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Au moment où nous sortons le n°6 de R.I., un vent de panique s’est mis à souffler sur le monde entier : depuis quelques jours, il n’est plus question que de la "crise du pétrole" et de ses effets désastreux sur l’économie mondiale. Les milieux officiels n’hésitent pas à parler de "croissance zér0 tt et de doublement du chômage pour 1974.
L’article qui suit,(Surproduction et Inflation, écrit avant la panique actuelle peut presque sembler démodé. Ainsi la question qu’il commence par poser : "La crise existe-t-elle ?", fait aujourd’hui sourire. Mais il n’en demeure pas moins d’actualité dans la mesure où il tente de montrer les causes profondes de l’inflation qui continue à sévir, ainsi que de la récession que tout le monde prévoit maintenant pour 1974. Et en cela, il permet de répondre par avance à la campagne de mystification qui se développe sur "la crise du pétrole". En effet la situation présente appelle les remarques suivantes :
1. : Il est indiscutable que le ralentissement des livraisons de pétrole entraîne déjà d’importantes difficultés pour les économies des plus développés, qui en ont fait une matière première extrêmement importante. Il est hors de doute également que les hausses sur ce produit contribueront à aggraver encore l’inflation. Ceci dit, il faut préciser que la situation politique qui est à l’origine de ces mesures est elle-même provoquée par une guerre qui tire ses causes profondes de l’aggravation les tensions inter-impérialistes conséquentes de la crise du capital mondial. En ce sens on peut dire que, bien que facteur aggravant, la crise du pétrole n’est elle-même en dernier ressort qu’un produit de la crise économique générale.
2. : La récession annoncée maintenant à grands cris pour 1974 a été prévue AVANT les derniers évènements du Proche-Orient (en particulier par l’OCDE). L’actuelle crise du pétrole et le freinage de la croissance qu’elle provoque dans les pays affectés, ne pourra qu’aggraver cette récession. Mais elle n’en sera pas la cause. Même si la, crise pétrolière se poursuit, elle ne sera que l’amplificateur d’un phénomène dont les racines sont ailleurs.
3° : L’extraordinaire battage qui est actuellement fait, dans le monde entier, autour des restrictions pétrolières n’est pas le seul résultat de l’affolement momentané, ni du goût du sensationnel des journalistes.
La-bourgeoisie mondiale trouve dans cette crise un bouc-émissaire inattendu, mais particulièrement opportun pour précipiter une série de mesures "impopulaires" qu’elle devra prendre. Les classes dominantes savent que la "récession" prévue exigera des licenciements, du chômage, c’est-à-dire d’attenter à un des seuls avantages réels que le capital ait été capable d’offrir au prolétariat depuis la deuxième guerre : la sécurité de l’emploi.
Celle-ci lui permettrai de supporter une deshumanisation accélérée de sa vie et de son exploitation. Les classes dominantes savent qu’elles devront s’attaquer de plus en plus violemment aux salaires réels de la classe ouvrière.
Elles savent aussi que depuis quelques années, il n’est pas aisé de s’attaquer trop brusquement au niveau de vie des travailleurs. La conscience des capitalistes du monde entier est aujourd’hui pleine d’avertissements qu’importent des noms comme Mai 68, Mai rampant italien, ou Gdansk 70.
La politique des pays producteurs de pétrole du Proche-Orient fournit dans ces conditions une occasion trop tentante de rendre effective une part de ces mesures; tout en en faisant porter la responsabilité sur cet homme à tout faire des moments difficiles de la bourgeoisie : "l’étranger" (en l’occurrence les arabes). Si les choses sont bien faites, on peut même se payer le luxe d’une petite "union sacrée de toutes les classes" face à la difficulté. La manœuvre est trop intéressante pour ne pas la deviner derrière toutes les campagnes de propagande actuelles qui accompagnent un raz de marée totalement disproportionné de fermetures d’usines et d’élévation des prix (l’essence en particulier). La force mystificatrice de cette manœuvre doit être dénoncée.
Dans l’ambiance de panique que la bourgeoisie développe une intervention militaire américaine au Proche-Orient, afin de rétablir "l’ordre pétrolier", apparaîtrait aux yeux des populations occidentales plus justifiée que lors des précédents conflits. La bourgeoisie aux abois aura de plus en plus à utiliser ce genre de mystifications. Dans cette tâche elle pourra compter sur les partis de gauche et sur les rabatteurs de ceux-ci : les gauchistes.
C’est pour cela que dans la période qui vient les révolutionnaires devront redoubler d’efforts pour mettre en lumière les véritables causes de la crise actuelle. Ils devront dénoncer toutes les mystifications véhiculées par les partis du capital pour tenter de préparer le prolétariat à la guerre impérialiste; seule réponse possible du capital a la crise.
Les deux articles "Surproduction et Inflation" et "la 4ème guerre du Proche-Orient" s’inscrivent dans cet effort.
Lorsque face à la taxation, les petits commerçants ont fermé boutique, toute la "gauche" et l’"extrême gauche" ont brandi le drapeau de l‘alliance de toutes les "couches populaires" contre le capital. Soutien critique, soutien tactique, soutien conditionnel : chacun se démarque des affreux "opportunistes" d’à coté. Mais tous, sans exception, préconisent, l ‘union des couches inférieures du commerce avec le prolétariat.
Quant à nous, nous nous opposons absolument à tout front, fût-il temporaire, spécifique et "conditionnel", entre la classe ouvrière et d’autres couches sociales. Nous voulons ici essayer d’indiquer quelques-unes des raisons qui fondent notre position et montrer le sens des propositions d’alliance inter-classiste’ Nous traiterons uniquement du problème du petit commerce et non de celui de l’agriculture, qui est plus complexe (R.I. N° 5, ancienne série)
Si la bourgeoisie et le prolétariat sont les deux classes fondamentales de la société capitaliste, elles ne sont pas seules. Il subsiste des catégories extérieures au schéma de la production capitaliste et qui sont des survivances de modes de production antérieurs.
Les petits commerçants en particulier sont des représentants de la période pré-industrielle. Mais ils n’en échappent nullement pour autant aux lois du capital qui domine l‘ensemble de la société. Ils dépendent étroitement des circuits de distribution et du marché dominé par le capital. Il est vrai que le capital leur abandonne les secteurs non rentables (ou pas encore). Il est vrai que, tirant profit de l’anarchie de la distribution, il arrive encore que, dans certains secteurs nouveaux ou de luxe, se développent des entreprises indépendantes. Mais il est clair que cela n’infirme pas la tendance à leur dépendance accrue et à leur disparition progressive, ni leur confère un rôle "indépendant" nouveau. Le petit commerçant n’est plus aujourd’hui le légendaire et fier entrepreneur qui défend sa "liberté" face au capital. Il reçoit ses marchandises soit directement d’entreprises capitalistes, soit de réseaux de distributions capitalistes. Le plus souvent, il dépend, pour se moderniser un tant soit peu, de la "générosité" du capital bancaire. Gueulard dans les meetings contre "les riches" en général, il est tout obséquieux devant ses fournisseurs et ses créditeurs. Avec ses airs de sans culotte, il trompe les journalistes et les gauchistes -mais pas les bourgeois !
Contrairement au prolétariat, les couches moyennes ne sont pas une classe porteuse d’une solution historique. Eh effet, ce qui fait l’unité d’une classe, c’est sa finalité historique, c’est la société qu’elle représente et non sa simple qualité de catégorie socio-économique. La finalité des classes moyennes n’existe pas; la forme de société à laquelle elles aspirent est une forme irréelle et irréalisable. Autrement dit, ces classes ne représentent pas un mode historique de production, elles ne sont porteuses d’aucune forme sociale.
Cette absence d’une forme sociale propre aux classes moyennes provient du fait que le capitalisme a poussé la socialisation de la production à un point où elle entre en contradiction avec toute forme d'échange, toute forme d'appropriation privée. Sauf si l'on suppose que l'humanité puisse retomber à un stade primitif ou dégénérer, sa survie exige désormais l’instauration du communisme : il n’y a plus d’autre rapport de production possible.
N’étant pas homogènes, les couches moyennes n’ont aucun intérêt commun :
L’absence de vision historique des classes moyennes a une double conséquence : dans les luttes sociales, elles tentent bien de défendre leurs intérêts particuliers, mais sont réduites, quand les choses deviennent sérieuses, à l’impuissance; il ne leur reste plus qu’à se réfugier dans les bras du capital, sauf si le prolétariat, par sa force, leur inspire la prudence de rester neutres.
La "gauche" s'apitoie naturellement sur le sort des petits commerçants. La CGT et le PC en tête, elle multiplie les oppositions de collaboration de classe entre toutes "les victimes de la politique (?) du gouvernement en matière (?) d'inflation." (L’Humanité)
Chaque jour nous amène son lot de perles. L‘hebdomadaire du PCF, "France Nouvelle", déclare : "Peut-on être révolutionnaire, peut-on vouloir le socialisme et considérer la démocratie avancée comme l’ouverture à ce dernier et, en même temps, défendre les intérêts des petites et moyennes entreprises, c’est à dire, de propriétaires de moyens de production et d’échange, dont un certain nombre exploite la force de travail?" Sa réponse est affirmative. Et il conclut ; "En fin de comptes, et pour en revenir à l’alliance, sa base n’est donc en aucune manière conjoncturelle." La CFDT paraît avoir un langage plus gauchiste. Après la réunion tenue avec le bureau de la Fédération Nationale des syndicats des Commerçants non sédentaires, la CFDT déclare..."Comprendre le mécontentement des détaillants". Elle (la CFDT) leur a soumis en vue d’actions communes le texte de la déclaration des syndicats et des partis de gauche du 8 Novembre en insistant sur le caractère anti-capitaliste des objectifs poursuivis, qui mettent en cause tant le gouvernement que le patronat. Cela devient plus absurde encore que la CGT. Cette dernière en effet proposé aux commerçants une lutte contre les "monopoles" et le gouvernement, ce qui a au moins l’avantage d’être formellement logique. Mais la CFDT propose à des marchands de lutter contre le capital qu’il parasite. Autant demander du lait à un bouc.
Les fascistes ou le programme commun pourraient à la rigueur entraîner les commerçants dans l’attrape-nigaud de la lutte contre les "gros”. Mais quand M. Maire leur demande de devenir "anti-capitalistes", il leur demande de signer leur arrêt de mort. En fait, la CFDT ne croit pas à son propre baratin. Elle cherche simplement à paraître un peu plus à gauche que la CGT avec son "anticapitalisme" de pacotille, de façon à grignoter quelques ouvriers crédules.
Mais le but de toute cette démagogie effrénée est essentiellement de noyer toute réaction ouvrière dans le flot larmoyant des jérémiades démocratiques et inter-classistes. Un grand mouvement populaire sur un objectif concret et précis : La vie chère, dans lequel toute tentative par la classe ouvrière de -s ‘attaquer au capital puisse être traitée de "division" -voilà le rêve de M. Séguy; tant que les ouvriers sont noyés parmi la masse des "victimes" du gouvernement, la gauche peut manœuvrer, contrôler la classe, rassembler les "voix" des mécontents. Il faut à la gauche dans les conditions actuelles, pour parvenir au pouvoir, une classe docile, disciplinée, qui répond aux consignes syndicales et un glissement des voix de la petite bourgeoisie.
La gauche sait très bien que le seul dénominateur commun des prolétaires et des petits commerçants, c’est un antigouvernementalisme superficiel qui ne peut trouver son expression que sur le terrain "politique" des élections. Ce terrain est son terrain en tant que fraction du capital, et de plus, il est le terrain où les travailleurs atomisés et passifs ne lui poseront aucun problème.
Et dans cette opération, les gauchistes tiennent leur place habituelle, comme on va le voir.
