Depuis le mois d'octobre, la France est le théâtre d'une grève de longue haleine que les mineurs mènent, appuyer, par intermittence par d'autres corporations, tels les dockers, cheminots.
Cette grève entraîne normalement une réaction gouvernementale qui, débutant d'une manière hésitante, se durcit au fur et à mesure, et la provocation est dans, des échauffourées sanglantes se déroule, entraînant des protestations, des grèves partielles de solidarité, un déploiement considérable de forte police, le tout couronné par un assaut de patriotisme : le gouvernement interdisant aux anciens combattants d'obédience stalinienne l'accès aux soldats inconnus, provoquant ainsi une grève générale de protestation patriotique, à Paris.
De tels événements semblent ressortir d'un grand mouvement de lutte de classe si on ne regarde que la masse importante de travailleurs en lutte.
Pourtant, c'est luttes, malgré la participation généralisée des ouvriers, demeure sur le plan strictement impérialiste, exprimant pleinement un dévoiement de la conscience de classe, et par là une préparation idéologique intensive de la prochaine guerre mondiale.
Revenons en arrière pour mieux expliquer la nature des mouvements ouvriers actuels en France.
Avec une hausse croissante des prix et par là du coût de la vie, le gouvernement Schuman, au début de l'été, se trouvait devant un problème économique “salaire-prix” qui se heurtait à un problème d'assainissement des finances publiques pour permettre l'application du plan Marshall.
Devant l'acuité du problème “salaire-prix” et du problème financier, le gouvernement Schumann préférait démissionner. Sa composition 3e force créait des tiraillements en son sein, entre les socialistes, MRP, et les radicaux détenteurs du ministère des Finances (R. Meyer). La crise ainsi ouverte ne devait qu’accentuer encore plus les divergences SFIO, MRP, d'une part et radicaux et indépendants d'autre part.
André Marie essaye bien de former un gouvernement axé sur une continuation de la politique financière de Meyer. Paul Reynaud établit à cet effet un plan qui rencontre l'hostilité des SFIO et MRP, en raison de sa dureté en matière financière et revendication de salaire.
Non seulement il fallait poursuivre la réduction des dépenses d'administration mais de plus, il fallait supprimer les subventions économiques, accroître l'assiette des impôts et augmenter leur recouvrement.
Ce formidable coup de pouce donné à la hausse des prix, ne trouvait son pendant que par une indemnité de vie chère uniforme de 1250 francs par mois, présentée comme un palliatif pour compenser la hausse des prix de janvier août 1948 et celle découlant de l'accentuation du plan Meyer-Reynaud.
Cette trop forte politique d'autorité devrait effrayer un peu trop les parties du gouvernement liées à des centrales syndicales comme la CFTC et FO.
A. Marie et Reynaud durent céder la place à un nouveau gouvernement Schuman axés un peu plus sur la SFIO, avec Pineau ministre des Finances.
Le premier acte de ce gouvernement -qui dura comme celui de Marie que quelques jours- fut l'attribution d'une indemnité de vie chère de 2500 francs pour calmer les possibilités d'effervescence ouvrière que la CGT cherchait à exploiter pour le compte des staliniens.
Mais le problème était d'envergure. Car il ne répondait pas seulement à un aspect particulier de la situation intérieure, mais exprimait plutôt la mise en place du dispositif économique du plan Marshall de préparation à la guerre mondiale.
Ainsi, le mécontentement ouvrier était craint, non en raison d'une prétendue de classe mais uniquement pour parer à l'influence grandissante des staliniens et à l'agitation qu'ils déploient pour détacher la France du bloc occidental, et lui faire rejoindre le bloc oriental.
Le deuxième gouvernement Schumann, parce que l'enjeu était d'envergure, ne put même pas réunir une majorité relative pour le soutenir. Il fallait que le gouvernement reprenne directement ou indirectement la ligne de conduite du plan Meyer-Reynaud. La crise ouverte par la démission du deuxième gouvernement Schumann, ne pouvait pas durer trop longtemps sans entraîner sur le plan extérieur une méfiance américaine -donc une coupure de crédit Marchal- et sur le plan intérieur un renforcement des deux ailes oppositionnelles, les staliniens et les gaullistes. Déjà on parlait de dissolution de l’Assemblée, c’est-à-dire 2 à 3 mois d’expectative gouvernementale en France avec une situation extérieure d’antagonismes impérialistes pouvant éclater brusquement.
