Entrer en lutte massivement, prendre en mains les luttes
Débutée en automne 1983, la troisième vague de luttes depuis la reprise historique du prolétariat mondial à la fin des années 1960, confirme aujourd'hui son ampleur et sa profondeur. Si durant 1985 on avait pu constater un certain affaiblissement de cette vague de luttes résultant principalement du fait que la bourgeoisie avait mis en œuvre une stratégie d'éparpillement des attaques en vue de morceler les ripostes ouvrières, l'année 1986, notamment avec la Belgique au printemps, a vu le retour de combats massifs répondant au caractère de plus en plus frontal des attaques anti-ouvrières imposées par la poursuite et l'aggravation de l'effondrement économique du capitalisme.
Ce nouveau souffle de la lutte de classe s'est amplement confirmé durant les mois qui viennent de s'écouler : tour à tour la Suède, le France, la Grande-Bretagne, les Pays-Bas, c'est-à-dire des pays parmi les plus avancés et centraux, mais aussi la Grèce, ont été le théâtre de luttes importantes et souvent d'un niveau inconnu depuis des années, voire des décennies. Ces différents combats de classe sont riches d'enseignements qu'il importe que les révolutionnaires soient en mesure de tirer afin d'être un facteur actif dans leur développement
UNE AMBIANCE GENERALE DE COMBATIVITE OUVRIERE
Depuis l'extrême nord de l’Europe occidentale jusqu'à son extrême sud, depuis la Suède « prospère » jusqu'à la Grèce « pauvre » et relativement sous-développée, le prolétariat a engagé le combat de façon déterminée et souvent massive.
En Suède s'est déroulé à partir du début octobre 1986 le troisième mouvement de grèves important en un an et demi, affectant particulièrement les fonctionnaires (près de 30 000 employés de l'Etat et des municipalités), mais s'accompagnant aussi d'une série de grèves sauvages dans d'autres secteurs.
En Grèce, ce sont des mouvements généralisés de grève, impliquant plus de deux millions d'ouvriers qui ont, fin janvier 1987 et surtout courant février, paralysé tout le pays. Industrie, télécommunications, postes, électricité, banques, transports routiers, aériens et maritimes, enseignement et hôpitaux : ce pays n'avait pas connu depuis des décennies un mouvement social d'une telle ampleur.
Cette relative simultanéité des luttes ouvrières dans deux pays aussi éloignés et apparemment aussi différents, met en évidence; l'unité du prolétariat mondial, et notamment celui qui vit et travaille en Europe occidentale, confronté à une morne crise insoluble du capitalisme. Que le niveau de vie des ouvriers dans les pays scandinaves soit de très loin supérieur à celui (les ouvriers en Grèce, que la part de la classe ouvrière dans l'ensemble de la population soit très différente entre ces deux pays n'y change; rien : partout les ouvriers subissent des attaques de plus en plus violentes de la part de la bourgeoisie et de son Etat, partout ils sont contraints d’entrer dans la lutte.
Les attaques extrêmement dures contre lesquelles a réagi la classe ouvrière en Grèce (les plus brutales depuis la chute du régime des colonels en 1974) ne sont pas simplement à l'image de la situation économique catastrophique de ce pays. Elles sont le reflet d'une détérioration considérable de l'économie mondiale depuis près d'une année, qui affecte également ces modèles de « prospérité » que sont les pays Scandinaves, et notamment le plus important d'entre eux, la Suède. Là aussi, les ouvriers subissent des attaques d'une ampleur sans précédent. En 10 ans, les salaires réels ont baissé de 12 %. Ces derniers mois se sont multipliées dans de nombreux secteurs les annonces de licenciements massifs, et pour 1987, le ministre des finances a parlé de 23 000 suppressions d'emplois dans le secteur public (dans un pays comptant moins de 9 millions d'habitants). Comme partout, le mythe de « l'Etat social », particulièrement fort en Suède, s'effondre totalement. Et si dans ce pays, comme dans la plupart des pays les plus avancés (à l'exception de la Belgique au printemps 1986), les luttes n'ont pas encore connu le caractère généralisé qu'elles ont connu en Grèce, c'est principalement parce que sa force industrielle lui a permis jusqu'à présent de s'épargner le niveau de convulsions économiques qui affecte les pays les plus faibles. Mais ce n'est que partie remise. Alors qu au siècle dernier, au moment de la phase ascendante du système capitaliste, c'était le pays le plus développé, la Grande-Bretagne, qui indiquait l'avenir des autres nations, dans la décadence capitaliste, c'est le délabrement total de l'économie des pays les plus faibles qui donne l'image de ce qui attend les pays les plus développés. Et avec l'effondrement économique croissant de ces derniers, avec le déchaînement des attaques anti ouvrières qui en découle, c'est bien le développement de luttes de plus en plus massives et généralisées qui constitue la perspective.
Cette perspective, elle est déjà en germe dans les manifestations de combativité ouvrière qui, au début de 1987, ont pris place dans plusieurs pays centraux d'Europe occidentale.
Ainsi aux Pays-Bas, les ouvriers ont commencé à riposter à un plan d'austérité d'une brutalité sans précédent (voir Revue Internationale n° 47). Et c'est un des secteurs « phares » de la classe ouvrière de ce pays, les dockers de Rotterdam (le plus grand port du monde) qui se trouve directement impliqué. Significatif est le fait que le secteur des containers, qui s'était trouvé en dehors des grèves de 1979 et de 1984, soit cette fois-ci parti en grève sauvage. Par ailleurs, contrairement à la grande grève des dockers de 1979, le mouvement de janvier-février 1987 ne se déroule pas de façon isolée. Des manifestations de solidarité se sont fait jour dans le port d'Amsterdam, et par ailleurs, des grèves ont éclaté simultanément dans diverses entreprises du pays (dans un chantier naval de Rotterdam, à Amsterdam, à Arnhem).
Un autre pays, parmi ceux du cœur de l'Europe occidentale, vient de confirmer les caractéristiques du moment présent de la lutte de classe. Il s'agit d'un des plus significatifs de tous, celui qui concentre les traits les plus marquants de la situation de l'ensemble de cette zone : la Grande-Bretagne.
En effet, ce pays a connu fin janvier et début février, avec la grève de British Telecom, un mouvement d'une grande ampleur affectant jusqu'à 140 000 travailleurs, qui a su associer aussi bien les employés du secteur administratif que les ouvriers du secteur technique, marquant un pas important dans le dépassement du corporatisme du métier traditionnellement très fort au sein de la classe ouvrière en Grande-Bretagne et qui, en particulier, s'est déclenché et développé de façon spontanée en solidarité à l'égard d'ouvriers sanctionnés pour refus d'effectuer des heures supplémentaires. Alors que la grande grève des mineurs de 1984-85 et la grève des ouvriers de l'imprimerie en 1986 étaient restées entièrement, du début jusqu'à la fin, encadrées par les syndicats, le débordement de ces derniers qui s'est exprimé dans ce mouvement récent, le fait qu'ils aient été contraints de courir en permanence après la lutte afin de ne pas se démasquer ouvertement, la reprise du mouvement après que le 11 février, le syndicat ait réussi par ses manœuvres à faire voter la fin de la grève, tous ces traits témoignent d'un processus profond de maturation de la conscience dans la classe ouvrière. De même, cette explosion massive de combativité est le signe que les ouvriers de Grande-Bretagne se sont remis de la relative démoralisation qui avait accompagné la défaite de la grève des mineurs et celle des ouvriers de l'imprimerie. Le fait que cette reprise d'une combativité massive concerne un pays où se trouve la classe ouvrière la plus ancienne du monde, où la bourgeoisie est la plus expérimentée et habile, est un nouveau témoignage de la force du nouveau souffle de la lutte de classe internationale depuis le début 1986.
Mais l'événement le plus significatif de cette situation, après les luttes de Belgique du printemps 1986, est certainement la grève qui a paralysé pendant près d'un mois les transports ferroviaires en France.
Les enseignements de la grève des chemins de fer en France
Alors que depuis l'automne 1983 s'étaient produits des surgissements massifs de la lutte de classe dans pratiquement tous les pays d'Europe occidentale, la classe ouvrière semblait relativement à la traîne en France. Certes les ouvriers de ce pays n'étaient pas restés étrangers au mouvement, et les luttes dans l'automobile fin 1983 et courant 1984, dans la sidérurgie et la construction navale au printemps 1984 constituaient, en compagnie d'autres mouvements de moindre importance, un témoignage du caractère général de la reprise des luttes dans les pays les plus avancés. Cependant on était loin de l'ampleur des mouvements qui avaient affecté des pays comme la Belgique, les Pays-Bas, la Grande-Bretagne ou le Danemark.
Pour certains groupes révolutionnaires, le fait qu'un des secteurs nationaux de la classe ouvrière dont les luttes passées — et en particulier mai 1968 — avaient témoigné de la capacité à mener des combats massifs, n'ait amené à partir de 1983 que des luttes de portée limitée, était un argument pour conclure à une apathie durable des ouvriers dans ce pays et pour sous-estimer l'importance des combats qui se menaient dans le reste de l'Europe. En réalité, ce type d'analyse est à l'opposé de la démarche qui doit être celle des révolutionnaires marxistes dans l'examen des situations historiques. Loin de regarder celles-ci par le petit bout de la lorgnette, les marxistes se sont toujours distingués par leur capacité à déceler derrière des apparences trompeuses les véritables enjeux des situations auxquelles ils étaient confrontés. Le faible niveau des grèves en France n'était nullement le signe de l'absence ni d'un profond mécontentement, ni d'un important potentiel de combativité. D'ailleurs des indices de ce mécontentement et de cette combativité avaient été donnés par les grèves spontanées et de courte durée qui avaient paralysé durant deux jours le trafic ferroviaire national fin septembre 1985 et pendant une journée les transports parisiens deux mois plus tard.
En réalité, il convenait d'analyser cette relative faiblesse de la lutte ouvrière comme le résultat de deux facteurs assez spécifiques de la situation en France.
Le premier de ces facteurs était la relative timidité des attaques anti-ouvrières portées par le gouvernement de gauche PS-PC. Ce gouvernement, s'il s'était montré un fidèle gestionnaire du capital national en accentuant sous le nom de la « rigueur » une réelle politique d'austérité, se trouvait entravé par la présence de tous les partis de gauche à la tête de l'Etat dégarnissant le terrain social : un niveau d'attaques plus élevé risquait fort d'aboutir à une situation complètement incontrôlable par la totalité des syndicats, lesquels soutenaient ce même gouvernement.
Le second de ces facteurs était la stratégie d'immobilisation menée à partir de 1984 et suite au départ du PC du gouvernement par ces mêmes syndicats, et particulièrement la CGT (proche du Parti Communiste), consistant à utiliser contre les luttes le discrédit qui s'était développé à leur égard parmi les ouvriers : leurs appels répétés et radicaux à « l'action » avaient pour résultat justement de détourner de l'action les ouvriers les plus conscients de leur rôle de saboteurs.
Mais derrière la relative passivité ouvrière résultant de cette situation s'accumulait un énorme mécontentement et mûrissait la capacité à transformer en positif le discrédit des syndicats, pour (et non plus contre) le combat de classe.
C'est justement ce qu'a démontré la grève à la SNCF (Chemins de Fer français) à partir de la deuxième moitié de décembre 86.
La grève est partie le 18 décembre dans le dépôt de conducteurs de la gare du Nord de Paris, de façon spontanée, sans préavis auprès de la direction (obligatoire dans le secteur public en France), ni consigne des syndicats, lesquels attendaient l'ouverture de négociations avec la direction prévues le 6 janvier 1987. Ce premier groupe de grévistes bloquait immédiatement le trafic dans le réseau Nord et appelait les autres conducteurs à rejoindre la lutte. En 48 heures, ce sont tous les dépôts (quatre-vingt treize) qui sont touchés et on compte 98 % de grévistes parmi les conducteurs. C'est le mouvement le plus important dans ce secteur depuis mai 1968. Ce mouvement déborde sur d'autres catégories de travailleurs de la SNCF. Bien qu'avec une participation moindre, les « sédentaires » de pratiquement toutes les gares, de tous les ateliers, sont entrés en lutte.
Pendant plusieurs jours, les syndicats sont complètement débordés et prennent position contre la lutte sous prétexte de ne pas gêner les départs en vacances de la période de fin d'année. Même la CGT, qui est le plus « radical » d'entre eux, s'oppose au démarrage du mouvement, allant dans certains dépôts jusqu'à organiser des « piquets de travail » pour casser la grève. Cette attitude des syndicats, l'énorme méfiance qui s'était développée à leur égard depuis des années et particulièrement au cours de l'année écoulée où ils ont écœuré les ouvriers de la SNCF par quatorze « journées d'action » stériles, tout cela permet d'expliquer que d'emblée une des préoccupations majeures de tous les grévistes a été de prendre eux-mêmes en main leur lutte afin d'empêcher les syndicats de la saboter. Partout se tiennent chaque jour des assemblées générales souveraines qui se veulent le seul lieu de prise de décision sur la façon de conduire la lutte. Partout des comités de grève sont élus par les assemblées et sont responsables devant elles. C'est la première fois qu'en France on assiste à un tel niveau d'auto-organisation des luttes. Les grévistes ressentent le besoin d'unifier cette auto-organisation à l'échelle de tout le pays, ce qui aboutit à la création de deux « coordinations » nationales. La première, celle dite de « Paris-Nord » (lieu de ses réunions) regroupe les délégués de près de la moitié des dépôts de conducteurs. La seconde, dite « d'Ivry » (dépôt de la banlieue sud de Paris) est ouverte à toutes les catégories d'ouvriers de la SNCF mais est en même temps moins représentative et beaucoup de ses participants ne sont pas mandatés par les assemblées. Et c'est là que le mouvement exprime ses limites. La coordination de Paris-Nord décide de se limiter aux seuls conducteurs et celle d'Ivry, si elle est plus ouverte, décide à son tour d'interdire l'entrée de ses réunions aux ouvriers d'autres secteurs.
Dans cet enfermement de la lutte, il faut voir évidemment le résultat du travail des instruments les plus radicaux de l'Etat bourgeois : le syndicalisme « de base » et les groupes gauchistes. En effet, ces derniers, tout en faisant dans leur presse de grandes déclarations en faveur de l'extension de la lutte, sont les premiers, sur le terrain, à combattre une telle extension. Ce n'est pas un hasard si la coordination de Paris-Nord, qui se referme aux seuls conducteurs, a pour porte-parole un militant de la « Ligue Communiste Révolutionnaire » (trotskyste) ; si la coordination d'Ivry a pour figure de proue un militant d'un autre groupe trotskyste, « Lutte Ouvrière ». En réalité, si ces groupes bourgeois sont en fin de compte capables de dévoyer le mouvement dans l'impasse de l'isolement c'est qu'il existait encore au sein de la classe ouvrière un fort poids du corporatisme que les gauchistes ont flatté par des propos radicaux du style : « si nous élargissons le mouvement à d'autres secteurs, nos propres revendications spécifiques seront comme d'habitude noyées dans les autres et d'autre part, nous allons perdre le contrôle du mouvement au bénéfice des syndicats qui eux ont une structure à l'échelle de tout le pays ».
L'isolement dans lequel se sont enfermés au bout d'une semaine les travailleurs de la SNCF s'est révélé extrêmement nocif pour la suite du mouvement. Il était d'autant plus grave qu'il existait tout au cours de la fin décembre d'importants mouvements de grève dans les transports parisiens et dans les ports. Ces mouvements avaient été lancés par les syndicats mais témoignaient d'une très forte combativité et méfiance par rapport à ceux-ci. Alors que l'envoi de délégations massives des assemblées de cheminots vers les autres assemblées et secteurs ouvriers, que l'ouverture de leurs propres assemblées à ces autres secteurs auraient pu constituer autant d'exemples de comment lutter pour l'ensemble de la classe ouvrière, de comment s'organiser en dehors des syndicats, l'isolement des cheminots dont l'attitude des deux coordinations était le témoignage, a déterminé la stagnation puis le déclin de leur mouvement après le 25 décembre. Celui-ci avait cessé d'être un facteur dynamique positif dans l'ensemble de la situation en France. Par contre, son épuisement a été l'occasion pour la bourgeoisie de développer une contre-offensive visant à saboter dans les autres secteurs la combativité ouvrière. Le partage des tâches a été systématiquement organisé. En particulier syndicats et gouverneraient ont fait pendant des semaines de la question de la grille des salaires (la Direction voulait remplacer une grille d'avancement à l'ancienneté par une grille d'avancement « au mérite ») le sujet central de leur battage, alors que la question centrale qui concerne tout le secteur public en France est celle d'une baisse continue du pouvoir d'achat qui va encore s'amplifier en 1987. Après avoir affiché son intransigeance sur la « grille », le gouvernement décide le 31 décembre de la « suspendre », ce qui évidemment est salué comme une « victoire » par les syndicats. Comme les cheminots décident après cette date de poursuivre la grève, on voit alors la CGT, sûre désormais de l'échec du mouvement, adopter (suivie par la CFDT d'obédience PS) un langage « jusqu'au-boutiste » qui va se maintenir jusqu'à la fin de la grève à la mi-janvier. Ce même syndicat lance au début janvier une série de grèves dans le secteur public notamment aux Postes et Télécommunications et surtout dans un de ses bastions, l'Electricité et le Gaz (EDF-GDF). C'est au nom de l'extension de la grève des cheminots à tout le secteur public que la CGT lance ses appels. Le fait qu'elle reprenne à ce moment-là un slogan qui en général est celui des révolutionnaires ne signifie évidemment pas que ce syndicat aurait décidé d'un seul coup de défendre les intérêts ouvriers. Ce qu'il cherche par ses appels ce n'est pas l'extension du combat mais l'extension de sa défaite. Plus important sera le nombre des ouvriers engagés dans la lutte dans un moment défavorable et plus cuisante et étendue sera la démoralisation qui en résultera : tel est le calcul de la bourgeoisie. Et c'est en partie ce qu'elle a obtenu dans des secteurs comme EDF-GDF.
Ainsi, malgré son complet débordement au début du mouvement, la bourgeoisie, avec l'ensemble de ses forces se partageant le travail : droite, gauche et gauchistes (lesquels en particulier ont réussi à convaincre les ouvriers les plus méfiants de s'en remettre aux syndicats pour négocier avec le gouvernement) a réussi encore une fois à reprendre les choses en main. Cependant, cette grève a laissé une marque très importante dans la conscience de toute la classe ouvrière en France. Ainsi, dans chaque petit mouvement qui a pu se dérouler par la suite (instituteurs, hôpitaux, etc.), la nécessité d'assemblées générales souveraines s est exprimée et sont apparues des «coordinations» fomentées en général par les gauchistes pour qu'ils puissent en garder le contrôle. Par ailleurs, on assiste à l'heure actuelle à un profond mouvement de réflexion au sein de la classe dont une des manifestations est l'apparition encore timide de comités de lutte ([1] [1]) se donnant pour objectif d'impulser la réflexion parmi les ouvriers dans la perspective des prochains combats.
Le mouvement qui vient de se produire en France, malgré son échec et ses faiblesses, est extrêmement significatif du moment présent des luttes à l'échelle européenne. L'auto-organisation dont il s'est doté avant que gauchistes et syndicats ne viennent la vider de son contenu, l'extrême méfiance qui s'est exprimée à l'égard de ces derniers montrent l'avenir de la lutte de classe à l'échelle internationale. Ces caractéristiques sont particulièrement accentuées en France du fait de la présence au gouvernement pendant trois ans de tous les partis de gauche. En ce sens, les luttes qui viennent de se dérouler en France constituent une confirmation a contrario de la nécessité pour la bourgeoisie de tous les pays, depuis la fin des années 1970, de placer ses forces de gauche dans l'opposition afin d'occuper le terrain social. Elles sont aussi une confirmation du fait que la venue de la gauche au pouvoir en mai 1981 ne résultait nullement d'une stratégie de la bourgeoisie, mais bien d'un accident lié à l'archaïsme de son appareil politique. Cependant, même dans les pays qui ont pu s'éviter ce genre d'accident (c'est-à-dire la grande majorité), l'usure d'un appareil syndical de plus en plus mis à contribution dans le sabotage des luttes ouvrières débouchera de plus en plus vers l'apparition de tels mouvements spontanés et développant leur auto-organisation.
L’intervention des révolutionnaires
Il est clair qu'un mouvement d'une telle importance requiert de la part des organisations révolutionnaires une intervention active afin d'apporter une contribution réelle au développement de la lutte et à la prise de conscience de l'ensemble de la classe.
