L’assassinat de sang froid de George Floyd par la police a provoqué l’indignation dans toute l’Amérique et dans le monde entier. Tout le monde sait qu’il s’agit du dernier d’une longue série de meurtres de policiers dont les principales victimes sont des Noirs et des immigrés. Non seulement aux États-Unis, mais aussi au Royaume-Uni, en France et dans d’autres États “démocratiques”. Aux États-Unis, en mars, la police a abattu Breonna Taylor dans sa propre maison. En France, Adama Traoré a été asphyxié lors de son interpellation en 2016. En Grande-Bretagne, en 2017, Darren Cumberbatch a été battu à mort par la police. Ce n’est que la partie visible de l’iceberg.
En répondant aux protestations qui ont d’abord éclaté aux États-Unis, la police a montré qu’elle était encore une force de terreur militarisée, avec ou sans l’appui de l’armée. La répression brutale des manifestants (10 000 arrestations) montre que la police, aux États-Unis comme dans les autres pays “démocratiques”, agit de la même manière que la police des régimes ouvertement dictatoriaux comme la Russie ou la Chine.
La colère face à tout cela est tangible, et elle est partagée par les Blancs comme par les Noirs, par les Latino-Americains, les Asiatiques et par les jeunes en particulier. Mais nous vivons dans une société qui est matériellement et idéologiquement dominée par une classe dirigeante : la bourgeoisie, la classe capitaliste. Et la colère en soi, aussi justifiée soit-elle, ne suffit pas pour remettre en cause le système qui se cache derrière la violence policière, ni pour éviter les nombreux pièges tendus par la bourgeoisie. Les manifestations n’ont pas été déclenchées par la classe dominante. Mais elle a déjà réussi à les attirer sur son propre terrain politique.
Lors de la première explosion de colère aux États-Unis, les protestations ont eu tendance à prendre la forme d’émeutes : des supermarchés ont été pillés, des bâtiments symboliques incendiés. Les actions provocatrices de la police ont certainement contribué à la violence des premiers jours de colère. Certains des manifestants ont justifié les émeutes en faisant référence à Martin Luther King, qui avait déclaré que “l’émeute est la voix de ceux qui ne sont pas entendus”. Et, en effet, les émeutes sont l’expression de l’impuissance et du désespoir. Elles ne mènent strictement à rien, si ce n’est à une répression accrue de la part de l’État capitaliste qui sera toujours à son aise contre les actions de rue désorganisées et fragmentées.
Mais l’alternative mise en avant par les organisations activistes officielles comme Black Lives Matter (“La vie des Noirs compte” : des marches pacifiques réclamant justice et égalité) n’en est pas moins une impasse et, à certains égards, elle est encore plus insidieuse, car elle fait directement le jeu des forces politiques du capital. Prenons par exemple, l’appel à ne plus financer la police (“defund the police”), voire à l’abolition pure et simple de la police. D’une part, c’est complètement irréaliste dans cette société : c’est comme si l’État capitaliste se dissolvait volontairement. D’autre part, elle répand des illusions sur la possibilité de réformer l’État existant dans l’intérêt des exploités et des opprimés, alors que sa fonction même est de les garder sous contrôle dans l’intérêt de la classe dominante.
Le fait que la classe dominante se sente à l’aise avec des revendications d’apparence aussi radicale est démontré par le fait que quelques jours après les premières protestations, les médias et les hommes politiques capitalistes (principalement, mais pas seulement, ceux de gauche) ont “mis le genou à terre”, au sens propre comme au figuré, pour condamner avec ferveur le meurtre de George Floyd et soutenir avec enthousiasme les manifestations. L’exemple des politiciens de premier plan dans la machine du Parti démocrate est le plus évident, mais ils ont rapidement été rejoints par leurs homologues du monde entier, y compris les représentants les plus lucides de la police. C’est la récupération bourgeoise d’une colère légitime.
Nous ne pouvons pas nous faire d’illusions : la dynamique de ce mouvement ne peut pas se transformer en une arme des exploités et des opprimés, car elle est déjà devenue un instrument aux mains de la classe dominante. Les mobilisations actuelles ne sont pas un “premier pas” vers une véritable lutte des classes, mais sont utilisées pour bloquer son développement et sa maturation.