Si ceci pouvait faire le jeu de stalinien, qui voyez déjà matière à agitation et désordre pour empêcher l'intégration de la France dans le bloc américain, et des gaullistes qui espérait pouvoir regrouper dans l'incertitude de l'expectative de nouvelles élections, une majorité pouvant asseoir le pouvoir personnel de De Gaulle, il en était tout autrement des parties influence américaine, représentant effectivement ce qui peut encore rester les intérêts bourgeois français. Aussi la crise se dénoue très rapidement et une personnalité radicale format un gouvernement de 3e force avec comme objectif l'application du plan Meyer Reynaud. La SFIO et le MRP accepter de participer au gouvernement Queuille malgré l'opposition de la fraction syndicaliste.
Les effets ne devraient pas se faire attendre ; le gouvernement Queuille constitué mi-septembre, avait déjà fin septembre réalisé une partie de son programme. Un premier train de hausse des produits de base -transport entre autres- paresseux à l'officiel et la presse faisait état d'un déblocage de 75 milliards de francs accordés à la France par les États-Unis. Fin septembre, le gouvernement Queuille s'attaque aux problèmes des prix et salaire et malgré un tapage monstre accouche d'une souris et de beaucoup de promesses. 15% d'augmentation des salaires par la suppression de l'impôt séculaire ; par l'attribution d'une prime horaire de 7 francs et 500 francs d'indemnités de transport ; enfin une promesse de baisse. En fait, c'est 15% étaient déjà englouti par la hausse précédente. Les frais de ces 15% étaient amorti par les 5% d'impôts que les employeurs devaient verser en plus au titre de l'impôt séculaire -comme quoi le capitalisme d'État est obligé pour survivre d'écraser le capitalisme privé- cet impôts nouveau devant se répercuter tôt ou tard sur les prix, malgré la réduction promise sur les marges bénéficiaires.
Bien plus, ce réajustement de salaire préludait et servait à justifier un nouveau train de hausse sur les prix alimentaires et domestiques. Il est vrai que la hausse envisagée était tellement excessive qu'elle laissait place à une baisse spectaculaire inopérante de 5%.
Début octobre donc, la situation financière de la France semblait rétablie, accentuant par là sa fusion dans le bloc américain. La réunion de l'ONU à Paris donnait un semblant de stabilité au pays.
Les staliniens ne pouvaient rester insensible à cette situation défavorable pour eux. Il leur fallait frapper un grand coup pour désorganiser l'économie marshallisée de la France et neutraliser ainsi un pivot de la stratégie américaine à défaut de le conquérir. Un tel coup a été inopérant sans l'aggravation des conditions de famine des travailleurs en France. Une telle situation de misère pouvait servir de tremplin à l'agitation des staliniens pour assurer les intérêts du bloc impérialiste oriental. Seulement la leçon de la grève générale de novembre-47 avait porté ses fruits. Les staliniens ne pouvaient songer à déclencher un mouvement généralisé. À côté des grèves tournantes, ils cherchèrent à immobiliser l'industrie-clé du pays. Les efforts sont donc portés sur les mineurs. La CGT lance un ultimatum au gouvernement, d'avoir à satisfaire les revendications "justifier" des mineurs. Ces revendications n'étaient pas exorbitantes par rapport au coût de la vie, mais elles étaient inacceptables pour le gouvernement qui cherchait à réaliser un équilibre financier bien précaire. Les staliniens le sachant, déclenchèrent la grève générale dans les usines.
Dès ce moment les revendications des mineurs passent au deuxième plan pour découvrir tout l'arsenal de la propagande anti-Marshall, pro-bloc oriental. C’est le Conseil national de la CGT proclamant comme objectif premier l'opposition à la “marshallisation de la France”, c'est le retrait des propagandistes syndicaux devant les propagandistes officiels du parti stalinien.
Toute la mine est en grève ; à ses débuts cette grève du sous-sol se fait dans le "calme et la discipline". Le gouvernement temporise espérant réduire cette grève par la famille. Mais peu à peu dans le courant d'octobre l'attitude du gouvernement et des staliniens se durcit.