C'est dès les premiers jours du mouvement qu'une telle intervention active s'avérait nécessaire pour appeler tous les autres secteurs de la classe ouvrière à rejoindre le mouvement. C'est pour cela que notre section en France a publié le 22 décembre un court tract en ce sens largement diffusé et intitulé : « Pour faire reculer l'attaque du gouvernement, élargissons le mouvement, entrons tous ensemble dans la lutte ».
Ensuite, lorsque après le 25 décembre le mouvement a atteint son apogée et a commencé à piétiner, il s'agissait de souligner aux yeux de tous les ouvriers l'impérieuse nécessité de ne pas laisser isolée la grève des cheminots sous peine d'aboutir à une défaite pour l'ensemble de la classe ouvrière. Il fallait en même temps insister particulièrement pour que se développe dans la classe une réflexion approfondie à partir des événements qu'elle vivait depuis une dizaine de jours. C'était la signification du deuxième tract publié le 28 décembre par la section en France du CCI et intitulé « Appel à tous les ouvriers pour élargir et unifier les lunes ».
Enfin, lorsque la lutte s'est achevée, il convenait que les révolutionnaires participent encore activement au processus de réflexion et de décantation qui s'opérait dans la classe en vue de mieux être armée pour les combats futurs. C'était le but du troisième tract publié le 12 janvier par notre organisation, intitulé « Leçons du premier combat ».
Il est clair que l'intervention des révolutionnaires ne peut se limiter à la diffusion de tracts : la vente de la presse sur les lieux de travail, dans les manifestations, les prises de parole dans les assemblées et meetings, les réunions publiques, constituent aussi des moyens importants de cette intervention au cours d'une telle période, moyens que le CCI a tenté d'utiliser le mieux possible malgré ses faibles forces.
Cependant, ce n'est pas une seule organisation du milieu révolutionnaire mais toutes ses organisations qui étaient confrontées à cette nécessité d'une intervention active. Et malheureusement, pour la majorité de celles-ci, cette intervention s'est trouvée une nouvelle fois bien en deçà de ces nécessités lorsqu'elle n'a pas été carrément inexistante.
De cette carence de l'ensemble du milieu politique prolétarien il est nécessaire de tirer plusieurs enseignements.
En premier lieu, une organisation révolutionnaire ne peut être un facteur actif dans le développement des luttes que si elle s'est dotée d'une analyse claire du moment historique dans lequel elles se situent. Lorsqu'on continue de penser que le cours historique est encore à la guerre, que le prolétariat n'est pas encore sorti de la contre-révolution (alors que c'est tout le contraire qui est vrai depuis la fin des années 1960), il n'est pas étonnant qu'on sous-estime complètement l'importance des mouvements présents, qu'on en soit absent ou qu'on y intervienne après la bataille.
En second lieu, il importe que les révolutionnaires soient capables à chaque moment de situer la signification réelle des différents événements auxquels ils sont confrontés : attribuer au mouvement des étudiants de décembre 1986 en France, une valeur « d'exemple » pour les luttes ouvrières de ce pays c'est non seulement confondre 1986 avec 1968, c'est aussi ne pas comprendre la nature profonde, inter-classiste de ce type de mouvement, c'est enfin apporter sa petite contribution aux discours des gauchistes et de toute la bourgeoisie sur le même thème.
En troisième lieu, il est nécessaire que les révolutionnaires soient à chaque moment en mesure de juger de façon précise des situations afin d'y intervenir suivant les formes les plus appropriées. Cette nécessité d'une analyse au jour le jour de l'évolution des situations est évidemment difficile pour les révolutionnaires. Elle ne découle pas mécaniquement de la validité de leurs principes programmatiques ni de la justesse de leur compréhension de la période historique. En particulier, cette capacité résulte aussi, pour une bonne part, de l'expérience concrète acquise par les révolutionnaires dans la lutte.
Pour pouvoir réunir l'ensemble de ces éléments, il est nécessaire que les organisations communistes se conçoivent comme partie prenante des combats actuels de la classe ouvrière. Et c'est sûrement ce qui manque le plus dans le milieu politique prolétarien à l'heure actuelle.
Ce n'est pas de gaieté de cœur que nous faisons ce constat ; le CCI n'est pas intéressé à dénigrer les autres organisations afin de pouvoir souligner ses propres mérites. Nos critiques, sur lesquelles nous reviendrons plus précisément, nous les concevons -comme un appel à tous les révolutionnaires à prendre à bras le corps la responsabilité que la classe leur à confiée et dont l'importance croît de jour en jour en même temps que se développe le mouvement de celle-ci.
Perspectives du développement des luttes
Dans un contexte européen et même mondial (voir l'article dans ce numéro sur les luttes aux USA) le développement des luttes ouvrières, les combats qui se sont déroulés en France à la fin 1986, constituent, après ceux de Belgique au printemps de la même année, un pas important de ce développement. En particulier bien qu'elles aient beaucoup de caractéristiques communes, ces deux luttes ont mis particulièrement en évidence, chacune pour sa part, une des deux nécessités majeures du combat de classe à l'heure actuelle.
Les luttes de Belgique ont souligné la nécessité et la possibilité de mouvements massifs et généralisés dans les pays capitalistes avancés. Les luttes en France sont venues confirmer la nécessité et la possibilité d'une prise en main par les ouvriers de leurs combats, de l'auto-organisation de ceux-ci en dehors des syndicats, contre eux et leurs manœuvres de sabotage.
Ce sont ces deux aspects inséparables du combat ouvrier qui seront de plus en plus présents dans le mouvement de luttes qui a déjà débuté.
FM. 1/3/87
[1] [2] Voir dans Révolution Internationale n°8153 et 154 deux textes publiés par des comités de ce type.
L'entrée du capitalisme dans une nouvelle phase de récession n'épargne pas les USA, chef de file du bloc de l'Ouest et principale puissance économique mondiale. Les difficultés s'accroissent inexorablement pour le capital américain. Et les changements qui s'opèrent à la tête de l'exécutif, à travers le montage médiatique autour de «l'Irangate», visant à préparer la relève de Reagan en maintenant le Parti républicain au gouvernement et le Parti démocrate dans l'opposition, témoignent des préoccupations de la bourgeoisie américaine sur la nécessaire application d'une austérité brutale aux USA. Et cette austérité, comme dans le monde entier, comme en Europe occidentale, le prolétariat américain n'est pas prêt à l'accepter sans réagir. Même si du fait de ses caractéristiques historiques, le prolétariat aux USA n'a pas encore développé ses luttes au niveau atteint depuis quelques années en Europe de l'Ouest, il a montré une combativité dans toute une série de grèves ouvrières dans différents secteurs qui s'inscrit dans la vague actuelle de lutte de classe internationale.
Nous publions ci-dessous l'extrait sur la «Lutte de classe » du rapport sur la situation aux USA adopté par la section du CCI aux USA en décembre 1986, traitant de la politique de la bourgeoisie et des luttes ouvrières (pour obtenir le texte complet en anglais, s'adresser à «Internationalism»), Les événements des quelques mois écoulés depuis ce rapport n'ont fait que confirmer la perspective qui y est tracée d'un renforcement des attaques de la bourgeoisie et des réactions ouvrières à ces attaques.
La lutte de classe
La classe ouvrière aux USA participe à part entière à la troisième vague de luttes de classe qui a commencé en septembre 1983. Chaque phase de la vague actuelle a eu un écho très rapide dans les luttes des ouvriers américains. Le retard des ouvriers américains est en profondeur, pas dans le temps. Les luttes n'ont pas atteint la même ampleur qu'en Europe de T Ouest, mais ont montré les mêmes tendances et caractéristiques, prouvant une fois de plus que la lutte de classe est internationale. Les différences de degré qui se manifestent aux USA sont le reflet de la force du capitalisme américain et de sa position de chef du bloc de l'Ouest.
La troisième vague a eu trois phases distinctes :
— Première phase : elle commence en septembre 1983 en Belgique avec la grève du secteur public, et montre une tendance à l'extension — les ouvriers allant chercher d'autres secteurs lorsqu'ils voient la nécessité d'éviter l'isolement — et aussi un haut degré dans la simultanéité des luttes dans différentes industries et différents pays. Cette phase s'est rapidement exprimée aux USA par la grève à Greyhound, dans laquelle les ouvriers se battaient contre des baisses de salaires. Quand la direction a essayé de suivre l'exemple de l'administration Reagan face aux aiguilleurs du ciel, et a voulu employer des jaunes pour remplacer les ouvriers, des ouvriers combatifs d'autres secteurs sont accourus pour montrer leur solidarité dans les manifestations. Ces manifestations, appelées par le conseil syndical central, ville par ville, ont offert souvent la possibilité de rompre le contrôle syndical et ont montré que les ouvriers avaient tiré des leçons de l'expérience des contrôleurs aériens. Des manifestations de masse, des défilés dans les rues, d'abord appelés par les syndicats sous la pression des ouvriers, devinrent bientôt chose courante. Alors que les mois précédents avaient vu les pionniers de la nouvelle vague s'affronter violemment à la police lors des grèves à Iowa Beef, Phels Dodge en Arizona, ATT Continental, et avant Chrysler (en 1983), la grève de Greyhound a marqué un pas qualitatif : pour la première fois des ouvriers, hors d'un conflit spécifique sur un contrat, ont participé directement à la lutte. Cette recherche de la solidarité active n'a pas pris la forme de rejoindre la grève sur leurs propres revendications, comme cela a été le cas dans la grève du secteur public en Belgique en septembre 1983. Mais la grève de Greyhound a clairement exprimé le même processus, et les premiers jalons ont été posés pour briser l'isolement du corporatisme entretenu par les syndicats. Les ouvriers qui n'étaient pas employés à Greyhound se battaient à côté des grévistes, bloquant les autobus, risquant d'être arrêtés par la police, et un ouvrier de la construction est mort en essayant de bloquer un bus à Boston. Cette première phase a continué à faire écho aux événements en Europe, lorsque plusieurs milliers d'ouvriers à Toledo on rejoint les grévistes pour attaquer un atelier de jaunes en mai 1984, et se sont lancés dans une bataille rangée avec la police qui dura toute la nuit. Les confrontations violentes à Phels Dodge, la grève de la LILCO contre les baisses de salaires en dépit de la faillite proche de la compagnie, la grève des hôpitaux à New York et la grève de General Motors, grève sauvage non officielle qui s'est étendue à treize usines dans le pays, et la grève des employés de l'hôtel New York City dans laquelle les grévistes ont pris les rues, marchant d'hôtel en hôtel dans la ville, bloquant le trafic et trouvant un certain écho chez les employés des centres de distribution; tels furent quelques-uns des épisodes marquants de cette première phase de la troisième vague de lutte de classe, qui ont démontré la résistance grandissante aux baisses de salaires et autres concessions, et la tendance à la solidarité.
— La seconde phase a commencé à la fin 1985 - et fut caractérisée par une série de luttes dispersées, la bourgeoisie essayant de contrecarrer la tendance à l'extension et à la solidarité active dans la classe ouvrière en recourant à une stratégie d'attaques dispersées, attaquant les ouvriers d'une compagnie, d'une usine, d'un secteur à la fois. Les syndicats n'attendirent plus la pression ouvrière pour organiser des manifestations de solidarité et des marches, mais agirent préventivement en annonçant leurs plans d action, court-circuitant toute action spontanée. Bien sûr, les syndicats sabotèrent consciemment ces manifestations. Pour combattre le danger, explosif de la tendance à l'extension, les syndicats mirent de plus en plus en avant la fausse stratégie des « batailles d'usure » — la grève de longue durée. La restriction des piquets de masse, des marches de solidarité et autres armes de la classe ouvrière devinrent l'arme de routine utilisée par le syndicat, la direction et le gouvernement pour dévoyer les luttes ouvrières. Là où la situation était si explosive que les tactiques des syndicats traditionnels ne suffisaient plus à contrôler et à défaire les ouvriers, la bourgeoisie commença à s'appuyer de plus en plus sur les syndicalistes de base.
La stratégie d'attaques dispersées et le relais assuré par les syndicalistes de base menèrent à la dispersion de luttes combatives, dans lesquelles les ouvriers affirmèrent une résistance croissante aux attaques, et même une tendance à rompre le contrôle syndical, mais qui sont restées isolées. Les luttes centrales de cette période furent : la grève de Wheeling-Pittsburgh, où les ouvriers partirent en grève contre le plan de restructuration prévu à la suite de la faillite de l'entreprise; la grève d'Hormel, où la bourgeoisie s'appuya sur les syndicalistes de base qui se mirent à la tête de la tendance à l'extension, en prirent le contrôle, et l'amenèrent à la défaite ; la grève de Watsonville Cannery, où les premiers pas de l'auto organisation furent réalisés par une assemblée générale massive qui élit un comité de grève, qui se fit cependant récupérer par les syndicalistes de base qui orientèrent les ouvriers sur une «réforme syndicale » ; la grève des imprimeurs du Chicago Tribune, qui, bien qu'empêtrée dans une « grève d'usure », explosa dans une énorme manifestation de solidarité de classe en janvier 1986 où 17 000 ouvriers débrayèrent quelques heures pour aller à une manifestation appelée par les syndicats, se battirent avec la police, et essayèrent de bloquer le passage des jaunes ; la grève du personnel naviguant de la TWA, dans laquelle les grévistes refusaient les baisses de salaires drastiques et eurent dès le départ le soutien massif des mécaniciens et du personnel au sol, qui refusèrent de traverser les piquets de grève. Mais le gouvernement réussit à briser cette solidarité, isola et mena à la défaite le personnel naviguant.
— La troisième phase commence au printemps 1986. Comme le CCI l'avait prévu, à cause de l'approfondissement de la crise et de la chute dans une nouvelle récession globale, la bourgeoisie de tous les pays a de moins en moins de marge de manœuvre, de moins en moins de possibilité de reporter ses attaques contre la classe ouvrière. Elle déclenche une attaque frontale contre toute la classe ouvrière : un assaut d'austérité général. Internationalement, la troisième phase apparaît en Scandinavie où les ouvriers se battent contre les programmes d'austérité du gouvernement au début du printemps, et atteint son point le plus haut en Belgique au printemps, où la combativité des ouvriers est renforcée par un effort conscient de recherche de l'unité dans la lutte. Aux USA, les premiers signes d'un changement de situation sont apparus à peu près en même temps : au printemps, une grève sauvage de General Electric s'étendit à quatre usines du Massachusetts, et une grève des cheminots du Maine Railroad s'étendit rapidement dans la Nouvelle-Angleterre, les autres cheminots manifestant une solidarité active. Mais ce fut la grève des employés municipaux de Philadelphie et Détroit en juillet qui annonça le plus clairement la troisième phase aux USA, à peine deux mois après les événements de Belgique.
A Philadelphie, les ouvriers utilisèrent des piquets de masses pour fermer l'Hôtel de Ville, refusant de laisser les syndicats utiliser des divisions juridiques pour diviser l'unité de la lutte, ne laissant pas les ordres syndicaux dissoudre les piquets pour faire dérailler le mouvement, et n'obéirent pas à l'injonction de reprendre le travail. Mais les syndicats parvinrent à utiliser la menace de la Ville de licencier tous les ouvriers, et à briser la grève, parce que les ouvriers n'avaient pas encore compris que la seule façon de déjouer de telles tactiques est d'étendre encore plus la lutte, d'entraîner plus d'ouvriers d'autres secteurs dans la bataille.
A Détroit, les efforts conscients de recherche d'unité ont atteint un niveau encore plus haut : les employés dits « cols bleus » comme ceux du sanitaire et du transport, qui n'étaient pas directement impliqués dans le conflit immédiat sur le contrat de salaires, ont maintenu une unité combative, résistant à tous les efforts des syndicats et de la direction pour les diviser. Même si les « cols bleus » n'ont jamais vraiment rejoint la grève sur leurs propres revendications, leur solidarité combative a donné à la grève sa réelle force, et a permis aux ouvriers de repousser l'attaque pour le moment, montrant clairement que la lutte paie. La même tendance s'est manifestée dans la grève des hôtels à Atlantic City où les ouvriers ont affirmé que la manifestation de rue était une arme puissante de la lutte de classe, défilant dans les rues, bloquant les transports de touristes et les bus qui transportaient les jaunes, et s'affrontant à la police pendant près de deux jours, avant qu'un nouveau contrat ne leur soit proposé.
Les mêmes tendances vers la recherche rapide et consciente de l'unité, ignorant les ordres syndicaux, prenant les rues, évitant les « guerres d'usure » se sont manifestées dans la grève des cliniques d'une chaîne privée en Californie, qui voulait baisser le salaire d'entrée de 30 %. Les piquets de masse forcèrent cinq autres syndicats représentants d'autres employés à rejoindre la grève.
En identifiant les nouvelles tendances déterminantes qui ont surgi dans cette troisième phase de la lutte, nous ne voulons pas déduire que toute lutte a nécessairement les mêmes forces et le même développement. Il est clair que la bourgeoisie américaine, avec sa grande force économique, a encore la capacité de disperser ses attaques, à un plus ou moins grand degré, et le fera tant que ce sera possible. Comme le montre l'exemple de la grève à USX (sidérurgie), elle a la capacité d'orchestrer l'isolement des luttes et recourt à l'idéologie de la grève d'usure. Néanmoins, nous devons insister sur le fait que la tendance générale favorise un développement des luttes dans lesquelles les ouvriers cherchent consciemment à unifier leurs luttes et à construire une solidarité active.
Vu les spécificités de l'économie américaine, avec son large secteur privé, et la façon plus indirecte dont les plans d'austérité du gouvernement sont imposés au secteur privé, c'est dans le secteur public que les conditions sont le plus favorables à un mouvement unifié à court terme. Toutefois, comme le montre l'avalanche de nouveaux licenciements, la résistance des ouvriers du secteur privé ne suivra pas de loin.
Avec les contrats pour 1987 qui touchent près de 600 000 ouvriers du secteur public et 400 000 du secteur automobile, les potentialités pour des luttes importantes sont posées. La croissance rapide du chômage pose la condition pour que les chômeurs jouent un rôle de plus en plus important dans la lutte de classe, comme nous l'avons vu dans certains pays d'Europe. La fermeture d'un nombre croissant d'usines, suivant des années de concessions syndicales, qui étaient censées garantir le futur, et les licenciements dans des compagnies qui réalisent d'énormes profits, attisera la résistance combative des ouvriers. La pression grandissante du gouvernement et des compagnies pour attaquer les ouvriers amènera une plus grande simultanéité des luttes, et créera des circonstances de plus en plus favorables pour la tendance à l'unification des luttes contre des attaques unifiées.
La participation de la classe ouvrière américaine à la troisième phase démontre clairement que le même processus de maturation de la conscience de classe a eu lieu ici et en Europe. Les ouvriers aux USA comprennent de plus en plus le sérieux de ce qui est engagé dans les luttes. Bien que le nombre de grèves en 1986 ait incroyablement augmenté par rapport à 1985 (qui détenait le record du nombre de grèves le plus bas depuis la seconde guerre mondiale), il n'a pas encore rattrapé celui de la fin des années 1960 et du début des années 1970. Mais, plus important que le nombre de grèves, est la qualité des grèves, qui se traduit dans le sérieux des enjeux des grèves et dans les efforts de la classe ouvrière pour tirer les leçons des grèves passées.
La bourgeoisie utilise ses médias pour démoraliser les ouvriers quant aux perspectives de lutte, insistant sur la défaite des contrôleurs aériens en 1981, sur la grève d'Hormel, sur celle du personnel naviguant de la TWA — tous ceux là ayant perdu leur travail. Mais les ouvriers n'ont pas été détournés de la lutte par ces défaites. Au contraire, ils commencent à tirer les leçons de ces défaites, et cherchent l'unité dans la lutte, qui est leur principale arme. Il devient de plus en plus évident que la meilleure façon de se battre ce n’est pas les longues grèves d'usure, mais les conflits courts, qui s'étendent rapidement. A Hormel, à Watsonville, à la TWA, à USX, les syndicats ont imposé leur stratégie de grève d'usure, et ont mené les ouvriers à la défaite. Mais à Philadelphie, Détroit, Atlantic City et dans les cliniques de Californie, les ouvriers ont très rapidement cherché à étendre leurs luttes.(...)
