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ICCOnline - juin 2021

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Accident de téléphérique à Stresa (Italie): Un nouveau drame sur l’autel du profit

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Quatorze personnes sont mortes à Stresa en Italie, dimanche 23 mai, après la chute de leur cabine de téléphérique. Comme d’habitude après de telles catastrophes, les larmes de crocodiles ont coulé à flot et l’État, responsables politiques en tête, s’est offusqué qu’un tel drame puisse exister. Puis les boucs émissaires ont rapidement été désignés : “Il y avait un dysfonctionnement sur le téléphérique, l’équipe de manutention n’a pas résolu le problème, ou seulement en partie. Pour éviter l’interruption de la liaison, ils ont choisi de laisser en place la fourchette qui empêche l’entrée en fonction du frein d’urgence”, a expliqué sur Radiotre un responsable des carabiniers. Selon la procureure chargée de l’enquête, Olimpia Bossi, citée par plusieurs médias italiens, ces trois responsables savaient que la cabine du téléphérique circulait sans frein d’urgence depuis le 26 avril, jour de la réouverture de l’installation. L’analyse des débris trouvés sur place, a ainsi permis de démontrer que “le système de freinage d’urgence de la cabine tombée dans le vide avait été trafiqué”. Selon les enquêteurs, il s’agit d’un acte “matériel fait de manière consciente”, pour “éviter des interruptions et l’arrêt du téléphérique”, alors que “l’installation présentait des anomalies qui auraient requis une intervention plus radicale avec un arrêt conséquent” de l’installation.

Pourquoi cette “intervention plus radicale” n’a-t-elle pas été effectuée ? Bien évidemment, les trois propriétaires ont une lourde part de responsabilité. Il n’y a aucun doute sur leur faute ignoble. Mais comment des professionnels de la sécurité peuvent-ils être amenés à désactiver un système de freinage sur une telle infrastructure ? Tout simplement pour la faire fonctionner à plein régime durant la période estivale avec une unique préoccupation : assurer le maximum de rentabilité ! Après pratiquement deux saisons à l’arrêt en raison des restrictions sanitaires dues au Covid-19, cette station de ski alpin était en grande difficulté financière (perte de plusieurs millions d’euros de chiffre d’affaires) et s’est empressée de rouvrir ses infrastructures au mépris des règles élémentaires de sécurité…

Ce téléphérique est un atout de poids dans cette région. Sa fermeture était très mal vécue par les autorités locales et la société d’exploitation qui ont poussé à la roue pour le faire fonctionner “coûte que coûte” en ignorant volontairement les principes de base de sécurité. Si les trois “coupables” désignés ont agi de la sorte, c’est fortement incités par les contingences économiques, en l’occurrence de l’industrie touristique.

Maintenant, les exploiteurs, particulièrement la bourgeoisie italienne, ont le beau rôle en se déchargeant de toute responsabilité dans cette tragédie. Ils ont trois “coupables” sur mesure à donner en pâture aux médias et à la justice. Mais au-delà des apparences, le vrai coupable, c’est le capitalisme qui, dans sa logique de rentabilité pour générer toujours plus de profit, n’hésite pas à bafouer toutes les règles basiques de sécurité ou à contraindre ses exécutants à les enfreindre. Cette tragédie de téléphérique n’est malheureusement pas la première : plusieurs “accidents” meurtriers de téléphériques, télécabines et funiculaires ont eu lieu depuis cinquante ans en Europe. Ce sont les mêmes responsables, gestionnaires, financeurs, instances locales et nationales qui, lorsque les tragédies “prévisibles” se produisent, viennent se répandre en condoléances et versent des larmes de crocodile devant les médias en feignant la surprise et l’incompréhension !

Adjish, le 29 mai 2021

Géographique: 

  • Italie [1]

Rubrique: 

La catastrophe, c'est le capitalisme

Les “travailleurs ubérisés” font-ils partie de la classe ouvrière ?

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Nous publions ci-dessous deux courriers de sympathisants du CCI visant à prolonger la réflexion ayant surgi dans notre dernière permanence du 15 mai 2020 sur le sujet de la nature et la composition de la classe ouvrière. Au cours de cette discussion, des participants se sont interrogés sur le rôle de l’ubérisation du travail sur la composition de la classe ouvrière. Autrement dit, les “travailleurs ubérisés” appartiennent-ils à la classe ouvrière ? Nous saluons l'effort de réflexion des camarades et leur souci de vouloir confronter leurs arguments. Les courriers des camarades forment donc deux contributions à ce débat qui se poursuivra lors de la prochaine permanence du CCI qui se déroulera le samedi 12 juin à partir de 14 H. A l’issue de la permanence, le CCI s’engage à développer sa position sur ce sujet à travers un article qui sera publié dans notre presse.


Contribution à la réflexion sur : « qu’est-ce que la classe ouvrière, qui fait partie de la classe ouvrière? » (L.)

D’une manière générale, les conditions de production de la richesse n’ont pas changé depuis le XIX°siècle, moment de l’apparition du capitalisme dans les pays occidentaux (au XVIII° siècle  pour la Grande Bretagne). La classe ouvrière est donc toujours la classe qui produit toutes les richesses et elle existe toujours, tant qu’il y a production de plus-value. La définition de Marx précise que la classe ouvrière ne possède pas les moyens de production, elle n’a que sa force de travail pour produire de la plus-value, contre un salaire, de manière associée. Cependant, au XIX°siècle, le prolétariat était surtout concentré dans les secteurs primaire  (collecte et exploitation des ressources naturelles) et secondaire (transformation en marchandises des matériaux de base). Les ouvriers travaillaient côte à côte, ils pouvaient échanger et s’organiser facilement.

La composition du prolétariat a changé depuis l’ascendance du capitalisme, liée au développement d’autres secteurs. Le secteur tertiaire, qui comprenait les fonctionnaires chargés d’administrer et d’organiser la vie de la société selon les intérêts du système capitaliste, comprend aujourd’hui beaucoup plus d’ouvriers, qui participent à la valorisation des marchandises, sont payés le moins possible et n’ont plus l’espoir de monter facilement dans la hiérarchie sociale ; il en est ainsi du secteur de la Poste (qui comprend de moins en moins d’ouvriers avec le statut de fonctionnaires), l’Enseignement, la Santé, les Transports Publics (où le statut de fonctionnaire disparaît également).

