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Internationalisme (GCF) n°5 - juillet 1945

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Projet de résolution sur les perspectives et tâches de la période de transitoire

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Nous publions ci-dessous un document qui était soumis à la discussion dans la Gauche Communiste. Ce document, écrit en fin juillet 1943, abordait les problèmes qui apparaissaient avec l'ouverture d'un cours historique nouveau, le cours de rupture de la guerre impérialiste par l'irruption de mouvements de classe du prolétariat commencée en Italie.
Nous estimons que ce document garde encore aujourd'hui sa valeur essentielle ; en le reproduisant, nous souhaitons susciter une discussion publique entre les groupes et militants révolutionnaires, une discussion la plus large possible sur les problèmes brûlants du moment présent
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 Les perspectives d'avenir résultent non seulement d'une étude de la situation présente mais aussi et surtout de la situation du cours historique des vingt dernières années.

Perspectives

1) Au moment de la déclaration de la guerre 1914-18, la situation s'exprimait par : "La société capitaliste est entrée dans l'ère des guerres et des révolutions."

La société bourgeoise est caractérisée par une production de plus-value. Tant que le capitalisme pouvait, par des débouchés sur des terres non encore colonisées, réaliser la plus-value et solder sa production qu'elle élargissait en accumulant du capital, nous nous trouvions dans la période ascendante de l'économie capitaliste. La viabilité du capitalisme résultait de la possibilité d'une production élargie par accumulation du capital et élargissement de ses débouchés.

Du jour où le capitalisme se trouvait devant un marché inextensible, du fait du partage du monde entre capitalistes et de l'intégration des économies arriérées dans le système de production capitaliste, il entrait dans ce qu'on appelle : la crise permanente du capitalisme.

Les crises cycliques exprimant un décalage entre la production et la consommation, décalage abolit par une extension du marché tant qu'il en existait, dans la crise permanente de l'impérialisme, la crise cyclique perd son importance. L'impérialisme n'est que la forme supérieure du capitalisme, c'est-à-dire l'extension des marchés à réalisation de plus-value. A la veille de 1914, l'impérialisme se trouve dans une impasse. Les marchés à réalisation de plus-value n'existant plus et, par-là, le capital social ne pouvant plus augmenter, le capitalisme a dû chercher une solution, dans le cadre de son économie, pour se maintenir : la guerre.

Historiquement, la guerre résulte de cette impossibilité capitaliste à faire progresser sa production. Il est obligé, tout en ne pouvant augmenter son capital social, de détruire dans son propre clan impérialiste un secteur de son économie pour réaliser l'accumulation dans un autre secteur et détruire un impérialisme concurrent. Cette auto-destruction ne peut se faire que par la réduction de la production des moyens de consommation au bénéfice de la production des moyens de destruction. La guerre n'est que ce phénomène d'économie de destruction qui est la forme terminale du capitalisme. Par-là, 1914 inaugure l'ère des guerres et des révolutions.

Guerre ou auto-destruction de l'économie et, par-là, anéantissement de toute la société ; révolution pour l'instauration de l'économie socialiste comme réponse historique aux contradictions internes d'un capitalisme décadent.

2) La guerre, ne représentant pas que le mode de fonctionnement du capitalisme à son époque décadente et terminale, ne peut être le résultat d'une volonté concertée des capitalistes mais le déroulement historique de la production impliquant l'exacerbation des impérialismes et la disparition de la scène historique du prolétariat. Seule la destruction par le capitalisme de la conscience révolutionnaire de la classe ouvrière permet le déclenchement de la guerre, de sorte que le cours même de la guerre ne peut être arrêté par une solution capitaliste. Une forme supérieure d'économie détruisant le mode de production de plus-value par la socialisation des moyens de production et de consommation peut abolir la guerre.

Arrêter le cours de la guerre, seule la volonté de la classe prolétarienne - historiquement appelée à réaliser une économie socialiste - peut le faire. Faire supposer que le cours de la guerre peut être arrêter avant l'expression de la volonté révolutionnaire du prolétariat, c'est admettre la possibilité d'une nouvelle forme viable du capitalisme, possibilité inexistante par le jeu historique de l'économie bourgeoise. C'est, en définitive, donner dans le panneau de la démagogie démocrate. Le mot d'ordre "transformer la guerre impérialiste en guerre civile" ne fait qu'exprimer un déroulement dialectique de l'histoire.

Le prolétariat, ayant pris conscience de sa mission historique et, par-là, tendant à accomplir cette mission, doit abattre le système capitaliste actuel, donc la guerre.

La guerre civile représente la première étape de la lutte du prolétariat contre le capitalisme.

3) Un clan capitaliste domine le monde dans la mesure où il peut réprimer tout mouvement violent de lutte de classe. Dans la deuxième période de l'entre-deux-guerres, l'Allemagne a été déléguée par le capitalisme pour assurer la police en Europe et permettre le jeu de l'économie bourgeoise, c'est-à-dire la guerre.

Après trois années de guerre, l'Allemagne et, par-là, l'Europe présentent les premiers signes de faiblesse. Parce que l'Europe - berceau du capitalisme ayant atteint le plus haut degré de centralisation industrielle et de concentration prolétarienne - est le lieu où les contradictions ont leur expression maximum, l'Allemagne - le meilleur agent de répression du capitalisme des dernières décennies - se trouve actuellement usée.

Si l'on considère, après trois années de centralisation économique de l'Europe, l'Allemagne comme le chaînon le plus faible de la chaîne capitaliste dont le talon d'Achille serait l'Italie, on peut dire que les conditions objectives ouvrent l'ère de la révolution.

Les événements italiens prouvent de quelle façon le capitalisme peut se débarrasser d'une forme politique de domination qu'est le fascisme et détruire le mythe de l'antifascisme. La politique anglo-saxonne tend à prévenir les conséquences révolutionnaires du premier essai de brisure du prolétariat d'avec l'idéologie bourgeoise.

Par une politique du prolétariat européen, en attribuant des privilèges économiques à certains secteurs du chaînon par rapport à d'autres secteurs, les anglo-américains et russes vont essayer de briser la solidarité révolutionnaire du prolétariat européen. C'est ainsi qu'il faut comprendre la politique de "libération nationale" dans les pays tels que la France, la Tchécoslovaquie, la Pologne, la Yougoslavie et la Crète.

Par une politique de "liberté syndicale", le capitalisme va essayer de refaire entrer le prolétariat dans une organisation qu'il a désertée ou qui a disparu depuis plusieurs années et qui représentera une soupape de sécurité pour le régime bourgeois. C'est un essai d'encasernement du prolétariat.

Le jeu des luttes économiques n'est qu'une expression de la loi du marchandage propre au système capitaliste. Dans l'époque décadente de l'économie bourgeoise, les organisations syndicales -par leur nature, par leur structure verticale, par leur bureaucratie et par leurs frontières nationales étroites- ne peuvent que paralyser l'action insurrectionnelle du prolétariat.

La campagne de presse, en Italie, pour les libertés syndicales dessine déjà nettement cette manœuvre démagogique du capitalisme, tendant à ligoter le prolétariat et à restreindre ses objectifs de lutte pour la révolution en une poussière de revendications étroitement économiques.

Il résulte de tout ceci que l'ennemi le plus redoutable pour la classe ouvrière est le bloc impérialiste anglo-américano-russe. Nous allons assister, pendant les mouvements insurrectionnels de liquidation de la guerre, à des reproductions des gouvernements Kérensky et Noske-Scheidemann. Mais la rapidité du processus révolutionnaire pourra faire que la bourgeoisie brûlera assez vite ses atouts démagogiques pour s'opposer, démasquée, au prolétariat en ayant recours directement à la violence.

4) Les révoltes révolutionnaires qui arrêteront le cours de la guerre impérialiste créeront en Europe une situation chaotique des plus dangereux pour la bourgeoisie.

D'un côté des millions de travailleurs verraient leurs usines fermer, des millions de soldats démobilisés, inaptes à rentrer dans l'économie d'autre part, une production diminuée au point de ne pouvoir assurer le minimum vital des individus.

Donc des chômeurs dont chaque revendication prendrait forcément une expression sociale et même d'organisation sociale (exemple : assurer la fabrication et la répartition ne fut-ce que du pain). Des soldats, par bandes armées, traversant les régions en pillant et saccageant tout, comme ceci s'est vu dans l'aventure de D'Annunzio et l'affaire des pays baltes en 1920.

Une Europe où le capitalisme, en tant que système, s'évanouirait sans pour cela être remplacé immédiatement par le socialisme, (aboutirait à) un carnage, une tuerie, une confusion dans les réactions de lutte du côté capitaliste comme du côté ouvrier.

Dans cette Europe en pleine anarchie sanglante, les luttes pour les revendications économiques sur le lieu de travail perdent de leur acuité et de leur signification.

Chômeurs et soldats vont chercher, par la politique du fait accompli et en débordant le cadre bourgeois, à se procurer leurs moyens d'existence. Donc, seule l'énonciation des problèmes politiques, et non des revendications économiques, peut briser tout confusionnisme du côté ouvrier et exprimer la lutte en la coordonnant aux divers secteurs révolutionnaires. Le capitalisme, présentant des formes assez redoutables en Amérique et en Russie, va tendre à perpétuer ce chaos saignant jusqu'à être assez fort pour réinclure l'Europe dans le système bourgeois, c'est-à-dire dans la guerre.

Si, en Amérique, les luttes revendicatives économiques peuvent présenter des possibilités révolutionnaires du fait d'une production maintenue et, en dehors de la guerre civile, en Europe ces luttes revendicatives ne vont servir que la bourgeoisie et diviser le prolétariat.

La transformation politique de ces revendications permettra à la classe ouvrière de résister efficacement à la répression capitaliste.

Stratégie tactique de l'époque transitoire 

Contrairement à la politique du parti bolchevik russe s'attachant à la formation du parti dans un seul pays et recherchant, dans les autres pays, des "planches pourries" leur permettant d'accéder au prolétariat, les fractions internationales devront assumer la tâche de réaliser le regroupement politique en parti révolutionnaire en Allemagne et dans les autres secteurs du monde. De plus, l'Internationale ne résultera pas de la victoire révolutionnaire du secteur italien ; mais la révolution vaincra en Italie du fait des liaisons internationales permettant la généralisation du mouvement dans les autres secteurs de l'Europe d'abord, du monde ensuite.

La tactique générale sera d'œuvrer pour la formation d'un embryon d'Internationale pour ce qui est de son organisation, vu les conditions de répression du capitalisme. Idéologiquement, cet embryon d'Internationale présentera un programme net, intransigeant, exprimant la volonté du prolétariat mondial à s'organiser en vue de la lutte pour la révolution.

Cette Internationale poussera à fond le développement où l'éclosion des partis révolutionnaires dans les pays possédant ou ne possédant pas des noyaux révolutionnaires.

Nous serons amenés à combattre idéologiquement, et les armes à la main, tout gouvernement, quelle que soit sa couleur apparente : gaulliste, social-patriote ou stalinienne.