Internationalism Décembre 1986
Avec Mikhaïl Gorbatchev, la propagande soviétique s'offre une cure de jouvence médiatique. Devant les caméras du monde entier, le nouveau chef de l’Etat russe pérore : « ...des transformations révolutionnaires sont en cours dans notre pays », et les nouveaux princes du Kremlin de disserter sur la « révolution », la « démocratie », la « paix », le « désarmement », etc. Mais dans tout cela, rien de bien nouveau, ce sont les thèmes classiques de la propagande soviétique depuis des décennies. Ce qui est nouveau, c'est après la paralysie de l'administration brejnevienne, le dynamisme de la nouvelle équipe à mettre en œuvre ses thèmes de propagande, de mystification, sa capacité à jouer des ressources de l'arsenal médiatique, à libérer quelques «dissidents» par-ci, à faire de mirifiques propositions de « désarmement » par-là, à arrêter quelques bureaucrates « corrompus » par ailleurs. La bourgeoisie russe est en train de prendre exemple sur ses consœurs occidentales et apprend à maîtriser l'art des campagnes idéologiques de déboussolement destinées à cacher aux yeux du prolétariat la réalité de la dégradation générale de l'économie, l'attaque drastique contre les conditions de vie des ouvriers et l’accentuation des tensions impérialistes.
La dégradation économique de l'URSS
Les données économiques de manière générale sont toujours sujettes à caution, car ce sont d'abord des données fournies par la classe dominante, donc en partie assujetties aux besoins de sa propagande, mais en URSS cette tendance est certainement encore plus forte que pour les autres grandes puissances, quand ce n'est pas que simplement ces données sont classées secret d'Etat. Dans ces conditions, il est bien difficile de se faire une idée exacte de la situation réelle de l'économie russe. Cependant, quelques éléments montrent clairement sa situation de faiblesse sur la scène mondiale et la dégradation qui va en s'accélérant dans le cadre de la crise économique mondiale du capitalisme.
Le statut de 2e puissance économique mondiale de l'URSS est à relativiser. Alors qu'en 1984, les USA caracolent en tête avec un PNB de 3627 milliards de dollars, l'URSS, en 2e position, est talonnée par le Japon : respectivement 1400 et 1307 milliards de dollars.
Cependant, l'estimation du PNB russe, pour être un élément de comparaison valable, doit être relativisée par:
— le fait que le rouble qui sert de base aux calculs en URSS est profondément surévalué par rapport à la monnaie internationale de référence qui est le dollar ;
— une grande part (de 10 à 20 %) de la production manufacturière russe est déficiente et invendable (même sur le marché interne), mais est tout de même comptabilisée, et l'ensemble de la production est de qualité médiocre.
En tenant compte de ces éléments, il est probable que la valeur réelle de la production globale du Japon a dépassé celle de l'URSS et de toute façon, même sur le plan des chiffres officiels, le Japon, sur le strict plan de la production manufacturière, précède l'URSS pour laquelle celle-ci ne représente que 25 % du PNB.
Ce rattrapage de l'URSS par le Japon montre à l'évidence que l'URSS, malgré les taux de croissance records annoncés depuis des années, a vu sa situation se dégrader sur la scène économique mondiale.
Un bon indice du degré de développement est le PNB par habitant. Avec 5500 dollars en 1984, le PNB de l'URSS par habitant se situait à la 49e place mondiale, après Hong-Kong et Singapour. L'URSS présente de graves caractéristiques de sous-développement. Cela est particulièrement net si on considère simplement la situation du commerce extérieur, même si celui-ci ne représente que 6 % du PNB (contre 18 % pour la France par exemple).
Les échanges de l'URSS avec l'OCDE sont caractéristiques de ceux d'un pays sous-développé. L'URSS est essentiellement un exportateur de matières premières : 80 % du total de ses exportations vers l'OCDE en 1985.
Le capital russe est incapable de maintenir sa compétitivité. Ainsi, si les exportations de produits « dérivés de la technologie » représentaient 27 % des exportations russes vers l'OCDE en 1973, ils n'en représentaient plus que 9 % en 1982. C'est de moins en moins sa puissance industrielle et de plus en plus la richesse de son sous-sol qui permet à l'URSS de maintenir une balance commerciale positive et d'acheter à l'occident la technologie qui lui fait défaut. Mais cette situation rend l'URSS particulièrement sensible aux fluctuations du marché mondial.
Sur le plan de ses échanges avec l'occident, l'année 1986 a été une année noire pour l'URSS. La chute des cours des matières premières, et notamment du pétrole, est venue porter un coup très rude aux exportations soviétiques : au cours du 1er semestre 1986, les exportations ont baissé en valeur de 21 %, tandis que pour maintenir le solde de sa balance commerciale, l'URSS a dû réduire ses importations de 17,5 %, et procéder à d'importantes ventes d'or, écornant ainsi ses réserves.
L'URSS, comme tout pays capitaliste, subit de plein fouet la crise de l'économie mondiale. Depuis le début des années 1970, la croissance n'a cessé de chuter. Elle est ainsi passée d'un taux moyen annuel de 5,1 % en 1971-75, à 3,7 % en 1976-80, pour finir à 3,1 % en 1985. Sur 1981-85, ce taux de 3,2 % a été le plus bas de l'après-guerre (ces taux officiels sont surévalués, mais ils donnent une idée de l'évolution générale vers la récession).
Comme on vient de le voir, nous sommes bien loin des rodomontades d'un Khrouchtchev qui prétendait il y a 25 ans rattraper les USA sur le plan économique. Pourtant aujourd'hui, Gorbatchev nous ressort le même type de balivernes. Mais derrière le sourire de l'homme médiatique, s'impose la même poigne de fer qui, dans la logique de la gestion capitaliste, impose au prolétariat toujours plus d'austérité. Le discours et la pratique des dirigeants russes n'a pas changé. Devant la dégradation de son appareil économique, devant la pénurie de capital typique du sous-développement, le « capital humain » comme disait Staline, doit remplacer les machines que l'URSS n'a pas la technique pour construire, ni l'argent pour acheter à l'occident. Alors que le prolétariat russe subit déjà des conditions de misère terribles, derrière tous les beaux discours actuels, c'est encore plus de peine, plus de sueur, plus de sang, plus de larmes qui lui sont imposés.
Une attaque redoublée contre le niveau de vie de la classe ouvrière
La lutte sur le front de la productivité, inclut les méthodes policières mises en place durant l'intermède Andropov, et derrière les campagnes contre l'alcoolisme, ces mesures sont même intensifiées par les nouveaux dirigeants : surveillance renforcée dans les usines, interdiction d'aller faire les courses durant les heures de travail (ce qui était une coutume étant donné les longues heures d'attente pour avoir une chance de disposer des rares produits disponibles dans les magasins d'Etat), vérifications dans la rue et dans les usines de la présence sur les lieux de travail, sanctions accrues contre les récalcitrants à la discipline du travail, etc.
Le but de l'équipe Gorbatchev est d'accroître la production et la compétitivité en renforçant la compétition économique entre les ouvriers. La part des primes de toutes sortes dans les salaires est accrue par les nouvelles réformes : les nouveaux critères de qualité, s'ils peuvent signifier un accroissement du salaire dans les usines les plus modernes, là où ils sont possibles à réaliser (ainsi par exemple une usine-pilote de turbines en Sibérie a fait grimper le salaire mensuel de 320 à 450 roubles) ; par contre, là où l'appareil productif est délabré (ce qui constitue l'essentiel des cas), l'impossibilité de répondre à ces critères va signifier une chute brutale des primes, et donc des salaires. De plus, comme ces primes sont attribuées collectivement, il est nécessaire que l'ensemble des ouvriers participe de l'effort de production. Cela signifie une pression renforcée sur l'ensemble des travailleurs, et vise à renforcer aussi les divisions et oppositions entre ouvriers. Ces nouvelles mesures vont accroître les disparités des salaires et accentuer le fonctionnement à deux vitesses de l'économie russe : d'un côté les secteurs pilotes nécessaires au développement technologique de l'industrie d'armement où les salaires sont plus élevés, de l'autre côté le reste de l'économie où les salaires vont diminuer.
De plus, dans la mesure où les primes, qui représentent 40 % du salaire, sont indexées aux résultats obtenus vis-à-vis des objectifs du plan, la perspective très ambitieuse d'une croissance de 4 % imposée par Gorbatchev, signifie en fait, devant le peu de chances de la réaliser, une baisse des salaires.
Si l'inflation ' n'a jamais officiellement existé en URSS, pour autant c'est un secret de polichinelle que celle-ci a fait comme à l'ouest ses ravages durant les années 1970. Cela s'est notamment manifesté sur le marché kolkhozien et sur le marché noir omniprésents face à la pénurie de produits dans les magasins d'Etat. Cependant, si l'inflation a marqué le pas ces dernières années, les nouvelles mesures prises signifient à terme une relance de celle-ci :
— dans les magasins d'Etat les prix vont tendre à s'aligner sur ceux des marchés parallèles au travers de la diminution des subventions de l'Etat aux produits de base, l'approvisionnement va être « facilité » pour des produits soi-disant de meilleure qualité, mais surtout d'un prix beaucoup plus élevé ;
— la plus grande liberté pour les paysans de cultiver et de vendre leurs propres produits va permettre d'alimenter le marché kolkhozien, mais à des prix prohibitifs (ainsi cet été, un kilo de tomates valait une journée de salaire ouvrier) ;
—-la tendance actuelle à la légalisation de l'économie souterraine, reconnaissance du travail artisanal, mise en place de nouvelles structures semi-privées de production et de distribution, va tendre à aligner les prix officiels sur ceux du marché noir.
Ces mesures sont une attaque directe contre les conditions de vie de la classe ouvrière.
Quelles perspectives ?
Il est tout à fait significatif qu'au même moment où Gorbatchev lance ses appels à la lutte pour la production, pour la compétitivité, ce sont les mêmes discours qui sont prononcés à l'ouest, où Reagan lance une « bataille pour la compétitivité », qu'au même moment où la direction soviétique met en place un vaste plan de réformes économiques, la « refonte », pour donner plus d'autonomie concurrentielle aux entreprises d'Etat ; à l'ouest, la mode est au « libéralisme », à la « privatisation », pour éliminer les « canards boiteux » de la production. La crise est mondiale, et dans la situation de concurrence exacerbée qui en découle, la lutte pour une plus grande compétitivité passe par la mise en place de programmes d'austérité renforcés. Là est le véritable sens de tous les beaux discours qui sont assénés au prolétariat à l'est comme à l'ouest.
Les discours productivistes, pacifistes et démocratiques, de Gorbatchev ne sont que du bluff :
— les mirifiques taux de croissance annoncés pour le futur plan quinquennal de la fin des années 1980 ne seront jamais atteints. L'économie mondiale est en train, lentement mais sûrement, de s'enfoncer dans la récession, et l'URSS, puissance économique secondaire, à l'appareil productif périmé, est bien incapable, même en soumettant l'ensemble de son bloc à un pillage en règle, de redresser la situation. L'URSS, à l'instar des autres pays, s'enfonce inexorablement dans la crise, et ceci, vu la faiblesse économique de ce pays, va prendre des formes brutales :
— Dans ces conditions, étant donné l'incapacité de l'URSS d'asseoir sa puissance sur le plan économique, plus que jamais c'est dans la fuite en avant dans l'économie de guerre, dans le sacrifice de l'économie sur l'autel de la production d'armements, que l'URSS peut parvenir à maintenir sa place de puissance impérialiste dominante. Tous les beaux discours de Gorbatchev sur le désarmement ne sont qu'un leurre, lié à la réorientation de sa stratégie imposée par sa difficulté à faire face à 1 offensive impérialiste du bloc de l'ouest de ces dernières années, et qui vise a resserrer son dispositif militaire sur les frontières de son bloc et à entreprendre un vaste plan de modernisation de son armement technologiquement en retard.
— Après la défaite du prolétariat en Pologne en 1981, et le reflux des luttes qui s'en est suivi, de nouveaux échos de la lutte de classe nous parviennent d'Europe de l'est, qui témoignent que le potentiel de combativité de la classe ouvrière est toujours là, et que face à l'attaque en règle contre ses conditions de vie, celle-ci réagit. Dans le bloc de l'est aussi la perspective est au développement de la lutte de classe.
En URSS, les émeutes de Kazakhstan témoignent d'un mécontentement croissant. Mais plus significatives encore ont été les émeutes, réprimées elles aussi dans le sang, des travailleurs originaires des Etats baltes, réquisitionnés pour circonscrire la catastrophe de Tchernobyl, et les échos de grèves qui ont eu lieu dans la gigantesque usine Kamaz où l'on fabrique des camions (ville de Breschnev, République Tatare) contre les « contrôles de qualité » imposés par Gorbatchev.
Les beaux discours démocratiques de Gorbatchev ont d'abord pour but de faire accepter par une classe ouvrière récalcitrante une austérité accrue, et d'adapter l'appareil d'Etat russe pour faire face à la lutte ouvrière. L'utilisation des mystifications démocratiques par Gorbatchev n'a pas un sens différend de l'utilisation de la « démocratisation » des régimes gouvernementaux en Argentine ou au Brésil : désarmer et encadrer la classe ouvrière pour mieux l'affronter. Le pire danger pour le prolétariat serait de prendre ces belles paroles pour argent comptant. L'expérience kroutchevienne, qui elle aussi, derrière la campagne de « déstalinisation », avait été marquée par une attaque massive contre les conditions de vie des ouvriers, et avait vu en 1961-62-63 se développer une importante vague de lutte de classe, vague qui avait notamment culminé dans la grève des mineurs du Donbass que les troupes du KGB avaient réprimée violemment, n'est pas si éloignée, comme celle plus récente de la Pologne, pour montrer aux ouvriers russes le mensonge des discours démocratiques.
Avec le développement de la crise, Gorbatchev, bien moins encore que Kroutchev il y a 30 ans, n'a les moyens de sa politique.
J.J. 27/2/87
Aujourd'hui, soit par ignorance, soit par facilité, certains groupes qui sont parvenus à la conclusion de la nature bourgeoise du syndicalisme, parlementarisme, etc., tentent de répondre à ces questions en ayant recours à des conceptions anarchistes ou utopistes, formulées en langage marxiste pour faire « plus sérieux ». Parmi eux, le Groupe Communiste Internationaliste (GCI)[1] [8].
Pour le GCI, le capitalisme n'a pas changé depuis ses origines. Les formes de lutte du prolétariat non plus. Quant au programme formulé par les organisations révolutionnaires, pourquoi aurait-il changé ? C'est la théorie de l'Invariance.
Pour ces chantres de la « révolte éternelle », la lutte de type syndical, parlementaire, la lutte pour des réformes ont toujours été, depuis leur apparition, ce qu'elles sont aujourd'hui, des moyens d'intégrer le prolétariat dans le capitalisme.
L'analyse de l'existence de deux phases dans l'histoire du capitalisme auxquelles correspondent des formes de lutte différentes ne serait qu'une invention des années 30 pour mieux « trahir le programme historique », programme qui lui se résumerait à une vérité quasi-éternelle : « révolution violente et mondiale ».
Voici comment ils formulent tout cela :
Le GCI précise :
Difficile de dire autant d'absurdités en si peu de lignes. Laissons de côté les amalgames auxquels recourt fréquemment le GCI, qui n'apportent rien au débat sinon de démontrer la superficialité de son propre raisonnement. Mettre dans un même sac la gauche communiste internationaliste (Pannekoek) et le stalinisme (Varga) parce qu'ils ont parlé de décadence du capitalisme est aussi stupide que d'identifier révolution et contre-révolution parce que les deux traitent de lutte des classes.
Commençons par ce qui est un vulgaire mensonge, ou dans le meilleur des cas, l'expression de la plus crasse ignorance de l'histoire du mouvement ouvrier : d'après le GCI, c'est dans les années 30, “a postériori”, qu'aurait été “bizarrement” inventée l'analyse de la décadence du capitalisme. Quiconque connaît un tant soit peu de l'histoire du mouvement ouvrier, et en particulier du combat contre le réformisme que mena la gauche révolutionnaire au sein de la social-démocratie et de la seconde Internationale, sait qu'il n'en est rien.
Dans l'article “Comprendre la décadence du capitalisme” nous avons longuement montré comment l'idée de l'existence de deux phases, l'une “ascendante” où les rapports capitalistes stimulent le développement économique et global de la société, l'autre “décadente” où ces rapports se transforment en « entrave » à ce développement, ouvrant une “ère de révolution”, nous avons indiqué comment cette vision est au coeur de la conception matérialiste de l'histoire, telle qu'elle fut définie par Marx et Engels, dès le Manifeste Communiste de 1847. Nous avons montré le combat que durent mener les fondateurs du socialisme scientifique contre tous les courants utopistes, anarchistes qui ignoraient volontairement une telle distinction de phases historiques et ne voyaient dans la révolution communiste qu'un idéal éternel à réaliser à tout moment et non un bouleversement que seul pouvait rendre possible et historiquement nécessaire l'évolution même des forces productives et leur contradiction avec les rapports sociaux de production capitalistes.
Mais Marx et Engels durent surtout combattre ceux qui ne voyaient pas que le capitalisme était encore dans sa phase ascendante. Dès la fin du siècle, la gauche de la seconde Internationale -en particulier à travers Rosa Luxembourg- dut combattre la tendance inverse, celle des réformistes qui consistait à nier que le capitalisme approchait sa phase de décadence. C'est ainsi qu'en 1898, Rosa Luxembourg écrivait dans Réforme ou Révolution :
Ce n'est pas “a posteriori” -comme le prétend le GCI-, ce n'est pas après que la première boucherie impérialiste mondiale eut apporté la preuve irréfutable que le capitalisme était définitivement entré dans sa phase décadente, que ces lignes furent écrites. C'est quinze ans auparavant. Et Rosa Luxembourg commence à voir nettement les conséquences politiques -ici au niveau de la possibilité du syndicalisme- qu'entraîne pour le mouvement ouvrier un tel changement de “phase”.
Le GCI affirme que c'est « à la suite de la défaite de la vague révolutionnaire de 1917-23 que certains produits de la victoire de la contre-révolution commencent à théoriser une longue période de stagnation et de déclin ».
Le GCI ignore-t-il que, au cœur même de cette vague révolutionnaire, se fonde la troisième Internationale sur la base de l'analyse de l'entrée du capitalisme dans une nouvelle phase :
« Une nouvelle époque est née. Epoque de désagrégation du capitalisme, de son effondrement intérieur. Epoque de la révolution communiste du prolétariat » (Plate-forme de l'Internationale Communiste). Et c'est au sein de cette Internationale que la gauche communiste mènera à son tour le combat contre les tendances majoritaires qui ne voient pas toutes les conséquences politiques pour les formes de lutte du prolétariat de cette nouvelle période historique.
Voici, par exemple, comment s'exprimait le KAPD, la gauche communiste allemande en 1921, au troisième congrès de l'IC :
Enfin dans les années 30, ce ne sont pas seulement les « produits de la victoire de la contre-révolution » mais les avant-gardes prolétariennes qui s'efforcent de tirer les enseignements de la vague révolutionnaire passée et qui « théorisent une longue période de stagnation et de déclin ». Ainsi la revue Bilan, qui regroupait des éléments de la gauche communiste d'Italie, Belgique et France, écrivait:
Le GCI ignore ou falsifie l'histoire du mouvement révolutionnaire. Dans les deux cas ses affirmations sur « l'origine même des théories décadentistes » suffisent à démontrer la vacuité de son argumentation et le peu de sérieux de sa démarche.
L'INVARIANCE DU PROGRAMME OU LE “MARXISME DES DINOSAURES”
Venons en à l'argument du GCI selon lequel parler de changement pour les moyens de lutte du prolétariat serait « trahir le programme historique ».
Le programme d'un mouvement politique est constitué par la définition de l'ensemble des moyens et des buts que se propose ce mouvement. Le programme communiste contient en ce sens des éléments qui sont effectivement permanents depuis le Manifeste Communiste dont la rédaction correspond aux révolutions de 1848 qui virent la première apparition sur la scène de l'histoire du prolétariat comme force politique distincte. Il en est ainsi par exemple de la définition du but général : la révolution communiste mondiale ; ou du moyen fondamental pour atteindre ce but: la lutte de classe et la dictature du prolétariat.
Mais le programme communiste n'est pas que cela. Il contient aussi les buts immédiats et les moyens concrets, les formes d'organisation, les formes de la lutte nécessaires pour atteindre le but final.
Ces éléments concrets sont directement déterminés par la situation historique concrète dans laquelle se déroule la lutte du prolétariat.
Pour le GCI, le programme communiste ignore tout cela, et se cantonne à un seul cri de guerre : « I1 faut faire la révolution mondiale toujours et partout ». Réduit à cela, le programme pourrait être considéré invariant, mais il ne serait plus alors un programme, mais une déclaration d'intentions.
Quant à son application pratique, si ce « programme » pouvait en avoir une, elle se résumerait à envoyer des prolétaires à l'affrontement final quelles que soient les conditions historiques, les rapports de force. Autant dire c'est la voie au massacre.
Marx avait déjà combattu ce genre de tendances au sein de la Ligue des Communistes :
Un programme qui ne s'attache pas à définir les spécificités de chaque situation historique et des comportements prolétariens qui correspondent, un tel programme ne sert à rien.
