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Revue Internationale no 58 - 3e trimestre 1989

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Communiqué : sur les événements en chine

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Le 3 juin 1989 la bourgeoisie chinoise a lâché ses chiens enragés sur la population de Pékin. Plusieurs milliers de morts, des dizaines de milliers de blessés, les habitants de Pékin ont payé très cher leur résistance aux chars de l'Armée "Populaire". En province aussi la répression a fait rage, peu à peu l'écho parvient de massacres à Shanghai, Nankin, etc. Bien au-delà des étudiants, constamment mis sur le devant de la scène médiatique, c'est toute la population prolétaire des villes qui subit la répression: après les mitraillages, les rafles, les appels à la délation, les arrestations massives et arbitraires, la terreur qui règne partout.

La bourgeoisie du monde entier met à profit l'indignation justement soulevée par cette répression barbare pour verser ses larmes de crocodile et renforcer ses campagnes de diver­sion démocratiques. Le vacarme médiatique sur la démocratie est intense, mais il ne doit pas nous aveugler, car il est un piège pour la classe ouvrière : aussi bien sur le plan interna­tional qu'en Chine même.

STALINISME, DEMOCRATIE ET REPRESSION

Toute la propagande occidentale utilise les événements pour accréditer l'idée que seules les dictatures staliniennes ou militaires ont le monopole de la répression, que la démocratie est pacifique, n'utilise pas de telles armes. Rien de plus faux. L'histoire a suffisamment montré que les démocraties occi­dentales ont peu à envier des pires dictatures de ce point de vue, le sanglant massacre des luttes ouvrières de Berlin 1919 reste un exemple historique. Depuis elles ont montré leur savoir faire meurtrier dans les répressions coloniales et dans l'envoi de conseillers-tortionnaires pour maintenir l'ordre de leurs intérêts impérialistes sur toute la planète.

Deng Xiaoping, aujourd'hui mis au banc de la bonne conscience démocratique internationale était, il y a encore quelques jours, pour l'ensemble de la bourgeoisie occidentale, le symbole de l'après maoïsme éclairé et des "réformateurs", l'homme de l'ouverture vers l'Occident, l'interlocuteur privi­légié. Cela va-t-il changer ? Rien n'est moins sûr ! Une fois la chape de plomb remise en place, qui que ce soit qui sorte vainqueur, nos belles démocraties, aujourd'hui soulevées d'indignation, essuieront leurs larmes hypocrites pour tenter de se concilier les grâces des nouveaux dirigeants.

Il n'y a aucun antagonisme entre démocratie et répres­sion, au contraire, elles sont les deux faces indissociables de la domination capitaliste. La terreur policière-militaire et le mensonge démocratique se complètent et se renforcent l'un, l'autre. Les "démocrates" d'aujourd'hui sont les bourreaux de demain, et les tortionnaires d'hier, comme par exemple Jaruzelski, jouent aujourd'hui aux "démocrates".

Alors que le battage démocratique résonne assourdissant sur toute la planète, de l'Est à l'Ouest, les massacres succèdent aux massacres, en Birmanie, en Algérie où, après avoir ordonné la fusillade contre les émeutiers, le président Chadli "démocratise". Au Venezuela, c'est l'ami de Mitterrand, le social-démocrate Carlos Andrès Perez qui lance la solda­tesque contre les révoltés de la misère et de la faim. En Argentine, au Nigeria, en U.R.S.S. (Arménie, Géorgie, Ouz­békistan), etc., ce sont des milliers de morts que la survie du capital impose en quelques mois. La Chine vient ponctuer provisoirement une longue liste sinistre.

CHINE: LA GUERRE DES CLIQUES

La crise économique mondiale impose à toutes les fractions de la bourgeoisie une rationalisation-"modernisation" de leurs économies qui se concrétise :

-   par l'élimination de secteurs anachroniques et déficitaires, les canards boiteux du capital, provoquant des tensions croissantes au sein de la classe dominante ;

-   dans des programmes d'austérité de plus en plus draconiens qui polarisent un mécontentement grandissant au sein du prolétariat

En Chine, la mise en place depuis une dizaine d'année de réformes "libérales" de l'économie s'est traduite par une misère croissante de la classe ouvrière et des tensions de plus en plus fortes au sein du Parti qui regroupe la classe domi­nante. La mise en place des réformes économiques se trouve doublement entravée par le poids du sous-développement et par les spécificités de l'organisation du capitalisme d'Etat à la sauce stalinienne. Alors que plus de 800 millions de chinois sont des paysans qui vivent dans des conditions qui n'ont pas fondamentalement changé depuis des siècles, de larges frac­tions de l'appareil d'Etat, quasiment féodales, contrôlent des régions entières, des fractions de l'armée, de la police et voient d'un mauvais oeil des réformes qui risquent de remettre en cause les bases de leur domination. Les secteurs les plus dynamiques du capital chinois : l'industrie du sud (Shanghai, Canton, Wuhan), de plus en plus liée au commerce mondial, les banques qui traitent avec l'Occident, le complexe militaro-industriel qui cristallise les technologies de pointes, etc., ont toujours dû composer avec l'énorme force d'inertie des secteurs anachroniques du capital chinois. Durant des années Deng Xiaoping a personnifié l'équilibre fragile qui régnait à la tête du P.C. chinois et de l'armée. Alors que son grand âge lui rend de plus en plus difficile d'assumer ses fonctions et que les rivalités entre les cliques se sont aggra­vées, la fraction regroupée autour de Zhao Ziyang a lancée la guerre de succession. Gorbatchev a fait des émules, mais la Chine n'est pas l'U.R.S.S.

Dans la plus pure tradition maoïste, Zhao Ziyang a lancé une gigantesque campagne démocratique par étudiants interposés pour tenter de mobiliser le mécontentement de la population à son profit et s'imposer à l'ensemble du capital chinois. Représentant de la faction réformatrice, qui, pour mieux encadrer et : exploiter le prolétariat, rêve d'une Perestroïka à la chinoise, il n'a pas pu imposer son point de vue, et la réaction des frac­tions rivales de l'appareil d'Etat a été brutale. Deng Xiaoping, qui a été le père des réformes économiques, a réduit à néant : les illusions de son ex-protégé. Un secteur dominant de lai bourgeoisie chinoise pense qu'il y a plus à perdre de la tenta­tive de mise en place de formes démocratiques d'encadrement : qu'à y gagner. Peut-être même considère-t-il, non sans rai­sons, que c'est là une tâche impossible et que le seul résultat ; serait une déstabilisation de la situation sociale en Chine. Cependant, même si elles représentent partiellement des inté­rêts divergents au sein du capital chinois, les cliques qui s'affrontent aujourd'hui n'utilisent les arguments idéologiques que comme paravent mystificateur : les organisateurs de la répression peuvent aussi bien essayer de se transformer demain en "démocrates" pour mieux abuser les ouvriers : Jaruzelski et Chadli ont montré l'exemple.

Ces événements dramatiques s'inscrivent dans le processus de déstabilisation de la situation mondiale sous les coups de boutoirs de la crise. Ils traduisent la barbarie croissante qu'impose la décomposition accélérée dans laquelle s'enfonce le capitalisme mondial. La Chine est entrée dans une période d'instabilité qui risque de perturber grandement les intérêts impérialistes des deux grands et d'ouvrir la porte à des ten­sions dangereuses pour la stabilité mondiale.

UN TERRAIN PIEGE POUR LE PROLETARIAT

Sur le terrain de la guerre de succession, engagée entre les différentes cliques de la bourgeoisie chinoise, le prolétariat n'est pas sur son terrain de classe. Il n'a rien à gagner dans cette bataille. Les prolétaires de Pékin qui ont essayé de résister héroïquement à la répression -plus par haine du régime en place que par la profondeur de leurs illusions sur des fractions démocratiques au sein du parti - ont payé chère­ment leur combativité. Plus que par enthousiasme pour les manifestations pour la démocratie des apprentis-bureaucrates étudiants, les ouvriers ont manifesté leur prudence dans les grandes villes industrielles du sud de la Chine. L'appel à la grève générale des étudiants, (qui appellent aussi à l'appui de Zhao Ziyang face à la répression) n’a pas été suivi

Le prolétariat n'a pas à choisir entre la dictature militaire et la dictature démocratique. Ce faux choix est celui qui a servi à mobiliser le prolétariat pour ses pires défaites, lors de la guerre d'Espagne en 1936 et ensuite dans la IIième boucherie impérialiste mondiale. En Chine aujourd'hui, appeler le pro­létariat à lutter, à faire grève alors que la répression se déchaîne, c'est le mener à l'abattoir pour un combat qui n'est pas le sien, ou il a tout à perdre.

Même si le prolétariat chinois a montré par des grèves ces dernières années, et dans sa résistance désespérée de ces derniers jours, sa combativité grandissante, il ne faut pourtant pas surestimer ses capacités immédiates. Il a peu d'expérience et n'a eu, à aucun moment ces dernières semaines, l'occasion de s'affirmer sur son véritable terrain de classe. Dans ces condi­tions, et alors que la répression bat son plein la perspective ne saurait être la possibilité d'une entrée immédiate des prolé­taires sur leur propre terrain de classe.

Mais, les effets de la crise qui ébranle de plus en plus pro­fondément l'économie capitaliste, particulièrement dans les pays les moins développés comme la Chine, ainsi que l'exacerbation de la haine des prolétaires à l'égard de la classe dominante, violemment renforcée par les derniers crimes de celle-ci, annoncent qu'il n'en sera pas ainsi longtemps.

Les événements qui viennent d'ébranler le pays le plus peu­plé du monde, mettent, une fois encore, en évidence l'importance du combat mondial du prolétariat pour arrêter la barbarie sanguinaire du capital. Ils soulignent la responsabilité particulière des prolétaires des pays centraux, à vieille tradi­tion de démocratie bourgeoise, qui seuls peuvent, par leurs combats, détruire les bases des illusions sur celle-ci.

9-6-1989

 

Géographique: 

  • Chine [1]

Récent et en cours: 

  • Mouvement étudiant [2]

Questions théoriques: 

  • Décadence [3]

Rubrique: 

Il y a 30 ans, le massacre de la place Tiananmen: Une nouvelle campagne idéologique pour défendre le capitalisme !

Editorial : les manoeuvres bourgeoises contre l'unification de la lutte de classe

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"L'histoire de toute société jusqu'à nos jours, c'est l'histoire de la lutte des classes." Il est des périodes où cette vérité générale, qui est un des fondements du marxisme, ne s'applique pas immédiatement. Ainsi les guerres mondiales ne peuvent s'expliquer par la confrontation entre prolétariat et bourgeoisie : au contraire leur déclenchement n'est rendu possible que par l'affaiblissement de cette confrontation. Mais s'il est une époque où ce juge­ment s'applique à la réalité immédiate c'est bien celle que nous vivons aujourd'hui. C'est vrai au niveau du cours historique actuel : comme le CCI l'a démontré depuis longtemps, seules les luttes et la mobilisation de la classe ouvrière depuis que le capitalisme est entré en crise ouverte, à la fin des années 60, ont empêché ce système d'apporter sa propre réponse à son effondrement économique : la guerre impérialiste généralisée. C'est vrai pour ce qui concerne plus spécifiquement la décennie qui s'achève où le développement et l'âpreté des combats de classe depuis l'automne 1983 ont contraint la bourgeoisie à développer à grande échelle des campagnes idéologiques de tous ordres - notamment des campagnes pacifistes - destinées à masquer aux ouvriers les véritables enjeux de la situation présente. C'est encore plus vrai, enfin, à l'heure actuelle où l'intensification de ces campagnes, de même que le déploiement de multiples manoeuvres sur le terrain des luttes, sont un des plus sûrs indices du potentiel de développement de celles-ci.

Jamais, depuis la 2ème Guerre mondiale, la classe ouvrière de tous les pays n'avait subi des attaques d'une brutalité compa­rable à celles que le capitalisme déchaîne à l'heure actuelle. Dans les pays de la périphérie, comme au Mexique, en Algé­rie, au Venezuela, c'est souvent de moitié qu'a chuté le ni­veau de vie des ouvriers au cours des dernières années. Dans les pays centraux, la situation n'est pas fondamentalement dif­férente. Derrière des chiffres frelatés "expliquant" que les "choses vont mieux", que "le chômage régresse" et autres mensonges grossiers, la bourgeoisie ne peut masquer aux ouvriers la dégradation constante de leurs conditions de vie, les baisses des salaires réels, le démantèlement des "presta­tions sociales", la multiplication des emplois précaires et des "petits boulots" payés une misère, la montée irrésistible de la paupérisation absolue.

Face à cette dégradation inexorable de ses conditions de vie, la classe ouvrière mondiale a mené depuis plus de 20 ans nombre de combats de grande envergure. Ceux de la fin des années 60 - début des années 70 (mai 68 en France, "automne chaud" italien de 69, soulèvement des ouvriers de Pologne en décembre 70, etc.), alors même que la crise ouverte du capita­lisme commençait tout juste à affecter les conditions de vie de la classe ouvrière, ont fait la preuve irréfutable que le proléta­riat s'était dégagé de la chape de plomb de la contre-révolution qui avait pesé sur lui depuis la fin des années 20. La perspective ouverte par l'intensification des contradictions du mode de production capitaliste n'était pas celle d'une nou­velle boucherie impérialiste, comme au cours des années 30, mais celle d'affrontements de classe généralisés. Pour sa part, la vague de combats ouvriers de la fin des années 70 - début des années 80 (Longwy-Denain en France, sidérurgie et bien d'autres secteurs en Grande-Bretagne, Pologne, etc.) confir­mait que la vague précédente n'était pas un feu de paille mais avait ouvert toute une période historique où l'affrontement entre bourgeoisie et prolétariat ne ferait que s'aiguiser. La courte durée du recul des luttes succédant à la défaite subie par la classe ouvrière lors de ces combats (défaite ponctuée par le coup de force de décembre 81 en Pologne), témoignait à son tour de cette même réalité. Dès l'automne 83, avec les luttes massives du secteur public en Belgique, s'ouvrait en effet toute une série de combats dont l'ampleur et la simulta­néité dans la plupart des pays avancés, et notamment européens, traduisait de façon significative l'approfondissement d’antagonisme de classe dans les pays centraux, décisifs pour sa perspective générale à l'échelle mondiale. Cette série de combats, notamment le conflit généralisé du secteur public du printemps 86 en Belgique, montrait clairement que le carac­tère de plus en plus frontal et massif des attaques capitalistes posait désormais comme nécessité aux luttes prolétariennes celle de leur unification, c'est-à-dire non seulement leur ex­tension géographique par dessus les secteurs et les branches [professionnelles, mais aussi la prise en charge consciente par a classe ouvrière de cette extension. En même temps, les différentes luttes de cette période, et particulièrement celles qui se sont déroulées ces dernières années en France (chemins de fer en décembre 86, hôpitaux à l'automne 88) et en Italie (enseignement au printemps 87, chemins de fer durant l'été et l'automne 87) ont mis en relief le phénomène d'usure des syndicats, l'affaiblissement de leur capacité à se présenter comme les "organisateurs" des luttes ouvrières. Même si ce phénomène ne s'est manifesté de façon évidente que dans les pays où les syndicats se sont le plus déconsidérés par le passé, il correspond à une tendance historique générale et irréversible. Surtout qu'il se double d'un discrédit croissant dans les rangs ouvriers à l'égard des partis politiques de gauche, et plus généralement à l'égard de la Démocratie bourgeoise, discrédit que l'on peut constater notamment par une abstention croissante lors des farces électorales.

Dans ce contexte historique d'une combativité prolétarienne qui ne s'est pas démentie depuis 20 ans et d'affaiblissement des structures fondamentales d'encadrement de la classe ouvrière, l'aggravation continue des attaques capitalistes crée les conditions de nouveaux surgissements encore plus consi­dérables de celle-ci, d'affrontements bien plus massifs et dé­terminés que ceux que nous avons connus par le passé. Voilà ce qui constitue le cadre véritable des enjeux de la situation mondiale. Voilà ce que la bourgeoisie essaie par tous les moyens de cacher aux ouvriers.

LE RENFORCEMENT DES CAMPAGNES IDEOLOGIQUES DE LA BOURGEOISIE

En regardant la télévision, écoutant la radio, lisant les jour­naux, nous "apprenons" que les faits majeurs et significatifs de la situation mondiale présente sont :

- le "réchauffement" des relations entre les princi­pales "puissances", les Etats-Unis et l'URSS en premier lieu, mais aussi entre cette dernière et la Chine ;

- la "réelle volonté" de tous les gouvernements de construire un monde "pacifique", de régler par la négociation les conflits pouvant subsister dans différentes parties du monde et de limiter la course aux armements (notamment les plus "barbares" comme les armes atomiques et chimiques) ;

- le fait que le principal danger qui menace aujourd'hui l'humanité soit constitué par la destruction de la nature, notamment de la forêt amazonienne, par "l'effet de serre" qui va désertifier d'immenses étendues de la planète, par les "risques technologiques" à la Tchernobyl, etc. ; qu'il faut par conséquent se mobiliser derrière l'action des écolo­gistes et des gouvernements qui maintenant reprennent à leur compte les préoccupations des premiers ;

-  l'aspiration croissante des peuples vers la "Liberté" et la "Démocratie", aspiration dont Gorbatchev et ses "extré­mistes", tel Boris Eltsine, figurent parmi les principaux inter­prètes en compagnie d'un Walesa portant en bandoulière son Prix Nobel, d'un Bush converti en grand pourfendeur de ses anciens amis "gorilles" et trafiquants de drogue à la Noriega, d'un Mitterrand exhibant aux quatre coins du monde son bi­centenaire de la "Déclaration des Droits de l'Homme", des étudiants chinois, enfin, qui apportent une touche exotique et "populaire" à ce grand remue-ménage ;

-  la préparation de l'Europe de 93, la mobilisation pour cet "événement historique incomparable" que constituera l'ouverture des frontières entre ses pays membres et dont les élections du 18 juin seront un jalon de premier ordre ;

-  le danger que représente "l'intégrisme islamique", son grand maître Khomeiny avec ses appels Rushdicides et ses bataillons de terroristes.

Au milieu de ce tintamarre, la crise et la classe ouvrière sont étrangement discrètes. Quand on évoque la première, c'est pour proclamer qu'elle s'éloigne (les taux de croissance ne retrouvent-ils pas leur niveau des années 60?), pour nous faire vibrer pour le cours du dollar, nous "informer" que les grands de ce monde se préoccupent de la dette des pays sous-développés et "font quelque chose". Quant à la seconde, lorsque les médias s'y intéressent (en général ses luttes font l'objet du plus systématique des black-out), c'est surtout pour prononcer son oraison funèbre où afficher des bulletins de santé alarmistes à son sujet : elle est morte ou bien presque morte, en tout cas "elle est en crise puisque le syndicalisme est en crise".

L'intoxication n'est pas un phénomène nouveau dans la vie du capitalisme, ou même des sociétés de classe. Depuis ses ori­gines la bourgeoisie a raconté des balivernes aux exploités afin de leur faire accepter leur sort, de les détourner du che­min de la lutte de classe. Mais ce qui distingue notre époque, c'est le niveau extrême du totalitarisme que l'Etat capitaliste a su mettre en place en vue de contrôler les esprits. Il n'assène pas une vérité unique et officielle, mais, pluralisme oblige, cinquante "vérités" concurrentes parmi lesquelles chacun est "libre de faire son choix", comme dans un hypermarché, et qui ne sont en réalité que cinquante variantes d'un même men­songe. Avant même les réponses, ce sont les questions elles-mêmes qui sont mensongères : pour ou contre le désarme­ment ? Pour ou contre l'élimination des missiles à courte por­tée ? Pour ou contre un Etat palestinien ? Pour ou contre le "libéralisme" ? Gorbatchev est-il sincère ? Reagan était-il sénile ? Voilà les questions "fondamentales" des "débats" télévi­sés ou des sondages, quand ce n'est pas "pour ou contre la chasse au renard" ou "pour ou contre le massacre des élé­phants".

Si les mensonges et les campagnes médiatiques ont pour objet principal de recouvrir d'un rideau de fumée les vrais pro­blèmes qui se posent à la classe ouvrière, leur intensification présente ne fait que traduire la conscience qu'a la bourgeoisie du danger croissant d'explosions de combativité proléta­rienne, du processus de développement de la conscience qui traverse la classe. Ainsi, comme nous l'avons déjà mis en évi­dence dans cette Revue (par exemple dans "Guerre, milita­risme et blocs impérialistes", Revue n°53, page 27), une des causes du remplacement des campagnes militaristes du début de la décennie (la croisade reaganienne contre 1'"Empire du Mal") par la campagne pacifiste actuelle à partir de 83-84, ré­side dans le fait que le thème sur le danger de guerre, s'il pouvait accentuer la démoralisation de la classe ouvrière dans un moment de défaite, risquait au contraire d'ouvrir les yeux des ouvriers sur les véritables enjeux de la période actuelle dès lors qu'ils avaient repris le chemin des combats ouverts. Sur le fond, il n'y a pas eu de réelle atténuation des conflits entre les grandes puissances impérialistes, au contraire : comme preuve suffisante on peut retenir le fait que les dépenses militaires ne cessent de s'accroître alors qu'elles repré­sentent un fardeau de plus en plus lourd pour l'économie de tous les pays. Mais ce qui a changé, c'est le fait que la classe ouvrière est aujourd'hui en meilleure position pour com­prendre que la seule force qui puisse empêcher une troisième guerre mondiale, c'est sa propre lutte. Dans ces conditions, il importait pour la bourgeoisie de "démontrer" que c'est la "sa­gesse" des gouvernements qui permet de parvenir à un monde plus pacifique, moins menacé par la guerre.

