En juin 1940, après onze mois de guerre, la France s'effondre et demande l'armistice. C'est ainsi que dans une défaite militaire écrasante se concrétise et éclate la décadence de ce vieux capitalisme.
Si on compare en effet ces onze mois, dont les deux derniers constituent un exemple typique de guerre-éclair, aux quatre années de lutte contre l'Allemagne de la dernière guerre, on s'aperçoit du décalage qui s'est produit entre le développement économique des deux pays.
La raison de ce décalage, de cette décadence de la France, s'explique en quelques mots : le déséquilibre entre le capital financier et le capital industriel dans ce pays. Déjà, avant 1914, l'exportation du capital français se faisait aux dépens de l'industrie nationale. La bourgeoisie française tirait, dès cette époque, des prêts faits aux autres États un revenu supérieur à celui de son industrie. Cette tendance devait aller en s'accentuant après la guerre où la France trouva un placement usuraire de ses capitaux dans les emprunts des nouveaux États créés par le traité de Versailles en Europe. Par contre le rythme de développement de l'industrie française subit le ralentissement caractéristique de l'époque de décadence pour tous les capitalismes et aussi un ralentissement par rapport à celui des autres grandes puissances dans la même période.
Une autre ressource du capitalisme français, en même temps qu'un facteur relatif d'équilibre pour son industrie, était constitué par son vaste empire colonial. Ce sont ces facteurs qui expliquent la faiblesse des remous sociaux d'après - guerre en France et l'atténuation de la crise et du fléchissement de la production en 1929-30, par rapport à ceux des États-Unis, de l'Allemagne ou de l'Angleterre.
Ses intérêts financiers dans le monde et son empire colonial permettaient à la France de mener, au lendemain de 191418, une politique impérialiste et, par la suite, de s'assigner un rôle de grande puissance sur le plan international, ce qui ne correspondait plus à sa puissance réelle et devait se terminer par sa ruine. On peut dire que le décalage entre sa jactance et ses moyens réels n'est que le reflet de ce déséquilibre croissant entre son capital industriel et son capital financier et commercial.
Si nous examinons maintenant la situation du prolétariat français à l'éclatement de la deuxième guerre mondiale, nous y voyons reflétées toutes les contradictions de ce capitalisme pourrissant sur place, avec son retard industriel et sa force de puissance colonialiste et usuraire.
L'incapacité de ce prolétariat à se dégager de l'idéologie anti-fasciste, inculquée par des années de politique stalinienne et renforcée dans le cours de la guerre d'Espagne de 1936-39, contraste avec la passivité et le début d'indifférence envers "les destins de la nation française", bien opposés au déchaînement du chauvinisme de 1914-18.
Ceci s'explique, non par une augmentation de sa conscience révolutionnaire, mais par la décrépitude du capitalisme français tout entier qui se retrouve dans les discussions au sein de la bourgeoisie, dans l'anachronisme et l'incapacité de l'armée.
La défaite de 1940 ne devait pas provoquer l'explosion de mouvements prolétariens, comme ce fut le cas en 1871 pour la Commune de Paris, ce qui s'explique par le retard politique du prolétariat français et par la situation internationale d'alors dominée encore par les victoires et la puissance économique de l'Allemagne.
Cette absence de mouvements révolutionnaires allait permettre à son tour l'intégration d'une partie de l'industrie lourde française à l'appareil productif allemand, parant pour quelque temps le capitalisme français de la crise économique inévitable d'après-guerre.
La défaite et la collaboration avec l'Allemagne allaient diviser la bourgeoisie française en deux fractions : la première, celle de Vichy, ralliait derrière son programme de collaboration l'industrie lourde dont les intérêts étaient traditionnellement liés avec ceux de certains secteurs économiques allemands, complémentaires du point de vue économique et à laquelle, malgré la défaite, la production de guerre pour les besoins de l'Allemagne permettait encore de réaliser des profits.
La deuxième, groupée derrière De Gaulle, était constituée par le capital financier dont une victoire de l'Allemagne aurait miné et détruit le système de crédits et de prêts usuraires, et aussi par la plus grande partie de l'industrie de consommation ruinée par le blocus, la réquisition des matières premières, des moyens de transport et des sources d'énergie par l'Allemagne. Cette fraction - poursuivant une politique belliciste sans avoir la base économique nécessaire : une production de guerre - ne pouvait qu'être un instrument entre les mains des Anglo-Américains qui, disposant seuls de la puissance économique, disposaient également du sort de la France.
En face de ces deux fractions de la bourgeoisie, le prolétariat ne parvient pas à prendre une position propre de classe. La réaction à l'exploitation économique forcenée de la guerre, à l'oppression politique qui le prive de toutes ses organisations de classe et à la menace constante de la déportation en Allemagne, le met en opposition avec la fraction bourgeoise de Vichy, mais le rejette vers la fraction "démocratique" d'Alger et de la Résistance.
Car si la défaite de la France a réduit à néant les facteurs historiques qui lui ont permis de figurer comme un chaînon résistant de la chaîne des puissances capitalistes depuis la fin du 19ème siècle, ces facteurs n'en continuent pas moins à peser sur la conscience du prolétariat.
Ce retard idéologique de la classe ouvrière uni aux conditions objectives sous l'occupation permettent à cette fraction "démocratique" d'utiliser le mécontentement du prolétariat pour la défense de ses propres intérêts bourgeois au travers du mouvement nationaliste qui l'oppose au capitalisme allemand.
En effet, la présence d'un capitalisme étranger, traditionnellement opposé au capitalisme français, se substituant à la domination de celui-ci et présentant d'autre part une forme plus violente d'oppression capitaliste, enfin l'intégration de l'économie française à l'économie allemande masquent encore les problèmes posés par la défaite, empêchent le prolétariat français de prendre conscience de l'antagonisme de classe en le canalisant vers l'antagonisme inter-impérialiste : on peut dire que l'occupation allemande a été l’âge d'or de la démagogie "démocratique".
Tous les partis groupés dans la Résistance, parti socialiste, parti stalinien, CGT illégale contribuent par leur propagande et leur action à entraîner le prolétariat dans une lutte contre-révolutionnaire et à renforcer ainsi sa soumission à sa propre bourgeoisie. Tandis que les grèves sur les lieux de travail sont presque inexistantes, le sabotage et le terrorisme prennent une grande extension ; devant les déportations en Allemagne les ouvriers, ne pouvant s'y opposer en tant que classe, se réfugient individuellement dans les maquis.
Le débarquement anglo-américain, fonction du renversement du rapport de forces sur le terrain économique entre l'Allemagne et les Alliés, qui revêt du fait de la menace révolutionnaire en Europe le caractère politique de croisade contre la révolution, voit la manifestation ouverte de cette situation. Succédant et amplifiant les luttes du maquis, la lutte des FFI alimente et renforce le chauvinisme, empêche une cristallisation du mécontentement dans l'armée allemande en défaitisme révolutionnaire et rend ainsi impossible toute fraternisation. C'est une explosion du nationalisme et de l'antifascisme renforcée par quatre années d'occupation et qui englobe avec la masse inconsciente de la petite-bourgeoisie le prolétariat lui-même. L'insurrection de Paris, commandée d'en haut par le Comité d'Alger, constituait à la fois une manœuvre pour exacerber le patriotisme et un sondage de la situation par la bourgeoisie : bien qu'elle n'ait pas englobé de grandes masses, elle a répondu positivement aux Alliés et à De Gaulle, le prolétariat était neutralisé.
La "libération" trouve la France dans une situation qui révèle toute l'ampleur de sa décadence, exprimée par la défaite de 1940 et camouflée par l'occupation allemande : appareil d' État désorganisé, appareil productif en partie détruit, crise économique catastrophique résultant de la désintégration de l'économie française et de l'appareil productif allemand.
La situation politique, qui voit le prolétariat à la remorque du mouvement nationaliste, va pourtant permettre à la bourgeoisie française de surmonter momentanément ces difficultés.
Le gouvernement De Gaulle qui succède à la dictature de Vichy n'est lui-même qu'une nouvelle dictature militaire : la multiplicité de partis défendant tous la même politique bourgeoise et l'existence d'un appareil syndical complètement asservi à cette politique ne parviennent pas à lui donner même une apparence de démocratie ; toute expression révolutionnaire est interdite, les militants révolutionnaires sont réduits à la même illégalité que pendant l'occupation allemande.
En ce qui concerne la reconstruction de l'appareil d'État, si derrière le problème de l'épuration se jouent des dissensions réelles entre diverses fractions de la bourgeoisie, le point de vue capitaliste de classe l'emporte en dernier lieu. En déclarant que "la restauration de la France réclame la collaboration de tous ses fils, même ceux qui se sont trompés", De Gaulle a exprimé la position de la bourgeoisie française. Car comment exclure des affaires et de la gestion de l' État une partie, et pas la moins puissante économiquement, de cette même bourgeoisie ? Des gens qui ont sauvé le capitalisme français d'une situation fort difficile en lui permettant de continuer à produire, même partiellement, et en maintenant l'oppression du prolétariat. En réalité, l'épuration est surtout une propagande démagogique destinée à faire croire aux ouvriers "qu'une fois changée l'enseigne, la taverne ne sera plus la même".
Par contre la dissolution ou l'intégration à l' État des organes de lutte issus de la Résistance et qui, depuis la "libération", ne représentent plus qu'une structure périmée, est une nécessité réelle de la bourgeoisie française pour contrôler, concentrer et renforcer son appareil d' État, instrument de sa domination.
Si d'une part l'opposition manifestée par une partie de la Résistance à la dissolution de ses organes - MP et Comités de Libération - s'explique comme étant une manœuvre démagogique tendant à empêcher le prolétariat de se placer sur son terrain propre de lutte, d'autre part elle exprime aussi le mécontentement d'une fraction de la bourgeoisie devant la paralysie économique ; elle revêt le caractère d'une pression sur le gouvernement en vue d'activer la reprise de la production au travers de l'aide économique des Anglo-Américains.
L'attitude subversive du parti stalinien à cette occasion s'explique par son rôle d'agent et de serviteur d'un impérialisme étranger : l'URSS ; elle est à la fois un aspect de sa politique tendant à maintenir le prolétariat dans les cadres politiques bourgeois de la Résistance et une pression exercée sur la politique extérieure du gouvernement pour un rapprochement avec l'URSS.
Le fait que le gouvernement soit sorti victorieux - en faisant certaines concessions de forme - de cet épisode s'explique par le ralliement de la Résistance, déterminé par l'affermissement de la position internationale de la France au travers de la reconnaissance par les Anglo-Américains de ses besoins économiques et militaires, ouvrant la perspective d'une reprise de la production de guerre ; d'autre part par l'abandon par le parti stalinien de son attitude subversive, ceci en fonction du rapprochement avec l'URSS aboutissant plus tard au pacte de Moscou, et par la non-intervention du prolétariat (contrairement à ce qu'il arriva en Belgique dans cette lutte.