L’hebdomadaire "Rouge" du 16 novembre 1973 se permet de critiquer le PC qui soutient "inconditionnellement les petits commerçants". "Rouge" une fois de plus a le cul entre deux chaises et dit calmement sans rire, "le mouvement actuel des commerçants ne peut être soutenu inconditionnellement" (Nous soulignons). "Rouge" sera sans doute obligé de poser aux commerçants ses "conditions"! Le ridicule ne tue plus . Dans un accès de démagogie, "Rouge" abandonne toutes ses réserves et il se permet de dire que "les petits commerçants auraient tout à gagner à un système socialiste de distribution où ils ne seraient plus à la merci du grand capital, où ils n’auraient plus à payer les conséquences des aléas de la vente". Belle découverte ! Dans un "système socialiste", les commerçants, le marché et la vente existeront-ils toujours ? Évidemment, il n’y aurait plus d’aléas ! Le capital s’accumulerait en toute tranquillité ! Nous n’avons pas eu connaissance de ce socialisme-là. Il faut se rendre à l’évidence : soit nous ne connaissons pas la B-A-BA du marxisme, soit ces théoriciens sont en train de "révolutionner" le socialisme.
"Lutte Ouvrière", elle, ne s’embarrasse pas de toutes ces nuances et reproduit le mot d’ordre du PC (inadmissible d’après "Rouge") "Halte à la vie chère" parce qu’il rassemble tous les mécontents". LO se jette sans scrupules dans les bras des petits commerçants. "Le petit commerce a lui, face au pouvoir, les mêmes intérêts (sic !) que les travailleurs, victimes de la même inflation. C’est là qu’ils doivent chercher leurs alliés, s’ils veulent réellement voir leur sort changer." (LO, 26/11/73 page 12). La logique du frontisme amène ce groupe dans le populisme le plus abject. Ces populistes fustigent la CFDT qui est trop intransigeante et qui "dressera ouvriers et petits boutiquiers les uns contre les autres ... quitte à ne pas toucher les intérêts des grandes surfaces, des grands industriels des grandes banques. Tout comme ce fut la politique de la gauche au Chili, celle qui mena directement à la catastrophe actuelle ". (op cit.) Ce raisonnement nous laisse pantois : la "gauche" a réalisé l’Unité Populaire avec plusieurs couches de la population et c’est cette politique qui a fait faillite au Chili, comme en Espagne et en France en 1936. C’est cette politique qui a toujours fait faillite, qui a amené les prolétaires à la boucherie. Lutte Ouvrière feint d’oublier ces circonstances et affirme que si cette politique de vaste alliance avait été réalisée il n’y aurait pas eu de massacre au Chili.
Nous réaffirmons que les prolétaires n’ont pas à prendre parti dans la lutte sans merci que se livrent les différentes fractions du capital, ils ont encore moins à prendre parti pour la lutte des commerçants, ils ne défendent pas les petits capitalistes contre les gros et encore moins des fractions arriérées. Si au 19è siècle, les révolutionnaires prenaient parti pour certaines fractions de la bourgeoisie, c’était en vue de permettre le développement du capitalisme qui était encore un système progressiste. Aujourd’hui, il est définitivement entré dans sa phase de décadence, les révolutionnaires n’ont plus à soutenir des luttes bourgeoises, ils ont encore moins à prendre parti pour des couches condamnées par les secteurs encore dynamiques du capital.
"Toutes les autres classes se placent sur le terrain de la propriété privée des moyens de production et ont comme but commun la conservation de la société actuelle". Cette phrase d’Engels est aujourd’hui encore le fondement de la position du prolétariat sur la question. Le prolétariat, classe en lutte contre l’économie marchande n’a aucun intérêt commun avec les couches qui en vivent. Il ne peut former sa conscience politique et son organisation de classe que par la lutte contre les positions des classes moyennes. Cette lutte est le seul moyen de précipiter le passage de ces couches au prolétariat.
En effet, ce n’est qu’en montrant le maximum de détermination dans la défense de son programme et en s’affirmant comme porteur de la seule solution à la crise, la destruction de la société marchande, que le prolétariat peut forcer la neutralité des couches moyennes.
Les fractions petites bourgeoises ne sont révolutionnaires que dans l‘imminence de leur passage social au prolétariat.
En attendant, "les ouvriers devront porter tout seul le poids de la révolution" Gorter (Réponse à Lénine sur "la maladie infantile du communisme"-1920). Il nous faut tirer la leçon de cinquante ans de contrerévolution et d’alliances avec les couches petites-bourgeoises. Le prolétariat a été sans cesse massacré sous le drapeau de l’Unité Populaire. Il faut d’une part démystifier la fraction de "gauche" de la bourgeoisie qui pour arriver au pouvoir réclame une large alliance avec les couches moyennes. D’autre part, lutter pour que le prolétariat conquière son autonomie face à toutes les couches bourgeoises et qui en unifiant ses luttes, il impose son programme. Il faut réaffirmer qu’un petit nombre de petits-bourgeois rejoindront le programme prolétarien seulement si cette autonomie se dégage clairement.
En conclusion, nous disons que chaque fois que le prolétariat a perdu son autonomie de classe et accepté de se battre pour les buts des classes moyennes, sa défaite était acquise d’avance et celle des classes moyennes avec elle. Les couches moyennes devront accepter, de gré ou de force, la solution prolétarienne à la crise : leur propre disparition en tant que producteurs indépendants et leur intégration dans une économie socialisée et associée c’est à dire la dissolution de la production marchande.
Roux
À PROPOS DE LA PARUTION DES TEXTES DU K.A.P.D. ET DES A.A.U.
La parution des textes du KAPD et des AAU (1920-1922) dans le recueil LA GAUCHE ALLEMANDE[1] vient à point et satisfait un des besoins les plus pressants du mouvement prolétarien renaissant : connaître son propre passé pour mieux en faire la critique[2]. Les dilettantes "modernistes" peuvent ignorer les tâtonnements de la classe ouvrière au cours de son histoire, mais les combattants de la future révolution se précipitent au contraire sur tout ce que le passé peut leur offrir. Et dans le cas de la gauche communiste d’Allemagne, ce dont il s’agit c’est bien de leur propre passé, des efforts d’un courant créé par la révolution, agissant dans la révolution et s’efforçant d’exprimer les moyens propres de la révolution à notre époque.
Beaucoup ne savaient de la révolution allemande que ce qu’avait bien voulu leur en dire l’historiographie combinée du stalinisme et du trotskysme. On connaît, par exemple la pauvre légende du professeur Broué : si la révolution allemande a échoué entre 1919 et 1923, c’est parce qu’il manquait au KPD des tacticiens capables de bien appliquer le "front unique". Quand on a une histoire si simple à se transmettre complaisamment, pourquoi se casser la tête sur les huluberlus de la "gauche", ces "gauchistes" puérils et aventuristes ?
La contrerévolution tente toujours de masquer sa propre nature, en forgeant un passé mythique sans révolution et sans révolutionnaire. Thermidor dépeignait Hébert comme un brigand braillard. Les bolcheviks eurent droit à un tel honneur tant qu’ils étaient un moment de la révolution et même un peu au-delà. Mais dès qu’ils furent devenus, consciemment ou non, des rouages de la réaction, ils participèrent à leur tour au refoulement du souvenir de l’irruption prolétarienne. Quant à ceux qui avaient exprimé de leur mieux ce mouvement, ils ont sombré à un tel point dans l’oubli que ce n’est qu’un demi-siècle plus tard que les fractions communistes renaissantes commencent à mesurer toute l’ampleur des questions qu’ils ont soulevées.
La coagulation dans les années 30[3] en un courant figé et porteur d’une idéologie appauvrie (le Conseillisme") ne facilitait pas, il est vrai, la recherche de ce qu’avait représenté le KAPD à ses origines. Mais même dans les erreurs les plus désastreuses des Pannekoek, Mattick ou Meier, englués dans la défaite, il y avait encore un faible écho de l’orage prolétarien — alors que dans le marxisme des épigones de Lénine, il n’y avait plus que l’arrogance bornée de la réaction.
Quoi qu’il en soit, l‘ignorance a de moins en moins d’excuses. Il n’est plus possible, après une lecture attentive de ces textes d’amalgamer le KAPD aux anarchosyndicalistes ou de réduire la richesse de ce courant au conseillisme. Les temps changent et ce n’est pas trop tôt !
La présentation et les notes du recueil permettent de tirer de l’enchevêtrement des évènements qui marquent la période 1914-1922 deux fils précieux. 1° : Les spartakistes ne sont qu’un des courants -et certainement pas le plus clair sur les problèmes décisifs- qui confluent en décembre 1918 dans le KPD ; mais à bien des égards, certains de ces groupes "radicaux de gauche" préfigurent le rejet du syndicalisme et du parlementarisme qui dominera dans le PC à ses débuts[4].
2° : Les gauchistes" qui formeront le KAPD représentent 80% du parti communiste et ce dernier, menacé de dépérissement, ne suivit qu’en se fondant dans l’USPD (socialiste-indépendants, six à sept fois plus nombreuse). On a ainsi la continuité suivante :
"Centrisme" social-démocrate---à USPD ----à VKPD (section officielle de la 3è I.C.)
Spartakus-IKD (groupes radicaux de gauche) ------------------à KPD ------à KAPD
Il faut se graver dans la mémoire ces faits si l’on veut comprendre quoi que ce soit. Le KAPD n’est pas une secte marginale. Elle constitue un moment et un résultat d’un processus de radicalisation prolétarienne. Nous reviendrons sur la question, de savoir pourquoi elle est devenue isolée. Mais ce qui est certain, c’est qu’elle représente de par les conditions de sa formation, le courant le plus significatif de la montée révolutionnaire des années 20. Cela suffit à juger tous ceux qui ont traité par le mépris ou le silence son existence.
Autre fable répandue, et dont la lecture de ces textes ne laisse pas pierre sur pierre : celle qui prétend que c’est au nom d’un purisme "moral" que les communistes de "gauche" rejettent les tactiques préconisées par l’I.C. Ceux qui connaissaient les "gauchistes" à travers de vagues souvenirs de "La Maladie Infantile" de Lénine, seront certainement étonnés de voir qu’ils appréciaient de façon solidement réaliste les tâches objectives de l’"ancien mouvement ouvrier" : "s‘installer au sein de l’ordre capitaliste... envoyer des délégués au parlement et dans les institutions que la bourgeoisie et la bureaucratie avaient laissées ouvertes à la représentation ouvrière... Améliorer la situation du prolétariat au sein du capitalisme, etc. Tout cela fut mis à profit et à l’époque, c’était juste." (Jan Appel, page 33)
Quant à ceux qui s‘obstinent, comme les sous-produits dégénérés de la gauche italienne, à présenter les révolutionnaires allemands comme des "fédéralistes", ils devront expliquer comment Otto Rühle, l’un des plus "spontanéistes", puisqu’il trouvait le KAPD trop proche de la conception classique de l’avant-garde, pouvait écrire : "Le fédéralisme conduit à une caricature d’autonomie (droit d’autodétermination). On croit agir de façon sociale et prolétarienne quand on attribue à chaque région, chaque lieu (on devrait même le faire pour chaque personne) l‘autonomie dans tous les domaines. En fait, on ne fait qu’abolir l’empire pour le remplacer par une quantité de petites principautés. De partout surgissent des roitelets qui régissent... de façon "centralisée” une fraction des adhérents comme si c’était leur propriété."