Dans ce même sens, les campagnes actuelles sur les dangers écologiques, la volonté affichée par les gouvernements de "lutter" contre ces dangers, ont pour but principal d'obscurcir la conscience du prolétariat. Ces dangers constituent une me­nace réelle pour l'humanité. Ils sont une manifestation de la décomposition générale, du pourrissement sur pied, qui af­fecte aujourd'hui la société capitaliste (voir l'article "La décomposition du capitalisme", Revue Internationale n°57). Mais les campagnes à leur sujet ne visent évidemment pas à promouvoir une telle analyse. Ce qu'il s'agit de "démontrer", et la bourgeoisie y est pour le moment parvenue dans une certaine mesure dans nombre de pays, c'est que la principale menace pesant sur l'humanité n'est pas la guerre mondiale. En proposant une "peur de substitution" aux inquiétudes qu'un monde à l'agonie engendre nécessairement dans la po­pulation, on renforce l'impact des campagnes pacifistes. En outre, bien plus que la guerre dont la classe ouvrière sait bien qu'elle est la principale victime, la menace écologique se pré­sente comme beaucoup plus "démocratique" : l'air pollué de Los Angeles ne sélectionne pas les poumons des prolétaires, les nuages radioactifs de Tchernobyl ont frappé indistincte­ment les ouvriers, les paysans et les bourgeois de la région (en réalité, dans ce domaine également, les ouvriers sont beau­coup plus exposés que les bourgeois). De ce fait "l'écologie est l'affaire de tous" : là encore, il importe de masquer à la classe ouvrière l'existence de ses intérêts spécifiques. Il s'agit aussi de l'empêcher de comprendre que ce type de problèmes (comme ceux de l'insécurité croissante ou de la drogue) n'a pas de solution au sein de la société capitaliste dont la crise ir­rémédiable ne peut engendrer que toujours plus de barbarie. C'est ce but que visent principalement les gouvernements lorsqu'ils annoncent qu'ils vont "s'attaquer sérieusement" aux dangers qui menacent l'environnement. De plus, les dépenses supplémentaires que vont occasionner les mesures "écologiques" (hausse des impôts et des prix des biens de consom­mation telle la "voiture propre") auront bon dos pour justifier la baisse du niveau de vie des ouvriers. Il est évidemment plus facile de faire accepter des sacrifices au nom des "frais pour l'amélioration du cadre de vie" qu'au nom des dépenses d'armement (quitte à détourner discrètement les premiers au bénéfice des secondes).

Cette tentative de faire accepter aux ouvriers des sacrifices supplémentaires au nom des "grandes causes", nous la retrou­vons d'ailleurs dans les campagnes sur la "construction de l'Europe". Déjà, lorsque les ouvriers de la sidérurgie se ré­voltaient contre les licenciements massifs, à la fin des années 70, chaque Etat national avait utilisé cet argument : "ce n'est pas le gouvernement qui est responsable de ces réductions d'effectifs, la décision vient de Bruxelles". Aujourd'hui, on reprend la même rengaine : il faut que les ouvriers améliorent leur productivité, soient "raisonnables" dans leurs revendica­tions pour permettre à l'économie nationale d'être compétitive dans "le Grand Marché européen de 93". En particulier, "l'harmonisation des fiscalités et des prestations sociales" sera l'occasion de "niveler par le bas" ces dernières, c'est-à-dire de porter une nouvelle attaque contre les conditions de vie de la classe ouvrière.

Les campagnes démocratiques, enfin, ont pour objet de "faire comprendre" aux ouvriers des grandes métropoles occiden­tales la "chance" qu'ils ont de disposer des biens aussi pré­cieux que sont "la Liberté" et "la Démocratie" même si, par ailleurs, leurs conditions de vie sont de plus en plus dures. Aux ouvriers des pays qui sont encore privés de "Démocra­tie", il importe de faire passer le même message : leur mé­contentement tout à fait légitime face à la dégradation conti­nuelle et catastrophique de leurs conditions de vie, face à la misère croissante qui les accable, doit se tourner vers le sou­tien d'une politique - la "démocratisation" - visant à surmonter les causes de ces calamités (voir dans ce numéro de la Revue l'article sur la "glasnost").

Une mention spéciale doit être accordée au battage média­tique considérable qui, en ce moment même, entoure les évé­nements de Chine : "la force véritable capable de défier un gouvernement, ce n'est pas la classe ouvrière, mais les étu­diants" (c'est une chanson que nous avions déjà entendue par le passé, notamment en mai 68 en France et, dans ce même pays, en décembre 86) : voilà le message qu'il faut faire pas­ser car tout est bon pour tenter de convaincre la classe ouvrière qu'"elle n'est rien", ou au moins d'entraver en son sein la prise de conscience qu'elle est la seule classe porteuse d'un avenir, que ses luttes actuelles sont des préparatifs en vue de la seule perspective qui puisse sauver l'humanité, une condition du renversement de ce système qui engendre tous les jours une barbarie croissante.

Mais pour parvenir à cette fin, la bourgeoisie ne se contente pas de ses grandes campagnes médiatiques. Elle doit en même temps, et plus encore, s'attaquer à la combativité, à la confiance en soi et au développement de la conscience du prolétariat sur le terrain où ils se manifestent le plus directe­ment, celui des luttes contre les attaques de plus en plus bru­tales que la bourgeoisie lui assène.

LES MANOEUVRES DE LA BOURGEOISIE CONTRE LES LUTTES OUVRIERES

Si l'unification de ses combats constitue à l'heure actuelle pour la classe ouvrière une nécessité vitale, il est clair que c'est sur ce terrain que la bourgeoisie doit déployer ses efforts majeurs. Et il en est bien ainsi dans le moment présent.

En effet, on a pu assister ces derniers mois au déploiement de toute une offensive bourgeoise consistant à prendre les de­vants de la combativité ouvrière, en provoquant des luttes de façon préventive, afin de briser dans l'oeuf l'élan vers une mobilisation massive et solidaire de l'ensemble de la classe. Et c'est en Grande-Bretagne, pays où domine la bourgeoisie la plus expérimentée et habile du monde, qu'une telle tactique a été mise en oeuvre dès l'été dernier avec la grève des postes du mois d'août. En déclenchant prématurément un mouve­ment dans un secteur aussi central que les postes, dans la pé­riode de l'année la moins propice à un élargissement du combat, la bourgeoisie s'est donnée ainsi toutes les garanties au maintien de l'isolement et à l'enfermement catégoriel. Le suc­cès d'une telle manoeuvre a donné le feu vert à la bourgeoisie des autres pays d'Europe occidentale pour exploiter à fond cette stratégie comme on a pu le voir en France, dès le mois de septembre, avec le déclenchement artificiel et planifié plu­sieurs mois auparavant de la grève des infirmières. En cette circonstance également, il s'agissait pour la bourgeoisie de faire partir prématurément un secteur, de provoquer un af­frontement sur un terrain miné avant que n'aient mûri suffi­samment dans l'ensemble de la classe ouvrière les conditions d'un réel combat frontal (voir l'article "France : les "coordi­nations" à l'avant-garde du sabotage des luttes", Revue Inter­nationale n°56). Dès le mois de décembre, c'est en Espagne que la bourgeoisie, forte des succès remportés en Grande-Bretagne et en France, va reprendre à son compte une telle stratégie comme on a pu le voir avec l'appel de tous les syn­dicats à la fameuse "grève générale" du 14 décembre où, cette fois, ce n'est pas un secteur particulier mais des millions d'ouvriers de tous les secteurs qui ont été embarqués dans une bataille prématurée, dans une fausse démonstration de "force". Voilà comment la bourgeoisie, dans tous les pays où elle a été confrontée ces deux dernières années à des luttes importantes, est parvenue à mouiller la poudre en prenant les devants pour étouffer tout nouveau surgissement de combats massifs.

Pour être en mesure de mener à bien une telle politique de sa­botage des luttes ouvrières, l'Etat capitaliste est aujourd'hui contraint de renforcer l'ensemble de ses forces d'encadrement sur le terrain. Face au discrédit croissant des syndicats dans les rangs ouvriers, face aux tendances de la classe ouvrière à prendre elle-même en main la conduite de ses luttes, partout la bourgeoisie a tenté non seulement de remettre en selle ses syndicats officiels mais encore de mettre en place des struc­tures "extra syndicales" pour occuper tout le terrain de la lutte, reprendre à son propre compte les besoins de la classe pour mieux les vider de leur contenu et les retourner contre elle.

C'est ainsi qu'en France, on assiste à une extrême "radicalisa­tion" de la CGT (contrôlée par le PC), en même temps que des remaniements sont opérés au sein des autres syndicats afin de "gauchiser" leur image. En Espagne, c'est à cette même radi­calisation que se sont trouvés confrontés les ouvriers, radicali­sation qui a permis à tous les syndicats unis d'orchestrer la manoeuvre du 14 décembre. En particulier, on a vu l'UGT (syndicat lié au PSOE au gouvernement) se démarquer subi­tement du PSOE, en engageant la "bataille" aux côtés des Commissions ouvrières et du PC contre la politique d'austérité du gouvernement. C'est cette même radicalisation des syndicats officiels qui a entravé également le développe­ment des luttes aux Pays-Bas ces derniers mois, où comme en Espagne, les syndicats non seulement ont tenté de redorer leur blason à travers leurs discours d'opposition au gouvernement, mais ont surtout tenté de reprendre à leur propre compte le be­soin d'unité des ouvriers pour le dénaturer et le dévoyer. Si, en Espagne, c'est l'unité syndicale UGT-CCOO-CNT qui a été mise en avant dans la manoeuvre du 14 décembre, alors que tout était organisé pour éviter que les différents secteurs ouvriers ne se retrouvent dans les manifestations, aux Pays-Bas, c'est à travers un appel à une fausse "solidarité active" que les syndicats ont pu prendre les devants et dévoyer ce be­soin essentiel de la classe. Et, à cet effet, ils avaient mis en place dès l'automne dernier un "comité de coordination" des­tiné soi-disant à "organiser la solidarité" avec les différents secteurs en lutte.

En Grande-Bretagne, enfin, la bourgeoisie n'est pas restée à la traîne dans la politique de "radicalisation" des syndicats. Dans la récente grève générale des transports de la région de Londres, la plus importante dans ce secteur depuis 1926, ce sont les syndicats "officiels" eux-mêmes qui ont pris la res­ponsabilité d'appeler à une grève illégale.

Cependant, cette stratégie de "radicalisation" des syndicats se révèle de moins en moins capable, à elle seule, de barrer le chemin au développement des luttes. De façon de plus en plus fréquente, les syndicats officiels ou même "de base" sont re­layés et épaulés par une autre structure d'encadrement, soi-disant "extra-syndicale" et animée essentiellement par les gauchistes : les coordinations auto-proclamées. Depuis le mouvement dans les hôpitaux en France, qui a mis en vedette la "coordination infirmière", celle-ci est devenue un modèle pour l'ensemble de la bourgeoisie européenne. Ainsi, ces der­niers mois, ont surgi dans plusieurs pays des "succursales" de cette coordination infirmière, notamment en RFA où s'est constituée dès le mois de novembre une coordination du même type dans les hôpitaux de Cologne avant même le dé­veloppement d'une mobilisation dans ce secteur. Aux Pays-Bas, c'est également chez les infirmières que les gauchistes ont mis en place une coordination et ont appelé à un meeting national à Utrecht en février, c'est-à-dire à une tentative de centralisation ne correspondant à aucune mobilisation réelle des travailleurs.

Et ce n'est pas un hasard si la manoeuvre déployée avec la grève des infirmières en France sert aujourd'hui de modèle, de référence pour la bourgeoisie des autres pays européens. C'est elle qui, grâce à la pseudo victoire qu'elle a obtenu (alors que les fonds destinés aux augmentations avaient été débloqués depuis longtemps par le gouvernement), a été le fer de lance de l'offensive bourgeoise actuelle visant à présenter les luttes corporatistes comme étant les seules pouvant mener les ouvriers à une victoire, à opposer les différents secteurs les uns aux autres, afin de saper toute velléité de développer une riposte unifiant l'ensemble des secteurs sur la base de reven­dications communes à tous. C'est ainsi que ces derniers mois, dans un grand nombre de pays, on a vu syndicats et gauchistes intensifier la politique utilisée déjà lors des grèves des che­mins de fer de 86 en France et de 87 en Italie (en particulier à travers les "coordinations") pour inoculer systématiquement le poison corporatiste dans toutes les luttes, au moyen notam­ment de la mise en avant de revendications spécifiques à tel ou tel secteur, afin d'empêcher les autres secteurs de se re­connaître dans les luttes, voire de les opposer les uns aux autres.

Ainsi, en Espagne, la grande manoeuvre du 14 décembre ne visait pas seulement à prendre les devants de la mobilisation ouvrière pour mouiller la poudre. Elle ouvrait également la voie à toute une campagne syndicale sur le thème : "il faut ti­rer maintenant les leçons du grand succès du 14 décembre dans chaque secteur car chaque secteur a sa propre convention collective, ses propres revendications". De même, dans les secteurs où les syndicats sont particulièrement contestés, ce sont les gauchistes et les syndicalistes de base qui ont mis en avant des revendications spécifiques pour les roulants dans les chemins de fer, les mécaniciens des transports aériens, les mi­neurs de Tewel, les infirmières à Valence etc.

En RFA, c'est au moyen d'une vaste campagne médiatique autour de la revalorisation du métier d'infirmière que la bour­geoisie, en utilisant un secteur particulier s'est efforcée d'inoculer le poison du corporatisme au sein de la classe ouvrière. Et sur le terrain, ce sont les gauchistes de la coordi­nation constituée à Cologne qui ont mis en avant la revendi­cation d'une augmentation de salaire de 500 Marks pour les seules infirmières, comme ce fut le cas en France.

Aux Pays-Bas, alors que depuis le début de l'année la comba­tivité ouvrière menaçait d'éclater ouvertement dans tous les secteurs contre les nouvelles mesures d'austérité annoncées par le gouvernement, les syndicats et les gauchistes ont su exploiter leur image radicale pour enfermer, isoler les unes des autres toutes les luttes qui se sont développées depuis le début de l'année 89 dans de nombreux secteurs : aux usines Philips, dans le port de Rotterdam, chez les enseignants, les employés communaux d'Amsterdam, les sidérurgistes des aciéries de Hoogovens, les conducteurs de camions, les ouvriers du bâtiment, etc. La stratégie de dispersion des luttes déployée par les forces d'encadrement (grèves tournantes secteur après secteur, meetings régionaux, débrayages de 2 ou 3 heures, "journées d'action" appelées dans un seul secteur, etc.) s'est appuyée essentiellement sur la mise en avant de revendications catégorielles, de telle sorte que les autres secteurs de la classe ne puissent se reconnaître dans telle ou telle lutte (semaine de 36 heures pour les sidérurgistes, paiement des heures supplémentaires pour les camionneurs, défense de la qualité de l'enseignement pour les instituteurs etc.).

Voilà comment la bourgeoisie déploie à l'heure actuelle ses manoeuvres en Europe occidentale, c'est-à-dire là où est concentré le fer de lance du prolétariat mondial. Cette straté­gie a réussi pour le moment à désorienter la classe ouvrière et à entraver sa marche vers l'unification de ses combats. Mais le fait que la classe dominante soit de plus en plus obligée de s'appuyer sur ses forces "gauchistes" constitue un indicateur, au même titre que l'intensification de ses campagnes média­tiques, du processus profond de maturation des conditions pour de nouveaux surgissements massifs, de plus en plus dé­terminés et conscients de la lutte prolétarienne. En ce sens, les luttes extrêmement massives et combatives qu'ont menées ces derniers mois les ouvriers dans différents pays de la périphé­rie, tels la Corée du Sud, le Mexique, le Pérou et surtout le Brésil (où, pendant plusieurs semaines, une mobilisation de plus de 2 millions d'ouvriers a passablement débordé les syn­dicats), ne sont que les signes avant-coureurs d'une nouvelle série d'affrontements majeurs dans les pays centraux du ca­pitalisme affirmant toujours plus que c'est bien la classe ouvrière qui détient entre ses mains la clé de toute la situation historique présente.

FM, 28-5-89

Récent et en cours: 

  • Luttes de classe [4]

Un mensonge dans la continuité du stalinisme : la perestroïka de Gorbatchev

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Après les années d'immobilisme incarnées par le règne de la clique brejnévienne, l'U.R.S.S., sous la houlette de Gorbatchev est prise d'une frénésie de réformes politiques et économiques. Les campagnes médiatiques sur la réforme économique, sur la démocratisation font écho sur toute la planète ; les termes de Perestroïka et de Glasnost ont franchi le rideau de fer tandis que, personnifiée par Gorbatchev, une nouvelle image pacifiste de l'U.R.S.S. est offerte à la population mondiale.

Que se passe-t-il en U.R.S.S. ? Quelle est la signification de ces bouleversements qui remuent la deuxième puissance impérialiste mondiale ? Que peut en attendre le prolétariat ?

L'U.R.S.S. D'AVANT LA PERESTROÏKA

Pour répondre à ces questions, il est nécessaire de resituer le contexte économique et historique du capital russe qui déter­mine directement les aspects spécifiques permettant de mieux comprendre la situation présente.

LA FAIBLESSE ECONOMIQUE DE L'U.R.S.S.

La situation présente en U.R.S.S. est le résultat de décennies de crise permanente du capital russe. L'économie russe est fondamentalement sous-développée. La puissance écono­mique de l'U.R.S.S. se caractérise plus par sa taille que par sa qualité. Le P.N.B./habitant estimé à 5700 $ en 1988 ([1] [5]) place l'U.R.S.S. au 53e rang mondial juste avant la Libye. Les exportations de l'U.R.S.S. sont caractéristiques des pays sous-développés : essentiellement des matières premières, gaz et pétrole dont elle est le premier producteur mondial.

La situation de sous-développement du capital russe est an­cienne, il est arrivé trop tard sur le marché mondial. Entravé dans son développement par la féodalité tsariste au XIXème siècle, à peine s'impose-t-il politiquement, portant encore les marques profondes du féodalisme, que son Etat est anéanti et son économie bouleversée par la révolution prolétarienne de 1917. Ce n'est qu'avec la contre-révolution stalinienne qu'il s'imposera sur la scène internationale. Le capitalisme stalinien, surgi en pleine période de décadence capitaliste, en porte irrémédiablement les stigmates. Produit de la pire des contre-révolutions, il est une caricature du capitalisme d'Etat décadent. Si l'U.R.S.S. a pu s'imposer comme deuxième puissance mondiale, ce n'est certainement pas par la compétitivité et la productivité de son économie, mais par la force de ses armes idéologiques et militaires dans la seconde guerre impérialiste mondiale, et ensuite, dans les soi-disant luttes de libération nationale. Même si le capital russe s'est renforcé après la guerre par le pillage des pays d'Europe de l'Est (démantelant des usines pour les remonter en U.R.S.S.) et une tutelle de fer sur son bloc pour détourner les lois de l'échange à son profit, son retard sur le plan économique par rapport aux pays les plus développés ne fera que s'aggraver.

L'U.R.S.S. n'a pu accéder au rôle de deuxième puissance im­périaliste mondiale et s'y maintenir qu'en transformant toute son économie en économie de guerre, en polarisant son appa­reil productif autour de la production d'armement. Des pans entiers de l'économie qui ne relevaient pas de la priorité mi­litaire, ont été sacrifiés : agriculture, biens de consommation, santé, etc. Les richesses, produit de l'exploitation des tra­vailleurs, sont faiblement réinvesties dans la production et surtout détruites dans la production d'armements.

Une telle ponction sur l'économie, bien supérieure à celles réalisées pour la production d'armements en occident, ne peut que peser de plus en plus lourdement sur l'économie russe et entraver gravement le développement de son capital, lui faisant perdre à jamais tout espoir de concurrencer ses rivaux sur le plan économique. Le capitalisme à l'est s'inscrit totalement dans la crise mondiale, sous des formes parfois différentes mais tout aussi significatives qu'à l'ouest. Irrésistiblement, décennies après décennies, le taux de croissance officiel, arti­ficiellement entretenu par la production d'armements, baisse.

 

Une telle politique économique où tout est sacrifié sur l'autel de l'économie de guerre et de la stratégie impérialiste, ne peut que se traduire par des attaques permanentes contre le niveau de vie de la classe ouvrière. 

