décadence du capitalisme, brochure du CCI.

[7] [87] Voir « La crise en RDA », Revue Internationale n° 22, 3e trimestre 1980, « La crise dans les pays de 1’Est », n° 23.

[8] [88] En 1988, lorsque le chaos et la failite de l'économie soviétique étaient d'une évidence criante, le BIPR disait que « dans les années 1970 les taux de croissance de la Russie étaient encore le double de ceux de l'occident et égaux à ceux du Japon. Y compris dans la crise des débuts des années 1980 le taux de croissance russe était de 2-3 % plus important que celui de n'importe quelle puissance occidentale. Dans ces années, la Russie avait atteint largement la capacité militaire des Etats-Unis, avait dépassé sa technologie spatiale et pouvait engager les plus grands projets de construction depuis 1945. .v (Communist Review, n° 6)

[9] [89] Revue Internationale n° 69, 2e trimestre 1992, 3e partie de la série « Bilan de 70 années de 'libération nationale' ».

[10] [90] Il suffit de souligner l'importance qu'a en Chine le travail forcé pratiquement gratuit des prisonniers. Une étude d'Asian-Watch (organisation américaine de « défense des droits de l'homme ») a révélé l'existence de ces goulags chinois qui emploient 20 millions de travailleurs. Dans ces « camps de ré-éducation » sont effectués les travaux sous contrat pour les entreprises occidentales (françaises, américaines, etc.). Les défauts de qualité que détectent les contractants occidentaux sont immédiatement répercutés aux prisionnier responsable de l' « erreur » par des châtiments brutaux devant tous ses camarades.

[11] [91] Revue internationale n° 23, « La lutte du prolétariat dans la décadence du capitalisme ».

[12] [92] La décadence du capitalisme, brochure du CCI.

[13] [93] Idem.

[14] [94] Revue Internationale n° 59, 4e trimestre 1989, «  La situation internationale ».

[15] [95] Prometeo n° 6, «  Les Etats-Unis et la domination du monde ».

[16] [96] BC, lancé dans la spéculation de sa théorie de «  la lutte pour le partage de la rente financière », se met sur un terrain dangereux en affirmant que celle-ci « étant une forme d'appropriation parasitaire, le contrôle de la rente exclut la possibilité de la redistribution de la richesse entre les différentes catégories et classes sociales par la croissance de la production et la circulation de marchandises. » Depuis quand la croissance de la production et de la distribution de marchandises tend à redistribuer la richesse sociale ? Comme marxistes, nous avions compris que la croissance de la production capitaliste tend à «  redistribuer » la richesse au bénéfice des capitalistes et au détriment des ouvriers. Mais BC découvre le contraire en tombant sur le terrain de la gauche du capital et des syndicats qui demande des investissements « pour qu'il y ait du travail et du bien-être ». Face à une telle « théorie », il faudrait rappeler ce que disait Marx au citoyen Weston dans Salaire, prix et profit: « Ainsi le citoyen Weston oublie-t-il que cette soupière, oú les travailleurs mangent, est emplie du produit tout entier du travail national : que ce qui les empêche d’y puiser davantage, ce n'est point l'étroitesse de la soupière, ce n'est point l'insuffisance de son contenu, c'est seulement la petitesse de leurs cuillers ». (Chapitre 1, «  Salaire, prix et monnaie », La Pléiade).
 

[17] [97] Prometeo n° 6, décembre 1993,  « Les Etats-Unis et la domination du monde ».

[18] [98] « Crise et impérialisme », Revue Communiste n° 1.

[19] [99] cf. Revue internationale n° 36, « La vision de BC sur le cours historique ».

[20] [100] Chap. 32.

[21] [101] Manifeste du 2° Congrés de l’Intemationale communiste.

[22] [102] Prometeo n° 6, décembre 1993, « Les Etats-Unis et la domination du monde ».

[23] [103] Battaglia comunista n° 10 (octobre 93).

[24] [104] 2e Conférence des groupes de la Gauche communiste, Textes préparatoires volume 1, « Sur la théorie des crises en général », contribution du PCInt-BC, voir la citation.

[25] [105] De manière explicite, les camarades identifient le capitalisme décadent avec le « capitalisme des monopoles » : « C'est précisément dans cette phase historique que le capitalisme entre dans sa phase décadente. La libre concurrence aiguisée par la chute du taux de profit, crée son contraire, le monopole, qui est la forme d'organisation que le capitalisme se donne pour contenir la menace d'une chute ultérieure du profit» (2e Conférence internationale, texte cité). Les monopoles survivent dans décadence mais n'en constituent pas, loin de là, l'essentiel. Cette vision est trés liée à la théorie de l'impérialisme et à l'insistance de BC sur le « partage de la rente financière ». II doit être clair que cette théorie rend difficile la compréhension à fond de la tendance universelle (pas seulement dans les pays staliniens) au capitalisme d'Etat.

[26] [106] « La lutte du prolétariat dans le capitalisme décadent », Revue internationale n° 23.

[27] [107] L'accumulation du capital, Chap. 1.

[28] [108] « Notre réponse » [à Vercesi], texte de la Gauche communiste de France, publié dans le Bulletin international de discussion, Fraction italienne de la Gauche communiste, n° 5, mai 1944.

[29] [109] L'accumulation du capital, Chap. 31.

[30] [110] Revue Communiste n°1, « Crise et impérialisme ».

[31] [111] « Manifeste de l’Internationale Communiste » 1° congrès de l’IC, mars 1919.

Courants politiques: 

  • TCI / BIPR [112]

Approfondir: 

  • Polémique dans le milieu politique : sur la décadence [113]

Questions théoriques: 

  • Décadence [114]

Heritage de la Gauche Communiste: 

  • Le Marxisme : la theorie de la révolution [115]

Le communisme n'est pas un bel idéal, mais une nécessite matérielle [10e partie]

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Anarchisme ou communisme

Dans le dernier article de cette série, nous avons examiné le combat qu'a mené, dans l'Association internatio­nale des travailleurs (AIT), la ten­dance marxiste contre les idéologies réformistes et «socialistes d'Etat» au sein du mouvement ouvrier, no­tamment dans le parti allemand. Pourtant, selon le courant anarchiste ou « antiautoritaire » de Mikhaïl Bakounine, Marx et Engels auraient incarné et inspiré la tendance socia­liste d'Etat, et étaient les instigateurs les plus en vue de ce «socialisme allemand » qui avait pour but non pas de remplacer le capitalisme par une société libre et sans Etat, mais par une terrible tyrannie bureaucra­tique dont ils seraient eux-mêmes les gardiens. Jusqu'à aujourd'hui, les anarchistes de même que les libé­raux présentent les critiques de Bakounine à Marx comme l'expres­sion d'une profonde perspicacité sur la véritable nature du marxisme, comme une explication prophétique des raisons pour lesquelles les théo­ries de Marx conduiraient inévita­blement aux pratiques de Staline.