La bourgeoisie cherche toujours comment pressurer davantage la classe ouvrière, « sans que cela se voie » : ainsi, en Grande-Bretagne, se développe la politique du « fire and rehire »  (griller et réembaucher), qui permet de supprimer les contrats de travail précédents et de les remplacer par des contrats beaucoup moins « avantageux » pour les ouvriers. Un article de ICC online (the working class bears the brunt  of the pandemic) évoque ce nouveau tour de passe-passe, utilisé par Tesco, British Telecom, British Gas et des compagnies de bus. C’est en Grande Bretagne également que se sont développées en premier le statut de « travailleur » indépendant, travaillant pour Uber, Deliveroo, autres  entreprises de livraison de courrier, colis, etc.

Lors de la dernière permanence, il était tout à fait juste de défendre l’appartenance à la classe ouvrière de ces travailleurs « indépendants ». Même s’ils ne travaillent pas de manière associée, ils participent à la valorisation de la marchandise force de travail, en livrant des repas à des ouvriers, transportant des colis, nettoyant les bureaux, etc.

Des luttes ont eu lieu, également en Grande Bretagne, dans différents secteurs, dont les ouvriers intérimaires. « En mars 2021, 150 porteurs, nettoyeurs, standardistes et personnels de restauration employés à l’hôpital du comté de  Cumberland par la société d’équipement Mitie, ont mené une première journée d’action avec Unison [un syndicat] en raison d’un défaut de paiement des heures supplémentaires... »

Aujourd’hui, il y a de moins en moins d’ouvriers d’industrie, machinisme aidant, cependant les techniciens qui font marcher et entretiennent les machines sont des ouvriers, puisqu’ils participent aussi à la production de valeur.

Comme le capitalisme s’est étendu à toute la planète, les petites exploitations agricoles existent de moins en moins, il y a une concentration des anciennes petites exploitations en grands groupes agricoles qui sont gérés d’une manière industrielle ; les ouvriers agricoles font partie de la classe ouvrière.

La classe ouvrière a toujours été hétérogène, les ouvriers des pays périphériques n’ont pas l’expérience historique des ouvriers des pays centraux et sont plus susceptibles d’écouter les sirènes démocratiques de se battre pour avoir un syndicat ou des élections.

Les luttes des ouvriers des pays centraux seront déterminantes pour entraîner les ouvriers du monde entier vers le développement d’une situation pré-révolutionnaire.

Des individus issus des autres classes peuvent rejoindre le combat de la classe ouvrière en se rapprochant des groupes révolutionnaires et être convaincus que seule la révolution communiste peut apporter un futur viable à l’humanité.

L’expérience a montré que l’idée d’occuper les usines n’était plus un bon moyen de lutte et que l’enfermement dans l’usine n’est pas une force. Au contraire, l’extension de la lutte, la communication vers d’autres secteurs donne de la force à la lutte.

Le dernier mouvement contre la réforme des retraites  en France, par exemple, a vu converger dans la rue des secteurs très divers, public, privé, intérimaires, CDD, avocats, chômeurs, etc.

Même si certains ouvriers ne travaillent pas de manière associée dans de grandes entreprises, l’attaque contre le système de retraites était (et sera) un puissant facteur de rassemblement.

En conclusion, aujourd’hui, époque de la décomposition du capitalisme, font partie de la classe ouvrière tous les travailleurs traditionnellement producteurs associés de plus-value, dans les usines, mais aussi, les travailleurs intérimaires, les ouvriers de l’enseignement primaire et secondaire, les agents administratifs de base, les ouvriers précaires : auto-entrepreneurs qui travaillent de façon isolée mais peuvent être entraînés dans des grands mouvements, tous ceux qui participent de la valorisation de la marchandise à un degré ou à un autre. La bourgeoisie fait tout ce qu’elle peut pour empêcher les ouvriers d’être « ensemble », elle essaie de les séparer, mais l’intérêt commun des ouvriers, la lutte pour défendre les salaires, le droit à la retraite, les indemnités de maladie, le temps de travail, les vacances, pour refuser les licenciements, bref empêcher l’augmentation de l’exploitation, les rassemble inexorablement.

L, 19/05/2021


Courrier de lecteur du camarade Patche

A l'occasion de la dernière permanence du CCI (samedi 15 mai), des camarades se sont interrogés sur la question de la nature de la classe ouvrière dans une société qui voit l'émergence depuis environ une décennie d'un phénomène qualifié d'ubérisation (du nom de l'entreprise Uber qui fut pionnière dans ce secteur) ou de gig economy (économie de partage). Il importe de se demander si ces nouveaux travailleurs appartiennent au prolétariat ou s'ils sont l'émanation de classes étrangères à ce dernier, appartenant à la petite bourgeoisie, car de la réponse à cette question découle un grand nombre de considérations notamment politiques. Il s'agit ainsi de savoir si lorsque l'on choisit de défendre ces travailleurs, nous nous situons sur le terrain de la classe ouvrière ou sur un terrain qui lui est étranger.

Selon le CCI, dans sa Résolution sur le rapport de force entre les classes (2019), « L’aggravation du chômage et de la précarité a également fait apparaître le phénomène d’"uberisation" du travail. En passant par l’intermédiaire d’une plateforme Internet pour trouver un emploi, l’ubérisation déguise la vente de la force de travail à un patron en une forme "d’auto-entreprise", tout en renforçant la paupérisation et la précarité des "auto-entrepreneurs". L’ubérisation du travail individuel renforce l’atomisation, la difficulté de faire grève, du fait que l’auto-exploitation de ces travailleurs entrave considérablement leur capacité à lutter de façon collective et à développer la solidarité face à l’exploitation capitaliste »

Plusieurs points sont importants dans cette résolution. Tout d'abord, il y est écrit que l'ubérisation « déguise la vente de la force de travail à un patron ». Selon le CCI, cette forme d'auto-entreprenariat n'est qu'un artifice juridique. D'ailleurs, en Grande-Bretagne, la Cour suprême a décidé de requalifier les chauffeurs Uber en tant que salariés, montrant ainsi que même les organes juridiques de l'État bourgeois ne sont pas dupes d'une telle mascarade. Si les travailleurs uber ne sont pas considérés comme des auto-entrepreneurs et que par ailleurs, ils vendent leur force de travail à un patron, ne peut-on pas les considérer comme appartenant à la classe ouvrière ? La suite de la résolution est moins claire sur cette question.