Cependant, à terme, une telle faiblesse économique ne peut que constituer une entrave à la capacité de développement de la puissance impérialiste de l’U.R.S.S.. C'est ce qu'illustre l'histoire du capital russe après la guerre. ([2] [6])

LE RECUL DU BLOC RUSSE ET L'IMMOBILISME BREJNEVIEN

Avec les accords de Yalta qui entérinent le partage du monde et notamment de l'Europe, entre l'U.R.S.S. et les U.S.A., s'ouvre une nouvelle période marquée par l'antagonisme de ces deux puissances impérialistes mondiales dominantes, avides de s'approprier des lambeaux de l'empire colonial de l'Europe défaillante. Les soi-disant "luttes de libération natio­nales" vont être un des vecteurs de l'impérialisme des deux "grands". Tout comme les U.S.A., l'U.R.S.S. va mettre à pro­fit la période de décolonisation pour sortir de son isolement continental. Usant et abusant de son discours idéologique mystificateur, par son soutien armé aux mouvements "anti­coloniaux" et "nationalistes" elle va étendre sa zone d'influence : en Asie (Chine, Vietnam), au Moyen-Orient (Egypte, Syrie, Irak), et même en Amérique (Cuba). Partout dans le monde, les partis staliniens et les "guérillas" soutenus par l'U.R.S.S. témoignent de sa puissance mondiale. Mais, ce que l'U.R.S.S. est capable de gagner sur le plan militaire et idéologique, elle se révèle incapable de le consolider sur le plan économique. Avec les années 60, s'engage un irréver­sible processus de déclin, qui va s'accélérer avec le développement de la crise économique dans les années 70 : le gain de Indochine ne compense pas la perte catastrophique de la Chine ; la réaction occidentale impose un recul dans l'affaire des missiles à Cuba ; la défaite militaire de ses alliés au Proche-Orient, face à Israël, accélère sa perte d'influence dans la région ; en Amérique et en Afrique, les mouvements de "lutte de libération nationale" qu'elle soutient, sont défaits et la "victoire" en Angola qui met à profit la décolonisation tar­dive des possessions portugaises, n'est qu'une maigre consolation.

Ce recul traduit la situation de faiblesse relative dans laquelle se trouve le bloc russe vis-à-vis de son concurrent occidental.

L'U.R.S.S. pour consolider son bloc à la périphérie ne peut quasiment rien offrir sur le plan économique : ses aides financières sont pauvres et incapables de concurrencer les subsides de l'occident ; elle n'a pas de réels débouchés à offrir aux ex­portations de ses alliés, sa technologie est déficiente et ne permet pas à ses vassaux de concurrencer efficacement leurs rivaux sur le plan économique. Les pays sous sa domination vont s'appauvrir et s'affaiblir vis-à-vis de leurs concurrents du bloc occidental. Pour n'importe quel capital national, il est plus intéressant économiquement de se trouver inséré au sein du bloc le plus puissant dominé par les U.S.A.

Face à cette situation de faiblesse, les seuls atouts de l'U.R.S.S. sont la force des armes et le mensonge idéologique. Mais, la faiblesse économique du bloc russe ne peut, à la longue, que saper ces deux piliers de la puissance du capital russe. A cet égard, le règne de Brejnev va être exemplaire. Après les ambitions de Kroutchev (qui prévoyait le commu­nisme et l'abondance pour 1980 !!!), la bourgeoisie russe doit revoir ses ambitions à la baisse. Après l'euphorie des années 50 : expansion impérialiste, succès technologiques (premier Spoutnik), les échecs répétés au début des années 60 : recul dans l'épisode des missiles de Cuba, brouille avec la Chine, le mécontentement de la classe ouvrière qui va culminer avec les émeutes sanglantes de Novotcheikass, l'hostilité de la Nomenklatura aux réformes économiques, vont précipiter la chute de Kroutchev qui sera "démissionné pour raison de santé" en 1964. Brejnev prend la succession.

Finie la politique de réforme ambitieuse. Les réformes éco­nomiques proposées par Lieberman pour dynamiser l'économie russe sont enterrées. Les campagnes idéologiques de "déstalinisation" inaugurées par le XXe Congrès et menées pour tenter de recrédibiliser l'Etat, sont stoppées net. L'incapacité de la bourgeoisie russe de mener ce programme de modernisation va se traduire par l'immobilisme. Le capita­lisme russe s'enfonce encore plus dans le marasme écono­mique. Plus que jamais le seul moyen pour l'U.R.S.S. de s'ouvrir de nouveaux marchés, non pour les faire fructifier mais pour les piller, c'est la force des armes. Des armes, c'est la seule chose que l'U.R.S.S. a à offrir à ses alliés. Des armes, la Russie de Brejnev va en produire à profusion. L'industrie de l'armement va continuer de s'hypertrophier aux dépens des autres secteurs de la production.

Sur le plan international, l'arrivée de Brejnev sanctionne le recul de l'impérialisme russe. Alors que la guerre au Vietnam s'intensifie et que les deux puissances s'y embourbent, les relations entre les deux grands sont paradoxalement marquées par les campagnes sur la "coexistence pacifique" et des ac­cords de limitation des armements sont signés : en 1968, un traité de non-prolifération des armes nucléaires et en 1973, les célèbres accords S.A.L.T. Loin des discours "pacifistes" de l'après-Vietnam, la course aux armements se poursuit et im­pose des sacrifices toujours plus forts à l'économie. Mais l'économie est un tout. Les impasses faites dans certains sec­teurs se traduisent par un retard technologique croissant qui se répercute inévitablement sur l'efficacité des armes. La quan­tité d'armements va tendre à remplacer la qualité. Durant les années 70, l'influence du bloc de l'est va se réduire comme peau de chagrin. Même la victoire sur le terrain au Vietnam va se traduire par une déroute stratégique avec l'alliance de la Chine et des U.S.A. Les pays où l'Est maintient sa présence à la périphérie du capitalisme, sont soumis à une pression mili­taire, économique de la part du bloc occidental et sont un gouffre pour le capital russe sans que celui-ci puisse en tirer grand profit ni sur le plan économique, ni sur le plan stratégique.

L'effondrement du régime du Shah en Iran en créant un vide béant dans le dispositif militaire du bloc occidental qui enserre le bloc de l'Est, donne à l’U.R.S.S. l'opportunité de s'ouvrir une route vers son rêve stratégique d'un accès aux mers chaudes et aux richesses du Moyen-Orient. Après des années de litanies pacifistes, l'invasion de l'Afghanistan par l'armée rouge, fin 1979, est une remise en cause dans les faits des accords de Yalta. Les années 80 s'ouvrent sous les auspices inquiétants d'un très brutal réchauffement des tensions inter impérialistes entre les deux grands. Le bloc occidental réagit par une offensive impérialiste de grande envergure. Le bloc de l'Est est soumis à un blocus technologique et écono­mique. Les budgets d'armements occidentaux font un bond, de nouvelles armes toujours plus perfectionnées et efficaces sont fabriquées, de nouveaux programmes intégrant les der­nières découvertes technologiques sont lancés, une politique militairement plus agressive est imposée partout où l'U.R.S.S. a encore une influence, l'arme de la "guérilla" est retournée contre le bloc russe en Angola, en Ethiopie, au Cambodge, en Afghanistan.

Le brutal accroissement des tensions impérialistes va mettre en relief les carences du dispositif militaire russe. Déjà, la guerre du Kippour en 1973 où, en quelques heures, l'aviation israélienne avait cloué au tapis, sans aucune perte, une centaine d'avions russes de l'armée syrienne, avait montré le re­tard technologique des armements russes, leur inefficacité. La fourniture par les U.S.A. de missiles Stinger aux "moudjahiddines" afghans va bouleverser le champ de bataille. L'armée rouge ne peut plus utiliser ses hélicoptères blindés comme au­paravant et son aviation ne peut plus se permettre sans risque de bombarder les "résistants" à basse altitude ; quant à ses chars, ils sont des cibles fragiles face aux nouveaux missiles et roquettes anti-chars qui sont livrés par l'occident. Malgré un contingent de plus de 100 000 hommes, des milliers de chars, des centaines d'hélicoptères et d'avions, l'armée rouge est incapable de s'imposer sur le terrain. L'état-major "sovié­tique" doit constater l'inefficacité de ses armes, leur retard technologique. L'annonce par Reagan du programme dit de la "guerre des étoiles" qui rendrait caduques les missiles straté­giques nucléaires et donc, du même coup, l'essentiel de l'arsenal nucléaire russe, le constat du retard dramatique dans des domaines essentiels tels que l'électronique provoque parmi les stratèges du bloc russe la crainte d'une percée tech­nologique occidentale qui surclasserait totalement leurs systèmes d'armes.

Au sein de la bourgeoisie russe, la fraction militaire respon­sable du complexe militaro-industriel et de l'armée devient la plus chaude partisane d'une réforme économique destinée à redresser la situation. Des armes en quantité, ce n'est pas suf­fisant si celles-ci ne sont pas de qualité. Pour moderniser les armes, il faut "moderniser" l'économie, c'est-à-dire exploiter plus et mieux les travailleurs pour renforcer la capacité tech­nologique du secteur militaro-industriel.

La nécessaire réforme économique se heurte à la pesanteur bureaucratique de la classe dominante regroupée dans le Parti qui paralyse le fonctionnement de la production et justifie tous les gaspillages. Le capitalisme russe a la particularité de s'être imposé directement au travers de l'Etat, le secteur privé ayant été réduit à sa plus simple expression par la Révolution russe. Le marché intérieur ne joue pas le rôle de régulateur par la concurrence. Les gestionnaires et responsables de la produc­tion sont plus soucieux de leur place dans la Nomenklatura et des privilèges qui en découlent, que de la production. Le né­potisme, la corruption et les combines règnent. Les membres du Parti, pour qui le poste de directeur d'usine ne correspond à aucune compétence particulière, mais à une situation où au travers de privilèges multiples, on peut s'en mettre plein les poches, sont peu soucieux de la production. Liés à un clan ou à un autre, parrainés en haut lieu, leur carrière ne dépend pas de leurs résultats économiques. L'anarchie bureaucratique qui règne dans la production est tout à fait profitable aux "apparatchiks". Une large fraction de la Nomenklatura y trouve tout à fait son compte et en fait sa base d'existence. Les fractions de la bourgeoisie qui ont soutenu l'immobilisme brejnévien, sont hostiles à tout changement qui remettrait en cause leurs privilèges, même si c'est pour le bien du capital national. Avec la mort de Léonid Brejnev, les rivalités de cliques vont s'exacerber et la guerre de succession va faire rage.

Mais le principal obstacle à la mise en place d'une réforme économique reste le prolétariat. En effet, la réforme économique implique une attaque renforcée contre les conditions de vie des travailleurs. Comme dans le reste du monde, dans le bloc de l'Est, les luttes ouvrières ont réapparu sur la scène de l'histoire. Les années de plomb de la contre- révolution stali­nienne se sont éloignées, une nouvelle génération de prolé­taires est née que la terreur et la répression ne parviennent plus à soumettre.

LA QUESTION SOCIALE DANS LE BLOC DE L'EST

Dans la tradition stalinienne, les conditions de vie de la po­pulation ont été sacrifiées aux besoins de l'économie de guerre. La pénurie règne, les magasins sont vides, le ration­nement est imposé, les salaires sont maigres et le quadrillage policier impose le silence. Cette situation ne s'est pas beau­coup améliorée sous le régime de Kroutchev et Brejnev. Elle s'est même aggravée avec l'approfondissement de la crise économique mondiale à partir de la fin des années 60 qui fait aussi sentir ses effets à l'Est. Le mécontentement s'est déve­loppé au sein de la classe ouvrière, l'étau de la résignation face à la terreur policière a commencé à se desserrer pour une nouvelle génération de prolétaires qui n'a pas connu les pires années de la contre-révolution stalinienne. Le développement de la lutte de classe en Pologne est particulièrement significa­tif h cet égard ([3] [7]). Les grèves et les émeutes des villes de la Baltique (Gdansk, Slettin, Sopot, Gdynia) durant l'hiver 1969-70 en Pologne, sauvagement réprimées dans un bain de sang, la vague de grèves de 1976 et finalement la grève de masse de 1980 qui se répand comme une traînée de poudre et embrase toute la Pologne, montrent la combativité retrouvée du prolé­tariat. Elles montrent aussi à la bourgeoisie que la répression ne suffît plus à maintenir le prolétariat sous le joug : malgré les répressions successives, après de bref reculs, la lutte de classe s'est redéployée à un niveau supérieur. La répression, si elle peut parvenir à intimider le prolétariat, constitue aussi un important facteur de prise de conscience pour une classe dont la combativité renaissante est aiguillonné par les attaques in­cessantes contre ses conditions de vie : le divorce entre l'Etat et la société civile est total, l'ennemi est clairement identifié. La fracture entre les exploités et la classe dominante étant tranchée, le prolétariat parvient plus facilement à reconnaître son unité de classe et imposer ses méthodes de luttes.

Pour la bourgeoisie, la répression est une arme à double tran­chant. Mal employée, loin de démoraliser les ouvriers, elle risque de renforcer la mobilisation et la détermination du prolétariat. Au plus fort de la grève en Pologne, réprimer le mouvement portait le risque de cristalliser le mécontentement grandissant de la classe ouvrière dans tous les pays d'Europe de l'Est et d'ouvrir les portes à la généralisation de la grève au-delà des frontières de la Pologne. Face à la grève de masse en Pologne, la bourgeoisie a dû reculer pour se donner une marge de manoeuvre. Les accords de Gdansk d'août 1980, en même temps qu'ils marquent l'apogée de la lutte de classe, marquent aussi le début de la contre-offensive de la bourgeoi­sie. Celle-ci va se mener sous le masque de l'illusion démo­cratique et du nationalisme. Le prolétariat de Pologne qui avait montré sa combativité, son courage, sa détermination, son unité, ses réflexes de classe pour contrôler, organiser et orienter sa lutte, montre son immaturité, son inexpérience face aux mystifications plus sophistiquées de la bourgeoisie : la création de Solidarnosc, la montée en première ligne de l'Eglise donne une nouvelle crédibilité démocratique à l'Etat stalinien. Walesa va faire le pompier de la lutte de classe, de­mandant aux ouvriers en grève de reprendre le travail pour ne pas entraver le processus de "démocratisation" et la moderni­sation du capital polonais. La nouvelle "opposition" fait de la surenchère nationaliste avec le Parti communiste dirigeant. Le prolétariat polonais est déboussolé, démobilisé, divisé, isolé de ses frères de classe des autres pays. La bourgeoisie va en profiter pour réprimer une nouvelle fois à la fin de 1981. Solidarnosc est interdit, ce qui va renforcer sa crédibilité, mais son travail de sabotage de la lutte de classe va se poursuivre. La classe va continuer, malgré la répression, de manifester sa combativité tout au long des années 80, mais ses luttes sont détournées par Solidarnosc qui jouit d'une très grande popula­rité, et transformées en "lutte pour la démocratie", pour la re­connaissance "officielle" du nouveau syndicat.

Le prolétariat de Pologne est la fraction la plus avancée du prolétariat des pays de l'Est. Il montre dans ses forces et ses faiblesses des caractéristiques qui ne lui sont pas propres, mais que partagent d'autres fractions du prolétariat :

- une caractéristique générale au prolétariat mondial, celle d'un développement de la combativité, de la volonté de lutter. Dans les pays de l'Est comme ailleurs une nouvelle généra­tion de prolétaires est arrivée sur la scène de l'histoire qui n'a pas subi le joug de la contre-révolution triomphante qui a marqué ce siècle, qui n'est pas vaincue, résignée, qui possède un potentiel de combativité intacte qui ne demande qu'à se déployer ;

- des caractéristiques plus particulières, qui se rencontrent à la fois dans les pays de 1’Est et dans les pays sous- développés :

- le manque d'expérience par rapport aux mystifications les plus sophistiquées de la bourgeoisie : l'illusion démocratique, le pluralisme électoral, le syndicalisme "libre" sont autant de pièges dont le prolétariat d'Europe de l'Est a très peu l'expérience; de plus sa propre expérience de la terreur stalinienne tend à renforcer ses illusions démocratiques, à idéaliser le modèle occidental ;

- le poids ancien des illusions nationalistes a été constamment renforcé par le centralisme néo­ colonial et brutal de Moscou qui, sur ce plan, a repris l'héritage du tsarisme. Attiser le nationalisme par la répression a été une constante du stalinisme qui, en divisant le prolétariat en multiples nationalités, renforçait son pouvoir central.

La faiblesse du prolétariat d'Europe de l'Est par rapport aux illusions démocratiques et nationalistes, est connue depuis longtemps par la bourgeoisie stalinienne. Elle a toujours su utiliser adroitement un savant dosage de répression et de libéralisation pour maintenir le prolétariat dans les chaînes de l'exploitation : Gomulka et Gierek qui dirigent le capital po­lonais respectivement de 1956 à 1970 et de 1970 à 1980, avant d'être ceux qui ordonnent la répression, auront été les artisans d'une "libéralisation" du régime. Le "printemps de Prague" montre comment certaines fractions du régime stalinien peuvent être d'ardents défenseurs de la "démocratie" pour mieux contrôler le mécontentement de la population. Depuis 1956, le K.G.B. a fait de la Hongrie son domaine ré­servé pour y expérimenter ses réformes politiques de "libéralisation". L'épisode Kroutchev et la "déstabilisation" montrent que le désir d'un encadrement "démocratique" du prolétariat, plus efficace que la seule terreur policière préoccupe la bour­geoisie du bloc russe.

La question sociale est déterminante dans la capacité du bloc de 1’Est à manoeuvrer sur le terrain impérialiste :

- sur le plan économique, la résistance grandissante des ouvriers entrave la course du capital à la productivité et sur­ tout rend dangereuse une réforme économique, indispensable au renforcement du potentiel militaire mais qui implique une exploitation renforcée du prolétariat. La modernisation de l'appareil productif porte avec elle le danger de luttes ouvrières, d'une crise sociale et d'une déstabilisation du bloc ;

-  sur le plan politique, le mécontentement croissant du prolé­tariat entrave la capacité de manoeuvre de la bourgeoisie. La colère vis-à-vis de l'aventure afghane a crû avec le retour des morts et des blessés du champ de bataille, tandis que les aides aux alliés du tiers-monde devenaient de plus en plus impopu­laires face à un niveau de vie qui allait en se dégradant. L'hostilité du prolétariat vis-à-vis des sacrifices imposés par les ambitions de l'impérialisme russe va grandissante ;

-  sur le plan stratégique, les grèves de Pologne, en paralysant les chemins de fer, ont complètement perturbé l'approvisionnement du plus important dispositif militaire russe le long du rideau de fer, montrant concrètement pour­quoi la paix sociale est absolument nécessaire à la guerre impérialiste.

LA CREDIBILITE DE L'ETAT

Au début des années 80, l'état de décrépitude sénile de Brej­nev est à l'image du capital russe. Des mesures de réformes sont urgentes, et en premier lieu des réformes politiques afin de redonner une crédibilité à l'Etat russe aussi bien sur le plan intérieur qu'international.

Cependant, cette politique de démocratisation, la bourgeoisie stalinienne ne s'en est jamais vraiment donnée les moyens, si elle les a jamais eus. Pour la mettre en place, elle se heurte à des obstacles de taille :

.- jusqu'aux événements de Pologne 1980, la combativité du prolétariat avait pu être facilement contenue, surtout grâce à une répression brutale, ce qui ne poussait pas la Nomenklatura à envisager des réformes politiques en profondeur ;

-  les intérêts de larges fractions de la bourgeoisie sont liés à la forme même de l'Etat et à son fonctionnement stalinien. La peur de perdre ses privilèges est un puissant facteur de résis­tance d'une fraction de l'appareil d'Etat hostile à toute idée de réforme ;

-  le sous-développement du capital russe est une entrave très lourde à la crédibilisation des illusions démocratiques alors qu'en dehors de belles paroles, il n'a à offrir aucune amélio­ration des conditions de vie du prolétariat ;

-  même si le prolétariat est fragile face aux mystifications dé­mocratiques, pour autant sa méfiance absolue vis-à-vis de l'Etat rend difficile sa crédibilisation. Il est ainsi plus facile d'enraciner l'illusion démocratique en réprimant qu'en inté­grant une opposition permanente dans le fonctionnement de l'Etat, ce qui risque de nuire à la crédibilité de celle- ci, qui est la clé de voûte de la légitimation de la "démocratie".

La crédibilité de son Etat est une question essentielle pour la bourgeoisie, aussi bien sur le plan intérieur, qu'international. A priori, c'est d'autant plus vrai pour une puissance impéria­liste majeure telle que l'U.R.S.S. Pourtant, la bourgeoisie russe exprime dans son fonctionnement la faiblesse de son ca­pital sous-développé et le poids de ses origines historiques par un immobilisme, une paralysie politique qui se traduisent dans une résistance profonde aux réformes politiques nécessaires à son capital. La bourgeoisie d'Etat russe a vécu sur les acquis de sa contre-révolution victorieuse :

- sur le plan interne, l'écrasement du prolétariat, l'anéantissement de la révolution par Staline a assuré à la bourgeoisie une longue paix sociale que la seule répression a permis globalement de maintenir. La crédibilité de l'Etat cor­respondait à la terreur qu'il était capable d'entretenir.

- sur le plan international, la puissance de ses armes et no­tamment le développement de son arsenal nucléaire sont en soi suffisants pour crédibiliser l'impérialisme russe. Cepen­dant, l'U.R.S.S. durant des décennies a pu jouir de l'insigne privilège de se réclamer impunément de la révolution proléta­rienne, dont il a été le pire bourreau, pour mener une politique internationale offensive en s'attirant la sympathie de prolé­taires et d'exploités abusés par le mensonge stalinien. Le plus grand mensonge du siècle, celui de la nature prolétarienne de l'Etat russe a été le principal vecteur de la crédibilité de sa propagande internationale.