On ne sait ce qui est le plus ridicule chez les bordiguistes, de leur apologie concassée de Lénine ou de leur rage à l’égard du KAPD. Quoiqu’il en soit, au lieu de ricaner bêtement sur le "formalisme conseilliste" de la gauche -ils feraient mieux de nous expliquer pourquoi, si c’est cela qui le caractérise fondamentalement, le KAPD refusait de participer aux formes vides des conseils d’entreprise légaux, méprisant en cela toutes les majorités statiques et électorales- alors que les léninistes s‘y accrochaient désespérément pour y trouver les masses et remplir la "forme" d’un contenu "révolutionnaire" :
Mais la déformation la plus éhontée est celle qui a réussi à présenter la gauche communiste comme un courant spontanéiste, niant la fonction de l’avant-garde ou du parti. Que certains éléments en soient arrivés là ne permet pas de falsifier la pensée du courant dans son ensemble sur ce sujet. En tout cas, on peut affirmer sans crainte que le KAPD prenait mille fois plus au sérieux le concept d’avant-garde et la nécessité de ne pas noyer le parti dans les masses, que l’Internationale communiste ! Que ceux qui en doutent lisent soigneusement ces paroles de Jan Appel, en gardant à l’esprit la dissolution du KPD "léniniste" dans l’amas incohérent de la piétaille centriste en 1921 : "Le prolétariat a besoin d’un parti-noyau ultra formé. Chaque communiste doit être un communiste irrécusable... et il doit être un dirigeant sur place. Dans ses rapports dans les luttes où il est plongé, il doit tenir bon, et, ce qui le tient, c’est son programme. Ce qui le contraint à agir, ce sont les décisions que les communistes ont prises. Et là, règne la plus stricte discipline. Là, on ne peut rien changer, ou bien on sera exclu ou sanctionné..." (Jan Appel)[5]
Ces quelques rapides indications permettront de dépasser tous les faux procès faits à la Gauche Communiste et d’aller à l’essentiel : qu’y a-t-il de nouveau, d’original et de durable dans sa pratique et ses conceptions ?
Le soubassement théorique des positions du KAPD, c’est d’abord la reconnaissance du caractère nouveau de la période ouverte par la première guerre mondiale : période de guerres, de crises et de révolutions. La décadence du capitalisme n’est pas définie, comme on le croit trop souvent, comme simple stagnation, mais comme une ère où "le caractère de lutte de classe de l’économie elle-même se réaffirme de manière dix fois plus accentuée qu’à l’époque de la floraison". La vision qui ressort de ces textes est la suivante s déclin du système ne signifie pas fin des oscillations cycliques et impossibilité pour le capital de se redresser. De fait, "le capital se reconstruit lui-même, sauve son profit, mais aux dépens de la productivité. Le capital reconstruit son pouvoir en détruisant l’économie". On a là une intuition imprécise mais profonde du caractère essentiel de la crise historique. Tentons de la préciser : la sauvegarde du capital exige, face à la saturation des marchés et à l’intensification de la concurrence qui en découle, des frais improductifs gigantesques et croissants. De ce fait, les progrès de productivité sont annulés par l’augmentation cancérique du temps de travail socialement nécessaire au maintien des conditions de reproduction du capital (armement, guerres, bureaucratie, secteur tertiaire, etc.)
Mais l’apport de la "gauche", ce n’est pas son analyse de la décadence, qui reste floue comme celle de l’IC dans son ensemble. C’est sa volonté acharnée de tirer toutes les conséquences du changement du cours historique. Les prolétaires qui se groupent dans la gauche du KPD, puis dans le KAPD, sont eux-mêmes un produit de la rupture brutale de 1914. Le réformisme n’est plus, pour eux, en discussion, il est mort. La pratique sociale-démocrate n’est donc pas un choix "tactique" possible parmi d’autres, mais une expérience déjà faite, nécessaire en son temps, mais qui a démontré clairement, à l’heure de la guerre impérialiste et de la révolution, son incompatibilité complétée avec les conditions et les tâches nouvelles.
Les fractions ouvrières qui commencent, dès la reprise de l’effervescence dans la classe en 1916, à avancer le mot d’ordre : "Sortez des syndicats !", S’attaquent sans crainte à des organes consacrés, forgés au cours de décennies de lutte. Ce qui leur donne cette audace inouïe, c’est que ces groupes ne considèrent nullement les institutions héritées du passé en fonction de ce qu’elles représentent dans la conscience mystifiée de l’ensemble des travailleurs -pas plus qu’ils ne déterminent la nature de celles-ci en les contemplant dans le miroir aux alouettes des possibilités "tactiques" qu’elles offrent. C’est là le subjectivisme "réaliste" de gangs qui veulent concurrencer la social-démocratie sur son terrain et non la méthode matérialiste du prolétariat révolutionnaire. Les délégués qui, au 1er congrès du KPD, préconisent unanimement la destruction des syndicats et à une très forte majorité le refus de participer aux élections (sur ce dernier point malgré l’opposition de Rosa Luxembourg), le font parce qu’ils ont vécu directement la fonction contre-révolutionnaire de ces organes. Poussés par une profonde conscience de classe, mille fois plus profonde que les arguties "léninistes" sur la question, ils parviennent d’emblée au nœud du problème syndical. DES ORGANES CONSTITUÉS POUR S’AMENAGER UNE PLACE DANS LE SYSTEME SONT INUTILISABLES POUR LE DÉTRUIRE, LA CLASSE REVOLUTIONNAIRE NE PEUT REPRENDRE LES OUTILS DE LA CLASSE-EN-SOI[6]. "LE PROLETARIAT NE DOIT S’ORGANISER QU’EN VUE DE LA REVOLUTION" (‘Jan Appel).
"On se construit des syndicats pour un but bien déterminé : s’installer à l’intérieur de l’ordre capitaliste. Alors, quand les communistes croient (qu’on peut utiliser) ces organes qui sont incapables de conduire des luttes révolutionnaires... ils sont dans l’erreur." (Jan Appel)
On a coutume de citer ironiquement les attaques du KAPD contre les "chefs" pour démontrer son prétendu "infantilisme ". Au lieu d’aller au-delà de ce qu’il y a de confus dans les formulations pour découvrir ce qu»il y a de profond dans le noyau de leur pensée, on ironise sur des phrases maladroites. Seules les mauvaises causes procèdent de la sorte. En fait, contrairement à ceux qui ne projettent que leur propre superficialité sur les textes, la Gauche Allemande parvient à une compréhension de phénomène de la bureaucratie qui échappera complètement à l’IC (sauf très partiellement à la gauche italienne). Alors que les léninistes usent leur lance déclamatoire contre la "bureaucratie”, les directions réformistes qui "trahissent", "ne tiennent pas leurs engagements", on trouve chez la gauche communiste l’idée que les bureaucrates ne sont pas la cause de la pourriture des syndicats, mais le produit. Ce ne sont pas les chefs "réformistes” qu’il faut détruire, mais les organes qui les sécrètent et les sélectionnent inévitablement.
"Le vieux mouvement ouvrier avait besoin d’une union des travailleurs. On choisissait des hommes de confiance, des travailleurs capables de négocier avec les patrons... C’EST À DE TELLES ORGANISATIONS QUE TIENNENT LES CHEFS. IIS EXISTENT GRACE A ELLES." (Jan APPEL)
Période historique, tâches objectives, fonction, organes, "chefs". Voilà la suite organique que reconnaît implicitement dans tous ses textes la "Gauche". Derrière la question des "chefs", se profile, à chacune de ces pages brûlantes, la question des tâches du prolétariat et non une question "morale", comme l’ont raconté tant de falsificateurs, eux-mêmes décidément bien obsédés par ce faux problème.
C’est la même vision historique matérialiste qui éclaire l’antiparlementarisme du KAPD. L’opposition à l’égard de la démocratie électorale n’est en aucune façon un principe abstrait mais une nécessité pratique liée à la période. "Exhorter dans la période de décadence du capitalisme le prolétariat à participer aux élections, cela signifie nourrir chez lui l’illusion que la crise pourrait être dépassée par des moyens parlementaires." Voilà qui devrait suffire à faire taire les nombreux faussaires qui ont amalgamé la position antiparlementaire du KAPD à l‘abstentionnisme principiel de l‘anarchisme.
Mais si le rejet des tactiques réformistes à l’heure de la révolution est le trait le plus saillant des textes de la gauche, il ne représente que la partie la plus visible d’un ensemble de conceptions qui tendent vers une cohérence . Il est clair, en particulier pour le KAPD, que le changement général des taches prolétariennes implique également une remise en question des notions traditionnelles concernant la fonction et la nature du parti[7].
Avec la tâche de "s’installer au sein de l’ordre bourgeois", disparaît également le type de parti qui lui était adapté : le parti "politique" classique, dont la fonction était de gagner une représentation parlementaire et de gagner les masses. Les notions de parti réformiste et de parti "de masse" se complètent. Pour imposer à la bourgeoisie une place au mouvement ouvrier, à l’époque du capitalisme ascendant, il fallait recruter des "électeurs" et des "adhérents". Car c’est ainsi que se présente la classe lorsqu’elle ne peut être révolutionnaire. Pour recruter électeurs et adhérents, il fallait disposer d’une tribune, d’une crédibilité politique nationale. Tout se tient et la gauche, qui le comprend bien, rejette le "parti de masse"[8] : "Nous disons : un parti de masse, créé selon le principe ‘faisons entrer le plus de monde possible, après ça nous taperons sur tout cela pour que cela fasse un parti en règle d’un point de vue révolutionnaire sous la pression des rossées de la direction’, nous disons qu’un tel parti ... porte en lui, dans toute sa structure, la plus grande chance de faillir." (Schwab)
Ce n’est plus d’un centre de manœuvre dans la sphère des alliances et des pratiques interclassistes, appuyé sur une masse de socialistes du dimanche dont a besoin le prolétariat. Parce qu’ils sont le fruit d’un mûrissement révolutionnaire au sein de la classe, et non un rassemblement de petits stratèges à l’échine souple, les communistes de gauche répliquent hautement au frontisme de l’IC ces fortes paroles brûlantes de réalité et d’actualité :
"La méthode de la lettre ouverte est impossible et non dialectique. C’est-une méthode par laquelle on veut attirer à soi les masses telles qu’elles sont ... en transigeant avec les pensées qu’elles se font. On dit, il est vrai, dans une phrase- conclusive : ‘Nous savons bien que cela ne colle pas, mais nous exigeons’, etc. Les masses ne comprennent pas cette contradiction, mais elles savent que cela ne va pas. Ou bien, si elles sont encore aveugles, elles se disent : ‘Bon, si les communistes eux-mêmes disent qu’on doit demander cela, c’est que ça ira’..." (jan Appel)
Fronts uniques, lettres ouvertes, mises au pied du mur, négociations pour des pseudo-gouvernements ouvriers sont des manigances extérieures à la classe. Ces combines sont l’aliment de véritables rackets, pour reprendre l’expression d’"Invariance", cliques dont l’objectif est de "compter leurs membres comme des idiots ou des nombres morts" (Rühle). Le KAPD, lui, est une partie de la classe qui agit au sein de la classe. C’est pourquoi il repousse par toutes les fibres de son corps l’escroquerie qui consiste à encourager les illusions des ouvriers pour mieux les appâter. La logique du frontisme, c’est un parti de thésaurisateurs qui accumulent les ouvriers comme des "chiffres inertes". La classe ne se livre pas à de tels petits jeux "pédagogiques" avec elle-même.
Pour le KAPD, le parti n’est pas un état-major qui se distingue par sa finesse tactique. Il est avant tout l’organisation de ceux qui défendent le but communiste au sein du mouvement : "Nous avons la tâche non de lancer les mots d’ordre de la lutte quotidienne ... ces mots d’ordre doivent être posés par les masses ouvrières dans les entreprises... Nous ne repoussons pas le combat quotidien, mais dans ce combat, nous nous mettons en avant des masses, nous leur montrons toujours le chemin, le grand but du communisme." (Meyer)
Le KAPD, cela va de soi, n’excluait pas de prendre en tant que parti les initiatives nécessaires (soutien direct à la Russie soviétique par le sabotage, par exemple) . Mais tout en refusant une conception purement propagandiste de l’avant-garde, il considérait que la fonction principale pour laquelle il existait était la défense du communisme et non celle de telle particularité circonstancielle du développement du mouvement. "Le parti communiste ne peut pas déclencher les luttes; il ne peut pas, non plus, refuser le combat. Il ne peut obtenir, à la longue, la direction des luttes que s’il oppose à toutes les illusions des masses la pleine clarté du but et des méthodes de lutte."