Ces événements ont montré cependant que le problème le plus grave pour la bourgeoisie française, celui qui est à l'origine réelle de ses luttes internes, est la situation économique.
L'effondrement de l'occupation allemande, interrompant la production de guerre qui permettait au capitalisme français de subsister, a aggravé la crise économique en ouvrant une phase suraiguë de celle-ci.
Le pays est appauvri par les saignées effectuées par l'impérialisme allemand, son appareil productif est démantelé par la guerre, enfin son empire colonial est hypothéqué par les Anglo-Américains.
Tous ces facteurs font de la France la vassale de l'Amérique et de l'Angleterre : sa reprise économique dépend de leur aide.
La décadence générale du système capitaliste et la guerre se manifestant en France par la perte des marchés extérieurs et des sources de matières premières, par l'inexistence d'un marché intérieur, par une situation économique catastrophique et la dépendance vis-à-vis des Anglo-Américains, il est évident que toute tentative de reprise économique ne peut se faire au travers d'un rétablissement de l'économie normale mais uniquement par une poursuite de la production de guerre et de la guerre elle-même.
Par ailleurs, bien que la crise générale du capitalisme rende illusoire ce rétablissement en obligeant la bourgeoisie à se précipiter dans des guerres de plus en plus rapprochées, la lutte inter-impérialiste se maintient pour chaque pays autour de la défense ou de la conquête des positions économiques. Aussi, voyons-nous la bourgeoisie française prétendre mener une politique impérialiste sur le dos de l'Allemagne, qui lui permette de regagner ses positions d'avant-guerre.
Produire pour la guerre, faire la guerre, occuper l'Allemagne, c'est là l'objectif impérialiste derrière lequel elle a essayé d'entraîner son prolétariat en le présentant comme la condition à l'amélioration de ses conditions de vie, "au retour à des nouveaux 1936".
Tous les partis, Résistance, parti socialiste, parti stalinien, les directions syndicales asservies, ont oeuvré pour la réussite de cette manœuvre.
La campagne pour la reconstruction, axée autour de la lutte contre les collaborateurs et la 5ème colonne, a servi à masquer au prolétariat que la situation de chômage et de misère qu'il subissait n'était que l'expression de la décomposition du système capitaliste, de l'incapacité de celui-ci à lui rendre jamais des conditions de vie supportables et qu'elle constituait une image de ce que serait le lendemain de cette guerre où il allait de nouveau l'entraîner.
De la même manière les "nationalisations" et la formation des comités de gestion, organes de collaboration de classes, ne devaient servir qu'à attacher la classe ouvrière au programme de guerre en lui donnant l'illusion de gagner des positions dans l'économie capitaliste.
Le dernier événement politique de cette phase transitoire où la France fut rejetée hors de la production de guerre et cherchait par tous les moyens de s'y réintroduire, fut le pacte de Moscou. Celui-ci marque le dernier pas de la bourgeoisie française vers la guerre, à la fois parce qu'il représente une pression sur les Anglo-Américains en vue d'activer leur aide, et parce qu'il tendait à créer les conditions politiques pour que le prolétariat encore trompé par l'illusion de l' État russe comme " État ouvrier" accepte plus facilement d'être envoyé au massacre.
L'aide économique des Alliés à la France, qui est aujourd'hui un fait acquis, a été surtout déterminée, ainsi que Roosevelt l'a exprimé, par la crainte de voir la situation de crise apporter dans ce pays des troubles sociaux qui empêcheraient l'écrasement de la révolution en Allemagne. Cette aide économique et les assurances qu'ils donnent au capitalisme français d'avoir une place dans les conférences internationales réglant le sort de l'Allemagne, ainsi que les accords de Moscou et la politique chauvine du parti stalinien français, indiquent que la bourgeoisie internationale a choisi la France comme un des principaux gendarmes de l'Europe et bourreaux de la révolution allemande.
Cela met en évidence le sens politique de classe de la reprise de la guerre destinée à maintenir divisés et hostiles les prolétariats allemand et français pour les réduire tous deux à l'impuissance.
Si la politique impérialiste de la bourgeoisie française a réussi aujourd'hui à obtenir satisfaction, elle n'a en rien changé sa situation réelle et par suite celle de son prolétariat. Toute politique impérialiste doit se baser sur une puissance économique dont la France est aujourd'hui privée. Elle est dominée par les grandes puissances alliées qui lui apportent, seulement contre l'hypothèque de ses colonies, une aide économique limitée et ce n'est pas demain une lutte inégale contre celles-ci qui lui permettrait de les reconquérir.
Ainsi la guerre où elle est engagée aujourd'hui, si elle semble lui rendre une importance dans l'arène internationale, n'offre en réalité aucune perspective d'amélioration dans l'après-guerre qui va au contraire précipiter dans la crise ces grandes puissances elles-mêmes.
Aussi la politique de "la guerre pour la reconquête de nouveaux 1936" et de "la renaissance française", défendue par le parti stalinien, est-elle un mensonge et une trahison à double titre : la décadence historique du capitalisme et la situation de la France en particulier.
Si, d'un point de vue immédiat, la rentrée de la France dans le conflit repousse pour la bourgeoisie la grave crise qui éclatera inévitablement lorsque les mouvements prolétariens imposeront l'arrêt de la guerre, pour le prolétariat elle ne fait qu'empirer sa situation. Sans doute le chômage sera-t-il résorbé partiellement mais le manque de produits de consommation, de ravitaillement, de moyens de chauffage, ainsi que la cherté de la vie ne peuvent que se maintenir et s'aggraver car ils découlent de la guerre elle-même. Bien plus, du fait de la mobilisation, il se voit contraint de participer physiquement au massacre. Son peu d'enthousiasme devant cette mobilisation, le mécontentement devant l'aggravation des restrictions - qui s'est manifesté par des mouvements spontanés (manifestation à Lyon, manifestations dans le Nord, particulièrement à Denain) - ne pourront qu'évoluer vers une reprise de la lutte des classes.
Ainsi, la solution bourgeoise momentanée de la guerre contient en elle-même sa contradiction. Aggravant les conditions de vie du prolétariat, l'obligeant en partie à subir les épreuves du front militaire, elle va lui révéler que l'origine de ses souffrances ne se trouvait pas dans la domination allemande mais dans le régime capitaliste lui-même ; que le capitalisme anglo-américain et russe a œuvré non pour sa libération mais pour son asservissement et son massacre.
La Résistance et tous les partis ainsi que les bureaucrates syndicaux vont travailler certes encore pour rejeter sur les Anglo-Américains toute la faute et pour l'entraîner dans une opposition nationaliste qui peut encore rebondir si l'aide économique ne se révèle pas suffisante. Le parti stalinien surtout essaiera de maintenir en lui un dernier espoir dans le capitalisme russe, en jouant sur les contrastes impérialistes qui opposent celui-ci aux Anglo-Américains.
Mais les événements de la Grèce et de la Belgique ont déjà démasqué le rôle de répression des Alliés en Europe ; la politique impérialiste de la Russie en Europe centrale ainsi que l'expérience directe de la guerre vont oeuvrer pour diminuer l'influence de leurs démagogies sur le prolétariat. C'est contre la guerre impérialiste elle-même qu'il sera appelé à lutter, que ce soit à travers des revendications économiques, que ce soit en réponse à l'éclatement des mouvements de classe en Allemagne.
Seule cette reprise de la lutte des classes contre la guerre, en déjouant la manœuvre de la bourgeoisie qui voudrait l'utiliser pour l'écrasement de la révolution allemande et en créant les conditions de transformation de la fraction de gauche communiste, aujourd'hui faible et isolée, en un fort parti révolutionnaire, le mènera à sa propre émancipation.
Pour dégager les traits saillants de la situation actuelle et en tirer les perspectives du prolétariat révolutionnaire, il faut en premier lieu, pour un marxiste, caractériser la période historique dans laquelle elle se situe.
Cette période historique est celle de la décadence du système capitaliste. Qu'est-ce que cela signifie ? La bourgeoisie -qui, avant la première guerre mondiale, vivait et ne peut vivre que dans une extension croissante de sa production- est arrivée à ce point de son histoire où elle ne peut plus dans son ensemble réaliser cette extension. Élargir toujours la production, cela signifie trouver toujours de nouveaux marchés pour le capitalisme qui exploite et qui vend mais qui ne produit pas pour les besoins des hommes. C'est pourquoi il est parti à la conquête du monde. Les nouveaux marchés, il les a trouvés dans des contrées qui ignoraient son mode de production, des pays extra-capitalistes. Il les a conquis, spoliés, prolétarisés, intégrés à son système. Ainsi il les a détruits en tant que marchés. Mais bien plus, sa course aux profits croissants l'a porté aux limites géographiques du monde exploitable par lui. Aujourd'hui, à part des contrées lointaines inutilisables, à part des débris dérisoires du monde non capitaliste, insuffisants pour absorber la production mondiale, il se trouve le maître du monde, il n'existe plus devant lui les pays extra-capitalistes qui pouvaient constituer pour son système des nouveaux marchés : ainsi son apogée est aussi le point où commence sa décadence.
Les conséquences de ce fait, du point de vue du prolétariat révolutionnaire, sont immenses. Dès 1914, c'est-à-dire le début de la décadence, Lénine dégageait celles-ci en caractérisant la période qui s'ouvrait alors comme "l'ère des guerres et des révolutions" et, plus tard, en posant comme perspective centrale la transformation de la guerre impérialiste en guerre civile.
En effet la décadence du système capitaliste -en posant comme une nécessité l'instauration d'un système nouveau qui, en produisant pour les besoins des hommes, échappe à la contradiction entre la production et le marché, c'est-à-dire la nécessité de la révolution prolétarienne- posait en même temps la maturité, la possibilité historiques de cette révolution.
Ceci n'est plus à remettre aujourd'hui en question : la révolution russe de 1917, première révolution prolétarienne victorieuse de l'histoire, les vagues révolutionnaires qui à partir de 1917 déferlèrent sur l'Europe et jusqu'en Asie ont prouvé la maturité historique de la révolution, comme le prouve en marchant le mouvement.
Même la défaite finale du prolétariat dans cette période, si elle a clairement démontré que sans parti révolutionnaire le prolétariat est incapable de parvenir à la victoire, n'a en rien ébranlé les positions communistes de Lénine et de la 3ème Internationale. Car, en laissant momentanément la direction de la société aux mains criminelles de la classe exploiteuse, elle n'a pas ouvert une période de prospérité et de rajeunissement du système capitaliste mais une période de crise économique permanente, de destructions et de conflits qui ont finalement débouché, comme Lénine le prévoyait, dans la 2ème grande guerre impérialiste.
Les marxistes doivent donc affirmer, comme base d'une analyse révolutionnaire de la situation, que la guerre actuelle est non le produit de la volonté diabolique de telle ou telle race mais l'expression monstrueuse d'une société condamnée ; que la perspective qui s'ouvre est non pas la paix, la reconstruction, la stabilisation capitalistes mais la transformation de la guerre impérialiste en guerre civile, la crise économique insoluble pour le capitalisme, la lutte révolutionnaire du prolétariat mondial.