Elle affirme que « l'ubérisation du travail individuel renforce l'atomisation, la difficulté de faire grève » et « entrave considérablement la capacité à lutter de façon collective » contre l'exploitation capitaliste. Il est indéniable que la nature de la tâche à accomplir, variable selon les plate-formes mais dont les principales résident dans la livraison de repas ou dans le fait de travailler comme chauffeur, ainsi que la croyance mystifiée selon laquelle les travailleurs Uber sont leurs propres patrons et n'ont de compte à rendre à personne d'autre qu'à eux-mêmes, joue un rôle d'atomisation de la classe et brise la nécessaire solidarité entre les travailleurs. Rappelons que pour Marx le capitalisme, par la concentration et la centralisation du capital, aboutit au travail associé ce qui, in fine, renforce la conscience de classe des travailleurs qui sont confrontés collectivement à la même réalité de l'exploitation sauvage. C'est fondamentalement ce qui distingue le prolétariat de la petite paysannerie, également exploitée, mais dispersée sur le territoire, l'empêchant de nouer des liens de solidarité.

Mais si les travailleurs Uber sont atomisés et dispersés, s'il leur est extrêmement difficile de nouer des liens de solidarité et de mener des luttes collectives ou des grèves, ne font-ils pas néanmoins partie de la classe ouvrière, du prolétariat ? Le fait d'être à l'arrière-garde de la classe ouvrière du fait des conditions de travail et de la précarité ne permet pourtant pas de dénier à ces travailleurs leur qualité de prolétaires exploités, séparés des moyens de production et condamnés à vendre leur force de travail pour subsister, ce qui est la définition du prolétaire selon Marx. Les modalités de leur exploitation pourraient d'ailleurs être rapprochées de celle du salaire aux pièces analysé par Marx dans le livre 1 du Capital (au chapitre 21), la rentabilité de leur tâche se calculant non en heures de travail mais en nombre de tâches réalisées, renforçant d'autant plus la concurrence entre travailleurs, chacun cherchant à accomplir le plus de tâches possibles dans la journée.

Avant de conclure, il s'agit de s'intéresser à la combativité réelle ou non des travailleurs uberisés. Nous l'avons dit, leur atomisation, la mise en concurrence dans la forme moderne du salaire aux pièces, mine constamment la solidarité entre ces travailleurs. Pourtant, en plusieurs endroits du globe, nous avons vu surgir des formes de lutte spontanées, sans la constitution ou la participation de syndicats, appareils de collaboration avec l'État bourgeois et de défense du mode de production capitaliste. A Los Angeles, des travailleurs Uber se sont mis spontanément en grève pour lutter contre leurs conditions de travail. C'est également le cas dans d'autres pays et avec d'autres entreprises, en Italie, au Royaume-Uni, etc. Certes, il arrive à ces travailleurs de constituer des syndicats ou de demander l'appui de centrales déjà existantes. Ce sont des impasses qui doivent être rejetées par les communistes, qui insistent au contraire sur les outils spécifiques de la lutte des classes, notamment la grève sauvage, sans médiation syndicale. Mais ces erreurs ne doivent pas suffire à rejeter les travailleurs ubérisés en-dehors du prolétariat, et à les assigner à la petite-bourgeoisie.

Depuis les dernières années, la précarité s'est aggravée. La classe ouvrière a été victime de ce processus, et l'uberisation des travailleurs en a été l'un des produits. Considérer que les travailleurs ubérisés, du fait de leur atomisation, de leurs difficultés à se placer sur le terrain de la classe ouvrière, n'appartiennent pas au prolétariat mérite une profonde et sérieuse discussion, basée sur les analyses marxistes. Car ce n'est que par la confrontation polémique mais fraternelle que la classe ouvrière sera en mesure de déjouer les pièges tendus par la bourgeoisie et ses idéologues et  contribuer à la lutte pour le renversement du capitalisme et l'émancipation du prolétariat.

Salutations fraternelles,

Patche

Vie du CCI: 

  • Courrier des lecteurs [2]

Rubrique: 

Courriers des lecteurs

La grève de février 1941 aux Pays-Bas: solidarité de classe contre persécution raciste

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Dans de récents articles1, nous avons démontré que le mouvement Black Lives Matter (BLM) se situe sur un terrain complètement bourgeois, concrétisé dans de vagues revendications comme “l’égalité des droits”, “un traitement équitable” ou certaines plus spécifiques comme “définancer la police”. En aucun cas ce mouvement de protestation ne fut capable, même de manière la plus minime qui soit de remettre en question les rapports capitalistes de production qui établissent la subordination et l’oppression de la classe ouvrière comme l’un des piliers de la domination capitaliste.

Mais cela signifie-t-il que la classe ouvrière ne puisse offrir aucune alternative aux autres couches non exploiteuses ou minorités discriminées de la société capitaliste qui sont sujettes à des formes particulièrement violentes d’oppression ? Au contraire, tout au long de son histoire, la classe ouvrière, aux États-Unis tout comme dans d’autres parties du monde, a démontré sa capacité à prendre des mesures significatives pour dépasser les barrières de la division ethnique, à condition qu’elle lutte sur son propre terrain de classe et avec ses propres perspectives prolétariennes.

L’une des premières manifestations de véritable solidarité ouvrière avec une minorité ethnique s’est produite en 1892 à la Nouvelle-Orléans lorsque trois syndicats ont réclamé de meilleures conditions de travail. Le “Bureau du Commerce de la Nouvelle-Orléans” tenta de diviser les travailleurs sur la base de critères raciaux en invitant à négocier les deux syndicats à majorité blanche, tout en rejetant le syndicat à majorité noire. En réponse à cette manœuvre du Bureau, les trois syndicats lancèrent un appel à la grève commune qui fut suivi unanimement.

