Il existe deux conceptions sur la formation du Parti, deux conceptions qui se sont heurtées depuis l'apparition historique du prolétariat, c'est-à-dire non son existence en tant que catégorie économique mais dans sa tendance à se poser en tant que classe indépendante ayant une fonction et une mission propre à assumer dans l'histoire.
Ces deux conceptions peuvent être résumées brièvement de la manière suivante :
La première conception, essentiellement subjective et volontariste, se rattache d'une façon plus ou moins consciente à une conception idéaliste de l'histoire ; le Parti cesse d'être déterminé, il devient un phénomène indépendant, libre, se déterminant lui-même et, de ce fait, le moteur déterminant de la lutte de classe, de l'évolution de la lutte de classe.
Nous trouvons des défenseurs acharnés de cette conception dans le mouvement ouvrier depuis sa naissance, tout au long de son long développement jusqu'à nos jours. Weitling et Blanqui furent les figures les plus représentatives de cette tendance à l'aube du mouvement ouvrier. Quelle que puisse être la grandeur de leur erreur et la critique sévère et méritée qu'en fit Marx, nous devons les considérer, eux et leurs erreurs, comme des produits historiques ; ce qui ne nous empêche pas de reconnaître, comme le fit Marx lui-même, leur immense apport dans le mouvement par leur valeur révolutionnaire incontestable, leur dévouement à la cause de l'émancipation et leur mérite de pionniers, insufflant partout et toujours dans les masses l'ardente volonté de destruction de la société capitaliste.
Mais ce qui fut un défaut chez Weitling et chez Blanqui, leur méconnaissance des lois objectives du développement de la lutte de classes, devait devenir chez les continuateurs de cette conception la base de leur activité. Le volontarisme se transformait chez ces derniers en un aventurisme caractérisé. Les représentants typiques sont incontestablement aujourd'hui le trotskisme et tout ce qui s'y rattache. Leurs actions et agitations ne connaissent pas d'autres limites que celles de leurs imaginations et caprices. On construit et on dissout des "partis" et des "internationales" à volonté ; on lance des mots d'ordre, on agite et on s'agite tout comme un malade pris de convulsions. Plus près de nous, nous trouvons les RKD et les CR qui, ayant séjourné trop longtemps dans le trotskisme d'où ils ne se sont dégagés que trop tard, reproduisent encore cette agitation pour l'agitation, c'est-à-dire l'agitation dans le vide, faisant en cela le fondement de leur existence en tant que groupe.
La deuxième conception peut être définie comme objectiviste et déterministe. Non seulement elle considère le Parti déterminé historiquement mais encore elle considère son existence et sa constitution déterminées aussi immédiatement, contingentement, présentement. Pour que le Parti puisse exister effectivement, il ne suffit pas de démontrer sa nécessité en général mais il faut qu'il repose sur des conditions présentes, immédiates telles qui rendent son existence possible et nécessaire.
Le Parti, c'est l'organisme politique que se donne le prolétariat, au travers de l'activité duquel le prolétariat unifie ses luttes et les oriente vers une lutte frontale en vue de la destruction de l'État et de la société capitaliste et en vue de l'édification de la société communiste.
En l'absence d'un cours de développement réel de la lutte de classe – qui a ses racines non dans la volonté des militants révolutionnaires mais dans la situation objective -, en l'absence des luttes de classe ayant atteint un degré avancé de crise sociale, le Parti ne peut exister, son existence est inconcevable[1].
Le parti ne peut se construire dans une période de stagnation de la lutte de classe. Il n'existe aucun exemple de constitution de parti révolutionnaire dans ces conditions dans toute l'histoire du mouvement ouvrier. Par contre l'histoire nous apporte une série d'exemples où les partis construits dans des périodes de stagnation ne parviennent jamais à influencer et à diriger effectivement les mouvements de masse de la classe. Restent des formations qui n'ont de parti que le nom et leur nature artificielle fait qu'au lieu d'être un élément du futur parti ils deviennent un handicap à sa construction. De telles formations sont condamnées à n'être que des petites sectes dans tout le sens du terme et qui ne sortent de leur état de secte que pour tomber ou dans l'aventurisme et le donquichottisme ou à évoluer dans le plus crasseux opportunisme. La plupart du temps, elles tombent dans les deux à la fois (voir le trotskisme).
II- La possibilité du maintien du Parti dans une période de reflux
Ce que nous venons de dire plus haut pour la constitution du Parti est également vrai pour le maintien d'un parti après des défaites décisives, dans une période de reflux révolutionnaires prolongée. C'est à tort qu'on citerait l'exemple du Parti bolchevik comme un démenti à notre affirmation, c'est là une vue formelle. Le Parti bolchevik qui se maintient après 1905 ne peut être considéré comme un PARTI mais comme une FRACTION du PARTI social-démocrate russe, lui-même disloqué en plusieurs fractions et tendances. C'est à cette condition que la fraction bolchevik pouvait subsister et servir de noyau central à la constitution du Parti communiste en 1917. Tel est le sens réel de l'histoire du Parti bolchevik.
