L'objet de cette conférence ne consiste pas à faire une analyse détaillée du mouvement ouvrier français mais de donner un aperçu général de divers groupements politiques et syndicaux qui agissent au sein du prolétariat français, de tracer dans les grandes lignes leur orientation, la place qu'ils occupent dans la lutte de classe, leur possibilité de développement ultérieur, d'indiquer l'attitude, la position politique critique que prend notre fraction de la Gauche communiste à l'égard de chacun des groupes.
L'étendue d'un tel exposé ne peut que s'accompagner d'un schématisme inévitable. Il va de soi que cette conférence ne prétend nullement épuiser l'analyse et la critique des divers groupes agissant et surgissant dans le prolétariat ; elle ne fait que passer en revue, que donner un tableau général du mouvement ouvrier en France à l'heure actuelle. Dans son activité politique, dans sa presse et dans ses conférences, notre fraction aura plus d'une fois l'occasion de revenir et de combattre en détail les positions défendues par chacun de ces groupes.
On appelle "Libération" de la France le changement d'occupation. L'occupation ouverte et brutale de la France par l'impérialisme allemand, avec un gouvernement Pétain-Laval, a cédé la place à une occupation qui, plus camouflée; plus hypocrite, n'en est pas moins réelle économiquement, politiquement et militairement par les puissances "démocratiques" anglo-américaines. Le gouvernement De Gaulle est plus "indépendant" que celui de Pétain dans la mesure où il entre bénévolement et volontairement dans les vues de la politique des maîtres anglo-saxons.
Toute velléité de faire une politique indépendante, en opposition aux intérêts du capitalisme anglo-américain, se heurte à des barrières infranchissables, ramenant la bourgeoisie française et son gouvernement à une compréhension plus réaliste de ses possibilités.
Le capitalisme français ne s'est pas libéré, il n'a fait que changer de tuteur. Il a irrémédiablement perdu son indépendance économique (et politique) et est condamné à vivre et à évoluer dans l'ornière des autres grandes puissances impérialistes.
Si la "Libération" n'a pas apporté, pour le capitalisme français, un changement substantiel dans le sens de l'indépendance, elle a encore moins apporté une modification dans le sort et dans la vie du prolétariat. Les illusions savamment entretenues par le capitalisme sur l'amélioration de ses conditions de vie matérielles aussi bien que politiques s'évanouissent et se dissipent chaque jour davantage. La guerre, les massacres et la misère continuent ; au lieu de mourir pour l'hégémonie de l'impérialisme allemand, on les fait mourir pour l'hégémonie de l'impérialisme anglo-américano-russe ; à la place des Légions de volontaires de Pétain-Doriot, c'est la mobilisation militaire obligatoire de De Gaulle-Thorez ; à la place du travail obligatoire de l'organisation Todt, c'est le travail obligatoire de Parodi. Le nom, l'étiquette, (…) ont changé mais le contenu, l'exploitation et la misère sont restés les mêmes. Dans le domaine de la liberté politique, la "démocratie" n'a changé que le droit d'applaudir De Gaulle au lieu de Pétain mais aucune liberté de classe – la liberté de réunion, la liberté de presse, la liberté de grève – n'est accordée aux ouvriers. Tout comme sous l'occupation allemande, les révolutionnaires sont traqués et obligés (…) dans l'illégalité.
L'accusation de "5ème colonne" des staliniens a remplacé celle "d'agent de Moscou" des doriotistes pour terroriser et réprimer toute manifestation de mécontentement de classe des ouvriers.
Mais la "Libération" a toutefois apporté quelque chose. Elle a usé et tari la source du chauvinisme si largement exploitée pendant des années par le capitalisme français pour dévoyer le prolétariat qui se trouvait dans le fait de l'occupation et de la répression féroce de l'impérialisme allemand. La fin de l'occupation allemande devait faire apparaître au grand jour les positions et les programmes de tous les partis et ce qu'ils présentaient de positif, de constructif pour remédier à la misère du prolétariat. La fin de l'occupation allemande devait entraîner la caducité des slogans chauvins d'anti-boches et permettre aux ouvriers de commencer à mieux distinguer et reconnaître, dans cette masse, les différents partis jusque-là camouflés derrière les rideaux de mensonge de l'anti-fascisme.
La confusion n'est certes pas encore complètement dissipée. Tel groupe ou parti a disparu au cours de la guerre ou tend à disparaître ; d'autres, des nouveaux, surgissent. Mais au travers de cette confusion, de disparitions et d'apparitions des groupes et des partis, nous pouvons déjà les distinguer et les classer dans trois grandes tendances :
1. ceux qui sont, dans leur nature et leur fonction, consciemment des organes de la bourgeoisie dans le prolétariat ;
2. ceux qui, tout en croyant défendre les intérêts du prolétariat, sont prisonniers en fait d'une série de positions qui les rattache et les relie plus ou moins directement aux positions de classe de la bourgeoisie ;
3. ceux qui représentent les tendances révolutionnaires du prolétariat.
Le parti stalinien qui s'intitule encore PCF est incontestablement le parti le plus à "droite" dans le mouvement ouvrier. Quand nous employons le terme de "droite", nous ne voulons nullement dire que c'est un parti ouvrier de droite, un parti opportuniste. Le parti stalinien, depuis longtemps, a perdu tout caractère ouvrier. Nous employons ici le terme de "droite" dans un tout autre sens. C'est pour le situer par rapport aux autres partis bourgeois qui agissent au sein du prolétariat. La caractéristique particulière de ce parti issu de la dégénérescence et de la trahison du centrisme au sein de la 3ème Internationale, c'est d'être passé à la droite du parti socialiste issu de la dégénérescence et de la trahison de la 2ème Internationale en 1914 et qui est lui aussi un parti de la bourgeoisie. Cette évolution du parti stalinien, qui surprend et semble à première vue paradoxale, trouve son explication dans le rôle particulier et différent qu'a eu à jouer ce parti dans la lutte de classe. Le parti socialiste passé dans le camp de la bourgeoisie n'a jamais joué qu'un rôle d'auxiliaire de la bourgeoisie nationale. Même quand il remplit la haute fonction, tenant en main le gouvernail de l'État, même quand il se charge de l'ignoble fonction de bourreau sanglant contre la révolution comme Noske en Allemagne, il ne fait qu'être au service commandé de la bourgeoisie qui reste toujours l'unique et véritable maître de la société. Toute autre est la position du stalinisme. La bourgeoisie russe fut défaite par la Révolution d'Octobre et expropriée durant les premières années de la révolution prolétarienne. La contre-révolution en Russie ne pouvait être faite avec les débris des anciennes classes disloquées. C'est au sein de la bureaucratie maîtresse de l'État que surgissent les éléments qui donnent naissance à la nouvelle bourgeoisie, en s'appuyant d'ailleurs sur les éléments de l'ancienne bourgeoisie qu'elle incorporera. Cette évolution de renaissance du capitalisme trouvera dans le stalinisme et dans ce que fut autrefois le parti du prolétariat, épuré de ses éléments prolétariens (physiques et idéologiques) la base, l'organe de l'accomplissement de la contre-révolution. De même que la contre-révolution de la bourgeoisie thermidorienne trouvait son expression dans les jacobins de Thermidor, de la même façon la contre-révolution capitaliste en Russie devait trouver son expression et son représentant dans le parti stalinien.
Les mesures préventives que prend une classe contre la menace révolutionnaire d'une autre classe sont toujours plus clémentes que les représailles contre-révolutionnaires exercées en retour par une classe un moment dépossédée de ses privilèges. L'histoire nous enseigne jusqu'où peut aller le déchaînement de vengeance et la férocité sanguinaire d'une classe contre-révolutionnaire. L'exemple de la Commune de Paris, noyée dans le sang par le retour du gouvernement républicain de Thiers, n'est désormais plus un exemple unique dans l'histoire. Noske le social-démocrate, Hitler le fasciste devaient confirmer dans le sang des ouvriers allemands cet enseignement de la Commune.
La violence du stalinisme en Russie est en proportion du temps et de la force de la révolution qu'il était appelé à anéantir directement et pour son propre compte. Et rien n'est donc paradoxal et surprenant dans le fait que les partis liés à l'État russe soient justement les partis les plus réactionnaires et les chauvins les plus hystériques.
Usurpant les souvenirs de la Révolution d'Octobre restés toujours chers au cœur des ouvriers, l'influence du parti stalinien dominait le prolétariat français. Encore aujourd'hui, c'est le parti le plus fort dans le sein du prolétariat de ce pays. Mais aussi le point culminant de son influence marque son talon d'Achille.
De même que la politique de la Russie, ses occupations finissent par dessiller les yeux des ouvriers sur sa vraie nature impérialiste, le parti stalinien en France, qui vit sur le prestige de l'État russe, va en se démasquant. La rentrée dans un gouvernement capitaliste, devenu un parti gouvernemental, l'oblige à prendre de plus en plus ouvertement des positions anti-ouvrières. Le dernier discours de Thorez à Ivry a fait de ce secrétaire et de son parti le champion de la croisade anti-ouvrière. Obligé d'abandonner la démagogie, Thorez s'est clairement prononcé contre les revendications économiques, contre les illusions de réformes de structure, de maintien des milices patriotiques, pour la formation d'une police et d'une armée fortes. Tout pour l'effort de guerre.
Si toute la bourgeoisie a longuement et chaleureusement applaudi à ce langage viril du nouvel "homme d'État" (l'Ordre de Buré), les ouvriers staliniens se trouvaient consternés. Le mécontentement s'est brusquement fait jour dans les rangs et ce mécontentement va en s'accentuant. C’est dans la jeunesse, plus directement touchée par la mobilisation, que le mécontentement s'est le plus nettement manifesté. C'est pour éviter à ce mécontentement de la jeunesse de s'élargir et de s'approfondir que Thorez a décidé la dissolution des Jeunesses Communistes provoquant des protestations multiples des groupes de JC.
Le parti stalinien, quoiqu’encore le plus fort parti, perd du terrain et de l'influence sur les masses ouvrières. Aucun doute que cette tendance ira en s'accentuant dans les mois à venir. Le battage sur l'unification avec le PS dans un parti unique ne semble pas être vraiment sérieux. L'existence de ces deux partis sert mieux les intérêts de la bourgeoisie par la confusion qu'elle entretient. Une autre raison est qu'une fraction du capitalisme français, réduit à la position de vassal des puissances anglo-américaines, s'oriente et se tourne vers la Russie. Cette fraction de la bourgeoisie trouve dans le parti stalinien son expression, tandis que le PS est et restera le commis anglo-américain. Et la dernière raison, et non la moindre, est dans l'intérêt qu'a l'État russe d'avoir et d'entretenir l'agence perfectionnée et profitable qu'est le PC, d'autant plus que la perspective d'une guerre impérialiste américano-russe reste toujours une éventualité de demain.
La décomposition du parti socialiste durant la guerre n'a d'égal que celle du parti radical. Comme ce dernier, il s'est discrédité à la tête du gouvernement et du front populaire. Les ouvriers n'ont pas oublié que c'est à Blum qu'ils doivent d'avoir été dupés en 1936. Blum avait raison de se vanter, dans le procès de Riom, que c'est grâce à lui que la bourgeoisie s'est tirée à si bon compte en 1936. "Les usines aux patrons, les ouvriers dans les usines et la rue à la police" était vraiment une politique très habile. Accords de Matignon, la pause, l'arbitrage obligatoire, voilà les étapes de l'étranglement des mouvements revendicatifs du prolétariat pour le mener, sous l'égide du Front Populaire, à la guerre impérialiste.
La défaite de la France en 1940 a produit la dislocation de ce parti dont une grande partie devait voter pour Pétain. La défection des meilleurs de ses militants, comme son secrétaire général Paul Fort et autres munichois, des autres avec Spinasse qui publiaient le journal "L'effort" ont servi de soutien du gouvernement Pétain-Laval. Ce parti a même fourni des ministres sous l'occupation, comme Chassaigne. Toute cette décomposition a réduit le PS presque à zéro.
La "libération" devait mettre à nu cet état. Une indication est fournie par la pauvreté des nouveaux chefs. L'exemple est donné dans le fait de voir un Daniel Mayer, un homme de 10ème ordre, occuper la place d'un Faure ou d'un Blum.
Seul l'ultra-chauvinisme des staliniens et leur parti lié à l'impérialisme russe a fait qu'en partie le PS a pu regrouper certains éléments qui, non sans être chauvins, répugnent au déchaînement hystérique des staliniens. Le PS, dont la composition est nettement petite-bourgeoise, se retrouve maintenant que l'ouragan est passé. Incapables d'affronter la moindre lutte sérieuse, ces éléments sont par contre tout à leur aise dans l'eau douce et trouble du parlementarisme qui est leur élément naturel. Même décapité de ses chefs, ce parti a gardé l'échine souple ; et son habileté dans la démagogie lui permet, face au chauvinisme sanguinaire des staliniens, de paraître comme un parti plus à gauche, plus démocrate. Son attitude démagogique qui frise parfois une attitude d'opposition au gouvernement fait qu'il se renforce et regagne du terrain aux dépens des staliniens. Le prolétariat français rencontrera encore plus d'une fois, lui barrant sa route, ce parti visqueux de la démocratie bourgeoise.
L'appendice de gauche du parti socialiste, l'ancien PSOP, est pour le moment inexistant. Tandis que "le grand chef" de ce parti, Marceau Pivert, a offert - de Mexico où il s'est réfugié le lendemain de la défaite - ses services à De Gaulle "tout comme Lénine s'est servi d'anciens officiers tsaristes" (déclaration de Pivert en 1941). Les petits chefs, les Collinet et autres Patri, enseignent le marxisme, du bureau de Londres, dans les colonnes de la "Volonté". Leur influence sur les ouvriers est à jamais finie.