Mais, comme nous tenterons de le montrer dans cet article, la « critique radicale » du marxisme par Bakounine, comme toutes les criti­ques ultérieures, n'est radicale qu'en apparence. La réponse que Marx et son courant apportèrent à ce pseudo-radicalisme, allait nécessai­rement de pair avec la lutte contre le réformisme, car les deux idéologies représentaient la pénétration, dans les rangs du prolétariat, de points de |vue étrangers à la classe. 

Le noyau petit-bourgeois de l'anarchisme

Le développement de l'anarchisme dans la seconde moitié du 19e siècle était le produit de la résistance des couches petites-bourgeoises -artisans, commer­çants, petits paysans- à la marche triomphante du capital, résistance au processus de prolétarisation qui les pri­vait de leur « indépendance » sociale passée. Plus fort dans les pays où le ca­pital industriel s'est développé tardive­ment, à la périphérie orientale et méridionale de l'Europe, il exprimait à la fois la rébellion de ces couches contre le capitalisme, et leur incapacité à voir plus loin que celui-ci, vers le futur communiste ; au contraire, il énonçait leur désir de retour à un passé semi-mythique de communautés locales libres et de producteurs strictement indépen­dants, débarrassés de l'oppression du capital industriel et de l'Etat bourgeois centralisé.

Le «père» de l'anarchisme, Pierre-Joseph Proudhon, était l'incarnation classique de cette attitude, avec sa haine féroce non seulement envers l'Etat et les grands capitalistes, mais envers le col­lectivisme sous toutes ses formes, y compris envers les syndicats, les grèves et les expressions similaires de la col­lectivité de la classe ouvrière. A l'encontre de toutes les tendances profondes qui se développaient au sein de la socié­té capitaliste, l'idéal de Proudhon était une société « mutualiste », fondée sur la production artisanale individuelle, liée par le libre-échange et le libre-crédit.

Marx avait déjà démoli les vues de Proudhon dans son livre Misère de la à Philosophie, publié en 1847, et l'évolution du capital lui-même, dans la se­conde partie du siècle, avait fait la dé­monstration pratique de l'obsolescence des idées de Proudhon. Pour « l'ouvrier de masse» de l'industrie capitaliste, il était de plus en plus évident que, pour résister à l'exploitation capitaliste et l'abolir tout à la fois, seules une lutte collective et une appropriation collective des moyens de production pouvaient of­frir un espoir.

Face à cela, le courant bakouniniste qui, à partir de 1860, a tenté de combiner « l'anti-autoritarisme » de Proudhon avec une approche collectiviste et même communiste des questions sociales, semble clairement constituer une avan­cée par rapport au Proudhonisme classi­que. Bakounine a même écrit à Marx pour exprimer son admiration vis-à-vis de son travail scientifique, déclarant être son disciple et lui offrant de tra­duire Le capital en russe. Et cependant, malgré son retard idéologique, le cou­rant proudhonien avait, à certains mo­ments, joué un rôle constructif dans la formation du mouvement ouvrier : Proudhon avait été un facteur de l'évo­lution de Marx vers le communisme dans les années 1840, et les proudhoniens avaient participé à la fondation de TAIT. L'histoire du Bakouninisme, au contraire, est quasiment entièrement une chronique du travail négatif et des­tructeur qu'il a mené contre l'Internatio­nale. Même l'admiration que Bakounine professait envers Marx, faisait partie de ce syndrome : Bakounine confessait lui-même que « c'est également par tacti­que, par politique personnelle que j'ai tant honoré et loué Marx », son but ul­time étant de briser la « phalange » marxiste qui dominait l'Internationale ([1] [116]).

La raison essentielle en est que, tandis que le Proudhonisme précédait le mar­xisme, et les groupes proudhoniens la 1ère Première  Internationale,  le  bakouninisme s'est développé, dans une large mesure, en réaction au marxisme et contre le développement d'une organisation prolétarienne internationale centralisée.

Dans le morceau suivant Marx et En­gels expliquent cette évolution en se ré­férant au problème général des « sectes », mais ce sont surtout les bakouninistes qui sont visés, puisque le passage vient du texte « Les prétendues scissions dans l'Internationale » (1872) qui était une réponse du Conseil général aux intrigues de Bakounine contre l'AIT :

« La première phase dans la lutte du prolétariat contre la bourgeoisie est marquée par le mouvement sectaire. Il a sa raison d'être à une époque où le prolétariat n'est pas encore assez déve­loppé pour agir comme classe. Des pen­seurs individuels font la critique des an­tagonismes sociaux, et en donnent des solutions fantastiques que la masse des ouvriers n'a qu'à accepter, à propager, et à mettre en pratique. Par leur nature même, les sectes formées par ces initia­teurs sont abstentionnistes, étrangères à toute action réelle, à la politique, aux grèves, aux coalitions, en un mot à tout mouvement d'ensemble...Ces sectes, le­viers du mouvement à leur origine, lui font obstacle dès qu'il les dépasse. » ([2] [117])

L'organisation prolétarienne contre les intrigues de la petite-bourgeoisie

Le principal enjeu de la lutte entre marxistes et bakouninistes était l'Inter­nationale elle-même : rien ne démontre plus clairement l'essence petite-bour­geoise de l'anarchisme que son approche de la question organisationnelle, et ce n'est pas un hasard si la question qui a mené à la scission ouverte entre les deux courants, n'a pas été un débat abs­trait sur la société future, mais a porté sur le fonctionnement de l'organisation prolétarienne, son mode d'opération in­terne. Mais, comme nous le verrons, ces différences organisationnelles étaient également liées à des visions différentes de la société future et des moyens de la créer.

A partir du moment où ils ont rejoint l'Internationale, à la fin des années 1860, mais surtout dans la période qui a suivi la défaite de la Commune, les ba­kouninistes ont crié haro sur le rôle du Conseil général, organe central de l'In­ternationale qui se trouvait à Londres et était donc fortement influencé par Marx et Engels. Pour Bakounine, le Conseil général n'était qu'une simple couverture pour Marx et « sa coterie » ; il se pré­senta donc comme le champion de la li­berté et de l'autonomie des sections locales contre les prétentions tyranniques des « socialistes allemands ». Cette campagne fut liée à dessein à la ques­tion de la société future, puisque les ba­kouninistes défendaient que l'Interna­tionale elle-même devait constituer l'embryon du nouveau monde, le précur­seur de la fédération décentralisée des communes autonomes. Dans cette même perspective, la domination autoritaire des marxistes dans l'Internationale ex­primait la vision qu'auraient ces der­niers du futur : une nouvelle bureaucra­tie d'Etat traitant les ouvriers avec arro­gance au nom du socialisme.

