En ce mois de novembre, la classe ouvrière est appelée à se souvenir de deux événements importants. D'une part la Révolution prolétarienne russe, d'autre part la fin de la guerre 1914-18.
Deux événements dont la signification aujourd'hui n'échappe pas à la bourgeoisie. Aussi voit-on célébrer le 7 novembre tel une fête folklorique russe sans grand apparat, tandis que le 11 novembre, avec son soldat inconnu, est célébré avec toute la pompe et la propagande nécessaires pour perpétuer le massacre du prolétaire au plus grand profit du capitalisme.
Et ceci même pendant l'occupation où la police nazie savait réprimer violemment les anniversaires des luttes ouvrières (tel le 1er mai, le 7 novembre) et disperser quelques paltoquets qui, le 11 novembre, voulaient ranimer la flamme du soldat inconnu avec l'espoir qu'il y en ait encore beaucoup.
Et de toutes parts, la classe ouvrière ne rencontre que partis et idéologies tendant à lui faire oublier la glorieuse révolution russe et à lui faire sanctifier les massacres impérialistes.
Le PC, malgré son attachement à l'État capitaliste russe, tente de repousser au rang de fête folklorique le 7 novembre pour carillonner à toute volée le 11 novembre. "Tactique, répond-on, simple manœuvre, noyautage jésuitique. Quand nous serons forts, nous déclencherons la révolution". Pourtant 5 millions et demi d'électeurs, les syndicats en mains, toute la classe ouvrière encasernée par le PC, la masse paysanne sympathisante, voilà le bilan des forces staliniennes en France. Attend-on que la bourgeoisie française prenne la tête de la révolution prolétarienne ? Car c'est peut-être par cette alternative que l'on doit comprendre la force prolétarienne.
Si nous dressons ce tableau, si nous posons des questions, si nous recherchons des solutions, c'est que quelque chose a changé entre le 7 novembre 1917 et le 11 novembre 1946. Peut-être l'idéologie du PC, peut-être la classe ouvrière elle-même, peut-être la bourgeoisie devenue révolutionnaire après son passage au maquis, peut-être aussi parce qu'on a tout fait pour effacer l'expérience du 7 novembre, pour en faire une tradition comme la fête des Catherinettes.
Demandez aujourd'hui à un ouvrier ce qu'a été le 7 novembre 1917 pour le prolétariat international, il répondra, parce qu'on l'a forcé à le croire : la fête nationale russe.
Il semble, à la fin de cette guerre, que la phrase célèbre de Marx se vérifie : "L'histoire se répète deux fois, une fois en tragédie. La deuxième fois en comédie."
C'est ce qui nous arrive avec les bouffonneries de révolutions nationales en Yougoslavie, en Bulgarie, Albanie, etc. Hier, le parti révolutionnaire contre le monde capitaliste entier osait lever l'étendard de la révolte internationale des opprimés ; aujourd'hui, les divers PC se réfugient derrière la non-exportation de la révolution pour créer à l'intérieur des frontières nationales des systèmes autarciques proches du fascisme et, à l'extérieur, marchander diplomatiquement les prolétariats des pays démocratiques. Oui, la révolution n'est pas un article d'exportation mais ce n'est pas un article national non plus. La révolution ne s'exporte pas car elle exprime une situation internationale tendue vers la lutte de classe franche et déclarée.
La révolution n'est pas nationale car ce n'est pas une espèce de grâce quoi frappe un prolétariat plutôt qu'un autre. Que de fois on entende des staliniens dire que le prolétariat américain ou anglais trahit.
Enfin, la révolution et les menaces de guerre entre impérialistes ne peuvent cohabiter car la révolution pose la lutte de classe contre classe, et la guerre impérialiste l'antagonisme capitaliste avec le sang indifférencié des ouvriers. En d'autres termes, la révolution recule quand la guerre approche et ce n'est pas du bla-bla comme on en trouve dans la presse, de la gauche stalinienne bourgeoise à la droite PRL.
Le socialisme n'est pas une conception morale ; ce n'est pas non plus une suite de privations ; ce n'est surtout pas un désir réalisable (…) génériquement.
Avant de parler de socialisme, libérons-nous des mots "démocratie", "liberté", "égalité" qui n'expriment qu'un contenu bourgeois. Ne parlons surtout pas d'individu, ni de violence et de brutalité. C'est choquant au premier abord, mais la révolution russe n'a réussi que parce qu'elle s'était libérée de ces mots vides de sens.
La nécessité du socialisme résulte de l'impossibilité qu'a la société bourgeoise de satisfaire les besoins minimum des masses travailleuses et de la société en général.
La possibilité du socialisme ne se fait sentir et ne s'applique qu'une fois que l'ancien état de chose a été détruit, non dans un secteur isolé mais dans l'ensemble des secteurs les plus industrialisés du monde.
C'est-à-dire que le problème du socialisme passe par le stade de la lutte de classe violente ; une classe, les prolétaires, exprime dans sa lutte la volonté farouche d'abattre le capitalisme, d'instaurer sa dictature, non pour créer une nouvelle classe d'opprimés mais pour éliminer les vestiges de classes et permettre le socialisme, une société sans classe en vue de la consommation et non de la destruction.
Toutes ces prémices actives du socialisme, cette lutte ardente et consciente, ne repose pas sur une infrastructure économique déjà existante mais sur une conscience politique de classe et ne se réalise qu'en fonction des conditions objectives de crise aiguë politique du système bourgeois.
Et c'est sous ces signes indiscutablement révolutionnaires que, le 7 novembre, le prolétariat russe a ouvert le cycle de révolutions qui devaient déferler sur le monde jusqu'en 1927.
La guerre de 1914-18 avait ébranlé économiquement et politiquement l'ordre bourgeois. Partout se dessinaient des soubresauts de révoltes, Verdun, Kiel, Février 1917 ; ce n'était que cris désespérés. En Russie le tsar abdique ; en France la bourgeoisie, par la bouche de Caillau, recule, parle de paix, a peur. En Allemagne le Kaiser espère en une paix de compromis.
A cet ordre bourgeois ébranlé, les Kerensky essaient d'apporter des palliatifs qui ne résistent guère à l'épreuve.
En France, en Allemagne, la répression féroce entre en jeu ; l'État est encore fort. En Russie, la bourgeoisie trop jeune succombe à ce qu'elle appelle l'anarchie, qui n'est autre que son impossibilité de répression.
L'insurrection du 7 novembre n'est pas la prise du pouvoir d'une clique de politiciens, c'est la destruction de l'État bourgeois aux cris de : Paix immédiate, le pouvoir aux Soviets, la terre aux paysans. Et ces cris de conscience encore infantile, manifestations politiques d'une volonté de socialisme, devaient se raffermir et s'éclaircir au travers de la lutte qu'entreprennent immédiatement les capitalistes contre la révolution russe. Ce n'est plus le mot-d'ordre de paix qui est claironné mais de "guerre civile du prolétariat contre la bourgeoisie". Et les échos dans les pays en guerre se font entendre de plus en plus.
C'est Liebknecht, Luxemburg en Allemagne, la gauche socialiste en Italie et en France, la Commune hongroise, etc. Le 7 novembre, ce n'est pas seulement les préludes de pouvoir politique du prolétariat en Russie mais surtout les préludes de la révolution internationale. Du stade défensif et syndicaliste, la classe ouvrière passe au stade offensif et politique. Ce n'est pas de constitution socialiste que l'on parle mais de prise de pouvoir de la classe ouvrière dans le monde entier.
Contre nos camarades utopistes qui veulent critiquer le 7 novembre 1917 au travers des mesures économiques et politiques prises par l'État ouvrier en Russie, nous avons toujours affirmé que le problème –vu dans les frontières russes, en dehors de son contenu seul, l'international– devait prêté à toutes les critiques ; mais ces critiques tombaient dans le vide car ils acceptaient tacitement la possibilité d'un pouvoir ouvrier politiquement et économiquement constructif dans les limites nationales. Ils rejoignaient ainsi les droitiers de l'Internationale qui parlaient déjà de construction socialiste en Russie.
Nous nous refusions à subordonner la révolution mondiale au besoin de l'État ouvrier en Russie.
Aux problèmes techniques et d'ordre courant que les détracteurs voulaient nous présenter comme un début de socialisme, nous posions tout d'abord la nécessité de subordonner ces problèmes intérieurs à la résolution et l'aide à la révolution allemande, italienne, hongroise, chinoise, etc.
La NEP et tous les pas en arrière n'étaient pas, pour nous, des échecs du socialisme en Russie mais les échecs de la Révolution dans le monde, car on ne devait ni ne pouvait parler de socialisme en Russie.