La dissolution de la première Internationale nous montre que Marx et Engels ont eu une conscience aiguë de l'impossibilité du maintien de l'organisation internationale révolutionnaire de la classe dans une période prolongée de reflux. Il est vrai que les esprits bornés et formalistes voient dans la dissolution de la première Internationale l'effet d'une manœuvre de Marx contre Bakounine. Nous n'entendons pas entrer ici dans la question de procédure ni de justifier en tous points la manière dont Marx s'y est pris. Que Marx ait vu dans les bakouninistes un danger menaçant l'Internationale et avait entrepris une lutte pour l'écarter est absolument exact (et nous sommes de ceux qui estimons que Marx avait absolument raison sur le fond ; l'anarchisme a depuis eu l'occasion de révéler plus d'une fois sa nature idéologique foncièrement petite-bourgeoise). Mais ce ne fut pas ce danger qui le convainquit de la nécessité de la dissolution de l'organisation. A maintes reprises, au moment de la dissolution et par la suite, Marx s'est expliqué à ce sujet. C'est à la fois lui faire injure gratuite et lui attribuer une force démoniaque que de voir dans la dissolution de la première Internationale le simple effet d'une manoeuvre, d'une intrigue personnelle. Il faut vraiment être aussi borné qu'un James Guillaume pour voir dans les événements d'une importance historique le simple produit de la volonté des individus. Au delà de la légende anarchiste, il faut voir et saisir la signification de la dissolution de la première Internationale.
Et on saisit cette signification en rapprochant ce fait à d'autres, de disparition et dissolution des organisations politiques dans l'histoire du mouvement ouvrier. Ainsi, le profond changement de la situation sociale et politique survenu, qui se produit en Angleterre au milieu du 19ème siècle, entraîne la dislocation et la disparition du mouvement chartiste.
Un autre exemple est celui de la dissolution de la Ligue Communiste après les années orageuses de la Révolution de 1848-50. Tant que Marx croit que la période révolutionnaire n'est pas encore passée, en dépit des lourdes défaites et des échecs subits, il tend à maintenir la Ligue, à regrouper les cadres dispersés, à renforcer l'organisation. Mais dès qu'il s'est convaincu de la fin de la période révolutionnaire, de l'ouverture d'un long cours historique réactionnaire, il proclame l'impossibilité du maintien du Parti, il se prononce pour un repli de l'organisation vers des tâches plus modestes, moins spectaculaires et plus réellement fécondes : l'élaboration théorique et la formation des cadres. Il n'y a vraiment pas eu nécessité de l'existence de Bakounine ni besoin de "manœuvres urgentes" pour que Marx, 20 ans avant, comprenne l'impossibilité de l'existence d'un parti et d'une internationale dans une période réactionnaire.
25 ans après, Marx, rappelant la situation de 1850-51 et les luttes de tendances qui se produisirent au sein de la Ligue Communiste, écrit : "Le répression violente d'une révolution laisse dans les esprits des acteurs de cette révolution, de ceux en particulier qui ont été chassés de leur patrie et jetés dans l'exil, une commotion telle que même les personnalités de valeur deviennent, pour un temps plus ou moins long, en quelque sorte irresponsables. Ils ne peuvent s'accommoder de la marche qu'a prise l'histoire et ils ne veulent pas comprendre que la forme du mouvement s'est modifié…" (Epilogue aux révélations sur le Procès des Communistes de Cologne – 8 janvier 1875)
Dans ce passage nous trouvons la pensée fondamentale de Marx s'élevant contre ceux qui ne veulent comprendre que la forme du mouvement, de l'organisation politique de la classe, les tâches de l'organisation ne restent pas toujours identiques ; elles suivent la situation et se transforment, se modifient avec les changements survenus dans la situation objective. Pour réfuter ceux qui voudraient voir dans ces lignes une justification à posteriori, il serait non sans intérêt de citer les arguments de Marx tels qu'il les a formulés au moment même de la lutte contre la Fraction Willich-Shapper. Dans l'exposé des motifs de sa proposition de scission, qu'il a présenté au Conseil Central de la Ligue le 15 septembre 1830, Marx disait entre autre : "A la place de la conception critique, la minorité met une conception dogmatique et, à la place de la conception matérialiste, une conception idéaliste. Au lieu de la situation réelle, c'est la simple volonté qui devient la force motrice de la révolution…(…) Vous leur dites (aux ouvriers) «il nous faut immédiatement arriver au pouvoir» ou bien nous n'avons qu'à dormir sur nos deux oreilles. (…) De même que les démocrates ont fait du mot peuple une entité sacrée, vous faites, vous, une entité sacrée du mot prolétariat. Tout comme les démocrates, vous substituez à l'évolution révolutionnaire la phraséologie révolutionnaire."
Nous dédions ces lignes tout particulièrement aux camarades tels que RKD et CR qui longtemps nous reprochaient de ne pas vouloir "construire" le parti nouveau.
Dans la lutte contre l'aventurisme du Trotskisme que nous avons soutenu depuis 1938, dans la question de formation du nouveau parti et de la IV° Internationale, le RKD voyait surtout on ne sait quelle "hésitation" subjective. Le RKD n'a jamais compris la notion de "Fraction", c'est-à-dire une organisation particulière avec des tâches particulières correspondant à une situation particulière dans laquelle ne peut exister ni être constitué la parti. Cette notion de "Fraction", le RKD n'a jamais fait d'effort pour la comprendre ; il préférait se livrer à la traduction simpliste étymologique du mot "fraction" pour voir dans le "bordiguisme" des 'redresseurs " de l'ancien parti. Ils appliquaient à la Gauche Communiste la mesure de leur nature propre, la mesure trotskiste par excellence : "On est pour le redressement de l'ancien parti ou on est pour la proclamation du nouveau parti."
La situation objective et les tâches des révolutionnaires, en correspondance avec la situation, cela est bien trop prosaïque et trop compliqué pour ceux qui se plaisent dans la facilité de la phraséologie révolutionnaire. La lamentable expérience de l'organisation CR ne semble guère avoir profité à ces camarades. Dans l'échec de l'OCR, ils ne voient pas la rançon de la formation précipitée d'une organisation qu'ils voulaient achevée et qui fut en réalité artificielle, hétérogène, groupant des militants sur un vague programme d'action, imprécis et inconsistant. Ils attribuent leur échec à une mauvaise qualité de l'élément humain, ne voyant surtout pas l'échec en corrélation avec l'évolution de la situation objective.