Il est parfaitement vrai que l'organisa­tion prolétarienne, aussi bien pour ce qui est de son fonctionnement interne que pour sa fonction externe, est dé­terminée par la nature de la société communiste pour laquelle elle combat, ainsi que par la classe qui est porteuse de cette société. Mais contrairement à la vision anarchiste, le prolétariat n'a rien à craindre de la centralisation en soi : le communisme est effectivement la cen­tralisation des capacités productives mondiales qui remplace l'anarchie de la concurrence capitaliste. Et afin d'attein­dre cette étape, le prolétariat doit cen­traliser ses propres forces combattantes pour renverser un ennemi qui a souvent montré sa capacité à s'unir contre lui. C'est pourquoi les marxistes ont ré­pondu aux sarcasmes de Bakounine en soulignant que son programme d'auto­nomie locale complète des sections si­gnifiait la fin de l'Internationale en tant que corps uni. En tant qu'organisation de l'avant-garde prolétarienne, en tant qu' « organisation réelle et militante de la classe prolétaire dans tous les pays, unie dans la lutte commune contre les capitalistes, les propriétaires fonciers et leur pouvoir de classe organisé dans l'Etat » ([3] [118]), l'Internationale ne pouvait parler de 100 voix différentes : elle de­vait être capable de formuler les buts de la classe ouvrière de façon claire et sans ambiguïté. Et pour qu'elle puisse le faire, l'Internationale avait besoin d'or­ganes centraux effectifs - pas de façade, dissimulant les ambitions de dictateurs et de carriéristes ; de corps élus et ren­dant des comptes, chargés de maintenir l'unité de l'organisation entre ses Congrès.

De leur côté, les bakouninistes voulaient réduire le Conseil général à « un simple bureau de correspondance et de statistique. Ses fonctions administratives ces­sant, ses correspondances se réduiraient nécessairement à la reproduction des renseignements déjà publiés dans les journaux de l'Association. Le bureau de correspondance serait donc éludé. Quant à la statistique, c'est un travail irréalisable sans une puissante organi­sation, et surtout, comme le disent ex­pressément les statuts originaux, sans une direction commune. Or, comme tout cela sent fortement "l'autoritarisme", il y aura peut-être un bureau, mais cer­tainement pas de statistique. En un mot, le Conseil général disparaît. La même logique frappe conseils fédéraux, comi­tés locaux et autres centres "autoritaires". Restent seules les sec­tions autonomes. » ([4] [119])

Plus loin dans le même texte, Marx et Engels argumentent que si l'anarchie voulait simplement dire le but ultime du mouvement de la classe - l'abolition des classes sociales et donc de l'Etat qui est le garant des divisions de classes - alors tous les socialistes étaient pour. Mais le courant de Bakounine y mettait autre chose dans sa pratique, puisqu'il pro­clamait « l'anarchie dans les rangs pro­létaires comme le moyen le plus in­faillible de briser la puissante concen­tration des forces sociales et politiques entre les mains des exploiteurs. Sous ce prétexte, elle demande à l'Internatio­nale, au moment où le vieux monde cherche à l'écraser, de remplacer son organisation par l'anarchie. La police internationale ne demande rien de plus pour éterniser la république-Thiers, en la couvrant du manteau impérial ». ([5] [120])

Mais dans le projet de Bakounine, il y avait bien plus qu'une opposition abs­traite à toute forme d'autorité et de cen­tralisation. En fait, ce à quoi s'opposait Bakounine avant tout, c'était à « l'autorité » de Marx et de son cou­rant ; et ses tirades contre leur soi-disant propension aux manoeuvres secrètes et au complot étaient fondamentalement une projection de sa propre conception profondément hiérarchique et élitiste de l'organisation. Sa bataille contre le Con­seil général était motivée en réalité par sa détermination à établir un centre de pouvoir alternatif, caché.

Quand Marx et Engels évoquaient l'his­toire des organisations « sectaires », ils ne se référaient pas seulement aux idées utopiques floues qui ont souvent carac­térisé de tels groupes, mais également à leurs pratiques politiques et à leur fonc­tionnement, hérités des sociétés secrètes bourgeoises et petites-bourgeoises, avec leurs traditions clandestines, leurs ser­ments et autres rituels occultes, parfois combinés à une propension au terro­risme et à l'assassinat. Comme on l’a vu dans un précédent article ce cette série ([6] [121]), la formation de la Ligue des Com­munistes en 1847 avait déjà marqué une rupture définitive avec ces traditions. Mais Bakounine était imprégné de ces pratiques et ne les a jamais abandon­nées. Tout au long de sa carrière politi­que, il a toujours eu pour politique de former des groupes secrets directement sous son contrôle, plus fondés sur les « affinités » personnelles que sur tout autre critère politique, et il utilisait ces réseaux secrets d'influence pour gagner de l'hégémonie dans les organisations plus grandes.

N'ayant pas réussi à transformer la Ligue de la paix et de la liberté en sa propre version d'organisation socialiste, Bakounine forma l'Alliance de la démo­cratie socialiste en 1868. Elle avait des branches à Barcelone, Madrid, Lyon, Marseille, Naples et en Sicile ; la prin­cipale section se trouvait à Genève avec un Bureau central sous le contrôle per­sonnel de Bakounine. L'aspect « socialiste » de l'Alliance était très va­gue et confus, définissant son but comme « l'égalisation sociale et éco­nomique des classes » (plutôt que leur abolition), et elle était fixée, de façon obsessionnelle, sur « l'abolition du droit d'héritage » comme clé du dépassement de la propriété privée.

Peu après sa formation, l'Alliance a po­sé sa candidature à l'Internationale. Le Conseil général a critiqué les confusions de son programme et insisté sur le fait qu'elle ne pouvait être admise dans l'Internationale comme organisation inter­nationale parallèle ; elle devait se dis­soudre et faire de chacune de ses sec­tions, des sections de l'Internationale.

Bakounine était tout à fait d'accord avec ces termes pour la simple raison que l'Alliance n'était, pour lui, que la façade d'un dédale de plus en plus ésotérique de sociétés secrètes, certaines fictives et d'autres réelles ; d'une hiérarchie by­zantine qui n'avait finalement à répon­dre que devant le « citoyen B. » lui-même. L'histoire complète des sociétés secrètes de Bakounine reste encore à dé­couvrir, mais il est certain que, derrière l'Alliance (qui de toutes façons ne fut pas réellement dissoute lors de son en­trée dans l'AIT), la « Fraternité Inter­nationale » constituait un cercle interne qui avait déjà opéré dans la Ligue de la Paix et la Liberté. Il existait aussi une vague «Fraternité Nationale» à mi-chemin entre l'Alliance et la «Fraternité Internationale». Il peut y en avoir eu d'autres. La question est que de telles formations traduisent un mode de fonctionnement entièrement étranger au prolétariat. Là où les organisations prolétariennes fonctionnent à travers des organes centraux élus, rendant des comptes, la hiérarchie compliquée de Bakounine n'était redevable devant per­sonne d'autre que lui-même. Là où les organisations prolétariennes, même lorsqu'elles doivent agir dans la clan­destinité, sont fondamentalement ouver­tes à leurs camarades, Bakounine traite les membres de niveau « moyen » de son organisation comme de simples fan­tassins qu'on manipule à volonté, et qui sont inconscients des buts qu'ils servent réellement.