Et cette erreur de vouloir réfléchir la révolution mondiale sur la fausse conception de construction socialiste en Russie a provoqué une série d'erreurs de la part de l'Internationale. La consolidation de l'État Ouvrier en Russie était fonction de la victoire prolétarienne internationale. On a agi autrement, on a voulu consolider l'État ouvrier en Russie, même aux dépens de la Révolution Mondiale ; et l'on a réussi qu'à consolider l'État tout court et permettre la bouffonne comédie du "socialisme dans un seul pays" de prendre corps et de l'emporter en 1928, faisant de la Russie le prototype du capitalisme d'État et le monde entier un champ de bataille du prolétariat vaincu.
Et la guerre impérialiste devenait la perspective historique.
Le 7 novembre n'est pas une tradition mais un exemple, un enseignement. Nous ne fêtons pas le 7 novembre tel le 14 juillet, nous appelons le prolétariat à saisir l'aspect international de la Révolution d'Octobre. Si aujourd'hui il se trouve à la remorque de sa bourgeoisie, si –délaissant la voie de l'internationalisme et de la lutte directe de classe contre classe– il voit poindre une nouvelle guerre et naître un capitalisme d'État plus monstrueux, plus exigeant, qu'il se rappelle que le 7 novembre fut une brisure de la guerre impérialiste, une volonté du prolétariat international d'en finir avec les guerres.
L'étincelle partie en Russie enflamme le monde ; les Staline, Tito et autres "petits pères des peuples" n'enflamment plus personne, ils ont fini par faire croire que le 7 novembre est une légende pour petits enfants. Au prolétariat de se réveiller pour continuer le 7 novembre par sa lutte contre la guerre et son rejet et refus de tout État bourgeois démocratique ou dictatoriale.
L'INTERNATIONALISME
Pourquoi sont-ils abstentionnites ?
Ce n'est pas un hasard qui a déterminé la Fraction Française des Lucain – la claque de Vercesi, la Fraction opportuniste de la GCI en France –à prendre pour titre de leur journal le même que celui de leurs camarades de Belgique.
On y retrouve, en mieux, toujours les mêmes méthodes de discussion, toujours les prises de position qui laissent le loisir d'avoir toutes les positions qu'on veut.
A chaque fois qu'un Lucain a à prendre position sur un sujet où la GCI avait des positions bien avant eux et plus nettes, (voir Bilan) par exemple sur la constitution des Partis ou sur le Parlementarisme, il se trouve devant la situation présente :
Aujourd'hui le journal des Lucain français, l'Internationaliste, contient un bon nombre de lucâneries dont l'article de la camarade Frédéric n'est pas des moindres : "Pourquoi sommes-nous Abstentionnistes ?" En effet, quand on a lu cet article, on se demande pourquoi finalement ils sont abstentionnistes, et on se demande aussi qui est abstentionniste chez eux.
Comment se présente la chose exactement ?
Au dernier Référendum et aux élections, en mai 1946, nous avons sorti un numéro de l'Etincelle entièrement axé sur le problème du Parlementarisme (N° 12). La Fraction a voté une résolution sur le Parlementarisme, résolution qui est reproduite dans ce numéro de l'Etincelle. Pour les camarades qui ont eu ou qui peuvent avoir ce journal devant les yeux l'équivoque n'est pas possible sur nos positions.
Quelques temps après, les élections se présentent en Italie (nous savons tout ce que signifie cette grêle d'élections sur le monde : instabilité impitoyable du régime bourgeois et tendance de celui-ci vers une stabilité hypothétique, mobilisation idéologique du prolétariat derrière les différents partis bourgeois, cours réactionnaires, etc.). Le parti italien, la majorité et le CC étant lucanisés, prend position pour la participation aux élections (voir notre critique à cette époque).
Leurs intentions étaient pures, aussi pures que celles des PC à la belle époque de l'IC, aussi pures aussi que celles des trotskistes.
Mais, pour nous, la question n'est pas de savoir si tel ou tel a de bonnes intentions ou s'il est sincère ; notre critique porte sur des positions politiques, sur des principes politiques. Nous voulons espérer que toujours ceux qui ont une position, quelle qu'elle soit, sont sincères mais les sentiments des hommes sont très difficilement contrôlables, tandis que leurs actes et leurs écrits le sont (et dans ce domaine, se rappeler la comédie vercesienne du Comité Antifascistes de Bruxelles et "L'Italie de Demain").
A ce moment-là, la position du PCI d'Italie avait été accueillie chaleureusement par certains Lucain français (exemple Raymond/Gaspard), beaucoup plus fraîchement par d'autres (dont Frédéric).
Mais, de toutes ces conceptions, aucune n'a été affichée, écrite. On s'est contenté de grands palabres justificatifs ou de timides critiques orales.
Aujourd'hui que les Lucain du monde entier tentent de fabriquer une Internationale à eux, ils se trouvent devant la nécessité où tous les fabricants d'Internationales se sont trouvés avant eux : montrer l'unité de vue des Lucain entre eux même si cela n'est pas, et pour cela démontrer que deux positions contradictoires peuvent être en réalité identiques (en y mettant de la bonne volonté).
En l'occurrence, il s'agit non seulement pour Frédéric d'affirmer "Pourquoi elle est abstentionniste" mais, en même temps, de montrer que son abstentionnisme n'est nullement en contradiction avec la position des italiens participant aux élections. C'est ce que Frédéric elle-même eut pu appeler, il n'y a pas si longtemps, de l'abstentionnisme honteux.
Très curieux d'ailleurs son article qui a l'air de sabrer à droite, sabrer à gauche, qui finit par une jolie phrase : "… voilà pourquoi nous sommes abstentionnistes", mais qui, en réalité, permet tous les doutes possibles ; et, après la lecture de cet article, on peut se demander en effet pourquoi Frédéric est abstentionniste en France alors qu'elle ne l'est pas en Italie. Les influences climatiques sur la politique ne nous sont pas expliquées ; Frédéric nous dit simplement : "… nous n'avons aucune honte à concéder aux anarchistes…", en l'occurrence on met notre position sur le même plan que celle des anarchistes (Bordiga en serait très flatté) histoire d'éclaircir la discussion ; "… nous n'avons aucune honte à concéder aux anarchistes…" (et à nous) que, en effet, nous ne faisons pas une question de principe d'UNE PARTICIPATION ELECTORALE AINSI COMPRISE MAIS EXCLUSIVEMENT AINSI.
Après cela, on ne comprend pas du tout pourquoi Frédéric théorise contre "Une tactique périmée : le parlementarisme révolutionnaire". Sa position affirmée est relativement assez voisine de la nôtre, du moins dans ce court passage ; mais comme pour elle ce n'est pas une question de principe et comme c'est en contradiction flagrante avec la position des italiens (justifiée par elle), on finit réellement par se demander pourquoi elle est abstentionniste ? On se demande aussi, quand elle dit "nous", si elle entraîne la responsabilité d'un Gaspard par exemple qui, lui, n'est que la copie conforme de la position du CC italien.
Finalement on se rend compte que le lucanisme n'est pas une plaisanterie mais une maladie typique des nouveaux constructeurs de partis et d'Internationales. On comprend qu'après cela quelqu'un qui vient avec des positions politiques sérieuses et qui parle de principes soit accueilli comme un chien dans un jeu de quilles.
Par contre, il nous apparaît nécessaire de souligner que le mouvement ouvrier n'est pas, malgré tout, complètement pourri. Des militants sérieux se trouvent mêlés aux Lucain. Il est intéressant de noter que ce sont presque toujours de vieux militants. Eux ont au moins la franchise de leurs positions. Ils ne cherchent pas à démontrer qu'ils sont toujours dans "la ligne" en étant complètement à l'opposé.
Ils ont des idées qui, pour nous, sont fausses mais qui, affirmées et développées comme le fait par exemple Chazé dans "La formation du Parti de classe : hier non, aujourd'hui oui", n'es constituent pas moins des (…) possibles de discussion. Nous ne sommes pas d'accord mais nous sommes prêts à discuter sue ce plan franchement et ouvertement.
La seule raison qui fait voisiner ces éléments sérieux – tels Chazé et quelques vieux militants italiens de la minorité avec qui nous sommes en désaccord et avec qui, nous tenons à le faire remarquer, la GCI a toujours été en désaccord pour Chazé et, depuis l'affaire espagnole pour la minorité – avec les Lucain, c'est que ces éléments hétérogènes sont sans bases politiques de principes et n'ont jamais pu assimiler ce que l'on a pour habitude d'appeler le bordiguisme dans le mouvement ouvrier.
Quelle différence entre le crétinisme omnipotent d'un Gaspard alias Raymond Bourt, le lucanisme de Frédéric et la franchise et l'honnêteté politique d'un Chazé ; l'orgueil et la bêtise de jeunes chefaillons en herbes et la discrétion d'un militant.
PHIL
Les révolutionnaires gardent difficilement leur sang-froid dans les périodes réactionnaires. Ils prennent chaque mouvement social pour le PRELUDE à la révolution, chaque grève pour le REVEIL de la conscience de classe du prolétariat. Les journaux du soir n'ont qu'à sortir avec de gros titres : MASSACRES à BOMBAY, GREVE GENERALE aux E.-U., INSURRECTION en Italie, et aussitôt, l'imagination aidant, certains peuvent un instant se donner l'illusion que ça y est ! Heureux ces camarades, dans le fond, puisqu'il leur suffit de si peu pour se contenter.