Par ailleurs, le Programme communiste trouve une source permanente d'enrichissement dans la pratique de la classe. Des questions aussi cruciales que 1 impossibilité pour le prolétariat de conquérir 1’appareil d'Etat bourgeois à son profit ou les formes de lutte et d'organisation du prolétariat pour la révolution ont entraîné des modifications dans le programme communiste à la suite d'expériences comme celles de la Commune de Paris de 1871 et de la révolution russe de 1905.
Refuser de modifier le programme, de l'enrichir en permanence, en fonction de l'évolution des conditions objectives et de l'expérience pratique de la classe, ce n'est pas « rester fidèle » au programme, mais le détruire en le transformant en des tables de la loi. Les communistes ne sont pas des dinosaures et leur programme n'est pas un fossile.
Savoir modifier, enrichir le programme communiste comme ont toujours su le faire les révolutionnaires les plus conséquents pour qu'il soit capable de répondre à chaque situation historique générale, pour qu'il intègre les résultats de la praxis révolutionnaire, ce n'est pas « trahir le programme », mais c'est la seule attitude conséquente qui fasse de celui ci un véritable outil pour la classe[4] [11].
Pour le GCI, le pire crime des “décadentistes” consiste à « théoriser une cohérence formelle avec 'les acquis du mouvement ouvrier du siècle précédent'». Et le GCI de préciser: « Il s'agit bien entendu ici des 'acquis' bourgeois de la social-démocratie ». Le danger fondamental de la théorie de la décadence serait « d'entériner de façon a-critique l'histoire passée et principalement le réformisme social-démocrate justifié en un tour de main puisqu'il se situait 'dans la phase ascendante du capitalisme'».
Pour le GCI, « La fonction historique de 1a Socialdémocratie a été directement, non pas d'organiser la lutte pour la destruction du système (ce qui est le point de vue invariant des communistes), mais d'organiser les masses d'ouvriers atomisés par la contre-révolution afin de les éduquer pour les faire participer au mieux au système d'esclavage salarié ». (Le Communiste n° 23, p. 18).
Nous reviendrons dans un prochain article de façon spécifique sur la nature de classe de la Socialdémocratie-2e Internationale de la période de l'entredeux siècles. Mais pour pouvoir en parler, il faut auparavant répondre au simplisme absurde du GCI selon lequel « rien n'a fondamentalement changé » pour la lutte ouvrière depuis ses origines.
Le GCI reproche à la Social-démocratie en effet de ne pas avoir organisé la lutte « pour la destruction du système (ce qui est le programme invariant des communistes) », mais le combat syndical, parlementaire, pour des réformes qui n'a jamais pu être autre chose qu'un moyen pour faire participer les prolétaires au système.
Mais rejeter le syndicalisme ou le parlementarisme uniquement parce qu'il s'agit là de formes de lutte qui ne se traduisent pas immédiatement par la « destruction du système », c'est les rejeter pour des raisons purement idéalistes, fondées sur le vent des idéaux éternels et non sur la réalité concrète des conditions objectives de la lutte de classe. Cela revient à ne voir la classe ouvrière que comme classe révolutionnaire, oubliant qu'au contraire de toutes les classes révolutionnaires du passé, elle est aussi une classe exploitée.
La lutte revendicative et la lutte révolutionnaire sont deux moments d'un même combat de la classe ouvrière contre le capital ; la lutte pour la destruction du capitalisme n'est autre que la lutte revendicative contre les attaques du capital portée à ses dernières conséquences. Ces deux moments de lutte n'en sont pas pour autant identiques. Et l'on a une vision totalement creuse de la lutte prolétarienne si l'on en ignore ce double caractère.
Ceux qui -tels les réformistes- ne voient dans la classe ouvrière que son caractère de classe exploitée et sa lutte comme seulement revendicative, ont une vision statique, a-historique bornée. Mais ceux qui ne voient la classe ouvrière que comme classe révolutionnaire ignorant sa nature d'exploitée et partant la nature revendicative de toute lutte ouvrière, parlent d'un fantôme.
Lorsque les révolutionnaires marxistes ont rejeté la forme de lutte syndicale ou parlementaire par le passé, ce ne fut jamais au nom du radicalisme creux et a-classiste propre aux anarchistes, et qui faisait écrire à Bakounine en 1869 dans le “Catéchisme révolutionnaire” que l'organisation doit consacrer « toutes ses forces et tous ses moyens à aggraver et à étendre les souffrances et les misères qui doivent finalement pousser le peuple à un soulèvement général ».
L'anarchisme se situe du point de vue d'un idéal de « révolte » abstrait. Pour les luttes revendicatives de la classe ouvrière, il n'éprouve qu'un « mépris transcendantal » comme le dénonce Marx à propos de Proudhon dans Misère de 1a philosophie. Le marxisme se situe du point de vue d'une classe et de ses intérêts, aussi bien historiques qu'immédiats. Lorsque les révolutionnaires marxistes parviennent à la conclusion que le syndicalisme, le parlementarisme, les luttes pour des réformes ne sont plus valables, ce n'est pas parce qu'ils abandonnent la lutte revendicative, mais parce qu'ils savent que celle-ci ne peut plus aboutir, ne peut plus être efficace en se servant des anciennes formes.
Telle est la démarche générale de Rosa Luxemburg lorsqu'elle envisage qu'avec l'entrée du capital dans “la phase descendante”, la lutte syndicale deviendra “doublement difficile”, lorsqu'elle constate à la fin du 19e siècle, que le mouvement syndical, dans le pays le plus avancé de l'époque, l'Angleterre, « se réduit nécessairement de plus en plus à la simple défense des conquêtes déjà réalisées, et même celle-ci devient de plus en plus difficile ».
Telle est la démarche du KAPD quand il rejette la participation aux élections non pas parce que « le vote c'est sale », mais parce que les moyens parlementaires ne servent plus pour faire face aux effets de la crise du capitalisme, c'est-à-dire pour faire face à la misère pour le prolétariat.
Tant que le développement du capitalisme a pu s'accompagner de façon durable d'une véritable amélioration des conditions d'existence de la classe ouvrière, tant que l'Etat n'était pas devenu une puissance totalitaire sur la vie sociale, la lutte revendicative devait et pouvait prendre les formes syndicales, parlementaires. Les conditions objectives où le capitalisme connaît son apogée historique créent une sorte de terrain économique et politique où les intérêts immédiats de la classe ouvrière peuvent coïncider avec les nécessités du développement d'un capital en pleine expansion mondiale, et y trouver un réel profit.
C'est l'illusion de croire qu'une telle situation pourrait se poursuivre indéfiniment qui fut la base du développement du réformisme -cette idéologie bourgeoise selon laquelle la révolution communiste est impossible et seul peut être réalisée une réforme progressiste du capitalisme au profit de la classe ouvrière- au sein du mouvement ouvrier.
Pour les marxistes, le rejet de la lutte pour des réformes dans le capitalisme a toujours reposé -en dernière instance- sur l'impossibilité de celles-ci. Rosa Luxembourg formulait cela dès 1898 en ces termes :
Ce qui change pour la lutte ouvrière au niveau des conditions objectives avec l'entrée du capitalisme dans sa phase décadente c'est l'impossibilité d'obtenir de véritables améliorations durables. Mais cela ne se produit pas isolément. La décadence du capitalisme est aussi synonyme de capitalisme d'Etat, d'hypertrophie de l'appareil d'Etat, et cela bouleverse entièrement les conditions d'existence du prolétariat.
Nous ne pouvons ici développer tous les aspects du bouleversement qu'implique pour la vie sociale en général, et pour la lutte de classe en particulier, l'entrée du capitalisme dans une nouvelle phase historique. Nous renvoyons le lecteur à l'article « La lutte du prolétariat dans le capitalisme décadent » (Revue Internationale, n° 23).
Ce qui nous importe de souligner ici, c'est le fait que pour les marxistes, les formes de lutte du prolétariat dépendent des conditions objectives dans lesquelles celle-ci se déroule et non sur des principes abstraits de révolte éternelle.
C'est seulement en se fondant sur l'analyse objective du rapport de forces entre les classes envisagé dans sa dynamique historique que l'on peut fonder la validité ou non d'une stratégie, d'une forme de combat. En dehors de cette base matérialiste, toute prise de position sur les moyens de la lutte prolétarienne repose sur du sable mouvant ; c'est la porte ouverte au déboussolement dès que les formes superficielles de la « révolte éternelle » -la violence, l'anti-légalité- font leur apparition.
Le GCI en est une manifestation criante. Quand on ne comprend pas pourquoi certaines formes de lutte étaient valables dans le capitalisme ascendant, on ne peut pas comprendre pourquoi elles ne le sont plus dans le capitalisme décadent. A force de ne baser ses critères politiques que sur des “anti-tout-ce-qui ressemble-à-la-social-démocratie”, à force de croire que “l'anti-démocratie” peut être un critère en soi, suffisant, le GCI se retrouve à affirmer en novembre 1986 qu'une organisation comme celle des guérilleros nationaliste staliniens du Pérou, “Sentier Lumineux”, parce qu'elle est armée et a refusé de participer à des élections « apparaît de plus en plus » comme l'unique structure capable de donner une cohérence au nombre toujours croissant d'actions directes du prolétariat, « dans les villes et les campagnes, alors que tous les autres groupes de gauche s'unissent objectivement contre tous les intérêts ouvriers au nom de la condamnation du terrorisme en général et de la défense de la démocratie » (souligné par nous, Le Communiste n° 25, p. 48-49).
Le GCI constate que « tous les documents que 'SL' a rédigés sont basés sur le plus strict stalinomaoïsme », et que celui-ci considère qu'au Pérou la lutte est « dans l'époque actuelle anti-impérialiste et anti-féodale ». Mais cela n'empêche pas le GCI de conclure : « Nous n'avons pas d'éléments pour considérer 'SL' (ou le PCP comme il s'auto-définit) comme une organisation bourgeoise au service de la contre-révolution » (idem).
Ce qui manque au GCI pour apprécier la nature de classe d'une organisation politique, ou toute autre réalité de la lutte de classe, ce ne sont pas des “éléments d'information”, mais la méthode marxiste, la conception matérialiste de l'histoire -dont la notion de phases historiques d'un système (ascendante et décadente) est un élément indispensable.
[1] [12] Cet article fait suite à celui paru dans le numéro précédent de la Revue Internationale: « Comprendre la décadence du capitalisme ».
[2] [13] Iguanodon : “reptile dinosaurien fossile, qui vivait à l'époque crétacée”.
[3] [14] Le GCI reconnaît dans une petite note de l'article cité qu'effectivement Luxemburg, Lénine, Boukharine ont partagé des «théories décadentistes ». Mais il prétend qu'il ne s'agissait pas pour eux de « définir une phase de plus de 70 années ». C’est encore une falsification: pour la gauche de la 2e Internationale, fondatrice de la 3e, le stade dans lequel était entré le capitalisme n'était pas une phase parmi d'autres à laquelle pourraient succéder de nouvelles phases ascendantes. Pour eux tous, la nouvelle période était « une phase ultime », un « stade suprême » du capitalisme, audelà duquel il n'y aurait plus d'autre issue pour la société que la barbarie ou le socialisme.
[4] [15] Contre toute attitude religieuse à l'égard de ce qui est l'instrument vivant d'une classe vivante, nous nous revendiquons de l'attitude de Marx et Engels déclarant après la Commune de Paris qu'une partie du Manifeste Communiste était devenue périmée ; de celle de Lénine en 1917 dans Les thèses d'avril affirment la nécessité de re-rédiger une partie du programme du Parti.
L'an dernier, deux groupes en Argentine et en Uruguay ont lancé une «Proposition internationale aux partisans de la révolution mondiale » que nous avons publiée dans le n° 46 de cette Revue.
La
question de la nécessité du regroupement des forces révolutionnaires, dans la
perspective du développement de la lutte de classe, est vitale aujourd'hui. Il
est nécessaire que les groupes confrontent et clarifient leurs positions
politiques et leurs orientations respectives dans la période actuelle, pour
pouvoir envisager un rapprochement et des tâches communes, ce que la situation
présente du milieu politique prolétarien ne permet pas encore. C'est dans ce
sens que nous avions répondu à la « Proposition
». Emancipacion Obrera a commencé à publier dans une brochure les réponses
reçues à sa « Proposition » et
répondu en particulier par un texte aux questions soulevées par le CCI. Nous
publions ci-dessous de larges extraits de ce texte, ainsi qu'à nouveau une
réponse de notre part sur les principales questions posées sur les conditions
et critères d'un regroupement des forces révolutionnaires dans la période
historique actuelle.
Emancipacion obrera au CCI
Argentine, le 20 septembre 1987
Compagnes et Compagnons du CCI,
Avant
tout nous voulons vous remercier du geste que vous avez eu en traduisant notre
proposition en anglais et en français ainsi qu'en la publiant dans vos Revue Internationale de France et
d'Angleterre, et d'y avoir dédié un article dans votre publication en Espagne, Action Proletaria. Ce n'est pas
n'importe qui qui ferait cela et nous n'avons pas de doutes sur le fait que
grâce à votre contribution, nos préoccupations ont eu une divulgation bien
plus grande que celle que nous aurions pu avoir par nos seules forces.
Répondre
à quelques questions et clarifier des positions
(...) Quand nous avons élaboré cette proposition nous avons essayé de trouver les points de discrimination (lignes de séparation, NDT) les plus importants, tout en tenant compte du fait que tout le monde n'a pas suivi les mêmes étapes ni donné des définitions dans le même ordre d'idées. Nous voulions en même temps qu'ils soient un obstacle contre les opportunistes, les réformistes, et contre la gauche (du capital) en général tout en fournissant une base minimum permettant d'établir des rapports, et non un obstacle apportant plus de sectarisme ou de confusion, ou encore, des définitions avec lesquelles nous seuls aurions pu être d'accord.
Par exemple, il y a un sujet que nous considérons fondamental et que la plupart des organisations considèrent comme secondaire ou subsidiaire : la condition de la femme, les rapports d'exploitation et d'oppression qui existent dans le travail domestique, la manipulation permanente du corps et de la vie de la femme pour qu'elle garantisse la production et la reproduction de la force de travail en fonction des besoins et des intérêts généraux et particuliers de la classe dominante. Pour nous, l'élimination de l'exploitation dont souffre la classe ouvrière (hommes et femmes) et celle dont souffre la majorité des femmes à travers le système du travail domestique (perturbant aussi les rôles familiaux et sexuels) sont partie intégrante d'une lutte unique pour la révolution sociale. Et dans la Proposition il n'apparaît pratiquement rien là-dessus parce que nous pensions qu'étant donné que cette question a, en général, été traitée très peu et très mal, elle ne pouvait être un point de départ mais le résultat d'un processus. Nous avons adopté le même critère pour d'autres sujets et il ne nous a pas semblé juste d'établir des priorités sans tenir compte du fait que les points discriminants sont un point de départ. Dans ce sens ils doivent être larges et stricts : larges pour que puissent participer des groupes ou des personnes dont les définitions, de par leurs limitations historiques, ne recouvrent pas la vaste gamme des autres groupes, mais s'inscrivent dans la même tendance ; stricts, pour exclure ceux qui expriment une politique antagonique à celle que nous revendiquons, même si leur langage contient des relents marxistes.
Sur la démocratie
C'est ainsi que nous n'avons pas mis tout ce que nous défendons et nous considérons certaines questions comme contenues implicitement dans les points discriminants ; par exemple, la question de la démocratie. Nous n'avons aucune objection à l'expliciter davantage et il va de soi que nous ne sommes pas d'accord pour faire du parlementarisme, pas plus que nous ne considérons qu'à travers la démocratie ou la participation à ses institutions on puisse apporter quelque chose de révolutionnaire.
Et ces conclusions nous ne les tirons pas d'un principe a priori mais en analysant les situations concrètes, étant donné que nous sommes d'accord avec Marx sur le fait que « des événements historiques sensiblement analogues, mais qui se déroulent dans des milieux différents, conduisent à des résultats totalement différents » ([1] [18]).
Nous n'aboutissons pas à cette conclusion sur la base de la catégorie « capitalisme décadent » car cela pourrait donner lieu à deux types d'erreurs : justifier pour la fin du siècle dernier ou les débuts de celui-ci la participation aux élections pour des postes exécutifs — c'est-à-dire, appuyer le crétinisme parlementaire que Lénine a critiqué si justement — ou définir la tactique sur la base de principes idéaux valables en tout temps et en tout lieu, méconnaissant le fait que la vérité est concrète, et la tactique doit partir des situations réelles, non pour les justifier ou les affirmer, mais pour les modifier.
Il ne nous semble pas que le refus de participer à une campagne électorale soit un critère discriminant ([2] [19]), même si nous ne l'avons jamais fait et n'avons pas l'intention de le faire vu que nous considérons que, dans l'état actuel des choses, c'est complètement réactionnaire et cela ne sert à rien de révolutionnaire. Nous insistons : nous sommes d'accord sur le fait qu'à travers la démocratie ou la participation à ses institutions on ne fait que renforcer les options bourgeoises et nous n'avons pas d'objection à rendre cette idée plus explicite.
Il y a cependant d'autres points sur lesquels il peut y avoir des différences de deux types : l'une, disons « tactique » et l'autre « stratégique ». Voyons la première.
Pourquoi nous nous referons peu au passe ,
Nous ne pensons pas que pour pouvoir participer à la Proposition chaque groupe doive avoir analysé et défini des prises de position sur toute l'histoire du mouvement ouvrier et les différentes organisations et partis qui ont existé. Non pas que nous considérions que ce n'est pas important, mais parce que nous savons que tous les groupes ou personnes n'ont pas ou n'auront pas une longue histoire antérieure ou des possibilités de produire tant de définitions — justes — par eux-mêmes et dans un laps de temps limité.
Prenons un exemple : vous nous demandez, entre autres, une reconnaissance et une revendication des Gauches communistes issues de la Troisième Internationale. Pour pouvoir le faire, il faut d'abord les connaître et cela n'est pas possible sans des documents les concernant et la possibilité de les étudier. (...)
Revendiquer la continuité avec la social-democratie ?
Mais nous faisons une autre objection, plus « stratégique » : bien que nous n'ayons pas, en tant qu'organisation, de documents et d'analyses stricts sur le sujet, nous ne nous revendiquons pas, par exemple, d'une continuité du Parti Social-démocrate allemand, ni de l'Internationale à laquelle il appartenait (la soi-disant deuxième). Le fait que des secteurs de la bourgeoisie (ou de la petite-bourgeoisie), à quelque moment de leur histoire, aient été révolutionnaires, n'implique pas que nous nous considérions comme leurs continuateurs, et nous aurions du mal à nous considérer comme des continuateurs d'organisations qui n'ont jamais revendiqué dans la pratique la destruction de l'Etat bourgeois et son remplacement par la dictature socialiste du prolétariat, mais, par contre, ont bien dédié leurs efforts à renforcer et élargir la démocratie bourgeoise. On peut ajouter qu'il y a des camarades d'EO qui disent que Lénine s est trompé quand il a traité Kautsky de renégat et qu'il a parlé de la faillite de la IIe Internationale ; pour eux, Kautsky a toujours été cohérent et celui qui renie, qui rompt (et à la bonne heure !) c'est Lénine. Quelles interventions et orientations révolutionnaires ont été produites par la IIe Internationale ? Quelle activité révolutionnaire prolétarienne concrète a-t-elle impulsé ? Ces camarades de notre organisation n'hésiteraient pas à affirmer qu'ils n'auraient pas appartenu à la IIe Internationale et que la IIe Internationale n'« entrerait » pas dans cette Proposition. (...)
Prenons
un autre exemple : parmi les différents groupes, il y en a qui se réclament de
la IIIe Internationale jusqu'en 1928, d'autres des quatre premiers congrès ;
nous, nous n'allons même pas au-delà du deuxième et sûrement que parmi ceux qui
connaissent les Gauches hollandaise, allemande et italienne, il doit exister
différentes interprétations et évaluations. Faut-il incorporer toutes ces
questions parmi les points de discrimination ? Nous ne le pensons pas, au moins
pas en ce moment, mais nous considérons par contre qu'il est nécessaire de
stimuler organiquement ces études et débats pour apprendre à les connaître et
tirer des conclusions de ces expériences. Le fait de se définir et de
s'homogénéiser autour de ces questions reflétera un moment supérieur au moment
présent et doit avoir comme point de départ la prise effective de positions de
classe aujourd'hui face à des situations qui ne requièrent pas seulement des
caractérisations générales mais des indications et des actions politiques
concrètes. (...)