Un autre groupe – qui, avec Ferrat et Rimbert, publiait "Que faire" avant la guerre – a enfin trouvé la réponse tant cherchée pendant des années. Que faire ? Mais de la Résistance voyons ; et tout en faisant mine de protester contre l'erreur de morcellement de l'Allemagne et les appétits impérialistes trop prononcés des vainqueurs, il bénit néanmoins cette guerre Sainte contre le "fascisme" allemand. Le journal hebdomadaire que ce petit groupe publie s'appelle "Liberté". La liberté et la légalité sont évidemment accordées par l'impérialisme à ceux qui le servent.
Ce qui est particulier à la CGT, c'est l'opposition existant entre sa base et sa nature d'une part, en tant qu'organisme unitaire économique du prolétariat, et son rôle, son orientation, sa fonction et sa direction d'autre part, nettement anti-prolétariens.
L'évolution récente du mouvement syndical pose certainement la question de savoir dans quelle mesure cette organisation exprime et peut exprimer encore des possibilités de la lutte du prolétariat pour ses revendications. Il serait trop long d'ouvrir ici aujourd'hui le débat et de tenter de donner une réponse définitive. Contentons-nous pour l'instant de souligner les caractères nouveaux de cette évolution. La nature de classe des syndicats, même les plus réformistes, était donnée :
1)°par le fait qu'ils groupent les ouvriers en tant que salariés dans le but de la défense de leurs intérêts immédiats et élémentaires face au patronat ;
2) par le caractère de formation volontaire par les ouvriers eux-mêmes, contrairement aux corporations, aux syndicats uniques fascistes qui sont une obligation imposée par l'État ;
3) par leur indépendance organique à l'égard du patronat et de l'État.
Le propre du mouvement syndical à la suite de la "Libération" consiste non pas de lutter pour une amélioration ou même pour la défense du maintien des conditions de vie des ouvriers. Les directions syndicales sont des outils, entre les mains de l'État, pour gêner leur défense et, en certains cas même, pour imposer leur aggravation (comme dans les journées de travail gratuit pour la reconstruction, le prélèvement imposé sur les salaires pour parrainer l'effort de guerre et, encore plus directement, dans le maintien d'un salaire inférieur dans les usines dites nationalisées et gérées par les comités syndicaux par rapport aux salaires en cours dans les usines privées de la même industrie).
D'organismes spontanés de défense des intérêts élémentaires des travailleurs, les syndicats tendent à devenir les organes imposés par l'État pour la mobilisation des ouvriers en vue de la poursuite de la guerre et de l'effort de guerre dans la production. Ainsi ce seront les syndicats qui assureront l'interdiction de la grève et dénonceront les ouvriers mécontents à la police en les chassant de leur lieu de travail. D'organismes crées spontanément, naturellement et volontairement par les ouvriers, les syndicats deviendront des organismes importés, imposés aux ouvriers, contrôlant (et faisant la police pour le compte de l'État) les ouvriers sur leur lieu d'exploitation. De l'indépendance organique, il n'est plus question.
Autrefois, dans les guerres de conquêtes coloniales, l'impérialisme faisait marcher, derrière l'armée, le missionnaire et la prostituée. Dans les guerres de "libération", la force militaire est toujours suivie du missionnaire religieux ou politique, mais la place de la prostituée est occupée par… la direction toute prête des centrales syndicales.
En France, la CGT trouve encore ce caractère accusé du fait de sa totale domination par les hommes du parti stalinien. Elle participe officiellement au bloc gouvernemental dans la "Résistance" d'abord, dans la guerre, dans l'assemblée consultative et elle va se présenter demain aux élections. La CGT est une organisation gouvernementale. Son grand nombre d'adhérents (4 millions) est dû surtout à une pression exercée sur les ouvriers sur les lieux de travail plutôt qu'à un élan des ouvriers pour se syndiquer.
La perte de l'influence de la CGT est indiscutable. On constate, ces derniers temps, une tendance très nette et accélérée des ouvriers à quitter les syndicats. Les grèves qui éclatent sont généralement faites malgré et contre la volonté des directions syndicales ; et très souvent elles sont spontanées et extra-syndicales, c'est-à-dire mettant les organisations syndicales devant le fait accompli.
Hautement significatifs sont les objectifs des mouvements. Ils portent moins sur les revendications de salaires et de conditions de travail que sur les problèmes de ravitaillement. Débordant le cadre étroit des revendications corporatives et économiques en tant que salariés, ils acquièrent un caractère social plus large, touchant toute la masse travailleuse. Telles sont les manifestations spontanées des 10.000 ouvriers à Lyon en janvier, l'action directe des mineurs de Denain et d'ailleurs, envahissant les carreaux de la mine et distribuant gratuitement les stocks de charbon, la grève spontanée, la manifestation et l'occupation, pendant des heures, de la préfecture, et bien d'autres.
Dans la région parisienne où se trouve concentrée toute la bureaucratie qui, au travers de l'ossature syndicale, contrôle mieux la masse ouvrière, cette dernière n'a toutefois pas pu empêcher l'éclatement des grèves des dockers du port de Paris, des imprimeurs, du commerce, du cinéma et certains mouvements dans la métallurgie.
Il se dessine un large courant de mécontentement parmi les ouvriers ; la CGT tente de la dévier et de la freiner par des pourparlers dans la commission gouvernementale des salaires. On doit s'attendre qu'en cas de fiasco de ces promesses gouvernementales, un accroissement du mécontentement dans les usines de la région parisienne pourra aboutir à des grèves de masses.
Signalons encore une tendance, encore très faible mais existante dans certaines usines, à la formation des comités d'usine. ces comités d'usine, tout en étant liés partiellement aux syndicats, sont toutefois quelque chose de plus large que la cadre des organisations syndicales. Ils groupent tous les ouvriers, tous les ouvriers sur la base de l'usine, c'est-à-dire sur une base non professionnelle ou syndicale mais locale. Rien ne permet de prévoir si cette forme a des chances immédiates d'élargissement. Mais, dès maintenant, la plus grande attention doit être portée à cette nouvelle forme de comités d'usine et l'on doit y participer activement là où ils surgissent. Dans des circonstances favorables, ces comités peuvent rapidement se développer en un véritable réseau présentant un type nouveau de conseils d'usine.
Devant le mécontentement grandissant, subissant sa pression et craignant de voir les masses et leurs actions échapper à son contrôle, la CGT s'oriente vers un tournant à "gauche". Déjà le mot-d'ordre initial de "travailler d'abord, revendiquer ensuite" est visiblement mis de côté, la direction de la CGT multiplie maintenant des meetings et, dans les colonnes du "Peuple", commence à parler des revendications.
Il suffit de lire les articles précédant le CCN pour s'attendre à ce qu'il sorte de ces assises une position en quelque sorte revendicative. Il va de soi qu'aucune confiance ne peut être faite à la sincérité des dirigeants de la CGT. Ce tournant à gauche ne serait qu'une manœuvre tendant à rattraper le contrôle sur les masses qui échappent à la direction et aussi une manœuvre ayant en vue l'ouverture de la campagne électorales pour les élections municipales.
Dénoncer la politique de la direction de la CGT, dénoncer surtout ses manœuvre s de gauche en vue de mieux torpiller les mouvements de la masse ouvrière est une tâche urgente et de chaque instant des militants révolutionnaires.
Un certain nombre de groupes et de mouvements ont surgi avec des plates-formes plus ou moins confuses. Ce processus de formation relève d'un côté du fait de la position chauvine nette, de la participation à outrance des partis socialiste et stalinien et de la CGT à la guerre impérialiste, produisant une rupture d'avec certains éléments évoluant sur la gauche, et de l'autre côté du fait de la disparition de groupements -comme le PSOP, Les Amis des Syndicats de Belin, La Révolution Prolétarienne, etc.- qui canalisaient autrefois une partie de ces éléments.
De même que, sur le terrain social, une classe, la petite-bourgeoisie, trouve sa place entre les classes fondamentales de la société, de même, sur le terrain politique, cette classe hétérogène trouve son expression dans l'existence des organisations hésitantes, constamment ballottées entre les partis de la bourgeoisie et du prolétariat.
Stationnaires et piétinant sur place dans les époques calmes, ces groupes sont particulièrement troublés et agités dès que la situation a perdu sa stabilité. N'ayant pas une position achevée propre, ces groupes sont destinés, dans une situation bouleversée, à évoluer à un rythme accéléré dans des sens opposés ; les unes vers les positions capitalistes, les autres vers celles du prolétariat. Il ne suffit pas de porter un jugement d'ensemble sur ce qu'on appelle le marais ou le centre, il faut encore suivre chaque groupe séparément dans son évolution et son orientation.
Ce groupe a été constitué depuis la "Libération" par l'ancien groupe de La Démocratie ouvrière (DO) qui dirigeait la Fédération des Techniciens avec des éléments de L'Abondance, des éléments dirigeants de la Confédération Générale de l'Agriculture et une partie d'anarchistes. La Démocratie ouvrière est une branche cadette de l'anarcho-syndicalisme. Sortant du sein du parti communiste, ce groupe, se réclamant du marxisme, concevait même la nécessité d'un regroupement de l'avant-garde en une tendance politique mais dirigée, dans son action envers la classe, au travers du mouvement syndical. Le syndicat devenait l'unique organe guidant la lutte du prolétariat vers son aboutissement historique : la révolution. Le groupement politique du prolétariat, n'ayant pas un rôle propre à jouer, est réduit à la fonction de conseiller et d'éducateur politique du mouvement syndical. Négation de la nécessité d'une lutte politique du prolétariat et d'une organisation politique de la classe, la Démocratie ouvrière apparaît comme une idéologie syndicaliste, apparentée à la fois à l'économie russe et à l'anarcho-syndicalisme français, du syndicalisme suffisant à tout
Mais la reconnaissance de la nécessité d'un groupement politique influençant de l'intérieur le mouvement syndical ne s'est pas traduite logiquement par la réclamation de droit de fraction et de tendance à l'intérieur du mouvement syndical. Au contraire, la DO est un adversaire acharné du principe de fraction politique dans les syndicats. Cela ne l'a jamais empêché, comme tout opportuniste, de construire sa propre fraction, d'agir fractionnellement et d'une façon manœuvrière, tout en condamnant publiquement, par principe, le droit d'existence des fractions.
Sa position la plus nette est son anti-stalinisme. Tout en s'opposant et en dénonçant la politique syndicale de collaboration de classes, de l'union sacrée et de la guerre impérialiste, ce groupe - dont des militants sont à la direction de la Fédération des Techniciens – n'a jamais osé affronter les foudres des réformistes et des staliniens dans les assises et congrès de la CGT. Ce sont des syndicalistes révolutionnaires "honteux" qui, depuis que les grèves de 1936 ont fait d'eux des dirigeants d'une grande fédération, n'ont jamais cessé d'évoluer de plus en plus vers le réformisme. Ils étaient les propagateurs zélés du plan de la CGT avant la guerre. Rien d'étonnant qu'ils se soient mis en ménage avec l'Abondance de Duboin, cette caricature réformiste aux lieux communs en guise de "trouvaille économique géniale".
Tel que, le mouvement du CETES groupe plusieurs centaines de membres dans la région parisienne. Il tient des conférences privées une fois par mois, dont l'auditoire se compose, dans sa grande majorité, d'employés et de techniciens. Dans une certaine mesure, ce groupement canalise et exprime une opposition timide à la guerre impérialiste et est pour la reprise de l'action directe revendicative des masses. Ce même esprit se retrouve dans sa publication mensuelle "Nos cahiers".
La dissolution de la Fédération des Techniciens et l'intégration des syndicats au sein de leur fédération ouvrière d'industrie respective, décision prise par le Comité Confédéral portera un coup à l'influence des CETES. Par ailleurs, ce groupement est destiné à évoluer de plus en plus de l'action directe de lutte de classe vers un réformisme le plus plat.
Son orientation lui destine d'occuper dans les mouvements ouvriers la place laissée vacante par Belin et Cie
Un mouvement bien plus caractéristique de mécontentement des ouvriers contre la politique de collaboration de la direction de la CGT est celui de la minorité syndicaliste.
Au commencement de l'année 1945, plusieurs vieux militants de la CGT et de la CGTSR se sont réunis pour donner naissance à ce groupement ; et le premier acte de cette minorité fut une lettre adressée à la Conférence syndicale de Londres dans laquelle ils critiquent sévèrement cette Conférence, sans toutefois la dénoncer nettement, comme une machination des impérialismes alliés.
La minorité syndicale est en quelque sorte une reproduction de l'ancien groupement minoritaire qui existait dans la CGT avant 1939, connu sous le nom de "Cercle lutte de classe", sans toutefois reproduire exactement la même composition. Avant 1939, le "Cercle lutte de classe" groupait les différents éléments oppositionnels de gauche de l'ancienne CGTU, plus des militants du Syndicat de l'enseignement - qui fut toujours à l'extrême gauche dans la CGTU et qui gardait des traditions révolutionnaires de la lutte contre la guerre qu'il a mené en 1914-18. La plupart des militants du "Cercle lutte de classe" furent des anciens membres du Parti Communiste, qui l'ont quitté ou furent exclus parce que s'opposant à la politique opportuniste et nationaliste triomphant dans le PC. Le caractère du Cercle fut nettement politique, en opposition au groupe de "La Révolution prolétarienne" de Monatte, Lauzon et Chambelland qui représentait et continuait la tendance du syndicalisme pur, anti-politique et anti-communiste.