Un autre moment important fut la défense organisée de la classe ouvrière en Russie contre les progroms antisémites en octobre 1905, durant l’année de la première révolution en Russie. Durant ce mois, les dénommés Cent-Noirs, des gangs organisés soutenus par la police secrète du tsar, tuèrent des milliers de personnes et mutilèrent des dizaines de milliers d’autres dans une centaine de ville du pays. En réponse à ces massacres, le Soviet de Petrograd lança un appel aux ouvriers du pays tout entier afin qu’ils prennent les armes pour défendre les districts ouvriers contre de futurs pogroms.

Un autre exemple héroïque de la solidarité prolétarienne se produisit en février 1941 aux Pays-Bas, il y a 80 ans de cela. La cause immédiate fut l’enlèvement de 425 hommes juifs à Amsterdam et leur déportation dans un camp de concentration en Allemagne. Ce premier raid aux Pays-Bas sur une frange de la population persécutée et terrorisée provoqua une forte indignation parmi les ouvriers d’Amsterdam et des villes environnantes. L’attaque sur les Juifs fut vécue comme une attaque contre l’ensemble de la population prolétarienne d’Amsterdam. L’indignation surpassa la peur.

La réponse fut : “Mettons-nous en grève !”

Aux Pays-Bas les Juifs n’étaient pas vus comme des étrangers. En particulier à Amsterdam, où l’immense majorité de la population juive vivait, ils étaient considérés comme partie intégrante de la population. De plus, Amsterdam possédait le plus important prolétariat juif d’Europe occidentale, comparable seulement à celui de Londres après les pogroms russes. L’orientation d’une partie significative de ce prolétariat juif allait vers le mouvement ouvrier et au tournant du siècle, beaucoup d’entre eux embrassèrent le socialisme. Dans la première moitié du XXe siècle, plusieurs de ces prolétaires jouèrent un rôle important dans les organisations ouvrières hollandaises.

Comme nous le montrons dans le livre La Gauche hollandaise2, dans les semaines qui précédèrent la grève, un groupe internationaliste, le Front Marx-Lénine-Luxemburg (Front MLL) avait déjà clairement exprimé ses positions au regard des atrocités perpétrées par les gangs fascistes et appelé les ouvriers à se défendre eux-mêmes. “Dans tous les districts ouvriers, des milices d’auto-défense devront être constituées. La défense contre la brutalité des bandits nationaux-socialistes doit être organisée. Mais les ouvriers devront également utiliser leur arme sur le terrain de l’économie. Il faut répondre aux actes scandaleux des fascistes par des grèves de masse.” (Spartacus no 2, mi-Février 1941 ; cité par Max Perthus, Henk Sneevliet)

La grève qui éclata le mardi 25 février fut une démonstration unique de solidarité avec les Juifs persécutés. Elle était sous le contrôle complet des travailleurs et la bourgeoisie n’avait aucune chance de l’utiliser pour ses objectifs guerriers, comme elle le fit avec la grève des chemins de fer en 1944. La grève n’était pas dirigée vers la libération des Pays-Bas de l’occupation allemande. La position du Front MLL n’était pas que la grève soit orientée vers le sabotage de la machine de guerre allemande ou l’alignement avec la Résistance nationale. Elle était censée être une déclaration de la classe ouvrière, une démonstration de sa force et de ce fait elle fut limitée dans le temps. Après deux jours, les ouvriers ont décidé unanimement de mettre fin à la grève.

Au milieu de la barbarie de la Seconde Guerre mondiale et dans un contexte de défaite historique de la classe ouvrière, la grève ne pouvait mener à une mobilisation générale de la classe ouvrière en Hollande ou à des réactions prolétariennes dans le reste de l’Europe, mais elle eut pourtant une signification politique internationale, dépassant de loin les frontières des Pays-Bas. La résistance des ouvriers en février 1941 contre la déportation de Juifs dans des camps de concentration, nous montre que le prolétariat n’est en rien impuissant ou condamné à l’inaction quand des groupes ethniques particuliers sont pris comme boucs émissaires et deviennent en conséquence victimes de pogroms, voire de génocides.

Le Front MLL a très bien compris cela. Par conséquent, il salua chaleureusement la grève comme une expression d’authentique indignation prolétarienne contre la persécution des Juifs, hommes, femmes et enfants. Pour le Front MLL, la grève contre la brutalité anti-juive était inconditionnellement liée au combat général contre le système capitaliste tout entier. La grève hollandaise de février 1941 a montré que, afin de défendre des groupes ethniques persécutés, la classe ouvrière doit rester sur son propre terrain et ne peut pas se permettre d’être entraînée sur le terrain bourgeois, comme cela est arrivé avec le mouvement BLM par exemple. Le terrain de la classe ouvrière est celui où la solidarité n’est pas restreinte par les divisions que le capitalisme a imposées à la société et où elle devient vraiment universelle. La solidarité prolétarienne est par définition l’expression de la classe dont la lutte autonome est destinée à développer une alternative fondamentale au capitalisme.

Dans la mesure où elle annonce la nature de la société pour laquelle elle lutte, elle est à même d’embrasser et d’intégrer la solidarité de l’humanité toute entière. C’est ce qui fait que la solidarité prolétarienne et la grève de février 1941 aux Pays-Bas revêtent une telle importance pour nous aujourd’hui.

CCI, avril 2021

 

1Voir : « Les groupes de la Gauche Communiste face au mouvement Black Lives Matter : une incapacité à identifier le terrain de la classe ouvrière » [3].

2La Gauche hollandaise, “chapitre X : Disparition et renaissance du communisme de conseil – Du “Marx-Lenin-Luxemburg Front” au “Communistenbond Spartacus” (1939-1942)”, pages 246-249. Cette brochure ne figure pas en intégralité sur notre site web. Il est possible de l’acheter en écrivant à l’adresse suivante : [email protected] [4]

 

Evènements historiques: 

  • grève de février 1941 aux Pays-Bas [5]

Rubrique: 

Histoire du mouvement ouvrier

La classe ouvrière prend de plein fouet le choc de la pandémie

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“Reconstruire mais en mieux !”: voilà le dernier slogan qui sonne creux de la bourgeoisie britannique, destiné à faire croire, comme le slogan précédent “Redressons-nous !”, qu’une société équitable et juste sera nécessaire et possible après la pandémie. Ce que ces deux expressions reconnaissent quasi implicitement, c’est que la société continue d’être divisée en classes sociales et que “nous” ne sommes certainement pas “tous dans le même bateau”. Qu’il s’agisse de la santé, de l’éducation ou des revenus, les statistiques de la classe dirigeante confirment que la classe ouvrière, qui a déjà subi des décennies d’austérité, a été la plus durement touchée au cours des douze derniers mois d’épidémie. Dans cette perspective, il faut voir que la crise économique et les privations sociales accélérées par le Covid-19 ont des racines profondes dans la décadence et la déchéance du capitalisme en général et le déclin de la Grande-Bretagne en particulier. Nous verrons également que des sections du prolétariat, dans les conditions les plus difficiles, ont néanmoins tenté de défendre les intérêts fondamentaux de la classe.