Contrairement aux racoleurs du VKPD, les communistes de gauche rejoignent les bolcheviks de la meilleure période dans la conviction que le rôle du parti est de s‘opposer aux illusions des "masses", quitte à s‘isoler temporairement. Au-delà de ses aspects indéniablement volontaristes, voilà ce qu’il y a de profond dans l‘attitude du KAPD. "Le prolétariat aujourd’hui encore nous insulte. Mais si la situation se développe et mûrit, alors le prolétariat ... reconnaît la voie."
On le voit, c’est véritablement vers une conception d’ensemble des moyens propres à la révolution prolétarienne que s‘oriente la gauche. On nous opposera que nous avons choisi nos citations et les avons reliées nous-mêmes, alors que tout cela apparaît de façon éparse dans les textes. Mais précisément, nous avons tenu à dégager la cohérence sous-jacente. C’est elle qui est essentielle, car elle préfiguré, dans ses balbutiements, l’avenir du mouvement.
C’est justement parce que nous reconnaissons toute son importance et sa richesse, que nous pouvons tenter d’en faire une critique féconde. Contrairement à ceux qui s’attardent complaisamment sur la confusion, inévitable à l’époque, ou sur les erreurs superficielles, les maladresses, nous voulons à la fois apprécier ce moment de la résurgence du mouvement prolétarien et en tracer toutes les limites, toutes les tendances inachevées. C’est ainsi que la révolution procède à l’égard de son passé. Toute autre attitude est scolastique.
”Si la destruction des syndicats ... ne s’est pas montrée jusqu’ici assez violente, c’est parce que le début de la révolution prit un caractère plus politique qu’économique." (Meyer)
Ce diagnostic cerne peut-être l’aspect fondamental de la révolution allemande. La maturation du mouvement élémentaire de la classe ouvrière, qui donne déjà des signes de révolte contre le réformisme au moment où son apogée tire à sa fin -cette maturation est brutalement interrompue avec la guerre mondiale. La révolution russe de 1905, les premières grèves sauvages, la lente et confuse cristallisation d’une gauche dans la IIe Internationale ne sont que les tout premiers signes d’une remise à l’ordre du jour de la révolution, qui n’aura pas le temps de bouleverser en profondeur l’être de la classe. Le prolétariat se trouve brutalement projeté, en 1914, dans une nouvelle période historique, avant même que sa propre expérience put dégager les nécessités nouvelles qui s’imposent.
Ce n’est pas tout. Bien qu’elle constitue, dans son essence, une continuation de l’économie, la guerre se présente, en grande partie, aux yeux des ouvriers, comme une question politique, au sens étroit du terme. Avant même que. le prolétariat allemand ait pu tirer à fond les conséquences de la crise sociale du système, il est contraint de réagir de façon politique aux problèmes de la guerre, de la paix, de l’empire, etc.
Cette conjonction d’une entrée soudaine dans la nouvelle période et d’une rupture conjoncturelle entre mouvement politique et social a pour effet de briser le procès d’unification de la classe. L’éclosion de la révolte matérielle n’a pas eu le temps de prendre forme. D’une part, le ciment social qui permet de souder en une unité les différentes fractions de la classe fait défaut. D'autre part, le passage à la classe révolutionnaire est brisé, parce que manque le ferment décisif qui réveille les couches les plus arriérées de leur torpeur, défait les habitudes corporatistes et localistes. La misère de l’hiver "rutabaga" de 1917, le rôle policier des syndicats, et même la faillite de la social-démocratie sont perçus par l’immense arrière-garde de la classe comme des conséquences temporaires d’un phénomène précis : la guerre. Le désir le plus profond, c’est la paix et le retour aux conditions de l’ère précédente. D’où l’écrasante inertie qui frappe tous ceux qui étudient la révolution avortée de 1918[9]. On ne fait plus confiance aux sociaux-démocrates pour finir la guerre, mais on pense qu’une fois rétablie la stabilité sociale, ils pourront rejouer leur rôle. D’où le slogan ; "Liebknecht ministre de la guerre ; Scheidemann, ministre des affaires sociales".
De là provient la profonde scission qui lézarde la classe. D’un côté, les éléments radicalisés (nouvelle génération n’ayant pas connu la prospérité, chômeurs, etc.) ; de l’autre, une lourde masse retenue par un conservatisme nostalgique dont l‘expérience n’a pas eu le temps de saper les bases. L’ensemble de la classe trouve l‘expression de ses aspirations dans le socialisme "indépendant" (USPD, puis VKPD). Comme l’a bien vu Invariance dans son étude sur le KAPD, "les communistes de gauche se retrouvent en 1919 en dehors du parti qu’ ils avaient créé. Cela voulait dire qu’ils n’étaient pas l’élément déterminant, dirigeant. Ils n’avaient plus l’avantage..."
La tragédie de la gauche est celle du mouvement de la classe dont elle est l’avant-garde sécrétée par la lutte révolutionnaire, mouvement qui s‘est trouvé incapable pratiquement et théoriquement de poursuivre sa radicalisation au-delà du cadre des phénomènes politiques qui avaient déclenché la révolution, et donc de se hisser à la hauteur de ses taches historiques. Le KAPD tend vers une définition théorique globale de la révolution à notre époque, mais il succombe parce que la classe dans son ensemble ne parvient pas à se dégager de l’époque précédente. Le prolétariat n’est pas mûr pour, en unifiant lutte économique et politique, s‘unifier lui-même et s ‘affirmer comme classe révolutionnaire, destructrice du capital.
Lorsqu’en 1922-23, s‘approfondit la crise sociale qui frappe l’Allemagne et lorsqu’enfin apparaît dans toute sa nudité la putréfaction du capitalisme lui-même (les ouvriers désertent les syndicats), il est trop tard. Le cours s‘est inversé à l‘échelle mondiale et en Allemagne, la contre-révolution a écrasé les fractions les plus avancées, pénétré la classe par le VKPD, isolé la gauche qui se décompose sous des pressions volontaristes et désespérées. Le prolétariat est définitivement cloué sur le terrain du capital. La combativité ouvrière n’y changera rien. La suite du mouvement ouvrier allemand ne sera plus pour des décennies, qu’une nuit sans fin.
On peut donc situer la gauche comme un moment inachevé d’un surgissement de la classe qui tente, avant d’être résorbée par l’involution du mouvement de définir les moyens de la révolution prolétarienne, a l‘époque de la crise historique du capitalisme. Dès que le mouvement ouvrier est définitivement ramené sur une orbite bourgeoise, les communistes de gauche se présentent comme les rescapés d’une révolution avortée en période de contre-révolution. Sectarisme, dissolution et pétrification idéologique deviennent alors inévitables.
Les erreurs fondamentales du courant expriment l‘impasse ou il se trouve. Volontarisme, conseillisme, unionisme ne sont trop souvent considérés que comme une simple addition de déviations idéalistes. En fait, nous pensons qu’ils recouvrent surtout un dénominateur commun qui est la recherche désespérée d’un moyen de renverser le cours contre-révolutionnaire.
Le KAPD parvient à une profonde intuition de la nature de ce cours et de la barbarie de la période qui s‘ouvre. Le capital peut se relever "pour des années, sinon des dizaines d’années sur les cadavres des prolétaires". Une défaite irrémédiable du prolétariat signifierait la possibilité pour le système de prolonger son agonie. Il faut donc "rendre impossible le relèvement du capitalisme".
Ce volontarisme à contre-courant conduit la gauche à affirmer unilatéralement le prolétariat tel qu’il se présente en période de reflux : ENFERME DANS L’USINE. La tâche de l’AAU est définie comme "la révolution dans l’entreprise". Au lieu de considérer LES USINES comme autant de points de départ d’un processus d’unification qui tend à briser ces cadres capitalistes, L’USINE ISOLEE devient le lieu institutionnalisé de l’unification. Le passage à la classe révolutionnaire apparaît ainsi comme le résultat d’une simple addition de formes "purement prolétariennes" que sont les organisations d’entreprise. Tout le mouvement qui va des usines à la société est nié[10].
La théorisation de la division de la classe en entreprises braque la pensée des communistes de gauche sur la question de la forme d’organisation qui y correspond (d’où le caractère superficiel de certaines de leurs critiques contre les syndicats, accusés d’être structurés par métiers et non par entreprises). Elle les entraîne, de plus, à des positions volontaristes, selon lesquelles ce serait à l’avant-garde de "créer les formes” "créer un cadre qui puisse accueillir le prolétariat" , etc.
On a là l ‘embryon de ce qui distinguera les sectes conseillistes. Alors que pour les léninistes, la tâche est d ‘organiser les ouvriers à travers le parti, pour les conseillistes elle deviendra de montrer aux ouvriers quelles formes il faut, pour éviter de tomber entre les mains des léninistes. Dans les deux cas, les communistes sont les "organisateurs" de la classe.
"L’organisation d’entreprise est la garantie (!) que la victoire aboutisse à la dictature du prolétariat et non pas à la dictature de quelques chefs de parti et de leurs cliques."
L’organe devient le but -et le but communiste disparaît parce que toute apologie de l’institutionnalisation d’un organe quelconque gèle le développement du contenu du mouvement. Fétichisme du parti ou fétichisme du conseil ne reviennent qu’à transformer des moments de la révolution en son point final. Poussés à leurs conséquences ultimes, ils sont contre-révolutionnaires. La lutte de classe crée les organes nécessaires et il serait absurde pour les révolutionnaires de ne pas en reconnaître la nécessité. Mais la forme n’est qu’un moment d’un contenu qui la dépasse. Les révolutionnaires ont pour tâche spécifique de défendre le contenu.
Affirmation désespérée d’organes destinés, de par leur "structure" même, à offrir au prolétariat de renverser le cours contre-révolutionnaire. Repli sur l’entreprise pour tenter d’y trouver l’être de la classe révolutionnaire face au capital qui domine sur la scène politique ; au moment même où la gauche parvient à exprimer la révolution, elle est déjà en train d’être happée par la contre-révolution.
Plus grave encore, le conseillisme mène déjà à la théorisation de l’autogestion comme force du communisme : "l’organisation d’entreprise est le début de la forme communiste et devient le fondement de la société communiste à venir".
Comme l’a bien vu Invariance, c’est par réaction à la mystification démocratique inter-classiste à l‘extérieur de l‘usine, que le KAPD s‘obnubile sur la recherche de garanties dans la démocratie au sein de l‘usine. Ainsi, alors que le communisme signifie destruction du cadre de l’entreprise, dans la pensée conseilliste, ce cadre juridique qui est le lieu de la logique intime du capital devient la forme de la société future. Au lieu de considérer les conseils et les usines comme des formes transitoires de regroupement de la classe, dont la classe tend immédiatement à faire éclater les limites, au fur et à mesure qu’elle se nie -les conseillistes en font l’essence de la révolution. L’identification, par Meier, par exemple des "organes de destruction du capitalisme" avec les "organes du communisme" revient à identifier prolétariat et communisme, c’est à dire à perpétuer le prolétariat. C’est de cette grossière erreur que procèdent les théories de la "gestion ouvrière", des "bons de travail" et toutes les idéologies ouvriéristes, proudhoniennes qui ont refleuri depuis.
Hembe
[1] Édité par la "Vieille Taupe", "Invariance" et "La vecchia Talpa". Écrire au "Mouvement Communiste", G. Dauvé, BP 95 — 94600 Choisy-Le-Roi.