L'éclatement de la guerre devait marquer l'effondrement et la disparition de ces deux minorités syndicales sans laisser aucune trace. Mais, tandis que les militants du "Cercle lutte de classe" devaient se maintenir au travers des courants politiques dont ils faisaient partie, la dislocation du groupe de "La Révolution prolétarienne" devait être totale et signifier la faillite définitive du syndicalisme pur.
C'est encore une des caractéristiques de la profonde différence d'époque entre celle de la guerre 1914-18 et celle de la guerre 1939-45. Alors, face à l'opportunisme et au parlementarisme du parti socialiste, un groupement tel le syndicalisme révolutionnaire représentait une profonde réaction prolétarienne, élémentaire et confuse certes, mais indiscutablement révolutionnaire. C'est uniquement ce groupe qui, en 1914, relève en France le drapeau de l'internationalisme et de la lutte contre la guerre. C'est ce groupe - qui publie "La Vie Ouvrière" -qui polarise les premières manifestations prolétariennes contre la guerre ; et lui, qui fut toujours l'adversaire le plus acharné de toute organisation politique indépendante de la classe, deviendra le partisan le plus enthousiaste, le groupe ouvrier le plus assidu de la reprise des relations internationales des socialistes des différents pays restés fidèles à la lutte de classe. Tandis qu'il faudra attendre jusqu'à la fin de la guerre, jusqu'à l'éclatement de la révolution russe pour voir se former une aile gauche révolutionnaire dans le parti socialiste, le groupe syndicaliste révolutionnaire de Monatte et Rosmer, qui prendra immédiatement position contre la guerre, établira des contacts et une collaboration étroite avec les internationalistes russes, avec Trotsky et la rédaction de Natché Slovo (organe des internationalistes russes paru à Paris durant la guerre 1914-18) et participera, au travers de Merheim et Bourderon, à la conférence de Zimmerwald. C'est encore eux, ces syndicalistes, qui seront les premiers représentants du prolétariat français, en la personne de Rosmer, au 1er congrès constitutif de l'Internationale Communiste en 1919 et les éléments fondateurs du Parti Communiste de France. Mais, dès ce moment, le rôle historique du groupe des syndicalistes révolutionnaires sera épuisé. Pendant les années d'ascension du capitalisme français et d'épanouissement de sa politique de conquêtes coloniales, se produisit une profonde corruption de l'organisation politique qui devait finalement l'emporter ; la réaction prolétarienne à cette corruption devait se cristalliser, dans le moment historique d'alors, à l'intérieur de l'organisation unitaire et de résistance de la classe ouvrière, les syndicats, autour de la lutte intransigeante contre le patronat et contre l'ordre social dirigée et inspirée par les syndicalistes révolutionnaires.
Si le syndicalisme révolutionnaire – qui fut la rançon de l'opportunisme dominant le parti politique – devait en tant que plate-forme et théorie manifester toute son inconsistance et son insuffisance, ne pouvant servir de base programmatique à l'émancipation sociale, il n'est pas moins vrai qu'il rassemble les énergies révolutionnaires et les éléments les plus sains de la classe ouvrière en France, opposant une plus grande résistance à la corruption de la bourgeoisie.
Les syndicalistes révolutionnaires d'avant 1914 n'apportaient, par leur plate-forme, aucune solution positive, aucune réponse permettant au prolétariat d'avancer vers la prise du pouvoir ; ce chemin fut donné uniquement par les bolcheviks au travers du travail de fraction en vue de la construction du parti politique de la classe. Cependant leur mérite historique fut d'être une digue de résistance à la corruption parlementaire et opportuniste qui emportait, morceau par morceau, les partis socialistes, et ils purent offrir cette résistance grâce à leur farouche raccrochement à la lutte revendicative, économique, élémentaire de la classe et à la méthode de l'action directe.
Avec la fin de la guerre et l'ouverture du cours révolutionnaire, la plate-forme du syndicalisme révolutionnaire dépassée par les objectifs immédiats de la lutte, posant le problème de la conquête révolutionnaire du pouvoir, devait perdre même son caractère de résistance contre l'opportunisme. Dans l'étape historique plus avancée qui s'ouvre après 1918, la lutte entre bourgeoisie et prolétariat se manifeste essentiellement sur le terrain politique, autour de l'État capitaliste et du parti communiste. Le syndicalisme en opposition à la lutte politique de la classe ne peut plus garder comme avant sa qualification révolutionnaire et, de résistance à l'opportunisme, il devient la plate-forme des éléments retardataires et réactionnaires.
Le sens de son orientation – de l'opportunisme vers la révolution – se renverse et il deviendra le canal qui conduit du communisme à l'opportunisme. Telle sera désormais la place qu'occupera, dans le prolétariat, le syndicalisme révolutionnaire exprimé par la revue "La Révolution Prolétarienne".
Ce sont là les raisons historiques qui font que ce groupement, qui a lutté contre la guerre impérialiste en 1914-18, sera complètement liquidé dès l'ouverture de la nouvelle guerre en 1939 et dont les militants se retrouveront individuellement dans diverses minorités syndicales après avoir plus ou moins activement participé à des groupes de la Résistance.
La nouvelle minorité syndicale d'aujourd'hui est un composé d'éléments et tendances de l'ancien "Cercle lutte de classe", de "La Révolution Prolétarienne" et des anarchistes syndicalistes de l'ancienne CGTSR qui, elle aussi, s'est liquidée pendant la guerre.
L'expérience du mouvement syndical en France depuis la dégénérescence de l'IC est pleine de ces tentatives de formation de minorités syndicales qui, toutes, devaient conduire, non à des redressements de la ligne politique des organisations syndicales, même pas seulement à créer un front de résistance susceptible d'endiguer la mainmise du capitalisme sur les syndicats, mais à une aggravation de la confusion dans les cerveaux des ouvriers et à leur propre discrédit.
La politique syndicale, l'orientation syndicale et les méthodes d'action sont fonction de la position générale qu'on a sur la situation générale, sur les perspectives, sur la lutte de classe, le but de cette lutte et la voie à emprunter. En un mot, la politique syndicale relève du programme et de la doctrine dont se réclame chaque courant idéologique qui participe et agit à l'intérieur des syndicats. Autant de courants, autant d'orientations et de politiques syndicales. Et ce n'est qu'au travers de leurs confrontations ouvertes, par le canal de leur fraction dans les syndicats, que les ouvriers peuvent prendre pleinement conscience et choisir librement l'orientation syndicale la plus apte à la défense de leurs intérêts immédiats.
Tout autre est la voie des minorités syndicales. Confondant dans un bloc permanent des tendances et des courants aussi variés qu'opposés, allant des syndicalistes purs, des anarchistes, des anarchistes syndicalistes, des syndicalistes révolutionnaires, aux trotskistes et autres éléments oppositionnels, fondant tous ces programmes pour extraire un programme commun, on ne permet pas l'édification d'une politique syndicale nécessaire aux ouvriers dans leur lutte contre le capitalisme mais on crée un programme de confusion, de compromis et d'éclectisme. D'autre part, les divers courants composant cette minorité, au lieu de parvenir, au travers de la confrontation et l'expérimentation, à vérifier leur propre position, perpétuent dans la confusion leur existence où la discussion fait place à la petite manœuvre et à l'intrigue pour imposer ses vues à l'ensemble de l'organisation. La minorité syndicale paraît ainsi groupée, non pour faire triompher une politique propre qu'elle ne peut avoir, mais pour combattre une politique. C'est cette position négative qui est le seul lien, le seul trait d'union et qui constitue la base commune de ces genres de minorités vagues et confuses.
Dans la situation présente et devant le mécontentement grandissant des ouvriers à la politique des staliniens et des socialistes qui sont les maîtres de la CGT, cette minorité syndicale est appelée à un certain développement dans la mesure où elle exprime son opposition à la direction. Le journal qu'elle publie illégalement, "La bataille syndicaliste", trouve un écho favorable parmi les ouvriers. Les positions essentielles défendues dans le journal sont : contre la guerre, pour l'internationalisme, pour une action revendicative, contre l'existence des fractions dans les syndicats. Le journal se réclame aussi d'une position apolitique des syndicats sur la base de la Charte d'Amiens de 1907. Dans la question de Comité de gestion dans les usines, tout en étant contre, il préconise de laisser faire l'expérience.
La formation de la minorité syndicale exprime à la fois une manifestation du mécontentement des ouvriers se détachant des agents ouverts du capitalisme dans les rangs du prolétariat, les partis communistes et socialistes, et en même temps l'extrême confusion qui règne dans les cerveaux des ouvriers, à laquelle cette minorité, par son activité, va apporter sa contribution.
Nous avons déjà dit plus haut que, parmi les organisations qui se sont écroulées pendant la guerre, se trouve la CGTSR (Confédération Générale du Travail Syndicaliste Révolutionnaire).
Au lendemain de la guerre 1914-18, l'opposition révolutionnaire à l'intérieur de la CGT – contre la politique de trahison de la clique de Jouhaux et Cie qui pratiqua l'union sacrée la plus abjecte pendant les 4 années de guerre et qui poursuivait cette politique de collaboration et de trahison – se développait et grandissait de jour en jour.
Syndicats et fédérations passèrent les uns après les autres entre les mains de l'opposition. Devant l'éventualité de perdre la direction de la CGT, les réformistes et la clique bureaucratique de Jouhaux poussèrent à la provocation de la scission de la CGT. L'opposition révolutionnaire, stimulée par l'IC qui se trouvait dans la période de pleine montée de la vague révolutionnaire en Europe, a commis cette grave erreur de ne pas éviter la scission syndicale recherchée par la bureaucratie réformiste. L'opposition est tombée dans le panneau de la provocation et a accepté la scission. La CGTU, groupant la majorité des syndicats ouvriers, était née. Dans son sein, se retrouvèrent les 3 courants anti-réformistes : les syndicalistes révolutionnaires, les anarchistes syndicalistes et les communistes.
La fraction communiste qui dirigeait la CGTU a commis plusieurs fautes. L'erreur fondamentale du parti communiste résidait dans la reproduction servile, dans le décalquage mécanique de tout ce qui se passait en Russie et dans l'inféodation bureaucratique du mouvement syndical au parti communiste. Tout en condamnant la scission syndicale, le parti communiste et l'IC n'avaient pas réellement une position précise et une attitude nette contre la scission. A ce sujet il faudrait réexaminer non seulement toute l'expérience de l'ISR mais le principe même de sa fondation. Plusieurs erreurs de taille ont été commises à ce sujet. D'abord l'entrecroisement permanent entre les 2 Internationales dont les délégués siégeaient d'une façon permanente et de droit dans les 2 centrales Internationales et réciproquement. Ce principe de la réciprocité subordonnait en fait l'Internationale Syndicale Rouge à l'IC. Ensuite il est difficile de concevoir une politique anti-scissionniste à l'intérieur des mouvements syndicaux nationaux tout en maintenant la scission sur le plan international. Cette position contradictoire devait entretenir une équivoque qui ne pouvait être favorable qu'à la bureaucratie réformiste de l'Internationale syndicale d'Amsterdam.
Lorsque, après les événements de Cronstadt et de Makhno, la lutte entre les anarchistes et le parti communiste s'est faite âpre en Russie, la répercussion de cette lutte devait se faire sentir d'une façon extrêmement violente au sein de la CGTU. Nous avons déjà dit que les communistes ne sont jamais parvenus à faire comprendre aux ouvriers le crime contre le mouvement ouvrier qu'est la scission syndicale. Ils n'étaient pas tellement convaincus de cela eux-mêmes. Et il n'est pas étonnant dans ces conditions que les anarchistes syndicalistes, qui étaient une minorité, aient pu provoquer une nouvelle scission dans la CGTU et créer une 3ème confédération syndicale en France, la CGTSR.
En France, cette nouvelle confédération groupait de plus larges masses que dans quelques centres, notamment la corporation du bâtiment surtout dans la région lyonnaise, de Saint-Étienne, dans la région de Toulouse et dans les régions limitrophes de la frontière espagnole où prédominait l'influence de la CNT espagnole.
Sur le plan international la CGTSR faisait partie de l'AIT (Association Internationale des Travailleurs) qui groupait quelques organisations ouvrières anarchistes dont la cheville ouvrière était la CNT, la plus forte organisation syndicale en Espagne. L'unité syndicale réalisée entre la CGT et la CGTU, l'afflux d'adhérents à la nouvelle CGT au travers de la vague de grèves de 1936, portait un coup terrible à cette petite organisation syndicale qui se trouvait être submergée par les événements et ne pouvait pas jouer un rôle dans le vaste mouvement de grèves. Mais le coup de grâce leur vint de l'extérieur, de la CNT qui en coulant devait la faire couler et la noyer.
Les événements de 1936 en Espagne – la participation de la CNT au gouvernement capitaliste, trahissant ainsi sa propre plate-forme anti-étatique, le massacre des ouvriers de Barcelone par le gouvernement républicain-anarchiste-stalinien, la victoire finale de Franco -devaient jeter le discrédit sur le programme et l'idéologie anarchistes, provoquer des troubles et des discussions dans leurs rangs.
Les anarchistes, se raccrochant à "l'anti-fascisme" et aux blocs "anti-fascistes", se trouvaient en bien mauvaise posture devant les autres "anti-fascistes", autrement plus rusés et plus démagogues qu'eux, qu'étaient les staliniens. Dans la concurrence à l'anti-fascisme, les anarchistes étaient battus d'avance. Dorénavant, la CGTSR végètera sans force et sans âme. La guerre de 1939, qui sera le summum, le point culminant de l'anti-fascisme, sera aussi le tombeau sans honneur de la CGTSR.