Aucun compromis à admettre au cours de la lutte, donc pas de tactique opportuniste, entre autres pas de front unique, quels que soient ses objectifs limités.

Dénoncer et combattre les organismes et corpuscules rejetés au dehors des frontières de classe par les conditions objectives et tendant à se regrouper et à créer le bloc centriste, au cours de la période transitoire de la révolution.

Dénoncer d'une façon absolue toute auto-détermination des peuples. L'auto-détermination ne fait que livrer un prolétariat jeune et affaibli aux coups du capitalisme. Cette condamnation doit s'énoncer surtout en Grèce et dans les Balkans.

Combattre tout confusionnisme tendant à naître au travers de la guerre civile.

Les mots d'ordre devront être directs et ne pas emprunter de soi-disant étapes intermédiaires, c'est ce qui nous différenciera, dans la lutte, des organisations traîtres et démagogiques.

En Europe on peut miser uniquement sur les revendications économiques qui ne peuvent trouver d'écho que dans une minorité infime de la classe ouvrière. Nous devrons soutenir, comme ayant de plus grandes possibilités progressives vers la révolution, tout mouvement à caractère général et social et lutter pour le dégager d'une idéologie démocratico-bourgeoise. Le prolétariat - du fait de la guerre civile, pour n'importe lequel de ces problèmes - se posera, dès le début de la lutte, sur le terrain des transformations sociales ; et le rôle du parti est de politiser la solution sociale de ces problèmes.

En conséquence, le parti devra œuvrer pour le développement des nouvelles formes unitaires organisationnelles de la classe ouvrière exprimant un nouveau contenu dans une situation nouvelle. Les syndicats ne pourront servir que dans une période post-révolutionnaire comme organe exprimant les revendications face à l'Etat ouvrier.

De par leur échafaudage en professions, de par la lenteur de leur décision, les syndicats, en période révolutionnaire, détermineront un ralentissement de la riposte ouvrière à la répression capitaliste dans les secteurs locaux de l'insurrection, secteurs qui acquerront une importance du fait de la guerre civile, c'est-à-dire de la désorganisation de la production centralisée.

De plus, par l'inexistence des syndicats due à des années de répression en Europe, le parti devra combattre la Manoeuvre démagogique tendant à museler la conscience révolutionnaire en le faisant réintégrer dans les syndicats, organismes réfléchissant un contenu de rapports économiques capitalistes.

Le mot-d'ordre central sera les "soviets" sur la base des conseils d'usines, des conseils de soldats, des conseils de chômeurs et des conseils d'ouvriers agricoles.

Les comités de chômeurs lutteront pour la réouverture des usines fermées.

Le prolétariat industriel luttera seul dans son secteur, sans collaborer avec le restant des classes moyennes déchues et qui conservent leur idéologie.

Le prolétariat agricole devra s'assurer la neutralité bienveillante de la petite paysannerie à production familiale et luttera contre la grosse masse de la moyenne et grosse paysannerie (fermage et métayage).

Revendications actives du pouvoir à la classe ouvrière par l'intermédiaire du parti révolutionnaire pour ce qui est de la direction (politique, sociale, économique) et des soviets pour ce qui est de l'organisation et du contrôle.

Accaparement immédiat, par l'intermédiaire du Soviet, de tout stock et réserve d'intérêt vital.

Armement général du prolétariat.

Désarmement total de la bourgeoisie.

Formation de milices de choc ouvrières et encadrement de tout le prolétariat en milices.

De par la guerre civile européenne, la lutte du prolétariat doit rejeter la notion de frontières nationales européennes. La victoire du prolétariat ne sera pas le résultat d'un rapport de force militaire mais le développement généralisé de la conscience révolutionnaire sous la direction du parti.

Seule cette conscience révolutionnaire généralisée dans le prolétariat pourra créer la technique capable d'assurer militairement la victoire.

L'armement technique du prolétariat ne peut résulter qu'après la brisure d'avec tous les éléments bourgeois et idéologiquement non-révolutionnaires.

Détruire et rejeter toute armée permanente ne pouvant exprimer qu'un mode de répression capitaliste.

Pousser à fond la solidarité politique, économique et militaire entre tous les secteurs révolutionnaires.

Dès la prise du pouvoir, interdire les manifestations et le fonctionnement de tous les partis traîtres à la classe ouvrière.

Les partis - qui, de nos jours, représentent une arme démagogique du capitalisme - continueront demain leur besogne de laquais de la bourgeoisie.

Oeuvrer pour la libre expression, au sein des soviets, des syndicats et des courants ayant lutté pour la révolution.

Liberté fractionnelle permettant au parti, par le jeu des discussions, de relever la conscience des secteurs prolétariens retardataires.

Condamnation de toute violence contre le prolétariat par l'Etat ouvrier.

Terreur ouvrière contre l'ennemi de classe avec le maximum de rigueur.

M.

Rubrique: 

Travaux de la conférence 1945

Controverse avec la Fraction Italienne

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La fraction italienne vient de faire paraître (15 juin) son bulletin international de discussion n° 8. Ce bulletin, presqu'entièrement consacré aux divergences avec notre fraction, nécessitera des réponses plus détaillées que nous comptons faire dans nos prochains Internationalisme.

Un des articles, intitulé "Le néo-trotskisme dans la fraction française de la GC", reproduit un article de la CE de FI paru dans le bulletin intérieur et qui répondait à notre proposition d'un tract commun avec les CR et RKD à l'occasion du 1er mai. Dans cet article réponse, deux questions distinctes sont malencontreusement mélangées. Nous avons fait deux propositions bien nettes. L'une ayant pour but l'action commune immédiate pour le 1er mai, l'autre ayant en vue d'ouvrir une discussion plus large, plus générale sur l'intérêt, les possibilités et la nécessité existante d'une éventuelle convocation d'une conférence internationale entre les divers groupes révolutionnaires et sur les critères politiques délimitatifs devant servir de cadre à cette conférence qui ne pouvait avoir comme objectif qu'une prise de contact et l'établissement de relations, d'informations et de confrontation politique organisées entre les divers groupes.

Un lien évident existe entre les deux propositions ; mais cela ne les rend nullement identiques. Un lien existe aussi entre deux notes de musiques mais ce serait un fameux musicien celui qui identifierait le "do" avec le "la". En mélangeant les deux questions, la FI n'a fait qu'obscurcir chacune d'elles et les deux, ensemble.

Dans Internationalisme n° 2 et 3 nous avons discuté l'idée d'une conférence. Ce débat est loin d'être clos. Il existe, à notre avis, un très grand intérêt à ce que ce débat se poursuive et à ce que chaque militant, chaque groupe prenne position publiquement. Pour notre part, nous invitons tous les camarades de notre fraction à prendre part à cette discussion dans Internationalisme. Sur la première proposition que nous avons faite, proposition limitée à un tract en commun pour le 1er mai, la GE de la FI a prétendu d'abord ne pas pouvoir se prononcer et a prétendu nécessaire de se référer à toute l'organisation[1] 1.

Par la suite, et cette fois-ci en se passant de la consultation générale préalable, la CE de la FI repoussera politiquement cette proposition. La discussion surgie sur ce point sur la possibilité d'action commune n'a pas seulement un intérêt contingent momentané et passé. Sous d'autres aspects, elle ressurgira à nouveau, dans d'autres lieux et d'autres circonstances. C'est parce qu'il garde un intérêt général que nous publions ici, sur sa demande, un article de discussion d'un camarade paru, en son temps, dans le bulletin intérieur de la FI.

Pour un tract commun le 1er Mai

La fraction française nous a proposé de faire un tract pour le 1er mai en commun avec les groupes RKD et CR. Face aux hurlements sanguinaires du capitalisme mondial - aidé par tous les partis et groupes soi-disant ouvriers qui se livrent en ce moment, en Allemagne, à une orgie de sang, non pas pour abattre un impérialisme antagonique mais pour noyer dans un océan de sang la révolution naissante -, la fraction française a proposé aux groupes révolutionnaires de se joindre aux fractions de la Gauche Communiste pour appeler le prolétariat international à la lutte et à la solidarité internationales de classe pour l'assaut révolutionnaire.

La CE de notre fraction, fidèle à elle-même, a répondu par un refus.

Nous ne nous arrêterons pas sur les lieux communs qui ont servi d'arguments sur lesquels nous avons répondus en détails dans un numéro précédent de notre Bulletin intérieur quand il s'est agi de la rupture avec les RKD.

Voyons les arguments nouveaux pour justifier ce refus:

  1. les RKD ont repoussé la proposition antérieure qui leur était faite d'une réunion commune aux organisations pour une discussion sur la situation allemande. Il est vrai que les RKD n'ont pas accepté notre proposition antérieure ; mais est-ce là une raison suffisante pour se refuser dorénavant à toute action comme si cela est politiquement justifié et pratiquement possible ? ce serait là obéir à un mobile moral, de susceptibilité chatouilleuse, d'amour propre offensé au lieu de guider notre attitude d'après une ligne de conduite politique. Encore faut-il être honnête et dire que les RKD n'ont pas refusé en principe une réunion de discussion, mais d'après leur conception de conspiration ils ont estimé impossible de faire une réunion à laquelle assisteraient tous les membres des organisations. Il est de leur droit, même si nous sommes persuadés qu'ils sont dans l'erreur, d'avoir sur ce point un avis contraire au nôtre. Il n'en a pas fallu plus pour que notre CE jubile triomphalement. Ne pas faire des réunions de discussions et de confrontations avec les RKD et faire retomber la faute sur eux, c'est une double victoire. Rappelons toutefois que les RKD ont fait une autre proposition de réunion de discussion avec participation d'un nombre limité de camarades de chaque organisation. Cette proposition fut évidemment repoussée par notre CE et ainsi on a obtenu le résultat recherché et escompté.
    Invoquer partiellement ces faits pour justifier le refus d'un tract commun pour le 1er mai, c'est d'abord dénaturer les faits et ensuite se servir d'un mauvais prétexte pour une mauvaise cause.
  2. le second argument est que signer un appel à l'occasion du 1er mai contre la guerre impérialiste et la massacre de la révolution allemande, c'est faire un front unique.
    Rappelons de suite qu'il y a un an, alors que la situation était bien moins brûlante que maintenant, nous étions saisis d'une proposition analogue d'un tract commun pour le 1er mai par les RKD. Aucune objection de principe ne s'était élevée parmi nous. C'est en considération de la situation de crise politique dans laquelle vivait l'organisation que nous avons (à regret, il faut le dire) cru impossible de nous engager à signer ce tract. Aujourd'hui la situation politique, quoique pas très brillante, de l'organisation est bien plus nette. Et l'intérêt qu'il y aurait à faire entendre la voix du prolétariat révolutionnaire contre le massacre en Allemagne est des plus grands.

Qu'on ne nous rétorque pas les "entorses aux principes" et le "front unique".