Les spécialistes de ce genre d'agitation autour de chaque mouvement quel qu'il soit ont toujours été les trotskistes. Pour eux, chaque grève est progressiste et marque un réveil indubitable de la conscience de classe du prolétariat. Les trotskistes – qui ont quelques militants dans la classe ouvrière et qui sortent "La Vérité" – peuvent s'imaginer qu'après avoir appelé à la grève le prolétariat leur obéit ou agit sous leurs directives quand celui-ci se réveille ; nous leur laissons leurs béates illusions.
Plus grotesque nous apparaîtra une équipe de militants révolutionnaires -qui ont scissionné d'avec les trotskistes seulement avant la guerre et qui ont gardé les maladies chroniques de l'agitation pour l'agitation, ce qui peut apparaître ridicule dans la politique trotskiste avec les gros titres de "La Vérité" : LA CLASSE OUVRIERE PASSE À L'ACTION POUR LES 25%, par exemple, nous apparaîtra encore plus ridicule dans le "Prolétaire", feuille à très faible tirage déjà par rapport à "La Vérité" -dont le tirage est déjà loin d'égaler celui des journaux qui dirigent réellement l'opinion.
La valeur du contenu dans le "Prolétaire" passe après les gros titres et les images. Le "Prolétaire" est le journal des grèves qu'il ne dirige pas. Chaque titre et sous-titre sont en rapport avec une grève :
Après de longues années d'Union Sacrée, une nouvelle phase commence : à Dijon, Lille, Bordeaux, Nantes, Cherbourg, etc.
LE PROLETARIAT PASSE A L'ACTION
Savoir faire la GREVE
Syndicat et comité de grève
Du syndicat au comité de GREVE
FILM du mouvement de grève des postiers
La classe ouvrière française entre dans une nouvelle phase de luttes !
Grèves de MASSES !
Grèves à Rotterdam
Grèves en Afrique du Sud
Grèves aux Indes
Grèves en Pologne
Le lecteur qui n'aurait pas lu de journaux depuis plusieurs jours et qui trouverait le "Prolétaire" dans la rue croirait sérieusement que ça y est ! Mais, en effet, l'équipe du "Prolétaire" arrive à se faire croire à elle-même que la révolution est en marche ! Pour le lecteur de septembre, s'il a bien voulu le croire, la grève générale internationale révolutionnaire est proche.
Pour le lecteur d'octobre cela devient beaucoup plus compliqué. En octobre, le "Prolétaire" est divisé en deux parties bien distinctes : Jean qui pleure et Jean qui rit ; le "Prolétaire" annonçant la guerre, la misère et la ruine et le "Prolétaire" annonçant la grève révolutionnaire, le réveil des masses et une aube nouvelle, une phase nouvelle.
Mais sans poursuivre plus loin, lequel des deux devons-nous croire ? Il est bien possible que l'équipe que l'équipe rédactionnelle elle-même soit hésitante entre les deux comme l'âne de Buridan.
Pour les militants objectifs et sérieux, ceux pour qui chaque grève ne correspond pas effectivement avec un réveil de la conscience des "masses", il y a quelques constatations qui s'imposent à propos des grèves en général.
D'abord la grève n'est pas, n'est plus l'arme de classe exclusive de lutte du prolétariat. Nous avons vu les techniciens et les boutiquiers faire la grève, nous avons vu plusieurs grèves des gardiens de la "paix" et du personnel de la police générale, cela ne correspond pas, que je sache, à un réveil révolutionnaire. Demain, peut-être, verrons-nous la grève des députés et des ministres ; la grève est très à la mode. Si l'on veut un tant soit peu approfondir, quelle constatation pouvons-nous faire partant de là et de toutes les combines et tirailleries de tendances politiques de la bourgeoisie autour des grèves ouvrières ?
Nous sommes obligés de constater que la grève en tant qu'arme révolutionnaire du prolétariat est dépréciée. Cela veut-il dire que la grève est dépréciée à jamais ? c'est bien possible. C'est en tout cas une question qui reste posée. Pour l'instant, nous nous bornons à constater que tout le vieil appareil des luttes ouvrières inauguré par la social-démocratie et continué par la 3ème Internationale suit le même sort qu'eux [?!?!?]. Les syndicats sont devenus un instrument nettement réactionnaire au service de l'État capitaliste ; comment, dans ce cas-là, ne pas supposer que tout ce qui accompagne cet appareil usé et réactionnaire du mouvement ouvrier, passé au service de l'État capitaliste, ne suive le même chemin ? [?!?!?]
La vérité c'est que le caractère des luttes a changé, que, dans la mesure où les ouvriers abandonnent la partie réactionnaire du mouvement ouvrier, ils abandonnent également ses méthodes de lutte. La grève, pas plus que les syndicats, n'est loin de là une garantie de la qualité de la lutte ouvrière. Les camarades qui luttent le plus âprement contre le bolchévisme et contre tout le vieux mouvement ouvrier ne se rendent-ils pas compte qu'ils sont encore imbus de toutes les illusions caractéristiques à ce mouvement, surtout pour ce qui est des grèves des syndicats et de la presse.
Sitôt qu'on forme un groupe, on rêve d'avoir un grand journal et de diriger les luttes du prolétariat. Ça c'est de l'ancien mouvement ouvrier, le plus retardataire et le plus opportuniste qui finit dans la peau d'un parti trotskiste. Aujourd'hui, nous avons d'autres conceptions et, si elles font moins de bruit et de tape à l'œil, elles n'en restent pas moins la meilleure et la plus solide arme révolutionnaire.
Le prolétariat, dans ses luttes spontanées, brise totalement le cadre syndical et même très souvent celui de la grève revendicative pour passer à l'action directe, pour manifester pour de meilleures conditions de ravitaillement, manifestations qui se transforment souvent en véritable déchaînement de violence.
La prochaine révolution ne ressemblera en rien à la "vague" de 1917-23 ; elle ne sera probablement pas dirigée et orchestrée par des syndicats ou des partis dans le genre PC, IC, CGT, mais elle aura une autre allure et se placera sur une autre échelle, bien supérieure.
La question se pose pour les révolutionnaires : les syndicats et la grève servaient dans une époque où des réformes étaient susceptibles d'améliorer les conditions sociales des ouvriers ; aujourd'hui le réformisme a vécu et, avec lui, ses méthodes de lutte. Pour la période future, se pose pour le prolétariat directement le rapport des forces et la prise de conscience. Le rapport des forces se trouve dans la violence sans cesse accrue dans les réactions de classe ; et la prise de conscience suit la même courbe dans de la qualité. Les questions qui se rattachent à cela restent à discuter et à créer. Les nouvelles méthodes de lutte appellent de nouveaux organes ; un niveau de conscience supérieur appelle un organe tel le parti et l'Internationale sur un plan supérieur à celui de la période précédente.
PHIL
Après avoir constaté l'existence de partis bourgeois fondamentalement anti-nationaux tels que les PC et après s'être servi de ce fait pour expliquer les événements politiques actuels, il faut essayer d'expliquer le fait lui-même.
Du côté bourgeois la base de l'explication se trouve, comme je l'ai dit plus haut, dans le fait que le patriotisme a cessé de correspondre aux intérêts de la bourgeoisie elle-même dans tous les pays qui ne sont pas des grands, c'est-à-dire dans la plus grande partie du monde : la bourgeoisie ne croyant plus elle-même à la "patrie", cette idéologie finit par être dévaluée aux yeux du prolétariat (à force de se dire entre soi "il faut une religion pour le peuple", le peuple finit par le savoir).Il lui faut alors inventer d'autres prétextes idéologiques pour justifier la guerre, des idéologies dépourvues au moins en partie de caractère national et qui, par suite, peuvent s'étendre dans le monde entier, y compris chez les "grands" ennemis eux-mêmes. Évidemment, ce n'est pas un hasard que le PC des USA soit très faible : au centre du bloc impérialiste opposé à l'impérialisme russe les conditions sont particulièrement défavorables pour le développement d'un parti russe. Il n'en reste pas moins que ce parti existe.
Cependant les conditions précédentes ne sont pas suffisantes. Pour qu'un parti puisse se développer, jouer un rôle dans la vie d'un pays, il faut qu'il trouve une couche de la population sur laquelle il puisse s'appuyer en défendant ou en paraissant défendre ses intérêts. Dans ce but, les partis nazis par exemple se sont le plus souvent appuyés sur des minorités nationales pas toujours allemandes (parti rexiste flamand en Belgique, parti croate en Serbie, etc.). Mais pour avoir une arme efficace dans le but de lutter contre la bourgeoisie nationale, un parti bourgeois anti-national doit s'appuyer sur la principale force qui s'oppose à la "propre" bourgeoisie, à savoir sur le prolétariat – en se disant le "parti du prolétariat" – en se mettant de temps en temps "à la tête de la classe ouvrière pour la défense de ses intérêts" (quand cela ne présente aucun danger pour la domination mondiale de la bourgeoisie). C'est ce que font, mieux que tous autres, les partis staliniens.