[2] USPD : Parti social-démocrate indépendant ; KPD : Parti communiste allemand fondé en 1918 (décembre) ; KAPD : Parti ouvrier communiste d’Allemagne fondé en avril 1920 par la gauche du KPD ; VKPD : Parti communiste unifié d’Allemagne : fusion en décembre 1920 de la droite du KPD et de la gauche de l’USPD ; AAU : Union générale des travailleurs (organisations d’entreprise)
[3] Voir en particulier les textes parus dans "La contre-révolution bureaucratique" (10/18).
[4] Ceci dit, nous ne partageons pas l’appréciation des présentateurs sur les "chefs spartakistes". Il est facile de mettre en évidence leur confusion, mais ce serait également aisé pour 1«IKD. Tous les courants sont mal définis. Les jeux superficiels qui consistent à isoler à tel moment les positions de courants instables, mouvants et qui s’interpénètrent sont, à notre avis académiques.
[5] Un grand nombre de ces citations sont extraites de discours prononcés à la tribune du 3e congrès de l’IC. Les orateurs disposaient de très peu de temps ce qui explique le caractère elliptique de leur style.
[6] La constitution des AAU (organes dans les faits mi-syndicaux) est à notre avis, une régression par rapport à la clarté atteinte dans ces textes.
[7]Nous ne traitons ici que de la position du KAPD et non, par exemple de celle d’Otto Rühle, plus tard.
[8] La question du parti de masse ne se pose pas en termes de nombre : le KAPD comprenait 40 000 à 50 000 membres et il n’est pas impossible d’imaginer un parti mondial qui en regrouperait des millions. Ce qui est en cause, c’est la vision du parti S’appuyant sur le maximum d’"adhérents" possibles, recrutant de façon souple. Et derrière cela, se profile le refus de l’ancienne conception de la classe organisée dans et par le parti. Si toute la classe est communiste, il n’y a plus besoin de parti (il n’y a d’ailleurs plus de classe) .Si la classe n’est pas communiste, alors le parti est une minorité et non l’être de la classe. La conception du parti avant-garde n’est nullement élitiste. Il ne s’agit pas d’un groupe d’élus qui "sélectionnent" ses membres artificiellement. Ce qui le rend minoritaire, c’est le contenu des positions qu’il défend, et non un quelconque sectarisme auto-conservateur.
[9] Voir en particulier l’absence effarante d’initiatives du prolétariat berlinois au cours des journées de janvier 1919. On ne voit souvent que la confusion des chefs (Liebknecht, homme de confiance etc.). Mais les chefs sont bel et bien un produit de cette foule passive, ou pas une voix ne s’élève pour les critiquer
[10] Dans sa présentation des textes, la tendance Mouvement Communiste-Invariance-met bien en relief l’inadéquation de l’idéologie "conseilliste". Mais elle tombe du même coup dans une autre vision unilatérale qui rejette les conseils comme "forme dépassée". Outre que ce ne sont jamais les revues théoriques mais le prolétariat lui-même qui dépasse ses formes antérieures, et qu’en attendant, la plus grande prudence est de rigueur — on peut faire remarquer que si l’entreprise isolée est le lieu de parcellisation de la classe, la production (les usines) reste la base sociale à partir de laquelle s’affirme la spécificité du prolétariat. Pour se nier, la classe doit s’affirmer. En refusant fort justement le fétichisme des conseils, on tombe dans un fétichisme anti-conseils qui, sous le prétexte valable de relativiser les forces, finit par les nier, même comme moments nécessaires . On transforme la négation du prolétariat en un concept métaphysique abstrait (dissolution immédiate). Cette conception est 1«aboutissement logique des aberrations sur la "classe universelle". Nous y reviendrons.
Cet article ne prétend pas traiter à fond des causes de la crise qui touche aujourd'hui l'ensemble de l'économie capitaliste[1]. Il se propose seulement de tenter d'éclairer sous l'angle de la pensée révolutionnaire quelques-unes des manifestations de celle-ci et principalement celle qui aujourd'hui touche le plus directement les travailleurs : L'INFLATION.
Aujourd'hui, cette question peut sembler farfelue. Inflation, crise du Système Monétaire International, plans de stabilisation, mesures d'austérité, conférences internationales : ces préoccupations sont devenues quotidiennes et à côté des retombées pétrolières de la guerre du Proche-Orient qui ne font que les aggraver, elles font la une de tous les journaux.
Dans les rangs de la bourgeoisie, le clan des ‘pessimistes’ croît en nombre, et certains de ses ‘experts’ n'hésitent pas à écrire :
Si toutefois, nous posons la question ‘la crise existe-t-elle ?’, c'est parce que l'évolution de l'économie capitaliste en 1972 et 1973 semble infirmer les craintes qui se manifestaient parmi les plumitifs du capital après la récession de 1971 ainsi que les perspectives que nous tracions dans notre article ‘La crise’ (R. I. n° 6 et 7) :
De ces prévisions, 1972 et 1973 n'ont confirmé que l'intensification de la guerre commerciale (par le biais des fluctuations des monnaies) et la dislocation des unions douanières (difficultés accrues du marché commun). Par contre les salaires ont réussi pour le moment à suivre l'inflation (particulièrement en France) ; après une pointe début 1972 le chômage a régressé, les échanges internationaux ne se sont jamais aussi bien portés (augmentations annuelles de 10 à 20 % suivant les pays) et 1972 marque une très nette reprise par rapport aux années précédentes, en particulier pour les Etats-Unis qui connaissent leur plus forte croissance depuis la dernière guerre mondiale.
Ces résultats ont conduit certains à conclure que l'économie mondiale avait surmonté sa mauvaise passe et était repartie pour un nouveau boom (il faut d'ailleurs remarquer que ces ‘optimistes’ se recrutent plutôt parmi certains gauchistes[3] que parmi les ‘spécialistes’ officiels qui eux ne se font pas trop d'illusions et, déjà avant la guerre du Proche-Orient, prévoyaient, tels l'OCDE et Giscard, une récession pour 1974). On a en particulier spéculé sur la possibilité pour 1’inflation, telle qu'elle s'est développée en 1972-73, d'assurer une croissance continue.
Il s’agira pour nous d’expliquer pourquoi cette inflation et cette ‘mini-reprise’ annonceront en fait des difficultés accrues pour l'économie capitaliste.
Un autre phénomène fait dire à certains que les difficultés actuelles n’ont rien à voir avec une crise de surproduction modèle 1929. Alors qui en 1929 la crise s'était déclarée brutalement, en pleine période d'euphorie et qu'elle s'était traduite par un effondrement de la Bourse, on n'a pas vu dans la période actuelle de tel effondrement ni de la Bourse[4] ni de la production, mais essentiellement des difficultés sur le plan monétaire. Il s’agit donc de voir ce qui distingue les deux périodes et ce qui les identifie et s'expliquer comment la crise monétaire n'est qu’un reflet d'une crise des débouches. C'est ce que nous ferons d'abord.
Depuis quelques années, la ‘crise Monétaire Internationale’ est devenue une vedette des journaux. Les dévaluations du dollar succèdent aux réévaluations du mark, les flottements de la livre aux spéculations sur l'or et les conférences internationales de gouverneurs de banques centrales aux réunions a trois, a cinq ou a quarante-sept des ministres des finances. Sur le plan monétaire, tout le monde est d'accord pour répondre : ‘Oui, la crise existe’. Et depuis quatre ou cinq ans, on convient aussi du fait que le ‘Système Monétaire International’ issu des accords de Bretton Woods de 1944 n'est plus adapte aux besoins actuels de l'économie mondiale et que, par conséquent, il faut le réorganiser au plus vite. Mais forts pourtant de ces constatations, les bourgeois n'ont pas réussi encore à résoudre cette crise qui loin de s'atténuer va en s'amplifiant : 1973 a connu une seconde dévaluation du dollar encore plus forte que la précédente (décembre 71 : 8,57 $ et mars 73 : 10 $) suivie d'une autre chute brutale en juillet, ainsi qu'une ascension vertigineuse du prix de l'or qui a triplé son prix officiel.
Pourquoi donc cette incapacité des bourgeois à résoudre leurs problèmes monétaires et à se mettre d'accord sur un nouveau S.M.I. ?
Est-ce parce qu’ils sont incompétents et ne savent pas par quel bout entreprendre cette tâche ? La compétence ne manque certainement pas au service de la bourgeoisie : depuis de nombreuses années, toutes les sommités économiques, des académiciens aux prix Nobel, se penchent sur le chevet du S.M.I. malade et lui concoctent toutes sortes de potions magiques. Leur échec ne signifie pas que ce sont des imbéciles mais tout simplement qu'ils se sont attaqués à un problème insoluble : remettre sur pied le Système Monétaire International alors que c'est l'ensemble de l'économie mondiale qui est malade, malade d'un mal dont l'issue fatale s'appelle guerre ou révolution.
En effet, la monnaie n'a pas une existence indépendante par rapport à l'ensemble de l'économie. Il y a monnaie parce qu'il y a marchandise et c'est parce que celle-ci a besoin pour exister, qu'une marchandise spécifique s'autonomise par rapport aux autres que la monnaie revêt un certain aspect d'indépendance. Et c'est parce que la marchandise se trouve au cœur du mode de production capitaliste que les problèmes monétaires ont aujourd'hui une telle importance.
Le comportement de la monnaie au niveau international, sa stabilité aussi bien que ses fluctuations sont le reflet des conditions dans lesquelles se poursuit le mécanisme essentiel du mode de production capitaliste : la valorisation du capital. Cela est d'autant plus vrai aujourd'hui où la seule base sur laquelle repose la valeur de la monnaie d'un pays est la capacité de celui-ci à produire de façon rentable et à affronter la concurrence internationale.
Dans le passé, la monnaie papier émise par les banques centrales avait une contrepartie systématique, en or ou en argent ; convertibles avec des métaux précieux auxquels l'utilité sociale et le travail de production avaient conféré une réelle valeur d'échange, les billets de banque avaient cette même valeur.
Avec la diminution massive du taux de couverture des billets émis[5] c’est à dire l'impossibilité théorique de reconvertir en or une part importante de la monnaie en circulation, le problème change de données : désormais, ce qui garantit la valeur d'une monnaie, c'est la possibilité qu'elle a d'ache- ter des marchandises du pays où elle est produite. Tant que celui-ci est capable de fabriquer des marchandises échangeables sur le marché mondial (qualité et prix) le Monde a confiance dans sa monnaie. Par contre, si les marchandises produites par ce pays (pays A) n'arrivent plus à se vendre parce qu'elles sont plus chères que celles des autres, les détenteurs de la monnaie du premier s'en débarrassent au bénéfice de la monnaie des pays dont les marchandises se vendent bien. La monnaie du pays A n'étant la contrepartie d'aucune valeur réelle perdra alors la confiance de ses détenteurs et son cours s’effondrera[6]. Cet avatar arrive communément aux monnaies des pays sous-développés depuis de nombreuses années : leur chute presque incessante exprime les difficultés chroniques de l'économie de ces pays.
Mais le phénomène auquel nous assistons a une autre signification que 1'effondrement du Peso argentin, du Quetzal guatémaltèque ou du Kwacha du Malawi. La monnaie qui sombre aujourd'hui, qui, en trois ans,(Mars 70, Juillet 73) a perdu 37% de sa valeur par rapport au Mark, 34% par rapport au Franc suisse, 26% par rapport au Yen et même par rapport à la livre Sterling, cette monnaie donc n'est autre que le dollar ; devise de la nation qui produit 40% de la richesse mondiale, fait 20% du commerce international, devise qui pour cette raison, s'était imposée comme la monnaie universelle.
L'effondrement récent du dollar a exprimé le recul de la compétitivité des marchandises américaines sur le marché international, ainsi que sur son marché intérieur, face à celles de 1'Europe et du Japon. Et ceci est illustré par le fait qu'il a suffi, fin juillet, qu'on annonce que la balance commerciale américaine redevenait positive pour que le dollar accuse aussitôt un redressement spectaculaire.