Il peut paraître étrange à première vue que des groupes se réclamant de la Gauche Communiste Internationale et qui, pendant des années, ont combattu avec nous l'aventurisme trotskiste de la création artificielle de nouveaux partis, aient enfourché aujourd'hui ces mêmes dadas et soient devenus les champions de cette construction à un rythme accéléré.
On sait qu'en Italie existe déjà le Parti Communiste Internationaliste qui, quoique très faible numériquement, tend néanmoins à jouer le rôle de parti. Les récentes élections à la Constituante auxquelles participait le PCI d'Italie ont révélé l'extrême faiblesse de son influence réelle sur les masses, ce qui nous montre que ce parti n'a guère dépassé les cadres restreints d'une fraction. La Fraction belge, de son côté, lance des appels pour la construction du nouveau parti. La FFGC, récente formation sans base de principe bien définie, emboîte le pas et se donne pour tâche pratique la construction du nouveau parti en France.
Comment expliquer ce fait, cette nouvelle orientation ? Qu'un certain nombre d'individualités qui ont rejoint ce groupe récemment ne font qu'exprimer leur incompréhension, leur non-assimilation de la notion de "fraction" qu'ils continuent à exprimer dans les divers groupes de la GCI, les conceptions trotskistes qu'ils ont eu hier et qu'ils continuent à professer sur le Parti, aucun doute à cela.
D'autre part, il est également exact de voir dans la contradiction existante entre l'énonciation théorique abstraite et la politique pratique, concrète dans la question de la construction du Parti, une contradiction supplémentaire dans le lot des contradictions dont se sont rendus coutumiers ces groupes. Cependant tout cela n'explique pas encore la conversion de l'ensemble de ces groupes. Cette explication doit être recherchée dans l'analyse qu'ils font de la situation présente et les perspectives qu'ils entrevoient.
On connaît la théorie sur "l'économie de guerre" professée avant et pendant la guerre par la tendance Vercesi dans la GCI. D'après cette théorie l'économie de guerre et la guerre sont des périodes de "plus grand développement de la production", de l'essor économique. Il en résultait qu'aucune crise sociale ne peut surgir pendant cette période de "prospérité". Il fallait attendre "la crise économique de l'économie de guerre", c'est-à-dire le moment où la production de guerre ne parviendrait plus à répondre au besoin de la consommation de la guerre, la pénurie des moyens matériels à la poursuite de la guerre pour que cette crise nouvelle manière ouvre la crise sociale et la perspective révolutionnaire.
Il était logique d'après cette théorie de nier toute possibilité d'éclosion de convulsions sociales pendant la guerre. De là aussi la négation absolue et obstinée de toute signification sociale dans les événements de juillet 1943 en Italie. De là également l'incompréhension totale de la signification de l'occupation de l'Europe par les forces armées des Alliés et Russes, et plus particulièrement l'importance qu'acquérait la destruction systématique de l'Allemagne, la disparition du prolétariat allemand transformé en prisonnier de guerre, exilé, disloqué, rendu momentanément inoffensif et incapable de tout mouvement indépendant.
Pour ces camarades, la reprise de la lutte de classe - et encore plus précisément l'ouverture d'un cours ascendant de la révolution - ne pouvait se faire qu'après la fin de la guerre, non pas parce que le prolétariat était imprégné d'une idéologie nationaliste, patriotique mais parce que les conditions objectives d'une telle lutte ne pouvaient exister dans la période guerre. Cette erreur démentie par l'histoire (la Commune de Paris et la Révolution d'Octobre) et partiellement dans cette guerre-ci (se rappeler les convulsions sociales des événements de 1943 en Italie et certaines manifestations de l'esprit défaitiste dans l'armée allemande au début de 1945) devaient être fatalement doublée par une erreur non moins grande que la période de l'après-guerre ouvre automatiquement un cours de reprise de luttes de classe et de convulsions sociales.
La formulation théorique la plus achevée de cette erreur a été donnée par la Fraction belge dans l'article de Lucain publié dans L'Internationaliste. D'après son schéma, dont il veut de force faire endosser à Lénine la paternité, la transformation de la guerre impérialiste en guerre civile reste vraie à condition que l'on élargisse cette position à la période de l'après-guerre. En d'autres termes, c'est dans la période d'après-guerre que se réalise la transformation en guerre civile.
Un fois cette théorie systématisée et postulée, tout deviendra simple et il ne restera plus qu'à examiner l'évolution de la situation et des événements au travers d'elle et partant d'elle. Ainsi l'analyse de la situation présente serait celle d'une transformation en guerre civile. Partant de cette analyse centrale, on proclamera la situation en Italie particulièrement avancée justifiant la constitution immédiate du Parti ; on verra dans les troubles aux Indes et en Indonésie ou dans d'autres colonies, dont les ficelles sont étroitement tenues par les divers impérialismes en compétition et par la bourgeoisie indigène, la manifestation du commencement de la guerre civile anti-capitaliste. Le massacre impérialiste en Grèce fera aussi partie de la révolution en marche. Inutile de dire que l'idée ne leur viendra pas de mettre un seul instant en doute le caractère "révolutionnaire" des grèves en Amérique et en Angleterre, et même celle de France. Récemment L'Internationaliste a salué la formation de cette petite chapelle qu'est la CNT en France comme un indice "entre autres" de l'évolution révolutionnaire de la situation en France. La FFGC ira jusqu'à prétendre que la reconduction du tripartisme gouvernemental s'est fait en fonction de la menace de classe du prolétariat et insistera sur la haute signification objective qu'acquiert l'adhésion de quelque cinq camarades du groupe Contre le Courant à leur groupe.