Le capitalisme n’aurait pas pu devenir le système mondial qu’il est aujourd’hui sans la traite des esclaves et l’asservissement colonial des populations indigènes d’Asie, d’Afrique et des Amériques. Le racisme est donc inscrit dans ses gènes. Dès ses débuts, il a utilisé les différences raciales et autres pour dresser les exploités les uns contre les autres, pour les empêcher de s’unir contre leur véritable ennemi, la minorité qui les exploite. Mais il a aussi largement utilisé l’idéologie de l’antiracisme : l’idée que l’on peut lutter contre le racisme en s’unissant non pas en tant que classe sociale, mais autour de telle ou telle communauté opprimée. Néanmoins, s’organiser sur la base de sa “communauté” raciale ou nationale est un autre moyen de brouiller la division de classe à la base de ce système : ainsi, il n’y a pas de “communauté noire” en tant que telle parce qu’il y a des capitalistes noirs ainsi que des travailleurs noirs, et qu’ils n’ont aucun intérêt en commun. Rappelons-nous simplement le massacre des mineurs noirs en grève à Marikana en 2012 par l’État sud-africain “post-apartheid”.
Le meurtre de George Floyd n’est pas le résultat d’un plan délibéré de la bourgeoisie. Mais il a permis à la classe dirigeante de concentrer toute l’attention sur la question de la race alors que le système capitaliste dans son ensemble a révélé sa faillite totale.
La société capitaliste est dans un état de profond pourrissement. Les massacres barbares qui continuent à se répandre en Afrique et au Moyen-Orient, les incessantes guerres de gangs en Amérique latine (qui forcent des millions de personnes à devenir des réfugiés) en sont un symptôme clair, tout comme l’actuelle pandémie de Covid-19, un sous-produit de la dévastation de l’environnement par le capitalisme. Dans le même temps, le système est enlisé dans une crise économique insoluble. Après le crash de 2008, les États capitalistes ont lancé une stratégie d’austérité brutale, destinée à faire payer la crise aux exploités. Le ravage des services de santé qui en a résulté est l’une des principales raisons pour lesquelles la pandémie a eu un impact aussi catastrophique. À son tour, le confinement à l’échelle mondiale a plongé le système dans une crise économique encore plus profonde, certainement comparable à la dépression des années 1930.
Ce nouvel enfoncement dans la crise économique provoque déjà un appauvrissement généralisé, la multiplication du nombre de sans-abris et même la faim, notamment aux États-Unis qui fournissent aux travailleurs une aide sociale des plus minimes face au chômage ou à la maladie. Il ne fait aucun doute que la misère matérielle qui en résulte a alimenté la colère des manifestants. Mais face à l’obsolescence historique de tout un mode de production, une seule force peut s’unir contre lui et offrir la perspective d’une société différente : la classe ouvrière internationale.
La classe ouvrière n’est pas à l’abri de la putréfaction de la société capitaliste : elle souffre de toutes les divisions nationales, raciales et religieuses, aiguisées par le sinistre approfondissement de la décomposition sociale dont l’expression la plus manifeste est la propagation des idéologies populistes. Mais cela ne change rien à cette réalité fondamentale : les exploités de tous les pays et de toutes les couleurs ont le même intérêt à se défendre eux-mêmes des attaques croissantes contre leurs conditions de vie, contre les réductions des salaires, le chômage, les expulsions, la diminution des pensions et des prestations sociales, ainsi que contre la violence de l’État capitaliste. Cette lutte est à elle seule la base pour surmonter toutes les divisions qui profitent à nos exploiteurs et pour résister aux attaques et aux pogroms racistes sous toutes leurs formes. Lorsque la classe ouvrière s’organise pour unir ses forces, elle montre aussi qu’elle a la capacité d’organiser la société sur de nouvelles bases. Les conseils d’ouvriers qui ont vu le jour dans le monde entier à la suite de la révolution de 1917 en Russie, les comités de grève inter-entreprises qui ont vu le jour lors de la grève de masse en Pologne en 1980 : voilà la preuve que la lutte de la classe ouvrière sur son propre terrain offre la perspective de créer un nouveau pouvoir prolétarien sur les ruines de l’État capitaliste, et de réorganiser la production pour les besoins de l’humanité.