Ces acquis de la bourgeoisie russe se sont usés, avec l'accélération de l'histoire. Au début des années 80, la réalité des contradictions du capitalisme russe va devenir criante. La question de la crédibilité de l'Etat russe est cruciale ; d'elle dépend sa capacité à moderniser son économie, à maintenir sa puissance impérialiste. Sur le plan intérieur, la terreur poli­cière ne suffit plus à faire taire le prolétariat. La dynamique de développement de la lutte de classe en Pologne montre en fait une tendance générale qui s'exprime dans l'ensemble des pays de l'Est, même si c'est à un niveau moindre. Sur le plan international, l'U.R.S.S. a peu à peu perdu sa crédibilité idéologique. La situation économique désastreuse de ses alliés à la périphérie du capital et, notamment, la catastrophe sociale du Vietnam après le départ des américains, se sont chargés de balayer grandement les illusions sur le "progressisme", le "so­cialisme" du bloc de l'Est. Les événements de Tchécoslova­quie en 1968 ont montré aux ouvriers du monde entier la brutalité répressive de l'U.R.S.S., semant le doute parmi des mil­lions de prolétaires de par le monde jusque-là crédules. L'influence des partis communistes pro-russes, solidement implantés au sein du bloc adverse, va aller en se réduisant. Les luttes ouvrières en Pologne vont se charger de porter le coup de grâce sur le mensonge de la nature prolétarienne de l'Etat russe et de ses affidés.

La capacité de l'U.R.S.S. a maintenir la puissance de son im­périalisme est liée à sa capacité à maintenir la crédibilité de son Etat. Avec l'accélération des années 80, avec l'enlisement de l'expédition afghane et l'explosion sociale en Pologne, des réformes radicales, une remise en cause déchirante pour la bourgeoisie se révèlent indispensables pour assurer la survie du capital russe comme puissance dominante.

LA PERESTROÏKA ET LA GLASNOST DES MENSONGES CONTRE LA CLASSE OUVRIERE

LA VICTOIRE DES PARTISANS DES REFORMES

La mort de Léonid Brejnev en 1982 va mettre fin à deux dé­cennies d'immobilisme. L'heure des choix difficiles arrive pour la Nomenklatura russe ; la lutte pour la succession va faire rage et mettre aux prises les partisans des réformes à ceux qui s'y opposent. Dans un premier temps le nouveau se­crétaire général Andropov, l'ancien chef du K.G.B., va annoncer de timides réformes et surtout commencer à purger l'appareil d'Etat de ses hiérarques brejnéviens, mais sa mort prématurée en 1984 permet le retour des brejnéviens. Tchernenko, le nouveau secrétaire général marque la victoire des tenants de l'attentisme, mais celle-ci sera de courte durée. Un an plus tard, il décédera à son tour. Les décès se multiplient parmi les gérontes qui diligent l'U.R.S.S., témoignant de l'âpreté de la lutte pour le pouvoir. Le nouveau secrétaire général, Mikaël Gorbatchev, qui arrive en 1985 à la tête de l'U.R.S.S., est alors peu connu, mais très rapidement, il va se signaler par son dynamisme politique. Le vent a tourné, la fraction "réformatrice" de la bourgeoisie russe a pris les rênes du pouvoir. L'heure est à la réforme économique et politique et une intense campagne idéologique est menée : Perestroïka (refonte), Glasnost (transparence) font écho dans le monde entier.

Paradoxalement, les secteurs de l'appareil politique les plus favorables à cette politique de réforme économique et démocratique ne sont pas les secteurs traditionnellement "libéraux", mais les secteurs centraux de l'Etat russe : l'état-major du complexe militaro-industriel, soucieux de la préservation de la compétitivité impérialiste de l'U.R.S.S , et la direction du K.G.B. qui est bien placée pour mesurer les risques de la croissance du mécontentement du prolétariat et qui a particu­lièrement suivi le déroulement de la situation en Pologne. L'intelligentsia russe est à l'image de ses consoeurs occiden­tales, toujours prompte à soutenir des causes perdues, à servir de faire-valoir aux fractions les plus mystificatrices de la bourgeoisie. Elle va servir de porte-flambeau à Gorbatchev. De la même manière, Kroutchev avait bénéficié de son sou­tien 30 ans auparavant. Sakharov, longtemps persécuté sous Brejnev, va se faire le défenseur déterminé de la Perestroïka.

Les secteurs les plus résistants à cette "nouvelle politique" sont ceux à tous les échelons du parti qui profitent du modèle stalinien de contrôle de l'Etat : les potentats locaux du Parti qui ont bâti leur pouvoir sur des années de magouilles politicardes et policières, et leur fortune sur les pots-de-vin, trafics et rackets de toute sorte ; les responsables économiques, di­recteurs d'usines plus soucieux de leur situation privilégiée pour spéculer sur le marché noir que de la qualité de la pro­duction, et toute une série de bureaucrates à tous les échelons de la machine politico-policière du parti plus soucieux de leurs privilèges particuliers que de l'intérêt de leur capital na­tional. La bourgeoisie russe porte les stigmates du sous-déve­loppement de son capital. Le poids de ses anachronismes pèse très lourdement sur sa capacité d'adaptation.

De plus, une fraction centrale de la Nomenklatura russe qui a pu constater l'échec de l'expérience Kroutchevienne et qui s'est incarnée dans l'immobilisme brejnévien, est toujours en place. Pas seulement en U.R.S.S., mais dans tout le glacis Est-européen. Cette fraction doute de la capacité de l'Etat-capital russe à mener la politique ambitieuse que veulent les "réfor­mateurs". C'est cette peur, non sans raisons, d'un échec des réformes, porteur du risque d'un chaos économique et social amplifié qui l'a poussée durant 20 ans dans une paralysie conservatrice. La mise en place des réformes prend donc d'abord la forme d'une guerre de cliques qui luttent pour le contrôle de la direction. L'empoignade au sein de la bourgeoisie russe, discrète mais violente, après la mort de Brejnev, va devenir spectaculaire avec l'arrivée de Gorbatchev qui va se servir des différentes purges pour alimenter la campagne de crédibilisation démocratique. C'est au pas de charge des purges staliniennes qu'est menée la Perestroïka. Mais au fait, quelle Perestroïka ?

L'ECHEC DE LA PERESTROÏKA ECONOMIQUE

A l'origine, Perestroïka signifiait : refonte de l'économie, tan­dis que la Glasnost, la transparence, était le volet politique, celui des réformes "démocratiques". Mais les mots magiques que les experts en publicité savent trouver pour alimenter les campagnes médiatiques de la bourgeoisie peuvent voir leur contenu évoluer suivant les besoins. Le mot Perestroïka a pris le sens de l'idée même de changement, s'est étendu à tous les domaines, a englobé la Glasnost heureusement pour lui, parce que plus de quatre ans après l'arrivée du nouveau Se­crétaire général, la réforme économique, elle, est toujours au point mort.

Les réformes promulguées à coups de décrets et claironnées à coups de fanfares médiatiques sont sans grands effets sur l'économie réelle ; elles sont absorbées, digérées et détour­nées par l'appareil du parti et rendues inapplicables par le poids des carences et des dysfonctionnements de l'économie. Le grand barouf sur l'autonomie financière des entreprises, sur les nouvelles entreprises familiales privées ou les entre­prises mixtes à participation de capitaux étrangers correspond plus à un battage médiatique qu'à une transformation écono­mique réelle. Pour ne citer qu'un exemple, parce qu'il a été largement médiatisé, l'entrepreneur américain qui s'était lancé avec l'Etat russe dans la distribution de pizzas et dont on a pu voir les camions assiégés par les moscovites curieux sur les chaînes de T.V. du monde entier, a préféré renoncer à son en­treprise : lorsque les camions tombaient en panne, il fallait des semaines pour les réparer ; les frigos pour entreposer la mar­chandise manquaient et étaient souvent défectueux ; la quali­fication de la main-d'oeuvre laissait à désirer; le vol, les bakchich bureaucratiques rendaient toute gestion impossible.

Cet exemple est à l'image de l'économie russe. La pénurie de capital est telle qu'elle rend toute réforme particulièrement aléatoire. Les ambitions affichées au départ par l'équipe Gor­batchev ont été rapidement revues à la baisse et, aujourd'hui, un des principaux conseillers économiques du Secrétaire gé­néral déclare qu'il faudra "une ou deux générations pour réali­ser la Perestroïka". Au rythme actuel même compter en siècles ne serait pas suffisant. Depuis l'arrivée de la nouvelle clique dirigeante la situation des prolétaires, malgré toutes les affirmations de la propagande, loin de s'améliorer, s'est en­core dégradée. La pénurie de biens de consommation s'est ag­gravée. Même à Moscou, la capitale jusque-là privilégiée dans son approvisionnement, des denrées aussi banales que le sucre et le sel sont rationnées. Les magasins de la Perestroïka sont vides ([4] [8]).

LA PRIORITE DE LA GLASNOST

Pourtant, même si une véritable réforme de l'économie relève plus de la propagande que de possibilités réelles, il n'en demeure pas moins que la bourgeoisie russe doit mener à bien un certain nombre de mesures destinées à renforcer le poten­tiel militaire de son économie. Mais toutes les mesures envi­sagées sur ce plan :

-  libération des prix par la suppression des subventions ;

-  imposition de contrôles de qualité à toute l'économie suivant des critères issus de la production militaire ;

-  autonomie financière des entreprises d'Etat et fermetures des usines non rentables ;

-  développement d'un nouveau système de primes pour déve­lopper la productivité des travailleurs ;

-  déplacement massif de main-d'oeuvre des secteurs où il y a sureffectifs vers ceux où on manque de bras ; etc., se heurtent à la résistance d'une fraction importante de l'appareil du Parti, et surtout, mises en place telles quelles, elles risquent de mettre le feu aux poudres du mécontentement social.

En effet, n'importe laquelle de ces mesures signifie une at­taque contre les conditions de vie de la classe ouvrière. La Perestroïka est en fait un programme d'austérité. L'exemple polonais, en 1980, où une augmentation massive des prix avait déclenché la dynamique de la grève de masse qui s'est étendue à tout le pays, est toujours suffisamment présent pour inciter la bourgeoisie russe à la prudence et pour lui permettre d'en tirer les leçons. Avant d'entreprendre de telles attaques d'envergure, la bourgeoisie russe doit d'abord se donner les moyens de les faire le plus possible accepter et surtout doit doter son appareil d'Etat des armes d'encadrement et de mys­tification idéologique qui lui permettront de se confronter au mécontentement inéluctable du prolétariat. Ainsi, lorsque les planificateurs froids annoncent que d'ici à la fin du siècle, ce sont 16 millions de travailleurs qui devront être déplacés, cela signifie aussi des millions de travailleurs dans la rue, avec le danger que cela comporte au niveau social. La bourgeoisie stalinienne doit donc adapter son appareil d'encadrement du prolétariat, d’assouplir, le rendre plus crédible ; elle doit mettre en place des mystifications idéologiques de plus en plus intensives et sophistiquées pour masquer la réalité concrète de plus en plus désastreuse.

La Glasnost est le volet politique de la Perestroïka, le men­songe destiné à masquer la mise en place d'une austérité renforcée. Les réformes de l'appareil politique destinées à le cré­dibiliser et le renforcer sont une priorité, leur mise en place est la condition de la réussite de la Perestroïka. Cela est telle­ment vrai que le gouvernement russe a préféré reporter à plus tard les mesures de libération des prix et en 1988, a laissé fi­ler les salaires - les augmentations ont été de 9,5 % - de ma­nière à ne pas attiser le mécontentement et ne pas affaiblir l'impact immédiat des campagnes idéologiques sur la "démocratisation".

Le retour au premier plan de la question sociale en Europe de l'Est oblige la bourgeoisie russe a utiliser les mêmes armes que partout la bourgeoisie mondiale fourbit contre le proléta­riat parce que partout celui-ci a redressé la tête, développé ses luttes. Les campagnes pour la démocratie se sont développées à l'échelle planétaire, et la Perestroïka démocratique en U.R.S.S. fait écho aux campagnes actives menées par les U.S.A., au sein de leur bloc, pour remplacer rapidement les "dictatures" usées par des "démocraties" flambant neuf. Ce n'est pas que dans tous ces pays la bourgeoisie craigne une révolution prolétarienne, loin de là, mais c'est le risque d'une explosion sociale déstabilisatrice des intérêts de l'impérialisme qui inquiète la classe dominante et la pousse à renforcer son front social par la panacée démocratique : pluralisme des partis, élections à répétition, opposition légale, syndicats crédibles et radicalisés, etc. A l'est comme à l'ouest, ce sont les mêmes politiques qui sont menées et pour les mêmes raisons.

LES CAMPAGNES DE "DEMOCRATISATION" EN U.R.S.S.

Les campagnes démocratiques ne sont pas une chose nouvelle en U.R.S.S. Kroutchev, en son temps, avait tenté une Peres­troïka avant l'heure. Ce qui est nouveau, ce sont les moyens employés : la bourgeoisie russe s'est mise à copier ses consoeurs occidentales. La campagne médiatique est intense, les manipulations politiques se font plus fréquentes pour ten­ter de redonner une nouvelle crédibilité démocratique à l'Etat. Ces campagnes vont de pair avec un renouvellement en pro­fondeur des organes dirigeants du Parti. Le limogeage de la vieille garde stalinienne, en même temps qu'elle permet d'éliminer des fractions résistantes à la Perestroïka, sert à ren­forcer la crédibilité démocratique des changements actuellement en cours en mettant en avant des éléments plus jeunes favorables aux réformes. Les vieux bureaucrates, caciques du parti stalinien depuis des décennies, complètement pourris par des années de pouvoir et de concussion sont un épouvantail tout trouvé, par la haine qu'ils inspirent à la population, pour défouler la vindicte populaire et justifier les difficultés de la Perestroïka sur le plan économique. Avec les "conservateurs" constamment désignés dans la presse et comme dans un théâtre de guignol personnifiés par Ligatchev, membre du bu­reau politique, Gortatchev a trouvé le faire-valoir idéal qui lui assure le soutien d'une partie de la population, notamment les intellectuels qui craignent le retour des méthodes policières passées et de l'étouffement de l'illusion de liberté actuelle.

Le débat entre "réformateurs" et "conservateurs" va quoti­diennement se développer dans tous les médias russes. Un savant partage du travail est organisé : la Pravda va défendre une orientation conservatrice tandis que les Izvestia prendront le parti des réformateurs ; des polémiques multiples sont publiées pour essayer de polariser 1’attention des travailleurs et les inviter à participer aux débats. Une nuée de publication semi-légale, défendant tout et n'importe quoi, va ajouter à la confusion générale. Des procès pour corruption contre les per­sonnalités de la période Brejnev, notamment son propre gendre, servent à dédouaner et légitimer le nouveau régime.

Mais tout cela est encore peu, comparé à la gigantesque mani­pulation qui va être mise en place pour organiser la kermesse électorale du printemps 1989. Gorbatchev, qui tient les rênes du pouvoir, a trouvé en la personne de Ligatchev le repoussoir qui lui sert à rehausser sa propre image, mais il a aussi besoin 'une gauche crédible pour canaliser le mécontentement et chapeauter les multiples petites chapelles oppositionnelles, pour offrir l'image d'une vraie démocratie. En Pologne, où la démocratisation s'est faite à chaud, dans la confrontation di­recte à la lutte de classe, Solidamosc a d'emblée bénéficié d'une grande crédibilité auprès du prolétariat. Par ailleurs, l'Eglise, pourtant depuis longtemps intégrée à l'appareil d'Etat polonais, s'était toujours cantonnée dans une opposi­tion discrète et avait conservé une popularité certaine dans la population. En U.R.S.S., la situation est bien différente. La "démocratisation" se fait à froid, à titre préventif ; et après des décennies de répression, la bourgeoisie russe n'a pas grand chose sur quoi s'appuyer pour conforter ses nouveaux habits démocratiques. Il va lui falloir créer une opposition de toutes pièces pour animer le spectacle électoral.

Un ponte du parti de Moscou, Boris Eltsine, membre du Bu­reau politique, va se faire le chantre de la Perestroïka à tout va, le critique intransigeant des insuffisances dans la course à la démocratie ; il va stigmatiser les résistances des conserva­teurs, se faire le défenseur des intérêts de la population. Après une algarade avec le chef de file des conservateurs, Ligatchev, durant une réunion en plénum du Comité central, il va être exclu de son poste de suppléant du Bureau politique, perdre son poste dans la hiérarchie du Parti. Une campagne de ru­meurs sur le contenu radical de son intervention devant le Comité central se développe, tandis que durant des mois, il va jouer l'arlésienne. Au sein du Parti à Moscou, une campagne est menée en sa faveur par la "base". Finalement, Eltsine va réapparaître pour animer et crédibiliser la campagne électorale pour le renouvellement d'une partie du Soviet suprême. Toutes les mesures prises à son encontre, les médisances dis­tillées sur son compte par la bureaucratie vont lui donner une crédibilité toute neuve. Dans un pays où durant des décennies tout le monde a appris une chose essentielle, c'est que l'Etat ment, ce qui donne une crédibilité à un individu, à son dis­cours, c'est la répression, les tracasseries bureaucratiques auxquelles il est soumis. Dans les bagarres qui secouent la Nomenklatura, une foule d'apparatchiks ambitieux, qui sau­ront coller à l'air du temps, va se forger une image d'"opposition", de radicalisme, d'anti-corruption, de popu­lisme à bon compte face à la hargne bureaucratique des gérontes qui ne veulent pas céder leur place. Les intellectuels, longtemps humiliés par Brejnev, vont constituer les troupes électorales de la nouvelle "opposition" apportant leur caution "libérale" et "démocratique" en la personne de Sakharov. La nouvelle "opposition" est créée. Les élections du printemps 1989 vont la légitimer.

Pour ces élections une innovation de taille va être apportée : des candidatures multiples issues du Parti et des structures de l'Etat sont encouragées, donnant une illusion de pluralisme. Rien ne va être négligé pour crédibiliser ces élections et, par conséquent, les nouveaux oppositionnels. Une campagne "à l'américaine" va pour la première fois être menée en U.R.S.S. L'"opposition" va se mobiliser devant les médias. Eltsine est passé sur toutes les chaînes de télévision : interviewé dans son modeste logement, avec sa femme et sa fille qui paraissaient tout effrayées de tant de nouveauté ; en train de jouer poussi­vement au tennis, short blanc et bandeau sur le front, pour le mettre en valeur ; on lui avait même trouvé un sparring-partner bureaucratique encore plus boursouflé, plus grotesque.

Eltsine fait un come-back retentissant, il est omniprésent, avec Gorbatchev évidemment, dans les médias. Un miracle bureau­cratique et médiatique de plus. Dans le même temps des mani­festations de soutien sont organisées dans les rues de Moscou avec son portrait en emblème. L'ambiance est chauffée par les démêlés de nos "réformateurs radicaux" pour faire accepter leurs candidatures aux oligarchies locales du Parti. Sakharov s'empoigne avec les bureaucrates de l'Académie des sciences. La popularité des nouvelles candidatures ne fait que croître.

Pourtant, tout cela n'est pas encore suffisant. La bourgeoisie russe va en rajouter en manipulations pour rameuter les prolétaires vers les urnes et crédibiliser les élections et l'idée de changement. Quelque temps avant le jour électoral fatidique, une manifestation nationaliste en Géorgie sera sévèrement ré­primée. Plusieurs manifestants tués restent sur le carreau. Les conservateurs, la droite, sont accusés de vouloir saboter la Perestroïka. Des rumeurs inquiétantes d'attentat dans le métro à Moscou circulent. Gorbatchev serait en difficulté, les élé­ments conservateurs prépareraient un retour en force. Il faut voter pour préserver la direction actuelle ; la gauche, derrière Eltsine, se pose comme le meilleur obstacle à un retour du conservatisme, comme le meilleur garant de l'application des réformes. La population est appelée à donner son point de vue, à se prononcer, son destin en dépend. La victoire des "ra­dicaux" de la Perestroïka va être totale. A Moscou, Eltsine va être triomphalement élu avec 89 % des voix, dans toute l'U.R.S.S., la nouvelle "gauche" fait des scores impression­nants. Des hiérarques du P.C. sont battus. De ces élections, l'Etat russe sort renforcé : l'illusion démocratique d'un chan­gement électoral prend une apparence de vérité, une gauche à la crédibilité naissante se met à exister à la fois au sein et en dehors du Parti.

Fort de ce succès, contrairement aux fausses rumeurs qui avaient circulé avant les élections, Gorbatchev sort renforcé et mène une nouvelle purge. Une centaine de délégués au Soviet suprême démissionnent aimablement, tandis que la gauche va organiser des manifestations où cote à cote Eltsine et Sakha­rov mènent le bal pour soutenir les nouveaux députés réfor­mateurs du Soviet. En mai 1989, 100 000 personnes manifes­tent derrière eux à Moscou et on remarquera dans l'assistance une délégation de la 4ème Internationale trotskiste. Quelle caution !