Une telle analyse de la situation avec la perspective de décisives batailles de classe dans le proche avenir conduit tout naturellement ces groupes à l'idée de la nécessité urgente de construire le plus rapidement possible le Parti. Cela devient la tâche présente, la tâche du jour sinon de l'heure.
Le fait que le capitalisme international ne semble nullement inquiet de cette menace de lutte du prolétariat qui pèserait sur lui et se livre tranquillement à ses affaires, à ses intrigues diplomatiques, à ses rivalités internes, à ses conférences de paix dans lesquelles il étale publiquement ses préparatifs de guerre prochaine, tout cela ne pèse pas lourd dans l'analyse de ces groupes.
On n'exclut pas complètement l'éventualité d'une nouvelle guerre d'abord parce que cela peut servir de thème de propagande et ensuite, parce que se souvenant de l'aventure de 1937-39 où également on niait la perspective de la guerre mondiale, on préfère être plus prudent cette fois-ci et se laisser une porte de sortie pour le cas échéant. De temps à autre on dira, à la suite du PCI d'Italie, que la situation en Italie est réactionnaire mais cela ne portera pas à conséquence et restera une phrase épisodique sans rapport avec l'analyse fondamentale de la situation qui mûrit "lentement mais sûrement" vers des explosions révolutionnaires décisives.
Cette analyse est également partagée par d'autre groupe comme CR qui oppose à la perspective objective de la troisième guerre impérialiste celle de la révolution inévitable, ou encore du RKD qui, plus prudent, se réfugie dans la théorie du double cours, de la croissance parallèle et simultanée du cours de la révolution et du cours de la guerre. Le RKD n'a évidemment pas encore compris que la croissance du cours vers la guerre est en premier lieu conditionnée par l'affaiblissement du prolétariat et l'éloignement de la menace de la révolution, à moins d'épouser la théorie de la tendance Vercesi avant 1939 pour qui la guerre impérialiste n'est pas une lutte d'intérêt entre les divers impérialistes mais un acte de plus haute solidarité impérialiste en vue du massacre du prolétariat, une guerre de classe directe du capitalisme contre la menace révolutionnaire du prolétariat. Les trotskistes qui donnent également la même analyse paraissent infiniment plus logique avec eux-mêmes car, pour eux, il n'y a pas nécessité de nier les tendances vers la 3ème guerre, la prochaine guerre n'étant pour eux que la lutte armée généralisée entre le capitalisme d'une part et le prolétariat groupé autour de "l'Etat ouvrier" russe de l'autre.
En fin de compte, ou on confond, d'une façon ou d'une autre, la prochaine guerre impérialiste avec la guerre de classe ou on minimise la menace de la guerre en la faisant précéder d'une indispensable période de grandes luttes sociales et révolutionnaires. Dans le deuxième cas l'aggravation des antagonismes inter-impérialistes, l'accélération des préparatifs de guerre auxquels nous assistons, est expliquée par une myopie, une inconscience dans laquelle se trouve le capitalisme mondial et ses chefs d'Etat.
On peut rester bien sceptique sur une analyse basée sur nulle autre démonstration que son propre désir, s'accordant le bénéfice d'une clairvoyance tandis qu'on attribue généreusement à l'ennemi de classe un aveuglement total. Le capitalisme mondial a plutôt donné des preuves d'une conscience autrement plus aiguë des réalités que le prolétariat. Sa conduite en 1943 en Italie et en 1945 en Allemagne prouve qu'il diablement bien assimilé les enseignements de la période révolutionnaire de 1917, bien mieux que ne le fit le prolétariat et son avant-garde. Le capitalisme a appris non seulement à mater le prolétariat par la force mais à écarter le danger, en utilisant le mécontentement même des ouvriers et en dirigeant ce mécontentement vers un sens capitaliste. Il a su faire avec les armes d'hier du prolétariat des chaînes contre lui. Il suffit de constater que le capitalisme se sert volontiers aujourd'hui des syndicats, marxisme, de la Révolution d'Octobre, du socialisme, communisme, anarchisme, du drapeau rouge, du premier mai comme moyens les plus efficaces pour duper le prolétariat. La guerre de 1939-45 fut menée au nom de "l'antifascisme" qui a déjà été expérimenté dans la guerre espagnole. Demain, c'est sous le drapeau de la lutte contre le fascisme russe ou au nom de la défense de la Révolution d'Octobre que les ouvriers seront une fois de plus jetés sur le champ de bataille.
Le droit des peuples à disposer d'eux-mêmes, libération nationale, reconstruction, revendications "économiques", participation ouvrière à la gestion, contrôle ouvrier et autres slogans de même acabit sont devenus les moyens les plus efficaces du capitalisme pour la destruction de la conscience de classe du prolétariat. C'est avec ces slogans qu'on mobilise les ouvriers dans tous les pays. Les troubles qui éclatent ici et là et les grèves restent dans ce cadre et ont pour résultat un plus grand enchaînement des ouvriers à l'Etat capitaliste.
Dans les colonies, les masses se font massacrer dans une lutte, non pour la destruction de l'Etat mais pour sa consolidation, son indépendance à l'égard de la domination d'un impérialisme au bénéfice d'un autre impérialisme. Aucun doute possible sur la signification du massacre en Grèce quand nous voyons l'attitude protectrice que prend la Russie, quand nous voyons Jouhaux devenir l'avocat de la CGT grecque en conflit avec le gouvernement. En Italie les ouvriers "luttent" contre la monarchie au nom de la république ou se font massacrer mutuellement pour la question de Trieste. En France les ouvriers donnent le spectacle écoeurant de défiler en bleu de travail, au pas cadencé, dans le défilé militaire du 14 juillet. Telle est la réalité prosaïque de la situation présente.