Depuis plusieurs décennies au moins, la classe ouvrière n’a plus conscience d’elle-même, d’être une classe opposée au capital, résultat à la fois de vastes campagnes idéologiques (comme la campagne sur la “mort du communisme” qui a suivi l’effondrement de la forme stalinienne du capitalisme) et d’évolutions matérielles radicales (comme le démantèlement des centres traditionnels de la lutte de la classe ouvrière dans les pays les plus industrialisés). Mais juste avant que la pandémie de Covid-19 ne s’étende au monde entier, les grèves dans le secteur public en France avaient commencé à nous montrer que la classe ouvrière n’est pas morte et enterrée. L’apparition de la pandémie et le confinement mondial ont entravé le potentiel d’extension de ce mouvement. Ce qui n’a pas empêché, dans la première phase du confinement, des réactions très déterminées de la classe ouvrière dans de nombreux pays contre le fait d’être traitée comme des “moutons qu’on mène à l’abattoir”, contre le fait d’être obligée de travailler sans équipement de sécurité adéquat, tout cela pour protéger les profits de la bourgeoisie. Ces luttes, notamment aux États-Unis celle de General Motors par exemple, tranchent avec les divisions raciales et nationales. En même temps, le confinement a mis en évidence le fait que le fonctionnement du système capitaliste est entièrement dépendant du travail “indispensable” de la classe qu’il exploite si impitoyablement.
La question centrale pour l’avenir de l’humanité est celle-ci : la minorité capitaliste peut-elle continuer à diviser la majorité exploitée selon des critères de race, religieux ou nationaux, et ainsi l’entraîner dans sa marche vers l’abîme ? Ou bien la classe ouvrière, dans tous les pays du monde, se reconnaîtra-t-elle pour ce qu’elle est : la classe qui, selon les termes de Marx, est “révolutionnaire ou elle n’est rien” ?
Amos, 11 mai 2020
(World Revolution, organe de presse du CCI au Royaume-Uni)
Tous les médias reconnaissent que la pandémie mondiale de SARS-CoV2 qui a infecté plus de 10 millions de personnes et provoqué le décès de 500 000 d’entre eux, d’après les chiffres officiels au moment où nous écrivons, pousse la “communauté” scientifique dans “une course contre la montre” pour le développement d’un vaccin. Mais ils sont bien obligés d’avouer aussi que cette “course au vaccin” est encore bien loin d’en être au stade du “sprint final”. Alors que depuis le XIXe siècle et la création en 1881 par Louis Pasteur du premier vaccin contre la rage sur le principe de l’inoculation, d’énormes progrès dans les méthodes de culture cellulaire de virus sur la base des biotechnologies et du génie génétique permettant l’émergence de plusieurs vaccins viraux ont été faits, on nous dit que le vaccin contre le Covid-19 ne sera disponible qu’à la fin de 2021 ! Mais en fait, tous les spécialistes s’accordent pour déclarer qu’il faut en moyenne entre 10 et 15 ans pour trouver et mettre au point un nouveau vaccin “fiable” car, outre les délais de sa conception et sa fabrication, cela nécessite un temps incompressible et trois stades d’expérimentation à grande échelle indispensables : test du vaccin sur des animaux, test sur une population non infectée, enfin test sur des malades. “Cela va être beaucoup d’essais, beaucoup d’erreurs, mais nous avons beaucoup d’options à explorer”, juge Benjamin Neuman, virologue à la Texas A&M University-Texarkana. “Car jamais un vaccin très efficace contre un membre de la famille des coronavirus n’a été conçu pour les humains”.
Étonnante déclaration car le coronavirus n’est pas inconnu des scientifiques ! Le SARS-CoV1 (apparu fin 2002 au sud-est de la Chine) et le MERS-CoV (apparu en septembre 2012 en Arabie Saoudite), les deux grands frères du SARS-CoV2, ont déjà donné lieu à des recherches scientifiques en vue de la création de vaccins. Dans le premier cas, la recherche a été stoppée et le projet de vaccin a été enterré avant même d’avoir été expérimenté chez l’homme. Dans le deuxième cas, les recherches sont toujours en cours et testées sur des animaux. Malgré le fait que depuis des années, les scientifiques ont envisagé “la menace d’une pandémie comme celle du Covid-19”, les études scientifiques sur les coronavirus et le développement des vaccins ont été jugés… “non rentables” ! Le domaine de la recherche scientifique au service de la santé publique est constamment brimé, freiné par le manque de moyens financiers et logistiques. Cela a été l’un des premiers secteurs victimes des réductions budgétaires, quelle que soit la fraction politique à laquelle les gouvernements appartiennent : “Donald Trump, en mai 2018, a supprimé une unité spéciale du Conseil de sécurité nationale, composée d’éminents experts, chargée de lutter contre les pandémies”. (1) “Après la grippe porcine en 2009, les fonctionnaires de la Commission européenne ont publié un rapport contenant des recommandations politiques. Mais la Commission a ensuite été rabrouée par les États membres […]. Après le SRAS en 2003, le Centre européen de contrôle des maladies (ECDC) a été créé. Il fait un excellent travail. Mais il ne compte que 180 collaborateurs […]. À Sciensano (institut de recherche et national de santé publique de Belgique), il y a des personnes très compétentes… mais l’institution est faible, parce qu’il n’y a pas assez d’investissements en elle”. (2)
Maintenant, on nous annonce : “Pour développer un vaccin contre le SARS-CoV2, les chercheurs s’appuient sur leurs études concernant le SARS-CoV1 et le MERS-CoV”. (3) 17 années se sont écoulées depuis l’apparition du premier virus ! 17 années perdues dans la recherche d’un vaccin qui aurait pu sauver des dizaines de milliers de vie !