Quelques militants de l'ancienne CGTSR groupés autour de leur ancien secrétaire général, Besnard, tentent à nouveau, non pas de ressusciter la CGTSR mais de former un courant anarcho-syndicaliste dans la CGT, la FSF qui se réclame toujours de l'AIT. Leur plate-forme est l'indépendance du syndicat à l'égard des partis politiques et de l'État, l'action directe pour la défense des revendications ouvrières et la lutte contre la "Synarchie" qu'ils ont découverte pour rajeunir et introduire quelque chose de nouveau dans leur plate-forme qui est un peu vieillie.
Il est évident que ce groupe, par lui-même, par sa plate-forme, n'offre aucune possibilité réelle de reprise de la lutte révolutionnaire. Le seul intérêt qu'il présente c'est qu'il est une manifestation du mécontentement qui règne dans certains milieux ouvriers se détournant de la politique officielle de la CGT, politique de collaboration de classe et de trahison.
Ce groupe publie un journal illégal imprimé, "L'Action", et ses membres militent dans la minorité syndicaliste. Parallèlement et en étroite collaboration avec la FSF, existe un petit groupe de jeunes ouvriers qui est un peu l'organisation de la jeunesse de la FSF. C'est la JSR ! Dans le premier tract, ce groupe proclame la lutte contre la guerre, contre le militarisme, contre l'État capitaliste et pour la révolution prolétarienne. Très vague quant à sa plate-forme, à la façon propre aux anarchistes, ce groupe semble toutefois exprimer une volonté d'action révolutionnaire. "Le cri des jeunes" qu'il annonce nous permettra de mieux juger de son orientation et de son évolution.
4° – Le mouvement libertaire
Il n'est pas nécessaire de présenter aux camarades ce qu'est le mouvement anarchiste. Nous avons examiné tout à l'heure l'une de ses branches, les anarchistes syndicalistes, et ce qu'il est advenu de sa centrale syndicale.
Nous allons maintenant en quelques mots tracer l'évolution de l'ensemble de ce mouvement et la place qu'il occupe actuellement.
Avant 1939, le mouvement anarchiste était scindé en UA (Union Anarchiste) et FAF (Fédération Anarchiste Française), sans compter les groupes des anarchistes individualistes qui publiaient "En dehors" et la CGTSR qui groupait les syndicalistes anarchistes. Les événements d'Espagne de 1936-38 devaient encore provoquer des scissions entre les participationnistes et les orthodoxes anti-gouvernementaux. La guerre de 1939 a liquidé et dispersé tous ces groupements.
Les uns allaient participer à la guerre, suivant en cela la tradition de leurs aînés, Kropotkine et Sébastien Faure, qui ont accepté déjà la guerre de 1914-18 au nom de la lutte contre le militarisme prussien. Le militarisme prussien serait remplacé en 1939 par le fascisme hitlérien et la guerre impérialiste sera acceptée comme guerre de libération anti-fasciste. D'autres, comme Bernard, se retrouveront, on ne sait pas bien comment, autour du berceau de la "Charte du travail" à l'époque Pétain-Belin. D'autres encore se glorifieront d'une participation au maquis et à la Résistance.
Durant la guerre, aucune publication, aucune activité exprimant une position officielle des anarchistes ne sera faite. L'organisation aura sauté en l'air et chaque membre, en digne anarchiste, agira dans des sens opposés selon ce que lui dictera sa "conscience" personnelle.
Ce n'est qu'après la libération, en septembre ou octobre 1944, que se tiendra dans une ville du Midi de la France un congrès anarchiste, groupant tous les vestiges, tous les morceaux, résidus des anciens courants. Les anciennes divergences et divisions seront proclamées dépassées et sans intérêt. Des questions surgiront bien autour de l'attitude à prendre envers les militants qui ont participé à tel ou tel autre mouvement durant la guerre. Typiquement caractéristique aux anarchistes, ce n'est pas envers les mouvements même qu'on allait prendre une position nette, mais envers les militants qui ont participé à ces mouvements. Finalement on se rappellera juste à propos que le mouvement anarchiste est essentiellement libertaire, c'est-à-dire "libre" de tout principe, où chaque membre est "libre" d'agir comme il l'entend, n'étant responsable que devant sa conscience, et on passera à l'ordre du jour.
Du congrès ne sortira aucune ligne générale, aucune ligne politique. Sa seule œuvre sera de déclarer liquidé tout autonomisme des différents courants et groupes antérieurs, et de proclamer l'existence d'un mouvement libertaire unifié et unique.
Le mouvement libertaire d'aujourd'hui sera donc un agglomérat de toutes sortes de tendances, y compris les anarchistes individualistes.
Ce mouvement publie un journal imprimé mensuel, semi-légal, "Le Libertaire". Le gouvernement français semble le laisser faire, ne voulant pas, devant un certain mécontentement qui règne parmi les ouvriers, par une interdiction, énerver encore plus les ouvriers. Mais la raison majeure de cette indifférence du gouvernement doit être recherchée dans le contenu même du "Libertaire". L'absence d'une ligne politique se traduit par la présence dans le même journal d'une série d'articles, différant dans le ton et dans la position envers les événements. D'une façon générale, si "Le Libertaire" exprime son opposition à la guerre, ce n'est nullement en partant d'une position de classe. La guerre est considérée, dans ce journal, comme un cataclysme social dont les ouvriers, par leur passivité, sont les complices. Plus sentimental que politique, le journal ne voit de solution qu'en mettant son espoir dans l'éducation, dans la morale individuelle des ouvriers qui leur fera abhorrer la guerre. "Le Libertaire" répugne à la guerre mais d'un point de vue pacifiste et moral. Il dénoncera la guerre en général mais ne luttera pas contre la guerre concrète, réelle, existante. Aucun appel, aucune propagande aux ouvriers leur indiquant que seule leur action peut arrêter la guerre impérialiste. Aucun appel à l'action de classe défaitiste, contre la guerre impérialiste et contre la production de guerre. On se contentera simplement de maudire la guerre en général.
Sur le 2ème point central du moment, sur la fraternisation prolétarienne contre la guerre et contre le massacre du prolétariat allemand en révolte par les armées impérialistes, "Le Libertaire" est encore plus circonspect. Aucun appel à la solidarité et à la fraternisation avec les ouvriers et les soldats allemands. "Le Libertaire" se contentera de se demander dans quelle mesure le prolétariat allemand est coupable de l'agression hitlérienne et il conclura qu'il est trop tôt pour se prononcer là-dessus, l'après-guerre devant apporter une documentation qui lui permettra de définir exactement le degré de culpabilité du prolétariat allemand dans la guerre.
Comme on le voit, le gouvernement de De Gaulle serait vraiment maladroit de provoquer un énervement en prenant des mesures répressives contre un tel journal bien que, par ailleurs, ce même journal peut lui décerner de méchantes critiques et des flèches épointées. Pour être complet, il faut ajouter que "Le Libertaire" publie des appels de la SIA (Secours International Antifasciste), organisation inspirée par les anarchistes où l'antifascisme est synonyme de chauvinisme. "Le Libertaire" ne se gênera pas d'ailleurs de rappeler ses martyrs de la Résistance lesquels, s'ils ne sont pas très nombreux, peuvent tout de même servir à la rigueur comme enseigne et carte de visite.
Sur la plan syndical, l'activité des anarchistes est des plus confuses. Fidèles à la "liberté" qui leur est propre, une partie s'en désintéresse totalement, tandis que l'autre partie se divise en ceux qui participent dans le CETES réformiste et d'autre qui, au travers de la FSF, avec Besnard, participent à la minorité syndicaliste.
Le mouvement anarchiste représente-t-il vraiment un courant unitaire ? L'unité réalisée au congrès repose-t-elle, exprime-t-elle réellement une orientation unique ? Cette unité persistera-t-elle ? Rien de moins certain. Il est trop tôt encore peut-être pour dire jusqu'où et quand cette unité persistera ; mais nous pouvons affirmer sans crainte de nous tromper que cette unité -qui ne repose que sur la confusion- va à la première occasion, devant le premier problème qu'on ne pourra contourner, se briser et laisser apparaître l'opposition entre les éléments sincèrement révolutionnaires et le reste du mouvement naviguant dans les nuages de l'idéologie anarchiste et la pratique opportuniste.
Le trotskisme présente cette particularité qui, comme le caméléon, a la propriété de changer facilement de couleur. Nous le trouvons tantôt comme Ligue, tantôt comme Opposition, comme POI, comme Bolchéviks-Léninistes de la SFIO (c'était vraiment drôle, les bolcheviks de la SFIO !!!), comme PCI, comme ISR, comme PSOP et de nouveau PCI, la Seule voie et Octobre. En un mot, ils ont monopolisé à leur usage personnel tout le vocabulaire en changeant très fréquemment de nom (Dieu seul sait pourquoi !) mais ils sont restés toujours identiques à eux-mêmes : scission-unification-re-scission sur la base de la confusion commune. Pendant la guerre et l'occupation, les divers groupes qui se réclament du trotskisme et de la 4ème Internationale (sic!) défendaient au fond une et même position fondamentale avec de légères variantes. La position centrale envers la guerre impérialiste était formulée à peu près en ces termes : défaitisme révolutionnaire intégral dans les pays fascistes (c'est-à-dire chez l'ennemi de sa bourgeoisie nationale), opposition politique dans les pays démocratiques et défense nationale dans la "patrie soviétique" considérée comme faisant une guerre défensive de la révolution.
Nous ne nous arrêterons pas sur cet Internationalisme un peu particulier qui change de fond en comble selon le pays où le prolétaire se trouve et où il se fait massacrer par et pour les intérêts de sa bourgeoisie et du capitalisme mondial. Nous ne nous arrêterons pas davantage sur la 2ème position centrale des trotskistes, toujours avec des variantes, consistant à lutter pour la libération nationale contre l'envahisseur étranger. Identifiant les pays occupés aux pays coloniaux, c'est au nom du léninisme qu'on déclare que la lutte pour la libération nationale contenait un ferment révolutionnaire. La libération nationale devait servir de hors-d'œuvre , de mise en appétit pour la révolution prolétarienne. En attendant ce plat consistant qui est toujours à venir, on s'est gavé de hors-d'œuvre . Pas étonnant qu'on puisse lire dans la littérature trotskiste des appels à "la défense de notre empire colonial". C'était un peu trop épicé peut-être mais qui ne mettait pas moins en appétit. Et les trotskistes, plus que les anarchistes, ont des martyrs de la Résistance et de la libération nationale à citer. C'est leur honneur et nous le leur laissons entièrement. En 1944, nous avons assisté à une dernière (jusqu'à présent) unification de trois groupes qui a donné naissance au PCI -qui publie, comme organe central, "La Vérité".
Après les démarches et l'échec pour faire de "La Vérité" ("premier journal illégal paru dans la clandestinité" comme ils aiment à le rappeler) un journal légal, elle paraît assez régulièrement imprimée illégalement.
La position fondamentale des trotskistes n'a pas changé depuis la libération. La "Libération" nationale, qui n'a plus de raison d'être, fait place à l'épuration des vichyssois et des collaborateurs. Enfourchant le dada en vogue que le capitalisme jette aux ouvriers pour les détourner de la lutte de classe, les trotskistes se trouvent immédiatement à leur aise. Ils vont montrer comment on démasque la félonie de la bourgeoisie. Soufflant plus fort que tout le monde dans la trompette de l'épuration, ils vont, en faisant un tapage du diable, dénoncer l'État capitaliste, tel patron coupable d'avoir manqué à son devoir de bon patriote et exiger, pour lèse patrie, sa punition de la part de l'État capitaliste.
Le gouvernement De Gaulle décrète la création du Comité de gestion mixte dans les usines. Les trotskistes, immédiatement mis en joie, n'en demandent pas plus. Peu leur importe la signification de ces comités de gestion, destinés à faire des délégués ouvriers les gendarmes bénévoles du patron pour obliger les ouvriers à travailler plus et mieux, à ne pas se soustraire un instant à leur devoir de salariés-esclaves afin de produire une masse plus grande de plus-value pour leur maître, le patron capitaliste. Tout cela ne préoccupe pas notre trotskisme et, si cela le préoccupe, c'est en 2ème lieu. Pour l'instant, ce qui compte c'est la possibilité de s'agiter et de faire un peu de bruit. Et voilà les trotskistes pour les comités de gestion. D'ailleurs se rappellent juste à propos les trotskistes : Lénine n'était-il pas pour le contrôle ouvrier de la production en 1917 ? Il n'en faut pas plus pour rester un bolchevik-léniniste et être pour les comités de gestion.
Soucieux de reproduire un cliché des événements russes en 1917 -et comme le fameux singe qui met les lunettes de son maître croit pouvoir lire- les trotskistes endossent sans discernement les lunettes des bolcheviks.
L'aventure veut que ces lunettes soient sans verres et ils ne voient et ne comprennent rien à la situation. Ainsi traduisent-ils le mot-d'ordre de Lénine "Tout le pouvoir aux soviets" en un français trotskiste qui devient "Thorez, Blum et Jouhaux au pouvoir". C'est la grande trouvaille du PCI d'avoir lancé comme mot-d'ordre "Gouvernement ouvrier du PCF, SFIO et CGT".