Par son habileté politique à mettre en place les éléments d'une nouvelle crédibilité de l'Etat russe, ce que montre Gorbatchev, ce n'est pas tant sa sincérité démocratique, mais sa ca­pacité manoeuvrière typiquement stalinienne. Purges bureau­cratiques, manipulations politiques et policières multiples, campagnes idéologiques mystificatrices, rumeurs organisées, répression savamment dosée, etc., cette panoplie du men­songe et de la terreur montre que, par-delà les apparences, Gorbatchev est le digne héritier du stalinisme qui adapte son savoir-faire aux besoins de la situation présente. Cette réalité va particulièrement s'exprimer sur le terrain des "nationalités".

LE NATIONALISME EN SOUTIEN DE LA PERESTROÏKA

Depuis 1988, les manifestations nationalistes en Arménie, en Azerbaïdjan, dans les pays baltes, en Géorgie, polarisent l'attention sur la situation en U.R.S.S.. La question des natio­nalités est un vieux problème en U.R.S.S. Héritée du passé colonial de la Russie des tzars, renforcée par la répression brutale des staliniens, elle traduit le poids du sous-développement du capital soviétique. Ces manifestations traduisent un mécontentement réel existant au sein de la population. Cepen­dant, parce qu'elles se déroulent sur un terrain purement na­tionaliste, ces expressions de mécontentement ne peuvent dans cette logique que renforcer l'emprise de la classe domi­nante, même si elles ont été provoquées par les rivalités de cliques. Elles sont le terrain parfait pour les manipulations de l'Etat central russe, manipulations dont l'équipe gorbatchévienne dans la lignée d'une vieille tradition, montre qu'elle est maîtresse.

La bourgeoisie russe a toujours su exploiter au mieux le poids des illusions nationalistes, la grogne anti-russe, pour diviser ses prolétaires et dévoyer le mécontentement social dans le nationalisme qui est le terrain privilégié de la domination bourgeoise. Cela est vrai, non seulement en U.R.S.S. même, mais aussi dans tout le glacis européen sous sa coupe impé­rialiste. Les événements en Pologne sont là depuis 1980 pour montrer à l'évidence cette réalité : les illusions démocratiques et le nationalisme anti-russe ont été les principales armes de la bourgeoisie polonaise pour faire rentrer les ouvriers dans le rang. Le développement présent de la propagande nationaliste dans les pays de l'Est n est certainement pas un pur produit des illusions d'une population mécontente, même si celles-ci existent réellement, mais correspond à une politique voulue mise en place par l'administration Gorbatchev. La propagande nationaliste qui se déchaîne aujourd'hui, sous le masque de l'opposition, correspond à la nouvelle politique anti-ouvrière menée pour entraver le développement à venir des luttes pro­létariennes face à la politique draconienne d'austérité qui est en train d'être mise en place.

Dans ces conditions, ce n'est donc certainement pas l'expression d'une perte de contrôle de l'Etat russe si en Ar­ménie, la branche locale du P.C. soutient la revendication na­tionaliste du rattachement du Haut-Karabak, alors qu'en Azerbaïdjan, elle soutient exactement l'inverse, soufflant sur les braises nationalistes (à cet égard on peut se poser de réelles questions sur l'origine des pogroms anti-arméniens qui ont mis le feu aux poudres), tandis que dans les pays baltes, c'est le P.C. qui a directement organisé les manifestations na­tionalistes autour d'un débat constitutionnel n'ayant pour but que de valider les illusions démocratiques et nationalistes.

Tout ce remue-ménage, loin d'affaiblir Gorbatchev, lui a permis de développer son offensive politique. En laissant se développer des manifestations massives, il a renforcé son image libérale à peu de frais, et même le cataclysme qui a frappé l'Arménie lui a permis de faire un one-man-show mé­diatique sur sa politique d'ouverture. De même, cette situation qui met en lumière les carences de l'administration est un prétexte tout trouvé pour intensifier les purges en cours au sein du parti stalinien. Même la répression dans ce contexte hyper-médiatisé est présentée comme une preuve de fermeté rassurante vis-à-vis d'excès qui risquent de freiner les réformes.

La répression cynique et meurtrière d'une manifestation en Géorgie a été le prétexte d'une nouvelle campagne contre les "conservateurs" pour mobiliser les ouvriers sur le terrain électoral en dramatisant la situation. La clique dirigeante lo­cale en a fait incidemment les frais en passant à la trappe d'un remaniement. Mais à qui le crime a-t-il réellement profité, si­non à Gorbatchev ?

Ce n'est pas seulement en U.R.S.S. que cette politique de pro­pagande nationaliste anti-ouvrière est mise en place : nous avons déjà cité la Pologne, mais c'est aussi en Hongrie où se déchaîne la propagande anti-roumaine ; en Roumanie, c'est, évidemment, la propagande anti-hongroise ; en Bulgarie, c'est la propagande anti-turque. Chaque fois, le nationalisme des minorités nationales est attisé, au besoin par la simple répres­sion, pour justifier des campagnes plus générales.

Les divers nationalismes qui se développent aujourd'hui dans les pays de l'Est, ne sont pas l'expression d'un affaiblissement de l'Etat central, mais au contraire le moyen de son ren­forcement. Les illusions nationalistes sont le digne complé­ment des mystifications démocratiques.

LE SUCCES INTERNATIONAL DE LA PERESTROÏKA

Jamais une campagne idéologique de la bourgeoisie russe n'aura reçu un tel soutien de la part de l'Occident. Gorbatchev est devenu une nouvelle star médiatique mondiale ; il est venu concurrencer celui qu'on surnommait le "grand communicateur" : Reagan. La bourgeoisie russe a visiblement bien appris de ses consoeurs occidentales l'art de la manipulation médiatique.

La mise en avant dès son arrivée au pouvoir d'une volonté de concessions sur le plan impérialiste, la tenue d'un langage de "paix", les propositions de désarmement, largement médiati­sées, sont autant de facteurs qui suggèrent une sympathie ins­tinctive aux habitants de la planète traumatisés par les cam­pagnes militaristes incessantes qui se sont succédé depuis 1980. Dans l'incapacité de se lancer dans une surenchère mi­litaire à cause du manque d'adhésion de la population, face à l'offensive impérialiste occidentale des années 80, l'U.R.S.S. est obligée une nouvelle fois de reculer. L'intelligence de la bourgeoisie russe, et notamment de sa fraction animée par Gorbatchev, va être de savoir mettre à profit ce recul imposé pour rénover sa stratégie de politique intérieure et internationale.

Les nouveaux axes de la propagande soviétique - la paix et le désarmement au niveau international, la Perestroïka-Glasnost sur le plan intérieur - vont prendre à contre-pied les thèmes de la propagande occidentale basés sur la dénonciation de 1'"Empire du mal", du militarisme russe et de l'absence de démocratie dans les pays de l'Est. Cette situation va provo­quer un chamboulement médiatique mondial. Le Bloc de 1 Ouest va être obligé de changer le fusil de ses campagnes médiatiques d'épaule. Face aux thèmes "pacifistes" de la di­plomatie russe, les U.S.A. ne peuvent se permettre d'apparaître comme les seuls va-t-en-guerre, surtout face à un prolétariat qui après le recul qui marque le début des années 80, a repris de manière significative le chemin de la lutte au milieu des années 80. Les deux blocs impérialistes qui se partagent la terre vont alors se lancer à l'unisson dans une surenchère pacifiste et démocratique. Les campagnes men­songères sur la paix sont un moment de la lutte que se mènent les deux blocs sur le plan idéologique.

Cependant, si le bloc occidental a suivi Gorbatchev dans le changement de tonalité des campagnes idéologiques, s'il parait le soutenir dans sa volonté de réformes politiques, ce n'est certainement pas qu'il en croit un traître mot. Même si les concessions militaires de l'U.R.S.S. sont réelles et toujours bonnes à prendre, ce n'est pas bien nouveau. Brejnev avait fait de même et "la paix et le désarmement" sont des thèmes éculés de la propagande stalinienne depuis toujours. Et ce n'est certainement pas non plus, même si c'est un aspect réel, parce que le bloc occidental s'est trouvé piégé par la nouvelle pro­pagande russe. Cela ne l'obligeait certainement pas à chanter les louanges de Gorbatchev comme il l'a fait, soutenant de toute la force de ses médias les initiatives "démocratiques" de la Perestroïka, les crédibilisant ainsi aux yeux du monde en­tier, les intégrant dans une gigantesque et assommante cam­pagne médiatique sur la "Démocratie" menée à l'échelle planétaire.

Ce soutien de l'Occident au nouveau groupe dirigeant russe dont la politique étrangère offensive vise à donner une nouvelle crédibilité à l'impérialisme russe, et la politique inté­rieure à renforcer la force de l'Etat et de son économie de guerre, peut sembler paradoxal. Cependant, cette situation s'explique par les leçons qu'a tirées la bourgeoisie du bloc de F Ouest des événements d Iran et de Pologne. Elle ne tient pas à voir se développer des luttes sociales en Europe de l'Est qui pourraient avoir des effets internationaux contagieux et, en provoquant une déstabilisation de la classe dominante du bloc adverse, pourraient permettre l'accession au pouvoir de fractions de la bourgeoisie particulièrement stupides, autrement dangereuses pour la stabilité mondiale qu'un Khomeiny en Iran, étant donné le potentiel militaire russe.

Malgré sa plus grande puissance, le bloc occidental est fon­damentalement confronté aux mêmes difficultés que le bloc russe. Le développement des mêmes thèmes de propagande traduit des besoins identiques : encadrer le prolétariat, entra­ver et dévoyer l'expression de son mécontentement, lui faire accepter des mesures d'austérité de plus en plus draconiennes, le ressouder à "son" Etat au nom de la Démocratie et ouvrir la voie vers la guerre ([5] [9]).

LE PROLETARIAT AU COEUR DE LA SITUATION

A écouter les commentateurs avisés de l'a bourgeoisie interna­tionale, la Perestroïka irait de succès en succès et Gorbatchev volerait de victoire en victoire. On a vu rapidement ce qu'il en était sur le plan économique : un fiasco jusqu'à présent. Où se situe donc la réussite de Gorbatchev? D'abord sur le plan po­litique dans sa capacité à s'imposer face aux secteurs réticents de la bourgeoisie russe ; les purges successives en témoignent. Le bilan de la mise en place des nouveaux habits démocra­tiques du stalinisme est plus mitigé. L'essentiel reste encore à faire pour développer une réelle crédibilité de l'Etat russe vis-à-vis de sa propre population. Bien sûr 1'"intelligentsia" ap­plaudit les timides réformes démocratiques à tout rompre, et par son agitation incessante leur donne l'apparence de la vie, mais quelle est la réaction du prolétariat, de l'immense majo­rité de la population, face à ce tourbillon médiatique autour des "réformes" ?

La méfiance vis-à-vis d'un Etat qui incarne 60 ans de domi­nation du stalinisme, de répression cynique, de mensonge permanent, de pourriture bureaucratique, est très forte au sein de la classe ouvrière. Même si les thèmes démocratiques mis en avant par la Perestroïka peuvent susciter un certain intérêt parmi les travailleurs, le fait que les réformes soient imposées par en haut, qu'elles viennent de la hiérarchie du P.C., ne peut que susciter la défiance. L'expérience de Kroutchev n'est pas si loin pour être oubliée; les belles paroles démocratiques d'alors s'étaient terminées par la répression des luttes ouvrières en 1962 et 1963. Face à la Perestroïka, le prolétariat continue à utiliser les mêmes armes que face à la tutelle poli­cière de Brejnev: la résistance passive.

La politique de rigueur et de "transparence" de la nouvelle di­rection soviétique se heurte aux vieux réflexes de méfiance et de "démerde" profondément enracinés dans le prolétariat russe et donne souvent des résultats paradoxaux typiques de l'économie russe. Le rationnement tout à fait impopulaire de l'alcool a provoqué une razzia des stocks de sucre dans les magasins, pour alimenter les alambics clandestins, entraînant le rationnement du sucre. L'annonce par un bureaucrate, face aux rumeurs de pénurie sur le thé à Moscou, qu'il n'y a pas de problème d'approvisionnement, provoque immédiatement une panique des consommateurs qui se ruent vers le magasin le plus proche, et le thé aussi devra être rationné. Ces faits qui font les délices des journalistes étrangers et la misère des tra­vailleurs de l'U.R.S.S. traduisent la résistance et la méfiance par rapport à toutes les initiatives de l'Etat. Cette hypothèque, a Perestroïka ne l'a pas levée, elle n'en a pas les moyens ; les rayons des magasins sont toujours plus vides et c'est là qu'est la vérité pour le prolétariat. Dans la mesure où il n'a rien ma­tériellement à offrir, le gouvernement ne peut réellement mystifier directement ; tout au plus peut-il essayer d'enraciner l'idée qu'il est moins répressif, plus ouvert au dialogue que ceux qui l'ont précédé, mais cela ne remplit pas les estomacs.

Le véritable danger mystificateur pour le prolétariat vient de ceux qui se posent comme étant les "opposants", qui critiquent ouvertement le gouvernement et dénoncent la pénurie, qui prétendent défendre les intérêt de la classe laborieuse. Cepen­dant, la nouvelle "opposition" regroupée autour de Eltsine et Sakharov a encore des progrès à faire si elle veut gagner une réelle crédibilité mystificatrice au sein du prolétariat. L'ébullition actuelle autour de l’"opposition" est essentielle­ment animée par l'intelligentsia et des jeunes sans grande ex­périence. Fondamentalement les ouvriers sont restés plutôt in­différents face à ce remue-ménage. La personnalité des Elt­sine et Sakharov, eux-mêmes dignes membres de la Nomenklatura, n'est pas faite pour les enthousiasmer. Cette relative indifférence de la classe ouvrière ne doit pourtant pas faire sous-estimer la fragilité de la classe ouvrière en Russie face aux mystifications plus sophistiquées que la bourgeoisie est en train de mettre en place. L'exemple polonais est là pour le démontrer.

L'offensive idéologique de l'Etat russe en est encore à ses dé­buts. Avec la mise en place d'une opposition c'est seulement une première pierre de son édifice "démocratique" que Gor­batchev a posée. L'utilisation d'un syndicalisme radical avec Solidarnosc en Pologne, l'instauration d'un pluralisme poli­tique et syndical en Hongrie montrent que la bourgeoisie russe est prête à aller beaucoup plus loin pour renforcer la crédibi­lité de son Etat et dissoudre la méfiance ouvrière. La création d'un syndicat crédible est la condition indispensable d'un en­cadrement "démocratique" de la classe ouvrière. Nul doute que Gorbatchev va devoir s'atteler à cette rude tache s'il veut mener à bien son programme de renforcement du capitalisme russe. Comme les syndicats dans le monde de l'Ouest, Soli­darnosc en Pologne a suffisamment montré sa capacité à étouffer les luttes ouvrières pour que la bourgeoisie russe veuille se doter d'un tel outil. Mais si un parti politique, une opposition peut tenter de se crédibiliser à froid, dans et par le sacro-saint "débat démocratique", il n'en est pas de même d'un syndicat qui, lui, doit tirer sa crédibilité de la lutte de classe, des grèves.

Le prolétariat russe, ces dernières années, n'a pas particuliè­rement manifesté sa combativité par des grèves, à ce qu'on en sait tout du moins. Cependant, la diminution croissante de son niveau de vie va s'accélérer avec la Perestroïka; conjuguée aux effets "désinhibiteurs" de la "libéralisation" qui a besoin d'un minimum de permissivité pour être un tant soi peu crédible, elle ne peut qu'encourager les ouvriers à lutter. Dans les pays du bloc de l'Est, comme dans ceux de l'Ouest la pers­pective est au développement de la lutte de classe. C'est dans ce contexte que la Perestroïka/Glasnost se montrera comme une amie redoutable contre le prolétariat: les ouvriers de l'Est devront se confronter à des mystifications particulièrement dangereuses: "oppositions radicales" se réclamant faussement de ses intérêts, syndicats "libres" qui saboteront ses luttes, ta­page médiatique permanent, etc., dont il n'ont quasiment au­cune expérience.

Cette expérience, c'est celle que le prolétariat polonais est en train de faire. Elle signifie un dur apprentissage et des défaites pour la classe ouvrière en Europe de l'Est ([6] [10]). Cette situation, c|est celle que le prolétariat des pays développés d'Occident vit depuis (tes décennies, celle du mensonge du totalitarisme "démocratique" sur laquelle il a accumulé une expérience ir­remplaçable. Parce que partout la perspective est à un déve­loppement de la lutte de classe, partout la bourgeoisie essaie de mettre en place les mêmes armes, les plus efficaces, les plus mensongères, les plus dangereuses: celles de la "Démo­cratie", pure illusion qui cache le totalitarisme du capitalisme décadent. La campagne est mondiale. De fait, la situation du prolétariat mondial s'homogénéise: la répression policière se fait plus fréquente et plus forte dans les vieilles démocraties occidentales, tandis que dans tous les pays sous-développés du monde - U.R.S.S. comprise - l'heure est à la rénovation de la façade étatique d'un bon coup de peinture démocratique.

La question n'est pas de savoir si Gorbatchev, ou même la bourgeoisie mondiale, a les moyens de sa politique. La ques­tion est: comment le prolétariat va se confronter a l'arsenal de mystifications que la bourgeoisie est en train de mettre en place pour lui imposer l'austérité renforcée des réformes éco­nomiques ? La capacité du prolétariat d'Europe de l'Est à dé­jouer les pièges est indissolublement liée à la capacité du prolétariat d'Europe occidentale à développer ses luttes, à montrer sous l'éclairage cru de la confrontation de classe la réalité du mensonge démocratique, tout comme les prolétaires d'Europe de l'Est, par leurs luttes, ont montré à leurs frères de classe du monde entier la réalité du mensonge stalinien ([7] [11]). Les illusions sur l'Occident, sur son modèle démocratique, pèsent lourdement sur la conscience des ouvriers d'Europe de l'Est. Seule la lutte de classe qui se développe au coeur de l'Europe occidentale industrialisée, au coeur du mensonge démocratique, peut déchirer le mirage, clarifier les consciences, renforcer ainsi, partout dans le monde, la capa­cité du prolétariat à déjouer les pièges, à briser les rideaux de fer du capital, et à poser les jalons de sa dynamique d'unification mondiale.

JJ. 29 mai 1989


[1] [12] Source : Nations Unies

[2] [13] Sur la crise dans les pays de  l'Est lire les articles dans  la Revue Internationale n° 12-14-23-43.

 

[3] [14] Sur les luttes en Pologne voir Revue Internationale n° 24-25-26-27, et de manière plus générale sur la lutte de classe en Europe de l'Est voir Revue Internationale n° 27-28-29.

[4] [15] Sur la situation économique en U.R.S.S. à l'heure de la Perestroïka un article sera publié dans un prochain numéro de la Revue Internationale qui développera plus largement sur cette question. Voir aussi Revue Internationale n' 49-50.

[5] [16] Voir article "Les paix de l'été", Revue Internationale n° 55.

[6] [17] Voir article "Pologne: l'obstacle syndical", Revue Internationale n° 54.

[7] [18] Voir article "Le prolétariat d'Europe de l'Ouest au coeur de la lutte de classe", Revue Internationale n° 31.

Après les années d'immobilisme incarnées par le règne

Géographique: 

  • Russie, Caucase, Asie Centrale [19]

Heritage de la Gauche Communiste: 

  • Capitalisme d'Etat [20]

Comprendre la décadence du capitalisme (7) : Le bouleversement des formes idéologiques

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Le bouleversement des formes idéologiques

La "crise idéologique", "crise des valeurs" dont parlent les journalistes et sociologues depuis des décennies n'est pas, comme ils disent, "une douloureuse adaptation aux progrès technologiques capitalistes". Elle est au contraire la manifestation de l'arrêt de tout progrès historique réel du capitalisme. C'est la décomposition de l'idéologie dominante qui accompagne la décadence du système économique.
L'ensemble des bouleversements subis par les formes idéologiques capitalistes depuis trois quarts de siècle constitue en réalité non pas un rajeunissement permanent du capitalisme mais une manifestation de sa sénilité, une manifestation de la nécessité et de la possibilité de la révolution communiste.

Dans les articles précédents de cette série[1] [21] destinée à ré­pondre à ces "marxistes" qui rejettent l'analyse de la déca­dence du capitalisme, nous nous sommes penchés surtout sur les aspects économiques de la question : "C'est dans l'économie politique qu'il convient de chercher l'anatomie de la société civile", disait Marx[2] [22]. Nous avons rappelé la vi­sion marxiste d'après laquelle ce sont des causes économiques qui font qu'à un moment donné de leur développement les systèmes sociaux (esclavagisme antique, féodalisme, capita­lisme) entrent en décadence :

  • "A un certain degré de leur développement, les forces pro­ductives matérielles de la société entrent en collision avec les rapports de production existants, ou avec les rapports de pro­priété nu sein desquels elles s'étaient mues jusqu'alors, et qui n'en sont que l'expression juridique. Hier encore formes de développement des forces productives, ces conditions se changent en de lourdes entraves. Alors commence une ère de révolution sociale." Marx[3] [23]

[23]

Nous avons montré comment depuis la période de la première guerre mondiale et de la vague révolutionnaire prolétarienne internationale qui y a mis fin, le mode de production capita­liste connaît un tel phénomène. Comment celui-ci s'est trans­formé en une entrave permanente au développement des forces productives des moyens de subsistance de l'humanité : les pires destructions guerrières de l'histoire, économie per­manente d'armement, les plus grandes famines, épidémies, des zones de plus en plus étendues condamnées au sous-dé­veloppement chronique. Nous avons mis en évidence l'enfermement du capitalisme dans ses propres contradictions et sa fuite en avant, explosive, dans le crédit et les dépenses improductives.