Face à l’ampleur et aux ravages de la pandémie mondiale actuelle, la simple logique qui s’imposerait naturellement est qu’il faudrait développer une coopération, une coordination internationale, des efforts scientifiques concertés et une centralisation concentrant et mobilisant les progrès technologiques et les connaissances scientifiques dans la recherche d’un vaccin pour raccourcir autant que possible les délais nécessaires dans la lutte contre ce fléau.
Ce n’est pas du tout le cas dans la réalité actuelle. Au contraire. La course mondiale actuelle à laquelle on assiste pour trouver vaccins et traitements prend des allures frénétiques, chaotiques et désordonnées, chacun de son côté : “Plus de cent projets ont été lancés dans le monde et une dizaine d’essais cliniques sont en cours pour tenter de trouver un remède contre la maladie”. (4) À entendre les médias, tous les géants pharmaceutiques comme Sanofi (entreprise pharmaceutique française), Gilead Sciences (laboratoire pharmaceutique américain), GlaxoSmithKline (le géant pharmaceutique britannique), Regeneron Pharmaceuticals (société basée à New York), Johnson & Johnson (firme américaine), la société chinoise CanSino, pour n’en citer que quelques-uns, ne font même plus que cela. Mais ils le font chacun de leur côté.
Pourquoi est-on face à une telle situation ? Ce sont les lois mêmes du capitalisme, reflétées par le joug des ambitions de tous les États et de la concurrence entre eux, qui interdisent que la société fonctionne autrement qu’à travers la loi du profit et de la concurrence généralisée, dans le chacun pour soi, les uns contre les autres, en ordre dispersé et de manière chaotique. De même que ces lois du capitalisme ont freiné, retardé, saboté et fait obstacle à toutes les mesures de prévention et aux budgets de la recherche dans tous les secteurs de la santé, le fonctionnement du capitalisme et de ses lois s’oppose directement à la mise en commun des données et à la centralisation indispensable des ressources et des recherches et à la découverte d’un vaccin efficace.
Cette course de vitesse pour trouver le vaccin et le “remède miracle” contre le Covid-19 n’est pas sans conséquences tragiques pour le reste de la santé mondiale : un peu partout, les chercheurs/virologues mettent en garde sur les dangers de cette soudaine précipitation : “Des morts dues à une recherche imprudente. […] Aujourd’hui, la science va trop vite et cela a des conséquences considérables […] Il n’y a plus assez de temps pour une réflexion critique sur les résultats scientifiques, ce qui a de graves conséquences”. (5)
De nombreux travaux sont actuellement dirigés sur des “vaccins de substitution” et orientés sur le recyclage de traitements de virus plus anciens ou la reprise de recherches sur des pistes de vaccins abandonnés comme ceux contre le paludisme ou encore Ebola jugés dans le passé “non rentables” (6) mais qui deviennent, du jour au lendemain, une “perspective intéressante” pour l’accès au nouveau marché ouvert par la pandémie du SARS-CoV2. Cela traduit toute l’impuissance et le désarroi de la “communauté” scientifique.
Mais surtout, cela ne peut déboucher que sur la mise en circulation précipitée sur le marché de vaccins “au rabais” et de mauvaise qualité insuffisamment testés. Cela veut dire aussi qu’un nombre incalculable et vertigineux de nouvelles victimes vont en payer les conséquences, au prix de leur vie.