Cela appelle une remarque et une question. D'une part nous voyons que les conditions de développement de partis bourgeois anti-nationaux tels que les PC se trouvaient dans l'incapacité du prolétariat à s'imposer en tant que classe à la bourgeoisie mondiale. De tels partis n'auraient pas pu se développer si l'expérience n'avait pas montré à la bourgeoisie qu'il est possible de manœuvrer le prolétariat, de le mener à se battre pour une bourgeoisie – et cela non pas même au nom de la "nation" ou de la "race" dont il fait partie mais au nom de sa classe – en s'opposant à sa "propre" bourgeoisie. Il fallait une longue expérience pour que la bourgeoisie arrive à apercevoir cette possibilité. Dans ce domaine, l'impérialisme russe a joué le rôle d'expérimentateur et d'initiateur, d'avant-garde de la bourgeoisie à la recherche de nouveaux moyens de lutte.
Et alors une question se pose. On comprend bien pourquoi l'impérialisme russe a joué ce rôle d'avant-garde. Issu d'une révolution soi-disant prolétarienne - et dont effectivement le principal moteur était le prolétariat -, se nommant lui-même "dictature du prolétariat", dirigé par un parti, des hommes qui se sont eux-mêmes crus les représentants du prolétariat, cet impérialisme n'avait comme principale force, dans sa lutte contre les autres impérialismes, que l'appui d'une partie importante du prolétariat mondial. Mais ce qui se comprend moins facilement, c'est pourquoi la Russie est restée pratiquement le seul impérialisme à pouvoir créer, dans toutes les parties du monde, de prétendus partis ouvriers entièrement à son service.
Ce fait arrive à égarer beaucoup d'esprit dans ce que l'on appelle le mouvement ouvrier, au sujet de la nature sociale de la Russie actuelle. Puisque la Russie lutte contre la bourgeoisie, disent-ils, c'est qu'elle n'est pas elle-même bourgeoise ! Et si on leur fait remarquer que les bourgeois luttent entre eux, ils répondent que c'est en tant que nations et non avec des partis anti-nationaux tels que les PC… On aura reconnu là un raisonnement trotskiste classique (assez bizarrement allié d'ailleurs avec l'idée que les PC sont des partis "opportunistes", "capitulant" devant "leur" bourgeoisie nationale, analogue aux partis social-démocrates… de 1914 !). Mais, même sans insister sur les trotskistes, on sait que Vercesi, un des dirigeants du PCI d'Italie, continue à justifier l'étiquette d'«État prolétarien» appliquée à la Russie (sans d'ailleurs en tirer les conséquences politiques qu'en tirent les trotskistes : "défense de l'URSS", etc.) par le fait que la Russie peut encore aujourd'hui regrouper autour d'elle une partie importante du prolétariat mondial.
Bien entendu la discussion théorique de telles thèses est inutile. Il suffit de constater qu'elles sont en contradiction avec les faits. Que le capitalisme d'État russe soit – quelles que soient les discussions qui peuvent légitimement s'élever au sujet de sa nature économique – un régime de classe aussi anti-prolétarien que tout autre, c'est un fait. Que ce régime soit capable, et cela bien mieux que tout autre, de manœuvrer le prolétariat dans une grande partie du monde, c'est un autre fait. Si la conjonction de ces deux faits semble à certains camarades "contradictoires", c'est leur théorie qui est en contradiction avec la réalité. Il reste que la conjonction de ces deux faits demande une explication.
Je ne pense pas que ce soit une explication suffisante que d'invoquer le "souvenir" d'Octobre et le mensonge qui consiste à se prétendre socialiste. Car il reste à savoir pourquoi le souvenir ne s'est pas effacé et pourquoi ce mensonge n'a pas aussi bien réussi à d'autres.
L'explication que je propose est la suivante : grâce à sa centralisation étatique, le capitalisme russe possède moins de liens étroits avec les capitalismes étrangers qu'il n'en existait, par exemple, entre le capitalisme américain et le capitalisme allemand (sociétés à capital mixte, liens personnels, etc.). Par suite, la Russie est plus libre pour attaquer les bourgeoisies concurrentes, tandis que par exemple une grève en Allemagne risquait d'affecter immédiatement et directement les rentrées de profit à New-York, Londres et Paris. Cela explique, en passant, l'attitude souvent "radicale" prise par la Russie et les PC envers les bourgeoisies ennemies vaincues ("expropriation des traîtres", exécution des criminels de guerre", etc.). Mais cela explique surtout que les partis russes dans tous les pays soient capables d'une démagogie "ouvrière" et "anticapitaliste" que les autres partis bourgeois n'arrivent pas à égaler.
Je ne crois pas qu'il soit possible de répondre à la question posée si on se refuse à voir que les PC sont effectivement des représentants de la bourgeoisie russe.
Dans tout ce qui précède, je n'ai fait qu'exprimer sous une forme consciente et schématique des idées que la plupart des militants révolutionnaires utilisent en fait quotidiennement dans leur appréciation des événements actuels, même s'ils s'y opposent en théorie. A l'exception des éternels rêveurs qui, tels les trotskistes, sont perdus dans la contemplation nostalgique d'époques révolues, chaque militant raisonne, analyse, prévoit comme s'il pensait que les PC sont des agents de l'impérialisme russe et non des diverses bourgeoisies nationales, quelles que soient par ailleurs leurs conceptions théoriques. Un tel décalage entre la théorie et la pensée vivante est d'ailleurs loin d'être une exception dans le mouvement ouvrier où les anachronismes abondent.
Un tel anachronisme est la conception que la GCF – d'accord sur ce point, semble-t-il, avec les fractions "officielles" de la GCI – se fait de la nature de l'Internationale Communiste, de sa "mort" et de la "trahison" des PC.
On sait que la Fraction Italienne - après avoir proclamé en 1933, après l'arrivée de Hitler au pouvoir, la "mort" de l'IC (pourquoi "mort" ? pourquoi 1933 ?) – dénonçait en 1935 la trahison des PC (pas de l'IC puisqu'elle était "morte"). La raison de cette dernière appréciation ? La déclaration de Staline approuvant "les efforts faits par la France pour mettre sa défense au niveau de sa sécurité", l'entrée de la Russie dans la Société des Nations, la nouvelle ligne des PC qui les amenait à voter les crédits militaires en France, etc.
Tout cela semble bien étrange quand on y réfléchit tant soit peu. La FI a tellement attendu la répétition des événements de 1914 qu'elle a fini par la voir ! En 1914 effectivement, la 2ème Internationale était morte, disloquée par la trahison – effective, quelle que soit sa portée profonde, que je n'ai pas l'intention d'examiner dans le cadre présent – des partis socialistes, chacun reniant ses déclarations antérieures pour se ranger derrière sa bourgeoisie nationale dans la guerre. Rien de pareil ne s'est produit dans la 3ème Internationale. Quand les bordiguistes (et les trotskistes aussi bien) parlent de sa "mort" en 1933, c'est par une image littéraire : "morte" signifie "morte pour le prolétariat". Cette appréciation était basée sur l'idée que, le cours révolutionnaire qui se manifestait (?) en Allemagne étant interrompu par la victoire des nazis, on entrait dans une époque de réaction, de cours vers la guerre impérialiste où il n'y avait plus de place pour un Internationale prolétarienne. Mais l'IC n'était pas pour cela réellement morte, disloquée ; elle subsistait au contraire, en réalité plus centralisée et plus forte que jamais.
En 1935, lorsque les PC se sont rangés du côté de leur "propre" bourgeoisie… dans les pays alliés à la Russie, la FI a proclamé la "trahison" de ces partis en y voyant une justification de ses perspectives antérieures. Mais la FI n'a pas semblé voir combien son schéma de "trahison" à la manière de 1914 était en contradiction avec la réalité puisque, en 1935, le tournant ne dépendait pas d'une dislocation de l'Internationale mais au contraire d'un ordre venu de la direction de l'IC et en rapport évident avec l'orientation de la politique étrangère de la Russie.