La santé – un déclin historique

La pauvreté a un impact négatif absolu sur la santé de la population. Prenons par exemple la question de l’espérance de vie, telle qu’elle avait déjà été rapportée par Sir Michael Marmot avant le début de la pandémie : “L’espérance de vie a stagné pour la première fois en plus de cent ans et s’est même inversée pour les femmes les plus démunies de la société, (…) ce qui montre que le fossé des inégalités de santé est encore plus béant qu’il y a dix ans, en grande partie à cause de l’impact des coupes liées aux politiques d’austérité du gouvernement.”

L’étude de Sir Michael Marmot, dix ans après avoir averti que les inégalités croissantes dans la société entraîneraient une détérioration de la santé, révèle une image choquante de l’Angleterre qui, selon lui, n’est pas différente de celle du reste du Royaume-Uni et aurait pu être évitée… “Les réductions réelles des revenus des gens nuisent à la santé de la nation à long terme. Non seulement l’espérance de vie diminue, mais les gens vivent plus longtemps en mauvaise santé… Ces dégâts sur la santé de la nation n’auraient pas dû se produire. C’est choquant”, a déclaré M. Marmot, directeur de l’Institute of Health Equity de l’UCL (University College London).1

La nouvelle étude de Marmot, publiée en février 20202, prévoyait “une différence de 15 à 20 ans dans l’espérance de vie en bonne santé entre les régions les plus riches et les plus pauvres du Royaume-Uni”3. Pour les hommes vivant dans les zones les plus pauvres, “vous pouvez vous attendre à vivre neuf ans de moins qu’une personne vivant dans l’une des zones les plus riches”4

Ainsi, lorsque le Covid-19 puis le confinement ont frappé en février-mars 2020, ils ont surtout touché “ceux qui vivent dans les régions les plus pauvres de Grand-Bretagne, [qui] ont plus de chance de souffrir de maladies cardiaques et pulmonaires, et leurs enfants ont deux fois plus de chances d’être obèses que ceux des régions riches. Les personnes condamnées à vivre dans des logements insalubres sont plus susceptibles de souffrir de maladies telles que l’asthme, et la santé mentale étant endommagées de manière disproportionnée par le stress de la pauvreté, les hommes les plus pauvres sont jusqu’à dix fois plus exposés au risque de suicide que les plus riches.”5

Les mauvaises conditions de logement, de santé et d’alimentation – qui sont le lot d’une grande partie du prolétariat britannique – sont devenues des terrains propices à la propagation du Covid et ont favorisé les répercussions les plus pernicieuses.

“Dans certaines des zones les plus défavorisées d’Angleterre, janvier 2021 a été le mois le plus meurtrier depuis le début de la pandémie. En janvier, le taux de mortalité lié au Covid à Burnley (Lancashire) était deux fois supérieur à la moyenne anglaise et les décès, toutes causes confondues, étaient 60 % plus élevés que la moyenne anglaise” 6.

Et pas seulement dans le nord de l’Angleterre : la capitale, Londres, a accueilli ce qu’on appelle le “triangle du Covid”, composé des trois arrondissements :“Barking & Dagenham, Redbridge et Newham se disputaient le taux d’infection le plus élevé de tout le pays. Dans Barking & Dagenham, une personne sur 16 serait infectée… Dans cette zone, la main-d’œuvre est principalement constituée de personnel essentiel qui ne peut rester à la maison… ou en situation de travail précaire… Alors que le virus mutant, plus contagieux, a fait monter en flèche le taux de mortalité au niveau local, il a également mis en évidence un réseau complexe de problèmes plus profonds, qui se sont accumulés pendant de nombreuses années. En particulier, l’exposition accrue au virus s’est ajoutée aux problèmes rencontrés par une population déjà vulnérable, dont beaucoup de membres souffraient de comorbidités et d’une mauvaise santé.”

Les niveaux élevés de privations et précarité du travail, les grandes inégalités de revenus, la discrimination en matière de logement et les disparités médicales ont depuis longtemps un impact sévère sur l’enchevêtrement de communautés et de minorités ethniques qui vivent dans ces arrondissements. Mais, lorsqu’ils sont combinés à la nécessité de se déplacer pour travailler, de prendre les transports en commun et de partager l’espace dans des logements trop petits, ils constituent également le terrain idéal pour un virus mortel. L’effet domino allait s’avérer catastrophique.7

La description ci-dessus, tirée du “journal des patrons”, le Financial Times, explique très clairement qu’il ne s’agit pas simplement d’une minorité “ethnique” ou d’une autre minorité qui souffre, mais que sa souffrance fait partie intégrante de la détérioration généralisée des conditions de vie de la classe ouvrière.

Les indemnisations légales des arrêts-maladie des travailleurs britanniques – auxquelles les plus bas salaires n’ont même pas droit – sont parmi les plus basses d’Europe. Par nécessité, de nombreux travailleurs n’ont pas passé le test de dépistage du Covid – un facteur qui a contribué à rendre inefficace le système de test et de dépistage “mondialement reconnu”. Une étude menée conjointement par le King’s College de Londres et le ministère de la Santé publique d’Angleterre a révélé que, parmi les personnes ayant signalé qu’elles avaient les symptômes du Covid, seules 18 % s’étaient auto-isolées. “Notre étude a indiqué […] que les contraintes financières et les responsabilités liées aux soins sont des obstacles courants à l’adhésion à cette mesure”.8

La destruction historique par la bourgeoisie du salaire social – les paiements destinés à soutenir les individus dans le besoin et à garder opérationnels les hôpitaux et les centres de soins – est donc un facteur primordial dans le fait que le taux d’infection par le Covid en Grande-Bretagne “ait battu un record du monde”.