Tous ceux qui ont tu ou caché au prolétariat cette réalité l'ont trahi. Ils couronnent aujourd'hui leur trahison en lui taisant et en lui cachant que, dans cette guerre actuelle, la transformation de la guerre impérialiste en guerre civile a déjà commencé et qu'elle domine la situation actuelle.
Au printemps de la quatrième année de guerre, en 1943, commence à se manifester un changement dans le déroulement monotone et étouffant des événements du conflit impérialiste.
On annonce des vastes grèves revendicatives en Amérique, en Angleterre, en Italie. Les premiers indices du mécontentement de la classe ouvrière viennent démentir les phrases menteuses d'Union sacrée des classes pour la guerre, témoigner aux transfuges du prolétariat qui l'ont oublié de la persistance irréductible du contraste de classe, aviver l'espoir des révolutionnaires cherchant avant tout à déceler dans les événements le réveil de la classe ouvrière.
La signification du mouvement se serait pourtant bornée à cela, s'il s'était limité à ces grèves. Mais si la bourgeoisie parvenait aisément dans ces bastions de résistance, en Amérique et en Angleterre, à juguler momentanément le contraste de classes, en Italie le mouvement revendicatif de mars 1943 allait aboutir quelques mois plus tard, en juillet, à une opposition ouverte de classe contre la guerre impérialiste et au déclenchement de la guerre civile dans ce pays.
L'Italie représente en effet dans cette guerre le secteur le plus faible de ce chaînon du capitalisme que constitue l'Europe, unifiée dans une certaine mesure par l'économie de guerre et minée de contrastes.
Le capitalisme italien, partageant dans le monde capitaliste la place désavantageuse dévolue aux capitalismes derniers- nés, pauvre en ressources naturelles nécessaires à la poursuite victorieuse d'une politique impérialiste, a engendré en même temps qu'une bourgeoisie vantarde et impuissante, vouée aux échecs militaires et aux expéditions et aux revendications coloniales sans issue, sa contradiction dans un prolétariat hautement conscient et combatif. C'est cette situation historique qui devait l'obliger à recourir la première - sur les défaites des puissants mouvements déclenchés par son prolétariat en réponse à la guerre 1915-18 - à la forme la plus brutale de son oppression de classe : le fascisme.
Mais, si le fascisme parvint à se maintenir pendant vingt ans, ce fut en muselant toute expression de classe et non pas en apportant une solution à la situation économique et sociale de l'Italie ; à elle seule, l'absurde guerre d'Abyssinie en 1935 prouve assez qu'il ne pouvait exister aucune solution impérialiste à celle-ci. L'entrée de l'Italie dans le conflit mondial actuel ne pouvait donc qu'aggraver la situation générale et faire resurgir avec violence le contraste de classe.
Le prolétariat italien est, dès le début, hostile à la guerre, comme il l'était en 1915. C'est pourquoi, une fois le mouvement prolétarien déclenché en mars 1943, ni la bourgeoisie italienne ni l'impérialisme allemand ne parviendront à l'empêcher d'évoluer en quelques mois du terrain des revendications économiques à une lutte de classe ouverte et généralisée pour la cessation de la guerre impérialiste, non plus que d'empêcher l'armée italienne de se décomposer.
Car si l'aggravation de la situation d'ensemble du pays au cours de la guerre se traduit pour la classe révolutionnaire en une montée, un assaut contre la guerre, c'est dans une crise qu'elle se reflète pour la classe exploiteuse en Italie. Celle-ci se trouve, au moment du déchaînement du mouvement, en proie à des dissensions qui vont atteindre jusqu'au parti fasciste et ses dirigeants ; non que devant la menace de classe et la perspective qui se dessine d'un effondrement de l'Allemagne impérialiste où elle serait entraînée, la bourgeoisie italienne, pas plus que la bourgeoisie russe en 1917, se rallie à un programme pacifique qui l'opposerait au fascisme, mais d'une part cette menace de classe lui impose un changement de méthodes dans l'oppression et le démagogie, d'autre part le déroulement du conflit impérialiste lui rend nécessaire un changement d'alliance. Les éléments de la crise interne de la bourgeoisie italienne seront aussi les éléments de la chute du fascisme qui advient en juillet sous la poussée du mouvement des masses prolétariennes contre la guerre.
Mais il faut essentiellement distinguer entre l'enjeu réel du mouvement et l'objectif que la bourgeoisie a prétendu lui assigner : le premier se relie à une profonde réalité historique, à la décadence du capitalisme telle qu'elle s'exprime en particulier dans la situation de l'Italie, le second ne peut qu'exploiter les apparences les plus superficielles pour masquer l'enjeu bourgeois de la situation, en contradiction avec l'histoire et la volonté des masses.
L'enjeu bourgeois de la situation de juillet 1943 en Italie c'est le maintien de la domination de classe du capitalisme et la poursuite de la guerre. C'est à cela que tous les partis s'emploient, démocrates, social-démocrates ou staliniens, en présentant au prolétariat, comme l'enjeu de son propre mouvement, le renversement et la destruction du fascisme. Derrière ce mot d'ordre ne se cache pourtant que la peur bourgeoise devant la menace ouvrière qui l'oblige à changer de masque, à utiliser d'autres formes politiques avec des démagogies différentes mais animées du même esprit bourgeois, pour désorienter les masses et repousser le spectre de la révolution, et aussi les intérêts impérialistes qui, en poussant le capitalisme italien à changer de camp, l'obligent à sacrifier en même temps la forme fasciste liée à la politique d'alliance avec l'Allemagne.
L'enjeu réel du mouvement était tout autre et c'est l'idéologie marxiste et communiste qui nous permet de le dégager. L'enjeu d'un mouvement c'est la solution des problèmes sociaux qu'il pose. En juillet 1943, les masses prolétariennes d'Italie ont laissé éclater la révolte accumulée par des années de misère, d'expéditions coloniales et d'oppression politique. Elles ont exprimé clairement leur volonté d'en finir avec la guerre impérialiste. Or ce n'est pas le fascisme mais le capitalisme qui a engendré la misère et la guerre. Le fascisme ne fut que la forme de domination la plus adaptée aux nécessités de classe du capitalisme italien ; et sa faillite c'est la faillite de la bourgeoisie décadente en Italie à résoudre les problèmes économiques et sociaux.
Ainsi l'enjeu de ce mouvement, qui fait en lui-même tout le procès du capitalisme, c'est le renversement du système bourgeois et la révolution prolétarienne, tout comme en Russie 1917 où le mouvement ne devait pas s'arrêter aux revendications démocratiques contre l'absolutisme tsariste mais aboutir à la révolution socialiste.
La situation révolutionnaire était donc ouverte en Italie et, avec elle, la phase de transformation de la fraction en parti. Seul le Parti révolutionnaire aurait pu rendre le prolétariat conscient de cet enjeu de son mouvement et le guider dans sa réalisation, non seulement par la propagande mais par la participation active à tous les conflits en posant à ceux-ci des objectifs susceptibles de les canaliser en une lutte unifiée pour le renversement de l'Etat capitaliste, en un mot par une tactique étroitement liée à l'objectif final de la situation : la prise du pouvoir.
L'absence du parti a permis à la bourgeoisie internationale non pas d'intervenir mais d'intervenir avant que le prolétariat italien ait pu réaliser cette conscience et atteindre à des positions de classe supérieures, peut-être même jusqu'à des insurrections contre l'État bourgeois.
Ce fait ne peut manquer d'avoir eu et d'avoir encore des conséquences sur le terrain international où les événements d'Italie, défigurés par la bourgeoisie actuellement, auraient pu être un exemple pour la classe ouvrière de tous les pays et contribuer ainsi à accélérer le renversement du rapport des forces entre les classes ; en Italie même, en permettant à la démagogie des partis traîtres au prolétariat de rendre plus confuse la situation politique aux yeux des ouvriers, il rend aussi plus difficile l'édification du parti de classe.
Mais ce qui détermina la possibilité pour le capitalisme d'intervenir et, momentanément, d'écraser physiquement le mouvement fut que le mouvement des prolétaires italiens ne trouva pas une réponse et un soutien immédiats dans le prolétariat international. Dans l'état de délabrement de l'avant-garde, seuls cette réponse et ce soutien auraient pu lui donner la marge de temps suffisante pour regrouper ses forces révolutionnaires, qui s'exprimèrent isolément, pour former et développer le parti de classe, marcher organisés et encadrés à la prise du pouvoir et, en tous cas, seuls ils auraient pu leur donner la force de maintenir leurs conquêtes.
Devant le retard et la passivité du prolétariat international, le capitalisme intervint, après une brève période d'hésitation et de crainte, en se divisant le travail de répression : les Anglo-Américains suspendirent les opérations militaires pour laisser les allemands faire les gendarmes, mais de leur côté ils bombardèrent violemment les grands centres industriels pour en disperser le prolétariat. L'impérialisme allemand intervint dans le nord pour imposer le retour de Mussolini après la déclaration d'armistice de Badoglio, tandis que la bourgeoisie italienne, impuissante à réprimer, déployait avec sa démagogie antifasciste et "démocratique", la manœuvre classique de toute bourgeoisie qui se sent menacée et n'est pas encore assez forte pour étouffer la menace dans le sang.
Cette intervention devait aboutir à la situation actuelle d'une Italie partagée en deux zones. Le nord sous la domination de Mussolini, le sud gouverné "démocratiquement". Cette situation, issue de l'écrasement momentanée de la première vague révolutionnaire de juillet 1943, rend à son tour difficile l'évolution de la situation en isolant le cœur industriel du mouvement, c'est-à-dire le nord, du sud agricole.
C'est pourtant dans ces conditions que le prolétariat italien continue à prouver la profondeur des contrastes sociaux qui explosèrent en juillet et l'impossibilité de faire subir une défaite durable à un prolétariat dans une situation internationale qui évolue implacablement vers des explosions semblables et généralisées.
Du côté fasciste, comme du côté démocratique, la bourgeoisie est obligée de faire appel à toutes ses ressources de démagogie : Mussolini avec la proclamation de la "République sociale" et des "nationalisations", Badoglio avec la participation des "communistes"-staliniens au gouvernement. Mais ni d'un côté ni de l'autre, elle ne parvient à reconstituer l'armée, à réintégrer le prolétariat dans la guerre.
L'agitation reprend dans le nord après quelques semaines, sans que nous possédions jusqu'à présent assez d'éléments pour préciser quelles sont les positions prise par le prolétariat dans ce secteur depuis lors. Pourtant si la nouvelle situation n'exclut pas le danger de formation d'un certain mouvement nationaliste, de sabotages et même d'attentats et de maquis, qui rendraient confuse la situation politique, l'importance des mouvements sur les lieux de travail prouve que la bourgeoisie n'est pas parvenue à utiliser, pour ses intérêts impérialistes, la classe ouvrière et à canaliser dans ce sens son mécontentement.