Il n'est donc pas surprenant que cette conception élitiste des rapports au sein de l'organisation prolétarienne se trouve reproduite dans la vision de Bakounine de la fonction de l'organisation révolutionnaire dans l'ensemble de la classe. La polémique du Conseil général contre les bakouninistes, «L'Alliance de la Démocratie Socialiste et l'AIT », rédi­gée en 1873, met en évidence les perles suivantes dans les écrits de Bakounine :

« Il est nécessaire qu'au milieu de l'anarchie populaire qui constituera la vie même et toute l'énergie de la révolu­tion, l'unité de la pensée et de l'action révolutionnaire se trouve un organe. Cet organe doit être l'association se­crète et universelle des frères interna­tionaux. » ([7] [122]) Admettant que les révolu­tions ne puissent être faites par des in­dividus ou des sociétés secrètes, ces derniers ont la tâche d'organiser « non l'armée de la révolution - l'armée doit toujours être le peuple - mais un état-major révolutionnaire composé d'indi­vidus dévoués, énergiques, intelligents et surtout amis sincères et non ambi­tieux ni vaniteux, du peuple, capables de servir d'intermédiaires entre l'idée révolutionnaire et les instincts populai­res. Le nombre de ces individus ne doit donc pas être immense. Pour l'organisation internationale dans toute l'Europe, cent révolutionnaires sérieusement et fortement alliés suffi­sent... » ([8] [123])

Marx et Engels qui ont écrit le texte en collaboration avec Paul Lafargue, font les commentaires suivants :

«Ainsi donc, tout se transforme. L'anarchie, la "vie populaire déchaînée, les mauvaises passions" et le reste ne suffisent plus. Pour assurer le succès de la révolution, il faut l'unité de la pensée et de l'action. Les Internationaux tâ­chent de créer cette unité par la propa­gande, par la discussion, et l'organisa­tion publique du prolétariat, à Bakounine, il ne faut qu'une organisation secrète de cent hommes, représentants privilégiés de l'idée révolutionnaire, état-major en disponibilité de la révolu­tion nommée par lui-même et comman­dée par le permanent "citoyen B.". L'unité de la pensée et de l'action ne veulent dire autre chose qu'orthodoxie et obéissance aveugle...Nous sommes en pleine Compagnie de Jésus. » ([9] [124])

La haine véritable de Bakounine envers l'exploitation et l'oppression capitalistes n'est pas en question. Mais les activités dans lesquelles il s'engageait, étaient profondément dangereuses pour le mou­vement ouvrier. Incapable d'arracher le contrôle de l'Internationale, il était ré­duit à un travail de sabotage et de dés­organisation, à provoquer des querelles internes interminables qui ne pouvaient qu'affaiblir l'Internationale. Son pen­chant pour la conspiration et la phraséo­logie assoiffée de sang a fait de lui le dupe spontané d'un élément ouverte­ment pathologique comme Netchaïev dont les actes criminels ont menacé de porter le discrédit sur l'Internationale tout entière.

Ces dangers furent amplifiés dans la période qui suivit la Commune, lorsque le mouvement prolétarien était en plein désarroi et que la bourgeoisie, convain­cue que l'Internationale avait « créé » le soulèvement des ouvriers de Paris, per­sécutait partout ses membres et cher­chait à détruire l'organisation. L'Inter­nationale, dirigée par le Conseil géné­ral, devait réagir très fermement aux intrigues de Bakounine, affirmant le principe d'une organisation ouverte en opposition à celui du secret et de la conspiration : « Contre toutes ces intri­gues, il n'y a qu'un seul moyen, mais il est d'une efficacité foudroyante ; c'est la plus complète publicité. Dévoiler ces menées dans leur ensemble, c'est les rendre impuissantes. » ([10] [125])

Le Conseil a aussi appelé et obtenu, au Congrès de La Haye en 1872, l'expul­sion de Bakounine et de son associé Guillaume - non à cause des nombreu­ses différences idéologiques qui exis­taient sans aucun doute, mais à cause de leurs pratiques politiques qui mettaient en danger l'existence même de l'Inter­nationale.

En fait, la lutte pour la préservation de l'Internationale avait, à ce moment-là, plus une signification historique qu'im­médiate. Les forces de la contre-révolu­tion donnaient le ton, et les intrigues de Bakounine ne faisaient qu'accélérer un processus de fragmentation qu'impo­saient les conditions générales auxquel­les la classe était confrontée. Dans la mesure où ils étaient conscients de ces conditions défavorables, les marxistes considéraient qu'il valait mieux que l'In­ternationale soit (au moins temporaire­ment) démantelée que de tomber aux mains de courants politiques qui au­raient sapé son but essentiel et fait tom­ber dans le discrédit jusqu'à son nom même. C'est pourquoi -toujours au Congrès de La Haye - Marx et Engels demandèrent que le Conseil général soit transféré à New York. C'était la fin ef­fective de l'Internationale, mais lorsque le renouveau de la lutte de classe permit la formation de la deuxième Internatio­nale, presque 20 ans après, ce devait être sur une base politique bien plus claire. 

Le matérialisme historique contre l'idéalisme a-historique

De façon immédiate, la question organisationnelle était au coeur de la scission dans l'Internationale. Mais intimement liées aux divergences entre marxistes et anarchistes sur l'organisation, il existait toute une série de questions théoriques plus générales qui, elles aussi, révé­laient les origines de classe différentes de ces deux points de vue.

Au niveau le plus «abstrait», Ba­kounine, malgré ses déclarations sur le matérialisme contre l'idéalisme, rejetait ouvertement la méthode matérialiste historique de Marx. Le point de départ était la question de l'Etat. Dans un texte rédigé en 1872, Bakounine établit tout à fait ouvertement les divergences :

« ...les sociologues de l'école de M. Marx, tels que M. Engels vivant, tels que feu Lassalle, par exemple, m'objec­teront que l'Etat ne fut point la cause de cette misère, de cette dégradation et de cette servitude des masses ; que la si­tuation misérable des masses, aussi bien que la puissance despotique de l'Etat, furent au contraire, l'une et l'autre, les effets d'une cause plus générale, les produits d'une phase inévitable dans le développement économique de la so­ciété, d'une phase qui, au point de vue de l'histoire, constitue un véritable pro­grès, un pas immense vers ce qu'ils ap­pellent, eux, la révolution sociale. » ([11] [126])