Le front unique, tel qu'il a été défini au 3ème congrès et que la fraction a rejeté, consistait dans un accord politique sur une plateforme minima entre des partis qui, bien que se réclamant du prolétariat, représentaient en réalité l'un le prolétariat, l'autre la bourgeoisie. C'est après avoir nettement défini le parti socialiste comme un parti de la bourgeoisie que l'IC préconisait un front unique avec ce parti, ce qui équivalait à faire un front unique entre deux classes antagoniques. Quel était donc le but de l'IC dans cette tactique ?

En mettant comme base commune du front unique les revendications incluses démagogiquement dans la plateforme du parti socialiste, l'IC comptait forcer les partis socialistes à lutter effectivement pour la défense de ces revendications ou se démasquer aux yeux des ouvriers qui gardaient encore des illusions. Les communistes – qui, eux, n'avaient aucune illusion sur les partis socialistes – comptaient surtout, par cette tactique, les démasquer et arracher les masses ouvrières de leur influence. Mais, dans l'application de cette tactique "ingénieuse", les PC n'ont enfermé personne d'autre qu'eux- mêmes. Ce que les masses ont vu et retenu dans cette "manoeuvre" n'était pas la non-volonté de lutte des traîtres mais bien l'identité des mots d'ordre de propagande dont se réclament les socialistes et les communistes, c'est-à-dire le programme réformiste, tandis que les communistes estompaient leur programme révolutionnaire propre. D'autre part, la poursuite de la réalisation du front unique s'est transformée d'un moyen de démasquer l'adversaire en un but recherché en soi. Voilà l'essence de la tactique du front unique et la raison pour laquelle nous la repoussons.

Mais il n'y a rien de commun entre le front unique des organisations représentant des programmes de classes différentes et l'action commune entre groupes luttant et oeuvrant pour la victoire de la même classe. C'est de ce critère que découle notre position du front unique syndical, qui n'est rien d'autre que l'action commune garantie de garder son caractère de classe par le terrain de classe nettement limité sur lequel elle est donnée : le terrain syndical.

Une action commune par exemple entre le PC et une organisation comme les tribunistes hollandais ou le KAPD ne signifierait pas un front unique et nous ne le rejetterons pas à priori par principe. Nous tiendrons compte concrètement de la situation, de l'objectif et de l'intérêt de classe pour accepter ou rejeter une telle action.

Assimiler l'action commune au front unique, les confondre en un tout et s'opposer en général, en bloc, par principe, c'est hisser l'auto-isolement en "principe des principes", c'est remplacer l'intransigeance politique par une rigidité de secte. C'est ne rien comprendre à l'action politique vivante et n'être qu'une école de doctrinaires ennuyeux et morts.

Quelle est la situation concrète que nous vivons ?

Il n'y a pas de période dans l'histoire du mouvement ouvrier dont une analogie avec la nôtre puisse être établie. Jamais encore le mouvement ouvrier n'a connu une telle dissolution de sa conscience, comme il l'a connue à la suite de la longue période de dégénérescence de l'IC.

La réaction prolétarienne, au sein de l'IC et les PC, cristallisée autour des différents groupes de l'opposition, a fini par être résorbée et dévoyée au cours de la terrible période noire de reflux du prolétariat, allant de 1932 jusqu'à l'éclatement de la guerre. Au cours de cette période, ces divers groupes ont sombré les uns après les autres pour être définitivement liquidés par la guerre impérialiste. Le courant de la Gauche Communiste, dont notre fraction a donné naissance, est le seul qui a subsisté, mais non sans avoir lui-même connu et ressenti le souffle dévastateur. La scission de notre fraction à la suite de la guerre espagnole, la fausse analyse et perspective à la veille de la guerre, son absence politique et organisationnelle en Italie durant les événements révolutionnaires de 1943, les positions prises par Bordiga et d'autres vieux membres de la fraction en Italie, les théories de l'économie de guerre de Vercesi sont autant de manifestations du désarroi régnant dans le prolétariat et ayant ravagé son avant-garde. Si, malgré tout cela, notre fraction a survécu et subsisté à cette situation, prouvant la vitalité et la solidité de ses fondements programmatiques, elle se trouve toutefois extrêmement affaiblie et réduite. Depuis des années, elle s'est trouvée, par la pression extérieure et par des erreurs intérieures, absolument isolée de la classe.

Parallèlement à cet état, la situation objective de la guerre devait donner naissance à une rupture du cours précédent et a présidé au réveil lent mais inexorable de la conscience et de la volonté de lutte des ouvriers et des militants.

Un processus en sens inverse de la période précédente devait se faire jour au sein du prolétariat.

Notre extrême isolement et notre impuissance a fait que nous n'avons pas été le pôle d'attraction de ces énergies révolutionnaires surgissantes.

L'expérience a démontré que là où nous existions, même à l'état de faiblesse extrême, ces énergies révolutionnaires devaient trouver autour de nous le terrain politique favorable à leur organisation. Très édifiant est la discussion passionnée et violente entre les deux conceptions qui se sont affrontées dans notre fraction lors de la formation du premier noyau français dans le Midi. Soit dit en passant que si le noyau est né, s'il s'est développé en la fraction française actuelle, cela est dû au triomphe dans notre organisation de la conception du travail orienté vers la canalisation, les regroupements des énergies révolutionnaires isolées surgissant de par la situation objective.

Mais si notre organisation et le noyau français avec nous n'ont pas su ou n'ont pas pu suivre ce travail de polarisation des énergies révolutionnaires, les conditions objectives continuaient néanmoins à faire surgir ces énergies. Des éléments communistes révolutionnaires, rompant avec la guerre impérialiste, avec la défense de l'URSS, se plaçant sur le terrain de la transformation de la guerre impérialiste en guerre civile, ont surgi de ci de là, formant des groupes indiscutablement révolutionnaires. De tous ces groupes, nous n'en connaissons que deux jusqu'à présent : le groupe des Communistes Révolutionnaires Allemands et le groupe des Communistes Révolutionnaires de France. Il n'est pas exclu et même probable que d'autres groupes similaires existent dans les pays. Ces groupes et les militants qui les composent, pour la plupart très jeunes, ignorent complètement notre existence et encore plus nos positions programmatiques.

C'est notre attitude envers ces groupes qui est en question. Ces groupes n'ont pas passé par notre expérience ; l'horizon de leur vision de l'expérience du passé est forcément réduit ; leur position programmatique non achevée, en voie d'élaboration, n'est certes pas nette quoi qu'ils en pensent eux-mêmes. Mais ce sont des éléments indiscutablement révolutionnaires , en évolution vers le programme communiste (comme nous l'entendons). Quelle va être notre attitude à l'égard de ces groupes, la position négative consistant à oeuvrer purement et simplement à leur destruction ? Ou bien, au travers des discussions, toujours essayer de dégager ces éléments et groupes des positions confuses et inachevées, rechercher sans cesse, par la discussion, de pousser à l'évolution des camarades vers des positions de la Gauche Communiste et, chaque fois que se présentera un intérêt et sera possible, faire des actions communes révolutionnaires ? La pire solution est celle du doctrinaire ayant une haute idée de suffisance et qui consiste dans l'indifférence hautaine de l'observateur. C'est celle des camarades de la CE.

Un révolutionnaire n'est jamais indifférent à l'existence des groupes politiques. Il les détruit ou il les assimile.

Demander à ces groupes de partager toutes nos positions comme condition préalable de tout contact et de toute action commune avec eux, c'est leur demander d'être nous-même, d'être membre de la Gauche Communiste ou bien d'agir, d'œuvrer pour qu'ils le deviennent.

Dans le cours révolutionnaire, la transformation des fractions en parti verra la fraction résorber les éléments révolutionnaires de ces groupes et leur liquidation en tant que tels ; mais c'est là un processus dont nous ne pouvons pas fixer à priori les délais et dont la liquidation totale, absolue de ces groupes révolutionnaires n'est nullement, forcément et définitivement assurée. La fraction ne pose pas des exigences à l'histoire et des ultimatums au mouvement ouvrier. La fraction agit, intervient dans la réalité telle qu'elle existe et tend, par son action politique, à la faire évoluer dans son sens.

L'apparition, la formation des groupes révolutionnaires est actuellement un fait et c'est avec ce fait que nous devons compter et agir en tenant compte de ce fait au lieu de l'ignorer. Agir aussi c'est discerner la tendance de chaque groupe, de l'orientation qu'il emprunte et c'est établir notre attitude politique en correspondance avec cet examen.

Voilà pourquoi la FF a eu raison de poser non dans le vague, dans l'abstrait, en soi, un principe "pour ou contre l'action commune", mais d'établir des critères politiques de délimitation, de discrimination permettant de voir les groupes sous un jour politique concret.

Ceux qui partent en guerre contre l'action commune au nom d'un "principe" valable en général pour tous les temps, envers tous les groupes, sous toutes les formes auront bien du mal à accorder "leur principe" sauveur avec les enseignements de l'expérience du mouvement ouvrier. Faut-il rejeter à posteriori ces expériences positives et déclarer inacceptables, comme une "entorse aux principes", les actions communes de la fraction bolchevik avec d'autres groupes lors de la guerre 1914-18 ? Faut-il déclarer ces expériences, contre toute évidence, comme des résultats négatifs pour la seule raison qu'un soi-disant "principe" le veut ainsi ?

S'opposer en principe à toute rencontre, à toute action commune avec n'importe quel groupe c'est déclarer comme une "erreur de principe" la déclaration signée par les bolcheviks à la conférence de Zimmerwald. La différence, le décalage qui existaient entre les positions des bolcheviks et celles des autres groupes participant à Zimmerwald étaient autrement plus grand que ceux existant entre nous et les RKD, même en tenant compte de la différence des deux époques historiques. C'est à tort qu'on tentera de justifier une nouvelle attitude de principe en recourant à l'argument d'une nouvelle période historique par la révolution de 1917, la dégénérescence de l'IC. Notre fraction, après l'exclusion de l'IC, participait à des actions communes avec des groupes oppositionnels et adhérait au secrétariat international de l'Opposition de Gauche.

Après la liquidation de l'Opposition de Gauche par son unification avec des courants de la 2ème Internationale, notre fraction a pris l'initiative de proposer à la Gauche Communiste allemande et à l'Union Communiste de France la formation d'un bureau international d'information et la publication d'une revue internationale de discussion. Par la suite, notre fraction a collaboré jusqu'à la guerre espagnole avec la Ligue des Communistes Internationalistes de Belgique.

Comme nous voyons, c'est à tort qu'on voudrait se référer à une position de principe qui n'existe pas et nous avons la ferme conviction qu'en défendant la possibilité des actions communes, dans certaines occasions précises, avec des groupes tels que les RKD et les CR, nous ne faisons que continuer la tradition d'une politique qui a été celle des bolcheviks et de notre fraction dans le passé.

M (le 20 avril 1945)


[1] Nous ne croyons pas que c'était un scrupule de "démocratie" qui a déterminé cette 1ère proposition. Une large consultation ne pouvant se faire dans le délai de quelques jours qui restait pour l'application pratique, cela signifiait le rejet effectif, pour des raisons politiques, de cette proposition sous le camouflage de la "démocratie".