Dans le sud, la situation est mieux connue. Successivement, la démission du roi, la chute de Badoglio, les crises du cabinet Bonomi viennent exprimer l'impossibilité à laquelle se heurte la bourgeoisie italienne pour apporter la moindre solution aux problèmes économiques et sociaux.
Le mouvement de prise des terres, à la fin de 1944, ainsi que les soi-disant mouvements séparatistes en Sicile qui surgissent en réalité du problème de la terre et de l'opposition des masses à la mobilisation pour la guerre sont la clé des avatars gouvernementaux ; après une longue agitation qui a provoqué le voyage de Churchill en Italie au printemps 1944 et sa fameuse déclaration : "Seuls seront libres les peuples qui le mériteront", et le discours du "communiste" stalinien Togliatti, ministre bourgeois, avouant "le mécontentement des masses contre le gouvernement démocratique", le prolétariat agricole et les paysans pauvres sont entrés en conflit direct avec les exploiteurs séculaires, les agrariens quasi féodaux, maîtres des grands latifundia du sud.
Devant cette situation la bourgeoisie, avec en premier lieu l'aide des chefs staliniens, ne peut et ne sait plus opposer, à toutes les revendications et les problèmes sociaux impossibles à résoudre, que l'objectif de la participation active à la guerre qui fait ressurgir plus fort toutes les colères du prolétariat.
En conclusion, la situation révolutionnaire reste ouverte en Italie. Le capitalisme international semble observer jusqu'à aujourd'hui la plus grande prudence de classe vis-à-vis de cette situation. La lenteur des opérations militaires en Italie tend vraisemblablement à maintenir le plus longtemps possible la division de la péninsule en deux secteurs, qui est un obstacle à la liaison du prolétariat agricole et industriel, au développement des mouvements révolutionnaires et à la formation du parti de classe.
Mais la perspective est celle d'un rebondissement inévitable de cette situation avec le déclenchement des mouvements prolétariens dans les autres pays, principalement en Allemagne.
Ici apparaît toute l'importance de la formation du parti de classe au travers des mouvements actuels, de son organisation et de sa centralisation, de sa liaison avec les masses, dans le nord et dans le sud, par le travail illégal.
Les événements d'Italie ont une signification internationale, non seulement parce qu'ils ont ouvert le chemin que doit inévitablement emprunter le prolétariat de tous les pays pour en finir avec la guerre impérialiste, parce qu'ils marquent ainsi le début de transformation de cette guerre en guerre civile dans le monde, mais parce que leur éclosion correspond à une situation nouvelle en Europe.
Celle-ci se caractérise par une modification du rapport de forces économiques et militaires entre l'Allemagne hégémonique et l'impérialisme allié. Dès la deuxième année de la campagne de Russie, le cours ascendant de guerre- éclair et de victoires allemandes fait place, en effet, à un piétinement et à un cours de défaites pour l'Allemagne.
Pourtant les événements d'Italie éclatent sans éveiller un écho direct et rapide dans le prolétariat international et principalement allemand et ceci en fonction du décalage qui subsiste encore aujourd'hui entre la situation plus avancée d'Italie et celle du reste de l'Europe.
La généralisation des mouvements révolutionnaires contre la guerre ne s'étant pas produite, celle-ci se poursuit et se développe. Le cours des défaites de l'Allemagne s'accentue, créant les conditions pour l'avance des Alliés aux deux confins de l'Europe, des Russes en Pologne, dans les Balkans et en Europe centrale, des Anglo-Américains en France et en Belgique au travers du grand débarquement sur le continent.
Mais la nouvelle situation, d'où sont surgis les mouvements révolutionnaires italiens et qui se précise avec la pression militaire des Alliés, présente pour la bourgeoisie allemande de graves difficultés économiques et militaires auxquelles se relie inévitablement, et bien qu'elle ne se soit pas encore nettement manifestée, la menace de classe de son prolétariat. La perspective de l'éclatement des mouvements prolétariens contre la guerre en Allemagne domine alors la situation en Europe ; et, de fait, l'avance impérialiste sur l'Allemagne revêt également le caractère politique d'une marche du capitalisme international contre la révolution allemande.
Onze mois après le déclenchement des mouvements italiens, cette situation d'ensemble se manifeste à son tour dans une grave crise de la bourgeoisie allemande. Crise politique de la bourgeoisie devant la perspective de la défaite et la menace de classe du prolétariat qu'elle voudrait prévenir avant qu'elle ne se concrétise dans des mouvements révolutionnaires, voilà ce que signifie l'attentat contre Hitler en juin 1944, quelque temps après le débarquement.
Cette nature bourgeoise du complot et la profondeur de la crise sont nettement indiquées par la compromission d'une importante partie des hauts cadres militaires et des personnalités rattachées à la grande industrie, comme Hugenberg (arrêté plus tard) ancien chef du parti nationaliste, des Casques d'acier et homme politique de la bourgeoisie.
La tendance qu'elle manifeste de sacrifier l'hitlérisme exécré des masses pour retarder l'explosion de la guerre civile et, du point de vue impérialiste, pour essayer d'obtenir certaines conditions de paix, est identique à celle qui se fit jour dans la bourgeoisie italienne à la veille de juillet 1943. La différence essentielle entre les deux situations est que le prolétariat, cette fois-ci, ne manifeste pas ouvertement son opposition à la guerre.
La bourgeoisie étant incapable d'arrêter la guerre en réalisant un compromis, seul le mouvement prolétarien aurait pu briser le cours du conflit et renverser l'hitlérisme. Le fait que celui-ci ne se déclencha pas devait forcément amener à l'échec du complot ou, tout au moins, au maintien de la forme national-socialiste.
Cette absence du prolétariat s'explique par divers éléments. Éléments historiques de la tradition politique de la classe ouvrière allemande, l'histoire de sa lutte de l'après-guerre jusqu'en 1933, les conditions d'avènement du fascisme. Cette histoire est dominée par les erreurs d'un parti communiste sans homogénéité politique et bientôt corrompu par le centrisme stalinien. Les directives de lutte contre le traité de Versailles livrant idéologiquement le prolétariat allemand à la propagande revancharde des nationaux-socialistes, le blocage avec ceux-ci contre la social-démocratie le livrant physiquement à l'assaut hitlérien devaient se couronner par la trahison de 1933 où le prolétariat, devant la passivité du parti communiste (comptant encore 600.000 membres et 6 millions de voix aux élections), faute de directives, dût subir la défaite et l'avènement d'Hitler et sa "peste brune". Éléments économiques de la situation du capitalisme allemand qui lui permirent, contrairement à ce qui se passa en Italie, de mener avec succès, avant le conflit mondial, une politique d'annexions en Europe. Tout cela explique l'emprise de la démagogie nazie déployée onze années durant sur un prolétariat privé de toute organisation, de toute possibilité d'expression de classe.
Mais c'est surtout la situation politique sous l'occupation allemande qui retarde l'explosion du mouvement de classe en Allemagne et aida le capitalisme, non seulement allemand mais international, à sortir du mauvais pas que constituait pour lui la crise de juin 1944. Cette situation politique avait été créée par le rôle de l'impérialisme allemand en Europe, rôle d'oppression et d'exploitation économique que la politique des "démocrates" de toutes nuances exploita pour détourner le mécontentement de la classe ouvrière de ses origines réelles : la guerre impérialiste et son propre capitalisme, pour le faire servir, au travers des mouvements de maquis, pour la défense des intérêts de sa bourgeoisie spoliée.
Menant une propagande haineuse où les dirigeants russes excellèrent, elle représentait l'Allemagne comme la seule responsable de tous les maux engendrés par le régime capitaliste, confondait volontairement l'impérialisme et les nazis allemands avec le prolétariat, faisait partagé à celui-ci - trahi par les mêmes démocrates, chefs socialistes et staliniens en 1933 - la responsabilité des massacres commis par les SS sous les ordres des chefs militaires (dont les Alliés "apprécient hautement la valeur") et de la bourgeoisie impérialiste : elle menaçait l'ensemble de la population allemande des pires souffrances et châtiments.
Ainsi elle renforçait le nationalisme dans le prolétariat allemand et empêchait la classe ouvrière européenne de prendre le chemin de la lutte de classes, complétant la politique nazi qu'elle prétendait combattre pour la prolongation de la guerre impérialiste, se révélant une fois de plus comme l'ennemie jurée du prolétariat international.
Les conséquences de cette politique de la bourgeoisie et le retard du prolétariat européen devaient se manifester par le maintien du front intérieur allemand jusqu'à aujourd'hui. Bien que la pression militaire des Alliés approfondit la crise de la bourgeoisie allemande, qui se traduit par des luttes opposant une partie des chefs militaires à la Gestapo et aux nazis, dont l'exemple le plus frappant est celui d'un officier supérieur refusant d'obéir à "une politique criminelle menant à la guerre civile" et essayant d'entraîner les autres chefs militaires sur le front de l'ouest, du fait que les défaites répétées ne font pas jaillir encore des grands mouvements de classe, que la démoralisation de l'armée ne se transforme pas en fermentation révolutionnaire, la bourgeoisie allemande parvient, au travers de Himmler et de la répression féroce des premières manifestations de mécontentement dans les usines et dans l'armée, à reprendre momentanément la situation en main. C'est cette stabilisation momentanée - qui ne peut être que très brève - que permet un raidissement de la défense militaire sur certains secteurs.
Cette neutralisation du prolétariat allemand réagit à son tour sur le terrain international en permettant, lors de l'arrivée des Anglo-Américains, l'épanouissement des mouvements nationalistes contre-révolutionnaires opposant des fractions très larges des ouvriers des pays occupés aux soldats - dont la plus grande partie des ouvriers aussi - de l'armée allemande, revêtant très souvent le caractère de "pogrom" et de massacre aveugle. L'exemple le plus frappant est celui de Varsovie où la bourgeoisie polonaise parvient à entraîner, sous la direction d'officiers réactionnaires et semi-Internationalisme, organe théorique de la Fraction française de la Gauche Communiste, année 1945 fascistes, l'ensemble de la population dans sa croisade anti-allemande se terminant par l'anéantissement de dizaines de milliers d'hommes et de femmes dont la majorité des ouvriers allemands en uniforme et des ouvriers polonais.
Unis aux bombardements terroristes massifs des Anglo-Américains et des Russes sur les villes industrielles de l'Allemagne entraînant la mort de centaines de milliers de prolétaires - surtout des femmes et des enfants -, ils n'ont pu que contribuer à maintenir cette neutralisation et à prolonger la guerre.
La libération des pays occupés par l'Allemagne, en modifiant la situation économique et politique en Europe, va aussi agir puissamment pour la modification du rapport de forces de classe qui correspondait aux mouvements nationalistes.
La première phase de la période qu'elle a ouverte s'est caractérisée par l'arrêt de la production de guerre des industries nationales "libérées", du fait de leur désintégration de l'économie allemande et de leur non intégration à l'économie anglo-américaine.
Elle nous a ainsi donné une image de ce que sera la situation économique du capitalisme une fois que le mouvement révolutionnaire lui aura imposé l'arrêt de la production de la guerre.