Guerilla tiers-mondiste et terrorisme petit-bourgeois
Vous vous étonnez également de ne rien trouver sur la question du terrorisme, ni un « rejet catégorique de ce genre d'action »(...) C'est peut-être parce que nous vivons depuis de nombreuses années cette expérience et que nous avons souffert dans notre propre chair ce qu'étaient ces groupes, que nous avons une approche quelque peu différente de cette affaire. Le combat fondamental contre eux ne se mène pas en nous en prenant à la méthode mais à la politique qui guide ce fusil et qui préconise la formation d'armées parallèles, de poser des bombes, de séquestrer des patrons pour obtenir une augmentation de salaire, etc.
Quand nous disons dans notre Proposition, au point 2 « à ceux qui n'appuient aucun secteur bourgeois contre un autre, mais qui luttent contre tous... » ou, au point 4 : « à ceux qui luttent contre les politiques de défense de l’économie nationale, de relance économique...», ou au point 11 : «Dans ce sens, dans l’optique bourgeoise fascisme-antifascisme, à ceux qui dénoncent le caractère de classe bourgeois des fronts antifascistes et de la démocratie... », notre condamnation de ces groupes guérilleristes est implicite, en tant que secteurs de la bourgeoisie et de la petite-bourgeoisie, qui luttent violemment pour prendre l'Etat bourgeois et se répartir la part de plus-value arrachée à la classe ouvrière. Nous n'entrons même pas dans les considérations de savoir s'ils prétendent atteindre leurs objectifs au moyen des élections ou de l'insurrection, en formant des armées de votants ou des groupes armés, en essayant de conquérir un syndicat ou d'assassiner un de leurs dirigeants.
La lutte pour le communisme est une lutte contre la bourgeoisie dans son ensemble : ce n'est pas juste de choisir un «moindre mal» ou de recommander telle ou telle forme de lutte à l'ennemi de classe. Nous ne rejetons pas l'action de guérilla seulement par « son inefficacité » et sa prétention à « réveiller » — dans le meilleur des cas — ou à se substituer — dans le pire des cas — à la seule violence adéquate, la violence de classe, comme vous semblez le dire dans votre lettre.
Notre combat contre des groupes comme les Montoneros, Tupamaros, ERP, etc. ne découle pas de divergences méthodologiques mais du contenu de classe de la politique qu ils impulsent, qui correspond à celle d'un secteur du capital. Leur pacifisme, bien qu'ils empoignent les armes, s'exprime dans leur politique de collaboration de classes : libération nationale, tiers-mondisme, anti-impérialisme, nationalisations, etc. Centrer la polémique sur une question de méthode empêche de voir clairement le contenu bourgeois et les conséquences politiques, leur caractère contre-révolutionnaire, ce qui n'empêche pas que nous mettions également en question leur messianisme, leur substitutionnisme, leur violence petite-bourgeoise, leurs « méthodes ».
(...) Et dans ce sens nous prenions l'exemple de la torture : pour nous il n'existe pas une torture bourgeoise et une autre révolutionnaire. De même que l'Etat bourgeois ne peut être utilisé à des fins révolutionnaires — et le problème n'est pas « qui le dirige » ; c'est par essence — il y a des questions comme celle-ci qui, par elles-mêmes, renferment un contenu opposé aux rapports sociaux auxquels nous aspirons, raison pour laquelle nous ne la revendiquerons jamais et la condamnerons toujours, quels que soient les justificatifs qu'elle se donne.
Bref, nous ne mentionnons pas les groupes terroristes parce qu'ils sont par eux-mêmes exclus par la majorité des points discriminants, mais nous n'avons pas d'objection à les condamner plus explicitement.
Les conseils ouvriers
C'est vrai qu'il n'y a aucune référence aux conseils ouvriers. Dans ce sens vous avez raison. Nous parlons de la nécessité de détruire l'Etat bourgeois mais nous ne développons pas par quoi on va le « remplacer ». On revendique une dictature du prolétariat générique et rien de plus. Il faudrait élaborer ce point. Dans ce point il faudrait aussi dire clairement que la forme ne garantit pas un contenu et aussi que, sans certaines formes — comme celle dont nous parlons — il ne peut y avoir un réel pouvoir prolétarien avec un contenu révolutionnaire.
Caractérisation de la période actuelle
Nous ne sommes pas si convaincus, par contre, sur la caractérisation que vous faites selon laquelle il y a une génération du prolétariat « qui n'a pas connu de défaite et conserve toute sa potentialité et combativité ». Il est vrai qu'après la grande contre-révolution qui a donné lieu à la 2e guerre mondiale — et la période qui la précédait — avec le massacre de millions de travailleuses et travailleurs, la décennie des années 1960 marque une remontée de la lutte de classes, de la lutte prolétarienne. Dans cette zone du monde nous l'avons bien connue, particulièrement dans les périodes 1967-73, mais cette remontée de la lutte ouvrière, ce ressurgissement de secteurs classistes, révolutionnaires, a été écrasé ou contrôlé, avec plus ou moins de violence, par diverses méthodes. Et ce fut une défaite douloureuse, les minorités les plus radicales et sur des positions de classe ont été démantelées politiquement ou massacrées et la classe ouvrière en général frappée durement. Il reste encore des arrière-goûts de ces coups.
Et nous ne pensons pas que cela ne touche que cette aire en particulier : nous avons fraîche dans notre mémoire la question de la Pologne, la grève des mineurs anglais et d'autres cas. Cest-à-dire, la décennie des années 1960 marque un changement qualitatif: la fin d'une longue période contre-révolutionnaire ; mais de là à affirmer que la génération actuelle ne connaît pas de défaites c est un peu fort : n'a-t-elle pas eu à lutter et été défaite, dans la plupart des cas, ne fût-ce que de manière circonstancielle ? La période 1973-81 est assez noire, au moins dans plusieurs zones de la planète, et nous ne pouvons pas ignorer cela dans nos analyses.([3] [20])
Nous devons signaler que dans cette décennie des années 1980 on assiste à un ressurgissement de la lutte de classes, quoique avec des hauts et des bas. (…)
Nous ne sommes pas aujourd'hui au plus bas de la force et de la lutte de la classe prolétarienne mais, de par un ensemble de facteurs que nous n'analyserons pas ici, il commence à y avoir des luttes et des mouvements qui secouent la classe et la tirent de son repli et de son retrait... et à nous aussi. Mais l'ennemi, malgré ses problèmes économiques, conserve en grande partie sa force politique et l'initiative, c'est pourquoi il ne sera pas rare de trouver des agents à lui, au sein du mouvement ouvrier, préconisant « la lutte » alors qu'en réalité cette « lutte » est la subordination aux projets de secteurs de la classe dominante. C'est pourquoi, bien que nous comprenions ce que vous avez voulu dire quand vous affirmez « c'est un devoir de se mettre dans le courant» au lieu de nager contre le courant comme dans d'autres périodes, nous préférons dire qu'aujourd'hui plus que jamais il faut nager contre le courant bourgeois et petit-bourgeois, particulièrement celui de gauche qui justifie le réformisme et sa politique de subordination à la bourgeoisie par l'affirmation que « le mouvement est tout », défendant dans les faits la démocratie, les syndicats, les fronts, la nation.
Oui, nous devons rentrer pleinement dans le courant internationaliste prolétarien, en combattant tant ceux qui recherchent une pureté utopique que ceux qui, au nom d'un soi-disant réalisme, laissent pour un futur lointain ou pour une autre étape les principes et les objectifs révolutionnaires internationalistes prolétariens (ou ceux qui s'assoient pour étudier et discuter dans l'attente d'une future — et lointaine — vague révolutionnaire au lieu de participer effectivement à la lutte concrète et de résistance et contre le capital que la classe ouvrière livre de manière intermittente). (...)
Quelques conclusions
(...) Pour nous, votre réponse a été un stimulant, et pas seulement la lettre mais l'attitude que vous avez eue de faire circuler nos idées. Et par rapport à la lettre, nous considérons les critiques très importantes — de même que celles de l'OCI/Italie —, non que nous soyons d'accord avec chacune d'elles mais parce qu'elles démontrent une attitude très revendicable de responsabilité, d'essayer d'être un apport — avec votre politique, bien sur — au développement du mouvement révolutionnaire.
Salutations chaleureuses Emancipaciôn Obrera
Réponse
à Emancipaciôn Obrera
Chers camarades,
Avant tout nous voulons que vous compreniez que si nous avons traduit et publié votre « Proposition-appel » dans notre presse internationale et lui avons donné le maximum de diffusion, autant que nos forces limitées nous le permettaient, ce n'était pas par « sentimentalisme révolutionnaire », ni parce que nous sommes des partisans « inconditionnels » du regroupement « à tout prix ». Ce qui détermine notre position dans ce domaine, ce sont des convictions fermes basées sur une analyse approfondie de la période présente.
Quelles perspectives pour le regroupement des révolutionnaires dans la période historique actuelle.
Toute l'histoire de la lutte du prolétariat nous enseigne que la formation et le regroupement des révolutionnaires, donnant lieu à une organisation internationale révolutionnaire, sont étroitement liés au cours suivi par la lutte de la classe. Les périodes de hautes luttes et les périodes de grandes défaites du prolétariat ont inévitablement une répercussion directe sur les organisations révolutionnaires de la classe, sur leur développement ou leur dispersion, et sur leur existence même.
Sans vouloir ici entrer dans de grands développements à ce sujet, il suffit de rappeler le déroulement de l'histoire de la Ligue des Communistes de 1848, des lre, 2e et 3e Internationales pour s'en convaincre. Nous disons que cette relation est évidente et inévitable parce que, pour nous, l'apparition et l'activité des organisations révolutionnaires ne sont pas un produit de la « volonté » de gens intelligents en marge des classes, mais sont le produit des classes elles-mêmes. Une organisation révolutionnaire (dans la société capitaliste) ne peut être que le produit de la classe historiquement révolutionnaire : le prolétariat. Et la vie de cette organisation ne peut donc pas être fondamentalement différente de la vie et l'état de la classe.
L'échec de la première vague révolutionnaire qui a suivi la première guerre mondiale nous enseigne, entre autres, que la gravité et les conséquences de la défaite sont en rapport avec le projet révolutionnaire mis en pratique par la classe. L’échec de la première vague révolutionnaire s'est soldé par un massacre sanglant de grandes masses de prolétaires, dans de nombreux pays, par la ruine de la révolution victorieuse d'octobre 1917, par la dégénérescence rapide de la 3e Internationale, et par la trahison des PC staliniens passés, dans tous les pays, dans le camp de la bourgeoisie ; par une 2e guerre mondiale, par 50 ans de réaction engloutissant deux générations du prolétariat. Une telle situation ne pouvait que disperser les forces révolutionnaires, affaiblissant de plus en plus leurs activités, les réduisant à des îlots de résistance qu'étaient les Fractions de la Gauche Communiste. Et ces groupes ne pouvaient résister à l'avalanche écrasante de la contre-révolution qu'en se maintenant fermement sur les principes programmatiques, comprenant la profondeur réactionnaire de la période, l'impossibilité d'avoir un impact réel sur les masses, et limitant essentiellement leur activité à un travail de réexamen critique, de bilan de l'expérience que la classe venait de vivre, afin de tirer les enseignements politiques indispensables pour assumer leur tâche lors d'une nouvelle reprise de la lutte du prolétariat.
Toute orientation contraire, qui voulait coûte que coûte se lancer, dans une telle situation, à la reconstruction immédiate d'une organisation de masses, à une nouvelle Internationale (la 4e), relevait à la fois d'une incompréhension de la situation, et d'une démarche volontariste nécessairement impuissante, ou pire encore, comme ce fut le cas du courant trotskyste, menait à brader les principes révolutionnaires, et à s'enfoncer de plus en plus dans une évolution opportuniste.
Un autre exemple de l'incompréhension d'une période est celui de la proclamation d'un parti, comme ce fut le cas des bordiguistes, à la fin de la 2e guerre, en pleine réaction. Ces actions « d'impatience révolutionnaire », sont des aventures qui se font toujours au prix d'une politique immédiatiste et opportuniste.
Guerre ou révolution, la crise actuelle.
Nous avons insisté un peu longuement sur ce point, pour mieux faire ressortir ce qui distingue la période antérieure, de celle qui s'est ouverte à la fin de la décennie des années 1960, qui marque la fin de la reconstruction d'après la deuxième guerre mondiale, l'annonce d'une nouvelle crise ouverte du capitalisme mondial avec tout ce que cela impliquait du point de vue de la lutte de classe. Contrairement à la crise des années 1930 qui trouve un prolétariat épuisé par de grandes défaites historiques de sa lutte révolutionnaire, démoralisé par la dégénérescence de la révolution d'octobre et la trahison des PC passés à la bourgeoisie, par la victoire du fascisme en Allemagne, et le massacre du prolétariat espagnol sur l'autel de la défense de la république, qui ouvraient un cours inexorable vers une nouvelle guerre mondiale, la crise qui s'annonce à la fin des années 1960 trouve, elle, une nouvelle génération du prolétariat qui n'avait connu ni de batailles décisives, ni de défaites sanglantes, gardant donc toutes les potentialités et les capacités d'une reprise de la lutte.
Tout en aiguisant les tensions inter-impérialistes, cette crise ouvre avant tout un cours de luttes de la classe ouvrière, et c'est le sort de cette lutte de classe qui conditionne l'issue de l'alternative historique : barbarie ou socialisme, ou une 3e guerre mondiale (et ses conséquences catastrophiques) ou la révolution prolétarienne.
C'est
cette analyse de la période actuelle de reprise et de développement de la lutte
de la classe ouvrière qui détermine la nécessité et la possibilité d'une
renaissance et le renforcement d'une organisation révolutionnaire apte à
assumer pleinement sa fonction dans la classe et sa lutte.
Le cours à des affrontements de classe
Cinquante années de contre-révolution et de réaction ont rompu la continuité organique du mouvement révolutionnaire, ont anéanti les organisations de la Gauche communiste russe, allemande, hollandaise, et sclérosé en grande partie celle d'Italie, et développé un esprit de secte, de chapelle. Mais le ressurgissement du mouvement du prolétariat en lutte ne peut pas ne pas sécréter en son sein de nouvelles organisations révolutionnaires. Ces nouvelles organisations qui ont leurs racines communes dans la situation nouvelle, actuelle, de la lutte des classes, n'ont pas pour autant une même trajectoire et un même développement politique ; elles souffrent souvent d'un manque de formation théorique-politique rigoureux, d'une connaissance sérieuse de l'histoire du mouvement révolutionnaire, de ses expériences et acquis, se débattent souvent dans la confusion, avec le risque, dans leur isolement, de se perdre dans des impasses et de disparaître.
Seule la prise de conscience de la nécessité de rompre l'isolement, de développer des contacts avec d'autres groupes, de la nécessité de l'échange des idées, de la presse, de l'information, de la stimulation de la discussion internationale inter-groupes, des accords éventuels pour des interventions communes, peut permettre un processus de décantation indispensable, et ouvrir la voie vers un regroupement international des forces révolutionnaires, basé sur des principes solides, marxistes, et des positions politiques rigoureuses de classe.
C'est sur ces analyses et ces convictions que repose notre ferme volonté de propulser et soutenir toute proposition qui va dans le sens de resserrer les contacts entre les groupes, de créer un pôle, un lieu de réflexion, de clarification, de décantation et de regroupement des forces révolutionnaires aujourd'hui encore dispersées.
C'est parce que nous sommes convaincus que cette tâche est à l'ordre du jour aujourd'hui, pour la reconstitution du mouvement révolutionnaire, qui ne peut être faite que sur le plan international, que nous ne nous lassons pas de poursuivre notre effort dans ce sens, depuis bien avant la constitution formelle du CCI, et c'est la raison pour laquelle nous avons salué votre Appel.
Par expérience, nous savons que ce n'est pas une tâche facile. Mieux que vous, nous connaissons les différents groupes qui constituent ce que nous appelons le milieu politique prolétarien ; ce milieu que beaucoup de groupes ignorent ou veulent ignorer, se considérant chacun dans son sectarisme, comme le seul et unique groupe révolutionnaire de par le monde. On ne peut certes ignorer qu'il existe des divergences réelles qui ne peuvent être résolues que par la discussion, la clarification approfondie et la décantation politique inévitable et salutaire. Mais on doit savoir distinguer ces divergences réelles de ce qui relève de malentendus, d'incompréhensions, et surtout d'un étroit état d'esprit mégalomane.
Il n'existe pas de recettes contre ces dernières manifestations. Il faut reconnaître leur existence comme autant d'entraves, et leur opposer une ferme volonté de poursuivre inlassablement l'effort pour rompre l'isolement, pour développer les contacts, les discussions sérieuses de clarification et, les événements aidant, parvenir à un rapprochement des groupes, en vue d'une activité révolutionnaire fructueuse.
Pour résumer notre pensée sur ce point, nous pouvons dire : tant que, d’une part, une compréhension de la période actuelle ne se fondera pas sur une analyse juste d'une période de reprise internationale de la lutte du prolétariat, de ses causes et potentialités, et d'autre part persistera l'esprit de secte, le souci prioritaire de conservation de SA chapelle, héritage caricatural d'une période passée, votre proposition d'une revue publique internationale commune à tous les groupes, quel que soit le souci JUSTE qui la sous-tend, ne peut rester qu'un vœu pieux, une illusion sur le plan politique, sans parler déjà des difficultés quasiment insurmontables dans les conditions actuelles sur le plan pratique. En tout état de cause, avec la meilleure volonté du monde, votre proposition d'une telle revue reste pour le moins largement prématurée dans la réalité du moment présent.
Seul
un événement révolutionnaire d'une portée historique extraordinaire pourrait
précipiter la réalisation d'un tel projet. Est-ce à dire que pour le moment il
n'y a rien à faire ? Absolument pas ! Mais il serait erroné et même négatif de
chercher des raccourcis, et de penser qu'on peut contourner les difficultés en
commençant par un regroupement d'actions politiques ou la publication dune
revue commune. Ces raccourcis, loin de mener vers un rapprochement, sur une
base politique claire et solide, risquent au contraire de mener vers la
confusion et l'escamotage des problèmes politiques, terre fertile de tous les
opportunismes.
Les critères minimaux ouvrant la voie d'un rapprochement
Pour éviter tout malentendu concernant les critères devant servir de base de sélection des groupes pouvant positivement participer à des discussions de clarification dans un processus de rapprochement entre les groupes révolutionnaires existants, nous partageons pleinement votre souci que de tels critères doivent être à la fois « larges et stricts : larges pour que puissent participer des groupes ou des personnes dont les définitions, de par leurs limitations historiques, ne recouvrent pas la vaste gamme des autres groupes, mais s'inscrivent dans la même tendance ; stricts pour exclure ceux qui expriment une politique antagonique à celle que nous revendiquons, même si leur langage contient des relents marxistes ». Nous sommes même d'avis, qu'appliquant ce même type de critères, nous devons également tenir compte s'il s'agit de groupes anciens, dans lesquels les positions erronées ou historiquement dépassées sont incrustées au point de les scléroser ; ou de groupes nouveaux qui surgissent, et dont les erreurs relèvent d'une immaturité momentanée, et peuvent être largement surmontées et corrigées au cours d'un processus de clarification.
Cependant, nous divergeons en partie avec vous, sur la question de savoir quels sont « les points de discrimination les plus importants, tout en tenant compte du fait que tout le monde n'a pas suivi les mêmes étapes, ni donné des définitions dans le même ordre d'idées. Nous voulions en même temps qu'ils soient un obstacle contre les opportunistes, les réformistes et contre la gauche en général... (du capital) ». La question est de savoir quels sont ces « points de discrimination les plus importants ».
Tout d'abord, nous ne saurions admettre l'absence de critère politique, et ne retenir pour seul et unique critère l'affirmation qui se trouve dans votre « Proposition Internationale» (Revue Internationale n°46, p. 15) : «Pour nous, ce critère pour nous reconnaître, c'est la pratique ». Qu'est-ce donc que cette « pratique » se suffisant à elle-même, et bonne pour toute discrimination ? Formulé ainsi, c'est en contradiction, ou du moins ça entretient une ambiguïté avec tout le souci exprimé dans le reste de votre « Proposition » et dans les 14 points pour définir à qui celle-ci est adressée.
Une « pratique », séparée de tout fondement politique, de toute orientation, de tout cadre de principes n'est qu'une pratique suspendue en l'air, un immédiatisme borné, mais ne saurait jamais être une activité vraiment révolutionnaire. Toute séparation entre théorie et pratique optant, soit pour la théorie sans pratique, soit pour la pratique sans théorie, détruit l'unité des luttes immédiates et du but historique. Cette fameuse «pratique» en soi ressemble étrangement à une réédition de la non moins fameuse devise révisionniste bernsteinienne de la fin du siècle dernier : « Le mouvement est tout, le but n'est rien».