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Il n'est pas vrai que les conditions pour la reprise de la lutte de classe se présentent dans l'après-guerre. QUAND LE CAPITALISME A "TERMINÉ" UNE GUERRE UNE GUERRE IMPÉRIALISTE MONDIALE QUI A DURÉ SIX ANS SANS VOIR L'EMBRASEMENT DE LA RÉVOLUTION, CELA SIGNIFIE LA DÉFAITE DU PROLÉTARIAT. NOUS NE SOMMES PAS À LA VEILLE DE GRANDES LUTTES RÉVOLUTIONNAIRES MAIS AU LENDEMAIN D'UNE DÉFAITE. Cette défaite a eu lieu en 1945 dans la destruction physique du centre de la révolution que représentait le prolétariat allemand et elle fut d'autant plus décisive que le prolétariat mondial n'avait même pas pris conscience de la défaite qu'il venait de subir.
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Le cours vers la 3ème guerre impérialiste mondiale est ouvert. Il faut cesser de jouer à l'autruche et chercher à se consoler en ne voulant pas voir la gravité de ce danger. Dans les conditions présentes nous ne voyons pas la force susceptible d'arrêter ou de modifier ce cours. Le pire que peuvent faire les faibles forces des groupes révolutionnaires, c'est de lever le pieds dans un cours de marche descendant. Fatalement ils aboutiront à se briser le cou.
La Fraction belge croit être quitte en disant que, si la guerre éclate, cela prouverait que la formation du Parti aurait été prématurée. Quelle naïveté ! Cela ne se fera pas impunément, il faudra payer cher l'erreur.
En se jetant dans l'aventurisme de la construction prématurée et artificielle de partis, on commet non seulement une erreur d'analyse de la situation mais on tourne le dos à la tâche présente des révolutionnaires, on néglige l'élaboration critique du programme de la Révolution, on abandonne l'oeuvre positive de formation des cadres.
Mais il y a encore pire et les premières expériences du Parti en Italie sont là pour nous le confirmer. Voulant à tout prix jouer au parti dans une période réactionnaire, voulant à tout prix faire du travail de masse, on descend au niveau de la masse, on lui emboîte le pas, on participe au travail syndical, on participe aux élections parlementaires, on fait de l'opportunisme. A l'heure présente, l'orientation de l'activité vers la construction du Parti ne peut être qu'une orientation opportuniste.
Que l’on ne vienne pas nous reprocher d'abandonner la lutte quotidienne des ouvriers, de nous extraire de la classe. On ne reste pas avec la classe parce qu'on s'y trouve physiquement et encore moins en voulant garder à tout prix la liaison avec les masses, liaison qui en période réactionnaire ne peut être maintenue qu'au prix d'une politique opportuniste. Que l'on ne vienne pas nous reprocher de vouloir nous isoler dans notre tour d'ivoire, nous accuser de tendre vers des sectes de doctrinaires qui renoncent à toute activité, après nous avoir accusé d'activisme dans les années 1943-45.
Le sectarisme n'est pas l'intransigeance de principes, ni la volonté d'études critiques, ni même le renoncement momentané à un large travail extérieur. Le vrai caractère du sectarisme est sa transformation du programme vivant en un système mort, les principes guidant l'action en dogmes, que cela soit braillé ou chuchoté.
Ce que nous proclamons nécessaire dans la période réactionnaire présente, c'est le besoin de faire des études objectives, de comprendre la marche des événements, leurs causes et oeuvrer pour les faire comprendre à un cercle d'ouvriers, forcément restreint dans une période de réaction.
La prise de contact entre les groupes révolutionnaires de divers pays, la confrontation de leurs idées, la discussion internationale organisée en vue de la recherche d'une réponse aux problèmes brûlants soulevés par l'évolution, un tel travail est autrement plus fécond et se rattache autrement à la classe que la vaine agitation creuse dans le vide. La tâche de l'heure des groupes révolutionnaires est la formation des cadres, tâche moins tapageuse, moins portée à des succès faciles, immédiats et éphémères, et infiniment plus sérieuse car la formation des cadres aujourd'hui est la condition et la garantie du FUTUR PARTI DE LA RÉVOLUTION.
Marco
[1] Il faut absolument se garder contre une erreur couramment commise qui consiste à identifier le Parti avec l'activité toujours possible et nécessaire des groupes révolutionnaires et le déterminisme avec un fatalisme impuissant et désespéré. La tendance Vercesi de la GCI est tombée dans cette erreur pendant la guerre. Considérant que les conditions du moment ne permettaient ni l'existence d'un Parti ni l'entreprise d'une large agitation dans les masses, elle a conclu à la condamnation de tout travail révolutionnaire et a nié la possibilité de l'existence même des groupes révolutionnaires. Elle a oublié que les hommes ne sont pas simplement des produits de l'histoire mais que "les hommes font leur propre histoire…" (Marx) L'action des révolutionnaires est forcément limitée par les conditions objectives. Mais cela n'a rien à voir avec les cris désespérés du fatalisme : quoi que tu fasses, tu n'arriveras à rien. [voir suite de cette note à la page suivante]
Après s'être violemment opposée pendant un an à toute lutte revendicative, à toute demande de réajustement des salaires, la CGT brusquement a lancé la campagne pour les 25%. Cela s'est fait en pleine période électorale.