De son côté, Bakounine défend non seulement la vision que l'Etat est la « cause » de la souffrance des masses, et son abolition immédiate la pré-condi­tion de leur délivrance : il rejette aussi logiquement la vision matérialiste de l'histoire qui considère que le commu­nisme n'est possible que comme résultat de toute une série de développements dans l'organisation sociale et les capaci­tés productives de l'homme développements qui incluent la disso­lution des communautés humaines ori­ginelles, ainsi que la montée et la chute d'une succession de sociétés de classe. En opposition à cette approche scienti­fique, Bakounine y substitue une appro­che morale :

« Matérialistes et déterministes, comme M. Marx lui-même, nous aussi nous re­connaissons l'enchaînement fatal des faits économiques et politiques dans l'histoire. Nous reconnaissons bien la nécessité, le caractère inévitable de tous les événements qui se passent, mais nous ne nous inclinons pas indifférem­ment devant eux, et surtout nous nous gardons bien de les louer et de les ad­mirer lorsque, par leur nature, ils se montrent en opposition flagrante avec le but suprême de l'histoire, avec l'idéal foncièrement humain qu'on retrouve, sous des formes plus ou moins manifes­tes, dans les instincts, dans les aspirations populaires et sous les symboles re­ligieux de toutes les époques, parce qu'il est inhérent à la race humaine, la plus sociable de toutes les races anima­les sur la terre. Ce but, cet idéal, au­jourd'hui mieux conçus que jamais, peuvent se résumer en ces mots : c'est le triomphe de l'humanité, c'est la con­quête et l'accomplissement de la pleine liberté et du plein développement maté­riel, intellectuel et moral de chacun, par l'organisation absolument sponta­née et libre de la solidarité économique et sociale aussi complète que possible de tous les êtres humains vivant sur la terre. Maintenant, tout ce qui dans l'histoire se montre conforme à ce but, du point de vue humain - et nous ne pouvons pas en avoir d'autre - est bon ; tout ce qui lui est contraire est mau­vais. » ([12] [127])

II est vrai, comme nous l'avons en fait montré dans cette série d'articles, que « l'idéal » du communisme est apparu dans les luttes des opprimés et des ex­ploités tout au long de l'histoire, et que cette lutte correspond aux besoins les plus fondamentaux de l'homme. Mais le marxisme a démontré pourquoi, jusqu'à l'époque capitaliste, de telles aspirations étaient condamnées à rester un idéal ; pourquoi, par exemple, non seulement les rêves communistes de la révolte des esclaves de Spartacus, mais aussi la nouvelle forme féodale d'exploitation qui sortait la société de l'impasse de l'esclavage, constituaient des moments nécessaires de l'évolution des conditions qui font du communisme une possibilité réelle aujourd'hui. Pour Bakounine, ce­pendant, alors que les premiers peuvent être considérés comme « bons », la se­conde ne pouvait être considérée que comme « mauvaise », Aussi argumente-t-il, dans le texte qu'on vient de citer, que, tandis que la « liberté comparati­vement si hautement humaine » dans la Grèce antique était bonne, la conquête ultérieure de la Grèce par les romains plus barbares était mauvaise, et ainsi de suite à travers les siècles.

A partir de là, il devient impossible de juger si une formation sociale ou une classe sociale joue un rôle progressif ou régressif dans le processus historique ; à la place, tout est mesuré en fonction d'un idéal abstrait, d'un absolu moral qui reste inchangé tout au long de l'his­toire.

Aux marges du mouvement révolution­naire aujourd'hui, il y a nombre de cou­rants « modernistes » qui se sont spé­cialisés dans le rejet de la notion de dé­cadence du capitalisme : les plus cohé­rents de ceux-ci (comme le Groupe Communiste Internationaliste, ou le groupe Wildcat au Royaume Uni) en sont arrivés à rejeter la conception marxiste de progrès, puisque argumen­ter qu'un système social est en déclin, signifie évidemment qu'il a été en as­cendance à un moment. Ils concluent que le progrès est une notion complète­ment bourgeoise et que le communisme était possible à n'importe quel moment de l'histoire.

Il s'avère que ces modernistes ne sont pas si modernes après tout : ils sont de fidèles épigones de Bakounine qui a également été amené à rejeter l'idée de progrès et disait que la révolution so­ciale était possible à n'importe quel moment. Dans son travail de base, Etatisme et Anarchie (1873), Bakounine développe que les deux conditions es­sentielles d'une révolution sociale sont : la souffrance poussée à l'extrême, presqu'au point du désespoir, et l'inspiration d'un « idéal universel ». C'est pourquoi, dans le même passage, il affirme que l'Italie constitue le lieu le plus mûr pour une révolution sociale, en opposition aux pays industriellement plus dévelop­pés où les ouvriers sont « relativement nombreux » et « si imprégnés de divers préjugés bourgeois qu'ils ne diffèrent pas de la bourgeoisie, sauf par le reve­nu ».

Mais le « prolétariat » révolutionnaire italien de Bakounine consiste en « deux ou trois millions d'ouvriers des villes, principalement dans les usines et les pe­tits ateliers, et approximativement vingt millions de paysans totalement dépos­sédés ». En d'autres termes, le proléta­riat de Bakounine est en fait un nouveau nom pour la notion bourgeoise de « peuple » - tous ceux qui souffrent, quelle que soit leur place dans les rap­ports de production, quelle que soit leur capacité à s'organiser, à devenir con­scients d'eux-mêmes en tant que force sociale. En fait, Bakounine chante ailleurs les louanges du potentiel révo­lutionnaire des peuples slaves ou latins (en opposition aux allemands vis-à-vis desquels Bakounine a gardé une haine chauvine toute sa vie durant) ; il défend même, comme le note le Conseil géné­ral dans le texte « L'Alliance de la dé­mocratie socialiste et l'AIT », que « le brigand, en Russie, est le véritable et l'unique révolutionnaire. »

Tout cela est totalement cohérent avec le rejet du matérialisme par Bakounine : si la révolution sociale est possible à tout moment, alors n'importe quelle force opprimée peut la réaliser, les bri­gands ou les paysans. En fait non seu­lement la classe ouvrière dans son sens marxiste n'a pas de rôle particulier à jouer dans ce processus, mais encore Bakounine se répand en injures contre les marxistes parce qu'ils affirment que la classe ouvrière doit exercer sa dicta­ture sur la société :

« Si le prolétariat devient la classe do­minante, qui, demandera-t-on, dominera-t-il ? C'est donc qu'il restera encore une classe soumise à cette nouvelle classe régnante, à cet Etat nouveau, ne fût-ce, par exemple, que la plèbe des campagnes qui, on le sait, n'est pas en faveur chez les marxistes et qui, située au plus bas degré de la civilisation, se­ra probablement dirigée par le proléta­riat des villes et des fabriques. » ([13] [128])

Ce n'est pas le lieu ici de traiter la ques­tion des rapports entre la classe ouvrière et la paysannerie dans la révolution communiste. Il suffit de dire que la classe ouvrière n'a aucun intérêt à établir un nouveau système d'exploitation après avoir renversé la bourgeoisie. Mais, ce que les peurs de Bakounine révèlent, c'est précisément le fait qu'il n'aborde pas la question du point de vue du prolétariat, mais ce celui des « opprimés en général » - du point de vue de la petite-bourgeoise, pour être précis.