Cette « pratique pour la pratique », quoi qu'on en dise, est aussi une politique : une politique de cacher, d'escamoter, d'esquiver les vrais problèmes de la lutte de classe concrète, tels qu'ils se présentent dans la réalité aux ouvriers. Incapable de répondre à ces problèmes, cette pratique cache à peine l'indigence de pensée de ses protagonistes, préférant le coup de poing ou le coup de gueule d'une phraséologie révolutionnaire, aussi grandiloquente que creuse, pour s'épargner l'effort, un tant soit peu, de la réflexion et de l'activité cohérente.
Une politique-pratique révolutionnaire découle à la fois du but qu'on se propose d'atteindre, et de l'analyse des conditions concrètes, de la situation réelle, vivante, du rapport de forces donné entre les classes. La « pratique » politique, par contre, tourne complètement le dos à la réflexion, à toute cohérence qui lui apparaît comme un carcan pesant et inutile, dont il faut se débarrasser au plus vite, pour mieux pouvoir, non pas agir mais s'agiter. Cette politique (de la pratique se suffisant à elle-même) a une tradition dans le mouvement ouvrier : elle va de Weitling à Willitch, de Bakounine à Netchaev, et à toutes les variantes de l'anarchisme d'hier et d'aujourd'hui.
Ajouter le mot « commune » à la pratique, et parler de la « pratique commune » pour en faire le seul point de discrimination et pour « se reconnaître » n'arrange pas davantage les choses. Quelle est la pratique commune des groupes qui se disent révolutionnaires ? Elle consiste, avant tout, dans le fait de publier une presse, de sortir des tracts, de les diffuser le plus largement possible. Cette pratique effectivement commune ne permet nullement de distinguer les révolutionnaires des autres organisations politiques au service de l'ennemi de classe. Le problème n'est donc pas la pratique, mais son contenu politique, et seul ce contenu effectivement politique peut nous permettre de juger le terrain de classe sur lequel se situent les différentes organisations. C'est pourquoi ce n'est pas la pratique en soi qui peut servir de critère de discrimination et de regroupement, mais fondamentalement les positions politiques qui la fondent.
C'est pourquoi, nous voudrions rappeler les critères politiques qui ont servi de base aux trois Conférences Internationales des groupes de la Gauche Communiste dans les années 1977 à 80, critères qui pour une première délimitation immédiate demeurent nécessaires. L'invitation s'adressait à tous les groupes qui :
« 1°) Se réclament et défendent les principes fondamentaux qui ont présidé à la Révolution prolétarienne d'octobre 1917 et à la constitution de la 3e Internationale de 1919 et qui, à partir de ces principes, entendent soumettre à la critique constructive les positions politiques et la pratique élaborée et énoncée par l'Internationale Communiste à la lumière de l'expérience.
2°) Rejettent sans la moindre réserve toute prétendue existence dans le monde de pays à régime socialiste ou de gouvernement ouvrier, même avec le qualificatif de "dégénéré". Rejettent toute distinction de classe à établir entre les pays du bloc de l’est ou de la Chine avec les pays du bloc de l’ouest et dénoncent comme contre-révolutionnaire tout appel à la défense de ces pays.
3°) Dénoncent les PS et les PC et leurs acolytes comme des partis du capital
4°) Rejettent catégoriquement l’idéologie de l'anti-fascisme, établissant une frontière de classe entre le fascisme et la démocratie, en appelant les ouvriers à défendre ou à soutenir la démocratie contre le fascisme.
5°) Proclament la nécessité pour les communistes d’œuvrer pour la reconstruction du Parti, arme indispensable pour la victoire de la Révolution prolétarienne.
Un simple énoncé de ces critères fait comprendre à tout ouvrier qu'il ne s'agit pas d'un ramassis de toutes les "bonnes volontés", mais de groupes authentiquement communistes, se démarquant nettement de toute la faune gauchiste : maoïstes, trotskystes, modernistes, et autres conseillistes bêlants "anti-parti".
Ces critères, certes insuffisants pour établir une plate-forme politique pour un regroupement, sont par contre parfaitement suffisants pour savoir avec qui on discute et dans quel cadre, afin que la discussion soit réellement fructueuse et constitue un point positif. »
(Revue Internationale n° 16, 1er trimestre 1979)
Cependant, certains aspects contenus dans ces critères, en particulier dans les points 1 et 5, peuvent et doivent être explicités.
La discrimination fondée sur la séparation historique entre le marxisme et les théories de l'anarchisme (cette expression des couches artisanales en voie de prolétarisation) et du populisme reste d'autant plus importante aujourd'hui avec le réveil de courants tendant à préconiser la conciliation possible avec ces deux courants antagonistes.
Il en est de même pour ce qui concerne ce que nous appelons les modernistes, qui prétendent remettre en cause le marxisme et remettre en question le prolétariat comme l'unique classe révolutionnaire dans la société et le seul sujet de son dépassement.
Il en est aussi de même des académistes-marxologues qui acceptent volontiers de discourir sur la validité de la théorie marxiste, mais oublient et passent sous silence le côté actif du marxisme qui est avant tout la théorie et la pratique de la lutte de classe du prolétariat.
Il en est encore de même de la discrimination avec le conseillisme qui rejette la nécessité d'une organisation politique du prolétariat (le parti) et lui nie toute fonction politique et militante dans la lutte pour la révolution, ou bien les théories bordiguistes qui substituent à la dictature du prolétariat la dictature du parti.
La compréhension et la reconnaissance de la phase de décadence du système capitaliste aujourd'hui, qui explique l'impossibilité de réformes durables et donc du réformisme, qui définit catégoriquement les partis socialistes et « communistes » comme non ouvriers et simple aile gauche du capital, qui rejette de façon tranchante le parlementarisme, le syndicalisme, et les mouvements de libération nationale comme définitivement dépassés, ne servant désormais qu'à mystifier le prolétariat en le détournant sur un terrain de classe de la bourgeoisie.
Nous voulons citer en exemple vos propres expériences qui confirment l'importance de ces critères :
1) Durant la guerre des Malouines, vous vous trouvez être le seul groupe en Argentine à dénoncer la guerre et les appels à la collaboration du prolétariat sous prétexte de la lutte anti-impérialiste. A lui seul cet événement a pu faire un démarquage de principes entre vous et tous les autres groupes qui se sont laissés prendre dans le piège de la lutte soi-disant anti-impérialiste. Nous reviendrons plus loin sur la soi-disant existence des pays impérialistes et non impérialistes. Mais ce que nous voulons mettre en relief dès maintenant, c'est que la question de la soi-disant lutte anti-impérialiste est passée du plan théorique au plan pratique comme critère important de position de classe.
2) Concernant vos discussions avec l'OCI d'Italie, vous écrivez que si l'OCI persiste à défendre ses positions concernant la « libération nationale », vous vous verrez dans l'obligation de constater l'impossibilité et l'inutilité de poursuivre les discussions avec ce groupe. Vous confirmez ainsi que la position sur la libération nationale est devenue un critère de discrimination entre les groupes qui se disent révolutionnaires.
3) Concernant la question du terrorisme révolutionnaire et votre discussion avec le GCI qui « revendique le terrorisme révolutionnaire », votre rejet de cette position anarchiste est nette et catégorique comme le fut et reste la notre. Cette question constituait une des raisons de la rupture du GCI avec le CCI, il y a huit ans. Pour ne pas avoir compris ce qui distingue la violence révolutionnaire de la classe du terrorisme petit-bourgeois, le GCI nous lançait alors le reproche de défendre rien de moins que le pacifisme bourgeois. Aujourd'hui le GCI semble être revenu sur cette position. Nous voudrions espérer que ce retour n'est pas simplement un fait conjoncturel, sans en être pourtant absolument sûrs. Toujours est-il que cette question du terrorisme «révolutionnaire » ne peut pas ne pas être un critère discriminatoire.
Il
va de soi que nous partageons absolument vos remarques sur la torture comme
méthode absolument étrangère au prolétariat et à combattre par les
révolutionnaires. Le prolétariat ne peut pas utiliser ce type de méthode parce
que si la torture correspond à une classe oppressive par nature, elle est dans
son essence antagonique à une classe, le prolétariat, qui représente, pour la
première fois dans l'histoire, la libération de toutes les oppressions et
barbaries.
La continuité historique du mouvement révolutionnaire
Nous comprenons très bien que, partant de la constatation juste que vous faites qu'un bon nombre de groupes authentiquement prolétariens et révolutionnaires qui ont surgi et surgiront encore connaissent mal l'histoire du mouvement révolutionnaire du prolétariat, vous vouliez éviter de faire, des leçons de cette histoire, des critères de discrimination risquant de laisser ces groupes hors du processus de contact et de regroupement qu'il importe aujourd'hui de propulser.
Nous ne sommes pas assez stupides ni sectaires pour l'exiger comme préalable absolu. Ce sur quoi nous voulions insister de toute notre conviction, c est que sans cette connaissance et cette assimilation, aucun regroupement véritable, solide, n'est possible. C'est pourquoi nous mettons tant d'insistance sur la discussion et la clarification, sur l'évolution du mouvement et de ses différents courants, sur leurs positions énoncées, sur leur expérience afin de pouvoir partir de ses acquis indispensables pour avancer aujourd'hui dans notre activité révolutionnaire.
Nous avons déjà rappelé les plus de 50 ans de rupture de la continuité organique qui s'est produite après la défaite de la 1re vague révolutionnaire, et les lourdes conséquences pour le mouvement révolutionnaire. Mais il ne suffit pas de se contenter de le constater, il importe de s'efforcer de rétablir la continuité politique et historique du mouvement. Bien des groupes font cette constatation et font même de cela une vertu. Il leur semble plus avantageux de rester dans l'ignorance et même d'effacer purement et simplement le passé, et de considérer que l'histoire de la lutte de classe commence avec eux. Il importe au plus haut point de combattre cette absurde présomption et apprendre à ces groupes, dans leur volonté d'effacer le passé, se considérant être sortis du néant, qu'ils sont condamnés à n'être que le néant.
De même que la classe ouvrière continue à rester la même classe ouvrière, c'est-à-dire à la fois classe exploitée et historiquement révolutionnaire, quelles que soient les vicissitudes de l'évolution du capitalisme, de même les organismes politiques qu'elle engendre constituent, au travers des hauts et des bas de la lutte de la classe, un mouvement politique historique continu. La notion même du prolétariat comme une classe internationale unie fonde et détermine la réalité de la continuité de son mouvement politique.
Seuls les gens bornés peuvent interpréter la notion de continuité comme identique à immobilité, à une idée statique. La continuité n'a rien à faire avec les idées telles « qu'il n'y a rien de nouveau sous le soleil» ou bien que chaque jour et avec chaque génération commence une histoire totalement nouvelle qui n'a rien à voir avec le passé ni avec le devenir. La continuité, au contraire, est fondamentalement dynamique, mouvement, développement, dépassement, critique et nouveaux acquis. Rien d'étonnant à ce que les groupes politiques ouvriers qui ne comprennent pas ou rejettent la notion de continuité n'ont eux mêmes aucune continuité et traversent le mouvement ouvrier comme phénomènes éphémères et disparaissent sans laisser de trace de leur passage.
C'est le cas de bien des groupes qui se sont agités dans les décennies 1960 et 1970. Il suffit de mentionner les groupes tels que : ICO (ouvriériste anarchiste), les Situationnistes (intellectuels-volontaristes), le GLAT (marxiste-ouvriériste), Pouvoir ouvrier (trots-kysto-conseilliste), le PIC (activiste-conseilliste), l'OCL (libertaire) en France ; Potere Operaio (ouvriériste), Lotta Continua (activiste), Autonomia Operaia (ouvriériste-moderniste) en Italie, Spartacus (conseilliste) en Hollande, et tant d'autres groupes pseudo-marxistes, semi-libertaires, semi-modernistes un peu partout en Europe et aux Amériques. Tous ces groupes, dont l'existence constituait un énorme gaspillage de forces ouvrières, avaient tous cette caractéristique commune de rejeter l'histoire du mouvement ouvrier et plus particulièrement l'idée d'une continuité politique du mouvement révolutionnaire du prolétariat.
Quoi d'étonnant que tous ces éléments et groupes devaient plus ou moins se retrouver et se reconnaître dans la sentence, le verdict sans appel prononcé par l'éminent sociologue universitaire en titre, M.Rubel, lors du débat organisé pour le centenaire de la mort de Marx. Selon Rubel, Marx (et le marxisme) ne sont qu'une utopie du 19e siècle, car Marx annonçait que « le prolétariat sera tout et partout, or aujourd'hui le prolétariat n'est rien et nulle part», prenant ainsi leur propre faillite pour la faillite du prolétariat et de sa théorie : le marxisme révolutionnaire.
Derrière le rejet de la continuité, se cache une négation de toute l'histoire du mouvement ouvrier, ou pour mieux dire, la négation que la classe ouvrière ait eu et peut avoir une histoire. Derrière une phraséologie ultra-radicale en apparence et en fait creuse des modernistes, se cache en réalité la mise en question du prolétariat comme classe révolutionnaire et qui est, pour les marxistes, la seule classe révolutionnaire dans la société capitaliste.
Il est de bon ton aujourd'hui, pour chaque moderniste au nez très délicat de se détourner avec dégoût, à la seule évocation de la 2e Internationale. Avec 80 ans de retard, ces « révolutionnaires » de la phrase, découvrent la faillite de la 2e Internationale sous le poids de l'opportunisme et ne voient que cela. Ils ignorent et veulent ignorer tout le positif que constituait cette Internationale, à un moment donné et précis dans l'histoire du mouvement ouvrier. En le rejetant en bloc, ces farceurs « révolutionnaires » jettent l'enfant avec l'eau sale de la baignoire. Ils ferment les yeux et se bouchent les oreilles pour ne pas entendre et ne pas voir que cette organisation a servi, à un moment de l'histoire du mouvement ouvrier, de pôle de rassemblement des forces ouvrières, une pépinière d'éducation, de formation et de propagation de la prise de conscience des grandes masses du prolétariat. Ils ignorent ou semblent ignorer que c'est en son sein et nulle par ailleurs, que se développait et agissait la gauche marxiste, de Lénine à Luxemburg, de Liebknecht à Bordiga, qui combattait, non en phrases creuses mais théoriquement et pratiquement, la pénétration de l'idéologie bourgeoise et contre la dégénérescence opportuniste. Mais de qui donc ces « révolutionnaires » en peau de lapin d'aujourd'hui, de qui donc ont-ils appris la faillite de la 2e Internationale, sinon de cette gauche marxiste qui a reconstitué, après la faillite de la précédente, et en continuation et dépassement de cette dernière, la nouvelle Internationale : l'Internationale Communiste. Il ne s'agit pas de faire l'apologie et de se réclamer de toute l'œuvre positive et négative, pêle-mêle, de la 2e Internationale, mais de situer celle-ci dans l'histoire, et dans l'histoire du mouvement ouvrier. Nos grands-pères ont peut-être mal fini leur vie, tombant dans l'alcoolisme dévastateur, ils n'en reste pas moins que ce sont eux qui ont donné la vie à la génération de laquelle nous sommes la progéniture. Une nouvelle génération révolutionnaire ne vient pas par la voie de la génération spontanée, mais se hisse, en continuation, sur les épaules des générations révolutionnaires antérieures du prolétariat.
Vos
remarques critiques et objections formulées sur ce point nous paraissent,
franchement, trop évasives et peu satisfaisantes.
Sur le parlementarisme
Pour commencer, nous prenons acte de votre affirmation que sur la question de la participation électorale « nous ne l'avons jamais fait et nous n'avons pas l'intention de le faire». Mais cette affirmation claire est immédiatement rendue ambiguë, dans la mesure où vous confondez participation et dénonciation quand vous écrivez : «si à quelque moment se pose la question d'un boycott actif dans une élection, cela revient dans les faits à participer à une campagne.. » C'est peut-être la faute d une traduction défaillante, mais si nous continuons ainsi, nous n'arriverons pas à nous comprendre. Boycotter, même accompagné de l'adjectif «actif» ne peut, en toute logique, vouloir dire participer, de même que boycotter les syndicats et les dénoncer ne veut pas dire participer. Participer veut dire prendre part positivement à quelque chose, c'est par exemple appeler les ouvriers à voter, en présentant ou non des candidats. Il faut donc distinguer clairement ces deux choses : participation ou abstention. Pour ne pas embrouiller encore plus la question, il vaudrait mieux laisser de côté le crétinisme parlementaire qui s'est développé dans le giron de l'opportunisme dans la 2e Internationale.
Au 19e siècle, Marx et la majorité de la 1ere Internationale défendirent contre les anarchistes et Bakounine la validité politique de la participation aux élections et au Parlement, non pour briguer « des charges exécutives » comme vous semblez le dire, mais dans la mesure où, à l'époque, la lutte pour des réformes politiques et sociales au sein de la société capitaliste comme le suffrage universel, le droit d'association, de réunion, de la presse ouvrière, ou encore la limitation officielle de la journée de travail, etc. avaient un intérêt et un sens évident dans la défense des intérêts de la classe ouvrière. Vous semblez mettre en question ce point, rejoignant ainsi, avec un siècle de retard, la position anarchiste, et en oubliant complètement ce que vous dites par ailleurs, sur la nécessité de prendre en compte « les situations concrètes ».
Cette justification de la participation au parlement fut abandonnée par Lénine et les marxistes à la fondation de l'Internationale communiste qui retenait uniquement l'argument de la possibilité de l'utilisation des campagnes électorales et de la tribune des parlements en vue de l'agitation révolutionnaire, ce qu'ils nommaient le parlementarisme révolutionnaire.
Vous ne semblez pas attacher grande importance à ce changement fondamental, ni chercher les raisons profondes pour lesquelles il a été accompli par des révolutionnaires qui n'entendaient pas faire en cela une quelconque « concession » rétrospective à l'idéologie anarchiste, mais en marxistes, se référaient au changement historique de la situation, aux conditions objectives nouvelles intervenues dans la réalité concrète.
Ce qui est en discussion aujourd'hui dans nos débats, c'est de se prononcer sur la validité ou non de ce que Lénine appelait le parlementarisme révolutionnaire. Cette position, qui a été celle de Lénine dans la 3e Internationale a-t-elle jamais été valable dans la période présente ? Et pourquoi n'est-elle pas valable ? Comme vous ne répondez pas clairement, ni à la première, ni à la seconde question, vous vous contentez d'écrire après maintes tergiversations que cela ne peut être un « critère discriminatoire », laissant ainsi la porte ouverte à tout venant. Même en retenant votre affirmation qu'« il va de soi que nous ne sommes pas d'accord pour faire du parlementarisme», vous l'accompagnez par « nous ne le tirons pas d’un principe a priori », ni « de la catégorie (?) capitalisme décadent », « mais en analysant les situations concrètes ». De quelles situations concrètes s'agit-il ? De situations locales, ou «des aires géographiques » chères aux bordiguistes, ou encore de « situations conjoncturelles », autre argument bordiguiste, ou bien de changement d'une situation historique, de période historique ? Et ce manque de clarté s amplifie encore quand vous vous référez hors contexte à Marx sur le fait que «des événements historiques sensiblement analogues mais qui se déroulent dans des milieux différents (souligné par nous) conduisent à des résultats totalement différents ». Qu'est-ce à dire sinon que vous considérez que le même problème: le parlementarisme, se pose, encore aujourd'hui, dans des milieux différents, selon le pays ou aire géographique, et donc ne peut conduire qu'à des résultats totalement différents, à savoir ; à tel endroit (situation concrète !) le parlementarisme serait toujours praticable, et à tel autre endroit il ne serait plus valable ou que cela dépendrait du moment.
Cette généralité de « situations concrètes » peut servir à n'importe quoi sauf à répondre à la question : pourquoi le parlementarisme, dans le sens révolutionnaire de Lénine, a cessé d'être valable précisément à partir de la 1re guerre mondiale dans tous les pays du monde.
Serait-il trop vous demander de préciser clairement, pour nous et pour le milieu prolétarien en général, votre position là-dessus ? Ceci est d'autant plus nécessaire que la question du parlementarisme révolutionnaire est très étroitement liée à celle du syndicalisme et de la libération nationale.
Il faut se garder de la méthode phénoménologique et ne pas traiter ces questions d'une façon séparée, chacune à part, en soi. Ces questions ne sont que différents aspects d'une même problématique ayant ses racines dans une même réalité « concrète ». A des questionnements qui s'inscrivent dans une même globalité, la réponse ne peut être que globale.
On ne peut que regretter la façon un peu légère avec laquelle vous touchez, comme cela en passant, le problème du capitalisme décadent. Sans vouloir nous étendre ici sur ce problème, nous nous contenterons d'attirer votre attention sur l'article paru dans la Revue Internationale n° 48 qui répond plus à fond aux diverses objections sur cette question, et à la suite de cet article dans ce numéro.