On se rappellera qu'au Comité National de la CGT qui s'est réuni avant les élections et le Référendum, la majorité de la direction syndicale, servilement soumise aux directives du Parti Communiste Français, a énergiquement combattu les timides interventions des anciens chefs réformistes en faveur d'une augmentation des salaires.
"Dans les conditions présentes de l'économie nationale ruinée", disaient les chefs staliniens, l'amélioration des conditions de vie des ouvriers ne peut se faire qu'à travers l'augmentation de la production. Il faut d'abord restaurer l'économie nationale, reconstruire le potentiel industriel du pays, amener la production à un niveau supérieur et pour cela il faut que les ouvriers travaillent toujours plus, augmentent leur rendement horaire et journalier ; il faut qu'ils consentent des sacrifices.
Les revendications ouvrières ne pouvant que troubler la production, il fallait les empêcher de s'exprimer. Ils expliquaient en long et en large que l'augmentation des salaires aurait des répercussions graves sur les prix de revient et que cela pousserait finalement à l'inflation.
C'est la belle époque où Croizat, à la fois Secrétaire de la Fédération des Métaux et Ministre du Travail, se fait l'insulteur des ouvriers du Livre et brise leur grève. Cette politique est d'ailleurs partagée par toute la bourgeoisie et plus précisément par le Parti Socialiste qui, par la bouche de Gouin, chef du gouvernement, et Philip, Ministre des Finances, préconise une politique sévère de compression, de déflation qui comporte "malheureusement" des sacrifices pour les ouvriers et les fonctionnaires.
Mais voilà qu'au Référendum les Partis "ouvriers" subissent un échec, eux qui croyaient s'installer à la direction du gouvernement pour de longues années. Il devient clair que la future Chambre sera encore une Chambre provisoire. Le MRP s'annonce être le grand parti vainqueur. Les staliniens se décident alors, sans que cela puisse présenter aucun danger pour la bourgeoisie, de jouer un peu à l'opposition, d'une part pour se faire une nouvelle virginité, d'autre part pour créer des difficultés au MRP et finalement pour préparer leur future campagne électorale.
Ainsi, après avoir dénoncé comme "provocateur", comme "hitléro-trotskiste", comme "agent des trusts" quiconque osait réclamer le relèvement des conditions de vie des ouvriers, après avoir dénoncé la grève comme moyen de provocation du patronat intéressé à saboter le redressement économique de la France, la CGT et sa clique dirigeante stalinienne découvrent subitement, entre le Référendum et les élections à la Constituante, la baisse du pouvoir d'achat des salaires et l'augmentation du coût de la vie. Manœuvres électorale évidente et moyen de chantage pour la répartition des portefeuilles ministériels, le PCF faisant de la revendication des 25% de la CGT la condition de leur participation ministérielle.
Tout l'appareil stalinien, si merveilleusement huilé, est mis en branle. Meetings, manifestations, parades se multiplient. Un langage de combat, que nous avons de puis longtemps perdu l'habitude d'entendre de la part des staliniens, est à nouveau repris par eux. Henaff, Secrétaire de l'Union des Syndicats de la Région Parisienne, jette la consternation en prononçant un discours virulent, menaçant le Gouvernement et le Patronat de l'action directe des masses et de grèves de luttes de classe.
Mais le ton baisse rapidement après l'arrangement survenu entre Bidault et le PCF, ce dernier acceptant la proposition de Bidault de limiter l'augmentation des salaires de base à 15%. La CGT, il est vrai, continue à maintenir sa revendication de 25% mais estime qu'un grand pas vers une entente avec le gouvernement était fait. Les staliniens ont eu "leur" victoire et peuvent se poser en défenseurs de la classe ouvrière.
L'année 1945 fut l'année de dévaluations successives. Cela se soldait par une augmentation en flèche des prix et la baisse du pouvoir d'achat des ouvriers.
L'année 1946 fut inaugurée sous le signe de la politique de stabilisation. Gouin-Philip criaient à la catastrophe imminente qui menaçait l'économie française. Il fallait pratiquer les plus sévères compressions dans les dépenses. Ce fut la politique de déflation. Il va de soi que ce programme fut exécuté à 100% en ce qui concerne la compression du ventre de l'ouvrier : blocage complet des salaires, restriction des rations alimentaires, débauchage massif des fonctionnaires et des employés des services publics. Quant aux autres mesures, comme la réduction des dépenses militaires, elles ne restent que des battages démagogiques et les prix des marchandises continuaient à grimper.
Bidault-Schuman abandonnent aujourd'hui la politique brutale de déflation pour celle plus commode de l'inflation. A quelques mois des nouvelles élections qu'ils espéraient législatives, c'est-à-dire pour plusieurs (…???), aucun parti ne veut prendre sur lui la responsabilité des mesures impopulaires. Les socialistes ont payé cher aux dernières élections leur témérité. Ils ont si bien compris la leçon qu'à aucun prix ils n'ont voulu reprendre le portefeuille des finances qui leur a été offert. D'autre part le patronat n'y perd rien, une augmentation partielle et limitée des salaires devant servir de justification à une hausse massive des prix. On gagne ainsi à chaque coup.
Les mesures terribles contre le marché noir annoncées par le jacobin fanfaron Farge, Ministre du Ravitaillement, n'ont rien donné d'autre que la législation du marché noir. Le consommateur bourgeois n'aura plus le souci de se procurer son ravitaillement en douce ; il l'aura désormais à la portée de la main. La vente de certains articles devient libre mais au prix du marché noir.