Il est clair que dans ce cas la conception traditionnelle de "la trahison des partis ouvriers" – se manifestant essentiellement par le rattachement à la "propre" bourgeoisie – aboutissait à un anachronisme évident. Mais cette idée fausse n'était pas isolée : elle était liée, chaque erreur soutenant l'autre, à l'incompréhension profonde de la nature sociale de la société "soviétique". En effet, même après 1935, après la proclamation de "la trahison" des PC et l'abandon de "la défense de l'URSS", jusqu'en 1942 (jusqu'à aujourd'hui pour la tendance Vercesi), la FI n'a pas compris l'existence en Russie du capitalisme d'État ni, en général, d'une société de classe anti-prolétarienne. L'idée même du capitalisme d'État était absente de toute son idéologie. On parlait de l'État russe comme "État prolétarien" ("dégénéré") ou simplement comme "État russe". On disait simplement que cet État était "intégré dans le système capitaliste mondial" et cela en se fondant seulement sur les actes politiques de cet État (entrée dans la SDN, alliances, etc.). Mais les camarades de la FI ne semblaient pas avoir l'idée que cet État devait être l'organe d'une classe existant physiquement en Russie même ou, dans tous les cas, ils ne semblaient pas très curieux en ce qui concerne les rapports de classes existant économiquement et socialement en Russie. En somme, ils traitaient l'État russe comme s'il avait été un appendice de l'IC alors que le contraire était évidemment la réalité.
Avec de telles lacunes théoriques, on s'explique que le schéma anachronique de "la trahison" ait pu être appliqué avec rigueur par la FI. Cet anachronisme n'était en somme qu'un petit côté d'une théorie qui flottait toute entière dans l'air. Mais nous voyons l'anachronisme parvenir en quelque sorte, au second degré, dans les positions actuelles de la GCF.
Ces camarades comprennent bien que les diverses politiques de l'IC et des PC, avant comme après 1935, étaient déterminées essentiellement par les intérêts de l'État russe ; ils comprennent également que l'État russe actuel est l'organe d'une classe exploiteuse russe qu'ils considèrent d'ailleurs comme identique dans son fond avec la classe bourgeoise. Cependant, ils maintiennent, avec fermeté et quelques fois avec arrogance (voir "Internationalisme" N° 10), la position traditionnelle de la fraction, suivant laquelle les PC auraient "trahi" en 1934-35, le fait essentiel de cette "trahison" étant leur passage du côté des "propres" bourgeoisies nationales.
Alors, il faudrait tout de même s'entendre. Ou bien l'État russe était, dès avant 1934-35, un État de classe anti-prolétarien et, alors, on ne voit pas en quoi l'IC et les PC, dont la politique était essentiellement dirigée vers la défense de cet État, étaient moins "traîtres" que lorsqu'ils se sont mis à soutenir les armements de la France, etc. Ou bien on pense que le capitalisme d'État n'a été instauré en Russie que justement en 1934-35. Mais alors on ne comprend plus. L'instauration d'un régime de classe, d'un régime d'oppression et d'exploitation des travailleurs dans un pays où aurait existé auparavant "la dictature du prolétariat" suppose, semble-t-il, au moins certaines transformations politiques, sociales et économiques profondes dans le pays même dont on devrait trouver quelques traces dans l'histoire de la Russie. Effectivement il y a eu des périodes de grands changements, de crise politique et sociale en Russie en 1921 (Cronstadt, NEP, etc.) et en 1927-28 (liquidation de l'opposition trotskiste, plan quinquennal, etc.) et divers groupes ou camarades ont voulu trouver ici ou là le passage décisif entre "la dictature du prolétariat" et le capitalisme d'État. - Je pense quant à moi qu'ils ont tous tort et qu'il n'a jamais existé en Russie de chose telle que "la dictature du prolétariat" ou "l'État ouvrier" ; mais la question n'est pas là pour le moment -. Mais en 1934-35 ? Il s'agit justement d'une période de calme relatif dans l'histoire interne de la Russie. Si l'ouvrier était exploité et opprimé après, il l'était aussi bien avant. Ou alors faudrait-il dire que le même système économique et social – la même extraction de plus-value, les mêmes prisons – ont subitement changé de caractère de classe parce que l'État qui maintenait ce système a préféré s'allier à la France plutôt qu'à l'Allemagne (raison de l'entrée dans la SDN et cause essentielle du "tournant" du PCF et de divers autres PC).
Il me semble que, si les camarades de la GCF ne veulent pas arriver à une telle idée, ils seront obligés de conclure que leur appréciation de "la trahison" des PC en 1934-35 n'est qu'un anachronisme fondé sur une conception largement périmée des rapports des partis avec la classe bourgeoise. Dans tous les cas, quelle que soit la conclusion à laquelle ils doivent aboutir, ils feront bien de réfléchir de nouveau à ce problème sur la base de leurs conceptions actuelles (et non de celles de la FI il y a 10 ans).
Pour ma part, il me semble clair que la nature de l'IC (qui, en réalité, n'est pas "morte" en 1933, ni même en 1943) n'a pas changé profondément lors du tournant de 1934-35. Avant comme après, elle était une arme qui servait à l'impérialisme russe pour manœuvrer le prolétariat mondial dans les seuls intérêts de la Russie.
Une remarque importante est ici nécessaire. On définit généralement l'évolution politique de l'IC comme un "opportunisme croissant. C'est partiellement exact, mais partiellement seulement ; et cette appréciation, fondée sur la conception classique des rapports des partis avec la classe bourgeoise, laisse échapper justement la caractéristique essentielle de la politique de l'IC.
En effet , d'un point de vue descriptif, l'opportunisme – envers les bourgeoisies non-russes bien entendu – n'est qu'un aspect des "erreurs" de l'IC. Trotsky, par exemple, ne parle pas seulement de l'opportunisme mais de l'alternance (ou de mélange) d'opportunisme et "d'aventurisme". Et, d'un point de vue descriptif, il a raison. L'insurrection de Hambourg (1923), l'insurrection de Canton (1927), certains aspects de la politique de "la troisième période" ne peuvent pas être qualifiés d'"opportunistes". Mais – et c'est là que le point de vue trotskiste se montre grossièrement descriptif et profondément incompréhensif – ces "erreurs" n'étaient pas, en général, déterminées par "un aveuglement bureaucratique" mais par les intérêts de la Russie. La politique de la "3ème période", en particulier, était déterminée essentiellement par la recherche d'un appui sur la bourgeoisie allemande, même nazie ; d'où la lutte à mort contre les social-démocrates ("social-fascistes") anglophiles ; la capitulation de janvier 1933 n'était pas l'envers mais la poursuite de la 3ème période.
Si on remonte plus haut, en Chine (1925-27), en Allemagne (1923), etc., on verra toujours les intérêts de l'État russe – du capitalisme d'État russe – déterminer toute la politique de l'IC.
La Russie est entrée dans la SDN quand elle a recherché l'alliance anglaise et française contre l'Allemagne ; elle avait dénoncé la SDN quand elle recherchait l'alliance allemande contre l'Angleterre.
En 1934 les communistes français ont découvert qu'«ils aimaient leur pays» ; les communistes allemands pensaient dans le même temps à "combattre Hitler". Mais en 1930 et même en 1923, les communistes allemands avaient fait campagne contre "l'opposition nationale" de l'Allemagne. Dans tout cela, où est la différence essentielle ?
Évidemment il n'est pas douteux qu'il y a une évolution de l'IC. En 1919 la plupart des révolutionnaires du monde entier se trouvaient dans l'IC ; en 1946 pas un seul ne peut s'y trouver. Mais cela n'empêche pas que le rôle effectif de l'IC a toujours été le même, depuis sa formation jusqu'à aujourd'hui : celui de "5ème colonne" du nouvel impérialisme russe.
Je sais bien que la plupart des camarades, et en particulier tous ceux de la GCF, s'insurgeront contre cette idée que les révolutionnaires, des groupes révolutionnaires porteurs d'une idéologie révolutionnaire - dont le prolétariat a des enseignements à tirer – aient pu faire partie d'une organisation essentiellement impérialiste et même lui donner en apparence tout son contenu de pensée. Mais la contradiction, si "contradiction" il y a, est dans la réalité et non dans une pensée.
L'explication en est double. D'une part, ce fait s'intègre dans ce caractère général de notre époque que j'ai indiqué plus haut : une bourgeoisie peut manœuvrer le prolétariat, l'utiliser contre les bourgeoisies concurrentes. Entre détruire "la" bourgeoisie (la bourgeoisie ennemie) et composer avec elle, il n' y a qu'une différence de tactique.
La deuxième partie de l'explication explique la première partie elle-même et explique également l'évolution de l'IC. Si la bourgeoisie est ainsi capable de manœuvrer le prolétariat, c'est que celui-ci ne possède pas une idéologie qui lui permette de prendre en mains la direction de la société. Plus précisément, il existait une idéologie qu'on pouvait penser être une idéologie prolétarienne car elle permettait au prolétariat de lutter pour ses intérêts contre la bourgeoisie et, par suite, cette idéologie exerçait une forte influence sur le prolétariat : c'était l'idéologie marxiste telle qu'elle existait dans la 2ème Internationale. Mais dans l'application, quand il s'agit de diriger la société et non plus d'obtenir des avantages immédiats, cette idéologie a montré qu'elle contenait la justification du capitalisme d'État, que sa réalisation était le capitalisme d'État. Plus exactement, on pouvait penser que la doctrine du capitalisme d'État – de l'étatisation des moyens de production par "l'État ouvrier" – était une doctrine du prolétariat tant que l'expérience n'avait pas montré que sa réalisation mène à l'esclavage du prolétariat. Des théories rassurantes, telles que celle de Engels sur "le dépérissement" automatique de "l'État ouvrier", étaient là pour calmer les doutes. Mais le caractère éminemment dialectique de ces théories ne les a pas empêchés de se révéler fausses.