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Mais ce phénomène dépasse de loin le cadre de 1'économie américaine, compte tenu justement de sa place à part dans l'économie mondiale : dans la mesure où le dollar reste la monnaie universelle, sa crise est celle du Système Monétaire International. Dans la mesure où les U.S.A. sont encore la plus grande puissance commerciale du monde, leur difficulté à écouler leurs marchandises est le signe d'une saturation mondiale des marchés, l'un et l'autre phénomène étant évidemment lies de façon intime.
Comme nous l’expliquions dans notre précédent article[7], les causes profondes de la crise actuelle résident dans 1'impasse historique dans laquelle se trouve le mode de production capitaliste depuis la première guerre mondiale : les grandes puissances capitalistes se sont partagé entièrement le Monde et il n'existe plus de marchés en nombre suffisant, pour permettre l'expansion du capital; désormais, en 1'absence de révolution prolétarienne victorieuse, seule capable d'en finir avec lui, le système se survit grâce au mécanisme : crise, guerre, reconstruction, nouvelle crise, etc. Parvenant maintenant (en gros à partir du milieu des années soixante) à la fin de la période de reconstruction, le capitalisme est de nouveau hanté par le spectre de la surproduction généralisée.
La bataille que se livrent les grands pays à coups de dévaluations, flottaisons de monnaies, etc. et qui a disloqué l'ancien S.M.I n'exprime rien d'autre que les tentatives de chaque pays, et en particulier des plus atteints, de faire porter aux: autres le fardeau des difficultés croissantes de l'économie mondiale. Dans cette guérilla, un pays encore une fois, est mieux armé que ses rivaux : les États-Unis. Ceux-ci restent forts du poids présent de leur production et de leur commerce, comme de leur poids politique et militaire (régulièrement, pour inciter les pays européens à plus de docilité, ils agitent le martinet du retrait de leurs troupes et de leur parapluie atomique). Mais, ce qui est plus paradoxal, ils restent forts de leur faiblesse, c'est à dire de leurs dettes : les centaines de milliards de dollars actuellement en circulation dans le monde entier sont autant de dettes contractées par l'économie américaine et les détenteurs de cette monnaie ont tout intérêt à ce que leurs débiteurs soient épargnés par toute catastrophe qui les empocherait de les honorer. C'est pour cela que les autres pays sont contraints d'accepter les diktats américains, que cela leur plaise ou non[8] ;
réévaluation de leur monnaie (Yen, Mark, Florin, Franc Belge, etc.)
dévaluations brutales et répétées du dollar, suivies par la flottaison en baisse de cette monnaie, encouragée en partie par le gouvernement américain (cf. son attitude en juillet 73)
autant de mesures qui ont le double avantage :
Pour des raisons que nous avons vues dans notre précédent article, la crise de surproduction s'est d'abord attaquée au plus puissant des pays capitalistes, mais parce qu'il est le plus puissant, ce pays s'arrangera pour reporter sur les épaules des autres le fardeau de ses difficultés.
Actuellement, c'est à cela qu'on assiste : la dévalorisation massive du dollar a permis un regain de compétitivité des marchandises américaines, qui reviennent concurrencer celles d'Europe et du Japon et permettent à la balance commerciale américaine de se rééquilibrer. Mais c'est là un répit de courte durée pour les Etats-Unis : 1'invasion des autres pays par leurs marchandises conduira ceux-ci à réduire leur production, ainsi que leur main d'œuvre, ce qui diminuera d'autant leur demande et se répercutera donc à terme sur les exportations américaines. En résumé, ce qu'exprime la crise monétaire, c'est que le marché mondial est aujourd'hui trop étroit pour la production capitaliste, et cela même, les économistes bourgeois l'ont compris bien que chez eux, l'empirisme continue à être de règle et que la volonté se maintienne comme facteur économique :
Marx constate quelque part que ce n'est que dans les moments de crise que la bourgeoisie devient intelligente, qu'elle comprend la réalité de son système et se persuade des contradictions de celui-ci. Il faut que la crise actuelle soit bien avancée pour qu'elle commence à faire ce que la plupart des ‘marxistes’ de ce siècle ont refusé ; reconnaître la validité de la thèse de Rosa Luxemburg sur la nécessité de l'existence de marchés extra-capita- listes pour que se poursuive le développement du capital[10].
La reconstruction suivant la deuxième guerre mondiale se distingue par contre :
En résume on peut dire que si la première reconstruction se fait sous le signe du développement du crédit, la seconde se fait sous le signe de l'économie d'armement et de l'intervention de l'État.
Pour ces raisons c'est l'effondrement brutal (puisque l’État n'intervient pas pour ralentir le processus) du crédit et par suite de son instrument, la bourse, qui inaugure la crise de 1929.
De même, c'est parce que l'État contrôle maintenant l'ensemble de la vie économique et que les gouvernements ont tiré parti de l'expérience du passé que la crise actuelle n'a pas revêtu d'emblée un caractère brutal, que ses effets sont progressifs et qu'elle commence par se manifester sur le terrain par excellence des manipulations gouvernementales : la monnaie.
Les Conférences Internationales à répétition d'aujourd'hui où les gouvernements essaient constamment de faire front tout en ne pouvant cesser de tirer la couverture chacun à soi, sont à la crise actuelle ce que le ‘jeudi noir’ fut à la crise de 1929.
Ces différences entre les deux périodes de reconstruction expliquent également l’existence d'un phénomène relativement nouveau dans le capitalisme et qui aujourd'hui s'abat avec violence dans le monde entier : l'inflation.
Dans la partie qui suit, nous essaierons de dégager les causes de ce phénomène.
L'inflation est un phénomène qui se manifeste depuis le début du siècle mais qui a connu son âge d'or depuis la deuxième guerre mondiale. Mais même les taux de l'après-guerre longtemps considérés comme inquiétants sont, depuis quelques années, amplement surpassés.
Hausse annuelle des prix à la consommation (en pourcentage)
Et ce qu'il est frappant de constater, c'est que la ‘flambée’ des prix la plus importante correspond justement à la ‘mini-reprise’ de 1972. Ce n'est pas là un phénomène fortuit, c'est au contraire une manifestation de l'interpénétration des différents aspects de la crise actuelle. Pour comprendre l'inflation galopante actuelle, il nous faut d'abord expliquer le phénomène plus général de l'inflation telle qu'elle se manifeste depuis la deuxième guerre mondiale, particulièrement sous sa forme ‘rampante’.
Il existe autant d'interprétations de l'inflation qu'il y a d'écoles économiques. Pour certains c'est 1'excédent de la demande sur l'offre qui détermine une hausse constante des prix (inflation par la demande) : on comprend mal alors que le capitalisme mondial n'ait pu depuis de nombreuses années ajuster son offre à cette demande excédentaire alors que depuis longtemps il apparaît très nettement que ce qui limite la croissance ce ne sont pas des problèmes techniques d'élargissement de la production, mais un problème d'élargissement des marchés (existence de chômage et de capital sous utilisés), On comprend encore plus difficilement que la plus grande ‘flambée’ de l'après-guerre survienne à l'issue de sa récession la plus sérieuse : celle de 1971. Face à cette situation inexplicable pour eux, les économistes n'ont pu faire mieux que d'inventer un mot nouveau pour la désigner : la ‘stagflation’.
Tableau : capital et force de travail inutilisés aux USA.
Suivant la première interprétation on explique donc la hausse brutale actuelle des prix par une demande exceptionnelle sur l'ensemble des biens et en premier lieu sur les matières premières et les produits agricoles pour lesquels les augmentations ont atteint leurs plus hauts sommets (doublement en six mois du prix de certaines matières premières et du blé, augmentation de 20 à 30% du prix de la viande, etc.). Ces hausses se répercuteraient ensuite sur l'ensemble des marchandises qui utilisent ces biens de base (deuxième interprétation) et, entre autres, sur les produits alimentaires, ce qui d'autant le prix de la force de travail, grande consommatrice de ces produits.
Tout mensonge, pour être crédible, doit receler une part de vérité ; en ce sens, cette interprétation de l'emballement actuel des prix est partiellement juste. En effet, c'est bien parce qu'il y a eu dernièrement des mauvaises récoltes de produits de base comme le blé et, par suite, une demande massive (achats considérables de l'URSS) que les prix de celui-ci et de l'ensemble des produits agricoles ont décollé[12]. Et les hausses record du prix du pétrole sont évidemment pour quelque chose dans 1'affolement actuel des prix.
De même, la poussée de la demande des acheteurs voulant devancer les hausses a été un des éléments contribuant à cet affolement, et ceci d'autant plus que la pratique d'anticipation des augmentations de tarifs, utilisée de façon courante par les fournisseurs, s'est généralisée avec les premiers assauts de l'inflation galopante.
Nous avons donc là une série de phénomènes : inflation par la demande, par les coûts, par l’anticipation des achats et des augmentations de tarifs, qui ont été longuement décrits et analysés ces derniers temps et qui, sans doute, contribuent partiellement à la panique actuelle. Mais toutes ces interprétations postulent :
Nous avons vu plus haut ce qu'on peut penser de la première hypothèse; quant à la seconde, il suffit de la formuler pour qu'elle apparaisse comme une plate tautologie.
Ce qu'il s'agit de déterminer, c'est pourquoi, depuis plusieurs décennies, 1'ensemble des couts de production n'a cessé de monter alors que Hans la même période la productivité du travail a connu des taux d'augmentation inconnus jusqu'alors.
Certains bourgeois (parmi les plus réactionnaires) ainsi que certains ‘marxistes” ont une réponse toute trouvée, bien que formulée différemment :
Si l'on peut admettre effectivement que l'intensification des luttes ouvrières est un des éléments qui contribuent à faire évoluer l'inflation rampante (1945-1969) vers l'inflation galopante (après 1969)[1], cette hypothèse est cependant incapable de donner une réponse aux questions suivantes :
L'incapacité de l'hypothèse des ‘coûts salariaux’ à rendre compte de ces phénomènes montre donc que ce ne sont pas, en dernier ressort, les prix qui courent après les salaires mais bien les salaires après les prix.
Une autre explication, dont le PCF s'est fait le spécialiste, consiste à dire que ce sont les sur-profits des monopoles qui sont responsables de la hausse des prix à la production. Il suffirait donc que la gauche vienne au pouvoir pour mettre au pas ces monopoles (éventuellement en les nationalisant) et briser net l'inflation. Il fallait y penser !
Nous ne nous attarderons pas sur le côté démagogique de cette explication (les monopoles sont-ils autre chose que la tendance générale du capitalisme vers la concentration du capital, et depuis quand l'État bourgeois est-il autre chose que le représentant du capital national ?). Nous nous contenterons de voir ce que contient cette notion de sur-profit monopoliste.
D'abord, supposons qu'une entreprise donnée soit seule sur 1e marché d'un produit. Dans une telle hypothèse, il est évident que cette entreprise ne serait plus obligée de fixer le prix de ses produits en fonction de leur valeur véritable. La loi de l'offre et de la demande ne jouant plus, puisque les clients ne pourraient s'adresser à aucun autre fournisseur, cette entreprise pourrait, théoriquement, établir ses prix aussi haut qu'elle le voudrait. Une telle situation ne peut exister dans les faits, puisqu'on verrait alors apparaître d'autres entreprises qui, même avec une productivité moindre, seraient en mesure de pratiquer des prix plus bas et donc de prendre les marchés de la première.