Il faut constater que la revendication du réajustement des salaires de la CGT a rencontré un accueil plutôt favorable dans toute la presse capitaliste. Pendant qu'on tergiversait sur le pourcentage d'augmentation des salaires à accorder, pendant qu'on se réunissait dans des conférences économiques, des représentants qualifiés "ouvriers" du patronat et du gouvernement, se déchaînait une course générale à la hausse des prix des marchandises.
Le gouvernement est enfin tombé d'accord avec la CGT sur une augmentation moyenne de 17% des salaires de base et du relèvement de l'abattement de base pour l'impôt passant de 40 à 60.000. Cette double augmentation pouvait d'autant plus être accordée d'avance qu'elle se trouvait annulée par la hausse des prix, qui dépasse largement ce misérable pourcentage.
Toute la campagne des 25% menée par la CGT s'avère finalement une vaste fumisterie destinée à duper les ouvriers. L'augmentation des salaires n'est que nominale et reste fictive mais elle a permis de créer un climat politique favorable pour la prochaine campagne électorale.
La condition des fonctionnaires et des travailleurs des services publics est sans conteste bien inférieure à celle des travailleurs dans l'industrie privée. Sous divers prétextes, de classement et de calcul de retraite, d'indemnité, d'équilibre du budget etc., l'État exerce sur ses employés une pression et un contrôle bien plus lourds qui paralysent leur moyen de défense. Si les ouvriers de l'industrie privée parviennent partiellement et individuellement à contourner les rigueurs d'une politique de déflation et de blocage des salaires, les travailleurs de la fonction publique les subissent intégralement car, face à ces travailleurs, l'État patron possède toujours de redoutables moyens d'intimidation.
Le gouvernement Gouin-Philip a maintenu la tradition. Des salaires de 3800 Frs étaient chose courante pour les petits fonctionnaires. Les plus défavorisés parmi les fonctionnaires étaient les travailleurs des PTT qui n'avaient même pas la parité d'indemnité avec les travailleurs des autres administrations. Il était naturel que la politique de compression de Philip ait été la plus impopulaire parmi les fonctionnaires qui, à maintes occasions, manifestèrent leur impatience.
Une telle situation ne pouvait que favoriser les manœuvres des partis en vue de la préparation des prochaines élections. Schuman, Ministre des Finances MRP, présente un projet de loi pour la "revalorisation" des traitements des fonctionnaires ; Thorez, vice-Président du Conseil, présente un contre-projet. La discussion s'engage. Le "fond" du débat, la "revalorisation" des traitements des fonctionnaires, des gros ou des petits, les 40% qui ne sont que 25% ou les 25% qui font plus de 40%, tout cela n'a évidemment aucune importance ; les deux projets reviennent pratiquement au même. Mais le PCF essaie au moyen d'une demi-crise du Tripartisme et de beaucoup de considérations arithmétiques compliquées de se poser en seul défenseur des petits fonctionnaires. Pour soutenir cette manœuvres la Fédération des PTT (adhérente à la CGT), à direction stalinienne, décide pour le mercredi 31 juillet une "grève d'avertissement" d'une demi-journée.
C'est ici que l'affaire se corse par l'intervention, semble-t-il, d'un troisième larron. Lequel ? C'est ce que nous verrons plus loin. Commençons par rappeler les faits. La demi-journée "d'avertissement" passée, on apprend que dans divers endroits la grève continue. Le mouvement part, semble-t-il, de Lille, s'étend immédiatement à Clermont-Ferrand, Bordeaux, Marseille…, puis a différents bureaux de poste de Paris. La revendication essentielle que les grévistes mettent en avant n'est plus maintenant la revalorisation générale des traitements des fonctionnaires ; il s'agit du "reclassement" de la profession, c'est-à-dire d'obtenir pour les postiers les mêmes conditions de rémunération que pour les autres travailleurs de la fonction publique.
A partir de ce moment-là les événements se précipitent sous les yeux des staliniens éberlués. Le soir même du mercredi, un "Comité de grève National" est formé qui lance un appel à la grève générale des PTT et annonce son intention de poursuivre la grève jusqu'à l'obtention des revendications. Schuman se met en relation direct avec le Comité de grève, semblant ignorer l'existence de la Fédération des PTT.
Samedi, à la Constituante, la député socialiste Dagain soutient les revendications des postiers et défend le Comité de grève ("nouveaux chefs du mouvement syndical"… "C'est dans l'action que se montrent véritablement les chefs…") ; cela sous les applaudissements des socialistes et les interruptions des staliniens.
Le PCF tente de briser la grève, dénonce les "manœuvres politiques", Monmousseau, dans L'Humanité, parle de "hitlero-trotskistes" et de "collaborateurs" mais finalement le PCF est obligé de se rallier, avec toute la Constituante, à la motion Dagain "invitant le Gouvernement à rétablir la parité d'indemnités…"
Le Gouvernement n'avait encore fait que des promesses. Cependant le Comité de grève décide de cesser la grève tout en recommandant aux postiers "la vigilance". L'ordre de reprise du travail est suivi à 100%.
La comédie est finie. Mais ses conséquences continuent à se développer. La presse bourgeoise anti-stalinienne parle, non sans quelque sympathie, d'une lutte entre la "base" et le "sommet" au sein de la CGT, d'une "renaissance du syndicalisme", "tendant à se dégager des tutelles politiques". Léon Blum, dans le "Populaire", parle dans le même sens, allant même jusqu'à mettre directement en garde ses camarades du PS contre la tentation de vouloir imposer au syndicalisme une tutelle socialiste.