Sur le terrain international, le PCI est un peu plus embarrassé. Il devient vraiment difficile de parler d'un "État ouvrier" en voie de dégénérescence en Russie quand cet État poursuit férocement une politique une politique impérialiste et annexionniste en Europe et en Asie. La défense de l'URSS et de l'armée rouge de la révolution est quelque peu choquante quand cette armée est la plus sûre et la plus terrible arme de massacre des révoltes ouvrières en Allemagne. Aussi le bureau européen de la 4ème Internationale a estimé nécessaire de mettre en sourdine ce mot-d'ordre de défense de l'URSS et de mettre plus l'accent sur celui de la lutte contre le stalinisme. Hier on reprochait au stalinisme de défendre trop mal la Russie, patrie de la révolution ; maintenant on reproche au stalinisme de défendre trop bien les intérêts de l'État russe. Pourquoi Dieu ne nous a-t-il pas donné une défaite de l'État russe ?! Sa victoire met vraiment trop nos pauvres trotskistes dans l'embarras.
Le PCI est aussi embarrassé devant les événements en Allemagne. Comment parler de révoltes des ouvriers et des soldats allemands sans mettre immédiatement en évidence le rôle de la Russie et de l'armée rouge ? Aussi le PCI, qui ne rate pas une occasion pour faire du bruit, est sur les événements en Allemagne plus que réservé. Il ne serait pas sans intérêt de comparer l'attitude du PCI devant les événements d'Allemagne et devant ceux de Grèce. On ne manquera pas de constater une différence très édifiante. Si, pour les événements en Allemagne, ils observent une réserve qui les faisait passer presque pour des sages, il en est tout autrement en ce qui concerne les événements en Grèce. Là on se rattrapera et d'autant plus volontiers que les intérêts de l'État russe ne sont pas tout à fait étrangers à ces événements et que ces intérêts se trouvent coïncider avec les groupes de la résistance en révolte.
Alors que les trotskistes n'ont pas vu la révolte du prolétariat italien contre la guerre en 1943, occupés qu'ils étaient avec la libération nationale et la défense de notre empire colonial, alors qu'ils ne parleront pas trop des révoltes du prolétariat allemand pour ne pas être trop gênés dans leur défense de "l'État ouvrier" en Russie, ils découvriront par contre "la première révolution populaire (?)" issue de la guerre… en Grèce. Le massacre du prolétariat et de la population pauvre de la Grèce – dont le mécontentement, dû à la situation de famine, a été dévié, canalisé dans une insurrection nationale au bénéfice d'une fraction de la bourgeoisie et des intérêts impérialistes russes – sera présenté par les trotskistes comme la révolution prolétarienne. Dans des tracts et réunions, le PCI appellera les ouvriers de France à se solidariser avec cette "révolution" et ne demandera rien moins que l'envoi d'armes pour soutenir cette "insurrection".
Comme pour l'Espagne de 1936-38, les trotskistes voleront à l'aide des "républicains antifascistes", au nom de quoi le capitalisme décimera le prolétariat. Et, tout comme pour l'Espagne, ils se trouveront pour cette œuvre en compagnie de toutes les forces "démocratiques" de la bourgeoisie et de tous les traîtres socialistes et staliniens.
Le PCI a-t-il une certaine influence parmi les ouvriers ? Et, dans le cas affirmatif, à quoi, à quelle cause attribuer cette influence ?
Il est nécessaire de se rappeler que le parti stalinien est devenu un parti gouvernemental et le plus hystériquement chauvin. Les ouvriers dégoûtés de la démagogie chauvine trouvent dans le PCI une expression d'opposition. Les partis centristes et gauche-socialistes, comme les maximalistes en Italie, le SAP en Allemagne, le PSOP en France, ont disparus et se sont fondus à nouveau, pendant la guerre, dans les partis socialistes, pour la défense de la patrie et de l'union sacrée au nom de l'antifascisme. La place de ces partis du Centre va dorénavant être occupée par le trotskisme. C'est en cela que réside la fonction et l'influence que peut exercé le trotskisme.
A ce propose et en passant, il serait peut-être intéressant de jeter un coup d'oeil rapide sur ce que sont devenus certains groupes et hommes politiques qui cherchaient, avant la guerre, à former un parti ouvrier de "gauche" en France. Le PSOP s'est complètement disloqué et son chef M.Pivert, parti de bonne heure au Mexique, a offert, dans une lettre publique, ses services à De Gaulle, rappelant que Lénine lui aussi s'est servi d'un ancien officier tsariste. Il semble que De Gaulle n'a guère apprécié cette offre et s'est bien passé des services de Marceau Pivert, ce qui n'empêcha nullement ce dernier d'être un fidèle et farouche résistant au… Mexique. Collinet, Patri, Stribe et autres anciens oppositionnels de gauche et lieutenants de M. Pivert sont aujourd'hui des grandes figures de "ceux de la Résistance" et occupent des hauts postes de rédacteurs de "La Volonté", hebdomadaire de "gauche" de la Résistance. Le petit groupe d'autres oppositionnels de gauche qui, avec Rimbert et Ferrat, publiaient avant 1939 la revue "Que Faire ?" ont enfin trouvé la réponse tant d'années cherchée par eux : dans la Résistance. Rimbert ne se demande plus que faire ; aujourd'hui il donne des conseils, tantôt aux alliés tantôt à De Gaulle, sur le meilleur moyen de régler le problème allemand, d'organiser une paix équitable et définitive, et encore bien d'autres choses fort intéressantes.
Ainsi voyons-nous le trotskisme répondre à un besoin qui s'est fait réellement sentir. Il fallait combler un vide, il fallait que quelqu'un occupât la place du centrisme restée vacante ; cette place est occupée de droit par le trotskisme.
Dans la conjoncture politique présente, on doit s'attendre même à une certaine progression du PCI?
Avec l'accroissement des mouvements révolutionnaires du prolétariat, le souffle purificateur de la Révolution, en emportant tout l'édifice capitaliste, balaiera aussi ces résidus parmi lesquels se trouvent également les trotskistes.
L'UCI est un petit groupe qu'il ne faut pas confondre avec l'ancienne Union Communiste qui publiait, avant 1939, "L'Internationale" et qui s'est dissoute depuis.
Ce petit groupe s'est formé pendant la guerre sous le nom de "Groupe Révolution Prolétarienne" (GRP) et publiait un journal ronéoté "Le Réveil prolétarien". Sincère et confus, ce groupe s'est déclaré contre la guerre mais, en même temps, il a pris position pour l'insurrection nationale en août 1944.
Depuis la Libération, le GRP devenu l'UCI publie le journal "La Flamme" dans lequel il déclare chercher à construire un programme en prenant "ce qu'il y a de bon dans tous les programmes". L'éclectisme et la confusion sont ainsi hissés à la hauteur d'un programme et c'est tout ce qu'apporte de propre l'UCI dans le mouvement ouvrier.
Après la libération, un groupe de militants ouvriers de Lyon – sans distinction bien précise de tendance mais nettement opposé à la guerre impérialiste et pour l'action directe de défense des intérêts ouvriers – a fait paraître un journal légal imprimé (Front ouvrier).
Laissant encore à désirer sur bien des points et notamment sur sa position équivoque et confuse sur l'épuration, ce journal est une expression certaine de réaction de classe des ouvriers lyonnais.
Il est symptomatique que la réaction ouvrière soit bien plus marquée et se fasse sentir davantage dans la région lyonnaise que dans d'autres régions en France. Cela est dû à la situation particulièrement mauvaise du ravitaillement mais peut-être aussi au fait que la pression des staliniens pèse moins lourdement sur les ouvriers de Lyon que sur ceux de Paris où se trouve concentré tout l'appareil politique et bureaucratique de la bourgeoisie et de ses laquais.
Les ouvriers de Lyon se trouvent, à ce jour, à la tête du combat de classe du prolétariat français. Les manifestations spontanées du mois de janvier des ouvriers de Lyon indiquent la voie à suivre aux ouvriers des autres régions qui ne tarderont pas à reprendre leur action de classe généralisée.
Un groupe de militants, rompant avec l'organisation trotskiste en 1944, se constituait sous le nom de CR et publie un journal d'agitation, "Le Pouvoir ouvrier", et une revue, "Communisme".
La rupture avec le trotskisme portait sur deux points capitaux : la lutte contre la guerre impérialiste par le défaitisme révolutionnaire dans tous les pays et la considération de l'État russe comme un État capitaliste impliquant la dénonciation de la défense de l'URSS comme position anti-prolétarienne.
Cette rupture plaçait les CR dans le camp du prolétariat comme une organisation prolétarienne révolutionnaire. Mais cela ne signifiait nullement que les CR présentaient une plate-forme programmatique susceptible d'être une contribution positive dans l'édification du programme et du Parti de la classe.
En effet, la rupture avec le trotskisme – tout en continuant à se revendiquer en bloc du bolchévisme-léninisme – laisse de côté tout le travail critique indispensable des expériences de la lutte du prolétariat entre les deux guerres, ne porte aucune réponse théorique aux problèmes qui se sont posés devant le prolétariat et dont la non-solution se concluait par toute la série de défaites de la 1ère vague de la révolution au lendemain de 1918 ; et plus particulièrement les problèmes de la tactique en correspondance avec la notion de la nature du parti et ceux des problèmes soulevés par le nouveau type d'État après la victoire de la Révolution d'Octobre ayant trait au rapport de cet État avec les autres États capitalistes, aux questions de la gestion économique après la révolution et à la violence exercée par cet État dans la classe, à l'intérieur du prolétariat.
Toute une série de positions données par la 3ème Internationale s'est avérée, au feu de l'expérience vivante de la lutte, ou incomplète, inachevée ou fondamentalement erronée ; telles les questions de la formation du Parti, le Front unique, le Parti de masse, les mots d'ordre démocratiques, la question nationale et coloniale, etc. La construction du nouveau parti du prolétariat et la victoire du prolétariat dans la prochaine crise révolutionnaire sont directement rattachées et conditionnées par l'effort de l'avant-garde et par sa capacité théorique de donner, pour le compte du prolétariat, la réponse marxiste à cet ensemble de problèmes.
Ce travail gigantesque, auquel la Fraction Italienne et la Gauche Communiste se sont attaqués depuis plus de 20 ans, n'a pas encore été abordé par le groupe CR qui, jusqu'à présent, s'est contenté de répéter fidèlement l'acquis des bolcheviks et de l'IC, y compris l'acquis des erreurs passées.
La notion de la fraction - organisme de continuité de la vie de la classe et de filiation historique entre deux périodes de la lutte émancipatrice de la classe – reste une notion complètement étrangère au CR et sur laquelle il continue à répéter les lieux communs de toujours des trotskistes. Mais cela ne l'empêche pas de reprocher violemment à la Fraction Italienne de n'avoir pas quitté le parti et l'IC en… 1921 ou 1923, considérée par le CR à posteriori comme date de démarcation historique à partir desquelles l'IC aurait passé définitivement dans le camp du capitalisme.
Dans l'activité politique du CR, nous constatons avec regret la persistance des méthodes en honneur chez les trotskistes, remplaçant le travail de l'élaboration théorique par le plus grand tapage extérieur, la discussion et la confrontation politiques par les méthodes et la pratique de la déformation de la pensée de l'adversaire et du noyautage.
Ne nous perdons pas dans les reproches, sachant bien qu'on ne passe pas impunément des années chez les trotskistes sans contracter leurs tares. Nous sommes convaincus que les militants du CR, indiscutablement éléments révolutionnaires sains et sincères, ne parviendront à faire œuvre utile pour la cause du prolétariat que dans la mesure même où ils se débarrasseront au plus vite de ces tares et du verbalisme du trotskisme qu'ils gardent encore.
Le CR lutte certes contre la guerre impérialiste, contre le mensonge de "l'État ouvrier" en Russie, dénonce tous les partis et groupes traîtres à la classe ouvrière, appelle à la solidarité internationale et à la fraternisation de tous les ouvriers, à la solidarité avec le prolétariat allemand en révolte, fait de l'agitation pour la reprise de la lutte de classe en France contre la trahison et la collaboration de la bureaucratie dirigeante de la CGT inféodée à l'État capitaliste français ; c'est là une œuvre révolutionnaire mais insuffisante. Une organisation communiste ne peut se borner à cela pour justifier son existence indépendante. Elle ne peut le faire en se référant à son activité d'agitation mais doit le prouver par sa plateforme, par son travail théorique tendant à résoudre les problèmes qui se sont posés et se posent aujourd'hui au prolétariat, et dont la solution est la condition de regroupement de la classe sur des positions plus avancées.
C'est seulement en abordant ce travail que les CR prouveront que leur existence en tant qu'organisation n'est pas une chose fortuite et qu'ils représentèrent un moment une expression réelle de la vie de la classe. Nous espérons et souhaitons que les CR comprendront leur devoir et s'attèleront au plus tôt à ce travail constructif et fécond.
L'histoire du trotskisme est une histoire de scissions et d'unifications. Nous disons cela non pas parce que nous rejetons a priori toute scission et toute unification, par principe. Les scissions peuvent être à un certain moment la seule mesure qui s'impose pour sauvegarder au prolétariat son organisme de classe, son organisation politique. Pour que des scissions ainsi comprises aient lieu, cela ne peut et ne doit, en aucune façon, dépendre de la volonté et des caprices des personnalités mais exprimer une nécessité politique, se manifestant par des divergences programmatiques principielles parvenues à leur pleine maturation, en correspondance avec la situation objective. Unification et scission ne peuvent être examinées en soi mais se relient à la conception générale qu'on a sur la nature du parti.
Ceux pour qui la construction du parti est un acte de volonté et non en correspondance avec le processus de la formation historique de la classe, ceux-là opèreront des unifications et des scissions qui seront tout ce que l'on veut mais qui n'exprimeront pas un instant la vie de la classe, parce que se situant hors du processus réel. Aussi ces scissions et ces unifications se produiront dans la pleine nuit politique et n'apporterons aucun élément, aucun acquis, aucune expérience susceptibles d'être utilisés dans la lutte de classe et dans l'élaboration du programme de cette lutte.