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Rubrique: 

Pour une conférence internationale

L’état de la classe ouvrière

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La classe ouvrière - la dernière roue du carrosse capitaliste - voit ses moyens se réduire de jour en jour. Voyons un peu la musique que fait la mouche du coche, c'est-à-dire voyons ce que les braves démagogues de "gauche" de tous les pays, enfourchant le dada des "nationalisations", offrent en réalité comme perspective à la roue, qui n'en peut plus et qui sent le poids de toute la charge de la société s'écrouler sur elle.

Après cette brève étude - disons ce coup d'oïl général - sur les différents États impérialistes, sur le problème des nationalisations et de l' État capitaliste sous sa forme actuelle, concluons en examinant rapidement, bien que cela sorte généralement du sujet, les contrastes qui minent la société capitaliste et dont les États ressentent jusque dans leur moelle les secousses de plus en plus terribles et tragiques.

I.URSS : Les regards de tous les communistes du monde entier, de tous les ouvriers et de tous les exploités, en octobre1917, se sont tournés vers la partie de cette Russie où se faisait la plus magnifique et la plus dynamique des révolutions prolétariennes. Pour des millions d'hommes dans la misère, exploités - qui avaient dû donner, pour leur bourgeoisie, non seulement leur travail, mais aussi leurs vies, celles de leurs enfants -, les noms de BOLCHEVIKS, SOVIETS brillaient comme autant de soleils et le nom de LENINE - leur chef, le chef de la révolution - devenait un espoir, le plus grand espoir que tous les opprimés aient eu jusque-là. La période révolutionnaire qui s'est ouverte en 1917 fut une vague extraordinaire où un très grand nombre de prolétaires de toutes nations et races déferlèrent, cherchant à abattre l'édifice de la société capitaliste pour se débarrasser une fois pour toutes de leurs bourreaux et maîtres. Pendant toute cette période, les yeux de tous étaient tournés vers "Vladimir Illitch" et ses camarades russes. Mais le programme de la IIIème Internationale n'était pas assez fort, la période révolutionnaire passa et il ne fut pas capable de mener le prolétariat vers la victoire. De ce fait il se produisit une situation extrêmement tragique:

  • d'une part le prolétariat livré, dans tous les pays, à l'assaut de la bourgeoisie et se livrant de plus en plus à elle dans l'effritement de plus en plus évident de tous les partis se réclamant de la IIIème Internationale - qui devaient d'ailleurs sombrer en 1934 dans une idéologie antifasciste devant irréductiblement entraîner le prolétariat dans la guerre ;
  • d'autre part l'URSS constituée sur les bases de la révolution d'Octobre et devenant isolée dans le monde capitaliste.

Que devait-il sortir de cette situation tragique ? Un fait plus tragique encore pour le prolétariat, à savoir : le socialisme ne pouvant se construire dans un seul pays, la révolution prolétarienne victorieuse dans un pays, si elle n'est pas suivie immédiatement par d'autres ou que ces autres révolutions ou insurrections sont vaincues, la défaite de la classe ouvrière ne revêt pas alors un simple caractère local. Pour préciser affirmativement : de même que la révolution victorieuse en Russie, en 1917, marque l'ouverture d'un cours révolutionnaire international, les défaites des prolétariats allemand, chinois et anglais signifièrent non pas des défaites locales de la révolution allemande, chinoise ou anglaise mais un cours de reflux de la classe sur l'échelle internationale, y compris du prolétariat russe.

En corrélation avec la situation internationale de défaite du prolétariat, la Russie va progressivement quitter son terrain de classe et s'intégrer dans la société capitaliste, dans le monde capitaliste dont elle fait irréductiblement partie, et enfin franchir le dernier pas - celui où personne ne peut plus se tromper - s'intégrer entièrement dans la guerre impérialiste.

Mais là où la tragédie est surtout la plus forte, c'est que le processus de dégénérescence de ce pays ex-révolutionnaire -sous la pression du capitalisme extérieur et des forces capitalistes à l'intérieur- va amener au pouvoir un groupe politique réactionnaire qui établit dans le pays un véritable Thermidor et qui se servira, pour sa politique intérieure et extérieure, d'une façon démagogique des plus repoussantes, du drapeau qui avait conduit à la révolution et des noms de ceux qui l'avaient dirigée. C'est ce qui a permis à l' État russe de tromper les masses ouvrières qui, elles, croient toujours en la révolution d'octobre 1917 et veulent toujours faire la révolution mondiale, alors que la politique de Staline est contre les intérêts du prolétariat russe et du prolétariat mondial, que tous les partis soi-disant communistes, minés par la police russe (GPU), ne font que défendre, dans les pays étrangers, la politique impérialiste de la Russie, en agitant le drapeau rouge, en prononçant à tout bout de champ le nom de LENINE. Ils proclament que défendre la Russie c'est défendre la révolution, alors qu'ils font tout, dans leur pays respectif, pour servir leur bourgeoisie et leur capitalisme et qu'ils sont les plus acharnés contre ceux qui luttent pour la révolution prolétarienne.

Le seul fait qui persistait avant la guerre malgré l'intégration de l'économie russe dans l'économie capitaliste mondiale, c'est l'inexistence de la propriété individuelle. Mais ce fait ne représente rien en lui-même si on assiste dans ce pays à l'extraction de plus en plus grande de plus-value sur le dos des ouvriers pour la faire absorber par la guerre, et si la bureaucratie dirigeante vit en parasite sur la production de cette même plus-value. Maintenant que la guerre est terminée, on voit le processus de recul se préciser encore plus et les premiers phénomènes de la propriété individuelle apparaître sous forme de participation dans les affaires de l' État (bons du trésor) ou même de simples actions sur des entreprises. C'est un début mais qui peut aller loin, et on peut dire d'ores et déjà qu'il ne s'arrêtera pas là.

Cependant quelles sont les perspectives actuelles de l' État capitaliste, de l' État patron et gendarme grand-russien ? Malgré tout le bluff et le tapage que celui-ci mène au travers des partis staliniens et des comités d'amitié avec l'URSS, il est certain que la Russie a été durement éprouvée par la guerre et que, malgré sa politique impérialiste de proie et son agitation politique dans les pays qu'elle veut soumettre, elle sera obligée de se plier aux volontés des Anglo-américains si elle veut que ceux-ci continuent à lui livrer les machines-outils nécessaires au commencement du relèvement de son économie ; et, de toutes façons, elle ne peut envisager immédiatement de participer victorieusement à une guerre contre les USA et la Grande-Bretagne parce que ceux-ci détiennent la plus grande force économique, ce facteur jouant toujours comme facteur principal dans une guerre inter-impérialiste.

Cette question paraîtra peut-être plus claire si on sait que "la Russie a reçu des approvisionnements pour une valeur totale de 2.102 millions de livres des USA seulement, comparés aux 3.194 millions de livres reçus par la Grande-Bretagne à la date du 31/3/45 (Tribune économique du 1/6/45 – "Que deviennent les accords prêt et bail avec la Russie ?) et que " les livraisons militaires effectuées à la Russie par l'entremise de l'United Kingdom Commercial Corporation ont compris notamment : alimentation 257.000 tonnes – caoutchouc 130.000 tonnes – jute et dérivées 105.000 tonnes – produits chimiques 48.000 tonnes – plomb 50.000 tonnes – cuivre 35.000 tonnes – sisol 22.000 tonnes – aluminium 37.000 tonnes – étain 32000 tonnes – laine 51000 tonnes – chaussures 32.500.000 paires – diamants industriels pour 5 millions de dollars – tissu kaki 3 millions de yards – machines-outils 12.000." (Tribune économique du 1/6/45 – "L'aide anglo-américaine à l'URSS")

II- ÉTATS-UNIS D'AMÉRIQUE : Aux USA l'allure "démocratique" et libérale est un trompe-l’œil qu'il importe de démontrer, en même temps qu'il faut montrer que, du fait de la concentration formidable entre les mains de l' État grand-américain, la force de répression sera déchaînée demain contre les revendications ouvrières, contre les grèves et les manifestations de classe.

Un article d'un certain René Bertrand, dans la Revue Économique et Sociale, intitulé "Le capitalisme d'État aux États-Unis", très documenté, apporte la lumière sur c problème. Nous allons donc en citer les principaux passages qui suffisent à eux-seuls à éclairer la réalité du libéralisme américain. Il commence ainsi :

  • "Depuis plus de 30 ans, des secousses terribles ont ébranlé le vieil édifice libéral. Une crise d'une ampleur sans précédent s'est déroulée entre les deux guerres et jamais la vie économique n'a pu reprendre un rythme régulier. Les méthodes classiques se sont révélées partout insuffisantes pour redresser la situation. Avant 1939, des expériences aussi diverses que celles du "New-Deal" aux États-Unis, du communisme (?) en Russie soviétique, du national-socialisme en Allemagne avaient déjà été rentées pour y remédier. Puis, dans le cadre de la guerre totale, la plupart des pays ont été amenés à établir un contrôle sévère de la production, de toute l'activité nationale.

La situation est telle qu'il sera probablement très difficile de rétablir la liberté complète du commerce et de l'industrie après les hostilités...
... même en négligeant les motifs d'ordre politique ou moral que l'on pourrait invoquer, le retour au capitalisme libéral du 19ème siècle semble bien être une solution inopportune, quel que soit le désir de nombreux industriels ou commerçants de s'affranchir de la tutelle souvent gênante de l'État."

Après avoir dit la nécessité d'établir un nouveau régime économique, il dit que les "conceptions socialistes" ont la faveur des pays mais il souligne qu'à sa faveur une bureaucratie envahissante tendra à s'instaurer. Puis il ajoute que, sans aller aussi loin dans cette voie, on pense beaucoup à de simples nationalisations et au maintien d'un contrôle sévère sur l'activité économique du pays.

Puis il continue : "Toutes posent, pour les démocraties, un même problème sur lequel nous devrions attirer l'attention : COMMENT CONCILIER L'INTERVENTION DE L'ÉTAT OU D'UNE AUTORITÉ COLLECTIVE QUELCONQUE AVEC LA NOTION DE LIBERTÉ INDIVIDUELLE ?"

Ensuite il fait ressortir que, de tout temps, la politique intérieure des États-Unis a toujours tendu vers le libéralisme:

  • "Cependant les  États-Unis ne sont plus le pays aux possibilités illimitées, ajoute-t-il, ils ont traversé depuis 1929 une crise particulièrement grave qui n'était comparable ni par son ampleur, ni par sa durée à ces phénomènes cycliques que l'on enregistre normalement dans une économie capitaliste ; jamais la chute de la production nationale n'avait été aussi accusée ; alors qu'il existait en 1929 plus de 25000 banques commerciales, 10000 d'entre elles ont fait faillite en l'espace de quelques années ; enfin, le chômage avait pris des proportions gigantesques puisqu'en 1933 on comptait, d'après certaines estimations, 13 millions de travailleurs sans emploi."