Pour les travailleurs mis au chômage, renvoyés chez eux avec des salaires réduits ou obligés de se rétablir de la maladie à domicile, la vie peut être pénible. Les écoles étant fermées à tous, sauf aux enfants des “travailleurs indispensables”, les parents, dont beaucoup travaillent chez eux pendant de longues heures, sont obligés de devenir des enseignants, coupés par le confinement des réseaux de soins familiaux ou de voisinage (non rémunérés). Le prolétariat dans son ensemble a souffert d’une façon disproportionnée. Le terme “pauvreté numérique” a été inventé pour expliquer pourquoi de nombreux enfants de la classe ouvrière n’avaient pas d’ordinateur portable pour l’enseignement à distance, ni même de connexion internet à la maison.

“A la fin de l’année 2020, 23 % de la population du Royaume-Uni vivait dans la pauvreté. Parmi les 700 0000 personnes plongées dans la précarité à cause de la pandémie, on compte 120 000 enfants. L’augmentation du niveau de pauvreté est due à plusieurs facteurs. Les personnes qui restent à la maison ont fait grimper le coût de la vie, les ménages payant davantage pour le gaz et l’électricité et dépensant plus pour la nourriture des enfants, qui auraient eu en temps normal des repas gratuits à l’école. A cela s’ajoute la montée en flèche du chômage, les fermetures ayant rendu difficile le fonctionnement de secteurs comme l’hôtellerie et la vente au détail. Le taux de chômage au Royaume-Uni a atteint 5,1 % fin 2020, ce qui signifie que 1,74 million de personnes étaient sans emploi. Les chiffres du Bureau de Statistiques Nationales ont relevé une augmentation de 454 000 personnes depuis un an, ce sont les chiffres les plus élevés depuis 2016.”9

Ce rapport du magazine Big Issue a également indiqué que les trois quarts des enfants vivant dans la pauvreté provenaient de ménages dont l’un des parents travaille ou cherche un emploi. A Noël 2020, l’organisation caritative UNICEF a lancé une intervention d’urgence nationale au Royaume-Uni pour la première fois en 70 ans d’histoire, afin d’aider les enfants touchés par la crise du Covid-19 !

Le British Medical Journal (BMJ) a mis en garde contre les conséquences probables de la pandémie : “il s’agit notamment de la dépression, du syndrome de stress post-traumatique, du désespoir, des sentiments d’enfermement et de pénibilité, de la toxicomanie, de la solitude, de la violence domestique, de la négligence ou de la maltraitance des enfants, du chômage et d’autres formes d’insécurité financière. Des services appropriés doivent être mis à la disposition des personnes en crise et de celles qui ont des problèmes de santé mentale nouveaux ou déjà présents. L’effet des dommages économiques causés par la pandémie est particulièrement préoccupant. Une étude a rapporté qu’après la crise économique de 2008, les taux de suicide ont augmenté dans deux tiers des 54 pays étudiés, en particulier chez les hommes et dans les pays où les pertes d’emploi sont les plus élevées.”10 Comme nous l’avons vu, loin de fournir les “services appropriés” réclamés par le BMJ, l’État britannique les a rognés au cours des 30 dernières années.

Face à une paupérisation croissante, près de neuf millions de personnes ont emprunté plus d’argent l’an dernier, en raison de l’impact du coronavirus. “Depuis juin 2020, la proportion de travailleurs empruntant 1000 £ ou plus est passée de 35 % à 45 %, a indiqué l’Office national de statistiques. Les travailleurs indépendants étaient plus susceptibles d’emprunter de l’argent que les salariés. On a également constaté une forte augmentation de la proportion de personnes handicapées empruntant des sommes similaires.”11 L’image de centaines de personnes faisant la queue dans la neige devant une soupe populaire à Glasgow est devenue virale, alors que la demande pour des banques alimentaires a explosé au cours de l’hiver.

Certains n’ont même pas eu un toit au-dessus de la tête pendant la première année de la pandémie. Malgré les tentatives de l’État pour “nettoyer les rues” en ouvrant certains foyers et hôtels aux sans-abri, “près de 1000 décès de sans-abri ont eu lieu l’an dernier au Royaume Uni…”. Le Museum of Homelessness (musée communautaire de justice sociale) a déclaré que ce chiffre avait augmenté de plus d’un tiers par rapport à l’année précédente et a demandé que davantage de mesures soient prises pour mettre un terme à ces “terribles pertes de vies”.12

Mourir au travail

Nous avons vu comment, pour de nombreux travailleurs mis au chômage ou en congé maladie à salaire réduit, la vie “à la maison” ou dans la rue était et reste pleine de dangers. Pour beaucoup, cette option n’existait pas et n’existe toujours pas : malades ou en danger, la nécessité de gagner un salaire les obligeait à travailler. Il n’est donc pas étonnant de découvrir que le Covid ait fait des ravages dans les zones traditionnellement occupées par la classe ouvrière.

Compte tenu des pénuries concernant les EPI (Equipements de Protection Individuelle), de la difficulté à respecter la distanciation sociale et de l’évacuation sans ménagement des personnes âgées non testées, des hôpitaux vers des maisons de retraite mal équipées13, ce sont les infirmières, le personnel soignant et les autres employés en “première ligne” qui ont été les plus touchés. Les chiffres de l’Office national de statistiques montrent que les travailleurs des maisons de retraite et les infirmières figurent parmi les professions les plus susceptibles de mourir d’un coronavirus, aux côtés des réparateurs ou chargés d’entretien des machines, des aides à domicile, des chefs cuisiniers, des restaurateurs et des chauffeurs de bus.

Comme la maladie, l’épuisement rend les travailleurs vulnérables aux infections virales et, au début de la pandémie, le NHS (service sanitaire national) comptait quelque 100 000 postes vacants, dont 20 000 dans le secteur des soins infirmiers. A mesure que la surpopulation et les maladies du personnel faisaient des ravages, de moins en moins de personnel médical et de soutien s’occupait de patients de plus en plus nombreux, ce qui augmentait leur propre risque d’infection. Les hôpitaux eux-mêmes sont devenus des bouillons de culture pour le virus. En janvier 2021, “52000 employés du NHS sont en arrêt maladie à cause du Covid. Plus de 850 travailleurs de la santé britannique seraient morts du Covid entre mars et décembre 2020”14. Une personne sur quatre ayant été hospitalisée aurait été contaminée à l’hôpital !