La méconnaissance de la notion, de la nature du parti devait amener les CR – à peine sortis du trotskisme et avant même d'affronter sérieusement l'étude théorique critique de leur propre expérience qu'ils venaient de faire – à recourir, dans l'obscurité politique totale, à une scission et à la formation d'un groupe CR dissident.
La grande confusion qui règne est la punition inévitable et méritée des CR. Nous avons donc 2 organisations qui s'intitulent CR et qui publient 2 organes s'appelant tous deux "Pouvoir Ouvrier" et dont on discerne très difficilement les positions politiques qui les divisent et justifieraient cette division. Les injures et les anathèmes proférés par les CR officiels contre les dissidents ne sont nullement faits pour dissiper la confusion et ne font qu'introduire une atmosphère irrespirable où les termes forts (charlatans, usurpateurs, etc.) tiennent lieu de termes politiques.
Notre critique politique faite au CR officiel semble s'appliquer également aux dissidents dont nous n'avons pu encore discerner une différence politique substantielle. Nous ajouterons toutefois que, si nous ne comprenons pas les raisons politiques de leur scission avec l'organisation officielle, nous réprouvons encore plus catégoriquement leur façon d'agir et leur entêtement à perpétuer la confusion en gardant et le titre de CR et le titre de l'organe "Le Pouvoir Ouvrier".
Je ne dirai que quelques mots sur la GCF. Vous avez pu – au travers de la critique faite au long de mon exposé des différents courants agissant dans le prolétariat en France – vous faire une idée sur les positions défendues par notre fraction. L'objet de cette conférence n'est pas un exposé détaillé de nos positions, mais de donner un aperçu sur le mouvement ouvrier français et les groupes qui s'y rattachent. En ce qui concerne plus particulièrement notre plateforme et nos positions, les camarades les trouveront dans notre matériel politique, dans nos publications.
Nous rappellerons seulement que la Gauche Communiste est un courant idéologique international dont les bases fondamentales s'inspirent de l'œuvre politique et de l'apport historique de la fraction de gauche qui a donné naissance au PC d'Italie et qui, du vivant de Lénine, s'est distinguée en tant que courant de gauche dans la vie de l'IC.
Le travail critique et théorique de la Fraction Italienne durant ces 25 années est considérable et porte sur tous les problèmes qui se sont posés au prolétariat international durant cette période riche en espoirs, en luttes, en expériences et en défaites.
S'inspirant de ce travail fécond et sur la base de ses positions programmatiques s'est fondée en 1937 la Fraction belge de la GC. En mai 1942, en pleine guerre impérialiste, un groupe de militants français ont publié une "Déclaration de principes" et ont crée un noyau qui s'est donné comme tâche la formation d'une Fraction française de la Gauche Communiste.
En décembre 1944, une conférence constitutive proclama la fondation de la fraction sous le nom de Gauche Communiste de France. Depuis, notre effort porte, à la fois et d'une façon indissociable, dans la participation à la lutta quotidienne du prolétariat français, lutte dans laquelle nous nous efforçons de faire pénétrer les solutions historiques de classe, et dans l'élaboration théorique de fondement du programme qui, avec la maturation des situations objectives, constituera la base du Parti de demain et de la Révolution prolétarienne.
L'examen des différents groupes et courants qui s'agitent au sein de la classe ouvrière en France fait ressortir cette première constatation, que la vague de chauvinisme – qui a noyé en août 1944 toute manifestation ouvrière – tend à décroître et que l'influence des partis chauvins diminue.
Le mécontentement des ouvriers dû à la pénurie du ravitaillement, à la poursuite de la guerre impérialiste, à l'aggravation des conditions de vie des ouvriers, ira grandissant.
Hier, le capitalisme français trouvait dans l'occupation allemande un moyen de dévier les ouvriers, de leur action de classe vers la lutte contre l'envahisseur. Ce tampon n'existe plus et le capitalisme ne peut plus rejeter sur les pilleurs étrangers le rationnement de famine octroyé aux ouvriers. Les bobards sur les vichyssois, sur la 5ème colonne s'usent chaque jour un peu plus. Les ouvriers perdent, dans la dure réalité, les illusions sur la reconstruction nationale et les réformes de structure. La tendance vers la gauche, c'est-à-dire la tendance vers la reprise de la lutte par des moyens de classe, ira en s'accélérant.
Avec le développement des mouvements révolutionnaires du prolétariat allemand, se produit un réveil de la lutte du prolétariat des autres pays et de France. Cette lutte - tout en gardant à certains moments et par endroits un caractère syndical, c'est-à-dire une lutte pour les revendications sur les lieux de travail, pour l'augmentation du salaire et la diminution de la journée de travail – s'élargira et dépassera par son contenu les cadres et la plateforme strictement syndicale pour poser des revendications plus larges à caractère social général, pour le ravitaillement, pour les vêtements, pour des habitations pour les chômeurs, pour la solidarité internationale, contre la poursuite de la boucherie impérialiste.
Dans l'orientation et la généralisation de la lutte, le prolétariat trouvera face à lui non plus le patronat mais se heurtera directement à l'État capitaliste.
La perspective internationale est le rebondissement, la recrudescence de la lutte sociale. Dans cette perspective générale, le prolétariat français reprendra sa place dans la lutte internationale des prolétaires de tous les pays, pour le triomphe de la Révolution Communiste mondiale.
Conférence faite le 5 avril 1945
Un grand progrès de centralisation du prolétariat et de sa lutte fut accompli lors de la transformation des organisations syndicales de corporations en syndicats d'industrie. Avant 1914, le mode de recrutement et d'organisation fut le métier, la profession. Cela correspondait assez à la petite production où les fabriques et ateliers ne faisaient qu'une espèce de production spécialisée. L'organisation syndicale groupait alors effectivement tous les ouvriers de l'atelier et pouvait se préparer et calculer ses chances de lutte en tenant compte de la particularité de la profession, de ses conjonctures saisonnières, des conditions propres à la profession. Ce fut l’âge d'or des chambres syndicales. Des corporations comme celle des chapeliers, des casquettiers ou des tailleurs pouvaient mener victorieusement une lutte acharnée et des grèves en pleine saison, durant des semaines. Bien connus sont les actes d'éclat du syndicat des électriciens de Paris, plongeant dans l'obscurité les grandes salles de théâtre en plein spectacle de gala.
Le développement de la grande industrie et des grandes usines à l'intérieur desquelles s'accomplit le travail de plusieurs métiers rendait cette structure élémentaire de l'organisation surannée et nuisible. L'existence dans la même usine de plusieurs syndicats professionnels luttant séparément divisait les ouvriers face à un même patronat. L'organisation par profession avait vécu.
Par ailleurs, le capitalisme opérait une concentration de ses forces. Les syndicats et les trusts d'industrie dirigeaient l'exploitation des ouvriers à l'échelle nationale. Face aux ouvriers d'une usine ne se dressait plus un patron isolé mais un consortium national. La grève dans une usine ou dans les usines d'une ville ne mettait plus le patronat dans des difficultés à exécuter ses commandes. Les usines d'une région subvenaient aux nécessités de la production que les autres usines n'étaient pas à même de satisfaire. A ces nouvelles conditions devait correspondre une nouvelle forme de l'organisation syndicale, centralisant et liant étroitement la lutte des ouvriers d'une même industrie sur l'échelle nationale. Ce fut la structure verticale de fédération d'industrie.
La crise permanente du capitalisme a modifié la vie sociale et les conditions de travail. L'économie relève de plus en plus d'un centre unique, de l'État capitaliste. La production comme la consommation, les conditions de travail, les salaires, la durée de travail sont directement réglés dans leur détail par l'État. Ce n'est plus face au patronat que les ouvriers se dressent. Face à leurs revendications qui sont de plus en plus sociales, ils trouvent les ministres et leur prolongement local, le préfet et autorités étatiques locales.
La lutte ouvrière cesse d'être conditionnée par la situation particulière de leur branche d'industrie mais est conditionnée par la situation sociale générale se subdivisant en situations régionales.
L'ouvrier métallurgiste de Marseille a plus de commun avec le docker ou le maçon de sa région qu'avec le métallurgiste de Lille. Aussi observons-nous le fait caractéristique de luttes présentes éclatant et embrasant non des branches d'industrie mais prenant l'aspect de grèves générales par localité et par région.
A ce nouveau stade de la lutte doit correspondre une nouvelle structure de l'organisation. C'est la structure horizontale. Elle groupe et relie les ouvriers sur leur lieu de travail et de localité. Au travers de ces organisations de base, par leur comité directement élu et sous le contrôle constant de tous les ouvriers s'établit la liaison immédiate et directe coordonnant la lutte des ouvriers sur le plan local, régional et national. Cette structure n'est pas une invention artificielle. Son principe se trouve déjà ébauché dans les luttes récentes en France.
Cette structure ne signifie pas la disparition de l'organisation syndicale. Elle ne fait que rendre plus efficace l'organisation en vue de la lutte dans une situation nouvelle plus avancée.
Le syndicat d'industrie a nié la structure professionnelle-locale. La structure horizontale est au syndicat d'industrie ce que ce dernier était au syndicat de profession. En le dépassant, il revient à la base locale sur un plan plus avancé.
Dans ce domaine aussi s'accomplit un processus dialectique suivant et traduisant le cours dialectique de la vie.
Devant une situation indécise et chaotique résultant de la défaite de la première vague révolutionnaire de 1917, en Europe particulièrement, le Comité exécutif élargi de l'IC, après le 3ème congrès, s'est réuni pour examiner cette situation et en tirer la tactique appropriée.
Les masses sont fatiguées ; elles subissent l'assaut du capitalisme doublement, par la répression et le chômage qui donne à l'ennemi de classe une armée industrielle de réserve allant toujours croissant et permettant de plus en plus une réduction du niveau de vie.
La classe ouvrière n'est pas encore rassemblée autour de l'IC comme le prouvent les expériences d'Italie et d'Allemagne ; pourtant elle manifeste un désir d'unité et dessine une volonté à rassembler ses forces pour un nouvel assaut.
Quelles sont les organisations qui polarisent les masses opprimées ? Dans le camp du prolétariat, l'IC ; dans le camp de la bourgeoisie, la 2ème internationale. Il y a donc une partie de la classe ouvrière qui continue à s'illusionner sur le caractère prolétarien des PS. C'est cette masse travailleuse qu'il faut arracher à l'influence des social-patriotes. Voilà la tâche de cette conférence.
La tactique ne sera pas conséquente des idées maîtresses de la Révolution d'Octobre. Elle pose comme point premier la question de l'unité prolétarienne ; il faut satisfaire ce désir de la classe ouvrière. Comment ? En le groupant le plus possible sur un programme minimum dans des actions quotidiennes, en démasquant les PS. C'est sur cette opération de démasquage que l'IC fait la fausse manœuvre.
Au lieu de démasquer le caractère contre-révolutionnaire des PS par la concrétisation du programme minimum dans la lutte de tous les jours, l'IC invite les sections nationales à proposer des actions communes aux PS même en dehors du programme minimum. Ainsi, disent-ils, si les partis traîtres refusent l'action commune, c'est eux qui paraîtront aux yeux du prolétariat comme les scissionnistes de la classe ouvrière ; et s'ils acceptent, de par leur nature et fonction contre-révolutionnaires ils se démasqueront pleinement au cours de la lutte.
La Conférence résumait justement, dans cette nouvelle tactique, une transformation de la nature du parti et de l'Internationale puisqu'elle pose comme condition d'adhésion au parti le programme minimum, tendant ainsi à considérer que l'unité prolétarienne autour de l'IC est fonction de l'élargissement à la classe entière du parti (parti de masse) avant la révolution et malgré le capitalisme au pouvoir.
Octobre 1917 avait prouvé que, même après la révolution, le parti avait à disputer l'influence, dans la classe ouvrière, à la bourgeoisie. Cette nouvelle tactique déformait la signification et l'enseignement de la Révolution russe et se donnait non pas la révolution comme but immédiat posé par la situation mais l'intégration des masses ouvrières dans le parti.
Pour ce qui est du démasquage des PS, le premier mouvement de méfiance de l'Internationale jaune n'a pas donné les résultats qu'on escomptait. Bien au contraire elle a permis de réduire le programme minimum d'action commune à sa forme la plus désossée et d'introduire des mesures réformistes qui achevaient de neutraliser les derniers éléments proprement révolutionnaires qui restaient dans le programme.
Une fois ce premier travail achevé, même dans l'action commune, les PS n'ont pas été démasqués car l'unité artificielle, réalisée en dehors des critères proprement de classe, a donné à des partis traîtres une auréole révolutionnaire qui leur a permis de freiner en sous-main l'action indépendante du parti.
Et quand les PC protestaient, les partis traîtres pouvaient impunément dire à la classe ouvrière que l'unité était en danger par la faute des communistes.
C'était un cercle vicieux dans lequel l'IC s'était introduite. L'unité de la classe ne réside pas dans le rassemblement de la classe indépendamment du programme révolutionnaire et uniquement sur des actions communes sans rattachement direct au but final.
Voir dans un front unique avec les organisations traîtres, les PS, la possibilité d'unité prolétarienne, c'est tomber dans cette erreur ; et pour détacher les masses restées attachées aux PS, il était faux de poser le démasquage sur le respect ou non du front unique par les PS et non sur la clarification de la conscience de classe au travers des luttes qui auraient pu unir tous les ouvriers par-dessus les PS.