Par les mauvaises conditions de vie, par une politique d'intimidation violente, la CGT brise les efforts de la CFTC et de la FO pour arrêter la grève.
C’est le moment pour le gouvernement d'intervenir en massant dans les zones des grèves des cas et des troupes
Pour les staliniens qui recherchent l'épreuve de force avec le gouvernement, l'occasion est trouvée. Il s'agit pour eux de créer un désordre économique pouvant entraîner un désordre social. Pour le gouvernement c'est plus qu'une question de prestige, c'est 3 millions de tonnes de charbon perdu, c'est une révision du Plan d'importation, enfin la carte d'une paralysie de l'industrie de base. Du coup la tendance vers la stabilité économique et ruinée
Nous assistons alors à de véritables opérations militaires de dégagement des puits. Par la force le gouvernement cherche à briser l'unité de la grève. La propagande se transforme de part et d'autre en violence et intimidation. Les staliniens font une pression brutale (sabotage, explosion, brimades) sur les mineurs, le gouvernement dessine une politique d'intimidation sur les mineurs étrangers. La reprise du travail s'effectue fin octobre, accompagné de troubles et de répression des deux côtés.
La lutte devient franchement partisane. Moch, ministre de l'Intérieur, fait des déclarations “sensationnelles” sur les relations du Kominform et du PC français. Les staliniens font à leur tour des pétitions et des manifestations spontanées contre “Moch-assassin”.
La classe ouvrière est au plus bas, aucun ressort, une passivité qui oblige la Fédération des métaux au cours du congrès du 5 novembre à remettre à plus tard la grève de la métallurgie. Les dockers font la grève dans les ports mais la troupe les remplace et déjà des sections importantes comme Marseille décide de reprendre le travail. Les cheminots, quant à eux, fortement influencé par la CFTC et FO et malgré le référendum organisé par la CGT, hésite à se mettre en grève.
Cette fatigue ouvrière qui résulte de toute une longue suite de luttes au profit des impérialismes en présence, russe et américain, profile déjà la guerre, admise comme une fatalité. La compréhension de la situation tragique où la classe ouvrière se trouve lui échappe totalement, tellement la confusion est grande entre capitalisme d'État et socialisme.
Mais la lutte d'influence ne joue pas seulement entre gouvernement et PCF. Sur le plan parlementaire, après les élections du Conseil de la République, et la victoire du RPF, le gouvernement cherche sa majorité pour ne pas se trouver avec une assemblée en conflit avec le Conseil de la République.
Aussi après un mois de troubles sociaux le gouvernement Queuille risque fort de se voir bloquer par le RPF et toute la politique financière de stabilité à coup de décret et d'arrestation de trafiquant ne sera plus qu'un souvenir.
La France ne joue plus sans l’un ou l'autre bloc impérialiste, elle est partie intégrante du département de guerre américain. Ce qui se joue réellement c'est la place qu'occupera la France dans la stratégie militaire de la prochaine guerre.
Devant ce problème ou la classe ouvrière ne sert que de masse de manœuvre, les trotskystes ne se départent pas de leur traditionnel mot d’ordre "gouvernement ouvrier et paysan". C’est encore Kerenski pour eux. La crise qui les a secoués rend encore plus ridicule leur "tactique" dans le vide et leur politique de soutien à l'URSS.
Cette situation de voile de guerre ne laisse pas entrevoir une possibilité de sursaut pour les terriens. Les deux blocs se préparent par des déclarations de paix à présenter la guerre inévitable. Les révolutionnaires subissent un éloignement idéologique de la classe ouvrière. Ils vont contre le courant, refusant de poser constamment les problèmes immédiats car ils savent bien que ces problèmes ne font que camoufler ou fausser dans la période tragique actuelle la véritable signification historique de la classe ouvrière et sa mission.
Les révolutionnaires peuvent-ils prendre position dans les bagarres du 11 novembre opposant un sens économique du patriotisme à un autre. Et pourtant la classe ouvrière a été appelée par la CGT à faire une grève générale de 24 heures.
Les révolutionnaires n'ont pas de mot d'ordre à l'emporte-pièce, mais une volonté d'action dans la constitution d'un programme politique de classe.
Mousso
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