En réalité, le capitalisme, la classe bourgeoise et ses États n’ont que faire de la santé des populations : “Si les sommes démentielles qui sont investies dans la recherche et les dépenses militaires avaient été consacrées à la santé et au bien-être des populations, jamais une telle épidémie n’aurait pu se développer”. (7)
“Des entreprises qui développent un vaccin contre le coronavirus, laquelle sera la première à le commercialiser ?”, (8) “Vaccin contre le coronavirus : un pays sera-t-il prioritaire ?” (9) : voilà les grandes questions que pose la bourgeoisie à travers ses médias ! Les faits sont clairs : au lieu de centraliser et d’unir tous les travaux des scientifiques pour produire le plus rapidement possible un traitement et un vaccin, chaque firme pharmaceutique garde jalousement l’état et le niveau de ses recherches dans ses laboratoires pour être le premier à trouver le vaccin, à décrocher le brevet lui accordant le monopole de fabrication pour une période d’au moins 7 à 12 ans. Afin de couvrir les immenses frais requis pour leurs travaux, elles se tournent vers les investisseurs les plus offrants en échange de crapuleux accords mercantiles. Parmi elles, le géant pharmaceutique français Sanofi qui, sans scrupule, a annoncé qu’il distribuerait un éventuel vaccin en priorité aux États-Unis, qui ont investi 30 millions de dollars pour soutenir ses recherches en complément du contrat de 226 millions de dollars du gouvernement américain déja conclu en décembre 2019 avec cette firme sur la production des vaccins contre les virus… de la grippe. Le scandale qu’a provoqué cette révélation de Sanofi et en particulier l’indignation de Macron sont une pure mascarade. En réalité, derrière leurs déclarations hypocrites et leurs propos à coloration “humanitaire”, évoquant qu’un vaccin ne peut être soumis “aux lois du marché”, qu’il “doit être un bien d’utilité publique” et que “son accès doit être équitable et universel”, se cache la peur de l’Europe de perdre des points dans la course internationale au vaccin sur le marché mondial. Au-delà de la volonté des firmes pharmaceutiques de faire un profit pour leur propre compte, conformément à la logique concurrentielle, principal moteur de la société capitaliste, elles ne peuvent échapper à la loi du capitalisme d’État qui fait que chaque État national exerce en définitive son contrôle le plus étroit et la vigilance la plus stricte sur les orientations et la gestion de son économie nationale comme sur les entreprises qui en dépendent, fussent-elles de puissantes “multinationales”. (10) En d’autres termes : c’est l’État qui dirige la politique financière de ses entreprises.
Tout comme “la guerre des masques”, la guerre des vaccins est “un exemple édifiant de la concurrence cynique et effrénée à laquelle se livrent tous les États” (11) qui poursuivent un simple objectif. Il s’agit : soit d’être les premiers à mettre la main sur le vaccin et d’en détenir le monopole, soit de se le procurer de manière privilégiée, soit encore, pour éviter d’être évincés de la course et de devoir “mendier” une assistance, de ne pas être les grands perdants de ce bras-de-fer. Les commentateurs bourgeois le reconnaissent : “Entre les rivalités américano-européennes sur un futur vaccin et de nouvelles tensions entre Donald Trump et la Chine, les divisions entre grandes puissances se sont approfondies”. (12) Face aux puissants États américain et chinois, “l’Europe jette des milliards dans la bataille pour obtenir des vaccins […] Aucun État membre […] n’a le pouvoir de développer un portefeuille complet de vaccins”. (13) Ainsi, l’administration de Trump a subventionné les recherches chez AstraZeneca avec 1,2 milliards d’euros, en échange de la promesse de 300 millions de doses de vaccin. Et des États de l’UE (Allemagne, France, Pays-Bas, Italie) veulent puiser dans un “fonds d’urgence” d’environ 2,4 milliards d’euros afin d’accélérer les négociations sur les fournitures préférentielles de vaccins avec les sociétés pharmaceutiques. Reste à savoir si cette tentative de mise en place de porte-monnaie en commun réussira au vu de l’incapacité de l’Union Européenne à mettre en place des mesures concertées en termes de confinement et de gestion de la pénurie de matériel médical.