Incapable de saisir que le prolétariat est la classe révolutionnaire dans la société, non seulement parce qu'il souffre mais aussi parce qu'il contient en lui-même les germes d'une organisation sociale nouvelle et plus avancée, Bakounine n'est pas non plus capable d'envisager la révolution autrement que comme un «grand feu de joie », un épanchement de « mauvaises passions », un acte de destruction et non de création :

« Une insurrection populaire, par sa nature même, est instinctive, chaotique et destructrice... les masses sont tou­jours prêtes à se sacrifier, et ceci les transforme en une  horde sauvage et brutale, capable de réaliser des exploits héroïques et apparemment impossi­bles...Cette passion négative, c'est vraie, est loin d'être suffisante pour atteindre le niveau élevé de la cause révolutionnaire ; mais sans elle, la révolution se­rait impossible. La révolution requiert une destruction étendue et générale, une destruction féconde et rénovatrice, car c'est par cette voie et uniquement par elle que naissent de nouveaux mon­des ». ([14] [129])

De tels passages confirment non seule­ment que Bakounine a, de façon géné­rale, une vision non prolétarienne ; mais ils nous permettent aussi de comprendre pourquoi il n'a jamais rompu avec une vision élitiste du rôle de l'organisation révolutionnaire. Tandis que, pour le marxisme, l'avant-garde révolutionnaire est le produit d'une classe devenant con­sciente d'elle-même, pour Bakounine les masses populaires ne peuvent jamais aller au-delà du niveau de la rébellion instinctive et chaotique : en consé­quence, s'il faut réaliser plus que cela, cela nécessite le travail d'un « quartier général» qui agit derrière la scène. Bref, c'est la vieille notion idéaliste du Saint-Esprit qui descend sur quelque chose d'inconscient. Les anarchistes qui ne manquent jamais d'attaquer la mau­vaise formulation de Lénine sur la con­science révolutionnaire introduite dans le prolétariat de l'extérieur, sont curieu­sement silencieux sur la version bakouniniste de la même notion...

La lutte politique contre l’indifférentisme politique

En lien étroit avec la question organisationnelle, l'autre grand point de dispute entre les marxistes et les anarchistes était la question de la « politique ». Le Congrès de La Haye fut un champ de bataille sur cette question : la victoire du courant marxiste (soutenu à cette occa­sion par les Blanquistes) a été formulée dans une résolution qui disait « le prolé­tariat ne peut agir en tant que classe qu'en se constituant en parti politique distinct, opposé à tous les vieux partis formés par les classes possédantes » et que « la conquête du pouvoir politique devient le grand devoir du prolétariat » dans la lutte pour son émancipation.

Cette discussion contenait deux dimen­sions. La première fait écho à la ques­tion de la nécessité matérielle. Puisque pour Bakounine, la révolution était possible à tout moment, toute lutte pour des réformes constituait fondamentale­ment une diversion par rapport à cette grande fin ; et si cette lutte allait au-delà de la sphère strictement économique (que les Bakouninistes acceptaient à contrecoeur sans jamais en comprendre vraiment la signification), sur le terrain de la politique bourgeoise -du parle­ment, des élections, des campagnes pour changer les lois - elle ne pouvait signi­fier autre chose qu'une capitulation face à la bourgeoisie. Aussi, selon Ba­kounine, « l'Alliance, prenant le pro­gramme de l'Internationale au sérieux, avait repoussé avec dédain toute trans­action avec la politique bourgeoise, si radicale qu'elle se dise et si socialiste qu'elle se grime, recommandant au pro­létariat comme la seule voie d'une émancipation réelle, comme la seule politique pour lui vraiment salutaire, la politique exclusivement négative de la démolition des institutions politiques, du pouvoir politique, du gouvernement en général, de l'Etat... » ([15] [130])

Derrière ces phrases hautement radica­les, gît l'incapacité des anarchistes à saisir que la révolution prolétarienne, la lutte directe pour le communisme, n'était pas encore à l'ordre du jour parce que le système capitaliste n'avait pas en­core épuisé sa mission historique, et que le prolétariat était face à la nécessité de se consolider comme classe, pour arra­cher toutes les réformes qu'il pouvait à la bourgeoisie afin, avant tout, de se renforcer pour la lutte révolutionnaire future. Dans une période où le parle­ment était une véritable arène de lutte entre fractions de la bourgeoisie, le prolétariat avait les moyens d'y entrer sans se subordonner à la classe domi­nante ; cette stratégie n'est devenue im­possible qu'avec l'entrée du capitalisme dans sa phase décadente, totalitaire. Evidemment, la pré-condition en était que la classe ouvrière eût son propre parti politique, distinct et opposé à tous les partis de la classe dominante, comme le dit la résolution de l'Interna­tionale, sinon, il agirait simplement comme un appendice des partis bour­geois plus progressifs au lieu de les sou­tenir de façon tactique à certains mo­ments. Tout cela n'avait aucun sens pour les anarchistes. Mais leur opposi­tion « puriste » à toute intervention dans le jeu politique bourgeois ne les armait pas pour défendre l'autonomie du prolétariat dans les situations réelles et con­crètes : un exemple de premier ordre en est donné dans l'article d'Engels : « Les bakouninistes à l'oeuvre » écrit en 1873. Analysant les soulèvements d'Es­pagne qui ne pouvaient certainement pas avoir un caractère socialiste prolé­tarien étant donnée l'arriération du pays, Engels montre comment l'opposition des anarchistes à la revendication d'une république, leurs phrases sonnantes sur l'établissement immédiat de la Com­mune révolutionnaire, ne les avaient pas empêchés, dans la pratique, d'être à la queue de la bourgeoisie. Les commen­taires acerbes d'Engels sont comme une prédiction de ce que les anarchistes al­laient faire en Espagne 1936, quoique dans un contexte historique différent :

« Les bakouninistes furent forcés, dés qu'ils se trouvèrent en face d'une véri­table situation révolutionnaire, de jeter par-dessus bord tout leur programme antérieur. Tout d'abord, ils ont sacrifié la théorie faisant un devoir de s'abste­nir de toute activité politique, et no­tamment, de la participation aux élec­tions. Puis ce fut l'anarchie, l'abolition de l'Etat ; au lieu d'abolir l'Etat, ils ont tenté plutôt de créer une multitude d'Etats nouveaux et petits. Ensuite ils ont laissé tomber le principe selon le­quel les ouvriers ne doivent prendre part à aucune révolution qui n'ait pour but l'émancipation immédiate et com­plète du prolétariat, et ils prirent eux-mêmes part à un mouvement de toute notoriété purement bourgeois. Enfin, ils foulèrent aux pieds le principe qu'ils venaient eux-mêmes de proclamer: à savoir que l'instauration d'un gouver­nement révolutionnaire n'est qu'une nouvelle duperie et une nouvelle trahi­son à l'égard de la classe ouvrière, alors qu'ils figuraient fort tranquille­ment dans les comités gouvernementaux des diverses villes et cela presque par­tout comme une minorité impuissante dominée et politiquement exploitée par les bourgeois. » ([16] [131])