Alors il a fallu que les révolutionnaires prolétariens d'une part et la bourgeoisie d'autre part comprennent que le capitalisme d'État, c'est toujours du capitalisme. Et c'est là la clé de la longue évolution de l'IC.
Il a fallu longtemps au nouvel impérialisme russe pour comprendre, d'une manière générale et pleinement consciente, que son sort est lié à celui de la bourgeoisie mondiale et que, par suite, toute tendance authentiquement révolutionnaire doit être combattue à mort. Quant aux tendances révolutionnaires, la compréhension de ces mêmes faits leur a été également difficile ; exclues successivement de l'IC, elles ont généralement commencé par protester contre leur exclusion et certaines n'ont pas encore compris aujourd'hui…
Le premier congrès de l'IC était dominé par l'idée de rassembler toutes les organisations révolutionnaires pour la défense de la Russie. Au 2ème congrès il ne s'agissait plus seulement des organisations révolutionnaires mais de rassembler les masses par n'importe quel moyen (syndicats, parlements, défense des peuples coloniaux, fusion avec des partis du centre). Au 3ème congrès il s'agissait toujours de rassembler les masses mais plus pour la révolution, seulement pour faire pression sur la bourgeoisie, d'où le Front Unique. Au 4ème congrès il ne s'agissait plus de faire pression sur la bourgeoisie mais de la soutenir quand elle veut marcher avec la Russie : "Gouvernement Ouvrier et Paysan". Et chaque fois, c'était des coups sur la pauvre gauche qui n'y comprenait rien et qui était obligée de s'en aller (Gauche allemande) ou de capituler (Gauche italienne).
Ce sont sans doute les péripéties de la lutte contre l'opposition trotskiste qui ont fait comprendre clairement à la direction de l'État russe le lien qui existe entre toute idée tant soit peu à gauche et le danger interne (ce lien n'étant pas encore clair en 1924 : les propositions faites par la direction de l'IC aux bordiguistes – faire ce qu'ils veulent en Italie à condition de condamner Trotsky – en témoignent). D'où la campagne d'exclusions.
Enfin, en 1934-35, le changement d'orientation de la politique extérieure fournissait une bonne occasion de détruire la racine de toute tendance révolutionnaire possible en abandonnant les phrases révolutionnaires.
On peut résumer cette évolution, d'une manière en quelque sorte philosophique, en disant que le rapport entre Lénine et Staline est analogue au rapport de l'être à la conscience.
Quant au changement survenu en 1934-35, il est réel mais il ne faut pas non plus s'en exagérer l'importance. Jusqu'à cette date, des tendances ont pu se détacher de l'IC pour évoluer vers des positions révolutionnaires, tandis qu'ensuite les tendances de "gauche" qui se sont formées ne sont pas allées plus à gauche que le PSOP (Ferrat). Mais de grandes différences existent entre ces tendances suivant le moment où elles se sont détachées. Je parle du détachement effectif, de l'époque à laquelle elles n'avaient plus leur place dans l'IC et où elles ont été exclues (ou sont sorties) ; je ne parle pas de l'époque où elles ont cessé de se réclamer de l'IC qui est souvent différente.
Ainsi la tendance communiste des conseils-KAPD, qui s'est détachée de l'IC en 1920-23, a pu subsister jusqu'à nos jours sans très grands changements idéologiques et être aujourd'hui encore la plus consciente en général.
La tendance bordiguiste, qui s'était détachée en 1927, a pu conserver en général des positions révolutionnaires mais elle a eu plus de chemin à parcourir. Et il s'agit d'une vieille tendance de gauche qui avait la possibilité de reprendre les positions révolutionnaires qu'elle avait dû abandonner ou adultérer pour rester dans l'IC.
La tendance trotskiste s'est détachée vers la même époque mais elle s'était formée en 1923-27 sur la base de divergences dans la question de savoir comment mieux défendre l'impérialisme russe et comment mieux exploiter le prolétariat russe ; elle n'a jamais pu se détacher de sa base primitive ni du respect intégral des 4 premiers Congrès de l'IC ; et finalement elle est définitivement perdue pour la révolution, à l'exception de quelques groupes qui ont dû justement se détacher d'elle.
Je ne connais pas d'exemple de tendances qui se soient détachées plus tard de l'IC et qui n'ont eu une évolution plus favorable. Le dernier groupe, à ma connaissance, qui se soit détaché de l'IC pour évoluer vers des positions révolutionnaires, était celui du RKD (sorti en 1935). Or ce groupe a dû passer par une évolution lente et difficile, marquée par de multiples scissions qui n'ont pas laissé grand-chose du groupe primitif, pour parvenir finalement à ses positions actuelles.
L'étude de la question particulière concernant la nature du PC m'a ainsi entraîné à discuter des problèmes fondamentaux posés par la révolution russe. Cela était inévitable dans la mesure où le rôle du PC nous dévoile certaines caractéristiques fondamentales de notre époque alors que cette époque ne peut être comprise qu'en fonction des problèmes posés en général par la révolution russe et l'orientation du mouvement ouvrier.
BERGERON
Le camarade Bergeron, dans l'article "Sur la nature des partis communistes" que nous avons publié, va en fait beaucoup plus loin que ne l'indique le titre.
Du reste, il le constate lui-même dans sa brève conclusion : "L'étude de la question particulière concernant la nature des PC m'a ainsi entraîné à discuter des problèmes fondamentaux posés par la révolution russe…"
Ainsi, peu nous importe à nous le titre de son article ; et son contenu l'ayant largement dépassé, c'est de celui-ci que nous voulons traiter ici.
Les grandes discussions qui ont lieu dans l'avant-garde dégénèrent toutes sans exception et amènent toutes à "discuter des problèmes fondamentaux posés par la révolution russe". C'est devenu, depuis qu'existe ce sujet, une telle obsession qu'on a fini par vouloir le bannir de toute discussion, ce qui revient à le retrouver en fait dans chacune, sous le couvert de sujets qui tentent d'apparaître comme différents. Notre habitude n'étant pas au camouflage et cela pour nous-même, c'est une fois de plus ce sujet que nous voulons traiter, sans penser pour cela oser prétendre l'épuiser.
Sous un titre de peu d'apparences, Bergeron attaque sur 4 questions qui sont d'une très grande importance et où nous pensons qu'il commet 4 erreurs fondamentales :
Il est un fait certain que le capitalisme moderne a subi dans son évolution toute une transformation, une mue depuis ce que l'on appelle le capitalisme classique. De toutes ces transformations, il faut dire cependant que le capitalisme, dans tous ses caractères fondamentaux, est resté le même. Dans l'idéologie maîtresse de la classe dominante, si cette classe a subi des modifications de forme, il est également indiscutable que l'idéologie a subi des transformations ainsi que la classe elle-même. Mais si l'on veut bien approfondir, on s'apercevra que, dans le fond et malgré toutes les transformations subies, la classe, le système, l'idéologie sont restés fondamentalement bourgeoises et capitalistes.
Il devient très important aujourd'hui de revenir sur certains faits déjà, à de nombreuses fois, démontrés. En effet, beaucoup de militants, devant les transformations de la société, finissent par prendre ces formes nouvelles comme ne faisant plus partie fondamentalement du capitalisme. Ils bâtissent une autre société qui aurait tout de même certaines caractéristiques du capitalisme mais qui en serait une nouvelle.
C'est aujourd'hui l'idée, qui domine chez de nombreux militants de l'avant-garde, que la société actuelle serait déjà arrivée au degré de transformation supérieur dont avaient rêvé les premiers socialistes (dont Marx et Engels) et que, somme toute, nous serions en ce moment en société bureaucratique socialiste. Cette société actuelle serait la forme réelle de ce que les théoriciens socialistes avaient rêvé. Elle serait, somme toute, une nouvelle société et le "socialisme" de Marx (par exemple) n'aurait été qu'une tendance d'une certaine couche de la société, de cette époque antérieure, pour la réalisation de ce qui existe aujourd'hui (par exemple en Russie).
Ces militants,
Il serait relativement facile de faire, contre ces camarades, une polémique pour les détruire et les ridiculiser. Cependant l'idée a pris tant d'importance ; elle est à la mode depuis la 3ème Internationale et cette mode revient aujourd'hui avec plus de force : elle a ses théoriciens, ses économistes ; des romanciers en font le thème de leurs rêveries ; il n'est pas jusqu'au théâtre peut-être où l'on voit différentes élucubrations sur ce thème ; tous les chansonniers ont le mot à la bouche.
Malheureusement, personne n'a encore établi solidement, dans les faits, une analyse de fond de la nouvelle société, de la société présente qui montre ses caractéristiques propres du point de vue économique, idéologique, etc.