Les crocs-en-jambe des États-Unis à l’OMS en retirant sa contribution à cet organisme dirigé par l’Éthiopien Tedros Adhanom Ghebreyesus, accusé par Trump d’être téléguidé en sous-main par la Chine est aussi une illustration parlante de la sauvage et impitoyable guerre commerciale et impérialiste que se livrent les trois plus gros requins (Chine, États-Unis, UE) de la planète (14) : les uns et les autres se rejettent mutuellement avec la plus grande hypocrisie et de manière parfaitement interessée la responsabilité de ce manque de coordination : comme les États-Unis accusent l’OMS de “collusion” avec la Chine, l’UE fustige le comportement “égoïste” des États-Unis.
Les journaux “de gauche” comme The Guardian ou tant d’autres sont obligés de reconnaître qu’il y a un manque de coordination mais leurs lamentations ne sont que des jérémiades qui visent à masquer la responsabilité du système capitaliste comme un tout. En définitive, ce que révèle la bataille pour l’obtention des vaccins est que la préoccupation de la santé des populations n’est nullement la préoccupation centrale des États et de la classe dominante. Ceux-ci sont seulement soucieux d’instrumentaliser la santé pour s’imposer et renforcer leur place dans l’arène impérialiste mondiale.
Le véritable grand perdant de cette guerre des vaccins, c’est l´humanité qui va devoir payer un tribut encore plus lourd de victimes pour la survie de ce système incurablement malade et qui ne mène nulle part sinon vers encore davantage de souffrances. Seule une société capable de se mobiliser, d’unir et de centraliser ses efforts de manière associée au niveau mondial pourra surmonter cette situation en partant des besoins humains réels.
Aube, 30 juin 2020
1) Voir notre tract international : “Barbarie capitaliste généralisée ou Révolution prolétarienne mondiale”.
2) Interview d’un virologue belge, De Standaard (30-31 mai 2020).
3) RTL infos (29 mai 2020).
4) La Croix (15 mai 2020).
5) De Standaard (20-21 mai).
6) Par exemple, les recherches d’un vaccin sur le virus Ebola ont été cyniquement abandonnés car les États africains étaient qualifiés “d’insolvables” au détriment direct des nombreuses victimes dans la population.
7) “Barbarie capitaliste généralisée ou Révolution prolétarienne mondiale”.
8) Etoro (18 mars 2020).
9) Rtbf (18 mai 2020).
10) “Crise économique : l’État, dernier rempart du capitalisme”.
11) “Guerre des masques : la bourgeoisie est une classe de voyous”.
12) La Croix (15 mai 2020).
13) De Standaard (5 juin 2020).
14) Le contrat d’exclusivité, raflé par le gouvernement américain sur la production du Remdésivir, un antiviral déjà utilisé dans le traitement d’Ebola (mais d’une efficacité douteuse pour limiter les effets du Covid), au nez et à la barbe de l’UE qui venait d’en recommander l’utilisation généralisée en Europe, apporte une nouvelle confirmation de leurs mœurs de gangsters dans cette guerre où tous les coups sont permis.
Tandis que la bourgeoisie s’emploie à minimiser cyniquement l’ampleur sanitaire de la pandémie de Covid-19, à sous-estimer le nombre de victimes, pour remettre les ouvriers qui ont pu se confiner au travail, le spectacle effroyable des centaines de milliers de morts, d’hôpitaux saturés contraints de trier les malades, la concurrence irrationnelle pour trouver un vaccin, tout cela étale au grand jour l’incurie criminelle et l’irresponsabilité de la classe dominante et de ses États. Cette crise sanitaire va non seulement se solder par des centaines de milliers de morts, mais aussi par un approfondissement sans précédent de la pauvreté, dans les pays centraux du capitalisme et encore davantage dans les pays périphériques où la misère est déjà quotidienne. Si le capitalisme arrive à endiguer cette crise sanitaire, ce sera pour offrir à l’humanité et à la classe ouvrière la récession économique, le chômage de masse et toujours plus de misère. Le capitalisme n’aura de cesse de tenter de rétablir la rentabilité de son système à coups de plans d’austérité, d’appels à se serrer la ceinture, de diminutions des salaires, d’augmentations du temps de travail, de pénurie mais aussi de compétition économique, de rivalités impérialistes qui risquent de dégénérer en conflits guerriers et en massacres.
Face à l’ampleur internationale de la tragédie et à une telle accélération de la crise du capitalisme, la colère des exploités ne pourra que s’accroître. Au début de la pandémie, des voix se sont élevées, dans les manifestations (dispersées et sporadiques) ou sur les banderoles accrochées aux balcons, pour dénoncer la responsabilité de la bourgeoisie et de son État, la recherche effrénée du profit et de la rentabilité au détriment des besoins et de la protection des populations, particulièrement des exploités.