En effet, loin de parvenir à rétablir une production normale et à hausser le niveau de vie des ouvriers, la bourgeoisie voit son industrie tomber dans le marasme et la crise économique.
Tous les partis s'emploient à masquer cette expression de la faillite du capitalisme en attribuant la responsabilité de la situation de chômage et de misère aux sabotages des collaborateurs de la 5ème colonne ou à la forme capitalistes des trusts.
C'est le contenu capitaliste de classe de toute la campagne de l'épuration et des nationalisations.
Les événements de Belgique et de Grèce, qui correspondent à cette phase en même temps qu'ils expriment une première réaction du prolétariat au chômage et au manque de ravitaillement, prouvent la réussite de cette manœuvre dans une situation intermédiaire où la classe ouvrière ne se trouve pas engagée directement dans la guerre et ne peut, comme en Italie, relier directement ses revendications à l'arrêt de celle-ci.
On voit, en effet, dans ces événements se croiser le mouvement bourgeois de la Résistance, derrière lequel agissent des contrastes et des intérêts impérialistes (les partis staliniens par leur politique ne représentent que l'impérialisme russe opposé à l'impérialisme anglo-américain), avec un mouvement revendicatif proprement prolétarien.
Toutefois, ce dernier ne dépasse pas dans son expression politique les cadres bourgeois de la Résistance puisqu'il se débat dans le dilemme d'un gouvernement plus ou moins démocratique.
L'objectif à présenter au prolétariat dans cette situation par les communistes ne pouvait pas être celui d'un changement de gouvernement, ni de maintien des Milices Patriotiques ou autres organisations similaires, pas plus qu'il ne pouvait lui être opposé celui de la prise du pouvoir.
L'action des communistes ne pouvait être que de s'efforcer de détacher les revendications économiques ouvrières des revendications politiques bourgeoises en les reliant à la perspective de transformation de la guerre impérialiste en guerre civile.
C'est là la grande différence avec le mouvement prolétarien en Italie qui, en posant le problème insoluble de la cessation de la guerre et en commençant à le résoudre par la guerre civile, ouvrait la crise de pouvoir de la bourgeoisie dont la seule solution était le renversement de l'État bourgeois.
Mais si les mouvements belge et grec n'ont pas marqué l'ouverture d'une situation révolutionnaire, ils contiennent en eux-mêmes leur contradiction car, tout en liant le prolétariat aux nationalistes anti-allemands, ils l'ont mis pour la première fois en contact avec la répression du capitalisme allié et, d'autre part, leur échec a ouvert au point de vue international -la situation de la Grèce qui ne possède pas d'industrie lourde reste particulière- la deuxième phase de la situation.
En l'absence de mouvements révolutionnaires, celle-ci va voir comme seule solution à la crise économique la réintégration des capitalismes libérés, en particulier la France et la Belgique, dans la guerre.
La pression des bourgeoisies nationales, à la pointe desquelles se plaçait la Résistance, et l'expérience belge et grecque ont posé la nécessité pour le capitalisme anglo-américain d'apporter rapidement une aide économique permettant aux pays "libérés" de recommencer une production de guerre.
Si, pour ces bourgeoisies, cette question de reconstruction et d'effort de guerre est liée à la volonté impérialiste de reconquérir leurs positions internationales, l'attitude du capitalisme anglo-américain s'exprimant par la bouche de Roosevelt a bien marqué la signification politique bourgeoise de cette réintégration en déclarant nettement qu'il ne suffisait pas de former une armée dans ces pays, mais qu'il fallait aussi remettre en marche les industries "afin d'éviter les désordres graves", c'est-à-dire les troubles sociaux.
L'attaque allemande en Belgique et en Alsace vient fort à propos, dans cette situation, en permettant le battage démagogique destiné à mobiliser idéologiquement et physiquement les prolétaires qui répugnent à la guerre.
La perspective générale de cette situation est, comme nous l'avons vu, la transformation de la guerre impérialiste en guerre civile.
Le mouvement du prolétariat allemand se trouve au centre de cette perspective. En effet, le rôle de l'Allemagne dans cette guerre ayant été la base objective de la mobilisation du prolétariat européen sur des positions nationalistes et contre-révolutionnaires, la rupture entre les deux classes en Allemagne est le principal facteur de l'évolution du rapport des forces en Europe.
D'autre part, la haute concentration industrielle de l'Allemagne, la gravité de la situation dans le pays et la dureté de vie de ce prolétariat -qui a plus que tout payé son tribut à la guerre- en font une lourde et terrible menace pour le capitalisme international.
La politique des bourgeoisies alliées devant cette menace a tendu et tendra à mobiliser les ouvriers de tous les pays, principalement européens, contre leurs frères allemands et à établir un cordon sanitaire pour les "protéger" du danger de contagion révolutionnaire qu'entraîneront les futurs mouvements révolutionnaires dans ce pays, autour de l'Allemagne.
Ses plans d'après-guerre prévoient une division de l'Allemagne en zones différentes d'occupation et des vastes déportations d'ouvriers allemands sous prétexte de reconstruire dans les autres pays mais en réalité pour disperser ce prolétariat et en briser la force révolutionnaire.
A la tête de la grande manœuvre bourgeoise se trouve l'URSS, soi-disant État ouvrier et souffleur en chef des partis nationaux-"communistes".
Entrée dans la guerre avec derrière elle de nombreuses années d'une économie essentiellement orientée en vue du conflit impérialiste, la Russie d'aujourd'hui n'a plus rien à voir avec celle de la révolution d'Octobre 1917, celle du pouvoir ouvrier des soviets, de Lénine et du parti bolchevik. Toutes les conquêtes d'Octobre ont été abolies, les communistes fusillés et remplacés par des arrivistes, des bureaucrates et des nouveaux bourgeois. Au nom de cette nouvelle bourgeoisie, l'État gère l'économie et la production ; la plus grande partie est absorbée par le développement de l'industrie de guerre et par les nouveaux bourgeois. Elle a bâti sa puissance militaire et économique sur la grande défaite de la vague révolutionnaire d'après-guerre, sur la trahison et l'abandon des prolétariats révolutionnaires en échange d'avantages économiques obtenus de leurs bourreaux capitalistes, et sur l'exploitation intensive et barbare de la classe ouvrière russe.
Ce visage capitaliste de la Russie des maréchaux, des popes et des nouveaux bourgeois d'aujourd'hui est le résultat de l'évolution qui, issue de l'isolement où elle s'est trouvée par suite des défaites du prolétariat dans l'immédiat après- guerre et des erreurs de l'IC, l'a intégré au capitalisme mondial en s'accompagnant d'une altération complète de la nature et la fonction de l'État. Comme Lénine l'avait prévu, la bourgeoisie a pu vaincre et s'intégrer l'État ouvrier grâce à la politique des accords économiques.
Aujourd'hui elle joue le rôle de grande puissance parmi les autres pays capitalistes et c'est en grande partie dans l'économie et dans la guerre elle-même, qui n'apportait au prolétariat russe et international que misère et mort, que l'État russe, lui, a puisé cette puissance.
Il est devenu ainsi un chaînon du monde capitaliste et le pire ennemi des nouvelles révolutions prolétariennes qui, en balayant l'économie capitaliste de destruction et la guerre, créeront aussi des conditions pour le réveil de la classe ouvrière russe et pour l'écroulement de la nouvelle bourgeoisie et de ses serviteurs : Staline et ses maréchaux.
En occupant des pays européens, l'État russe ne lutte donc pas seulement pour ses intérêts impérialistes mais aussi pour prévenir et étouffer les mouvements révolutionnaires.
Avant 1939 déjà, au travers des partis "communistes" des différents pays, bureaucratisés et devenus des simples annexes des Ambassades russes, l'URSS parvenait à polariser autour d'elle, en exploitant le souvenir d'Octobre 1917 et le passé révolutionnaire de l'IC des premières années de l'après-guerre, une grande partie du mouvement ouvrier dont les directives n'obéirent pourtant plus à des intérêts de classe mais aux nécessités de la politique extérieure de cet État.
Antimilitaristes encore en 1933, le rapprochement de l'URSS avec les capitalismes "démocratiques", rivaux de l'Allemagne, a comme effet de convertir les partis "communistes" en défenseurs de "la patrie" contre "le boche" et en partisans de la guerre et de l'union sacrée avec la bourgeoisie. En 1939, le pacte germano-soviétique les reconvertit au défaitisme et à la lutte contre l'impérialisme anglais, "le plus fort de tous". La déclaration de guerre entre la Russie et l'Allemagne en juillet 1941 en fait de nouveau des patriotes et des résistants.
Mais c'est aujourd'hui que la menace révolutionnaire devient le premier souci de la bourgeoisie en guerre, que la Russie de Staline démasque son vrai visage d'impérialisme et de gendarme du capitalisme en Europe devant le prolétariat international longtemps dupé.
Nous l'avons vu conclure une paix impérialiste avec la Finlande. Ou bien ce traité était-il dans l'intérêt du prolétariat finlandais ? Il oblige la Finlande à céder des bases militaires et à faire des concessions économiques : c'est à son prolétariat que la bourgeoisie finlandaise, soigneusement épargnée par la Russie, fera payer les frais de cette paix.
Elle a occupé la Bulgarie et, tout en respectant scrupuleusement les intérêts sacro-saints des agrariens et des bourgeois bulgares, a obligé ce pays à entrer en guerre contre l'Allemagne, livrant ainsi son prolétariat au massacre.
Nous l'avons vu laisser périr le mouvement nationaliste de Varsovie, permettant ainsi l'anéantissement de 200.000 polonais, pour la plupart des ouvriers (après avoir encouragé ce mouvement dans la mesure où il servait ses propres intérêts impérialistes) le jour où, dirigé par Londres, il présentait le danger de reconstituer un État polonais sous l'influence d'un autre impérialisme non-russe.
En Hongrie, elle forme un gouvernement présidé par le général Miklos - décoré par Hitler en 1941, nazi hongrois converti, une sorte de Darlan hongrois - où les représentants des grands agrariens coudoient ceux du parti "communiste" et les "collaborateurs" d'hier avec Hitler et les valets de Horthy -le bourreau de la Commune hongroise de 1919- sont les bienvenus chez les maréchaux de Staline.
Pendant que cela s'accomplit et qu'au cours de son avance militaire elle assure aux bourgeoisies des pays qu'elle occupe le respect et le maintien de leur système d'exploitation économique, frère du sien propre, le maréchal allemand prisonnier Paulus parle à Radio Moscou, au nom du Comité de l'Allemagne libre, pour préparer le nouveau gouvernement bourgeois et pro-soviétique qui succédera à Hitler. Car le plus grand danger qui menace la bourgeoisie est la révolution allemande et c'est en vue de réprimer ce danger que l'État russe réclame l'anéantissement de l'Allemagne- tout en utilisant Paulus, car il faut beaucoup de cartes pour gagner -c'est-à-dire de son prolétariat, la déportation de millions d'ouvriers allemands en Russie.