Quand on a examiné un peu attentivement tout le torrent d'écriture qui a envahi ce sujet, on s'aperçoit qu'en fait leurs auteurs se perdent en analyses phénoménologiques, en peintures de la forme de la société présente, mais aucun ne plonge réellement dans la structure fondamentale de la société, aucun ne l'analyse en fonction du passé, etc.
Et pour le répéter une fois de plus : la société présente, malgré une transformation par rapport au capitalisme classique, n'en reste pas moins, en tant que fonction, en tant que fondements, une forme du capitalisme.
L'étude des sociétés, quoique étant une étude scientifique, doit se garder de trop schématiser et systématiser. Ce qui est nécessaire à l'analyse ne doit pas faire perdre de vue que la société humaine est une chose vivante extrêmement complexe ; et l'étude scientifique ne doit jamais faire perdre de vue l'ensemble de ce que l'on étudie. On ne doit jamais perdre de vue, même si l'on est neurologue, psychiatre, chirurgien, dentiste, pédicure ou opticien, que c'est à l'homme vivant que l'on a à faire et non à un œil, un estomac, un cerveau ou des pieds.
Dans ces conditions, il n'est pas permis à un homme sensé d'affirmer que la forme actuelle de la société capitaliste correspond au socialisme dont rêvait Marx et "quelques braves démocrates bourgeois du XIX° siècle…". Dans ces conditions, il n'est pas permis de prendre las bolcheviks pour les réalisateurs du socialisme bureaucratique en URSS. Ces affirmations toutes gratuites relèvent surtout, chez leurs auteurs, d'un manque de sérieux dans l'étude.
En effet, il est possible que Marx soit dépassé, que le rôle du bolchévisme n'ait pas été tout à fait celui que les bolcheviks s'étaient fixés et que nombre de socialistes et de communistes croient encore à une forme de socialisme et de communisme vétuste et imbue de démocratisme petit-bourgeois. Mais à qui en est la faute ? En est-elle à Marx et aux bolcheviks ? Ou est-elle à leurs continuateurs, dont les fameux "nouveaux critiques" étaient, il n'y a pas si longtemps encore, des plus ardents.
On pourrait, si on le voulait, faire l'analyse de la société féodale, la décomposer en plusieurs parties et, en poussant l'analyse de chacune des parties à fond, arriver à la conception que chacune formait une société à part. En effet, en partant de la genèse, en passant par le Moyen Age et en arrivant au féodalisme du XVI° et du XVII° siècles, on peut sans grande difficulté voire une différence de forme telle qu'une telle conception - qui fait des études et ces analyses approfondies de ces époques –arriverait à faire des séparations. Mais une fois le féodalisme divisé et subdivisé, et malgré tout la structure fondamentale en reste, à chaque époque, celle du féodalisme.
Et, cependant, quelles différences entre la constitution des fiefs seigneuriaux, les premiers propriétaires terriens, vrais paysans rudes et batailleurs et les nations, la monarchie absolue et l'aristocratie de robe, véritable bureaucratie !
Si l'on veut faire de même pour le capitalisme, c'est très facile ; quoique la différence soit relativement moins grande entre la société capitaliste de la grande époque colonisatrice, la société capitaliste à l'époque des trusts et des monopoles et la société capitaliste actuelle, le capitalisme bureaucratique étatique, que celle qui existe entre le féodalisme du début et celui de la fin. Tout cela parce qu'il n'y a pas de barrières formelles dans l'histoire et que c'est seulement avec une vue générale que peut être conçue toute analyse.
Après cela, il ne nous vient nullement à l'idée de nier l'évolution de la société capitaliste moderne, ni de nier même certaines modifications dans la classe dirigeante et dans son idéologie. Encore ne faut-il pas considérer cette classe comme une nouvelle classe. En effet, une erreur commise assez communément, et que je relève chez Bergeron, est de donner à une classe sociale une apparence physique, formelle immuable alors qu'elle est simple fonction dans la société et que cette fonction peut être remplie successivement par des êtres ayant physiquement une apparence et une constitution différentes. La fonction sera fondamentalement restée la même, ayant subi certaines modifications physiques, différentes couches sociales ayant pu être appelé à la remplir ou simplement la même classe sociale ayant pu elle-même subir ces transformations.
Le prolétariat d'aujourd'hui est-il comparable au "prolétariat" qui existait déjà sous forme embryonnaire pendant la révolution bourgeoise ?
Cependant, il faut dire encore à ces camarades qui bâtissent de nouvelles théories et voient tant dans les formes nouvelles de la société présente, s'ils regardent un peu plus la réalité, ils verraient que, même dans la forme de la société, il n'y a dans le fond pas tellement de choses de changées.
Dès la révolution de 1989, il y a eu des manufactures d'État. Et déjà il y avait des plaisantins pour affirmer que les socialistes étaient des capitalistes d'État.
Contrairement à ce que ces nouveaux théoriciens du socialisme bureaucratique veulent bien découvrir dans Marx et dans des socialistes comme Lénine et Rosa Luxemburg, ceux-ci ont très bien vu l'évolution de la société capitaliste vers une plus haute concentration pouvant aller jusqu'à une forme de capitalisme d'État très poussée et, que je sache, aucun, même Marx, n'a affirmé que cela devait être égal mathématiquement au socialisme. Engels lui-même parle du capitalisme d'État dans "L'anti-Dühring". Et la bureaucratie n'est pas une nouveauté ; les abus, le gonflement de l'appareil bureaucratique de l'État bourgeois n'est pas né en même temps que tous ces théoriciens, exprès pour eux. L'armée et la bureaucratie ne sont pas nos contemporains immédiats. Nos grands-pères ont déjà connu cela.
Au théâtre, les pièces célèbres de Courteline sont, sinon en théorie du moins dans la vie de notre époque, un signe indubitable de l'existence déjà, à cette époque d'avant la guerre de 1914, de cette tendance au capitalisme d'État et à un appareil bureaucratique hypertrophique.
De même, quand le camarade Bergeron relève une nouvelle idéologie dans la société présente : l'antifascisme, comme une idéologie internationaliste ou du moins supranationaliste de la bourgeoisie, on peut dire qu'il croit faire une découverte parce que né après une guerre qui avait eu comme caractéristique d'être une ligue de "nations libres" et "démocratiques" contre "la barbarie teutonique"(1914-18).
Mais aujourd'hui si ne faisant pas comme le fait Bergeron, si ne voulant pas absolument que les caractères, les sentiments de la classe bourgeoise soient complètement changés, que le nationalisme et le patriotisme ne soient même pas les idéologies maîtresses de la bourgeoisie, si l'on se contente en toute objectivité de voir, dans cette dernière guerre, quelle a été l'idéologie maîtresse qui a gangrené et broyé les cerveaux de l'humanité, on verra que c'est finalement le nationalisme, sous différentes formes certes, qui a été, comme dans toutes guerres de la bourgeoisie, son moteur idéologique.
Il ne faut jamais considérer l'histoire contemporaine du mouvement ouvrier en partant de la Révolution russe, en passant par l'IC et en arrivant au reste du mouvement ouvrier. Il faut au contraire commencer par considérer le mouvement ouvrier dans son ensemble à partir, par exemple, de la social-démocratie (pour l'époque contemporaine). Dans ce sens, et en donnant à chaque courant de gauche issu de la social-démocratie toute son importance, la valeur réelle de l'IC apparaîtra beaucoup plus clairement.
Une chose est certaine cependant, c'est que, pour nous qui jugeons aujourd'hui aussi objectivement que possible et avec le recul du temps, les courants de gauche de la social-démocratie nés dans les pays d'Europe occidentale au capitalisme plus avancé et les courants nés dans les pays d'Europe orientale au capitalisme extrêmement retardataire devaient dès le début avoir de profondes divergences.
La formation d'une Internationale partant d'un seul de ces courants, les autres devant prouver leur loyalisme envers le bolchévisme pour y entrer, a été le début des erreurs ou, si l'on veut, la condition de l'opportunisme de l'IC dès sa naissance. En fait, c'est là le point de départ de tout essai de poser un problème politique et non en partant de la Russie.
Politiquement deux grands courants se forment : la gauche russe et la gauche allemande ; d'autres courants politiques plus faibles hésiteront entre les deux : tels nous apparaîtront le courant appelé plus tard bordiguiste, le courant des syndicalistes révolutionnaires français, etc.
Mais il faut considérer un autre fait, celui de l'existence d'une large partie de l'Europe où la révolution bourgeoise n'avait pas poussé le capitalisme à une haute concentration industrielle et où subsistaient, à côté d'un jeune capitalisme industriel sous la dépendance presque totale du capitalisme financier anglo-américain, une autarcie médiévale, subsistance dernière du féodalisme dans un pays immense en étendue et dont les richesses du sol et du sous-sol, encore inexploitées à cette époque, faisaient la convoitise de tous les grands impérialismes (anglo-américain, japonais, allemand).