Vous semblez, par ailleurs, accorder une importance particulière à la question de la condition des femmes aujourd'hui. Nous regrettons de ne pas bien vous comprendre et de ne pas pouvoir vous suivre. Les marxistes n'ont jamais ignoré le problème de l'oppression que subissent les femmes dans toute société où existe la division des classes et donc l'exploitation et l'oppression dans tous les domaines et à tous les niveaux. Mais la solution de ce problème relève de la solution générale : mettre fin au capitalisme, dernière société de la division en classes, libérer toute l'humanité de ce fléau qu'est l'exploitation de l'homme par l'homme, et rétablir, réaliser la communauté humaine. Mais il faut affirmer que le porteur de cette libération totale ne peut être que le prolétariat, parce que LUI SEUL représente l'humanité universelle. Il faut surtout se garder de faire de la question des conditions de la femme un problème séparé, un problème de féminisme supra-classiste, tel qu'il s'est développé dans les décennies 1960-70, avec la campagne et le mouvement dit de «libération de la femme ». Tous ces mouvements de « libération » de la femme, de le jeunesse, des minorités nationales, des homosexuels, etc. tendent à être toujours supra ou inter-classistes, et ont pour vocation de détourner l'attention du problème fondamental, celui de la lutte de classe du prolétariat.
Pour finir, nous voulons clarifier une fois pour toute la question ainsi nommée de tiers-mondisme ([4] [21]) afin de lever tout malentendu à ce sujet. Nous partageons pleinement avec vous que ce terme, autant que celui de « pays sous-développés » sont impropres, ambigus, et se prêtent à toutes sortes de distorsions et de confusions. Nous les employons faute d'un vocable plus approprié à la réalité, et probablement aussi du fait que c'est la terminologie courante dans toute l'Europe, et dans toute la presse du monde. C'est là une explication, mais non une justification.
Qu'il soit clair que pour nous, le capitalisme est depuis longtemps parvenu à créer un marché mondial dans lequel il a intégré tous les pays dans les rapports de production capitalistes. L'impérialisme, pour Rosa Luxemburg, est précisément ce stade atteint de l'intégration de l'ensemble des pays dans le système économique capitaliste, d'où la saturation du marché mondial, la surproduction, la crise permanente et insurmontable du système dans laquelle tous les pays se débattent pour vendre leurs marchandises aux dépens de leurs concurrents. Ainsi le concept d'impérialisme ne se réduit pas au simple fait de la domination d'un pays par un autre, comme le prétendent les trotskystes et autres maoïstes, divisant le monde en pays impérialistes (dominants) et pays non impérialistes (dominés). Il est bien plus que cela. Il est un stade atteint par le capitalisme, et de ce fait, tous les pays, quelle que soit leur puissance, sont marqués du sceau de l'impérialisme.
Il serait pour autant erroné de ne pas reconnaître le décalage existant dans le développement et la puissance des différents capitaux nationaux. L'inégalité du développement est une loi inhérente au capitalisme. Non seulement l'inégalité a pour cause des raisons historiques, mais encore parce que le capitalisme, comme système, ne permet pas un développement vers une égalisation totale de la puissance économique des différents pays. Cela ne sera possible que dans le socialisme. C'est le cas surtout des pays qui se sont intégrés plus tardivement dans le système capitaliste de production. Cette inégalité se répercute forcément et joue un rôle énorme dans le rapport de forces entre les classes dans les pays différents. De cette loi de l'inégalité du développement, Lénine a tiré la théorie du maillon le plus faible, selon laquelle la tension révolutionnaire va produire la rupture de la chaîne dans les pays de moindre puissance du capitalisme. A cette théorie, nous opposons la vision classique de Marx et de Engels, pour qui la révolution communiste est plus certaine de se produire et de se propager, partant des pays les plus avancés, les plus industrialisés, là où les forces productives se heurtent le plus violemment au mode de production, là où le prolétariat est le plus nombreux, le plus concentré, le plus expérimenté, constituant une plus grande force pour vaincre le capitalisme. C'est dans ces pays qu'ils situaient l'épicentre du tremblement et de l'effondrement du capitalisme.
C'est dans ce sens que nous employons parfois, à défaut de termes plus appropriés, 1’image métaphorique et les termes de centre et de périphérie constituant un tout.
Toutefois nous sommes d'accord avec vous qu'il serait souhaitable de trouver des termes plus appropriés. En attendant, il serait peut-être judicieux de les mettre entre guillemets afin d'éviter toute interprétation abusive et déformatrice de notre pensée.
Dans l'espoir que cette lettre, un peu longue, contribuera à dissiper les malentendus et permettra de clarifier les vrais problèmes en discussion, recevez, chers camarades, nos salutations communistes et nos meilleurs vœux pour une nouvelle année de luttes pour la révolution.
CCI
08/01/1987
[1] [22] Marx, 1877, dans «Correspondance».
[2] [23] C'en est un que de se présenter pour des postes exécutifs ou pour défendre qu'à travers la démocratie l'on puisse obtenir des changements révolutionnaires. La phrase «participer à une campagne électorale » est très ambiguë, car, par exemple, si à un moment se pose la question d'un boycottage actif dans une élection, cela revient dans les faits à participer à une campagne et nous ne pensons pas que l'on puisse exclure cette possibilité pour toujours et partout : les questions tactiques ne se déterminent pas par des principes généraux, mais, en se basant sur eux et en analysant les situations concrètes, on détermine quels sont les meilleurs cours pour l'action révolutionnaire.
[3] [24] Un des vieux écrits que vous nous avez envoyés récemment le confirme : vous parlez de la grave défaite qu'a été la Pologne non seulement pour la classe ouvrière polonaise mais pour la classe ouvrière mondiale.
[4] [25] Nous faisons ici référence à un autre des textes publiés dans votre brochure, critiquant la notion de « pays périphériques ».
Face a la révolution russe
Le chapitre précédent de l’histoire de la Gauche hollandaise, paru dans
le n° 48 de la Revue Internationale, traitait du passage du SDAP
dirigé par Troelstra, dans le camp de la bourgeoisie, par le vote des crédits
de guerre en 1914, des scissions dans ce parti, du regroupement des minorités
révolutionnaires, essentiellement le courant « tribuniste », autour du SDP créé
depuis 1909. Mais la direction du SDP adopta face à la Conférence de Zimmerwald
contre la guerre en 1915, une attitude sectaire et fermée. Le chapitre publié
dans ce numéro montre comment cette attitude amenait à abandonner
l'internationalisme pour une position pro Entente dans la guerre, et quelles
furent l'attitude et les positions révolutionnaires, autour de Gorter, face à
la révolution russe et contre les concessions opportunistes du SDP. Le fait que
la réaction de Gorter, Pannekoek, ait été dispersée, et au départ une simple
opposition, a beaucoup pesé sur l'évolution ultérieure du SDP, lorsqu'il se
transforma en parti communiste en novembre 1918.
Le développement du SDP entre la révolution et l'opportunisme (1916-1917)
En dépit de la politique de la direction du SPD hollandais, l'écho de Zimmerwald fut, comme dans les pays belligérants, très grand dans la classe ouvrière des Pays-Bas. Une grosse propagande avait été faite dans les grandes villes par Roland-Holst. L'écho rencontré chez les ouvriers était tel que même le SDAP, sous la pression d'oppositionnels, publia le Manifeste de Zimmerwald, dans son quotidien « Het Volk».
Finalement, sous la pression des ouvriers et du RSV — auquel il ne voulait pas donner un label exclusif d'activité révolutionnaire — le SDP se rattacha, en 1916, et à contrecœur ([1] [29]), à la Commission socialiste internationale créée à Zimmerwald. C'était une adhésion tardive au mouvement de Zimmerwald. Finalement, plusieurs raisons avaient entraîné un changement d'attitude de la part du SDP, et un rapprochement avec le RSV.
En premier lieu, le RSV de Roland-Holst s'était rapproché considérablement des « tribunistes ». Il avait même donné des gages tangibles de son glissement vers la gauche : les membres du RSV, qui étaient encore au sein du SDAP, le quittèrent en janvier 1916 ; devant l'attitude de ce parti, qui avait condamné explicitement le mouvement de Zimmerwald, lors de son Congrès, la petite minorité hostile à la 2e Internationale se tournait désormais vers le SDP. Aussitôt, Roland-Holst fit savoir que la fusion avec le parti « tribuniste » était à l'ordre du jour. Après ce départ, le SDAP ne connut guère plus de scission, à l'exception de celle qui se produisit sur sa gauche en février 1917.
En deuxième lieu, et malgré les atermoiements de sa direction, le SDP rencontrait une sympathie croissante en milieu ouvrier. Il avait considérablement développé sa propagande : contre la guerre, le service militaire de 3 ans, contre le chômage et le rationnement. Il était particulièrement actif chez les chômeurs et au sein des comités que ceux-ci faisaient surgir. Politiquement, le parti disposait d'instruments théoriques qui le faisaient apparaître comme le seul parti marxiste conséquent en Hollande. Le mensuel théorique « De Nieuwe Tijd » (« Les temps modernes ») qui appartenait ni au SDAP ni au SDP et comprenait des «théoriciens marxistes» appartenant aux deux partis depuis la scission de 1909, passait entièrement dans les mains du courant marxiste révolutionnaire. Le départ de Wibaut et Van der Goes de la rédaction mettait fin à la présence du courant opportuniste et révisionniste au sein du seul organe théorique en hollandais.
Il est notable que Roland-Holst fut associée à Gorter et Pannekoek pour assurer la rédaction de la revue, qui devenait un organe de combat «pour le socialisme, pour la libération de l'humanité du capitalisme».
En troisième lieu, à travers la personne de Pannekoek, le SDP s'impliquait de plus en plus dans l'effort de rassemblement des forces révolutionnaires qui se prononçaient nettement contre la guerre pour la révolution. A partir de 1915, Pannekoek collabore régulièrement avec les courants internationalistes allemands ; le groupe « Lichstrahlen » de Borchardt (Berlin), puis le groupe de Brème « Arbeiterpolitik », qui publie sa revue en 1916, après être sorti du SPD. Sans ; cesse en contact avec les internationalistes allemands, Pannekoek est désigné tout naturellement pour prendre en charge — avec la collaboration de Roland-Holst — l'édition de la revue « Vorbote » en janvier 1916. Cette revue, éditée en Suisse, était l'organe de la Gauche zimmerwaldienne ([2] [30]), hostile au centrisme du courant pacifiste de Zimmerwald. Elle se plaçait résolument sur le terrain de la « future 3e Internationale ».
Tout cela manifestait une évolution positive du SDP et du groupe de Roland-Holst. Après une période de flottement, le parti « tribuniste » prenait ses responsabilités au niveau international. Roland-Holst, après avoir marché avec le centre du mouvement zimmerwaldien, avec Trotsky particulièrement, avait évolué à gauche.
L'existence de deux groupes révolutionnaires séparés en Hollande n'avait plus de raison d'être. L'heure était au regroupement. Le 19 février 1916, la direction du SDP émit le souhait d'une fusion avec le RSV. Enfin, le 26 mars, l'assemblée générale de ce dernier se prononça pour le regroupement. Seules les sections de La Haye et de Rotterdam manifestèrent une grande confusion, en voulant n'accepter la fusion que si pouvaient s'intégrer des éléments syndicalistes. Ces hésitations montraient que, comme pour le SDP, la délimitation du courant marxiste d'avec le courant syndicaliste-révolutionnaire était loin d'être nette.
Néanmoins, la fusion se réalisa. Le SDP, qui gagnait 200 militants, devenait un parti de 700 membres. Cette croissance, après une longue période de stagnation numérique, permettait au parti de disposer d'un quotidien : « De Tribune » paraissait dorénavant tous les jours. Le développement du SDP devenait même qualitatif. Pour la première fois de son histoire, le 21 juin, le SDP était capable de conduire avec succès une manifestation ouvrière à Amsterdam contre la faim et la guerre. La « secte » devenait véritablement un parti ouvrier par sa capacité d'influencer activement l'action de larges masses prolétariennes.
Il est certain que le développement du courant marxiste en Hollande, en cette année 1916, était le fruit de tout un réveil du prolétariat international après un an et demi d'hécatombes sur les champs de bataille. L'année 1916 est l'année tournant, celle qui préfigure le bouleversement révolutionnaire de 1917 en Russie. La reprise de la lutte de classe, après des mois de torpeur et de stupeur, brise l'Union Sacrée. En Allemagne, commencent les premières grèves politiques contre la guerre, après l'arrestation de Karl Liebknecht.
Les Pays-Bas, bien que « neutres », connaissent la même reprise des luttes ouvrières. Le début de la vague de grèves et de manifestations contre les effets de la guerre au niveau international est une réalité de la « petite Hollande ». Pendant les mois de mai et de juin se déroulèrent à Amsterdam des manifestations spontanées de femmes contre le rationnement. Des comités de femmes ouvrières avaient été constitués à Amsterdam et dans d'autres villes. Une agitation permanente régnait qui se manifestait par des assemblées et des manifestations auxquelles participaient ouvriers et ouvrières. Ces mouvements se prolongèrent par des grèves dans tout le pays au mois de juillet. Ces phénomènes de mécontentement profond étaient incontestablement prérévolutionnaires. Jamais la situation n'avait été aussi favorable pour le courant révolutionnaire aux Pays-Bas.
Pourtant, la direction du SDP allait progressivement révéler une attitude ambiguë et même opportuniste. Non pas sur le terrain de la lutte revendicative, où le parti était très actif, mais sur celui de la lutte politique.
Tout d'abord, le SDP continuait infatigablement sa politique de front avec des organisations de type syndicaliste et anarchiste. L'ancien cartel d'organisations, le SAV s'était sabordé le 25 février ([3] [31]). Ce fut pour être remplacé, en avril 1916, par un comité socialiste-révolutionnaire contre la guerre et ses conséquences, en abrégé RSC. Le SDP, avec Wijnkoop et Louis de Visser — tous deux futurs chefs du PC des Pays-Bas stalinisé — était de fait à la tête du nouveau cartel d'organisations. Celui-ci, bien que très actif dans la lutte contre la guerre et la misère, apparaissait en fait comme un état-major des luttes, se substituant à leur spontanéité. Il n'était ni un conseil ouvrier, en l'absence de révolution, ni un comité central de grève, qui par nature est temporaire et lié à l'étendue de la lutte. Il était un organisme politique hybride, qui loin d'apporter la clarté sur les objectifs de la lutte de classe, apparaissait comme très confus, comme compromis entre différents courants politiques au sein du mouvement ouvrier.
On trouvait au sein du RSC les groupements anarchistes qui avaient déjà travaillé avec le SDP. Le plus révolutionnaire de tous était incontestablement le groupe de Nieuwenhuis.
Ce groupe — « Action social-anarchiste » (SAC) — était incontestablement, bien que de façon confuse, révolutionnaire, en raison surtout de la personnalité intransigeante de Nieuwenhuis. Cela n'était certainement pas le cas des autres groupements. On trouvait pêle-mêle : le « Bond van Christen-Socialisten », fédération des chrétiens socialistes (BCS), dont la couleur politique était pacifiste-chrétienne et parlementariste ; le « Vrije Menschen Verbond » (VMV), « Ligue des hommes libres » se réclamant de Tolstoï. Lorsque le groupement de Nieuwenhuis et aussi l'IAMV quittèrent fin 1916 le cartel, il ne restait plus que ces groupes, bientôt rejoints en février 1917 par le petit parti socialiste (SP), scission de 200 personnes du SDAP. C'était avant tout un groupe syndicaliste et parlementariste.
Ce conglomérat d'organisations pacifistes, la plupart étrangères au marxisme révolutionnaire, eut comme conséquence directe d'entraîner la direction du SDP toujours plus sur le terrain de l'opportunisme pratique. En s'alliant avec les « chrétiens socialistes » et avec le SP, le SDP allait tomber rapidement dans l'aventurisme parlementaire et une politique sans principe qu'il avait naguère dénoncée chez Troelstra. En effet, en 1917, et comme dérivatif à une situation sociale de plus en plus tendue dans le pays, la bourgeoisie néerlandaise avait instauré le suffrage universel. Le SDP forma un cartel électoral avec les deux organisations. Il put obtenir ainsi un net succès, par rapport à l'avant-guerre : 17 000 voix contre 1340 en 1913. Ce résultat, certes, traduisait une désaffection croissante de nombreux ouvriers pour le SDAP. Il était néanmoins, le début d'une politique qui devint rapidement, un an plus tard, parlementariste. Cette politique développa alors progressivement une nette réaction anti-parlementaire dans le parti, à l'origine de l'anti-parlementarisme de la gauche communiste hollandaise.
Mais l'opposition au sein du parti ne se cristallisa pas d'emblée sur l'anti-parlementarisme. Elle se forma dès 1916, pour culminer en 1917, contre la politique étrangère de la direction Wijnkoop. Sous la conduite de Barend Luteraan, membre de cette direction, et de Sieuwertsz van Reesema surgit dans les sections d'Amsterdam et de La Haye une puissante opposition à cette politique.
En effet, de plus en plus ouvertement, Wijnkoop, à la suite de Ravesteyn, mais aussi de la majorité du SDP — ce qui était plus grave — adoptaient une orientation favorable à l'Entente ; cela s'était déjà exprimé, mais de façon indirecte, dès septembre 1914, sous la plume de Ravesteyn. Celui-ci affirmait que la défaite de l'Allemagne serait la condition la plus favorable pour l'éclatement de la révolution dans ce pays. Il n'était certes pas nouveau dans le camp marxiste d'envisager — et cela se répéta lors de la deuxième guerre mondiale ([4] [32]) — quels seraient les différents épicentres du séisme révolutionnaire à venir. Pannekoek répliqua dans « De Tribune », pour mettre fin à cette question purement théorique : même si l'Allemagne est plus développée économiquement que l'Angleterre, il est indifférent pour des marxistes d'envisager lequel des deux camps impérialistes doit remporter la victoire finale ; l'oppression violente par un camp et la tromperie démocratique, plus rusée, sont toutes deux défavorables au mouvement ouvrier. C'est exactement la même réponse que firent les gauches communistes italienne et hollandaise pendant la deuxième guerre mondiale à des courants comme l'anarchisme et le trotskysme.
La discussion en resta là. Ravesteyn, à l'évidence, développait des positions pro Entente. Il resta néanmoins isolé dans le parti ; Wijnkoop lui-même, président du SDP, avait encore la même position que Pannekoek et Gorter. Au cours de l'année 1916, tout commença à changer. Wijnkoop, brusquement, se rangea du côté de Ravesteyn, en mettant au premier plan la lutte contre le militarisme allemand, sous prétexte — ce qui était faux — que la bourgeoisie néerlandaise dans son ensemble se rangeait derrière l'Allemagne. Au cours de l'année 1917, il utilisa cette fois les mêmes arguments que ceux des « social-chauvins » des pays de l'Entente. Dans un article approuvé par la rédaction de « De Tribune », ce qui montrait que le danger de gangrène opportuniste était réel dans le SDP, Wijnkoop dépeignit l'Allemagne comme le rempart « féodal » de la réaction en Europe, contrainte aux pillages et à l'assassinat des peuples vaincus ; par contre, la France, héritière de la Grande Révolution, et l'Angleterre développée seraient incapables de tels actes (sic !). Une telle position était un net abandon des principes internationalistes du SDP ; elle laissait présager que si la neutralité des Pays-Bas était violée par l'Allemagne, la direction du SDP n'appellerait pas à la lutte contre les deux camps impérialistes mais au soutien de l'Entente.
Cette position, qui marquait un tournant dans l'histoire du parti, souleva de violentes protestations à l'intérieur de celui-ci. Une opposition, menée par Barend Luteraan et Van Reesema, engagea la lutte contre le comité de rédaction, qui avait laissé s'exprimer dans « De Tribune » des conceptions totalement étrangères à l'essence révolutionnaire du parti. La chose avait été d'autant plus aisée que Gorter, malade et déprimé ([5] [33]), s'était retiré en 1916 de la rédaction, et se trouvait momentanément dans l'impossibilité de participer aux activités du parti.
Pour désamorcer l'opposition, la direction de Wijnkoop employa une arme qu'elle allait utiliser de plus en plus, par la suite, pour déconsidérer ses adversaires de gauche : la calomnie. Elle prétendit que les opposants, Gorter et Pannekoek inclus, étaient en fait des partisans de l'Allemagne, Ravesteyn ne fut pas le dernier à créer ce bruit.