La seconde dimension de cette discus­sion sur l'action politique était la ques­tion du pouvoir. Nous avons déjà vu que, pour les marxistes, l'Etat constitue un produit de l'exploitation, non sa cause. Il est l'émanation inévitable d'une société divisée en classe et il ne peut disparaître qu'une fois que les classes auront cessé d'exister. Mais, contrairement à la vision des anarchistes, cela ne peut être le résultat d'une grande « liquidation sociale » faite en une nuit. Cela nécessite une période plus ou moins longue de transition durant la­quelle le prolétariat doit d'abord prendre en mains le pouvoir politique, et utiliser ce pouvoir pour lancer la transformation économique et sociale.

En défendant, au nom de la liberté et de l'opposition à toute forme d'autorité, que la classe ouvrière devait s'abstenir de conquérir le pouvoir politique, les anar­chistes empêchaient donc la classe ou­vrière d'établir sa base première. C'était nécessairement un acte « autoritaire ». Selon les fameux termes d'Engels :

« Ont-ils jamais vu une révolution, ces messieurs ? Une révolution est certai­nement la chose la plus autoritaire qui soit ; c'est l'acte par lequel une partie de la population impose sa volonté à l'autre au moyen de fusils, de baïonnet­tes et de canons, moyens autoritaires s'il en est ; et le parti victorieux s'il ne veut pas avoir combattu en vain, doit maintenir son pouvoir par la peur que ses armes inspireront aux réactionnai­res. La Commune de Paris aurait-elle duré un seul jour, si elle ne s'était pas servie de cette autorité du peuple armé envers les bourgeois ? Ne peut-on, au contraire, lui reprocher de ne pas s'en être servi assez largement ? Donc, de deux choses l'une : ou les antiautoritai­res ne savent pas ce qu'ils disent, et, dans ce cas, ils ne sèment que la confu­sion ; ou bien, ils le savent et, dans ce cas, ils trahissent le mouvement du pro­létariat. Dans un cas comme dans l'au­tre, ils servent la réaction. » ([17] [132])

Ailleurs, Engels souligne que la reven­dication par Bakounine de l'abolition immédiate de l'Etat avait montré sa vé­ritable valeur dans la farce de Lyon en 1870 (c'est-à-dire peu de temps avant le soulèvement véritable des ouvriers à Paris). Bakounine et une poignée de ses supporters s'étaient établis sur les mar­ches de la Mairie de Lyon et avaient déclaré l'abolition de l'Etat et son rem­placement par une fédération de com­munes ; malheureusement, « l'Etat, sous la forme et l'espèce de deux compagnies de gardes nationaux bourgeois, entra par la porte qu'on avait oublié de gar­der, balaya la salle, et fit reprendre à la hâte le chemin de Genève à Bakounine », son décret miraculeux en po­che. ([18] [133])

Mais si les marxistes niaient que l'Etat puisse être supprimé par décret, cela ne voulait pas dire qu'ils voulaient établir une nouvelle dictature sur les masses : l'autorité qu'ils défendaient était celle du prolétariat en armes, non celle d'une faction ou d'une clique particulière. Et à la suite des écrits de Marx sur la Com­mune, c'était tout simplement une ca­lomnie de proclamer, comme le faisait sans cesse Bakounine, que les marxistes voulaient prendre le contrôle de l'Etat existant, que, tout comme les Lassaliens, ils étaient pour un « Etat du peu­ple » - notion violemment critiquée par Marx dans sa Critique du Programme de Gotha ([19] [134]). La. Commune avait mis au clair que la première action de la classe ouvrière révolutionnaire était la destruction de l'Etat bourgeois et la création de nouveaux organes de pou­voir dont la forme correspondait aux be­soins et aux buts de la révolution. C'est évidemment une légende anarchiste de proclamer que, dès le lendemain de la Commune, Marx aurait laissé tomber, de façon opportuniste, ses visions auto­ritaires et aurait adopté les positions de Bakounine, que l'expérience de la Commune aurait donné raison aux principes anarchistes et réfuté les prin­cipes marxistes. En fait, à lire les écrits de Bakounine sur la Commune (en par­ticulier dans L'empire allemand du Knout et la révolution sociale), on ne peut qu'être marqué par le caractère abstrait de ses réflexions, par l'absence de tentatives d'assimiler et lier entre elles les leçons essentielles de cet événement, comment il se perd en divagations floues sur Dieu et la religion. On ne peut les comparer aux leçons concrètes que Marx a tirées de la Commune, le­çons sur la forme réelle de la dictature prolétarienne (l'armement des ouvriers, les délégués révocables, la centralisation « par en bas » ([20] [135]). En fait, même après la Commune, Bakounine était tout à fait incapable de voir comment le prolétariat pouvait s'organiser comme force unie. Dans Etatisme et Anarchie, Bakounine argumente contre l'idée de la dictature du prolétariat par des questions naïves comme « Est-ce à dire que le proléta­riat sera tout entier à la direction des affaires publiques ? », ce à quoi Marx répond, dans les notes qu'il a écrites sur le livre de Bakounine (rédigées en 1874-75, mais publiées seulement en 1926) : « Le comité exécutif d'un syndicat le compose-t-il à lui tout seul ? ». Ou quand Bakounine écrit « On compte en­viron quarante millions d'allemands. Se peut-il que ces quarante millions fas­sent partie du gouvernement ? », Marx répond « Certainement ! Car la chose commence par l'autonomie de la Commune » ([21] [136]). En d'autres termes, Bakounine n'a rien compris à la significa­tion de la Commune en tant que nou­velle forme de pouvoir politique qui n'était pas basé sur le divorce entre une minorité de gouvernants et une majorité de gouvernés, mais permettait que la majorité exploitée exerce un pouvoir réel sur une minorité d'exploiteurs, par­ticipe au processus révolutionnaire et assure que les nouveaux organes de pouvoir n'échappent pas à son contrôle. Cette immense découverte pratique de la classe ouvrière fournissait une réponse réaliste à la question souvent posée sur les révolutions : comment empêcher un nouveau groupe de privilégiés d'usurper le pouvoir au nom de la révolution ? Les marxistes furent capables de tirer cette leçon, même si cela nécessitait de corri­ger leur position précédente sur la pos­sibilité de s'emparer de l'Etat existant. Pour leur part, les anarchistes ne furent capables de voir dans la Commune qu'une confirmation de leur principe éternel, qui ne se différencie pas des préjugés bourgeois libéraux : tous les pouvoirs sont corrompus et le mieux est ne rien avoir à faire avec la conception indigne d'une classe qui a pour but de faire la révolution la plus radicale de tous les temps.