Puis il explique que c'est ce qui fit le choix par le peuple américain de ROOSEVELT, qui avait un plan de réforme. Il montre la satisfaction qui est éprouvée d'abord aux premières réformes apportées par le "New-Deal". Les réticences se font ensuite sentir (...) la réaction libérale surtout. Cependant, malgré tout, le "New-Deal" survit et ROOSEVELT est réélu en 1936. ROOSEVELT adopte alors une méthode beaucoup plus souple que nous allons examiner avec l'auteur de l'article :

  • "Les principes de cette nouvelle méthode, le 'New-Deal' deuxième manière, ne se sont dégagés que lentement et d'une façon empirique. Il s'agit en définitive d'éviter toute contrainte apparente, et l'on peut même dire que les seuls moyens d'action employés par l' État sont des moyens financiers (?). Les organismes fédéraux chargés d'organiser des grands travaux pour lutter contre le chômage ont pris une extension considérable et sont devenus très puissants.
    Avec la guerre, le gouvernement fédéral a multiplié ses interventions et, s'il a dû parfois recourir à la contrainte (!), il a largement utilisé les procédés que nous venons de décrire. Pour que soient satisfaites les commandes d'armements, il a fait construire lui-même de nombreuses usines et ouvrir de nombreux chantiers ; il a constitué des stocks imposants de matières premières et a dépensé en fin de compte des sommes considérables pour l'équipement du pays."

La suite mérite l'attention particulière du lecteur :

  • "En fait l' État est devenu le plus grand banquier du pays ; il possède des milliers d'usines ; il achète et il vend de très importantes quantités de marchandises ; en particulier, il détient le quasi-monopole du commerce extérieur ; enfin, par suite des circonstances, il est le principal consommateur des États-Unis (les dépenses de l'État représentant près de la moitié de la production nationale).

Nous parlons à ce sujet de capitalisme d' État parce que l' État agit comme le ferait un capitaliste particulier : il est tour à tour banquier, industriel, commerçant."

1. La suite de l'article est un long développement de ce qui est affirmé en dernier, avec forces statistiques et situations à l'appui. L'auteur est très bien renseigné et ses remarques sont de la plus haute valeur du point de vue du témoignage qu'il apporte. A la fin, il conclut :

  • "C'est l'opinion de M
    Henry Wallace, ancien président des États-Unis, quand il affirme que, si l'on voulait fournir après-guerre un emploi à 60 millions d'américains, il faudrait établir un 'budget national de production et d'emploi' dont l'équilibre (?) serait obtenu en agissant sur le montant des dépenses engagées par l' État.r

... Mr Roosevelt manifestait l'intention de poursuivre la politique de New-Deal, la politique de l' État financier et prometteur de grands travaux ; et pour bien marquer sa décision, le 20 janvier dernier, il nommait Ministre du commerce Mr Henry Wallace, dont les idées progressistes (!) sont bien connues..."

III-LA GRANDE-BRETAGNE : L'Angleterre a ceci de particulier c'est que, bien qu'ayant dans la métropole une situation très grave, elle a un empire colonial immense, le plus important de toutes les puissances impérialistes du globe.

L'empire colonial britannique contient à lui seul le quart de la population mondiale : environ 500 millions d'individus et aux Indes seules 350 millions.

Cet empire se compose :

1. Dominions – Dans beaucoup de Dominions, la Grande-Bretagne n'est plus la maîtresse économique incontestée.

Maintenant la situation peut se résumer ainsi :

  1. Capitaux et exploitation d'indigènes du Dominion ;
  2. Capitaux et exploitation des États-Unis ;
  3. Capitaux et exploitation anglais.

2. Colonies à gouvernement responsable (une partie de l'Inde – Terre-Neuve) ;

b. Colonies de la couronne (60 millions d'individus) ;

3. États protégés – Une partie de l'Inde également correspondant à environ 70 millions d'individus.

4. Mandats

5. États indépendants – Sous la tutelle anglaise (Égypte, Irak)

Il est inutile de souligner l'importance d'un tel empire colonial ; mais si la situation de la marine marchande anglaise n'est pas aussi critique que celle de la France, il n'empêche qu'elle a souffert terriblement de la guerre. Ce qui faisait la force de la Grande-Bretagne c'était, en plus de cet immense empire colonial, la possibilité avec cette flotte marchande très important d'importer à moindre frais, en payant le voyage à l'aller, vers le territoire d'importation, en exportant le charbon. Là était une force considérable de l'économie anglaise. Elle tirait un revenu annuel sur sa marine marchande d'environ 100 millions de livres sterling.

Or la marine marchande britannique avant la guerre de 1914 représentait la moitié environ du tonnage du monde entier et, avant celle de 1939, le tiers seulement ; donc baisse du tonnage en comparaison du total mondial progressif déjà entre les deux guerres. Depuis, la guerre a fait perdre à l'Angleterre un tonnage considérable. D'autre part, même si le tonnage anglais lui permettait d'assurer son trafic maritime, le charbon - qui payait ses frais de route en partie - commence à faire défaut à l'économie anglaise et l'on peut dire que la crise du charbon revêt en Grande-Bretagne une importance considérable si l'on s'attache au problème dans son entier : d'une part le charbon pour la métropole et son industrie et surtout le charbon pour l'exploitation.

On relève dans les statistiques officielles qu'en 1939 on extrayait environ 235 millions de tonnes de charbon. Actuellement l'extraction est tombée à 185 millions de tonnes environ. La situation du charbon en Grande-Bretagne revêt en plus un autre caractère de grande gravité si l'on considère que, dans les deux chiffres soumis, presque le même nombre d'ouvriers participent à l'extraction : avant 1939 765000 mineurs, actuellement 715000 mineurs. Le rendement individuel de 820 kgs par jour en 1939 est tombé à 739 kgs aujourd'hui.

Et si l'on s'aperçoit finalement, au travers des statistiques, que la baisse progressive de l'extraction commencée dès 1913 a diminué de 1913 à 1943 de 71% et que, comme on l'indique ci-dessus, cette baisse s'accentue de plus en plus, on se rendra compte, en examinant le problème du charbon dans toute son ampleur, de la gravité qu'il représente pour la Grande-Bretagne. Mais ce n'est pas tout. L'Angleterre, malgré son aspect extérieur serein, connaît une crise encore plus grave. En effet, de tous temps la balance commerciale de la Grande-Bretagne a été déficitaire, c'est-à-dire qu'elle exportait moins qu'elle importait. Sans pouvoir nous appuyer sur des chiffres précis nous pouvons tout de même affirmer que, depuis 1920, le déficit s'est accentué dans des proportions inquiétantes. Mais ce qui permettra de faire ressortir le caractère d'extrême gravité de la situation c'est qu'en 1920 la Grande-Bretagne, qui a beaucoup de capitaux placés à l'étranger, pouvait se permettre de combler le déficit de sa balance commerciale et même d'arriver à un bénéfice de balance des capitaux d'environ 170 millions de livres sterling, alors qu'en 1939 la balance des capitaux était déficitaire de 55 millions de livres sterling et que cette tendance s'est accentuée du fait de la guerre, la Grande-Bretagne ayant fait de nombreux emprunts à l'étranger.

De l'ensemble de cette situation il ressort que l'Angleterre, après la guerre, va être obligée de réduire sa consommation, ses frais de production et de tendre à accentuer son exportation pour essayer de résoudre le problème. Or comment réduire la consommation sans un contrôle de fer sur l'économie du pays ? C'est ce qu'il ressort d'un article de Charles Hargrowe dans la Tribune Économique intitulé "Que donneraient les élections en Grande-Bretagne ?"

Le sujet n'intéresse pas directement la question traitée mais certains passages y sont significatifs. Il est d'abord question de la politique intérieure économique de l'Angleterre pendant la guerre ; puis l'auteur continue ainsi :

  • "La paix revenant, la question se pose dans quelle mesure cette discipline (il est question, plus haut dans l'article, d'une discipline de fer, la même que celle de Hitler et de Mussolini)
    doit être maintenue. Le parti conservateur voudrait en conserver le moins possible et le parti travailliste le plus possible. C'est là l'enjeu essentiel de la lutte...
    ... Mais leurs divergences ne sont pas aussi profondes qu'on pourrait le supposer. Il est permis de dire que chaque candidat accepte un certain degré d'économie dirigée et qu'aucun ne se cramponne aux doctrines, si chères aux économistes du XIXème siècle, de la concurrence illimitée et de l'initiative privée entièrement libre. Même Manchester, où cette doctrine est née, a vu sa principale industrie, celle du coton, demander à l'unanimité que le gouvernement la prenne sous son contrôle. La nationalisation des mines de charbon et des chemins de fer paraît une perspective si familière et si proche qu'elle n'effraie personne. Les grandes industries et les grandes organisations syndicales luttent à l'envi (!) à qui proposera des plans d'économie dirigée..."

IV-LA FRANCE – La France voit s'accentuer la catastrophe de jour en jour. Son empire colonial, miné par les capitaux anglo-saxons, lui échappe. Le commerce avec ses colonies éloignées telles que Madagascar lui est totalement impossible à cause de l'état totalement inexistant de sa marine marchande ; ce qui fait que, si un jour la marine marchande française arrivait à se remonter (ce qui est fort peu probable vu l'état des chantiers, le manque de matières premières etc.), les dites-colonies, obligées de vendre leurs marchandises, auront déjà des clients et des accords économiques passés avec d'autres pays plus proches ou ayant le fret, et la France se trouvera évincée.

Quant à l'économie française proprement dite, elle est bien malade : déjà terriblement en retard du point de vue technique et de l'organisation sur les grands pays industriels, son matériel désuet en majeure partie détruit par la guerre, elle est absolument inexistante devant ceux-ci. Les économistes bourgeois actuels assurent que, contrairement aux autres pays où le problème du chômage se posera et se pose déjà en pleine recrudescence, la France aura une grande pénurie de main d'œuvre. Il faut préciser que c'est surtout de main d'œuvre spécialisée que la France peut manquer. Lesdits économistes postulent sur une reprise de l'activité économique du pays. Mais avec quelles matières premières ? Celles que les alliés philanthropes lui livreront sachant très bien qu'elle ne pourra jamais payer ? La France ne recevra des alliés qu'une aide parcimonieuse et en rapport avec un certain chantage politique ; et sa reprise économique ne se fera pas d'une manière saine mais, au contraire, éphémère.

Malgré tout, le coq gaulois dresse hardiment la tête et lance ses "cocoricos" dans sa presse bourgeoise et au travers des déclarations gouvernementales. Mais le plus abject est surtout la crête rouge du coq, nos communistes, grands patriotes défenseurs jusqu'au bout de la patrie française, qui, au travers du mot d'ordre de la Renaissance française, ne font encore et toujours que tromper la classe ouvrière avec leur démagogie, en lui cachant la vérité et en l'entraînant vers une politique de renforcement du pouvoir de l' État.