Et dans les faits, il n'existe aucun véritable monopole. Aucun marché dans le monde (excepté peut-être pour certains produits très particuliers et sur des volumes non significatifs) n'est la propriété exclusive d'une seule entreprise. Ce qui existe, par contre, ce sont des cartels, c'est-à-dire des ententes plus ou moins temporaires entre grandes compagnies, ayant pour but de limiter leur concurrence et de se répartir le marché. Ces ententes sont d'ailleurs toujours à la merci des fluctuations du marché mondial et ne sont, en fait, que de petites trêves dans la guerre continuelle que se livrent entre elles les différentes fractions du capital mondial[14]. Pour cette raison, même les ‘monopoles’ tant décriés ne sont pas en mesure de fixer librement leurs prix et provoquer 1'inflation, même s'ils peuvent, grâce aux cartels, s'opposer, dans certaines limites, aux tendances à la baisse et être les instruments de la transmission internationale de cette inflation.En fait, ces ‘monopoles’ et ces ‘cartels’ existent depuis fort longtemps déjà et ils alimentaient déjà les préoccupations des économistes à une époque où l'inflation était inconnue. Ils ne sont donc d'aucune utilité pour expliquer les causes fondamentales d'un phénomène qui est apparu bien après eux. Cet argument vaut également pour la thèse suivant laquelle c'est la baisse tendancielle du taux de profit qui serait responsable de l'inflation : pour lutter contre cette baisse, les monopoles auraient tendance à fixer leurs profits au- dessus du taux permis par la composition organique du capital, provoquant ainsi un déséquilibre général vers la hausse des prix. En fait, la tendance à la baisse du taux de profit s'exerce depuis que le capitalisme existe et n'a pas empêché pendant, toute une époque les prix de baisser. Si on peut donc admettre que c'est en partie à travers la baisse du taux de profit que les ‘monopoles’ ressentent aujourd'hui les contradictions du système et qu'ils sont obligés d'augmenter leurs prix, cette explication ne permet pas non plus de coup rendre l'essence de l'inflation. Là encore, on peut dire que les monopoles et les cartels en sont l'instrument, mais non la cause.
Les causes fondamentales de l’inflation sont à rechercher dans les conditions spécifiques du fonctionnement du mode de production capitaliste dans sa phase de décadence. En effet, l'observation empirique nous permet de noter que l'inflation est fondamentalement un phénomène de cette époque du capitalisme ainsi que de relever qu'elle se manifeste avec le plus d'acuité dans les périodes de guerre (1914-18, 1939-45, guerre de Corée, 1957-58 en France pendant la guerre d'Algérie...) c'est-à-dire celles où les dépenses improductives sont les plus élevées. Il est donc logique de considérer que c'est à partir de cette caractéristique spécifique de la décadence, la part considérable des armements et plus généralement des dépenses improductives dans l'économie[15], qu'on doit tenter d'expliquer le phénomène de l'inflation.
Comme nous l'avons vu plus haut, la décadence du capitalisme est causée par les difficultés croissantes et de plus en plus insurmontables que rencontre le système à écouler ses marchandises. Ces difficultés provoquent au niveau de chaque État l'augmentation constante des dépenses improductives destinées à maintenir en vie un système historiquement condamné :
Inexistence de frais improductifs dans la société capitaliste n'est pas en soi une nouveauté. Elle est le fait de toutes les sociétés et particulièrement des sociétés d'exploitation. Elle est la règle dans la féodalité, par exemple, où les nobles consomment la plus grosse part du surproduit social en biens de luxe. Elle se manifeste dans le capitalisme depuis ses débuts sous la forme de l'État, des porteurs de sabre et de goupillon et de la consommation de la classe capitaliste. Mais ce qui est fondamentalement nouveau dans la période de déclin du capitalisme, comme des autres systèmes d'ailleurs, c'est 1'ampleur que prennent ces dépenses par rapport à l'ensemble des activités productives : a ce stade, la quantité se transforme en qualité.
Aujourd'hui, dans le prix de chaque marchandise, à côté du profit et des coûts de la force de travail et du capital constant consommés dans sa production interviennent, de façon de plus en plus massive, tous les frais indispensables à sa vente sur un marché chaque jour plus encombré (depuis la rétribution des personnels des services de marketing jusqu’aux impôts destinés à payer la police, les fonctionnaires et les armes du pays producteur). Dans la valeur de chaque objet, la part revenant au travail nécessaire à sa- production devient chaque jour plus faible par rapport à la part revenant au travail humain imposé par les nécessités de la survie du système. La tendance du poids de ces dépenses improductives à annihiler les gains de productivité du travail se traduit par le constant dérapage vers le haut du prix des marchandises.
En d'autres termes, l'inflation exprime l'immense gaspillage de forces productives que le système en décadence est obligé de faire pour se maintenir en vie. Et dans la mesure où nous sommes dans une société d'exploitation l'inflation apparaît comme le moyen à travers lequel ce système fait porter aux travailleurs, par une agression continuelle contre leur niveau de vie, le fardeau de ses contradictions insolubles.
Que l'on considère l'histoire du XXe siècle sur de courtes ou de longues périodes, on peut constater que 1'augmentation des dépenses militaires (et en général les dépenses improductives) est toujours un facteur d'inflation. Sur de courtes périodes, on a déjà remarqué que les guerres provoquaient un taux record d'inflation. Sur de longues périodes, on peut faire apparaître que l'inflation rampante ininterrompue depuis la seconde guerre mondiale est le corollaire de la production massive d'armements depuis la guerre froide jusqu'à maintenant, alors que pendant l'entre-deux-guerres la période de désarmement était marquée par un ralentissement ou une disparition de l'inflation.
En ce qui concerne la flambée actuelle des prix à l'échelle internationale, l'ensemble des éléments cités plus haut interviennent effectivement dans une certaine mesure.
Par exemple, la hausse des produits agricoles est liée à une pénurie réelle, mais il semble absurde qu'en 1973 l'humanité soit encore soumise aux caprices de la nature comme elle l'était au Moyen Age ou dans l'antiquité. En fait, cette brusque pénurie a pour cause véritable toute la politique de restriction de la production agricole (primes à l'arrachage, à la mise en jachère, destruction de stocks, etc. menée par les grandes puissances depuis la Seconde Guerre Mondiale. Soucieux de soutenir l'écoulement des produits agricoles dans un marché mondial saturé, le capitalisme, en en limitant la production au plus juste des besoins solvables, s'est mis à la merci de la première mauvaise récolte venue. Paradoxalement, c'est donc la surproduction qui est encore à l'origine de la pénurie actuelle des produits agricoles et donc des hausses qui les frappent.
On peut également dire que la montée mondiale de la lutte de classe depuis 1968 n'est pas absolument étrangère au processus d'emballement de l'inflation, mais là encore il faut préciser que cette montée était elle- même la conséquence d'une aggravation des conditions de vie des travailleurs, ressentie, entre autres choses, à travers la hausse des prix, aggravation due à l'exacerbation des contradictions du système capitaliste. Même si partiellement elle peut l'amplifier, la lutte de classe n'est pas la cause de l'inflation mais la conséquence.
De la même façon, nous avons vu que les explications bourgeoises sur le rôle des anticipations (à l'achat et à la hausse) sur la flambée des prix ne sont pas dénuées de tout fondement.
Nous avons donc là une série d'éléments qui permettent d'expliquer partiellement le passage de l'inflation rampante a l'inflation galopante. Il faut y ajouter un autre élément qui permet de comprendre comment la récession de 71 a contribué à renforcer le tourbillon inflationniste de 72-73. Depuis de nombreuses années, le système capitaliste se caractérise, outre l'existence séculaire d'une ‘armée industrielle de réserve’, par une sous-utilisation chronique du capital. Ce phénomène signifie que, outre les frais improductifs déjà signalés, le système doit supporter l'amortissement de la proportion importante du capital constant qui, bien que créée, n'est pas engagée dans la production et qui intervient donc comme frais improductif. En d'autres tenues, le coût de production d'une marchandise créée dans ces conditions. Incorporera, à côté du capital fixe réellement consommé, la part inemployée mais néanmoins payée de ce capital fixe.
Quand on sait que les taux d'utilisation des capacités productives sont respectivement (d'après l'I.N.S.E.E.) on peut prendre conscience de l'influence que le ralentissement de 1971 a eue sur la flambée des prix de 1972-73.
À l'influence de la sous-utilisation du capital constant vient s'ajouter, pendant la même période, celle de l'augmentation du chômage. En effet, même si les secours versés aux chômeurs sont souvent dérisoires, ils n'en représentent pas moins une dépense improductive que supporte l'ensemble de la société et qui se répercute donc sur les coûts, de production des marchandises.
Chômage et sous-utilisation des capacités productives sont donc deux éléments de la récession de 1971 qui contribuent encore à accentuer 1'explosion inflationniste de 1972-73.
Face à cette inflation galopante, quelles mesures peut prendre la bourgeoisie ?
Comme nous l'avons vu, les causes fondamentales de l'inflation résident dans le mode d'existence actuel du système capitaliste, qui se traduit par un développement démesuré des dépenses improductives. En ce sens, il ne saurait y avoir de lutte efficace contre l'inflation sans réduction massive de ces dépenses improductives. Mais, comme nous l'avons vu également, ces dépenses sent absolument indispensables à la survie du système, ce qui revient à dire que le problème de la lutte contre l'inflation est aussi insoluble que celui de la quadrature du cercle.
Ne pouvant s'attaquer aux causes fondamentales du mal, la bourgeoisie est obligée de s'attaquer aux conséquences. C'est ainsi qu'elle a tenté de mettre en place une série de mesures :
Les économies budgétaires tentant de s'inscrire dans le sens d'une attaque contre les causes fondamentales de l'inflation. En fait, dans la mesure où une telle attaque est impossible sans toucher aux fondements mêmes du système, les politiques de ‘rigueur budgétaire’ ne signifient pas autre chose qu'austérité et restriction des ‘dépenses sociales’.
C'est ainsi qu'on a vu Nixon liquider la politique de ‘Grande Société’ mise en place par Johnson, Cette mesure n'a d'ailleurs pas été suffisante pour empêcher des déficits de plusieurs dizaines de milliards de dollars des deux derniers budgets américains, déficits qui, dans la mesure où ils sont couverts par la planche à billets, c'est-à-dire l'injection dans l'économie d'une masse de monnaie ne correspondant à aucune création de valeur en contre-partie, se traduisent par une baisse de la valeur de la monnaie et donc par l'inflation.
Par ailleurs, dans la mesure où les achats de l'État ont été pendant toute la période de la reconstruction un des débouchés de la production capitaliste, ces restrictions ont pour effet d'accentuer la récession actuelle. Les gouvernements doivent donc faire face au dilemme : inflation ou récession sans qu'ils puissent d'ailleurs réellement empêcher l'une par l'autre.
Les politiques de limitation du crédit, dans la mesure où elles se proposent de freiner la demande et, par suite, de réduire les débouchés, se trouvent elles aussi confrontées au même dilemme ; inflation ou récession. De plus, ces politiques de ‘crédit cher’ ont pour conséquence d'augmenter les frais d'amortissement du capital investi, frais qui se répercutent sur le prix des marchandises d'où à nouveau inflation.