Au niveau de la vie sociale nous avons analysé certains des bouleversements fondamentaux que ces changements écono­miques ont entraîné dans : la différence qualitative entre les guerres du XXe siècle et celles du capitalisme ascendant; l'hypertrophie croissante de la machine étatique dans le capi­talisme décadent par opposition au "libéralisme économique" du 20ème siècle ; la différence des formes de vie et de lutte du prolétariat au 20ème siècle et dans le capitalisme décadent.
Ce tableau reste cependant incomplet. Au niveau des "super­structures", des "formes idéologiques" qui reposent sur ces rapports de production en crise, il se produit des bouleverse­ments qui sont tout aussi significatifs de cette décadence.

  • "Le changement dans les fondements économiques s'accompagne d'un bouleversement plus ou moins rapide dans tout cet énorme édifice. Quand on considère ces boule­versements, il faut toujours distinguer deux ordres de choses. Il y a le bouleversement matériel des conditions de production économique. On doit le constater dans l'esprit de rigueur des sciences naturelles. Mais il y a aussi les formes juridiques, politiques, religieuses, artistiques, philosophiques, bref les formes idéologiques, dans lesquelles les hommes prennent conscience de ce conflit et le poussent jusqu'au bout." Marx[4] [24]

[24]

Dans nos textes sur la décadence du capitalisme (en particu­lier dans la brochure qui y est consacrée) nous avons relevé certaines caractéristiques de ces bouleversements idéolo­giques. Nous y reviendrons ici en répondant à certaines aber­rations formulées sur cette question par nos critiques.

L'aveuglement de l'invariance

Ceux qui rejettent l'analyse de la décadence, qui ne parvien­nent déjà pas à percevoir un quelconque changement dans le capitalisme depuis le 16ème siècle sur le plan concret de la production, ne sont pas moins myopes lorsqu'il s'agit de voir l'évolution du capitalisme au niveau des formes idéologiques. Qui plus est, pour certains d'entre eux, les anarcho­-bordiguistes-punk du GCI en particulier[5] [25], prétendre recon­naître des bouleversements a ce niveau là, ne peut relever que d'une vision "moralisatrice" de "curés". Voici ce qu'ils écrivent à ce propos :

  • “(...) il ne reste plus aux décadentistes que la justification idéologique, que l'argumentation moralisatrice (...) d'une dé­cadence super-structurelle reflétant (en parfaits matérialistes vulgaires qu'ils sont) la décadence des rapports de produc­tion. ‘L'idéologie se décompose, les anciennes valeurs mo­rales s'écroulent, la création artistique stagne ou prend des formes contestataires, l'obscurantisme et le pessimisme philo­sophiques se développent’. La question à cinq francs est bien : qui est l'auteur de ce passage : Raymond Aron ? Le Pen ? ou Monseigneur Lefèbvre ? [6] [26] (...) Eh bien non, il s'agit de la brochure du CCI : La décadence du capitalisme, page 34 ! Le même discours moralisateur correspond donc à la même vision évolutionniste et ce dans la bouche de tous les curés de gauche, de droite ou d’‘ultragauche’”.
  • “Comme si l'idéologie dominante se décomposait, comme si les valeurs morales essentielles de la bourgeoisie s'écroulaient ! Dans la réalité l'on assiste plutôt à un mou­vement de décomposition/recomposition chaque fois plus im­portant : à la fois de vieilles formes de l'idéologie dominante se trouvent disqualifiées et donnent naissance à chaque fois à de nouvelles recompositions idéologiques dont le contenu, l'essence bourgeoise reste invariablement identique.”[7]

[27]

L'avantage avec le GCI c'est sa capacité de concentrer en peu de lignes un nombre particulièrement élevé d'absurdités, ce qui, dans une polémique, permet d'économiser du papier. Mais commençons par le début.

Bouleversements économiques et formes idéologiques

D'après le GCI ce serait du "matérialisme vulgaire" que d'établir un lien entre décadence des rapports de production et déclin des superstructures idéologiques. Le GCI a lu chez Marx la critique de la conception qui ne voit dans les idées qu'un reflet passif de la réalité matérielle. Marx lui oppose la vision dialectique qui perçoit l'interrelation permanente qui lie ces deux entités. Mais il faut être un "invariantiste" pour en déduire que les formes idéologiques ne subissent pas l'évolution des conditions matérielles.

Marx est très clair :

  • "A toute époque, les idées de la classe dominante sont les idées dominantes ; autrement dit, la classe qui est la puis­sance matérielle dominante de la société est en même temps la puissance spirituelle dominante. La classe qui dispose des moyens de la production matérielle dispose en même temps de ce fait, des moyens de la production intellectuelle, si bien qu'en général, elle exerce son pouvoir sur les idées de ceux à qui ces moyens font défaut. Les pensées dominantes ne sont rien d'autre que l'expression en idées des conditions maté­rielles dominantes, ce sont ces conditions conçues comme idées, donc l'expression des rapports sociaux qui font justement d'une seule classe la classe dominante, donc les idées de sa suprématie." Marx[8] [28]

[28]

Comment les "conditions matérielles dominantes" pourraient elles connaître les bouleversements d'une décadence sans qu'il en soit de même pour leurs "expressions en idée" ? Comment une société vivant une époque de véritable déve­loppement économique, où les rapports sociaux de production apparaissent comme une source d'amélioration des conditions générales d'existence, pourrait-elle s'accompagner de formes idéologiques identiques à celles d'une société où, ces mêmes rapports conduisent la société à la misère à l'autodestruction massive, à l'angoisse permanente et généralisée ?

En niant le lien qui existe entre les formes idéologiques d'une époque et la réalité économique qui la sous-tend, le GCI pré­tend combattre le "matérialisme vulgaire", mais ce n'est que pour défendre le point de vue de l'idéalisme qui croit à l'existence première des idées et à leur indépendance à l'égard du monde matériel de la production sociale.

L'idéologie dominante est-elle putrescible ?

Ce qui heurte le GCI c'est qu'on puisse parler de décomposi­tion de l'idéologie dominante. Voir dans celle-ci une mani­festation de la décadence historique du capitalisme serait dé­velopper une "argumentation moralisatrice". Pour s'y opposer il nous assène cette grande vérité : l'idéologie bourgeoise au 20ème siècle est tout comme au 18ème..., "invariablement" bourgeoise.
Conclusion ? Donc, elle ne se décompose pas. (?)

Cela fait partie de la "dialectique" de "l'invariance" qui nous enseigne que tant que le capitalisme existe il demeure "inva­riablement" capitaliste et que tant que le prolétariat subsiste il reste, tout aussi "invariablement" prolétarien.

Mais après avoir déduit de ces tautologies la non-putréfaction de l'idéologie dominante, le GCI s'efforce d'approfondir la question : "l'on assiste plutôt à un mouvement de décomposition/recomposition chaque fois plus important. De vieilles formes de l'idéologie dominante se trouvent disquali­fiées et donnent naissance à chaque fois à de nouvelles re­compositions idéologiques".

Voilà qui n'est plus si "invariant". Le GCI ne fournit évi­demment aucune explication sur l'origine, les causes, le début de ce "mouvement chaque fois plus important". La seule chose dont il est certain c'est que -contrairement aux concep­tions "décadentistes"- cela n'a rien à voir avec l'économie.
Mais revenons à la découverte d'un "mouvement" par le GCI : la décomposition/recomposition. D'après ce qui nous est ex­pliqué, l’idéologie dominante connaît en permanence de "nouvelles recompositions idéologiques". Oui, "nouvelles". C'est la jeunesse éternelle ! Quelles sont-elles ? Le GCI nous répond sans attendre :

  • "C'est ce que nous constatons dans la ré-émergence en force et au niveau mondial des idéologies (...) religieuses".

Ce qui, tout le monde le sait, est le dernier cri en matière de mystification idéologique. Autres nouveautés : "l'anti­fascisme... les mythes démocratiques... l'anti-terrorisme".

Qu'y a-t-il de nouveau dans ces vieilles rengaines usées par les classes dominantes depuis au moins un demi-siècle, si ce n'est des millénaires ? Si le GCI n'a pas d'autres exemples à donner c'est parce que fondamentalement il n'y a pas "nou­velles recompositions idéologiques" dans le capitalisme déca­dent. L'idéologie capitaliste ne peut pas plus se rajeunir que le système économique qui l'engendre. Ce à quoi nous assistons dans le capitalisme décadent, c'est au contraire à l'usure, plus ou moins lente ou rapide suivant les zones de la planète, des "éternelles" valeurs bourgeoises.

Sur quoi repose l'emprise de l'idéologie dominante ?

L'idéologie de la classe dominante se résume aux "idées de sa suprématie" comme classe. En d'autres termes, elle est la jus­tification permanente du système social que gère cette classe. Le pouvoir de cette idéologie se mesure d'abord et avant tout non pas dans le monde abstrait des idées confrontées à des idées, mais dans l'acceptation de cette idéologie par les hommes eux-mêmes et en premier lieu par la classe exploitée.
Cette "acceptation" repose sur un rapport de force global. Elle s'exerce comme une pression constante sur chaque membre de la société, de la naissance aux cérémonies d'enterrement. La classe dominante dispose d'hommes spécifique­ment chargés de ce travail : les services religieux ont par le passé assumé la plus lourde part de cette fonction ; dans le ca­pitalisme décadent cela revient à des "scientifiques de la pro­pagande" (nous y reviendrons). Marc parlait des "idéologues actifs et conceptistes dont le principal gagne-pain consiste à entretenir l'illusion que cette classe nourrit à son propre sujet"[9] [29].

Mais cela ne suffit pas pour asseoir à long terme une domina­tion idéologique. Encore faut-il que les idées de la classe do­minante aient un minimum de correspondance avec la réalité existante. La plus importante de ces idées est toujours la même : les règles sociales existantes sont les meilleures pos­sibles pour assurer le bien être matériel et spirituel des membres de la société. Toute autre forme d'organisation so­ciale ne peut conduire qu'à l'anarchie, la misère et la désolation.
C'est sur cette base que les classes exploiteuses justifient les sacrifices permanents qu'elles demandent et imposent aux classes exploitées. Mais qu'advient-il de cette idéologie lorsque le mode de production dominant ne parvient plus à as­surer le minimum de bien-être et que la société s'enfonce dans l'anarchie, la misère et la désolation ? Lorsque les sacrifices les plus difficiles n'apportent plus aucune compensation aux exploités ?

Les idées dominantes se trouvent alors quotidiennement contredites par la réalité elle-même. Leur pouvoir de convic­tion s'amenuise dans le même mouvement. Suivant un pro­cessus toujours complexe, plus ou moins rapide, jamais li­néaire, fait d'avancées et de reculs qui traduisent les vicissi­tudes de la crise économique et du rapport de forces entre les classes, les "valeurs morales" de la classe dominante s'écroulent sous les coups mille fois répétés de la réalité qui les dément.

Ce ne sont pas de nouvelles idées qui détruisent les anciennes, c'est la réalité qui les vide de leur pouvoir mystificateur.

  • "La morale, la religion, la métaphysique et toute autre idéo­logie, ainsi que les formes de conscience qui leur correspon­dent, ne conservent plus l'apparence d'autonomie. Elles n'ont pas d'histoire ; elles n'ont pas d'évolution ; ce sont les hommes qui, en développant la production matérielle et les relations matérielles, transforment en même temps leur propre réalité, leur manière de penser et leurs idées." Marx[10] [30]

[30]

C'est l'expérience de deux guerres mondiales et des dizaines de guerres locales, la réalité de près de 100 millions de morts, pour rien, en trois quarts de siècle, qui ont porté les coups les plus dévastateurs, surtout dans le prolétariat des pays euro­péens, contre l'idéologie patriotique. C'est le développement de la misère la plus effroyable, dans les pays de la périphérie capitaliste, et de plus en plus dans les principaux centres in­dustriels, qui détruit les illusions sur les bienfaits des lois éco­nomiques capitalistes. C'est l'expérience de centaines de luttes "trahies", systématiquement sabotées par les syndicats qui ruine le pouvoir idéologique de ceux-ci et explique, dans les pays les plus avancés, la désaffection de plus en plus mas­sive des syndicats par les ouvriers. C'est la réalité de l'identité de pratique des partis politiques "démocratiques", de droite ou de gauche, qui n'a cessé d'éroder le mythe de la démocratie bourgeoise et conduit dans les plus vieux pays "démocra­tiques" à des records historiques d'abstention aux élections. C’est l'incapacité croissante du capitalisme d'offrir une autre perspective que celle du chômage et de la guerre qui fait s'effondrer les anciennes valeurs morales qui chantent les louanges de la fraternité capital-travail.

Les "nouvelles recompositions idéologiques" dont parle le GCI, ne désignent que les efforts de la bourgeoisie pour tenter de redonner vigueur à ses vieilles valeurs morales, en les re­couvrant d'une couche de maquillage plus ou moins sophisti­qué. Cela peut tout au plus freiner le mouvement de décompo­sition idéologique -en particulier dans les pays les moins dé­veloppés où l'expérience historique de la lute de classe est moindre[11] [31]- en aucun cas l'inverser, ni même l'arrêter.

Les idées de la bourgeoisie, et leur emprise, ne sont pas plus indécomposables que ne le furent celles des seigneurs féodaux ou des maîtres d'esclaves en leur temps, n'en déplaise aux gardiens de l'orthodoxie "invariantiste".

Enfin, pour conclure sur la défense intransigeante par le GCI de la qualité indestructible des idées des bourgeois, quelques mots sur la référence aux hommes de droite. Le GCI, avec sa puissante capacité d'analyse, a remarqué que certains bour­geois "de droite", en France, constatent l'effritement des va­leurs morales de leur classe. Le GCI en déduit de quoi faire un amalgame, un de plus, avec "les décadentistes". Pourquoi ne pas amalgamer ces derniers avec les pygmées, puisque, tout comme les "décadentistes", ils constatent que le soleil se lève tous les matins ? Il est normal que les fractions de droite af­firment plus aisément la décomposition du système idéolo­gique de leur classe : ce n'est là que le pendant complémen­taire des politiciens de gauche, dont la tâche essentielle est de tenter d'entretenir en vie cette idéologie moribonde, en la pré­sentant déguisée de verbiage "ouvrier" et "anticapitaliste". Ce n'est pas par hasard si la "popularité" de Le Pen et de son "Front National" est le résultat d'une opération politique et médiatique, soigneusement organisée par le Parti socialiste de Mitterrand.

Nous ne sommes plus à la fin du 19ème siècle, lorsque les crises économiques s'atténuaient de plus en plus, que les arts et les sciences se développaient de façon exceptionnelle, les prolétaires voyant leur conditions d'existence s'améliorer ré­gulièrement sous la pression de leurs organisations écono­miques et politiques de masses. Nous sommes à l'époque d'Auschwitz, d'Hiroshima, du Biafra, et du chômage massif et croissant pendant 30 ans sur 75.

L'idéologie dominante n'a plus l'emprise qu'elle avait au dé­but de ce siècle, lorsqu'elle pouvait se permettre de faire croire à des millions d'ouvriers que le socialisme pourrait être le produit d'une évolution pacifique et quasi naturelle du ca­pitalisme. Dans la décadence du capitalisme, l'idéologie do­minante doit de plus en plus être imposée par la violence des manipulations médiatiques, précisément parce qu'elle peut de moins en moins s'imposer autrement.

Le développement des moyens de manipulation idéologique

Le GCI fait une constatation banale mais vraie :

  • "La bourgeoisie, même avec sa vision limitée (limitée du point de vue de son être de classe) a tiré énormément de leçons du passé et à renforcé, affiné en conséquence l’utilisation de ses armes idéologiques".

C’est un fait indéniable. Mais le GCI n'en comprend ni l’origine, ni la signification.

Le GCI confond renforcement de l'idéologie dominante et renforcement des instruments de sa diffusion. Il ne voit pas que le développement de ces derniers est le produit de la fai­blesse de cette idéologie, de la difficulté pour la classe domi­nante à maintenir "spontanément" son pouvoir. Si la bour­geoisie a dû multiplier au centuple ses dépenses en propa­gande depuis la 1ère guerre mondiale, ce n'est pas par un su­bit désir pédagogique, mais parce que, pour maintenir son pouvoir, la classe dominante a dû imposer aux classes exploitées des sacrifices sans précédent, et faire face à la pre­mière vague révolutionnaire internationale.

Le début du développement vertigineux des instruments idéologiques de la bourgeoisie date précisément de la période d'ouverture de la décadence capitaliste. La première guerre mondiale est la première guerre "totale", la première qui se fait par une mobilisation de la totalité des forces productives de la société en vue du but guerrier. Il ne suffit plus d'embrigader idéologiquement les troupes au front, il faut en outre encadrer, et de la façon la plus stricte, l'ensemble des classes productives. C'est à ce travail que les "syndicats ouvriers' se transformeront définitivement en rouages de l'Etat capitaliste. Un travail d'autant plus rude que jamais guerre n'avait été aussi absurde et destructrice et que le pro­létariat se lançait dans sa première tentative révolutionnaire internationale.

Au cours de la période de l'entre-deux guerres, la bourgeoisie, confrontée à la plus violente crise économique de son histoire et à la nécessité de préparer une nouvelle guerre, va systéma­tiser et développer encore les instruments de la propagande politique, en particulier "l'art" de la manipulation des masses : Goebbels et Staline ont laissé à la bourgeoisie mondiale des traités pratiques qui demeurent aujourd'hui les références de base de tout "publiciste" ou "manipulateur" des médias. "Un mensonge répété mille fois devient une vérité" enseignait le principal responsable de la propagande hitlérienne.

Après la seconde guerre mondiale, la bourgeoisie va disposer d'un nouvel instrument redoutable : la télévision. L'idéologie dominante à domicile distillée quotidiennement pour chaque cerveau par les services des gouvernements et des marchands les plus puissants. Présenté comme un luxe, les Etats sauront en faire le plus puissant instrument de manipulation idéologique.

La bourgeoisie a bien "renforcé et affiné l'utilisation de ses armes idéologiques", mais, contrairement aux affirmations du GCI, premièrement, cela n'a pas empêché l'usure et la dé­composition de l'idéologie dominante, deuxièmement ce phé­nomène est le produit direct de la décadence du capitalisme.

Ce développement du totalitarisme idéologique se retrouve aussi dans la décadence des sociétés passées, tel que l'esclavagisme antique et le féodalisme. Dans l'empire romain décadent, la divinisation de la charge d'empereur ainsi que l'imposition du christianisme comme religion d'Etat, dans le féodalisme du Moyen-Âge, la monarchie de droit divin et l'emploi systématique de l'inquisition en sont des manifesta­tions parmi d'autres, Mais elles n'y traduisaient pas plus que dans le capitalisme un quelconque renforcement de l'idéologie, une plus grande adhésion de la population aux idées de la classe dominante. Au contraire.

La spécificité de la décadence capitaliste

 Il faut noter ici, encore une fois, l'importance des différences entre la décadence du capitalisme et celles des sociétés qui l'ont précédée en Europe. Tout d'abord, la décadence capita­liste est un phénomène aux dimensions mondiales, qui touche simultanément, même si dans des conditions différentes, tous les pays. Celle des sociétés passées reste toujours un phéno­mène local.

Ensuite, le déclin de l'esclavagisme antique, tout comme celui de la féodalité, se fait en même temps que le surgissement, au sein de l'ancienne société et coexistant avec elle, du nouveau mode de production. C'est ainsi que les effets de la décadence romaine sont atténués par le développement simultané de formes économiques de type féodal. C'est ainsi que ceux de la féodalité décadente le sont par le développement du commerce et des rapports de production capitalistes à partir des grandes villes.

Par contre, le communisme ne peut pas coexister avec le ca­pitalisme décadent, ni même commencer à s'instaurer, sans avoir auparavant réalisé une révolution politique - le proléta­riat commence sa révolution sociale 1à où les précédentes ré­volutions la terminaient : la destruction du pouvoir politique de l'ancienne classe dominante.

Le communisme n'est pas l'oeuvre d'une classe exploiteuse qui pourrait, comme par le passé, partager le pouvoir avec l'ancienne classe dominante. Classe exploitée, le prolétariat ne peut s'émanciper qu'en détruisant de fond en comble le pouvoir de cette dernière. Il n'y a aucune possibilité que les prémices de nouveaux rapports, communistes, puissent venir alléger, limiter les effets de la décadence capitaliste.

C'est pourquoi la décadence capitaliste est beaucoup plus violente, destructrice, barbare que celle des sociétés passées.

A côté des moyens développés par la bourgeoisie pour assurer son oppression idéologique, ceux des plus délirants empereurs romains décadents, ou des plus cruels des inquisiteurs féo­daux, apparaissent comme des jeux d'enfants. Mais ces moyens sont à la mesure du degré de pourriture interne atteint par l'idéologie du capitalisme décadent.