Les nationalisations, incapables de sauver l'économie délabrée, concentrant entre les mains de l' État toutes les forces économiques et politiques du pays, lui livrent le prolétariat pieds et poings liés. Au lieu de conduire les ouvriers vers la révolution, seul départ pour la classe ouvrière pour une solution positive, ils l'entraînent vers la participation à bloc de la défense de la bourgeoisie française et, par le fait même, à renforcer les positions de cette dernière contre elle-même.

La production française avant la guerre se composait de trois branches :

  1. Industries de luxe
  2. Industrie lourde
  3. Production agricole – (qui ne satisfait qu'incomplètement les besoins du pays, environ 87%)

L'industrie lourde - à laquelle les économistes prévoyaient, après la guerre, un "important développement" -, quoique importante pour un petit pays comme la France, est restée stationnaire depuis 1929-1930, alors qu'en comparaison celle des autres pays gros industriels a augmenté dans des proportions incomparables.

La France avait d'autre part une grande quantité de capitaux placés à l'étranger. C'est sur les revenus de ces capitaux et en partie sur ces capitaux que la France compte pour essayer de ralentir la chute vertigineuse qui va se produire. Là aussi, la France joue une carte dépréciée ; en effet, de ces capitaux investis à l'étranger ou aux colonies, beaucoup ont été perdus pendant la guerre. Il est certain que ces espoirs seront largement déçus si l'on étudie de près la situation en Syrie où la France avait placé de nombreux capitaux, et la situation en Indochine qui n'est pas encore résolue mais qui d'ores et déjà ne semble pas très bonne pour la France.

V-YOUGOSLAVIE – (La Tribune Économique 1/6/45) "Belgrade – Le gouvernement central yougoslave a publié un décret plaçant sous le contrôle de l' État le commerce en gros et en détail des produits agricoles, du bois, des textiles ,des cuirs et les exploitations minières ainsi que la vente du bétail."

VI-POLOGNE – On peut lire dans le revue soviétique "La guerre et la classe ouvrière" n° 8 du 15 avril 1945 : "Le gouvernement provisoire de la République polonaise a publié un décret établissant le service général du travail."

Ce simple entrefilet en dit long sur la manière "démocratique" avec laquelle le gouvernement polonais envisage la reprise de l'activité économique du pays. Cela ressemble fort à une simple politique dictatoriale.

VII-GRECE – Dans l'article "Les difficultés économiques en Grèce" de la Tribune Économique du 1/6/45, on peut lire notamment : "Un nouveau texte de lui place la production industrielle sous le contrôle de l'État qui fournira les matières premières (?). Toute production de luxe est interdite."

VIII-TCHÉCOSLOVAQUIE – Toujours dans la Tribune Économique on peut lire dans l'article "Un vaste contrôle de l'État (en Tchécoslovaquie)" : "Un communiqué du Ministre de l'économie et de l'industrie montre que le programme gouvernemental prévoit une transformation révolutionnaire (?!) du pays. Toutes la banques et compagnies d'assurance passeront sous le contrôle de l'État, tandis que 70% de toutes les entreprises seront nationalisées."

IX-BELGIQUE – "Mobilisation civile et interdiction de grève". C'est ce que chaque État, devenu patron et s'ingérant dans l'économie du pays ou la dirigeant directement, fera demain là où la situation le demandera. L'État patron devient inévitablement le gendarme.

X-L'ITALIE – On peut lire dans les Nouvelles Économiques du 8 juin, dans un article intitulé "L'Italie fief économique des États-Unis" : "Des premiers contacts établis entre commerçants italiens et financiers américains, il résulte que les grandes industries américaines ont l'intention de transformer l'industrie italienne et de l'harmoniser avec la production américaine. L'industrie italienne deviendrait ainsi une dépendance européenne de l'Amérique. Pour citer un exemple, elle serait chargée de la finition des produits américains et plus particulièrement des châssis des carrosseries automobiles, des machines destinées à l'industrie textile et de tout ce qui touche à l'industrie électrique. La conséquence inéluctable de la direction économique de l'Italie par les financiers américains sera l'ingérence de ces derniers dans le domaine politique du pays qu'ils exploitent... Le drame économique italien ne sera pas le seul de son genre dans l'Europe ravagée par la guerre..."

XI-ALLEMAGNE – La période révolutionnaire -qui a marqué la clôture de la guerre 1914-18 et qui, successivement a déferlé en Russie, en Allemagne, en Chine et dans les autres pays de l'Europe- a été victorieuse en Russie en octobre1917 puis elle a été écrasée en Allemagne par le militarisme prussien au service du gouvernement social-démocrate de NOSKE er SHEIDEMANN[1]. La révolution du prolétariat chinois fut écrasée par CHANG-KAÏ-CHEK représentant de la bourgeoisie nationale chinoise[2].

Pour l'Allemagne, la dégénérescence de l'IC et de ses partis communistes marque le point capital de la défaite du prolétariat allemand. La contre-révolution national-socialiste hitlérienne, soutenue par le capitalisme international (surtout anglo-saxon), est chargé de marquer le point final de l'activité révolutionnaire de l'IC. La venue au pouvoir de la clique nazie en Allemagne, en 1934, marque sa mort. Le national-socialisme est la forme la plus avancée de la domination de l'État et de la bourgeoisie sur la classe ouvrière. Le prolétariat allemand, une fois encadré par toute la petite-bourgeoisie allemande contre-révolutionnaire, ne pourra plus se dégager. L'État est maître. Toute la bourgeoisie (et la petite-bourgeoisie) va rentrer dans le cadre de la police, à son service ; et, pour maintenir sa domination, l'État capitaliste va amener la répression à un degré jamais atteint ; il va "industrialiser" la mort de tous ceux qui s'opposent à sa domination sous cette forme et va montrer jusqu'à quel point l'État gendarme peut aller pour conserver les privilèges de classe du capitalisme.

Il y a un siècle, Engels avait prévu la dernière forme de la société capitaliste en décomposition quand il écrivait dans L'Anti-Dühring :

  • "L'État moderne n'est que l'organisation que se donne la société bourgeoise pour maintenir les conditions générales extérieures du mode de production capitaliste en face des empiètements tant des travailleurs que des capitalistes individuels. L'État moderne, quelle qu'en soit sa forme, est une machine essentiellement capitaliste, l'État des capitalistes, le capitaliste collectif idéal.
    Plus il s'approprie de forces productives, plus il devient un véritable capitaliste collectif, plus il exploite les citoyens. Les travailleurs restent des salariés, des prolétaires. Le capitalisme n'est pas supprimé, IL EST AU CONTRAIRE POUSSÉ À L'EXTRÈME. L'État propriétaire des forces productives n'est pas la solution du conflit mais il renferme le moyen formel, l'anse par où peut être saisie la solution."

Rosa Luxemburg a bien complété cela quand elle prévoyait ce qui allait se passer dans cette période dernière de la société capitaliste :

  • "La classe capitaliste impérialiste, en sa qualité de dernier rejeton de la classe des exploiteurs, dépasse tous ses prédécesseurs en brutalité et en bassesse. Elle défendra son saint des saints, ses bénéfices et ses privilèges d'exploitation du bec et des ongles, par toutes les méthodes de froide cruauté dont elle a fait preuve dans toute l'histoire de sa politique coloniale et de la dernière guerre mondiale.
    Elle mettra en branle ciel et enfer contre le prolétariat, elle mobilisera les campagnes contre les villes, elle excitera les couches retardées des ouvriers contre l'avant-garde socialiste, elle organisera des massacres avec l'aide des officiers, elle cherchera à paralyser toutes les mesures socialistes par mille moyens de résistance passive, elle soulèvera contre la révolution une vingtaine de Vendées, elle invoquera pour son salut l'invasion étrangère, le fer exterminateur de Clémenceau, de Lloyd Georges et de Wilson, elle préférera transformer le pays en montagne de ruines fumantes plutôt que de renoncer de bon gré à l'esclavage salarié."

Qui a parlé ainsi ? Le chef de la révolution allemande. Rosa se doutait-elle déjà que c'est dans ce pays, où elle était la tête de la révolution, que la bourgeoisie sanguinaire, en premier, amoncellerait ces "montagnes de ruines fumantes" dont elle parle.

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Le bref coup d'œil que nous venons de jeter ensemble sur quelques grandes nations du monde va nous permettre d'apporter les conclusions qui s'imposent.

Au fur et à mesure que la société capitaliste revêt le "caractère avancé" dont parle Engels, elle remet dans les mains de l'État toutes les forces de production. Les capitalistes privés forment un capitaliste collectif idéal. Mais en même temps tout le contrôle, l'organisation de cette nouvelle société "État et Cie" est concentrée entre les mains d'un bureaucratisme tout puissant. A l'exemple de l'armée; forme bureaucratique par excellence, l'État "mobilise" les ouvriers et les encadre par des fonctionnaires, véritables officiers civils. Le chef de chantier, les contremaîtres, les chefs d'équipe, nouveaux cadres civils, copient sur leurs sosies de l'armée un régime de punitions établies tout d'abord (amendes, mises à pied etc.). En Belgique, en Pologne cette mobilisation civile devient effective. Le droit de grève, dernière arme du prolétariat, lui est enlevée. Demain ce sera, comme dans l'armée, la peine de mort pour le "déserteur" ou pour "l'agitateur", le "défaitiste" civil.

En même temps que l'État concentre en lui toutes les forces économiques, il concentre aussi les forces politiques contre l'action de classe du prolétariat.

Mais en même temps que l'État mobilise les soldats contre les ouvriers, qu'il mobilise les ouvriers et leur enlève tout droit d'exprimer les revendications, les transformant en esclaves modernes, il mobilise aussi les consciences.

Là il emploiera tous les moyens dont il dispose : presse, radio, cinéma. Il achètera les hommes, leur donnera les postes avancés dans la société pour maintenir sa domination.

Selon la nécessité, il fera tantôt couler l'encre, tantôt et surtout il fera couler le sang. Il se servira de tous les moyens, de la force, de la ruse, du fer et du feu ou du papier et de la parole - tantôt mielleuse, tantôt flamboyante - de ses hommes à son service.

Et ceux qui lui serviront le plus pour cette dernière mobilisation des consciences seront nos démagogues de "gauche" qui mettront le drapeau rouge et "la voix de Lénine" au service de la bourgeoisie et de la société capitaliste en putréfaction.

C'est ainsi qu'ils lancent, en leur nom, les mots d'ordre de "nationalisation", de "Renaissance française", qu'ils dressent les bonzes syndicaux en briseurs de grève, en délateurs contre les ouvriers conscients, en policiers politiques au service de l'État maître, gendarme et bourreau d'hier en Allemagne et en Russie, d'aujourd'hui en Belgique et en Pologne, de demain en France et en Angleterre.

Marat


[1] On remarquera en passant que, chaque fois qu'il s'agit de liquider une situation de tourmente du genre de celle de l'après-guerre en Allemagne, on trouve toujours représentés les "socialistes" au gouvernement.