Pendant ce temps les comités de grève locaux s'emparent des directions syndicales ; le Comité de grève National convoque un congrès de la Fédération des PTT avec l'espoir justifié de s'installer à la place de la direction stalinienne discréditée. Notons que, dès le premier jour, le Comité de grève avait déclaré ne vouloir en aucun cas sortir du cadre syndical…
Quant aux staliniens, battus et pas contents, il ne leur reste qu'à essayer, sans grand espoir d'y parvenir, de s'attribuer le "succès" de la grève qu'ils ont combattue, en attendant l'occasion de prendre leur revanche.
Nous avons parlé plus haut d'un "troisième larron". Mais quel est-il ? Nous savons que beaucoup de camarades appartenant à la gauche du mouvement ouvrier répondront : le prolétariat ! les uns salueront la vérification de leur conception syndicale "orthodoxe" et inviteront, plus que jamais, les ouvriers à "continuer la lutte" à l'intérieur de la CGT pour lui "rendre sa fonction de classe". Les autres salueront l'initiative des masses entrant en action par elles-mêmes en opposition avec le syndicat, se donnant des formes d'organisation (comités) extra-syndicales, bien que les grévistes n'aient pas eu conscience du caractère anti-syndical de leur action. Les uns et les autres verront dans la grève des postiers un indice du réveil du prolétariat, engageant une action de classe dans le cadre revendicatif et aboutissant, sinon à une victoire, tout au moins à un "pas en avant"…
Mais si l'on envisage les faits de ce point de vue, il se pose un certain nombre de questions embarrassantes :
Considérons d'autre part les résultats effectifs de la grève. Les faits saillants qui en résultent sont, beaucoup plus que la "victoire" revendicative des postiers, :
En considérant tous ces faits, il est difficile d'échapper à l'idée qu'il s'agit d’une manœuvre habilement préparée par le PS avec l'accord du Ministre des finances MRP. Quant aux éléments "syndicalistes" plus ou moins "révolutionnaires" qui ont été portés en apparence à la tête du mouvement, il faut d'abord retenir que leur "syndicalisme révolutionnaire" ne les a pas empêchés de faire, dès le premier jour de la grève, une déclaration de fidélité à la patrie et d'organiser, pendant toute la durée de la grève, un service spécial pour transmettre la correspondance de la Conférence des "21"…
Le sens de ce "syndicalisme" est clairement révélé par l'article de Léon Blum auquel nous avons déjà fait allusion (le "Populaire" du 7 août) : le PS ne pouvant pas, comme le font les staliniens, dominer directement la CGT en la noyautant, il s'appuie sur les "syndicalistes purs" pour faire échec au PCF. C'est leur tactique syndicale traditionnelle.
Pour ce qui est des éléments syndicalistes sincèrement révolutionnaires qui peuvent se trouver dans le Comité de grève, nous sommes obligés de constater qu'ils ont été les dupes de la manœuvre socialiste. Quand ils se trouveront portés à la direction de la Fédération syndicale, ils s'apercevront qu'ils n'ont pas d'autres possibilités que de se faire les agents directs de la bourgeoisie ou de se retirer.
Une telle manœuvres présente-t-elle pour la bourgeoisie un danger d'être dépassée par les masses ouvrières ? Tout arme est à deux tranchants et la possibilité abstraite d'un tel danger existe toujours. Mais il est remarquable que la seule voix de la bourgeoisie qui ait fait allusion à un tel danger soit celle du journal "l'Ordre" dont les attaches staliniennes sont d'ailleurs connues. Il est vrai que, dans certains endroits, des revendications dépassant le "reclassement" de leur fonction ont été agitées par les postiers ; il est un fait que certains travailleurs ont accueilli l'ordre de reprise du travail avec réticence. Mais ces tendances élémentaires ne se sont nulle part manifestées par des actions collectives. La bourgeoisie a estimé qu'elle était suffisamment maîtresse de la situation, que le prolétariat était assez bien soumis aux différentes idéologies de la bourgeoisie, en un mot que le cours vers la guerre impérialiste était assez avancé pour qu'elle puisse organiser sa manœuvre sans danger. Nous ne voyons pas que les événements aient démenti ce calcul de la bourgeoisie. Et cela est le premier enseignement de la grève.
Le deuxième enseignement est que, dans la situation actuelle, les manœuvres des différents clans bourgeois préparant la guerre impérialiste peuvent très bien se présenter sous la forme de mouvements "sociaux" et que des mouvements en apparence purement revendicatifs des travailleurs peuvent être fomentés de cette façon par la bourgeoisie.
Enfin un dernier enseignement est que même des mouvements extra syndicaux, même des formes d'organisation plus ou moins anti-syndicales peuvent être utilisées par les manœuvres de la bourgeoisie. En un mot, rien n'est sauvé, rien n'est à l'abri d'un camouflage de la guerre impérialiste ou de sa préparation sous des aspects "sociaux".
Cela ne saurait surprendre ceux qui ont médité les enseignements de la guerre d'Espagne de 1936-39 où des mouvements encore bien plus radicaux, allant jusqu' à l'expropriation des capitalistes, ont été utilisés par la bourgeoisie "antifasciste" en vue d'engager le prolétariat dans la guerre impérialiste. TOUT DEPEND DU RAPPORT DES FORCES DE CLASSES. Dans la situation actuelle qui recommence sous des formes à peine modifiées les événements de la période 1936-39 – dans une période où le rapport des forces de classes est favorable à la bourgeoisie et où celle-ci utilisera de plus en plus le camouflage "social" de ses conflits internes – il n'est pas inutile de rappeler ces vérités fondamentales aux ouvriers et aux camarades qui, faute de les comprendre, risquent dans un avenir prochain de prendre l'éclatement de la guerre impérialiste pour le début de la Révolution.
M.
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