En dehors de toutes considérations sur les bolcheviks, la Révolution russe a permis en fait à la Russie de devenir en moins de 20 ans un des plus puissants impérialismes, au point de devenir un rival sérieux aujourd'hui pour le bloc anglo-américain. Cette constatation de fait ne doit pas faire perdre de vue un seul instant qu'une transformation, comme celle que vient de subir la Russie en un temps relativement court, demande une telle accélération du processus historique que seule une classe révolutionnaire était capable de la mener à bien ; les autres classes de la société russe eussent été incapables de conserver à la Russie la grandeur qu'elle a gardé aujourd'hui dans le monde capitaliste.
Cela veut-il dire que les bolcheviks étaient des capitalistes d'État, le parti du capitalisme d'État ? Sûrement pas ! Même si cela facilite la discussion de l'affirmer, il ne s'agit pas pour nous, aussi bien d'ailleurs que pour la classe ouvrière, de se complaire aux simplifications qui n'expliquent rien.
Pour bien comprendre la période historique contemporaine, y compris la Révolution russe, il faut toujours partir du mouvement ouvrier en général.
La guerre de 1914-18 devait précipiter le processus de faillite de la social-démocratie et donner une impulsion à tous les courants de gauche issus d'elle. la préparation à cette guerre puis cette guerre elle-même voyaient naître, dans le prolétariat, d'abord un profond recul, une défaite en même temps que la trahison de la social-démocratie et la scission politique des courants de gauche. La rupture de la guerre correspondait au cours historique inverse, les courants de gauche prenant une forte influence dans la classe ouvrière et la classe ouvrière, dans le monde entier, prenant une volonté de combattre comme jamais encore le mouvement ouvrier n'en avait connu auparavant.
Ce fort courant révolutionnaire correspondait, d'après la thèse des socialistes telle Rosa Luxemburg, à l'ouverture de la crise permanente du capitalisme.
En réalité, quoiqu’en accord avec la théorie de Rosa Luxemburg, je veux ici, une fois de plus, m'élever contre ce schématisme qui veut appliquer une théorie économique ou historique à des dates fixes. Quand on veut appliquer la théorie de Rosa Luxemburg sur la décadence du capitalisme, on peut très bien dire que, dès avant la guerre de 1914-18 en effet, le capitalisme avait déjà de profondes caractéristiques de dégénérescence ; mais il est absolument impossible d'affirmer si effectivement la guerre de 1914-18 est la marque de cette dégénérescence ou si c'est cette guerre-ci qui est cette marque.
Il faut poser la question d'une manière différente et concevoir que la guerre de 1914 était un premier symptôme comme tant d'autres (par exemple le début de la bureaucratisation, de la haute concentration du capitalisme, le début du capitalisme d'État, du grand militarisme comme nous le connaissons aujourd'hui, etc.).
En réalité, dans la crise permanente du capitalisme, la guerre est aussi permanente. On peut parti d'avant 1914 pour ce qui est de la guerre permanente mais nous constaterons que c'est surtout notre époque qui correspond le plus avec cette caractéristique à l'état chronique dans notre société. Donc on peut très bien faire partir la crise permanente du capitalisme d'avant 1914, à la condition qu'on reconnaisse que c'est seulement après la Révolution russe que le capitalisme a envahi le monde entier et que le marché se trouve réellement obstrué.
La guerre de 1914 était un prélude ; le capitalisme sentait que prochainement le marché se trouverait obstrué et chaque grand impérialisme, se précipitant sur le marché pour sa conquête, en venait aux armes. Cependant, pendant les 21 ans qui se sont écoulés entre les deux guerres (celles de 14-18 et de 39-45), le capitalisme a pu d'abord vaincre et disperser le courant révolutionnaire issu de la 1ère guerre et donner l'apparence de résoudre sa crise. C'est seulement après 1929 puis dans cette guerre que la crise permanente est entrée dans sa phase décisive. Ici plus de stabilité, plus même d'apparence de stabilité, guerre permanente. Impossibilité pour le capitalisme de "reconstruire", de donner même l'illusion d'une résorption partielle de sa crise par l'abondance par exemple, etc.
Le mouvement international ouvrier, pour vaincre, doit être absolument indépendant de toute idéologie étrangère à sa classe quelle qu'elle soit. Il doit donner à chaque courant politique la facilité de s'exprimer et la création d'une Internationale sur le modèle de l'IC et de la 4ème trotskiste ne doit plus se faire. Le mouvement ouvrier n'a pas besoin de drapeau, ni de chefs, ni d'une Internationale à l'image de la 3ème ou de la soi-disant 4ème. Il doit tendre vers le but révolutionnaire en même que vers celui de la vraie démocratie ouvrière. La condition de la Révolution socialiste c'est d'abord la création d'un foyer permanent de discussion de plus en plus large et la volonté de lutte de la classe ouvrière pour soutenir ce foyer, le sien.
La 3ème Internationale a été une Internationale factice d'où on a voulu exclure toute une partie des courants de gauche du prolétariat, représentants effectifs de la partie la plus avancée du prolétariat. C'est là la condition première de la défaite de l'IC. L'IC a représenté incontestablement un moment dans la lutte révolutionnaire du prolétariat mais, coupée des éléments les plus avancés, elle devait s'appuyer sur des éléments de plus en plus retardataires et dégénérer rapidement. L'IC est opportuniste dès sa constitution mais on est obligé de la considérer comme faisant partie du mouvement ouvrier tant qu'elle lutte effectivement pour la prise du pouvoir révolutionnaire et tant qu'elle lie cette conception à celle d'une lutte internationale dans ce but. Quand l'IC dégénérescente cesse toute politique prolétarienne pour pratiquer une politique nettement bourgeoise menant à la participation à la guerre, on peut seulement dire qu'elle n'appartient plus au mouvement ouvrier. C'est le cas seulement dans sa prise de position sur la question de l'Antifascisme.
En Russie, la question se présente d'une manière toute différente.
Ce n'est pas parce qu'une équipe de révolutionnaires quelconque prend le pouvoir dans un secteur capitaliste donné (que cette équipe soit marxiste ou anarchiste) que ce secteur cesse d'avoir, du jour au lendemain, une fonction et des caractéristiques capitalistes.
Mais ceci, Lénine (le contre-révolutionnaire au couteau entre les dents), malgré toutes ses erreurs, son opportunisme et ses positions retardataires démocratiques bourgeoise, ne l'a jamais dit. Il a même affirmé le contraire jusqu'à sa mort. Lénine savait très bien que ce que l'équipe bolchévique faisait en Russie n'était rien d'autre que du capitalisme.
La condition de la défaite ou de la victoire de la Révolution russe comme victoire pour le mouvement ouvrier n'est pas placée sur le plan russe mais sur le plan du mouvement ouvrier international. La victoire du mouvement ouvrier international aurait seule permis de juger si l'équipe bolchévique était si profondément opportuniste et retardataire, en permettant aux ouvriers russes de se dégager de son emprise par la suite le cas échéant.
La défaite du mouvement ouvrier international non seulement devait consolider la position opportuniste de la 3ème Internationale et des bolcheviks à la tête de l'État russe mais devait conduire le Parti bolchevik et la 3ème Internationale là où ils sont allés.
Le rapport de Lénine à Staline n'est sûrement pas celui de l'être à la conscience. Chez Lénine lui-même individuellement, il y a toute une évolution. Le Lénine social-démocrate de gauche et le Lénine d'après la prise du pouvoir, d'après la révolution n'est pas le même. On ne peut juger des individus qu'en rapport avec leur époque historique. Or, il est incontestable que, dès qu'il devient un des administrateurs de l'État russe, Lénine subit la pression des conditions extérieures à sa propre volonté et qu'il doit sans cesse leur céder.
Il n'y avait pour les bolcheviks que trois solutions : vaincre avec le prolétariat ou succomber avec lui ; ils ont tenté une troisième solution qui a été l'administration malgré tout de l'État russe. Dans ces conditions, le parti en tant que tel a dû plier aux conditions du pouvoir, éliminer l'un après l'autre les éléments réellement révolutionnaires, soit individuellement soit organisationnellement, au fur et à mesure de la pression de ces conditions extérieures.
Le processus a été le même que dans toutes les révolutions bourgeoises mais, au lieu d'un changement successif d'équipes politiques, l'apparence a voulu que la même reste ; elle a en réalité successivement dû procéder à la même évolution. Les bolcheviks révolutionnaires prolétariens n'ont pas pu faire autre chose que ce que Cromwell et Robespierre avaient fait avant eux (en tenant compte de la différence des conjonctures historiques).
Il est très possible que Lénine, s'il avait vécu, s'il avait voulu rester au pouvoir en Russie aurait dû passer par où Staline est passé ; il est possible qu'il aurait été éliminé.
Là n'est pas l'important ; les individus ne comptent pas, ce sont leurs actes et leur politique qui compte.
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