[2] Faisons encore une petite remarque en passant : cette défaite du prolétariat chinois est due en grande partie à l'impréparation et aux erreurs politiques de l'Internationale Communiste qui n'a pas su lui donner des directives et des mots d'ordre révolutionnaires mais, au contraire, a donné le mot d'ordre d'union avec la bourgeoisie nationale en rapport avec l'idéologie de l'IC qui défendait les révolutions "nationales" des pays coloniaux et semi-coloniaux. On a vu le résultat. Cela n'empêche pas les trotskistes de défendre aujourd'hui, encore plus à bloc, les nations "opprimées", se mettant ainsi au service de la bourgeoisie.

Conscience et organisation: 

  • La Gauche Italienne [2]
  • La Gauche Communiste de France [3]

Courants politiques: 

  • Gauche Communiste [4]

Rubrique: 

Travaux de la conférence 1945

Le problème du Moyen-Orient

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Les récents événements de Syrie et du Liban ont attiré l'attention du monde entier. Toutes les presses bourgeoises (française, anglaise etc.) ont exposé le problème syrien. Chacune en y faisant prévaloir ses droits culturels (?) ou économiques et en cherchant à rejeter sur l'autre la responsabilité des troubles qui s'y sont déclenchés.

Nous allons examiner le problème syrien en faisant une brève esquisse et en tirant les conclusions en marxistes révolutionnaires. Il faut dire tout d'abord que le problème syrien n'existe pas isolé dans les frontières du Liban et de la Syrie actuels mais est totalement solidaire de toute la région qui est limitée au nord par le contrefort du plateau arménien, la Mer Caspienne, la chaîne de montagnes qui sépare l'Iran du Turkestan au sud-est est bordée par l'Indus, au sud la Mer Arabique, le Golfe persique, le désert d'Arabie, à l'ouest la Mer Rouge, Suez et la Méditerranée. C'est donc, dans leur ensemble, les pays qui forment cette vaste région : Palestine, Liban, Syrie, Arabie Saoudite, Irak et Iran qui sont aujourd'hui à l'ordre du jour. Examiner le problème syrien sans en même temps jeter un regard sur eux serait vouloir parler du cerveau sans parler du système nerveux.

La Méditerranée ayant été le berceau de la civilisation, il est juste de ne pas passer sous silence l'importance qu'a joué cette partie du monde depuis l'antiquité. Il suffit d'évoquer le nom de Tyr, de Sidon et de Babylone, de se rappeler le rôle qu'ont joué les Phéniciens en Méditerranée ; et quand on voit, dans l'histoire, les nombreuses guerres qui se sont succédées dans la région, les grands conquérants de l'antiquité tour à tour attirés par la possession de ces pays, position-clé reliant à la fois l'Europe, l'Asie et l'Afrique ; quand on se rappelle que les grands courants linguistiques dits indo-européens sont partis de là et que les grands courants religieux y ont vu le jour, on comprendra que le rôle de premier ordre qu'a toujours joué cette région dans l'histoire n'a rien perdu de sa valeur et qu'au contraire elle est appelée à le jouer encore. Il n'est donc pas inutile que le monde ait les yeux tournés vers "l'Orient".

Le Moyen-Orient a une importance considérable parce qu'il est la seule région du monde qui réunit à la fois tant de rôles principaux de la vie du monde actuel :

I° grand centre de communications,

II° sous-sol très riche en pétrole,

III° centre religieux important.

I° C'est au Moyen-Orient qu'aboutissent les routes millénaires de la soie et des épices venant de l’Extrême-Orient. Les Phéniciens, qui furent de grands commerçants, s'étaient également servis des pierreries et de l'ivoire pour l'exportation ; plus tard, c'est pour la possession de toutes ces richesses que seront attirés les grands conquérants.

A l'époque moderne, avec la naissance et le développement du capitalisme, le Moyen-Orient deviendra un champ de convoitises et de luttes constantes entre les grands pays capitalistes pour la possession de cet important centre et nœud de communications mondiales. Dans l'intérêt de la jeune république bourgeoise française, Napoléon tentera d'enlever cette route à l'Angleterre. Lesseps ayant construit le canal de Suez, les Anglais firent tout pour que la France ne puisse pas contrôler le canal et, par là même, le commerce anglais avec l'Inde et l'Afrique occidentale. L'impérialisme allemand, surgi à une époque tardive, tentera de rattraper son retard par une politique visant à se faire à tout prix une place dans le Proche-Orient (batailles dans les Dardanelles, batailles autour du chemin de fer de Bagdad...).

Quelle est actuellement l'importance des différentes routes qui relient directement les trois continents (Europe, Asie, Afrique), qui assure également la liaison avec l'Océanie et, dans une certaine mesure, même avec l'Amérique ?

Routes maritimes :

Suez est pour l'Angleterre d'une importance vitale parce que c'est la route commerciale qui conduit ses navires marchands venant de la métropole vers l'Afrique occidentale et même l'Afrique du sud, vers les Indes et l’Extrême-Orient ainsi que vers l'Océanie et l'Australie. La France aussi avait de grands intérêts à la possession du canal de Suez pour son commerce avec Madagascar, ses comptoirs aux Indes, ses colonies d'Indochine et ses concessions en Chine.

La Hollande également avait un important trafic avec ses possessions aux Indes et dans la Mer des Indes.

Les grandes compagnies américaines de pétrole - la Standard Oil, la Bahrein Petroleum Company, l'Arabian-américan Oil Company - avaient des exportations par mer avec tous les pays du monde.

Routes terrestres :

Les chemins de fer d'Asie Mineure prolongent les voies européennes - qui aboutissent à Constantinople - et vont d'une part vers le Golfe persique, d'autre part, par la Syrie, vers la Palestine et (raccord avec le réseau égyptien) vers Médoul.

Trans-iranien : du Golfe persique à la Caspienne.

Pendant la guerre on a réalisé la jonction entre la Russie méridionale d'une part et l'Asie occidentale, Iran et Océan Indien d'autre part. Il est certain que les routes reliant le Moyen-Orient à la Russie ne perdront pas de leur importance après la guerre, au contraire, en raison de l'extrême concentration industrielle commencée dès 1928 en Russie méridionale et qui s'est encore accentuée au cours de cette guerre.

Le premier pipeline est celui qui relie le bassin pétrolifère de Mossoul à la Méditerranée et qui se sépare en deux branches avant sa sortie de l'Irak : une branche allant alimenter le port français de Tripoli, l'autre le port anglais de Haïfa. Le second relie la raffinerie d'Abadan, la maïdan Naphtoun (à l'anglo-Persian) au Golfe persique.

Un autre pipeline est en projet reliant Kerkouk à Haïfa. Il aurait 40 cm de diamètre sur une longueur de 620 miles, pouvant transporter 4 millions de tonnes de pétrole non raffiné annuellement, ce qui représentera le double du pipeline actuel. La réalisation de ce projet se ferait en 1948.

D'autres pipelines sont en projet mais leur mise en exécution a été différée pour la raison bien simple que ce sont les américains - qui viennent de mettre la main sur une grande partie du bassin d'Arabie Saoudite et du Hedjaz actuellement en prospection - qui les avaient projetés et qu'un conflit entre eux, les anglais et les russes avait immédiatement éclaté à ce sujet. On ne peut encore rien tabler, la question étant encore en suspens. Cependant on peut prévoir que les États-Unis feront de grandes constructions vu l'importance de leur prospection.

Routes aériennes :

  • Deux lignes anglaises (Imperial Airways) : l'une de Londres au Cap, passant par Marignane, Rome, Athènes, Alexandrie, Khartoum etc. ; l'autre d'Alexandrie vers Bagdad, Karachi, Calcutta, Rangoon, Singapour, et de là vers Hong-Kong d'une part, et d'autre part vers Batavia, Port-Darwin et Sydney.
  • Une ligne française (Air France) : Marignane, Tunis, Tripoli, Alexandrie, Beyrouth, Bagdad, Karachi, et de là vers Saïgon (depuis 1930), Hanoï (depuis 1935) et Hong-Kong (depuis 1938).
  • Une ligne hollandaise (KLM) : de Hollande vers les Indes néerlandaises par le trajet anglais.
  • Une ligne allemande (Lufthansa) : Berlin, Vienne, Athènes, Bagdad, Téhéran, Kaboul.

Pendant la guerre une ligne venant des USA a atteint Lagos (Nigeria) et de là l'Égypte, Bassorah et l'Asie centrale.

II-Importance du Moyen-Orient - Centre pétrolifère.

C'est là que le problème revêt toute son importance. C'est pour le pétrole que les chacals impérialistes se montrent les dents, prêts demain à s'entre-égorger. Le pétrole est l'élément clé pour toute l'activité industrielle et commerciale mondiale.

En 1890 la consommation mondiale du pétrole se montait à 11 millions de tonnes ; en 1913, elle était de 53 millions ; en 1918 de 71,8 ; en 1919 de 74,5 ; en 1920 de 98 millions de tonnes. Pendant cette guerre-ci, il est certain que la consommation du pétrole a dû dépasser de loin toutes les prévisions bien que le pétrole synthétique ait été fabriqué en grande quantité.

Les États-Unis -qui, avant la guerre, avaient une production égale à 65% de la production mondiale- dépassaient en 1944 les 200 millions de tonnes par an.

Avant d'examiner le problème du pétrole dans le Moyen-Orient, il serait utile de dire l'importance du pétrole dans la vie du monde actuel pour se rendre compte exactement de la signification des luttes qui se livrent autour de sa possession. Si l'on ajoute à la multiplicité des utilisations directes (gazoline et pétroles lampants, essence à moteur, mazout épais pour les machines, huiles lubrifiantes) les quelques 300 matières (vaseline, paraffine, cire etc.) que l'industrie moderne tire des sous-produits du pétrole, on comprendra qu'il est une matière première de tout premier ordre, dont la possession donne une incontestable puissance économique.

Les États-Unis ont une réserve évaluée à environ 2,7 milliards de tonnes (environ 36% des réserves mondiales). La mer des Antilles et l'URSS ont chacune des réserves de l'ordre de 1 milliard de tonnes. La Chine également est très riche bien qu'on ne connaisse pas encore dans quelle proportion exacte. Et les réserves du sous-sol du Moyen-Orient sont déjà évaluées à 2,5 milliards de tonnes et certains affirment même davantage.

Les États-Unis et l'URSS tirent de leur propre sol le pétrole qu'ils consomment, tandis que la France et l'Angleterre doivent l'importer. Il y a au Moyen-Orient un bassin pétrolifère très important déjà exploité depuis quelques années, le bassin de Mossoul (évalué à environ 1,4 milliards de tonnes), longeant la frontière Irak-Iran, touchant presque la frontière turque au nord-ouest et le Golfe persique au sud-est. Un autre, exploité plus récemment, se trouve dans l'île de Bahrein (Golfe persique). Deux autres sont actuellement prospectés par des ingénieurs américains, celui d'Arabie Saoudite et celui du Hedjaz.

