Burnham est censé ignorer Marx ou feindre de l'ignorer ; sa littérature s'adresse à des détracteurs conscients qui n'ont aucun scrupule à fermer les yeux sur les enseignements élémentaires du marxisme. Ils font partie, ouvertement et consciemment, de ceux qui, quand le "Capital" est paru, ont feint d’ignorer et qui, ensuite, ont cherché à en étouffer les effets par tous les moyens. Mais que Bettelheim, qui se présente au public comme un "économiste marxiste" et qui, à l'envers de la médaille burnhamienne, ose reproduire de telles idées selon lesquelles "une couche de directeurs de trusts en Russie (couche ???) serait une couche PRIVILÉGIÉE de la CLASSE OUVRIERE…", et selon lesquelles l'État dépérira quand la couche "la moins privilégiée" (celle identique au prolétariat dans les pays capitalistes) aura compris que les différenciations sociales sont nécessaires pour la CONSTRUCTION DU SOCIALISME…
Tout ce fatras soi-disant "marxiste", comparé a Marx lui-même, fait bien triste figure.
Toutes les autres "critiques marxistes" -que, par exemple, les trotskistes peuvent adresser soit à Burnham soit à Bettelheim- sont forcément caduques parce qu'elles partent du même point de vue qu'eux : prouver que la Russie est un État "où n’existe tout de même pas le capitalisme".
Les rapports capital-travail, s'ils sont la trame structurelle des rapports entre la classe capitaliste et la classe ouvrière, les rapports capitalistes entre eux ont pour "âme" la nécessité vitale pour toute entité capitaliste, quelle qu'elle soit, de réaliser la part de plus-value accumulable. À leur tour, les différents rapports au sein de l'économie capitaliste et de la classe dirigeante entrent en égale importance, de façon déterminante, dans l'interaction des différents phénomènes capitalistes.
Le capital produit du capital en ne produisant que de la plus-value, par le processus capitaliste d'accumulation et de reproduction de capital : "Le procès de production capitaliste est essentiellement procès d’accumulation…" (X-131)
Ces deux notions sont inséparables : le capital produit essentiellement du capital mais ne la fait qu'en produisant de la plus-value, parce que ce processus est le procès même de l’accumulation.
Le capitalisme dans l'histoire est déjà le produit d'une accumulation historico-économique primitive (in Tome I du Capital - Mol. IV).
Ce procès d'accumulation est le procès même de la transformation de la propriété individuelle en propriété sociale, d'évolution de la propriété privée individuelle du capitaliste sur les moyens de production en la propriété privée social du CAPITAL, propriété privée collective et universelle d'une classe sociale exploitant une autre classe sociale.
Le capital est la première négation de la propriété privée individuelle des moyens de production ; le SOCIALISME en est la négation de la négation, la négation de la propriété privée sociale d'une classe sur les forces productives de la société.
Cette notion de la propriété privée a tellement peu été comprise que, par exemple, quand un trotskyste est à bout d'arguments pour expliquer qu'en URSS ce n'est "tout de même pas le capitalisme…", il affirme péremptoirement, comme la phrase du jugement dernier : "Mais la propriété privée individuelle sur les moyens de production n'existe plus en Russie."
Certainement que la propriété privée individuelle sur les moyens de production n'existe plus en Russie comme forme de propriété prédominante ; mais n'est-ce pas justement le rôle historique du capital de transformer la propriété privée individuelle sur les moyens de production (forme médiévale de l'artisan) en moyens de production sociaux, propriété d’une classe ? En Russie, en dehors de la révolution prolétarienne - dont nous parlons par ailleurs ("Politique et Philosophie de Harper à Lénine") -, nous assistons a un saut brusque, en dix ans de temps, du passage de la forme la plus arriérée à la forme la plus avancée de la concentration sociale des moyens de production. Mais, le fait que ces moyens de production soient propriété d'État, change-t-il quant à leur caractère de propriété privée ? Propriété privée d'un État qui personnifie le CAPITAL aux yeux du travail et qui joue vis-à-vis de celui-ci la même fonction capitaliste que partout ailleurs, avec cette différence, cependant, d'un pouvoir coercitif plus fort. Un État aussi policier que l'État russe n'est pas un phénomène abstrait et, "en soi", il personnifie un pouvoir de classe. Et, si le pouvoir de classe qu'il représente est celui "d’une couche privilégiée du prolétariat", comme Bettelheim veut nous le faire entendre, nous aboutissons à une notion du socialisme qui passe en réalité par la nécessité "réaliste" d’un capitalisme d'État, vieille conception et vieille trahison du socialisme réel, que Bettelheim nous ressert défraichie, avec une sauce pourrie puisée dans les arrière-cuisines du stalinisme.
Cette monstruosité stalinienne qui veut opposer une soi-disant “conception réaliste” du socialisme à ces conceptions qualifiées "d'utopistes”1, mènent en réalité Bettelheim à défendre, comme la panacée universelle, un "socialisme réaliste" imposé à une couche "moins privilégiée" du prolétariat, par le pouvoir coercitif d'une couche privilégiée de cette même classe. Nous croyons, quant a nous, que si le socialisme doit être imposé au prolétariat par des procédés barbares (guépéouistes ou concentrationnaires)2, nous pensons alors qu'il est vraiment une utopie et nous sommes profondément convaincus qu'il cache une tare profonde qui lui enlève quoi que ce soit qu'il pourrait avoir de commun avec le socialisme.
La propriété privée capitaliste a en dernier ressort, comme défenseur, l'État, parce que l'État personnifie économiquement et politiquement la classe capitaliste, quelles que soient les transformations que subisse en son sein la propriété privée capitaliste ; et ces transformations trouvent leur image dans la composition politique et sociale des partis au pouvoir, l'État reste, de toute manière, la personnification première et dernière du capital face au travail et sur le marché. (Chap. I, à suivre)
PHILIPPE
Links
[1] https://fr.internationalism.org/en/tag/conscience-et-organisation/gauche-communiste-france
[2] https://fr.internationalism.org/en/tag/courants-politiques/trotskysme
[3] https://fr.internationalism.org/en/tag/approfondir/marxisme-et-guerre-imperialiste
[4] https://fr.internationalism.org/en/tag/questions-theoriques/guerre
[5] https://fr.internationalism.org/en/tag/questions-theoriques/imperialisme
[6] https://fr.internationalism.org/en/tag/questions-theoriques/leconomie