Les blocages des prix, quant à eux, sont devenus maintenant l'occasion d'un scénario bien réglé : les prix ne bougent pas tant qu'ils sont soumis à la réglementation gouvernementale, mais dès que celle-ci cesse de s'appliquer on assiste à des bons spectaculaires, bons qui sont simplifiés par le fait que beaucoup de fournisseurs ayant attendu la fin du blocage pour effectuer leurs livraisons ont créé un déséquilibre entre l'offre et la demande au bénéfice de cette dernière. Loin d'empêcher l'inflation les politiques de blocage, des prix substituent une inflation par saccades a une inflation continue. Ces blocages n'auraient donc d'efficacité que s'ils étaient définitifs mais, dans la mesure où le système ne peut tricher avec ses propres lois et que celles-ci lui imposent une hausse continue des prix, il s'ensuivrait, dans ce cas un déséquilibre majeur qui se traduirait nécessairement par la récession : là encore la bourgeoisie est placée devant le même dilemme
Le blocage des salaires est la seule mesure qui ne fasse pas seulement intervenir des critères économiques mais également un rapport de force entre les classes. En ce sens l'échec ou la réussite (momentanée) d'une telle politique est conditionnée par le niveau de la combativité ouvrière. Dans la période actuelle, où la classe ouvrière s'est relevée de son écrasement de 50 années, toute agression majeure contre son niveau de vie se traduit par des réactions violentes (mai68, Gdansk70, grève des mineurs anglais en 71 qui ont obtenu 30% d'augmentation en période de blocage, grèves récentes des métallurgistes allemands). Par suite, la bourgeoisie, malgré quelques tentatives, continue à hésiter à imposer à la classe ouvrière la politique draconienne d'austérité que la situation réclame de plus en plus : les réactions de celle-ci lui font trop peur pour qu'elle ose l'affronter.
Si l'atteinte au niveau de vie des travailleurs est la seule politique qui reste à la bourgeoisie pour tenter de juguler l'inflation, c'est encore une politique qu'elle est obligée de manier aujourd'hui avec la plus grande circonspection.
En fait, depuis plusieurs années, le capitalisme mondial marche sur une corde raide: d'un coté la chute dans l'inflation galopante, de l'autre celle dans la récession. La récession de 1971 et le tourbillon inflationniste de 1972-73 sont l'illustration flagrante de cette situation. Ce que recouvre en fait la mini-reprise de 1972-73, c'est une certaine démission des gouvernements devant l'inflation qui a permis à celle-ci de se hisser à des taux spectaculaires. La libération temporaire du crédit, les anticipations des acheteurs sur les hausses, ainsi que le ‘rattrapage’ par rapport à l'année 71 (la reprise est d'autant plus spectaculaire qu'elle suit une année de stagnation) ayant permis cette reprise de 1972, certains ont voulu voir dans l'inflation un remède à la surproduction : du moment qu'elle reste plus ou moins uniforme dans chaque pays (il suffit de ne pas faire plus mal que son voisin), l'inflation galopante serait le ‘dopant’ qui manque aux économies actuelles. Qu'importerait, après tout, si les prix montaient de 10 ou 20% par an si, en même temps, pouvait se poursuivre le commerce international ?
Une telle possibilité, indépendamment de toutes les raisons qui nous ont permis d'expliquer le phénomène de l'inflation, est en soi absurde. En effet, une des fonctions fondamentales de la monnaie est d'être mesure de la valeur, fonction qui lui permet d'assurer toutes les autres (moyen de circulation des marchandises, de thésaurisation, de paiement, etc.). À partir d'un certain taux de dépréciation, une monnaie ne sera plus en mesure de remplir cette fonction : on ne peut pas passer de marché avec une monnaie dont la valeur change d'un jour sur l'autre ; en ce sens, la continuation du tourbillon inflationniste n'a d'autre issue que la paralysie a du marché mondial.
Par ailleurs, dans la mesure ou ce sont les anticipations qui, sont en grande partie responsables de la reprise de 1972-73, on se retrouve maintenant dans une situation:
Cela signifie que la flambée inflationniste et la mini-reprise de 72-73 ne peuvent que déboucher sur une nouvelle récession à côté de laquelle celle de 1971 apparaîtra comme une aimable plaisanterie.
Plus que jamais, donc, les perspectives sont celles que nous tracions dans notre article précèdent :
Cette étude sur la situation économique actuelle ne correspond de notre part, à aucune préoccupation a caractère académique, mais uniquement militant. Les arguments du type : "il est inutile de se préoccuper de la situation économique puisque, de toute façon, nous n'y pouvons rien" ou "ce qui est important, c'est l'action des révolutionnaires" sont le fait d'irresponsables.
L’économie est le squelette de la société, c'est elle la base sur laquelle sont fondes l'ensemble des rapports sociaux. En ce sens, pour les révolutionnaires, connaître la société qu'ils combattent et se proposent de renverser, c'est connaître en premier lieu son économie. C'est à cause de sa place spécifique dans l'économie que le prolétariat est la classe révolution- maire et c'est a partir de conditions économiques précises de crise qu'il est en mesure d’accomplir sa tâche historique . C'est toujours à partir de la connaissance des conditions économiques dans lesquelles se déroule le combat de leur classe que les révolutionnaires ont tenté d'en préciser les objectifs et les perspectives.
En ce sens, les deux sujets traités dans cet article : l'inflation et la crise de surproduction permettent de situer les tâches actuelles du prolétariat.
L'inflation est l'expression de la crise historique du mode de production capitaliste, crise qui remet en cause le fonctionnement des rouages mêmes du système et de l'ensemble de la société. Par suite, son existence même comme maladie chronique de notre époque signifie que ce qui est historiquement, à l'ordre du jour pour le prolétariat ce n'est plus l'aménagement de sa place dans le système mais bien le renversement de celui-ci.
La récession qui s'annonce, quant à elle, dans la mesure où elle plonge le système dans des contradictions accrues et, partant, dans une situation de faiblesse, indique que c'est dans la période présente que ce renversement devient possible.
Dans les années qui viennent, la crise économique contraindra les travailleurs à mener des luttes de plus en plus dures. Face à celles-ci, le capital emploiera toute la panoplie de ses mystifications et, en particulier, tentera d'expliquer que ‘ce sont les anciennes directions qui portent la responsabilité de la crise’, ‘qu'avec une meilleure gestion, la situation pourra s'améliorer’... Déjà les forces de rechange du capital préparent le terrain : en France, la gauche se lance dans de grandes campagnes ‘contre la vie chère’, épaulée en cela par les gauchistes qui n'hésitent pas à écrire: "gouvernement et patrons organisent la vie chère"[16].
Contre ce type de phrases démagogiques, ce que doivent affirmer les révolutionnaires c'est, au contraire, que la bourgeoisie ne contrôle pratiquement plus rien, qu'elle est placée devant une situation contre laquelle elle peut de moins en moins, si ce n'est de tenter de mystifier les travailleurs pour mieux les massacrer ensuite.
Si les révolutionnaires ont une tâche fondamentale aujourd'hui, c'est d'expliquer que la crise actuelle est sans issue, qu'elle ne peut être résolue par aucune réforme du capital et que, par conséquent, il n'existe qu’une seule voie possible : celle de la révolution communiste, de la destruction du capital, de la marchandise et du salariat.
C.G.
[1] Pour une étude plus approfondie, voir ‘La Crise’ dans RI N°6 et 7 ancienne série.
[2] Article du professeur Christian Goux dans ‘Les Informations’, journal patronal
[3] Tels ceux qui considèrent que ‘les révolutionnaires qui n'avaient que trop souvent fondé leurs espoirs sur la perspective -présentée comme pierre de touche du marxisme- d'une catastrophe inévitable de l'économie capitaliste, ne semblaient plus que des esprits chimériques enfermés dans des rêves anachroniques’ (‘Organiser le courant marxiste révolutionnaire’, brochure éditée par les ancêtres de l'actuelle Gauche marxiste’).
[4] Les baisses brutales de Wall Street en Août 71, Juillet 73 et Novembre 73 ne peuvent quand même pas être comparées à la catastrophe qui débute le ‘jeudi noir’ de 1929’
[5] Aujourd'hui, les dollars en circulation dans le monde sont couverts à peine à quelques % par de l'or ou des devises étrangères.
[6] Ce n'est pas nécessairement vrai si la parité de la monnaie A est fixe par rapport aux autres (comme ce fut le cas jusqu'à ces dernières années entre les grandes monnaies) mais, sinon, le maintien d'une monnaie à un taux surévalué conduit à une spéculation effrénée contre elle. Ce qui veut dire que la banque centrale du pays A se vide de toutes ses réserves en devises fortes ou en or et reste uniquement en possession d'un papier qu'elle a elle-même fabriqué, qui ne peut pas acheter grand- chose et dont personne ne veut. Une telle situation ne peut prendre fin qu'avec un contrôle draconien des changes pratiquement impossible à mettre en œuvre ou avec une dévaluation qui a une double fonction : abaisser le prix des marchandises de ce pays sur le marché mondial et décourager les spéculateurs qui désormais vendront leur monnaie à un prix moindre.
[7] ‘La Crise’ R I. N°6 et 7, ancienne série.
[8] L’alignement de Giscard sur les positions américaines lors de la conférence de Tokyo ouvrant le Nixon Round et lors de la réunion du F. M. I. Nairobi, après qu'il a crié sur tous les toits qu'il n'était pas question de se soumettre à ces conditions, est particulièrement significatif à cet égard.
[9] Philippe Simonot, ‘Le Monde’, 13 février 73 p.2.
[10] Cette bourgeoisie est certainement plus lucide que certains ‘marxistes'’ actuels, grands pourfendeurs de ‘piètres lecteurs de Marx’, qui prétendent que ‘la source des difficultés de fonctionnement du capitalisme se situe au niveau de la production et non sur le marché’ (Lutte de Classe, organe du GLA.T, Sept.-Oct. 73). Comme si on pouvait séparer les deux et comme si la production capitaliste n'était pas une production de marchandises ! Marx était certainement un bien ‘piètre lecteur de Marx’ lorsqu'il écrivait : ‘Toutes les contradictions de la production bourgeoise éclatent collectivement dans les crises générales du marché mondial... La surproduction est une conséquence particulière de la loi de la production générale du capital : produire en proportion des forces productives (...) sans tenir compte des limites de marché ni des besoins solvables...’(Marx, La Pléiade T.2 p 496.)
[11] Notons que ces deux interprétations ne sont pas contradictoires et que la plupart des économistes les utilisent simultanément : leur seul défaut est de ne rien expliquer.
[12] Nous verrons ailleurs que cette pénurie elle-même ne se comprend qu'en la replaçant dans le cadre de la surproduction actuelle.
[13] Il est évident que 1'augmentation de 10% accordée aux ouvriers français en mai 1968 est en partie responsable des hausses qui ont suivi.
[14] On se souvient de la guerre sans merci que se sont livrées les compagnies aériennes sur les tarifs des traversées de l'Atlantique Nord, guerre qui suivait une période de paix et qui a abouti à un nouveau statu quo? quand ces compagnies se sont retrouvées au bord de la faillite.
[15] Voir articles sur ‘la décadence du capitalisme’ dans RI N°2,4,5 ancienne série.
[16] ‘Lutte Ouvrière’ N°272.
Links
[1] https://fr.internationalism.org/files/fr/rins-n06_nov-dec-i-_partie1.pdf
[2] https://fr.internationalism.org/files/fr/rins-n06_nov-dec-i-partie2_suite.pdf
[3] https://fr.internationalism.org/en/tag/evenements-historiques/crise-du-petrole-1973-74
[4] https://fr.internationalism.org/en/tag/questions-theoriques/leconomie
[5] https://fr.internationalism.org/en/tag/heritage-gauche-communiste/lutte-proletarienne
[6] https://fr.internationalism.org/en/tag/heritage-gauche-communiste/conscience-classe
[7] https://fr.internationalism.org/en/tag/conscience-et-organisation/gauche-germano-hollandaise
[8] https://fr.internationalism.org/en/tag/personnages/jan-appel
[9] https://fr.internationalism.org/en/tag/personnages/pannekoek
[10] https://fr.internationalism.org/en/tag/personnages/mattick
[11] https://fr.internationalism.org/en/tag/courants-politiques/communisme-conseil
[12] https://fr.internationalism.org/en/tag/courants-politiques/bordiguisme
[13] https://fr.internationalism.org/en/tag/courants-politiques/trotskysme
[14] https://fr.internationalism.org/en/tag/approfondir/revolution-allemande
[15] https://fr.internationalism.org/en/tag/questions-theoriques/parti-et-fraction