L'opposition reprenait en fait l'analyse de Gorter, exposée en 1914 dans sa brochure sur 1 impérialisme, et qui avait été officiellement acceptée par le SDP comme base pour sa propagande. Clairement, elle montrait la nécessité de combattre tous les impérialismes, tous les camps en présence :
«Il ne s'agit pas de combattre spécialement l'impérialisme allemand. Tous les impérialismes sont également dommageables pour le prolétariat » ([6] [34]).
Malheureusement pour elle, et signe inquiétant pour l'évolution de l'ensemble du parti, l'opposition se trouva isolée. Elle se trouvait d'ailleurs sans appui. Gorter hésitait encore à mener le combat avec elle. Pannekoek et Roland-Holst étaient plus plongés dans l'activité internationale que dans celle du SDP. C'était un signe de faiblesse organisationnelle qu'on retrouva comme constante chez ces dirigeants marxistes de stature internationale, et qui ne fut pas sans conséquence en 1917 et 1918.
La situation en 1917, et particulièrement la révolution russe et ses répercussions aux Pays-Bas, accentuèrent encore les clivages politiques au sein du SDP.
Le SDP en 1917 face a la révolution
La Révolution russe de 1917 ne fut pas une surprise pour des révolutionnaires comme Gorter, qui étaient convaincus que de la guerre naîtrait la révolution. Dans une lettre à Wijnkoop de mars 1916, Gorter montrait une confiance inébranlable dans l'action révolutionnaire du prolétariat international : «Je m'attends à de très grands mouvements après la guerre»
Les événements révolutionnaires tant attendus venaient pourtant en pleine guerre. L'écho de la révolution russe fut énorme aux Pays-Bas. Il montrait à l'évidence que la révolution prolétarienne était aussi à l'ordre du jour en Europe occidentale ; qu'il s'agissait non d'un phénomène « russe » mais d'une vague internationale de luttes révolutionnaires. De ce point de vue, l'année 1917 est décisive dans l'évolution du SDP confronté aux premiers signes de la révolution internationale, par l'action de masse, qu'il avait appelée de ses vœux dès le début de la guerre.
Premiers signes prérévolutionnaires aux Pays-Bas
L'année 1917 ouvrit une nouvelle période d'agitation contre la guerre, la faim, le chômage. En février, au moment où éclatait la révolution en Russie, les ouvriers d'Amsterdam manifestaient violemment contre l'absence de produits alimentaires et la politique de la municipalité de la ville.
Les manifestations prirent rapidement une tournure politique ; non seulement elles étaient dirigées contre le gouvernement, mais aussi contre la social-démocratie. Celle-ci, en effet, avait plusieurs élus — échevins — dans la municipalité d Amsterdam. Wibaut, l'un des dirigeants du SDAP, était même président de la commission d'approvisionnement de la ville depuis décembre 1916. En tant que tel, il était tenu responsable par les ouvriers de la pénurie alimentaire.
Mais Wibaut, et avec lui Vliegen — autre sommité du SDAP, élu à la mairie — fit appel le 10 février à l'armée, pour « rétablir Tordre », à la suite de pillages de boulangeries. C'était le premier pas concret de l'engagement du SDAP aux côtés de la bourgeoisie pour réprimer toute réaction ouvrière. Cette solidarité du SDAP avec l'ordre établi se manifesta encore plus en juillet, au cours d'une semaine qui est restée gravée dans l'histoire sous le nom de « semaine sanglante ». A la suite de manifestations de femmes contre la pénurie et de pillages de magasins, la municipalité, avec l'appui de tous les échevins social-démocrates, fit interdire toute démonstration. La réaction du prolétariat fut immédiate : une grève de 24 heures — à l'appel du RSC — fut suivie par plus de 20 000 ouvriers d'Amsterdam, grève de masse qui s'étendit comme une traînée de poudre dans la plupart des grandes villes des Pays-Bas. Mais à Amsterdam, comme dans d'autres villes, la troupe et la police tirèrent sur les ouvriers. Cette fois, pour la première fois depuis le début de la guerre, des ouvriers tombèrent sous les balles des forces de la bourgeoisie.
A Amsterdam, Vliegen et surtout Wibaut ([7] [35]) portaient une, lourde responsabilité dans la répression sanglante. Wibaut n'hésita pas à opposer les chômeurs et les manifestants, dans lesquels il ne voulait voir qu'une « jeunesse débauchée », au « mouvement ouvrier moderne», organisé dans les syndicats et le SDAP. Il justifiait même, dans un article de « Het Volk », la répression qui, selon lui, aurait été « limitée » et appelait à « d'autres moyens pour assurer l'ordre ». Un tel langage, non désavoué par la direction du SDAP, était le langage de la classe dirigeante. Ainsi, même si le SDAP, officiellement, hésitait à couvrir totalement Wibaut ([8] [36]), la social-démocratie hollandaise initiait une politique qui fut pleinement développée en Allemagne, en 1919, par Noske et Scheidemann. Le parti de Troelstra, à une petite échelle, ouvrait la voie de la collaboration avec la bourgeoisie face au mouvement révolutionnaire.
La « Semaine Sanglante » rendit plus nette la démarcation entre le SDP révolutionnaire et le SDAP, devenu traître à la classe ouvrière ; le SDP pouvait ainsi appeler les ouvriers à « s'écarter pleinement des traîtres à la classe ouvrière, des judas modernes, des valets du capital, de la direction du SDAP et du NW»
(De Tribune, 23-74917).
De tels événements aux Pays-Bas s'inscrivaient incontestablement dans le sillage de la révolution russe. Celle-ci non seulement entraînait manifestations et grèves dans le prolétariat, mais encourageait l'agitation dans l'armée. Ainsi, et bien que le phénomène fut limité, à partir d'octobre 17 se formèrent des conseils de soldats dans quelques localités, tandis que tout un mouvement se développait contre la discipline militaire.
Le SDP avait incontestablement profité de la situation. En participant pleinement aux grèves et aux manifestations, en subissant la répression — plusieurs de ses militants étaient en prison —, le SDP apparaissait comme un véritable parti révolutionnaire, non un parti de la « phrase » sectaire, mais comme une organisation militante active.
Cette activité tranchait nettement avec l'ambiguïté du SDP en politique extérieure, vis-à-vis de l'Entente et surtout face à là révolution russe. Comme si le développement du parti le poussait, par souci d'une « popularité » fraîchement acquise en milieu ouvrier, à faire des concessions opportunistes pour renforcer une influence qu'il avait témoignée sur le terrain électoral en 1917.
La direction du SDP et la révolution russe
Le parti que Lénine avait considéré avec le parti bolchevik au début de la guerre, comme le plus révolutionnaire et le plus apte à œuvrer à la constitution de la Nouvelle Internationale va se trouver singulièrement éloigné en 1917 du bolchevisme. Du moins la majorité du parti dont la direction était totalement dominée par le trio Wijnkoop-Ravesteyn-Ceton. La minorité, après le départ de Gorter et l'élimination de Luteraan de la direction du SDP, se trouvait isolée. C'est elle du moins, qui mena, avec l'autorité morale de Gorter et Pannekoek, la lutte la plus résolue pour soutenir le bolchevisme et défendre le caractère prolétarien de la révolution russe. Cette attitude est d'ailleurs commune à toutes les gauches qui se formaient soit comme opposition, soit comme fraction dans les différents partis socialistes.
La méfiance qui se fit jour dans la majorité à l'égard des bolcheviks découle directement de ses positions pro Entente en politique internationale. Elle se manifesta en premier lieu lorsque les bolcheviks traversèrent l'Allemagne pour regagner la Russie. Ce voyage fut désapprouvé par « De Tribune », qui y vit une compromission avec l'Allemagne. En fait, cette méfiance dissimulait mal un soutien à la politique de Kerenski, qui en juillet 1917 menait une offensive similaire contre l'Allemagne. Pour justifier cette politique, van Ravesteyn — dans «De Tribune» —n'hésitait pas à comparer la Russie de Kerenski à la France révolutionnaire de 1792. Idéologiquement, la position de Ravesteyn, et aussi de Wijnkoop, était identique à celle des mencheviks : il s'agissait de réaliser la révolution bourgeoise et de l'exporter militairement pour écraser l'Empire allemand, « féodal et réactionnaire ».
Ce soutien implicite au gouvernement Kérenski entraîna de violentes réactions de l'opposition. Celle-ci, par la plume de Pannekoek et de Gorter, se situa résolument au côté des bolcheviks, en dénonçant à la fois la démocratie bourgeoise russe et la conception d'une révolution bourgeoise comparable à 1793 en France. Pour Pannekoek, il ne s’agissait pas d'une révolution « bourgeoise » en marche, mais d'une politique contre-révolutionnaire et impérialiste. Son point de vue était identique à celui des bolcheviks en 1917 :
« Toute guerre (..) menée avec la bourgeoisie contre un autre Etat est un affaiblissement de la lutte de classe, et par conséquent une trahison, un forfait contre la cause du prolétariat» ([9] [37])
Les errements de la direction du SDP s'arrêtèrent là. Lorsque la prise du pouvoir par les conseils fut connue en novembre, celle-ci fut saluée avec enthousiasme par « De Tribune ».
Mais la minorité autour de Gorter, Pannekoek et Luteraan, émettait des doutes justifiés sur le soudain enthousiasme révolutionnaire de la direction. En refusant, une fois de plus, de participer à la troisième (et dernière) conférence du mouvement de Zimmer-wald ([10] [38]), à Stockholm, en septembre, celle-ci montrait un refus de s'engager résolument sur la voie de la troisième internationale. Le radicalisme verbal utilisé une fois de plus pour condamner « l'opportunisme » avait du mal à camoufler la politique étroitement nationale de la direction Wijnkoop. Son internationalisme était purement verbal et le plus souvent déterminé par l'air ambiant.
Il n'est pas surprenant que, lors des débats qui se firent jour autour de Brest-Litovsk, sur la question de la paix ou de la guerre révolutionnaire, la direction se fit le champion d'une guerre révolutionnaire à tout prix. En Russie, • Boukharine, Trotsky, en étaient devenus les partisans pour accélérer, croyaient-ils, l'expansion de la révolution prolétarienne en Europe. Chez eux, nulle ambiguïté : la « guerre révolutionnaire» n'était pas une guerre contre l'Allemagne, insérée dans les plans de l'Entente ; il s'agissait de briser l'encerclement de la Russie révolutionnaire pour étendre la révolution non seulement à l'Allemagne, mais à toute l'Europe, pays de l'Entente inclus.
Contrairement à toute attente, Gorter — pour des raisons identiques à celles des communistes de gauche russes — se rangea du côté de la direction du SDP pour soutenir la position de Trotsky et Boukharine. Gorter attaqua vivement Pannekoek, qui soutenait entièrement la position de Lénine sur la paix rapide avec l'Allemagne.
Pannekoek partait du point de vue, évident, que la « Russie ne peut plus combattre ». En aucun cas, la révolution ne pouvait s'exporter par la force militaire ; son côté fort résidait dans l'éclatement de luttes de classe dans d'autres pays : « la force des armes est le côté faible du prolétariat»
Gorter se trompa de cible. Il laissa pendant plusieurs mois toute critique à la direction du SDP de côté. Il crut voir exprimée dans la prise de position de Pannekoek une version du pacifisme qu'il avait combattu en 1915, une négation de l'armement du prolétariat. Selon lui, une guerre révolutionnaire devait être conduite contre l'Empire allemand, car dorénavant : « la force des armes est le côté fort du prolétariat »
Cependant, Gorter commença à changer sa position. Il se trouvait en Suisse depuis l'été 1917, officiellement pour des raisons de santé. Il voulait en fait s'éloigner du parti hollandais et travailler en collaboration avec les révolutionnaires russes et suisses. Au contact de Platten et de Berzin — tous deux « zimmerwaldiens » et collaborateurs de Lénine — il entra en relation avec les révolutionnaires russes. Une correspondance étroite commença avec Lénine. Il se convainquit de la justesse des positions de Lénine sur la paix avec l'Allemagne. Et c'est lui qui se chargea de traduire en hollandais les thèses « sur la paix malheureuse ».
Gorter se trouvait libre pour combattre avec Pannekoek la direction du SDP, et soutenir sans réserve le caractère révolutionnaire de la Russie, et l'internationalisme bolchevik.
La révolution russe et la révolution mondiale
Contrairement à une légende tenace, la gauche hollandaise dans le SDP défendit pendant trois ans le caractère prolétarien de la révolution russe. Celle-ci était la première étape de la révolution mondiale. Avec acharnement, Gorter et la minorité du parti dénoncèrent l'idée menchevik — exprimée par Ravesteyn — d'une révolution bourgeoise en Russie. Une telle position ne pouvait que renforcer la position favorable à l'Entente et perpétuer la guerre impérialiste, au nom d'une « guerre révolutionnaire ». Lorsque, avec la dégénérescence de la révolution russe et la soumission de la troisième internationale aux intérêts d'Etat russes, la gauche commença à défendre l'idée dune révolution « double » en Russie : en partie bourgeoise, en partie prolétarienne, c'était dans une optique différente du menchevisme. Pour elle une révolution bourgeoise, ne pouvait être que le capitalisme d'Etat et la contre-révolution. Elle ne naissait pas au début mais à la fin de la vague révolutionnaire.
En 1917 et 1918, Gorter et la minorité sont les plus chauds partisans du bolchevisme. Ils sont les véritables introducteurs et propagateurs des conceptions de Lénine. C'est Gorter qui, de son propre chef, se charge de traduire, au cours de l'année 1918, « L'Etat et la Révolution ». De façon naïve, il se fait le propagateur d'un véritable culte de la personne de Lénine, dans sa brochure — parue en 1918 — sur la « Révolution mondiale » ; le futur pourfendeur des « chefs » reconnaît en Lénine le chef de la révolution : « il est le chef de la révolution russe, il doit devenir le chef de la révolution mondiale » ([11] [39])
La brochure de Gorter — qui n'était pas un travail officiel du SDP — est l'une de ses contributions » théoriques et politiques les plus importantes. Elle présente l'avantage de tirer un certain nombre de leçons de la révolution russe, du point de vue de son organisation. Comme Lénine, Gorter proclame que les conseils ouvriers sont la forme enfin trouvée du pouvoir révolutionnaire, forme valable non pour la Russie, mais pour l'ensemble des pays du monde :
« Dans cette organisation de conseils ouvriers, la classe ouvrière du monde a trouvé son organisation, sa centralisation, sa forme et son être » (idem, p. 59)
La conception localiste et fédéraliste des conseils ouvriers, qui fut développée par la suite par le courant unioniste autour de Ruhle, est totalement absente dans la gauche hollandaise ; pas plus que n'est présente 1’idée d'une fédération d'Etats prolétariens, reposant sur des conseils ouvriers nationaux, idée développée plus dans l'I.C. de Zinoviev. La forme du pouvoir mondial du prolétariat sera « dans un avenir proche le conseil ouvrier central du monde » (idem, p. 76)
La révolution prolétarienne ne peut trouver son véritable essor que dans les principaux pays industrialisés, et non dans un seul pays. Elle doit être un phénomène simultané : « (Le socialisme) doit naître simultanément dans plusieurs, dans de nombreux, dans tous les pays et au moins dans les pays principaux» (idem, p. 64) On trouve ici chez Gorter l'idée maintes fois répétée par la suite que l'Europe occidentale est l'épicentre de la véritable révolution ouvrière, compte tenu du poids numérique et historique du prolétariat par rapport à la paysannerie : « La révolution véritable et complètement prolétarienne doit être faite par l'Europe occidentale elle-même» (idem, p.45) La révolution sera bien plus longue et difficile qu'en Russie, face à une bourgeoisie beaucoup mieux armée ; d'autre part, « le prolétariat d'Europe occidentale est seul comme classe révolutionnaire » (idem, p. 67). Nulle impatience « infantile » donc sur le cours révolutionnaire, reproche qui sera fait par la suite à la gauche communiste de la troisième Internationale.
Il est remarquable que la seule critique, indirecte, faite aux bolcheviks dans la brochure « La Révolution mondiale » soit dirigée contre le mot d'ordre du « droit des peuples à disposer d'eux-mêmes ». Celui-ci, selon Gorter, qui reste bien en deçà des positions de Pannekoek et Rosa Luxemburg qui refusent le cadre de la « nation », « ne peut être garanti que par le socialisme ; il ne peut être introduit qu'avec le socialisme, ou qu'après son établissement» ([12] [40]). Il est vrai que Gorter — qui est pour l'indépendance des Indes néerlandaises et soutient donc le mot d'ordre du SDP — fait une distinction explicite entre l'Occident, où seule la révolution est à 1’ordre du jour, et l'Orient, où l'indépendance des colonies doit être revendiquée :
«En traitant de ce droit, il faut bien distinguer entre Europe occidentale et orientale, entre les Etats asiatiques et les colonies » (idem)
Lénine pouvait à juste titre souligner l'inconséquence de la position de Gorter, qui apparaissait moins comme une divergence de principe que comme une question tactique à examiner suivant les zones géo-historiques ([13] [41]).
Cette brochure eut en tout cas un écho considérable tant aux Pays-Bas que dans maints pays, où sa traduction fut immédiate.
Ch.
[1] [42] Le SDP ne participa ni à la conférence de Kienthal ni à celle de Stockholm. Finalement, il ne participa à aucune des conférences tenues de 1915 à 1917.
[2] [43] Elle n'eut que deux numéros. Radek en Suisse en avait la direction effective.
[3] [44] Les courants syndicalistes, représentés par les fédérations d'employés et de marins avaient peur en fait de 1 emprise croissante du SDP au sein du SAV.
[4] [45] La gauche communiste italienne était convaincue que la révolution surgirait en Allemagne en 1945.
[5] [46] Gorter avait perdu sa femme, ce qui l'avait rendu dépressif. D'autre part, sa maladie l'affaiblissait ; il était depuis 1913 dans l'impossibilité de parler dans les meetings ouvriers. Il est certain aussi que son retour à la poésie — il publie son grand poème «Pan» en 1917 — l'a presque complètement absorbé.
[6] [47] Article de Van Reesema, in « De Tribune », 21 mai 1917.
[7] [48] F.M. Wibaut (1859-1936) ; adhéra en 1897 au SDAP. Il devint membre du conseil municipal d'Amsterdam de 1907 à 1931, échevin de 1914 à 1931. Vliegen (1862-1947) était l'un des fondateurs du SDAP en 1894.
[8] [49] Plus tard, Troelstra — dans ses Mémoires parus de 1927 à 1931 — appuya cyniquement la politique de répression menée par Wibaut comme une politique de parti : il la trouvait même trop douce ! : « Wibaut écrivit quelques semaines plus tard dans "Het Volk" un article où il qualifiait cette violence d'inévitable, mais il faisait fortement ressortir le fait déplorable qu'une municipalité démocratique doive ainsi intervenir contre la population. Il exprima dans son article urgemment le souhait que les professionnels de la police dussent imaginer une méthode non violente pour prévenir des pillages. A mon avis, on ne peut se laisser diriger par une telle sensiblerie dans l'argumentation, qu'il fit peser si lourd dans celle-ci. Si nous social-démocrates avons conquis une importante position de force, c'est dans l'intérêt de la classe ouvrière toute entière, et par conséquent cette position de force doit être défendue par tous les moyens, violents si nécessaire» (« Gedenkschriften» t. IV,p. 72-73, Amsterdam, 1931)
[9] [50] « De Nieuwe Tijd», 1917, p. 444-445.
[10] [51] Malgré l'opposition de Lénine, qui voulait fonder immédiatement la troisième Internationale, en avril 17, les bolcheviks déléguèrent leurs représentants à la conférence de Stockholm. Celle-ci ne doit pas être confondue avec celle des partis de la seconde Internationale, qui devait se dérouler dans la même ville au même moment. Elle ne put se tenir, les socialistes patriotes français refusant de siéger avec les social-patriotes allemands.
[11] [52] Cf. traduction française : « La révolution mondiale», Ed. socialistes, Bruxelles 1918, p. 58. Gorter idolâtre l'individu Lénine, qu'il ne voit plus comme l'expression d'un parti : « La force de son esprit et de son âme est égale à celle de Marx. Si Marx le surpasse en connaissances théoriques, en force dialectique, il surpasse Marx par ses actions... Et nous l'aimons comme nous aimons Marx. Comme chez Marx, son esprit, son âme nous inspirent immédiatement de l'amour»
[12] [53] Idem, p. 24, Gorter ajoute : «Il se peut que cette indépendance soit pire que la soumission pour les nations, pour le prolétariat.»
[13] [54] « Gorter est contre l'autodétermination de SON pays, mais POUR celle des Indes néerlandaises, opprimées par sa nation!» (Lénine, « Bilan d'une discussion sur le droit des nations à disposer d'elles-mêmes », 1916).
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