C'est parce que le programme minimum était révolutionnaire qu'il fallait à tout prix le maintenir en dehors du front unique. La révolution allemande de 1923 a prouvé que les masses avaient atteint le niveau du programme minimum et voulaient le dépasser pendant que le parti avait encore sa lutte sur la mixture programmatique du front unique. Il y avait un décalage entre les masses et le parti mais cette fois-ci le parti était en arrière des masses.
Même quand la révolution allemande de 1923 éclata, le parti, dirigé sur la nouvelle nature du parti découlant du front unique, ne put saisir le caractère de révolution des mouvements de l'époque, n'ayant pas encore assemblé dans son sein la presque totalité de la classe ouvrière.
Ainsi le résultat de la révolution pour ce qui avait trait au parti devenait la condition nécessaire pour la révolution. Le parti de masse n'avait pas rassemblé tout le prolétariat ; et par l'introduction dans son sein d'éléments groupés uniquement sur le programme minimum, nous assistons à une diminution de la puissance combattive du parti et au développement de l'opportunisme et de la confusion dans le parti.
Le 4ème congrès de l'IC accentua cette nouvelle tactique. Le 5ème congrès, devant les résultats désastreux du front unique aurait dû remettre en question cette tactique. Zinoviev se contente de rejeter la faute des échecs de la classe ouvrière non sur la tactique mais sur la mauvaise application de la tactique due aux thèses du 3ème congrès écrites par Radek. Il attaqua violemment Radek pour proposer ensuite que le front unique soit pratiqué non seulement à la tête mais aussi à la base.
Les PC italien, français et espagnol s'étaient déjà opposés à une telle tactique à la conférence du Comité Exécutif élargi.
Au 5ème congrès, Bordiga et Rossi critiquèrent de nouveau cette position, déclarant entre autres que les militants révolutionnaires et même les ouvriers acquis au PC ne comprenaient pas cette politique qui obscurcissait leur conscience et les rendait méfiants. Ils ne considéraient qu'un seul front unique possible : à la base, sur le lieu du travail, par-dessus la direction des PS traîtres.
La différence entre le 4ème et le 5ème congrès de l'IC réside uniquement dans le fait qu'au 4ème le front unique n'était pratiqué que par la tête, et au 5ème on devait le proposer aussi à la base.
La révolution chinoise devait, hélas, continuer à démentir cette tactique. Le front unique par la base permit de concrétiser révolutionnairement les révoltes sourdes des ouvriers et des paysans qui se regroupèrent autour du PC. Le front unique par la tête permit à Tchang Kaï-Chek de contrôler l'activité du PC, de pratiquer un freinage de l'action révolutionnaire des ouvriers et paysans à l'aide de la petite-bourgeoisie, par la création de l'unité de la résistance au régime impérial pourrissant.
Ainsi un nouvel impact du front unique se concrétisera pleinement : la bourgeoisie pouvait s'immiscer dans les leviers de commande du parti et contrôler son action.
Des centaines de milles de chinois assassinés ont payé cette erreur de tactique de l'IC.
Cette tactique, la GCI l'a combattue à l'intérieur de l'IC et dans l'opposition dès 1927. L'expérience de l'accord anglo-russe est venue encore une fois confirmer que les masses avaient dépassé le programme minimum du parti pendant que le parti demeurait sur un programme encore plus minimum et réformiste en raison de son front unique avec les trade-unions.
C'est cette forme de front unique défini par les 5ème et 4ème congrès de l'IC que la GCI condamne et pose comme question de principe le rejet, pour le parti, d'une telle tactique.
Nous traiterons dans un prochain article de la question du front unique syndical et du front unique à la base.
Sadi
La période qui s'ouvre après la cessation des hostilités en Europe présente, pour les pays comme la France (pays vidés de toute leur puissance industrielle, soit du fait de l'expropriation du capitalisme occupant, soit du fait des bombardements), certains caractères spéciaux qui, s'ils ne sont pas nouveaux, sont beaucoup plus accentués qu'en 1918.
La crise qui s'ouvre en Europe prend deux aspects qui semblent contradictoires. D'un côté on assiste à un développement du chômage et du chômage partiel (en France, on compte plus de 3.000.000, non compris les prisonniers et ouvriers déportés), les salaires ont tendance à se stabiliser tandis que le coût de la vie augmente sans cesse.
D'un autre côté le capitalisme se trouve dans l'impossibilité de réarmer ses industries par suite du manque non seulement de capitaux mais aussi de débouchés (le capitalisme américain n'entend pas être gêné par les petits concurrents, la loi prêt et bail cesse avec les hostilités).
En rapport avec ces deux aspects, la photographie de la crise du capitalisme ne va plus s'exprimer par un amoncellement de richesses non vendues à côté d'une masse sans pouvoir d'achat. Les quelques rares privilégiés qui trouveront encore du travail dans les quelques usines ouvertes, le jour de leur paye toucheront un salaire si ridiculement faible que l'on assistera même à une désertion de l'usine vers des occupations telles que le marché noir et la petite combine.
L'expression de la lutte classe va de plus en plus perdre son caractère de revendications économiques pour se concrétiser de plus en plus sur le terrain social.
L'antagonisme capital-travail ne s'effectuera plus entre patron et ouvrier masquant ainsi l'État capitaliste mais bien plus ouvertement entre les masses affamées et le gouvernement.
Mais devant cet éloignement de la classe ouvrière de son lieu de travail, donc de sa première forme organisée, un danger se dessine déjà du fait de l'éparpillement des travailleurs. Quelle est l'organisation unitaire de la classe ouvrière qui pourra regrouper le prolétariat ?
Dans la période actuelle, nous ne trouvons que le syndicat, une des premières expressions conscientes de la lutte de classe. Mais ses possibilités et sa tâche sont directement conditionnées par la reprise de l'activité industrielle et la concentration ouvrière dans les usines.
Si le 2ème congrès de l'IC pouvait attribuer aux grèves, et par là aux syndicats, une force dans la marche à la révolution, il faut se rappeler la reprise de l'activité au lendemain de la guerre 1914-18 malgré la crise de 1920.
Aujourd'hui on ne peut plus parler de reprise de l'activité devant la crise (???) du charbon, ainsi que devant la disparition de débouché d'écoulement du capitalisme européen. Alors les syndicats voient leur possibilité d'action réduite à un petit nombre d'ouvriers travaillant encore.
Les grèves actuelles, par leur manque d'ampleur et le limité de leur lutte, ne peuvent être considérées que comme des expressions secondaires préludant à la formidable lutte de classe de demain.
La tâche des syndicats se trouve encore plus réduite du fait de leur inféodation toujours plus poussée à l'État capitaliste. En 1918, à la sortie de la guerre, les syndicats conservent une autonomie pleine malgré la trahison de la direction qui avait essayé de s'infiltrer dans les rouages de la machine étatique capitaliste.
Aujourd'hui cette inféodation est chose faite à l'échelle nationale et internationale.
Sur le plan national, nous voyons les syndicats réclamer des places dans l'assemblée consultative et les obtenir. Aux élections municipales des listes CGT ont été présentées et élues. On parle de plus en plus de faire entrer la CGT dans les combinaisons gouvernementales.
Sur le plan international, la Conférence de Londres ainsi que le Bureau International des syndicats de San Francisco demandent à assister à la Conférence des Nations Unis ainsi qu'à la Conférence de la Paix, et vont jusqu'à préconiser ce qu'ils appellent un contrôle de l'emploi de la main-d’œuvre mondiale sous leur direction, qui se soldera en définitive par un nouveau masquage des horreurs capitalistes.
Sur le plan de la lutte quotidienne, les ouvriers employés tendent de plus en plus à abandonner la lutte pour les salaires (voir les grèves du Nord) pour orienter leurs efforts vers un meilleur ravitaillement.
La revendication pour une plus rapide épuration relève plus de l'adjonction apportée par les partis traîtres (PS, PC) que de la volonté des ouvriers.
Mais, fait plus grave pour le capitalisme, la lutte ne demeure plus dans le cadre étroit de l'usine ou de la branche d'usine mais s'élargit à toute la classe ouvrière localement, éliminant ainsi la démagogie du patron salaud et de l'État arbitre impartial.
Les cris de "A bas Ramadier!" ou de "Pétain au poteau!" indiquent un début de prise conscience face à la vraie nature d'instrument de domination capitaliste qu'est l'État.
On se rendra compte donc de l'insuffisance des syndicats comme arme du prolétariat dans la période présente et à venir. Le cadeau que la bourgeoisie a donné au prolétariat le jour de la "libération" de la France est devenu une arme tellement amenuisée pour les masses de travailleurs que, devant l'indifférence de ces dernières à réintégrer les syndicats, l'avant-garde se doit de lutter contre cette indifférence pour ne pas laisser de côté même une arme si affaiblie, surtout face à l'inexistence d'une nouvelle forme d'organisation unitaire de la classe ouvrière.
Mais la tâche de l'avant-garde dans la période montante actuelle est d'analyser sur quel point concret se manifeste le mécontentement de la classe ouvrière en vue de son regroupement futur sur des bases qui la libéreraient de l'étroitesse des cadres idéologiques syndicaux, sans pour cela poser une opposition entre la nouvelle et l'ancienne organisation unitaire du prolétariat.
L'indifférence des travailleurs en matière de revendications syndicales ainsi que la faillite des minorités syndicales qui tendent à regrouper les masses contre la politique des bonzes syndicaux, l'existence de la majorité des ouvriers hors des usines, la crise qui disloque l'équilibre du contraste capital-travail, font ressortir la nécessité de poser comme point de départ des luttes de classe futures les contradictions sociales et non plus les contradictions purement (…) de l'usine.
Le prolétaire sent fort bien actuellement que sa lutte sur le lieu de travail perd de sa puissance car il est amené à faire la corrélation entre l'usine et l'ensemble de la situation sociale.
Réclamer une augmentation de salaire à son patron ne résout pas le problème du ravitaillement ; ce n'est plus face à son patron qu'il s'oppose mais surtout face au gouvernement qui maintient la famine et face à la guerre, prétexte donné à la famine.
La lutte rompt les cadres de la spécialisation ouvrière ainsi que ceux de la branche d'industrie, pour lier la lutte non seulement de l'ouvrier mais de la ménagère aussi et du chômeur, car tous les trois trouvent devant eux un ennemi commun, indépendant en apparence de l'élévation du salaire ou de l'allocation du chômage : le ravitaillement.
Et ce rationnement est directement imputable, pour l'ouvrier, à l'État, à la guerre et à tout ce qui soutient l'État capitaliste.
De plus en plus se pose à l'avant-garde le problème d'une nouvelle organisation unitaire de la classe ouvrière pour ne pas laisser dans l'anarchie, dans l'éparpillement les forces de révoltes contre l'État.
Supposer que cette nouvelle organisation jaillit spontanément de la lutte avec l'ampleur qu'ont pris les Soviets empêche l'avant-garde de regrouper le prolétariat, les syndicats se liquidant de plus en plus.
Les conditions de la nouvelle organisation sont posées et c'est seulement ce facteur qui était indispensable à l'initiative révolutionnaire.
La tâche de l'avant-garde, dans la période présente, revient donc - tout en ne négligeant pas le travail syndical qui ne touche hélas que les ouvriers travaillant – à chercher dans les manifestations de classe l'organisation susceptible de rassembler toute la classe ouvrière (chômeurs et non chômeurs), capable de lui permettre d'aborder les problèmes qui présentement l'intéressent en tant que classe pour l'opposer à l'État.
L'organisation ne devra plus prendre comme assise le lieu de travail seulement mais aussi et surtout le lieu de concentration prolétarienne ; le problème de la lutte de cette organisation ne repose plus sur l'antagonisme ouvrier-patron mais sur l'antagonisme prolétariat-État.
Quel que soit le nom de cette nouvelle organisation unitaire de la classe ouvrière, sa caractéristique sera essentiellement sociale, car dans la période de décadence du capitalisme, devant la crise permanente, l'État tend à donner des solutions sociales et non économiques pour le maintien bien fragile du capitalisme. La classe ouvrière se trouve portée à lutter contre ces solutions sociales pour imposer, au travers de l'avant-garde, les siennes.
Du fait du déplacement de l'axe de la lutte ouvrière du lieu de travail au milieu social, la nouvelle organisation doit présenter une structure horizontale liée au secteur et non à la branche d'industrie (localité et non bloc d'industries semblables), la généralisation des contrastes sociaux accentuera et aidera à la centralisation de la structure horizontale.
S.
Cette guerre présente par rapport à celle de 1914-18 des points très caractéristiques de différence.
D'un côté nous nous trouvons en présence d'une bourgeoisie avertie qui a su tirer les leçons des mouvements ouvriers de 1917 en Russie et 1918 en Allemagne. Ainsi une des tâches à laquelle elle s'est consacrée le plus machiavéliquement a consisté dans la destruction idéologique et physique des organisations ouvrières par la répression bestiale et nue et par la démagogie nationaliste et démocratique.
La Russie, dans cette période, a été le premier bastion ouvrier que le capitalisme a jugé nécessaire de réduire par les armes et par les accords économiques, accentuant la dégénérescence de l'Internationale jusqu'à ce que, pour la prolongation d'un accord économique avec l'Allemagne en 1933, l'Internationale se soit liquidée en tant qu'organisation idéologique du prolétariat.
Depuis, la Russie est entrée dans le camp de la bourgeoisie ; et, d'arme de la classe ouvrière qu'elle était, elle est devenue le meilleur instrument capitaliste de duperie et d'enchaînement des masses opprimées à la guerre.