La société future : la vision artisanale de l'anarchisme

Ce serait une erreur de simplement ridi­culiser les anarchistes ou de croire qu'ils ont toujours manqué de perspicacité. Si l'on se plonge dans les écrits de Ba­kounine ou d'un de ses proches associés comme James Guillaume, on peut cer­tainement trouver des images d'une grande force avec des éclairs de sagesse sur la nature du processus révolution­naire, en particulier à travers l'insis­tance permanente sur le fait que « la ré­volution ne doit pas être faite pour le peuple mais par le peuple et ne peut réussir si elle n'implique pas de façon enthousiaste toutes les masses du peu­ple » ([22] [137]). Nous pouvons même présu­mer que les idées des bakouninistes qui parlaient des Communes révolu­tionnaires basées sur « des mandats im­pératifs, responsables et révocables » dès 1869 (dans le «Programme de la Fraternité internationale » que Marx et Engels citent dans « l’Alliance de la démocratie socialiste et l'Internationale » eurent un impact direct, en particulier sur la Commune de Paris, puisque certains de ses dirigeants étaient des adeptes de Bakounine (Varlin, par exemple).

Mais comme on l’a dit à plusieurs occa­sions, les idées justes de l'anarchisme sont comparables à une horloge arrêtée qui donne l'heure juste deux fois par jour ; ce qui manque, c'est une méthode cohérente qui permette de saisir, du point de vue du prolétariat, une réalité mouvante. Nous avons déjà vu que c'est le cas lorsque l'anarchisme traite des questions d'organisation et de pouvoir politique. Ce n'est pas moins le cas quand il fait ses prescriptions pour la société future qui, dans certains textes (Le catéchisme révolutionnaire de Ba­kounine, 1866, ou La construction du nouvel ordre social de Guillaume, 1876) ressemblent à des « recettes de cuisine pour les marmites de l'avenir » telles que Marx a toujours refusé d'en écrire. Néanmoins, ces livres sont utiles pour démontrer que les « pères » de l'anarchisme n'ont jamais saisi les pro­blèmes du communisme à la racine - et en premier lieu, la nécessité d'abolir le chaos des rapports marchands et de mettre les forces productives du monde dans les mains d'une communauté hu­maine unifiée. Dans la description du futur par les anarchistes, malgré toutes les références au collectivisme et au communisme, le point de vue de l'arti­san n'est jamais dépassé. D'après le texte de Guillaume, par exemple, ce se­rait une bonne chose que la terre soit labourée en commun, mais la question cruciale c'est que les paysans gagnent leur indépendance ; qu'ils l'obtiennent par la propriété individuelle ou collec­tive « est d'importance secondaire » ; de même, les ouvriers deviendront pro­priétaires des moyens de production à travers des corporations de commerce séparées, et la société dans son ensem­ble sera organisée à travers une fédéra­tion de communes autonomes. En d'autres termes, c'est un monde encore divi­sé en une multitude de propriétaires in­dépendants (individus ou corporations) qui ne peuvent avoir de lien qu'au moyen de l'échange, à travers des rap­ports marchands. Dans le texte de Guillaume, ceci est tout à fait explicite : les diverses associations de producteurs et les communes doivent être liées au moyen des bons offices d'une « Banque d'échange » qui organisera l'achat et la vente au nom de la société.

Guillaume défend l'idée que la société sera capable de produire des biens en abondance et que l'échange sera rem­placé par la simple distribution. Mais n'ayant pas de véritable théorie du capi­tal et de son mode d'opération, les anar­chistes sont incapables de voir qu'une société d'abondance ne peut émerger qu'à travers une lutte incessante contre la production marchande et la loi de la valeur, puisque ces dernières sont préci­sément ce qui maintient les forces pro­ductives de l'humanité en esclavage. Un retour à un système de simple produc­tion marchande ne peut certainement pas conduire à une société d'abondance. En fait, un tel système ne peut exister sur une base stable, puisque la produc­tion simple de marchandises engendre inévitablement une production élargie de marchandises - et toute la dynamique de l'accumulation capitaliste. Aussi, tandis que le marxisme, parce qu'il ex­prime le point de vue de la seule classe de la société capitaliste qui ait un véri­table avenir, voit la libération des forces productives comme le fondement d'un développement illimité du potentiel de l'homme, l'anarchisme, et son point de vue artisanal, est prisonnier dans la vi­sion d'un ordre statique d'échange libre et égal. Ce n'est pas une véritable anti­cipation du futur, mais la nostalgie d'un passé qui n'a jamais été.

CDW.



[1] [138] Cité dans La vie de Marx, l'homme et le lutteur, B. Nicolaïevski, Ed. Gallimard, p. 332.

[2] [139] Marx/Bakounine,  Socialisme autoritaire ou libertaire, Editions 10 18, Tome I, p. 279.

[3] [140] Ibid.

[4] [141] Ibid, p. 290.

[5] [142] Ibid, p. 300.

[6] [143] Revue Internationale, n° 71, 4e trim. 1992.

[7] [144] Marx/Bakounine,   Socialisme   autoritaire   ou libertaire, Editions 10 18, Tome II, p. 148.

[8] [145] Ibid

[9] [146] Ibid,p. 149.

[10] [147] Ibid., p. 130

[11] [148] Ecrit contre Marx, ibid., Tome II, p. 49.

[12] [149] Ibid, pp. 50-51.

[13] [150] Etatisme et Anarchie cité dans la critique de Marx, ibid. Tome II, p. 375.

[14] [151] Etatisme et Anarchie.

[15] [152] Ecrit contre Marx, ibid., Tome II, p. 11.

[16] [153] Les  bakouninistes  au   travail,   IV,   in  Sur l'anarcho-syndicalisme. Ed. du Progrès, p. 159.

[17] [154] De l'autorité, ibid. Tome II, p. 120.

[18] [155] L'Alliance de la Démocratie Socialiste et l’AIT, ibid., Tome II, p. 159.

[19] [156] Voir l'article de la Revue Internationale, n° 78, 3etrim. 1994.

[20] [157] Voir l'article de la Revue Internationale, n° 77, 2e trim. 1994.

[21] [158] Ibid Marx/Bakounine, Tome II, p. 378.

[22] [159] Le catéchisme national, 1866.

Approfondir: 

  • Le communisme : une nécessité matérielle [160]

Questions théoriques: 

  • Communisme [161]

Heritage de la Gauche Communiste: 

  • Le Marxisme : la theorie de la révolution [115]

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