La bourgeoisie peut néanmoins compter sur ses partis et groupes de gauche “radicaux” pour tenter de dévoyer la colère des prolétaires et stériliser toute réflexion sur la nature du capitalisme et la perspective révolutionnaire. Beaucoup de groupes gauchistes affirment que ce qu’ils nomment le “capitalisme” a bien préparé le terrain à la pandémie. Or, ils ne font que focaliser l’attention sur les effets de ce système, donnant une image très partielle, trompeuse et figée de la réalité (les profits des grands patrons, des multinationales, les “dérives du néolibéralisme”, etc.) pour détourner l’attention de la responsabilité fondamentale du système capitaliste en tant que mode de production. Ils font ainsi passer en contrebande leur propagande frelatée et diffusent leur poison idéologique tout en minimisant les dangers et les enjeux qui guettent non seulement les prolétaires mais toute l’humanité (catastrophes économique, écologique, sanitaire, etc.). Ils introduisent surtout une vision totalement biaisée et tronquée de comment lutter contre le capitalisme et sortir l’humanité de l’impasse dans laquelle ce système nous enfonce. Ils n’avancent aucune vision générale, historique et internationale permettant de remettre en cause les fondements dans lesquels ce système d’exploitation s’enracine et les fléaux qu’il engendre.
À propos du confinement, le Nouveau Parti Anticapitaliste (NPA) écrit par exemple : “l’État continue de refuser d’imposer la fermeture de secteurs de la production, pire il impose des mesures remettant en cause le droit du travail en protégeant les entreprises”. Ce parti trotskiste français n’invoque en fait rien d’autre que le “respect du Droit du travail” qui établit déjà partout les “règles” de l’exploitation capitaliste. La préoccupation du NPA est donc comment, à ses yeux, mieux faire fonctionner l’économie capitaliste à bout de souffle. De même, le NPA réclame “un programme de sortie de crise pour rompre avec le capitalisme et reprendre le contrôle du système bancaire par la socialisation des banques”. Il préconise de “mettre l’appareil productif au service des besoins sociaux, sanitaires et de la transition écologique” par une série “de mesures d’urgence au vu de l’inaction du pouvoir” tels que “le droit de retrait inconditionnel pour les salarié(e)s exposé(e)s” à la pandémie. Son alter ego anglais, le Socialist Workers Party, propose “de faire pression pour que l’énorme stock de logements vides dans des villes comme Londres, dont beaucoup sont détenus simplement à des fins d’investissement, devienne propriété publique. Ces logements pourraient être utilisés à la fois pour loger les sans-abris et pour permettre aux gens de s’isoler” ou “des contrôles des prix devraient être imposés à ces entreprises pour éviter les profits”. Un capitalisme sans investissements et sans loi du profit ? Un pur mirage et un énorme bluff de charlatan, tout cela à travers le même tour de passe-passe : transférer le capital des patrons privés aux mains de l’État et présenter la propriété “publique” comme un garant “démocratique” de l’intérêt général et des besoins de la société. Le trotskisme détourne encore et toujours le prolétariat des objectifs historiques que le marxisme avait clairement identifié après la Commune de Paris en 1871 : la destruction de fond en comble de l’appareil d’État bourgeois dont le prolétariat ne peut pas s’emparer, ni utiliser pour son propre compte. La Tendance claire, à l’intérieur du NPA, rebaptisée récemment Alternative révolutionnaire communiste, appelle, à sa façon, les ouvriers à participer à “l’effort national” : “Soyons porteur(euse)s d’exigences, d’initiatives de contrôle et de réorganisation de la société, pour l’urgence sanitaire et sociale”. L’Union communiste libertaire (UCL) demande aux ouvriers de faire tourner “les secteurs vitaux” et en appelle au contrôle ouvrier qui devrait “réorganiser les chaînes de production pour se prémunir du virus”, puis “réquisitionner et socialiser” certains secteurs jusqu’à “contrarier les capitalistes” et faire tourner l’économie de “façon radicalement différente”.