Son avance militaire actuelle contre l'Allemagne, l'occupation qui va suivre, sauront dessiller les yeux du prolétariat mondial : il verra que ce que l'URSS apporte avec son armée dite "rouge" et sa GPU c'est une force de police dans les mains de la bourgeoisie internationale, la plus sauvage répression contre le prolétariat révolutionnaire, l'oppression politique et économique.
Mais les possibilités répressives de l'impérialisme russe, comme celles de toute la bourgeoisie internationale, seront en rapport avec la situation d'ensemble de l'Europe et dépendront de la plus ou moins grande rapidité du prolétariat international, principalement européen, à reprendre sa lutte de classe révolutionnaire.
Si, au moment de la libération, la bourgeoisie a pu réussir dans sa manœuvre de mobilisation du prolétariat contre l'Allemagne et pour des intérêts purement bourgeois, la réintégration de la classe ouvrière des pays "libérés" dans la guerre, en exacerbant les contrastes de classe qui commencent déjà à se faire jour dans le mécontentement du prolétariat et en donnant une base commune à la lutte de la classe ouvrière d'Europe, diminue le danger de mobilisation chauvine de celle-ci contre les mouvements révolutionnaires d'Allemagne.
Cela est vrai même pour la France que le capitalisme international a choisi comme gendarme de demain en Europe, en lui offrant pour cela une place aux Conférences internationales réglant le sort de l'Allemagne.
La guerre, qui ne laisse subsister que quelques grandes puissances capitalistes et réduit les autres au rang de vassales, mûrit en même temps un prolétariat révolutionnaire ; malgré les efforts de tous les partis et tendances, servant la bourgeoisie et continuant jusqu'au bout et à rebours de l'histoire de la politique nationaliste et réformiste, l'éclatement de puissants mouvements prolétariens dans toute l'Europe est inévitable.
Mais c'est seulement par la formation d'une avant-garde internationale, rompant avec la guerre et l'illusion de l'URSS comme État ouvrier, luttant pour le renversement du système capitaliste et pour l'établissement de la dictature du prolétariat, que la classe ouvrière internationale pourra se dégager de l'idéologie bourgeoise et entraînant à sa suite les autres couches exploitées de la société, transformer ces mouvements révolutionnaires en insurrections organisées et généralisées pour la prise du pouvoir.
Si cette avant-garde ne parvient pas à se dégager de la première vague révolutionnaire rompant avec la guerre, celle-ci sera inévitablement écrasée.
Mais les communistes savent que les contrastes de classe n'en surgiront plus tard qu'avec plus de force. La situation économique du capitalisme sera en effet plus désespérée qu'avant le déclenchement de la guerre.
Pour les pays vaincus, un appareil industriel démantelé par les destructions, la ruine de toutes les couches moyennes dont la prolétarisation s'accentue rapidement dès le début de la guerre, de la classe capitaliste même spoliée par les concurrents impérialistes, sans pouvoir d'achat, sans marchés et impuissante à faire marcher la production ; pour le prolétariat, la famine et le chômage.
Pour les pays vainqueurs, avec un appareil productif de guerre hypertrophié mais ne correspondant plus à la demande d'un marché réduit encore par les années de guerre et par la diminution du pouvoir d'achat des masses en chômage et des couches ruinées, l'alternative sera : surproduction ou inutilisation et la marge pour les manœuvres de renflouage économique extrêmement réduite. La seule solution possible serait dans la continuation de la guerre impérialiste dans d'autres secteurs. Mais cela comporte la mobilisation idéologique et physique des prolétariats sortant à peine de la guerre. Malgré l'écrasement momentané des mouvements, il est certain que cette tentative ne ferait que faire rebondir la situation révolutionnaire. D'autre part, la bourgeoisie ne pouvant plus faire une production normale de consommation et l'exacerbation des contrastes inter-impérialistes étant poussée au maximum par suite du rétrécissement des marchés, la poursuite de la guerre apparaît comme la seule voie possible pour le capitalisme en décomposition.
C'est sur cette impossibilité de reconstruction et de stabilisation capitaliste, et l'incapacité de la bourgeoisie à gérer plus longtemps la société, sur la force révolutionnaire du prolétariat et la solidité de l'idéologie communiste que les communistes fondent leur certitude de la victoire finale de la classe prolétarienne.
Les syndicats, première forme d'organisation de la classe ouvrière, surgissent dans la période ascendante du capitalisme pour lutter pour la hausse des salaires et l'amélioration des conditions de vie des ouvriers.
Pendant la période d'industrialisation croissante et de développement du système capitaliste, la hausse des salaires était possible en fonction de l'augmentation de la plus-value globale : malgré la tendance de la bourgeoisie à diminuer le capital variable pour réaliser des surprofits et compenser les pertes subies pendant les crises périodiques, la lutte des syndicats se développe donc sur un terrain favorable.
À partir de l'époque où la croissance du capital social global atteint un plafond limité par l'inexistence de nouveaux marchés, les conditions objectives deviennent de moins en moins favorables au développement victorieux de la lutte des syndicats sur le terrain purement économique. La bourgeoisie ne peut plus tolérer une hausse des salaires. Le système économique capitaliste étant entré dans la période de la décomposition, la classe dominante essaie au contraire de rattraper ses pertes sur le dos des salariés et elle intensifie l'oppression économique du prolétariat.
Mais aussi bien dans la période ascendante que dans celle que nous vivons actuellement, la lutte du prolétariat pour la satisfaction de ses besoins vitaux se concrétise et se développe au travers de ces organisations syndicales. La crise permanente du régime capitaliste se traduisant par une augmentation de la misère des masses, la lutte pour des conditions de vie humaines et supportables est l'objectif immédiat qui se présente d'abord aux masses travailleuses.
Les organisations syndicales surgies du contrastes capital-travail sont la seule forme au travers de laquelle s'est concrétisée historiquement la nécessité d'un regroupement des grandes masses pour l'engagement et la poursuite de ces combats.
Elles offrent la possibilité à la classe ouvrière de se constituer en un corps organique au travers d'un vaste réseau d'organismes de lutte qui s'oppose au réseau économique et répressif du système capitaliste.
Elles offrent ainsi la possibilité à l'avant-garde révolutionnaire d'influencer les plus larges couches d'ouvriers industriels et agricoles jusqu'à transformer, dans une situation révolutionnaire, ces organismes syndicaux en une véritable école révolutionnaire de masses et en un instrument non seulement de lutte sur le terrain économique mais de destruction du système économique capitaliste.
C'est seulement par l'intervention du parti et l'existence d'une organisation communiste internationale qu'au travers de la maturation des situations la lutte du prolétariat sur le terrain des revendications économiques peut se hausser au niveau d'une lutte politique organisée et généralisée menant à la destruction du pouvoir bourgeois.
C'est pourquoi les communistes combattent les théories "syndicalistes" qui prétendent que l'action des organisations syndicales suffit pour aboutir à l'écroulement du système capitaliste et à l'édification d'une nouvelle organisation sociale.
L'expérience historique a démontré que si la lutte revendicative économique des ouvriers offre la meilleure base pour l'organisation des plus larges masses, elle ne peut par elle-même abattre le pouvoir de la classe capitaliste. Au contraire, la lutte économique ne dépassant pas les cadres de l'État bourgeois, cet État peut à un certain moment détruire toutes les conquêtes économiques du prolétariat et briser pour une longue période les possibilités de reprise des mouvements et la capacité combative de ce prolétariat en détruisant ses organismes unitaires.
Mais par contre nous devons aussi combattre les tendances qui, partant du fait de l'existence d'une bureaucratie syndicale extrêmement forte, formant une couche réactionnaire avec des intérêts homogènes opposés aux intérêts de classe du prolétariat et à la révolution prolétarienne, affirment que les organisations syndicales sont dépassées en tant qu'instruments de lutte anti-capitalistes. Du fait que l'appareil bureaucratique dans les syndicats a souvent réussi à freiner les mouvements revendicatifs de la classe ouvrière, que d'autre part, dans des périodes de dégénérescence idéologique du mouvement ouvrier et de cours vers la guerre, les syndicats ont pu être utilisés comme auxiliaires de la démagogie bourgeoise dans le prolétariat, ils concluent à la faillite des organisations syndicales en tant qu'organismes unitaires permettant le développement de la lutte prolétarienne. Par là même ils concluent soit à une politique d'abandon des syndicats par les ouvriers et l'avant-garde et à la nécessité de nouvelles formes d'organisation unitaire, soit à la non- nécessité de ces formes, l'action du parti communiste devant suffire pour entraîner les masses ouvrières au combat.
Mais l'expérience de l'entre-deux guerres nous a montré l'erroné de ces conceptions. La formation d'une couche de bureaucrates syndicaux serviteurs des intérêts bourgeois est un phénomène découlant des conditions historiques mêmes. La constitution de puissantes organisations syndicales entraîne inévitablement la formation d'un appareil de fonctionnaires. Mais le passage en bloc de ces fonctionnaires dans le camp de la bourgeoisie, tout en conservant la direction des syndicats, ne peut être expliqué que par l'absence ou la faiblesse de l'influence de l'avant-garde révolutionnaire sur la classe ouvrière, soit en fonction d'une situation objective défavorable soit en fonction d'erreurs politiques.
Le freinage des mouvements spontanés du prolétariat par les directions bureaucratiques est la conséquence de la non- transformation de ces mouvements spontanés de revendications économiques en mouvements politiques embrassant l'ensemble des masses travailleuses. La décroissance de la vague révolutionnaires d'après 1914-18 - dont nous avons trop souvent analysé les cause pour répéter ici cette analyse -, les erreurs des partis communistes et leur dégénérescence ensuite peuvent seuls expliquer ces freinages et cette puissance bureaucratique. De la même manière que la disparition politique du prolétariat dans le cours vers la guerre après 1933 et dans la guerre elle-même explique la possibilité offerte à la bourgeoisie d'utiliser l'appareil syndical pour des buts capitalistes. Ce ne sont pas les facteurs de réaction dans les organismes syndicaux qui ont déterminé en dernier lieu les échecs du prolétariat mais ces échecs qui ont permis l'existence et le renforcement de ces facteurs.
D'autre part la naissance de nouvelles formes organisationnelles unitaires du prolétariat n'est pas un phénomène découlant de la volonté de l'avant-garde et ne peut être créée d'une manière artificielle à côté des syndicats déjà existants.
Le rôle et la formation des Soviets en Russie - comme forme d'organisation nouvelle de la classe prolétarienne - découle de la situation particulière de la société capitaliste russe : développement très rapide créant les conditions pour l'existence des syndicats et répression politique entraînant l'illégalité presque permanente et empêchant ceux-ci de s'étendre, d'établir des liaisons sur le plan national et de se fortifier. C'est dans ces conditions que les "Conseils de délégués ouvriers" naissent comme forme de lutte. Ils interviennent en 1905. En 1917, la rapidité de l'évolution de la situation amène le prolétariat à les utiliser comme arme politique et économique à la fois - les deux phases de la lutte s'entremêlant mais le caractère politique passant rapidement au premier plan. Ce qui permit au parti bolchevik de leur donner de plus en plus un caractère politique de classe se concrétisant dans le mot d'ordre de "Tout le pouvoir aux Soviets".