"Les hommes prennent conscience de ce conflit et le poussent jusqu'au bout."

 Mais il n'y a pas que l'idée d'une décomposition de l'idéologie dominante ou de l'écroulement des valeurs mo­rales qui choque le GCI. Pour les prêtres de l'invariance, par­ler de manifestations de la décadence au niveau des formes philosophiques, artistiques, etc. c'est encore du "moralisme".

Encore une fois on ne peut que se demander pourquoi le GCI tient-il tellement à continuer à se réclamer du marxisme. Comme on l'a vu, non seulement Marx en parle, mais il y voit un domaine particulièrement crucial: "les formes idéolo­giques, dans lesquelles les hommes prennent conscience de ce conflit et le poussent jusqu'au bout."

Pour le marxisme "les hommes" sont déterminés par les rapports entre les classes. Aussi la façon dont se manifeste la prise de conscience du conflit entre les rapports de production existants et la nécessité du développement des forces produc­tives, est différente suivant qu'il s'agisse de telle ou telle classe.

Pour la classe dominante, la prise de conscience de ce conflit se traduit sur le plan politique et juridique par un blindage de son Etat, par un durcissement et une généralisation totalitaire du contrôle de l'Etat, des lois, sur toute la vie sociale. C'est le capitalisme d'Etat, le féodalisme de la monarchie absolue, c'est l'Empire de droit divin. Mais, simultanément, la vie so­ciale plonge de plus en plus dans l'illégalité, dans la corrup­tion généralisée, dans le brigandage. Depuis les trafics de la première guerre mondiale qui ont fait et défait des fortunes colossales, le capitalisme mondial n'a cessé de développer toutes les formes de trafics : drogue, prostitution, armes jusqu'à en faire devenir une source de financement permanent (par exemple pour les services secrets des grandes puissances) et, dans le cas de certains pays, la première source de revenu. La corruption sans limites, le cynisme, le machiavélisme le plus sordide et sans scrupules sont devenus des qualités indis­pensables pour survivre au sein d'une classe dominante qui s'entre-déchire d'autant plus violemment que les sources de richesse se tarissent.

Pour les artistes, philosophes et certains religieux, qui font en général partie des classes moyennes, la perte d'avenir de leur maîtres, qu'ils ressentent probablement avec une plus grande sensibilité que leurs employeurs eux mêmes, ils ont tendance à l'assimiler à leur propre fin et à la fin du monde. Le blocage du développement matériel par les contradictions des lois so­ciales dominantes, ils l'expriment par le pire pessimisme.

Voici comment formulait ce sentiment, Albert Camus, prix Nobel de littérature 1957, au lendemain de la 2ème guerre mondiale, dans la décennie des guerres de Corée, d'Indochine, de Suez, d'Algérie, etc.: "L'unique donnée est pour moi l'absurde. Le problème est de savoir comment en sortir et si le suicide doit se déduire de cet absurde."

Une sorte de "nihilisme" se développe, refusant à la raison toute possibilité de comprendre et de maîtriser le cours des choses. Le mysticisme, en tant que négation de la raison se développe. Et ici encore c'est un phénomène qui marque les décadences passées. Ainsi dans la décadence féodale du 14ème siècle :

  • "Le temps du marasme voit éclore le mysticisme sous toutes ses formes. Il est intellectuel avec les Traités de l'art de mou­rir et, surtout, l'Imitation de Jésus Christ. Il est émotionnel avec les grandes manifestations de la piété populaire exacer­bée par la prédication d'éléments incontrôlés du clergé men­diant: les 'flagellants' parcourent les campagnes, se déchi­rant la poitrine à coups de lanière sur la place des villages, afin de frapper la sensibilité humaine et d'appeler les chré­tiens à la pénitence. Ces manifestations donnent le jour à une imagerie d'un goût souvent douteux, comme ces fontaines de sang qui symbolisent le Rédempteur. Très rapidement le mou­vement tourne à l'hystérie et la hiérarchie ecclésiastique doit intervenir contre les fauteurs de trouble, pour éviter que leur prédication n'accroisse encore le nombre de vagabonds. (...) L'art macabre se développe (...) un texte sacré l'emporte alors dans la faveur des esprits les plus lucides : l'Apocalypse "[12] [32].

Alors que dans les sociétés passées le pessimisme dominant se trouvait contrebalancé, après un certain temps, par l'optimisme engendré du fait de l'émergence d'une nouvelle société, dans le capitalisme décadent, la chute semble sans fond.

La décadence capitaliste détruit les anciennes valeurs, mais la bourgeoisie sénile n'a rien d'autre à offrir sinon le vide, le ni­hilisme. "Dont think !", "Ne pensez pas !" Telle est la seule ré­ponse que peut désormais offrir le capitalisme en décomposi­tion à la question des plus désespérés : "No future !".

Une société qui bat des records historiques de suicide, parmi les jeunes en particulier, une société où l'Etat est contraint, dans une capitale comme Washington, d'instaurer le couvre-feu contre les jeunes, les enfants, afin de limiter l'explosion du banditisme, est une société bloquée, en décomposition. Elle n'avance plus. Elle recule. C'est cela "la barbarie". Et c'est cette barbarie qui s'exprime dans le désespoir, ou dans la révolte, qui traverse les formes artistiques, philosophiques, religieuses depuis des décennies.

Dans l'enfer que devient pour les hommes une société en proie à la décadence de son mode de production, seule l'action de la classe révolutionnaire est porteuse d'espoir. Dans le cas du capitalisme cela se vérifie plus qu'en toute autre occasion.

Toute société soumise à la pénurie matérielle, donc toutes les formes de sociétés ayant existé jusqu'à présent, est organisée de sorte que la première des priorités sont d'assurer la subsis­tance matérielle de la communauté. La division de la société en classes n'est pas une malédiction tombée du ciel, mais le fruit du développement de la division du travail en vue de subvenir à cette première nécessité. Les rapports entre les hommes depuis la façon de se répartir les richesses créées, jusqu'à la façon de vivre l'amour, toutes les relations hu­maines sont médiatisées par leur mode d'organisation économique.

Que la machine économique vienne à se bloquer et c'est le lien, la médiation, le ciment des relations entre les hommes qui s'effrite, se décompose. Que l'activité productive cesse d'être créatrice d'avenir et ce sont les activités humaines dans leur quasi-totalité qui semblent perdre leur sens historique.

Dans le capitalisme l'importance de l'économie dans la vie sociale atteint des degrés inégalés auparavant. Le salariat, le rapport entre le prolétaire et le capital est de tous les rapports d'exploitation de l'histoire, le plus dépouillé de toute relation non-marchande, le plus impitoyable. Même dans les pires conditions économiques, les maîtres d'esclaves ou les sei­gneurs féodaux nourrissaient leurs esclaves et serfs, comme leur bétail. Dans le capitalisme, le maître ne nourrit l'esclave que pour autant qu'il en a besoin pour ses affaires. Pas de pro­fit, pas de travail, pas de rapport social. L'atomisation, la so­litude, l'impuissance. Les effets du blocage de la machine économique sur la vie sociale sont, dans le cas de la déca­dence capitaliste beaucoup plus profonds que dans celle des sociétés passées. La désagrégation de la société que provoque la crise économique engendre des retours à des formes de rapports sociaux primitifs, barbares : la guerre, la délinquance comme moyen de subsistance, la violence omniprésente, la répression brutale[13] [33].

Dans ce marasme, seul est porteur d'avenir le combat contre le capitalisme qui détruit toute perspective autre que celle de l'autodestruction généralisée. Seul est unificateur et créateur de véritables rapports humains, le combat contre le capita­lisme qui les aliène et les atomise. Ce combat, c'est le proléta­riat qui en est le principal protagoniste.

C'est pourquoi la conscience de classe prolétarienne, telle qu'elle s'affirme lorsque le prolétariat agit comme classe, telle qu'elle est développée par les minorités politiques révo­lutionnaires, est la seule qui peut "regarder le monde en face", la seule qui soit une véritable "prise de conscience" du conflit dans lequel se trouve bloquée la société.

Le prolétariat l'a montré pratiquement en portant ses luttes re­vendicatives à leurs dernières conséquences, dans la vague ré­volutionnaire internationale ouverte par la prise de pouvoir du prolétariat en Russie 1917. Il réaffirma alors clairement le projet dont sont porteurs les prolétaires du monde entier : le communisme.

L'activité organisée des minorités révolutionnaires, en mettant systématiquement en évidence les causes de cette décompo­sition, en dégageant la dynamique générale qui conduit à la révolution communiste, constitue un facteur décisif de cette prise de conscience.

C'est essentiellement dans et par le prolétariat que "les hommes prennent conscience de ce conflit et le poussent jusqu'au bout".

Décomposition de l'idéologie dominante : développement des conditions de la révolution

Pour la classe révolutionnaire, il ne sert à rien de se lamenter sur les misères de la décadence capitaliste. Elle doit au contraire voir dans la décomposition des formes idéologiques de la domination capitaliste, un facteur qui dégage les prolé­taires de l'emprise idéologique du capital. Elle constitue un danger lorsque le prolétariat se laisse aller à la résignation et à la passivité. La lumpénisation des jeunes prolétaires chômeurs, l'autodestruction par la drogue ou la soumission au "chacun pour soi" préconisé par la bourgeoisie, sont des dan­gers d'affaiblissement réels pour la classe ouvrière. (Voir "La décomposition du capitalisme", Revue Internationale n° 57). Mais la classe révolutionnaire ne peut porter son combat jusqu'au bout sans perdre ses dernières illusions sur le sys­tème dominant. La décomposition de l'idéologie dominante fait partie du processus qui y conduit.

Par ailleurs cette décomposition a des effets sur les autres parties de la société. La domination idéologique de la bour­geoisie sur l'ensemble de la population non-exploiteuse, en dehors du prolétariat, s'en trouve aussi affaiblie. Cet affaiblis­sement n'est pas en lui même porteur d'avenir : la révolte de ces couches, sans l'action du prolétariat, ne conduit qu'à la multiplication des massacres. Mais, lorsque la classe révolutionnaire prend l'initiative du combat, cela lui permet de compter sur la neutralité, voire l'appui de ces couches.

Il ne peut y avoir de révolution prolétarienne triomphante si les corps armés de la classe dominante ne sont pas eux-mêmes décomposés. Si le prolétariat doit affronter une armée qui continue d'obéir inconditionnellement à la classe dominante, son combat est condamné d'avance. Trotsky en faisait une loi déjà au lendemain des luttes révolutionnaires en Russie en 1905. C'est d'autant plus vrai aujourd'hui, après des décennies de développement de l'armement par la bourgeoisie dé­cadente. Le moment où les premiers soldats refusent de tirer sur des prolétaires en lutte, constitue toujours un moment dé­cisif dans un processus révolutionnaire. Or seule la décompo­sition des valeurs idéologiques de l'ordre établi, jointe à l'action révolutionnaire du prolétariat, peut provoquer la dés­agrégation de ces corps armés. Pour cela encore, le prolétariat ne saurait "voir dans la misère que la misère".

                                  ***

Le CCI, pour qui la révolution est et a toujours été à l'ordre du jour, ne comprend pas plus les changements dans les formes idéologiques dominantes, qu'il ne voit se mouvoir quoi que ce soit dans son univers "invariant". Mais ce faisant, il s'interdit de comprendre le véritable mouvement qui conduit à la révolution.

La décomposition des formes idéologiques du capitalisme est une manifestation criante de la mise à l'ordre du jour de l'histoire de la révolution communiste mondiale. Elle fait par­tie du processus où mûrissent la conscience de la nécessité de la révolution et où se créent les conditions de sa possibilité.

RV

 

 

[1] [34] Revue Internationale n° 48,49, 50, 54, 55, 56.

[2] [35] Avant-propos de la critique de l'économie politique ; Ed. La Pléiade, T.1.

[3] [36] Ibid

[4] [37] Ibid

[5] [38] Voir les articles Précédents de cette série.

[6] [39] Célèbres personnages de la droite en France

[7] [40] Le communiste n° 23.

[8] [41] L'Idéologie allemande, "Feuerbach, conception matérialiste contre conception idéaliste" ; Ed. La Pléiade, T. 3.

[9] [42] Ibid.

[10] [43] Ibid.

[11] [44] Les exemples concrets de "nouvelle recomposition idéologique" données par le GCI se réfèrent pour la plupart à des pays moins développés : "renaissance de l'Islam", "le retour de nombreux pays anciennes 'dictatures fascoïdes' au 'libre jeu des droits et libertés démocratiques', Grèce, Espagne, Portugal, Argentine. Brésil, Pérou, Bolivie ...". Ce faisant, "l'invariance" ignore la décomposition croissante de ces mêmes valeurs dans les pays de plus longue tradition et concentration prolétarienne, tout comme la rapidité avec laquelle elles s’usent dans leurs nouveaux lieux d’application. Mais il est difficile de voir l’accélération de l’histoire, lorsqu’on la croit « invariante ».

[12] [45] J. Favier, De Marco Polo à Christophe Colomb.

[13] [46] Le développement massif et dans tous les pays de corps armés spécialisés dans la répression des foules et des mouvements sociaux, est une caractéristique spécifique du capitalisme décadent

 

Approfondir: 

  • Comprendre la décadence du capitalisme [47]

Questions théoriques: 

  • Décadence [3]

A la mémoire de Munis, un militant de la classe ouvrière

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Le 4 février 1989, mourait Manuel Fernandez Grandizo, dit G. Munis. Le prolétariat vient de perdre un militant qui a consacré toute sa vie au combat de classe. Né au début du siècle, c'est très jeune que Munis a commencé sa vie de révolutionnaire comme militant du trotskisme, à une époque où ce courant se trouvait encore dans le camp du prolétariat et menait une lutte acharnée contre la dégénérescence stalinienne des partis de l'Internationale Communiste. Il est membre de l'Opposition, de gauche espagnole (OGE) qui se orée en février 1930 à Liège, en Belgique, autour de F. Garcia Lavid, dit "H. Lacroix". Il milite dans sa section de Madrid où il prend position pour la tendance "Lacroix" en mars 1932 contre le Centre dirigé par Andrés Nin. La discussion au sein de l'Opposition de gauche (OG) portait alors sur la nécessité ou non de créer "un deuxième parti communiste" ou bien de poursuivre l'Opposition aux PC avec pour but de les redresser. Cette dernière position qui était, dans les années 30, la position de Trotsky sera mise en minorité à la troisième Conférence de l'OGE, qui changera alors de nom pour devenir Izquierda Comunista espanola (ICE - Gauche communiste espagnole). Malgré son désaccord, Munis continuera à militer en son sein. La concrétisation de cette orientation de création d'un nouveau parti aboutit à la fondation, en septembre 1934, du POUM, parti centriste, catalaniste et sans principes regroupant l'ICE et le Bloc ouvrier et paysan (BOC) de J. Maurin. Munis s'oppose alors avec une poignée de camarades à la dissolution des révolutionnaires dans le POUM et fonde le Groupe B-L d'Espagne (Bolchevique-léniniste).En 1936 au milieu de la dispersion des révolutionnaires espagnols, il reforme le groupe B-L qui avait disparu, et surtout, il participe avec beaucoup de courage et de décision, aux côtés des "Amis de Durruti", à l'insurrection des ouvriers de Barcelone en Mai 1937 contre le gouvernement de Front populaire. Arrêté en 1938, il réussit à s'évader des prisons staliniennes en 1939.Le déclenchement de la 2ème guerre impérialiste mondiale conduit Munis à rompre avec le trotskisme sur la question de la défense d'un camp impérialiste contre un autre et à adopter une position internationaliste claire de défaitisme révolutionnaire contre la guerre impérialiste. Il dénonce la Russie comme pays capitaliste ce qui aboutit à la rupture de la section espagnole d'avec la IV° internationale à son 1er congrès d'après guerre en 1948 (c.f. "Explication y Uamaminento a los militantes, grupos y secciones de la IV° international", septembre 1949). Après cette rupture, son évolution politique en direction d'une plus grande clarté révolutionnaire se poursuivra, en particulier sur la question syndicale et la question parlementaire, à la suite notamment des discussions avec les militants de la Gauche Communiste de France. Cependant, le "Second Manifeste Communiste" qu'il publie en 1965 (après qu'il ait été emprisonné en 1952 pendant quelques années dans les geôles franquistes) témoigne de sa difficulté à rompre complètement avec la démarche trotskiste, bien que ce document se situe clairement sur un terrain de classe prolétarien. En 1967, il participe, en compagnie de camarades d'"Internacionalismo", à une prise de contact avec le milieu révolutionnaire en Italie. Aussi, à la fin des années 60, avec le resurgissement de la classe ouvrière sur la scène de l'histoire, il sera sur la brèche aux côtés des faibles forces révolutionnaires existantes, dont celles qui vont fonder "Révolution Internationale". Au début des années 70, il reste malheureusement à l'écart de l'effort de discussion et de regroupement qui allait notamment aboutir, en 1975, à la constitution du Courant Communiste International. En revanche, le Ferment Ouvrier Révolutionnaire (FOR), l'organisation qu'il avait fondée autour des positions du "Second Manifeste", sera partie prenante de la première Conférence des Groupes de la Gauche Communiste qui s'est tenue en 1977 à Milan. Mais cette attitude sera remise en cause à la deuxième Conférence, où le FOR se retire dès l'ouverture, ce qui exprime une démarche d'isolement sectaire qui a prévalu jusqu'à aujourd'hui dans cette organisation. Il est donc clair que nous avions des divergences très importantes avec le FOR, ce qui nous a conduit à polémiquer en de nombreuses reprises avec cette organisation dans notre presse (voir notamment l'article de la Revue Internationale n° 52). Cependant, malgré les erreurs sérieuses qu'il a pu commettre, Munis est resté jusqu'au bout un militant profondément fidèle au combat de la classe ouvrière. Il était un de ces très rares militants qui ont résisté à la pression de la plus terrible contre-révolution qu'ait subit le prolétariat dans son histoire, alors que beaucoup désertaient le combat militant ou même trahissaient, pour être présent aux côtés de la classe ouvrière lors de la reprise historique de ses combats à la fin des années 60.C'est à ce militant du combat révolutionnaire, à sa fidélité au camp prolétarien et à son engagement indéfectible que nous voulons rendre hommage. A ses camarades du FOR, nous adressons notre salut fraternel.

RI

 

Courants politiques: 

  • Gauche Communiste [48]

Contribution pour une histoire du mouvement révolutionnaire : histoire de la gauche germano-hollandaise

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L'histoire de la gauche communiste internationale depuis le début du siècle, telle que nous avons commencé à la relater dans les brochures sur La Gauche communiste d'Italie, n'est pas seulement un travail d'historien. Ce n'est que d'un point de vue militant, du point de vue de l'engagement dans le combat de la classe ouvrière pour son émancipation que peut être abordée l'histoire du mouvement ouvrier, histoire dont la connaissance, pour la classe ouvrière, n'est pas affaire de savoir, mais d'abord et avant tout une arme de son combat pour les luttes du moment et à venir, par les leçons du passé qu’elle enseigne.

C'est de ce point de vue militant que nous publierons, comme contribution pour une histoire du mouvement révolutionnaire, une brochure sur La gauche communiste germano-hollandaise, qui paraîtra dans le courant de cette année. C'est ce point de vue de comment nous avons abordé cette histoire qui est présenté ci-dessous dans l'introduction à cette brochure.

INTRODUCTION A L'HISTOIRE DE LA GAUCHE GERMANO-HOLLANDAISE

Franz Mehring, auteur réputé d'une biographie de Marx et d'une histoire de la social-démocratie allemande, compagnon d'armes de Rosa Luxemburg, soulignait en 1896 -dans la Neue Zeit - toute l'importance que revêt pour le mouvement ouvrier la réappropriation de son propre passé :

"C'est un avantage qu'a le prolétariat, par rapport à tous les autres partis, de pouvoir puiser sans cesse de nouvelles forces dans l'histoire de son propre passé pour mener la lutte du présent et atteindre le nouveau monde du futur. "

L'existence d'une véritable "mémoire ouvrière" traduit un effort constant du mouvement ouvrier, dans sa dimension révolutionnaire, pour se réapproprier son propre passé. Cette réappropriation est indissociablement liée à l'auto développement de la conscience de classe, qui se manifeste pleine­ment dans les luttes massives du prolétariat. Et Mehring notait dans le même article que "comprendre c'est dépasser" (auflieben), dans le sens de conserver et d'assimiler les éléments d'un passé qui portent en germe le futur d'une classe historique, d une classe qui est la seule classe historique en étant porteuse du "nouveau monde du futur". Ainsi, on ne peut guère comprendre l'émergence de la Révolution russe d'octobre 1917 sans les expériences de la Commune de Paris et de 1905 en Russie.