Les usines de transformation alimentaire britanniques – y compris les abattoirs – étaient également des lieux à haut risque viral, tandis que les chauffeurs de bus se sont révélés particulièrement exposés, notamment en raison du retard pris dans l’installation d’écrans de protection pour les chauffeurs. Les effets à long terme des traitements hospitaliers annulés, associés à des services défaillants pour les personnes vulnérables, handicapées ou souffrant de maladies mentales, n’ont pas encore été calculés, bien que près de cinq millions de patients du NHS aient été, début avril 2021, en attente d’un traitement annulé ou retardé “à cause du Covid”. La classe ouvrière en général n’a pas les moyens de se procurer des traitements “alternatifs” ou “privés”.

L’attitude de l’Etat envers la classe ouvrière en Grande-Bretagne

La bourgeoisie britannique a jugé prudent, face à sa pire crise économique depuis les années 1930, d’ “investir” environ 400 milliards de livres sterling dans diverses formes de plans de “sauvetage”, y compris des indemnités de licenciement et une extension temporaire du crédit universel. Ce déboursement par la dette de la valeur précédemment créée par la classe ouvrière, ou fondé sur son exploitation future, n’a pas été fait par altruisme mais pour préserver des industries et des entreprises entières de la faillite, pour maintenir une main-d’œuvre minimale et pour assurer un minimum de cohésion sociale. En ce sens, la situation actuelle – qui se reflète dans la plupart des grands pays industriels – présente certaines similitudes avec l’ancien Empire Romain qui, à son époque décadente, était obligé de nourrir ses esclaves, plutôt que d’être nourri par eux.

Cependant, déterminé à montrer qu’en dépit des mesures d’ “allègement”, l’État n’est pas un “tendre”, le gouvernement de Boris Johnson – celui qui a inventé “reconstruire en mieux” et “redressons-nous” – a insisté pour que les “héros” d’hier, le personnel du NHS, y compris les infirmières, “bénéficient” d’une augmentation de salaire limitée à 1 %, soit environ 60 pence par jour après déduction d’impôts. Cette mesure était froidement calculée pour envoyer un signal à la classe ouvrière dans son ensemble : “si les infirmières méritantes n’ont pas une belle augmentation, vous non plus n’y aurez pas droit”

Cette idée a été renforcée par un arrêt très médiatisé de la Cour Suprême en mars 2021, selon lequel le personnel soignant du Royaume-Uni, qui dort sur son lieu de travail au cas où on aurait besoin de lui, n’a pas droit à une augmentation de salaire minimum pour l’ensemble de son service.

Et, au cas où le message ne serait pas assez clair, des dizaines de milliers d’autres travailleurs risquent de voir leurs contrats de travail actuels annulés et remplacés par un régime d’exploitation beaucoup plus dur – la politique de généralisation des contrats d’intérim, portail vers l’extension du travail précaire, les contrats à zéro heure et la gig economy (économie des petits boulots). Tesco, British Telecom, British Gas et diverses compagnies de bus font partie des entreprises qui emploient cette “tactique”. Un travailleur sur dix serait concerné par ces plans d’emplois intérimaires. Tout cela au nom d’une plus grande “productivité” et d’une plus grande “efficacité”. C’est la classe ouvrière qui se voit présenter une facture de 400 milliards de livres.

Tout cela est soutenu par la menace de l’État d’une plus grande répression, inscrite dans le projet de loi sur la police, la criminalité, les peines et les tribunaux, qui a déjà suscité des manifestations dans tout le pays15. Sabotant la lutte de l’intérieur, les syndicats se préparent à se poser en défenseurs “naturels” de la classe ouvrière, face à ces nouvelles attaques – la menace de grève du Royal College of Nurses (RCN) et la revendication d’un salaire de 12 % pour contrer l’offre de 1 % du gouvernement n’étant que l’exemple le plus évident.

La résistance de la classe ouvrière

Les traditions et les leçons tirées des grandes luttes de la classe ouvrière (comme celles de 1972 et 1984 en Grande-Bretagne), ont été largement enterrées au cours des 30 dernières années et les récents confinements nécessités par la pandémie imposent de nouvelles restrictions à la capacité des travailleurs de défendre leurs intérêts. Cependant, il y a eu des expressions de la colère de la classe ouvrière et des tentatives d’auto-organisation, y compris les manifestations de l’été dernier par les travailleurs de la santé à travers la Grande-Bretagne16, les récentes grèves des loyers des étudiants en Grande-Bretagne et les manifestations d’étudiants en France17.

Dans le secteur de la santé, comme nous l’avons mentionné plus haut, le syndicat des infirmières RCN et le syndicat Unison “représentant” les autres employés du NHS ont été obligés de parler de l’organisation d’une grève ou d’une action de protestation face à la colère croissante suscitée par les bas salaires et les conditions de vie dangereuses dans les services et les théâtres. Au moins une manfestation (à Manchester le 7 mars 2021) pour une augmentation plus importante des salaires a connu des ordres de dispersion et des arrestations “pour avoir enfreint les règles de distanciation sociale”. Pour l’instant, ces actions syndicales semblent avoir contribué à retarder toute initiative spontanée et à désamorcer la mobilisation, sans parvenir à apaiser les ressentiments et la colère des infirmières et des autres membres du personnel NHS.

D’autres incidents de lutte dans ce secteur ont été signalés par le blog AngryWorkersWorld Blog du 5 mars, notamment : “En janvier 2021, les portiers ont démarré une grève de 11 jours organisée par Unison contre la politique de recours aux emplois d’intérim par le NHS du trust Heartlands à Birmingham. En mars 2021, plus de 150 brancardiers, d’employés des services de nettoyage, de standardistes et le personnel de restauration employés au centre de soins de Cumberland par la société d’équipement Mitie, ont mené une première journée d’action avec Unison, en raison d’un défaut de paiement des heures supplémentaires. Les ouvriers de Mitie ont également engagé une action avec le syndicat GMB contre l’hôpital Epsom & St Helier Trust pour des salaires impayés. Ces conflits touchent principalement la frange externalisée (les entreprises sous-traitantes du sytème de santé)”18.