Nous ne devons donc pas, en répétant les erreurs de l'IC, généraliser et schématiser la formule des Soviets sur modèle russe, et encore moins vouloir les substituer de par la volonté de l'avant-garde aux organisations syndicales déjà existantes. L'expérience des Soviets - ainsi que celle des Conseils en Allemagne et en Italie - nous montre surtout la nécessité pour le prolétariat de pouvoir disposer dès le début de la période insurrectionnelle d'un instrument plus souple et plus direct que le syndicat sous sa forme traditionnelle, permettant en même temps le regroupement de toutes couches prolétariennes jusqu'aux plus arriérées avec les alliés du prolétariat, les paysans pauvres et les ouvriers agricoles, en un seul front d'action et l'engagement de ces forces sur le plan insurrectionnel.
La naissance de ces Conseils, leur forme structurelle concrète, leur rôle précis dans le déroulement du cours révolutionnaire ne peuvent être fixés d'avance vu l'impossibilité de déterminer les conjonctures futures dans chaque pays. Tout ce que nous pouvons affirmer dès aujourd'hui c'est qu'ils ne naîtront qu'à un stade avancé du processus révolutionnaire, qu'ils ne peuvent se substituer aux syndicats dans les luttes revendicatives économiques et qu'au contraire leur action devra être étroitement liée à celle des organisations syndicales. Leur rôle sera essentiellement politique et par là ils deviendront forcément les organes du pouvoir prolétarien face au pouvoir de l'État capitaliste.
Cette conception sur le rôle des syndicats et des conseils est en opposition avec celle du parti révolutionnaire seul face aux masses prolétariennes inorganisées. Le processus révolutionnaire n'étant pas le déroulement d'une lutte entre une minorité révolutionnaire et une autre minorité bourgeoise mais le combat de deux classes antagonistes, le prolétariat (entraînant à sa suite les autres couches exploitées de la société) contre la bourgeoisie, l'organisation de la classe ouvrière apparaît lentement et progressivement comme un résultat de cette lutte même. Elle est une nécessité historique ne dépendant pas de la volonté d'une minorité mais des conditions du développement capitaliste. L'existence de ce réseau d'organisation est une condition indispensable pour que l'avant-garde puisse influencer et diriger le cours de la lutte, l'orientant vers la prise du pouvoir.
Certes, le parti révolutionnaire ne trouve pas tout prêts les instruments de cette lutte. Son rôle et sa tâche sont précisément d'aider le prolétariat à les forger.
Il faut qu'il travaille dans le sein de toutes organisations syndicales existantes pour le regroupement et la fusion de ces organisations sur le plan national. Pour la disparition de l'esprit étroitement professionnel, alimenté par la bureaucratie qui s'en sert pour diviser le prolétariat, et pour l'organisation par industrie, c'est-à-dire un seul syndicat pour tous les ouvriers de la même entreprise.
Les fractions syndicales du parti doivent tendre à créer les liens de solidarité les plus étroits entre tous les syndicats professionnels, à l'unification de toutes les revendications partielles en revendications embrassant tous les ouvriers de la même branche d'industrie et à l'élargissement des mouvements des mouvements par la présentation simultanée de revendications dans plusieurs branches d'industrie.
Dans ce rôle de regroupement et d'organisation de la classe ouvrière, l'avant-garde révolutionnaire doit s'occuper spécialement du problème du chômage industriel et agricole.
La formation d'une imposante couche de travailleurs ayant perdu leurs moyens de subsistance constitue évidemment un grand danger pour l'Etat bourgeois mais met aussi en péril l'existence même des organisations syndicales dont la raison d'être fondamentale est de lutter sur le terrain de la production pour l'obtention d'un meilleur niveau de vie des producteurs. Si le syndicat ne comprend pas la nouvelle situation découlant de l'aggravation du chômage et n'emploie pas les moyens appropriés de lutte, les masses d'ouvriers sans emploi se détachant de ces organisations syndicales devenues inutiles, ne pouvant plus se regrouper sur leur terrain naturel de lutte, deviennent un facteur de désagrégation du mouvement prolétarien.
En effet, il arrive alors que la couche la plus misérable des prolétaires, celle qui souffre le plus des conséquences de la crise et des contradictions capitalistes, et qui par ce fait devrait être à la première place dans le processus révolutionnaire, n'y participe pas en tant que classe organisée et peut devenir par contre un poids négatif, facilement utilisable pour la bourgeoisie, sur les luttes revendicatives des ouvriers producteurs.
Nous avons dit plus haut que l'existence d'une organisation unitaire de la classe ouvrière est un facteur indispensable pour que l'avant-garde puisse influencer et orienter le cours du processus révolutionnaire vers la prise du pouvoir. Il ne peut donc y avoir d'équivoque : le parti ne peut s'adresser et influencer des éléments prolétariens sortis de la production, se désagrégeant en une foule inconsciente et manœuvrable, et prétendre l'entraîner telle quelle sur la voie révolutionnaire.
Seuls l'organisation et l'encadrement de ces couches de travailleurs industriels et agricoles dans les syndicats, leur étroite union au travers cet encadrement avec les ouvriers travaillant dans la production, permettront de les intégrer à la lutte révolutionnaire de l'ensemble du prolétariat et les transformeront en un des ferments plus actifs de la décomposition et de l'écroulement du régime capitaliste.
Il revient au parti d'accomplir cette tâche au travers des syndicats et au moyen d'une action de solidarité efficace et réelle. Les fractions syndicales communistes doivent oeuvrer pour l'adoption par les assemblées et les comités syndicaux des mesures propres à la réaliser effectivement.
Sans refuser les subsides que l'Etat peut accorder aux chômeurs, tout au contraire en luttant pour l'obliger à les rapprocher le plus possible du niveau des salaires des autres catégories d'ouvriers, les syndicats doivent s'orienter vers des formes de lutte plus directes. Les fractions syndicales doivent proposer aux comités d'usine d'exiger de leur entreprise l'entretien de ses ouvriers en chômage. L'entreprise doit leur verser le salaire complet. Les syndicats ne doivent pas accepter la politique défaitiste et de trahison qui justifie le licenciement d'ouvriers et le refus de leur payer des allocations par suite de la diminution des bénéfices de l'entreprise.
A un stade plus avancé du cours révolutionnaire et en liaison avec les mouvements prolétariens pour le contrôle de la production, la lutte des masses de chômeurs pourra être orientée vers l'occupation et la mise en marche forcée, sous la direction des Comités d'usine, des entreprises fermées.
C'est à l'avant-garde révolutionnaire, suivant le développement de la situation et l'accroissement de sa propre influence sur le prolétariat, que revient la tâche d'orienter (au travers des fractions syndicales) les syndicats dans cette voie et d'établir à chaque phase de la lutte la tactique correspondante.
Pour que le parti puisse jouer ce rôle d'organisateur de la classe prolétarienne et en vue de la conquête des syndicats - ce qui ne veut pas dire conquête des postes bureaucratiques mais des masses de syndiqués et des organes de base - il faut que les rapports entre l'avant-garde et les organismes unitaires du prolétariat prennent la forme d'un réseau de groupes adhérant à l'ensemble de la structure syndicale. Ce réseau est formé par les fractions syndicales communistes de chaque syndicat et doit s'élargir à chaque usine ou entreprise.
La fraction syndicale communiste est formée par tous les militants de l'organisation communiste appartenant au même syndicat.
En tant que partie intégrante du syndicat, ses rapports avec les autres ouvriers syndiqués sont ceux d'un groupement défendant des positions de classe. En tant que fraction politique, elle représente et défend la politique du parti sur le terrain syndical.
Si, à l'intérieur des syndicats, elle accepte la discipline démocratique, reconnaissant les décisions de la majorité, elle ne peut en aucun cas renoncer à sa liberté de critique et de propagande.
Ses rapports avec d'autres groupements qui, incidemment, peuvent être en opposition avec les directions bureaucratiques doivent s'appuyer sur les bases principielles de l'organisation communiste. Les fractions syndicales peuvent donc établir des accords avec ces groupements pour des buts concrets immédiats, en sauvegardant leur liberté de critique et d'action mais en aucun cas conclure des pactes permanents comportant une plateforme syndicale d'action, même si ces groupements ne présentent pas apparemment un caractère politique, et encore moins se dissoudre dans leur sein ou fusionner avec eux. La fraction syndicale communiste est une organe du parti comme sa politique est la politique du parti.
Les fractions syndicales communistes se relient localement et nationalement formant des Comités pour chaque syndicat, Union syndicale locale et Fédération nationale. Elles dépendent et sont subordonnées aux comités locaux et à la CE du parti.
Le réseau des fractions syndicales et Comités syndicaux n'est pas seulement constitué en vue de la conquête des organisations syndicales mais il doit être considéré comme une institution permanente qui subsistera et aura un rôle après l'avènement de la dictature du prolétariat.
Notre plateforme syndicale
Les militants de la GCF ne peuvent accepter des postes responsables que dans les organes de base élus directement par les ouvriers et en aucun cas dans les organes de direction élus au second degré ; ceci, bien entendu, dans le cas où la politique des fractions syndicales communistes est minoritaire
La Conférence, à l'unanimité des camarades, affirme comme position de principe inaltérable pour des communistes face aux mouvements nationaux et coloniaux qui surgissent et peuvent surgir à l'époque de décadence du capitalisme :
Du fait que les mouvements nationalistes, en raison de leur nature de classe capitaliste, ne présentent aucune continuité organique et idéologique avec les mouvements de classe du prolétariat, de ce fait le prolétariat, pour rejoindre ses positions de classe, doit rompre et abandonner tous les liens avec les mouvements nationalistes.
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Dans la question des discussions au sein de la Gauche italienne, la Fraction française prend position sur la base de la Déclaration Politique issue de la conférence italienne de mai 1944, condamne le courant de V. comme courant révisionniste et appelle, avec le groupe de la GCI en France, la GCI à se délimiter et à rompre avec ce courant
La situation de la France se caractérise par une double contradiction : tout d'abord une aggravation de la crise économique issue de la brisure de l'économie de guerre française d'avec l'économie allemande et qui se relie à l'impossibilité pour la bourgeoisie de reconstruire une économie de paix une fois la production de guerre interrompue, qui a contrasté avec le maintien du cours politique de guerre impérialiste, c'est-à-dire avec l'absence du prolétariat sur l'arène politique.
Cette contradiction a conduit à une réintégration du capitalisme français dans la guerre permettant une reprise partielle de l'industrie mais qui, à son tour, ne va servir qu'à exacerber le contraste de classe qui éclatera demain dans l'opposition directe du prolétariat à la guerre impérialiste.