Considérant que l'histoire du mouvement ouvrier ne peut se réduire à une suite d'images d'Epinal, faisant revivre de façon colorée un passé révolu, et encore moins à des études acadé­miques où "le passé du mouvement ainsi miniaturisé en des études minutieuses, pédantes, privées de toute perspective gé­nérale, isolées de leur contexte, n'est susceptible de susciter qu'un intérêt fort limité" (G. Haupt, L'Historien et le mouve­ment social), nous avons fait le choix dans notre travail d'aborder l'histoire du mouvement ouvrier révolutionnaire germano-hollandais en tant que praxis. Nous faisons nôtre cette définition donnée par G. Haupt. Considérée comme l'expression d'un "matérialisme militant" (Plékhanov), cette praxis se définit comme un "laboratoire d'expériences, d'échecs et de succès, champ d'élaboration théorique et stra­tégique, où rigueur et examen critique s’imposent pour fixer la réalité historique et par là même découvrir ses ressorts cachés, pour inventer donc innover à partir d'un moment historique perçu comme expérience." (Haupt, Ibid.)

Pour le mouvement ouvrier révolutionnaire, l'histoire de son propre passé n'est pas "neutre". Elle implique une constante remise en question et donc assimilation critique de son expé­rience passée. Le bouleversement révolutionnaire dans la praxis du prolétariat est sous-tendu finalement par un boule­versement en profondeur de la conscience de classe. Seul l'examen critique du passé, sans dogmes ni tabous, peut re­donner au mouvement ouvrier révolutionnaire cette dimension historique caractéristique d'une classe ayant une finalité, sa libération et celle de l'humanité. Rosa Luxemburg définissait ainsi la méthode d'investigation par le mouvement ouvrier de son propre passé :

"Il n'existe pas de schéma préalable, valable une fois pour toutes, pas de guide infaillible pour lui montrer (au proléta­riat) les voies sur lesquelles il doit s'engager. Il n'a pas d'autre maître que l’expérience historique. Le chemin de croix de sa libération n'est pas pavé seulement de souffrances sans bornes, mais aussi d'erreurs innombrables. Son but, sa libération, il l'atteindra s'il sait tirer l'enseignement de ses propres erreurs" (R. Luxemburg, La crise de la social-démocratie ; cité par G. Haupt, L'historien et le mouvement social, Maspéro, 1980.)

Alors que l'histoire du mouvement ouvrier, comme praxis, se traduit par une discontinuité théorique et pratique, au contact de l'expérience historique nouvelle, elle se présente aussi comme une tradition jouant un rôle mobilisateur de la conscience ouvrière et alimentant la mémoire collective. Si souvent elle joue un rôle conservateur dans l'histoire du pro­létariat, elle exprime encore plus ce qui demeure de stable dans les acquis théoriques et organisationnels du mouvement ouvrier. Ainsi, la discontinuité et la continuité sont les deux dimensions indissociables de cette histoire politique et sociale de ce mouvement.

Les courants communistes de gauche, issus de la 3e Interna­tionale, comme la Gauche italienne "bordiguiste", d'un côté, et la Gauche communiste hollandaise de Gorter et Pannekoek, de l'autre, n'ont pas échappé à la tentation de se situer unilaté­ralement dans la continuité ou la discontinuité du mouvement ouvrier. Le courant "bordiguiste" a choisi résolument d'affirmer une "invariance" du marxisme et du mouvement ouvrier depuis 1848, une "invariance" de la théorie communiste depuis Lénine. Le courant "conseilliste" des années 1930, aux Pays-Bas, par contre, a fait le choix de nier toute continuité dans le mouvement ouvrier et révolutionnaire. Sa théorie du Nouveau Mouvement ouvrier rejetait dans le néant "l'ancien" mouvement ouvrier, dont l'expérience était jugée négative pour l'avenir. Entre ces deux attitudes extrêmes, se situaient le KAPD de Berlin et surtout "Bilan", la revue de la Fraction italienne en exil en France et en Belgique dans les années 1930. Les deux courants, allemand et italien, tout en innovant théoriquement et en marquant la discontinuité entre le nouveau mouvement révolutionnaire des années 1920 et 1930 et celui qui précéda, dans la social-démocratie, la guerre de 1914-1918, s'orientaient dans la continuité avec le mou­vement marxiste originel. Toutes ces hésitations montrent la difficulté à saisir le courant de la gauche communiste dans sa continuité et sa discontinuité, c'est-à-dire la conservation et le dépassement de leur héritage actuel.

Les difficultés d'une histoire du mouvement révolutionnaire communiste de gauche et communiste de conseils ne tiennent pas seulement au dépassement critique de leur propre histoire. Elles sont surtout le produit d'une histoire, tragique, qui depuis presque soixante années s'est traduite par une disparition des traditions révolutionnaires du mouvement ouvrier, qui avaient culminé avec la Révolution russe et la Révolution en Allemagne. Une sorte d'amnésie collective a semblé s'installer dans la classe ouvrière, sous l'effet de défaites suc­cessives et répétées trouvant leur culmination dans la deuxième guerre mondiale, qui a détruit des générations qui maintenaient vivantes les expériences vécues d'une lutte révolutionnaire et le fruit de décennies d'éducation socialiste. Mais c'est surtout le stalinisme, la contre-révolution la plus profonde qu'ait connue le mouvement ouvrier, avec la dégé­nérescence de la Révolution russe, qui a réussi le mieux à gommer cette mémoire collective, indissociable d'une conscience de classe. L'histoire du mouvement ouvrier, et surtout celle du courant révolutionnaire de gauche dans la 3e Internationale, est devenue une gigantesque entreprise de falsifications idéologiques au service du capitalisme d'Etat russe, puis des Etats qui se bâtirent sur le même modèle après 1945. Cette histoire devenait la glorification cynique du Parti unique au pouvoir et de son appareil étatique et policier. Sous couvert d' 'internationalisme", l'histoire officielle, "révisée", au fur et à mesure des règlements de comptes et des "tour­nants" successifs, devenait un discours étatique et nationaliste, de justification de toute guerre impérialiste et de la terreur, de justification des instincts les plus bas et les plus morbides cultivés sur le sol putréfié de la contre-révolution et de la guerre.

Il vaut la peine, à ce propos, de citer l'historien Georges Haupt, disparu en 1980, qui s'est fait connaître par la probité de ses travaux sur la 2e et la 3e Internationales :

"A l'aide de falsifications inouïes, foulant aux pieds et mépri­sant les réalités historiques les plus élémentaires, le stalinisme a méthodiquement gommé, mutilé, remodelé le champ du passé pour le remplacer par sa propre représentation, ses mythes, son autoglorification. L'histoire du mouvement ouvrier international se fige elle aussi en une collection d'images mortes, truquées, vidées de toute substance, rempla­cées par des copies maquillées où le passé se reconnaît à peine. La fonction que le stalinisme assigne à ce qu'il consi­dère et déclare être l'histoire, et dont la validité sera imposée au mépris de toute vraisemblance, exprime une peur profonde de la réalité historique qu'il s'efforce de masquer, tronquer, déformer systématiquement pour en faire le terrain du conformisme et de la docilité. A l'aide d'un passé imaginaire, fétichisé, privé des éléments rappelant la réalité, le pouvoir cherche non seulement à obstruer la vision du réel mais à tétaniser la faculté de perception elle-même. D'où la nécessité permanente d'anesthésier, de pervertir la mémoire collective, dont le contrôle devient total du moment que le passé se voit traiter en secret d'Etat et l'accès aux documents est interdit."

Enfin, vint la période de mai 1968, le surgissement d'un mou­vement social d'une telle ampleur, qui parcourut le monde de la France à la Grande-Bretagne, de la Belgique à la Suède, de l'Italie à l'Argentine, de la Pologne à l'Allemagne. Nul doute que la période d'éclosions ouvrières dans la période 1968-1974 a favorisé la recherche historique sur le mouvement révolutionnaire. Nombre de livres parurent sur l'histoire des mouvements révolutionnaires du XXe siècle, en Allemagne, Italie, France, Grande-Bretagne. Le fil rouge d'une continuité historique, entre le passé lointain des années 1920 et la pé­riode de mai 1968, apparut évidente à ceux qui ne se laissaient pas abuser par le côté spectaculaire de la révolte étudiante. Bien rares furent cependant ceux qui virent l'existence d'un mouvement ouvrier renaissant de ses cendres, dont l'effet fut le réveil d'une mémoire historique collective, anesthésiée, en­dormie pendant près de quarante années. Pourtant, dans un enthousiasme confus, les références historiques révolution­naires sortaient spontanément et dans une joyeuse profusion de la bouche des ouvriers qui parcouraient les rues de Paris et fréquentaient les Comités d'action, antisyndicaux. Et ces références, ce n'étaient pas les étudiants "gauchistes", historiens et sociologues qui les leur soufflaient dans l'oreille. La mé­moire collective ouvrière évoquait - souvent de façon confuse, et dans la confusion des événements - toute l'histoire du mou­vement ouvrier, ses principales étapes : 1848, la Commune de Paris, 1905, 1917, mais aussi 1936, qui en était l'antithèse avec la constitution du Front populaire. C'est à peine si était évoquée l'expérience décisive de la Révolution allemande (1918-1923). L'idée des conseils ouvriers, préférée à celle de soviets moins purement prolétariens avec leur masse de sol­dats et paysans, apparaissait de plus en plus dans les discus­sions de la rue et dans les comités d'action nés de la vague de grève généralisée.

Le resurgissement du prolétariat sur la scène historique, d'une classe qui était déclarée par certains sociologues "inté­grée" et "embourgeoisée", a largement créé les conditions fa­vorables à une recherche sur l'histoire des mouvements révolutionnaires des années 1920 et 1930. Des études, trop rares, ont été consacrées aux gauches de la 2e et 3e Internationales. Les noms de Gorter et Pannekoek, les sigles KAPD et GIC, à côté de ceux de Bordiga et Damen, sont devenus plus familiers aux éléments se déclarant "ultra-gauche" ou "commu­nistes internationalistes". La chape de plomb du stalinisme était soulevée, mais d'autres formes, plus insidieuses, de tron­cature et de déformation de l'histoire du mouvement révolu­tionnaire sont apparues, avec le déclin du stalinisme. Une historiographie de type social-démocrate, trotskyste, ou pure­ment universitaire - suivant l'air du temps - est apparue, dont les effets sont tout aussi pervers que ceux du stalinisme. L'historiographie social-démocrate, comme la stalinienne, a essayé d'anesthésier et de gommer tout le côté révolutionnaire du mouvement communiste de gauche, pour le réduire à une "chose morte" du passé. Souvent, les critiques de la Gauche communiste à la social-démocratie ont soigneusement été gommées, de façon à en rendre l'histoire tout à fait inoffen­sive. L'historiographie gauchiste, et trotskyste en particulier, a pratiqué de son côté le mensonge par omission, en évitant soi­gneusement de trop parler des courants révolutionnaires à gauche du trotskisme. Beaucoup d'entre eux, quand il fallait inévitablement en parler, la mentionnaient au passage en lui collant l'étiquette - se voulant infamante - d'ultra-gauche, de "sectaire", et renvoyaient à la critique de "l'infantilisme de gauche" par Lénine. Une méthode longtemps pratiquée d'ailleurs par l'historiographie stalinienne. L'histoire devenait celle de leur propre auto-justification, un instrument de légi­timation. Citons de nouveau ce que dit l'historien George Haupt, qui était loin d'être révolutionnaire, à propos de l'historiographie de cette "nouvelle gauche" :

"Il v a une décennie à peine, la ‘nouvelle gauche’ anti réfor­miste et antistalinienne, censeur sévère de l'histoire universitaire quelle rejette comme bourgeoise, affichait une attitude 'traditionnelle' envers l'histoire, retombant dans les mêmes ornières que les staliniens et les social-démocrates en coulant le passé dans le même type de moules. Ainsi les idéologues de l'opposition extraparlementaire (qui ne l'est plus depuis bien longtemps, NDR) dans les années soixante en Allemagne, eux aussi se sont employés à rechercher leur légitimité dans le passé. Ils ont traité l'histoire comme un gros gâteau dont chacun pouvait retrancher un morceau selon son goût ou son appétit'. Erigée en source de légitimité et utilisée comme instrument de légitimation, l'histoire ouvrière reste une sorte de dépôt d’accessoires, de déguisements, où chaque fraction, chaque groupuscule trouve sa référence justificatrice, utili­sable pour les besoins du moment. " (Ibid.)

Des courants révolutionnaires, comme le "bordiguisme" ou le "conseillisme", parce qu'ils n'ont pu échapper au danger du sectarisme, ont fait eux aussi de l'histoire du mouvement révolutionnaire une source de légitimation de leurs concep­tions. Au prix d'une déformation de l'histoire réelle, ils ont opéré un soigneux découpage, écartant toutes les composantes du mouvement révolutionnaire qui n'allaient pas dans leur sens. L'histoire de la Gauche communiste n'était plus celle de l'unité et de l'hétérogénéité de ses composantes, une histoire complexe à écrire dans toute sa globalité et sa dimension internationale, pour mieux en montrer l'unité, mais devenait celle de courants antagonistes et rivaux. Les "bordiguistes" ignoraient superbement l'histoire des Gauches communistes hollandaise et allemande. Quand ils en pariaient, c'était toujours avec un superbe mépris, et comme les trotskystes, ils renvoyaient à la critique "définitive" de Lénine de l'infantilisme de gauche. Ils gommaient soigneusement qu'en 1920 Bordiga, tout comme Gorter et Pannekoek, avait été condamné par Lénine comme "infantile", pour le même rejet du parlementarisme et de l'entrée du PC britannique dans le Labour Party. L'historiographie "conseilliste" a une attitude similaire. Glorifiant l'histoire du KAPD et des Unions -qu'elle réduisait le plus souvent à ses courants "anti­autoritaires" et anarchisants, comme celui de Ruhle -, et surtout celle du GIC, elle ignorait non moins superbement l'existence du courant de Bordiga, celle de la Fraction italienne autour de "Bilan" dans les années 1930. Ce courant était rejeté dans le même sac que le "léninisme". Elle gommait aussi, avec un zèle non moins grand que celui des bordi­guistes, les différences énormes entre la Gauche hollandaise de 1907 à 1927, revendiquant une organisation politique, et le conseillisme des années 1930. L'itinéraire de Pannekoek d'avant 1921 comme après 1927 devenait pour le "conseil­lisme" parfaitement droit. Le communiste de gauche Pannekoek d'avant 1921 était "révisé" à la lumière de son évolution conseilliste.

Outre le sectarisme de ces historiographies bordiguiste et conseilliste, qui se veulent "révolutionnaires" - alors que seule la vérité est révolutionnaire-, on doit souligner l'optique étroitement nationale de ces courants. En réduisant l'histoire du courant révolutionnaire à une composante nationale, choi­sie en fonction de leur "terroir" d'origine, ces courants ont manifesté une étroitesse nationale bornée et un fort "esprit de clocher". Le résultat a été que la dimension internationale de la Gauche communiste a été gommée. Le sectarisme de ces courants est inséparable de leur propre localisme, qui laisse transparaître la soumission inconsciente à des caractéristiques nationales, aujourd'hui révolues pour un véritable mouvement révolutionnaire international.

Vingt ans après mai 1968, le plus grand danger qui menace les tentatives d'écrire une histoire du mouvement révolutionnaire est moins la déformation ou la "désinformation" que la pres­sion idéologique énorme, qui s'est fait ressentir ces dernières années. Cette pression va dans le sens d'une diminution no­table des études et des recherches, dans le cadre universitaire, sur l'histoire du mouvement ouvrier. Pour s'en rendre compte, il suffit de citer les conclusions de la revue Le Mouvement social (n° 142, janvier-mars 1988), revue française connue pour ses recherches sur l'histoire du mouvement ouvrier. Un historien note une baisse sensible, dans cette revue, des ar­ticles consacrés au mouvement ouvrier et aux partis et organi­sations politiques s'en réclamant. Il constate une "baisse ten­dancielle de l'histoire politique 'pure' 60 % des articles au début, 10-15 % aujourd'hui. Depuis 1981, avec sans doute l'érosion de l'"illusion lyrique" sur la gauche au pouvoir, on assiste à une baisse sensible des études dur le communisme en général. Ce "décrochage" a été brutal depuis 1985-1986. Signe plus inquiétant d^me pression idéologique -celle de la bourgeoisie, devant l'incertitude croissante qui ébranle ses soubassements économiques, avec la crise mondiale- l'auteur note qu'une "prépondérance ouvrière (dans cette revue) est lentement grignotée par la montée de la bourgeoisie". Et il conclut par une hausse des études consacrées à l'histoire de la bourgeoisie et des couches non ouvrières. L'histoire du mou­vement ouvrier cède de plus en plus la place à celle de la bourgeoisie et de l'histoire économique tout court.

Ainsi, après toute une période où furent écrites des études sur le mouvement ouvrier et révolutionnaire, dont les limites dans le monde universitaire étaient les semi vérités et les demi mensonges répétés, le gommage de l'histoire du mouvement dans sa dimension révolutionnaire, on assiste à une période de réaction. Même 'neutre', accommodée au goût du jour, même anesthésiante, l'histoire du mouvement ouvrier, surtout quand elle est révolutionnaire, apparaît "dangereuse" pour l'idéologie dominante. C'est que l'histoire politique et idéolo­gique du mouvement révolutionnaire est explosive. Etant une praxis, elle est lourde de leçons révolutionnaires pour le futur. Elle remet en cause toutes les idéologies de la gauche offi­cielle. Leçon critique du passé, elle est lourde d'une critique du présent. Elle est "une arme de la critique", laquelle -comme l'affirmait Marx- peut se changer en "critique des armes". On peut citer à ce propos le même G. Haupt : "...l'histoire est un terrain explosif, dans la mesure où la réalité des faits ou les expériences d'un passé souvent escamoté sont susceptibles de remettre en question toute prétention à la représentation unique de la classe ouvrière. Car l'histoire du monde ouvrier touche le fondement idéologique sur lequel s'appuient tous les partis à vocation d'avant-garde pour maintenir leurs visées hégémoniques." (p. 38, idem).

Cette histoire de la Gauche Communiste germano-hollandaise va à contre-courant de l'historiographie actuelle. Elle ne vise pas une pure histoire sociale de ce courant. Elle veut être une histoire politique, redonnant vie et actualité à tous les débats politiques théoriques qui s'y développèrent. Elle veut replacer dans son cadre international cette Gauche, sans lequel son existence devient incompréhensible. Elle se veut surtout une histoire critique, pour en montrer, sans a priori ni anathème, les lignes de force et de faiblesse. Elle n'est ni une apologie ni un rejet du courant communiste germano-hollandais. Elle veut montrer les racines du courant conseilliste, pour mieux en souligner les faiblesses intrinsèques et expliquer les raisons de sa disparition. Elle veut montrer aussi que l'idéologie du conseillisme traduit un éloignement des conceptions du marxisme révolutionnaire, exprimées dans les années 20 et 30 par le courant bordiguiste et le KAPD. Et en tant que telle cette idéologie, proche de l'anarchisme, peut être particuliè­rement pernicieuse pour le mouvement révolutionnaire futur, par son rejet de l'organisation révolutionnaire et de la Révolution russe, finalement par son rejet de toute l'expérience acquise par le mouvement ouvrier et révolutionnaire du passé. C'est une idéologie qui désarme la classe révolutionnaire et ses organisations.

Bien qu'écrite dans un cadre universitaire, cette histoire est donc une arme de combat. Pour reprendre l'expression de Mehring, elle est une histoire-praxis, une histoire "pour mener la lutte du présent et atteindre le nouveau monde du futur".

Cette histoire n'est donc pas "impartiale". Elle est un travail engagé. Car la vérité historique, quand il s'agit de l'histoire du mouvement révolutionnaire, exige un engagement révolu­tionnaire. La vérité des faits, leur interprétation dans un sens prolétarien, ne peut être que révolutionnaire.

Dans cet ouvrage, nous avons fait nôtres les réflexions de Trotski -dans sa Préface à son "Histoire de la Révolution russe"- sur l'objectivité du travail d'une histoire révolutionnaire :

"Le lecteur n'est pas, bien entendu, obligé de partager les vues politiques de l’auteur, que ce dernier n'a aucun motif de dissimuler. Mais le lecteur est en droit d'exiger qu'un ouvrage d'histoire constitue non pas l'apologie d'une position politique, mais une représentation intimement fondée du processus réel de la révolution. Un ouvrage d'histoire ne répond pleinement à sa destination que si les événements se développent, de page en page, dans tout le naturel de leur nécessité...

"Le lecteur sérieux et doué de sens critique n'a pas besoin d'une impartialité fallacieuse qui lui tendrait la coupe de l'esprit conciliateur, saturée d'une bonne dose de poison, d'un dépôt de haine réactionnaire, mais il lui faut la bonne foi scientifique qui, pour exprimer ses sympathies, ses antipa­thies, franches et non masquées, cherche à s'appuyer sur une honnête étude des faits, sur la démonstration des rapports réels entre les faits, sur la manifestation de ce qu'il y a de rationnel dans le déroulement des faits. Là seulement est pos­sible l'objectivité historique, et elle est alors tout à fait suffisante, car elle est vérifiée et certifiée autrement que par les bonnes intentions de l'historien -dont celui-ci donne d'ailleurs la garantie- mais par la révélation de la loi intime du processus historique."

Le lecteur pourra juger, par l'abondance des matériaux utili­sés, que nous avons visé cette bonne foi scientifique, sans cacher nullement nos sympathies et antipathies.

Ch.

Géographique: 

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Histoire du mouvement ouvrier: 

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Courants politiques: 

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