Un autre encore est prospecté par les russes dans la République soviétique d'Arménie et au sud de la Caspienne dans le nord de l'Iran.

La répartition actuelle des pétroles de Mossoul est :

  • pour les anglais (Anglo-Persian) : 23,75%
  • pour un groupe anglo-hollandais (Royal Dutch) : 23,75%
  • pour les français (Cie française des pétroles) : 23,75%
  • pour les américains (Standart Oil) : 23,75%
  • un particulier, Mr Gulbenkian : 5%

La France tirait, en 1938, 3 millions de tonnes de Mossoul, soit environ la moitié de ses besoins en pétrole.

Les pétroles de l'île de Bahrein et d'Arabie Saoudite, appartenant à la Bahrein Petroleum Company et l'Arabian-american Oil Company, appartenant conjointement à la Texas Company et à la Standart of California, sont produits par les deux sociétés à la cadence de 60.000 barils[1]1 par jour (cadence qui sera doublée à la fin de l'année, si l'on en croit les rapports des dites compagnies). La production américaine totale quotidienne serait actuellement de 4,8 millions de barils.

Centre religieux important

Jérusalem a longtemps représenté, pour l'Europe chrétienne, la "ville sainte" et a servi de prétexte aux croisades. Toutefois l'attention du monde chrétien a été détournée de Jérusalem par les trois grands courants qui se sont formés dans la religion chrétienne :

  1. le catholicisme dont le pape est à Rome, ce qui détourne l'attention des catholiques vers Rome ;
  2. les orthodoxes dont le grand prêtre est à Constantinople ;
  3. le protestantisme divisé lui-même en plusieurs églises.

La Palestine ("la terre promise") a longtemps hanté le peuple israélite dispersé dans le monde. Mais, de nos jours, l'assimilation des israélites dans les pays où ils vivent devient telle que la Palestine n'attire plus que quelques juifs sionistes. La crise économique, la guerre, l'antisémitisme et les atrocités contre les juifs ont déterminé une recrudescence du nationalisme juif que l'Angleterre utilise adroitement à ses fins et pour sa politique coloniale au Proche-Orient.

La Mecque est un grand centre religieux du monde musulman, qui s'étend de la Chine du sud et la Malaisie jusqu'au Soudan, et son importance s'est renforcée à la faveur de l'éclipse d'Istamboul et du renforcement du mouvement pan-arabe.

C'est ce mouvement pan-arabe que l'Angleterre appuie depuis de longues années et c'est à la faveur de cette politique qu'elle peut, sans agir elle-même, entraîner des mouvements chez les arabes quand elle estime qu'ils sont nécessaires à la défense de ses intérêts.

A cette politique religieuse menée par l'Angleterre avec patience, modération mais avec force et assurance, les États-Unis devaient, pour s'introduire dans les pays arabes, s'appuyer sur une politique à la fois rapide, pratique et solide. Les grandes sociétés américaines sont immensément riches ; c'est avec le poids de leur argent qu'elles ont compté pour arriver les premières à la prospection et à l'exploitation des nouvelles nappes de pétrole et elles ont en grande partie réussi. Les américains sont arrivés en Arabie les poches bourrées d'or, dans des automobiles de grand luxe. Ils ont donné des voitures dernier cri aux petits "(...)" arabes, leur ont installé des salles de bain, modernisé leur vie. Ils ont acheté à coups de dollars tout ce qui se dressait sur leur chemin.

De cette façon l'Amérique obtenait en 1939, dans l'Arabie Saoudite, une concession pétrolifère plus vaste que la France : 700.000 kms2. C'est aussi, sans doute, une des raisons qui firent que Roosevelt, en revenant de Yalta, quoique déjà fatigué, passa au Caire pour avoir des conversations avec le roi d'Arabie. Mais en même temps qu'il menait en Arabie même cette politique, il l'appuyait, en 1944, d'un véritable chantage international. En effet, en 1920, quand il s'agissait pour les américains d'obtenir les 23,75% de Mossoul qu'ils ont actuellement, ils prétendirent que leur réserve nationale allait s'épuiser rapidement et firent valoir leurs droits en montrant la part qui avait été, dans l'effort de guerre "allié", joué par la production pétrolifère des USA, et ce qui avait été consommé de ce pétrole dans la guerre.

Ils recommencent aujourd'hui le même chantage en faisant ressortir que 95% de l'essence employée par les "alliés" dans cette guerre était de l'essence américaine.

Cependant les impérialismes commencent à en avoir assez de se regarder dans les yeux ; ils semblent se décider à passer à l'action.

La Russie reste pour l'instant dans la demi-expectative tout en mettant sa grosse patte sur les pétroles du sud de la Caspienne[2]2.

Les USA, étant les plus forts, consolident leurs conquêtes économiques toutes récentes. Quant à l'Angleterre, devant la toute-puissance de l'un et de l'autre, n'osant se servir des 600000 de troupes qu'elle a là-bas contre eux, et en même temps prise de peur devant leur toute puissance grandissante, elle se retourne contre le plus faible des brigands, la France, dans l'espoir de s'approprier de cette façon sa part de pétrole. Le grand vaincu de cette guerre n'est pas seulement l'Allemagne - qui en raison de la richesse de son sous-sol pourra demain se relever - mais la France qui est aussi une grande vaincue et l'Angleterre le sait bien.

Et tant il est vrai qu'entre chacals impérialistes les plus faibles sont toujours dépecés par les plus forts : le dépècement de la France commencé par les anglo-saxons pendant la guerre dite de "libération des peuples opprimés" se poursuit.

Le plus drôle de l'histoire c'est que, dans les conflits entre la France et l'Angleterre en Syrie, chacun prétend sauvegarder l'indépendance et la liberté des peuples syrien et libanais. Les événements chronologiques qui ont marqué l'affaire syrienne en disent long sur les "méthodes démocratiques" des grands alliés pour régler les conflits inter-impérialistes qui naissent entre eux.

20 et 21 mai : "Combat"

"... cependant la nervosité semble s'accroître dans les État du Levant où arrivent des renforts français, terrestres et navales ; Libanais et Syriens paraissent désireux de conclure entre eux un traité d'alliance... à Londres comme à Washington, on s'applique beaucoup à nous convaincre des bonnes intentions que l'on nourrit à notre égard..."

31 mai : "Journal de Genève"

"Situation tendue à Damas et à Beyrouth.

Damas 31 : (exchange) Les dernières nouvelles concernant la situation dans le Levant permettent de conclure que l'état de guerre existe en fait en Syrie et dans le Liban. Les combats se déroulent surtout autour de Damas où les français, sans doute pour répondre à des provocations des rebelles, sont intervenus avec leur aviation et leur artillerie.

Beyrouth 31 : (exchange) Près de 100000 jeunes gens se sont engagés dans les gardes nationales. La grève générale a de nouveau été proclamée... les communications téléphoniques entre Beyrouth et Damas sont interrompues".

D'autre part un communiqué officiel anglais flétrit l'attitude française en Syrie, lui reprochant surtout de ne pas avoir donné à la Syrie et au Liban l'indépendance promise. La France répond à l'Angleterre que celle-ci "protège" bien l'Égypte et l'Irak et qu'elle peut très bien "protéger" la Syrie et le Liban de la même façon.

1er juin : "Combat"

"Churchill requiert de De Gaulle de donner aux troupes françaises du Levant l'ordre de cesser le feu." (en grande manchette).

"Dernière minute"

"Washington 31 mai : la radio américaine déclare ce soir que 'Radio Beyrouth' a diffusé une information selon laquelle le Général Paget, commandant en chef des forces britanniques de Syrie, s'est mis en rapport avec le commandant en chef des troupes françaises du Levant. Radio Beyrouth a ajouté que des ordres avaient été transmis au commandement français en vue de donner satisfaction à la demande du gouvernement britannique." Sans commentaires!!!

"Bombardements à Damas : 200 blessés. Bombardements à Mhama : 100 blessés, 100 tués."

3 et 4 juin

"Le général De Gaulle s'adresse à la presse... Les combats ont cessé en Syrie... Pour donner satisfaction à une demande du gouvernement britannique... Le gouvernement français a donné l'ordre à ses troupes de cesser le feu. Cet ordre a été immédiatement exécuté... Une conférence tripartite (Angleterre,  État-Unis, France) va se réunir... La France sait, en effet, que, si elle abandonne ces régions, d'autres pays se substitueront à elles et profiteront des sacrifices nationaux et moraux qu'elle a depuis si longtemps consentis."

"Libé-Soir" : "Les déclarations officielles constitueront en quelque sorte le prélude des conversations que le gouvernement français aura avec les gouvernements anglais et américain ; et éventuellement (?!) avec les divers États arabes. Conversations dit un communiqué de la Présidence du Conseil qui porteront sur l'ensemble de la situation dans le Proche-Orient et dont il conviendrait, ajoute la note, 'que le gouvernement soviétique fut tout au moins informé' "

La France pense sans doute noyer le poisson.

6 juin : "Combat"

"Le gouvernement français propose, comme l'URSS, que les problèmes d'Orient soient examinés dans une conférence à 5, tandis que Londres tient toujours à une conférence à 3."

13 juin : "France-Soir"

"Tous les français - civils, religieux, militaires - sont évacués de Syrie... où aucune maison française n'a échappé au pillage."

14 juin : "Combat"

"Les Anglais annoncent qu'ils maintiendront le Liban sous leur contrôle jusqu'à la fin des hostilités en Extrême-Orient."

"Bien que, dans l'ensemble, une certaine (...) ait été constatée en Syrie, la journée a été marquée par des incidents sérieux à Alep. Des livres français ont été brûlés publiquement."

Pauvre France impérialiste ! Il semble que son symbole actuel soit plutôt une poule mouillée qu'un coq gaulois !

PH


[1] Un baril équivaut à 159 litres.

[2] Il est important, à ce propos, de souligner que l'industrie soviétique a subi depuis 1928 un déplacement qui s'est encore accentué pendant cette guerre et semble vouloir se poursuivre. Il s'agit d'importantes industries dans la Transcaucasie, la Sibérie du sud et les Républiques soviétiques du Turkestan. Il est certain qu'une telle concentration industrielle si proche du Moyen-Orient en fasse un point névralgique. La Russie veillera donc de près à la sécurité d'une région qui devient pour elle d'une importance économique de tout premier ordre.

Géographique: 

  • Moyen Orient [5]

Conscience et organisation: 

  • La Gauche Communiste de France [3]

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Links
[1] https://fr.internationalism.org/en/tag/vie-du-cci/polemique [2] https://fr.internationalism.org/en/tag/conscience-et-organisation/gauche-italienne [3] https://fr.internationalism.org/en/tag/conscience-et-organisation/gauche-communiste-france [4] https://fr.internationalism.org/en/tag/courants-politiques/gauche-communiste [5] https://fr.internationalism.org/en/tag/5/56/moyen-orient