Cela signifie que, malgré la gravité de la situation économique, la bourgeoisie française est parvenue à instaurer une dictature militaire qui interdit toute expression révolutionnaire légale et à poursuivre, groupée derrière son gouvernement, une politique impérialiste sans rencontrer une opposition nette dans le prolétariat par la reprise de la lutte des classes.
Nous ne nous trouvons donc pas actuellement en France devant une situation révolutionnaire.
En conclusion, les tâches politiques qui se présentent à nous ne peuvent pas être centrées autour de la formation du parti de classe, de la mobilisation et de la direction des grandes masses prolétariennes sur des directives révolutionnaires, mais autour d'un travail de fraction, d'élaboration programmatique et politique du parti de demain et de la formation de ses cadres.
Ces tâches de la fraction de la Gauche Communiste en France doivent s'effectuer par la double voie du travail théorique interne, de la lutte idéologique et de la propagande générale de l'idéologie marxiste d'une part, de l'élaboration d'une politique communiste spécifique répondant à cette lutte d'autre part.
a) Nos tâches théoriques : le travail fractionnel reste notre première tâche, non pas dans un sens chronologique mais dans le sens qu'il représente la condition nécessaire à l'établissement d'une politique communiste, à la polarisation des forces révolutionnaires dont la naissance doit nécessairement accompagner l'évolution objective vers la reprise de la lutte aiguë des classes, en un mot la formation d'un véritable parti communiste en France.
Ce travail ne doit pas porter seulement sur les problèmes que nous avons besoin de résoudre aujourd'hui pour établir notre tactique mais sur les problèmes qui se poseront demain à la dictature du prolétariat.
En synthèse, notre tâche de fraction est :
1. de dégager l'armature principielle d'ensemble qui nous guidera dans l'établissement de la tactique au cours de la lutte des classes jusqu'à la prise du pouvoir. C'est-à-dire qu'il faut raffermir ou développer, selon les cas, les positions de principe de la Gauche Communiste Internationale concernant les rapports de l'avant-garde révolutionnaire avec les organismes unitaires de la classe ouvrière et son attitude devant les organes de défense surgissant de sa lutte ; sur les rapports de l'avant-garde révolutionnaire avec les organisations politiques se réclamant du prolétariat ; enfin la position du prolétariat vis-à-vis des autres couches exploitées et de la lutte d'émancipation nationale dans les colonies et les pays opprimés.
2. De rétablir et développer les notions principielles du marxisme sur la dictature du prolétariat et sur le socialisme, en précisant les normes économiques et sociales de la période transitoire, en dégageant les rapports entre le parti, l'Etat et les organismes de la classe ouvrière, entre l'Internationale et l'Etat après la prise du pouvoir.
Il ne s'agit ni de prétendre "résoudre tout à l'avance" ni de vouloir substituer le travail du cerveau à l'expérience mais d'utiliser les matériaux fournis par l'histoire de la révolution russe et de sa dégénérescence ainsi que des luttes ouvrières dans la période de l'entre-deux guerres impérialistes qui ont été laissés inexploités par la trahison de ceux qui prétendaient constituer le nouveau mouvement communiste.
Ce travail représente la seule possibilité de transformer ces événements historiques en expérience du prolétariat. Il nous incombe la tâche de cristalliser le processus d'édification du prolétariat en classe en lui rendant ses propres expériences révolutionnaires, soit la responsabilité de le laisser retomber dans de nouvelles défaites en ne tirant pas les leçons de ses luttes.
b) La lutte idéologique : le travail théorique, étant donné la nature antagoniste de la société capitaliste et les formes variées de l'influence bourgeoise au sein du prolétariat, est lié indissolublement à la lutte idéologique et politique contre les partis qui trahissent la classe ouvrière et les tendances qui jettent la confusion en son sein.
Actuellement cette lutte doit être dirigée principalement sur trois points :
L'idéologie de guerre impérialiste et le néo-réformisme s'infiltrant surtout dans le prolétariat par le canal de la défense de l'URSS et de l'illusion de l'Etat russe considéré comme Etat prolétarien, cette lutte doit s'attacher à souligner le rôle contre-révolutionnaire joué par la Russie à mesure qu'il se dégage des événements.
En ce qui concerne le troisième point, notre attitude vis-à-vis des organisations néo-trotskistes doit marquer sans équivoque notre délimitation principielle sur la notion du travail de fraction.
c) La propagande générale : la propagande générale du programme maximum et de l'idéologie marxiste est une tâche qui répond au problème de la formation des cadres révolutionnaires et non de la mobilisation des masses prolétariennes pour la lutte contre le capitalisme.
Elle ne peut remplacer l'oeuvre du parti "participant à tous les conflits, profitant de ces conflits pour apprendre au prolétariat à lutter et pour le conduire vers la révolution", ni se substituer à la maturation de la situation objective qui fait surgir ces conflits.
On ne doit donc en aucun cas sacrifier son expression intégrale aux illusions d'un large travail dans les masses. Dans la situation actuelle, cela signifie qu'elle ne peut se faire qu'au travers d'organes illégaux. La légalité ne peut être demandée à la bourgeoisie par la minorité révolutionnaire et c'est en s'appuyant sur le prolétariat que cette minorité peut conquérir son droit de libre expression.
De la même manière l'extension de cette propagande dépend du développement de la lutte prolétarienne et de notre capacité à nous relier à cette lutte.
Elle doit être faite, dans chaque situation, le plus largement possible en tenant compte de son rôle propre et des possibilités de l'organisation.
d) Le travail politique : mais c'est essentiellement dans la participation aux mouvements ouvriers et dans l'établissement d'une politique communiste par rapport à ces mouvements que la Fraction trouve le chemin pour relier son programme à la lutte des classes et les bases de son développement et de son renforcement en tant qu'organisation.
C'est au travers de cette tâche qu'elle réalise pleinement son rôle d'avant-garde révolutionnaire.
La situation économique et politique actuelle de la France ouvre la perspective, à brève échéance, de mouvements prolétariens. Entraînant comme conséquence les bas salaires, la persistance et même l'aggravation des restrictions alimentaires, des moyens de chauffage, des transports ainsi que du chômage - même partiel - et aussi l'obligation pour les jeunes travailleurs de se faire tuer sur le front impérialiste, elle met dès aujourd'hui en évidence les bases d'où ils surgiront.
Le marasme économique provient à la fois de la destruction des moyens de production - appareil productif et capital - et de l'inexistence d'un marché intérieur capable d'animer une véritable reprise économique.
La reprise de la guerre est donc liée, pour la bourgeoisie française, à la reconquête de ses positions internationales du point de vue économiques, en particulier de son empire colonial.
C'est là l'objectif qu'elle tente et tentera d'opposer aux revendications du prolétariat.
En ligne générale donc, notre lutte doit tendre à préparer le prolétariat, au travers de ses luttes, à opposer sa solution révolutionnaire à la solution capitaliste de la crise.
Ainsi, à tous les stades de la lutte, la Fraction doit poser clairement comme la perspective centrale des communistes : la transformation de la guerre impérialiste en guerre civile.
La situation semble avoir dépassé, en France, le stade des manifestations anti-prolétariennes, du genre des insurrections de "libération". Précisons que, dans ce cas, la Fraction doit opposer sa position de principe à la guerre impérialiste, dénoncer le caractère impérialiste des mouvements, quelles que soient les couches d'ouvriers qui y participent, et appeler les ouvriers à les abandonner en leur démontrant que ces manifestations -loin de présenter un danger pour la bourgeoisie, d'être un stade nécessaire de la lutte révolutionnaire- ne sont qu'une confirmation de l'emprise de la bourgeoisie sur le prolétariat. De tels mouvements -qui ne représentent pas une rupture du cours de la guerre, qui ne sont pas des mouvements de classe du prolétariat et présentent une nature essentiellement différente de ceux qui demain inaugureront le cours de la Révolution- n'offrent aucune base pour développer une intervention de l'organisation politique de la classe ouvrière (Fraction ou Parti) car ils ne surgissent pas du contraste capital-travail, quelles que soient les causes qui déterminent la participation subjective des ouvriers.
Par contre, l'éventualité de l'intervention de regroupements à nature de classe (syndicats) sur la base du mécontentement du prolétariat contre la situation économique, dans des manifestations à origine nationaliste (Belgique, Grèce) peut se présenter à nouveau en France sous d'autres formes. Dans ce cas, la Fraction ne doit pas s'opposer aux grèves mais prendre nettement position contre l'orientation donnée à celles-ci.
Elle doit s'efforcer de détacher les ouvriers des deux positions bourgeoises en présence en établissant une démarcation nette entre les revendications prolétariennes posées et les revendications bourgeoises. Elle doit appeler les ouvriers à l'indépendance d'action en posant leurs revendications spécifiques comme seul objectif à la lutte.
Dans la perspective d'une série de mouvements prolétariens surgissant directement de la crise économique et contre le chômage et les bas salaires, la tâche de la Fraction est d'intervenir pour mettre en évidence la signification de classe de ces mouvements et les unifier sur le but immédiat et contingent de la lutte contre la guerre impérialiste.
Elle devra toujours opposer le principe de la lutte de classes à la politique réformiste et de collaboration avec le capitalisme et l'appliquer dans sa politique sur chaque question contingente (comités de gestion, nationalisations...).
La Fraction réalisera ces tâches au travers du travail syndical et de la propagande proprement politique.
En conclusion, ce travail d'extériorisation des positions politiques doit strictement correspondre au rôle spécifique de la Fraction qui est celui de former les cadres du parti de classe de demain et non de conquérir les masses.
Le travail de masses ou "le large travail dans les masses" correspond à un stade ultérieur du développement de la situation, marqué par une série de prise de position par le prolétariat qui posent déjà les conditions politiques pour la transformation de la fraction en parti.
e) Travail international : sur le terrain international, notre tâche devra consister à conserver et consolider les liaisons internationales et, au besoin, aider au regroupement politique des militants isolés dans l'émigration.
Links
[1] https://fr.internationalism.org/en/tag/conscience-et-organisation/gauche-communiste-france
[2] https://fr.internationalism.org/en/tag/evenements-historiques/fraction-francaise-gauche-communiste
[3] https://fr.internationalism.org/en/tag/courants-politiques/gauche-communiste
[4] https://fr.internationalism.org/en/tag/5/36/france
[5] https://fr.internationalism.org/en/tag/evenements-historiques/apres-2eme-guerre-mondiale
[6] https://fr.internationalism.org/en/tag/heritage-gauche-communiste/decadence-du-capitalisme
[7] https://fr.internationalism.org/en/tag/questions-theoriques/syndicalisme
[8] https://fr.internationalism.org/en/tag/heritage-gauche-communiste/question-syndicale
[9] https://fr.internationalism.org/en/tag/questions-theoriques/nationalisme
[10] https://fr.internationalism.org/en/tag/heritage-gauche-communiste/question-nationale
[11] https://fr.internationalism.org/en/tag/personnages/vercesi
[12] https://fr.internationalism.org/en/tag/questions-theoriques/parti-et-fraction