Le 6 avril, environ 1 400 travailleurs des bureaux d’immatriculation des véhicules du gouvernement (DVLA) à Swansea, ont entamé une grève de quatre jours pour protester contre les dispositions de sécurité inadéquates contre le Covid, qui étaient responsables de plus de 500 cas d’infection dans deux sites. Dans le même temps, une grève “a durée illimitée”de près de 500 travailleurs des bus de la compagnie Go North West à Manchester, est entrée dans sa sixième semaine, face au projet de l’entreprise d’imposer un contrat intérimaire impliquant des pertes de salaires allant jusqu’à 2500 £ par an et des réductions massives au niveau des indemnités-maladie. Dans la capitale, plus de 2000 chauffeurs de bus des compagnies London United, London Sovereign et Quality Line ont entamé une grève “reconductible” depuis la fin du mois de février, pour s’opposer au programme de remplacer les emplois fixes par des contrats intérimaires. Environ un tiers des chauffeurs auraient rejeté l’accord proposé par le syndicat Unite avec les patrons et des piquets de grève ont été dressés dans les dépôts de bus.

Au début du mois de mars, des milliers de techniciens de terrain de British Gas ont organisé une grève de quatre jours – la dernière d’une série d’actions en opposition aux propositions de la direction de généraliser les contrats d’intérim. Le 1er avril, l’entreprise a envoyé des lettres de licenciement à près de 1000 travailleurs refusant de signer le nouvel accord. Le 5 avril, des centaines de chauffeurs Deliveroo – dont certains gagnent à peine 2 £ de l’heure et dont les conditions de service précaires incarnent la gig economy – se sont mis en grève et ont organisé une manifestation devant le siège de l’entreprise à Londres. La colère de près de 50 000 techniciens et employés d’entretien de British Telecom face aux fermetures de sites, aux 1000 suppressions d’emplois proposés et aux signatures de nouveaux contrats intitutionnalisant la précariation de l’emploi a jusqu’à présent été contenue par une double attaque : celle de l’entreprise, qui propose des incitations financières en espèces entre 1000 et 1500 £ (à condition d’accepter le nouveau contrat), et celle du syndicat des Communications, qui s’est engagé dans une série de scrutins et de pourparlers avec la direction afin de calmer la situation.

Les actions ci-dessus – qui ne constituent en aucun cas un compte-rendu exhaustif – montrent que les ouvriers n’ont pas été intimidés par la pandémie, ni par la propagande du gouvernement, mais aussi que, en général, leur résistance a été jusqu’à présent relativement bien encadrée et désamorcée par les syndicats et qu’ils ont été largement incapables de résister à l’austérité proposée ou imposée. Les attaques contre les conditions et le niveau de vie des travailleurs ne peuvent que s’intensifier dans la période à venir, quel que soit le stade atteint par la pandémie. La résistance de la classe ouvrière à ces attaques sera plus nécessaire que jamais.

Robert Frank, 17/04/2021

 

1Austerity blamed for life expectancy stalling for first time in century” [6], The Guardian, (25 février 2020). En outre, le British Medical Journal “a rapporté, début 2019 que les coupes dans les budgets de la santé et des soins sociaux entre 2010 et 2017 ont conduit à environ 120 000 décès précoces au Royaume-Uni, “un constat assez choquant”, selon l’auteur Bill Bryson dans son livre “The body…” publié par les éditions Doubleday en 2019.

2Health Equity in England : The Marmot Review 10 Years On” [7], The Health foudation, (février 2020).

3The Guardian, 25 février 2020.

4“The combination of Covid and class has been devastating for Britain's poorest” [8], The Guardian, (26 janvier 2021).

5The Guardian, 26 janvier 2021

6“Il y a des gens ‘trop pauvres pour mourir” [9], BBC News, (6 mars 2021).

7“Inside The Covid Triangle”, The Financial Times, (5 mars 2021).

8“Effective test, trace and isolate needs better communication and support” [10], Centre d’information du King’s College de Londres, (25 septembre 2020).

9“UK poverty : The facts, figures and effects”, (3 mars 2021).

10“Trends in Suicide During the Cocid-19 Pandemic”, BMJ, (12 novembre 2020).

11“Covid : Nine million people forced to borrow more to cope”, BBC News, (21 janvier 2021).

12“Terrible loss of life’ as almost 1,000 UK homeless deaths recorded in 2020”, The London Economic, (22 février 2021).

13Voir notre article : “The British government's « Herd Immunity » policy is not science but the abandonment of the most sick and vulnerable” [11], ICConline, (may 2020).

14“Ministers under fresh pressure over PPE for NHS heroes on coronavirus frontline”, Daily Mirror, (20 janvier 2021).

15Voir notre article : “Workers have no interest in defending capitalism’s “democratic rights”” [12], ICConline, (april 2021).

En vérité, l’État démocratique’ n’a pas besoin d’une nouvelle législation pour persécuter et attaquer pénalement la véritable lutte de classe : les révélations d’une conspiration infâme entre la police, les médias, les patrons, les syndicats, le système judiciaire et les gouvernement contre les ‘piquets volants’ (c’est-à-dire les ouvriers qui cherchent à étendre la lutte vers d’autres ouvriers) lors de la grève des mineurs britanniques, et les condamnations de 24 ouvriers (‘les 24 de Shrewsbury’) qui en ont découlé, n’ont été annulées qu’en mars de cette année… un demi-siècle après les événements ! Ainsi, tout en marquant une réelle extension des pouvoirs de la police, le nouveau projet de loi présenté au Parlement sert également d’avertissement spécifique à la population et aux travailleurs pour qu’ils “restent dans les clous”.

16Voir notre article : “Manifestations dans le secteur de la santé en Grande-Bretagne : remettre en cause “l’unité nationale” [13], ICConline, (novembre 2020).

17Voir l’introduction de : “Mobilisation des étudiants : Confrontée à la misère, la jeunesse ne se résigne pas !” [14], Révolution internationale n°487, (mars-avril 2021).

18“1 %? Up yours ! We need health workers' and patients' power !” [15], Libcom.org, (mars 2021) Voir aussi : “A Sign of Things to Come”, sur le site de la Tendance Communiste Internationaliste Leftcom.

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