D'un autre côté, devant l'immense désarroi de l'avant-garde révolutionnaire par rapport à l'IC et le travail énorme de vérification, d'étalement des valeurs révolutionnaires qui lui incombait face à la décapitation idéologique de la classe ouvrière, elle a eu beaucoup de peine à redresser la pensée marxiste et à reprendre le chemin de Lénine, ce qui fait qu'elle n'a pu jouer en 1933 le rôle de pôle attractif.
Mais, même dans l'avant-garde révolutionnaire, la période de reflux qui va de 1933 à 1939 a été impitoyable dans l'élimination des éléments opportunistes sans pour cela permettre encore une prise réelle de conscience. La GCI, qui pourtant avait résisté à l'écueil de la guerre d'Espagne en démasquant immédiatement son caractère capitaliste, dès 1936 se fourvoie dans une perspective de révolution qui fait qu'à la déclaration de la guerre la fraction se trouve surprise, dépassée et disloquée organisationnellement.
Ainsi, dans cette guerre, contrairement à la fraction bolchevik en 1914, la GCI est incapable pendant 2 à 3 ans de remplir son rôle d'avant-garde révolutionnaire.
N'étaient la volonté de ses militants, la solidité de ses analyses et des leçons tirées de l'expérience ouvrière de 1917 à 1938 (malgré certains retards tels que la théorie de l'État prolétarien dégénéré en URSS), la GCI aurait sombré laissant ainsi sans appui idéologique tous les mouvements révolutionnaires qui doivent sortir de cette guerre.
Le pont entre la période de flux de 1917 et celle d'aujourd'hui n'aurait pu exister, ce qui se serait soldé par une confusion dans l'expression de lutte du prolétariat.
On se rend compte de la valeur de ces hypothèses au travers de l’effort continu et souvent lésé par la répression, et celle des résultats de la GCI, depuis son regroupement qui s’est exprimé par la cristallisation d’un noyau français sur la base de la GCI jusqu’à l’existence de groupements révolutionnaires confus tels que les CRF qui n’ont leur signification qu’au travers du travail anarchique du noyau français dans la discussion, l’élaboration et la propagation de la politique et du programme issus des principes de la GCI.
Tout le travail idéologique des RKD, qui a servi de base au CRF, est confus, hétéroclite mais possède indéniablement le caractère révolutionnaire. Si, jusqu’en 1944, ce programme connu par nous n’a pas été révisé par ces groupements, c’est dû entièrement à notre attitude envers eux et à notre ridicule façon de répondre à la discussion par les mêmes méthodes confuses et hétéroclites qui ont caractérisé l’élaboration de leur programme.
Si aujourd’hui ils sont arrivés à déclarer d’eux-mêmes la nécessité de réviser certaines parties de leur programme -les plus importantes- ce n’est encore pas grâce à l’expérience de la GCI mais surtout grâce à la volonté révolutionnaire de ce groupement qui, tout en tâtonnant et présentant des excès, cherche à rattraper le retard sur la situation.
Que devons-nous faire aujourd’hui ? Continuer dans cette voie anarchique en théorisant des incapacités en principe ?
Nous pensons que non, car le travail de formation des cadres qui nous incombe est fonction de la netteté des problèmes à discuter et de la clarté de la discussion. Cette discussion et ce travail en général ne se font pas en champ clos mais bien dans le prolétariat et avant tout parmi ses éléments avancés.
Ce travail ne se comprend pas dans le sens scolastique et professoral mais s’intègre, épouse, agit avec la classe ouvrière.
La dislocation des éléments idéologiques confus des CR et RKD ne s’effectuera qu’en fonction de la lutte de classe, non pas isolément, chacun dans sa tanière, mais tantôt séparés tantôt marchant parallèlement, pour leur faire profiter de notre expérience politique et les aider à se débarrasser du manteau de confusion qui les habille, au travers de cette lutte de classe qui est là pour vérifier notre expérience.
Ce n’est pas un travail de démasquage de ces organisations face à la classe ouvrière mais une tâche s’intégrant dans la nécessité de faire rattraper au prolétariat le retard qu’il a par rapport à la situation actuelle.
Attaquons la confusion le plus durement possible mais ne négligeons pas le travail d’apport révolutionnaire ; et surtout ne jouons pas aux aveugles qui cherchent à tâtons la classe ouvrière et qui ne la trouvent pas parce que nous avons jusqu’à aujourd’hui « jeté l’écorce avec le fruit », la confusion avec les éléments essentiellement révolutionnaires, au lieu de nous atteler à la tâche de briser l’écorce pour mieux faire mûrir le fruit.
Voilà pourquoi la CE a jugé utile la réunion d’une conférence internationale avec tous les groupes révolutionnaires marxistes. Les critères marxistes à l’heure présente sont donnés par les 4 points suivants :
Cette conférence a comme tâche de permettre la connaissance de l’acquis révolutionnaire dans le prolétariat (car ces groupes peuvent être considérés comme des manifestations spontanées de la classe ouvrière en raison de la manière dont ils se sont formés, sans liens avec l’expérience de 1917) au travers de l’élaboration d’une résolution sur la situation et les perspectives.
Une fois cet acquis posé clairement, les tâches politiques divergentes orienteront la discussion vers la clarté d’une façon féconde. Cette discussion, une fois embrayée sur le terrain expérimental des mouvements de classe, donnera à chaque instant la mesure de la maturation du prolétariat et permettra la concentration des énergies révolutionnaires dans l’action sur les points d’où jailliront la guerre civile et la révolution.
De plus, un bureau de liaison et d’information sera créé, permettant de prendre les mesures nécessaires à la continuation de la discussion, seule garantie de la lutte de demain en raison du retour en Allemagne des RKD et en Italie de la GCI.
Nous savons déjà que certains théoriciens de la GCI ont qualifié notre position d’opportunisme et cette conférence d’essai de constitution d’une Internationale 4¼.
Opportunistes, nous ne le croyons pas; ou alors il faut démontrer que la volonté de combattre la confusion et non de la rejeter simplement au nom des principes, que la nécessité d’asseoir cette discussion sur les mouvements présents et futurs afin de faire reculer la confusion dans les rangs de la classe ouvrière est de l’opportunisme.
Ce que nous demandons ce n’est pas des critiques partisanes mais une sérieuse volonté d’éviter le plus possible les faux-pas, là et dans la lutte de demain, par des actions indépendantes ou communes mais toujours momentanées avec les CRF et les RKD; nous pourrons vérifier nos armes et aider ces organisations à clarifier leur position parce que la situation répondra dans notre sens si nous avons vu juste et agi de même.
L’opportunisme ne se soucie pas du cours historique et ne tient compte que des contingences du moment ; nous, nous continuerons à considérer l’histoire seule, juge et inspiratrice de notre action.
L’opportunisme recherche des actions communes et des compromis en fonction du moment seulement et en acceptant de mettre de côté le but final, en concentrant uniquement la lutte sur des étapes ; nous faisons au contraire découler nos actions de certains critères vérifiés par l’histoire et en fonction du but final, en le posant toujours à l’ordre du jour.
Pour ce qui est de qualifier cette conférence « d’essai de constitution d’une Internationale 4¼, nous préférons ne pas nous hasarder sur le terrain de la prophétie, car voir dans un bureau de liaison et d’information pour la discussion un bureau politique de la classe ouvrière internationale, c’est un peu trop tôt (il a fallu un an pour que Zimmerwald se transforme en Kienthal) ou avoir lu ceci dans les astres.
Ce que demain réserve à ce bureau, seules les discussions qui s’effectueront le diront ; et s’il donne naissance à une Internationale 4¼, c’est que nous ne serons plus dedans, les CR et les RKD probablement aussi.
Sadi
Nous publions ci-dessous un document qui date d’un an et demi. Écrit et présenté par le groupe de M. un an avant la conférence constitutive de la Fraction Française de la Gauche Communiste, ce document présente aujourd’hui encore tout son intérêt.
Il indique d’une façon nette l’esprit avec lequel notre organisation entend aborder le grave problème du regroupement des forces révolutionnaires en France, en se gardant d’un sectarisme stérile autant que d’unification et de blocs sans principes propres aux opportunistes, que des méthodes de noyautage et de grignotage. C’est par la discussion politique, par la confrontation critique constante des positions principielles que les groupes et militants révolutionnaires parviendront à faire œuvre utile et féconde, en dégageant les bases programmatiques pour la fondation du futur parti.
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La découverte de votre existence en tant qu’organisation a été, pour nous, la source d’un réel réconfort. Réconfort, parce que se vérifie, dans les faits, enfin l’hypothèse que nous avons émise, il y a longtemps déjà, selon laquelle, au fur et à mesure que, d’une part, mûrirait la situation et que, d’autre part, deviendrait plus apparent et plus néfaste le désarroi, la confusion et la trahison des organisations qui prétendent former l’avant-garde, se dégageraient de leur sein des forces et des militants qui considèreraient que la première condition pour réaliser la rupture avec la bourgeoisie, c’est d’abord de briser avec les formations qui, consciemment ou non, sont à son service.
Quelles que soient les conclusions à propos de l’analyse de la situation et des tâches qui selon vous en découlent, vous serez certainement d’accord avec nous pour dire que nous nous trouvons maintenant à la veille d’événements qui pourront être gros de conséquences et au cours desquels sera mis en jeu le sort de la révolution pour les plus proches années. Nous assistons à une maturation de plus en plus rapide des facteurs objectifs et, en même temps, nous devons enregistrer le retard des facteurs subjectifs, la prise de conscience par les prolétaires des divers pays, de leur mission historique, et l’extrême faiblesse, le manque de cohésion et de préparation de l’avant-garde révolutionnaire sans laquelle les mouvements de demain seront noyés dans le sang et arrachés du terrain de classe, comme ils le furent en Espagne en 1936 et, plus près de nous, en Italie il y a quelques mois.
La tâche essentielle, urgente, est donc l’édification, dans les principaux pays, de l’organisation révolutionnaire, embryon du nouveau parti, et la liaison à l’échelle internationale.
Cette édification, nous sommes convaincus qu’elle devra passer -pour obtenir un résultat certain et durable- par le stade des fractions communistes de gauche, c’est pourquoi nous nous sommes, quant à nous, appuyés sur l’armature principielle dégagée par la Fraction Italienne de la Gauche Communiste au cours des 20 dernières années d’élaboration critique, d’étude et de lutte contre l’opportunisme. Nous ne sommes pas de ceux qui recherchent une formule d’organisation plus ou moins originale, plus ou moins démocratique, dont la stricte application mettrait ses inventeurs à l’abri de la dégénérescence et leur assurerait une vie longue et féconde. La fraction n’est pas pour nous un système de structure organisationnelle mais elle est le seul lien où peut subsister la conscience ouvrière au moment où la chute du parti dans l’opportunisme et son passage du côté de la contre-révolution marquent la disparition du prolétariat, en tant que classe, de l’arène politique. C’est alors dans la fraction exclusivement que peuvent être tirées les leçons d’une expérience ayant abouti à la défaite, leçons qui constitueront les matériaux nécessaires pour une nouvelle mise au point des principes, pour continuer la refonte permanente du programme et de la tactique révolutionnaires. C’est enfin la fraction qui donnera naissance au parti lorsque seront réalisées les conditions nécessaires :
1°- le programme et la tactique s’appliquant à la nouvelle situation,
2°- l’ébranlement des rapports des classes, marquant le passage du prolétariat de l’état de catégorie économique à celui de classe consciente.
Nous avons pu prendre connaissance de quelques numéros de votre organe et regrettons de ne pas posséder des documents théoriques de vous qui nous permettraient de nous rendre mieux compte de vos positions de principes sur les problèmes primordiaux. Néanmoins, votre journal marque une nette volonté de rupture avec la guerre impérialiste, le capitalisme sous toutes ses formes -ses formes démocratique, soviétique aussi bien que fasciste- et tous les soutiens de la bourgeoisie : débris social-impérialistes de la 2ème Internationale, social-chauvins du stalinisme, du côté de la 4ème Internationale mort-née, opportunismes et courant anglophile, centristes rétrogrades partisans de la défense de l’URSS, confusionnistes de la gauche « orthodoxe », sans parler du Bureau de Londres, nouvelle opposition de Sa Majesté britannique, et des derniers vestiges de l’anarchisme qui accommode très bien leur conception anti-étatique avec le soutien des États impérialistes les plus rapaces.
Votre indépendance vis-à-vis de toutes ces formes de la contre-révolution nous engage à vous proposer une prise de contact en vue d’établir une liaison suivie entre nos deux organisations dans les buts :
1° de prendre connaissance des positions programmatiques respectives, de déceler et discuter les divergences qui nous séparent ou peuvent nous séparer, plus particulièrement sur les problèmes suivants :
2° d’examiner la situation actuelle, les perspectives et l’édification du parti de classe de demain ;
3° de préparer, avec les fractions italienne et belge de la Gauche Communiste et les RKD, la réunion d’une Conférence de liaison internationale.
Recevez, camarades, nos salutations communistes.
N.F. (groupe M.)
Janvier 1944
Links
[1] https://fr.internationalism.org/en/tag/conscience-et-organisation/gauche-communiste-france
[2] https://fr.internationalism.org/en/tag/courants-politiques/gauche-communiste
[3] https://fr.internationalism.org/en/tag/questions-theoriques/syndicalisme
[4] https://fr.internationalism.org/en/tag/heritage-gauche-communiste/question-syndicale
[5] https://fr.internationalism.org/en/tag/heritage-gauche-communiste/front-uni
[6] https://fr.internationalism.org/en/tag/questions-theoriques/parti-et-fraction
[7] https://fr.internationalism.org/en/tag/heritage-gauche-communiste/lorganisation-revolutionnaire