Une fois au pouvoir, les gauchistes affichent ouvertement leur vrai visage. En Espagne, Podemos, qui participe aujourd’hui au gouvernement, soutient, au nom de la politique du déconfinement, le retour des ouvriers dans les usines au prix de leur vie et cautionne toute forme de répression. Ceci alors que, depuis le début de la crise sanitaire, les ouvriers espagnols ont mené des grèves contre le danger que représentait le fait de rester au travail. En Grèce, Syriza, lors de son exercice du pouvoir entre 2015 et 2019, n’a fait qu’imposer les pires mesures d’austérité (abaissement des salaires et des retraites, extension des emplois à temps partiel : en 2019, un salarié sur trois devait survivre en moyenne avec 317 euros mensuels) au nom du redressement et de la défense de l’économie nationale.
La gauche du capital joue ici parfaitement son rôle d’agent de contrôle et de mystification de la classe ouvrière en tentant d’enchaîner cette dernière au mythe d’un capitalisme géré par un “État social et démocratique” non plus pour les profits mais pour les intérêts du “peuple”. Or, que la propriété soit aux mains d’entreprises privées ou soit nationalisée par l’État, cela ne change rien à l’affaire, ces deux formes de propriété ne sont que les deux faces de la même pièce, celle du mode de production capitaliste. C’est ce que faisait remarquer la Gauche communiste de France en 1946 en dénonçant déjà les mystifications trotskistes à l’égard de l’État stalinien : “Le concept marxiste de la propriété privée des moyens de production, comme étant le fondement de la production capitaliste, et partant, de la société capitaliste, semblait contenir l’autre formule : la disparition de la possession privée des moyens de production équivaudrait à la disparition de la société capitaliste. […] Or, le développement du capitalisme, ou plus exactement, le capitalisme dans sa phase décadente, nous présente une tendance plus ou moins accentuée mais également généralisée à tous les secteurs, vers la limitation de la possession privée des moyens de production, vers leur nationalisation. Mais les nationalisations ne sont pas du socialisme. […] Si la tendance à la liquidation de la possession privée signifie réellement une tendance vers l’anticapitalisme, on aboutit à cette conclusion stupéfiante : étant donné que cette tendance opère sous la direction de l’État, l’État capitaliste deviendra l’agent de sa propre destruction. C’est bien à cette théorie de l’État capitaliste anti-capitaliste qu’aboutissent tous les protagonistes “socialistes” des nationalisations, du dirigisme économique et tous les faiseurs de plans”. Le capitalisme d’État n’est ni une invention, ni l’espoir d’un futur capitalisme plus “humain” mais bien la forme réelle que prend le capitalisme dans sa phase de déclin historique et dont les gauchistes sont de farouches défenseurs, leur positionnement face à la pandémie l’a une nouvelle fois démontré de manière éclatante.
La plupart de ces groupes revendiquent comme nouvelle forme de lutte un “droit de retrait”. Convergences révolutionnaires (CR), autre tendance du NPA, vante ainsi “la riposte des ouvriers à la base et à l’initiative de militants locaux qui ont imposé ou bataillé pour imposer leur droit de retrait”. Pour CR, il s’agirait également d’ “une nouvelle forme de grève”. On apprend ainsi que la lutte de classe en temps de pandémie ne se résumerait qu’à imposer “le droit de retrait”. Ce “droit” serait devenu le nec plus ultra de la lutte face à l’obligation faite aux prolétaires d’aller travailler au risque de contracter un virus mortel. Les gauchistes se moquent ouvertement des ouvriers ! Ils leur demandent d’appliquer… la loi, celle prônée par les syndicats et les institutions pour éviter des grèves massives et briser toute réaction basée sur une solidarité de classe par des initiatives individuelles. Les réactions spontanées, collectives et solidaires des prolétaires ont dans les faits démontré l’inanité de ces prétendus “moyens de luttes” individualistes, diviseurs et nocifs préconisés par les trotskystes. Nous l’avons vu avec l’exemple des grèves apparues ces derniers mois en Italie dans l’automobile, à la poste à Londres, aux États-Unis, en France dans de nombreux secteurs, chez les ouvrières du textile au Bangladesh, etc. Ces expressions de combativité étaient très dispersées et largement soumises à l’encadrement syndical. Mais elles ont démontré que la combativité de la classe ouvrière n’a pas disparue.
Si certains groupes gauchistes poussent à se mobiliser pour faire “pression” sur l’État afin qu’il “réoriente” son activité dans un sens “plus social”, d’autres, plus “radicaux” (de concert avec les syndicats “les plus combatifs”), préconisent des “actions” d’occupations de bâtiments publics ou administratifs, des occupations d’entreprises, de leurs sièges sociaux, des réquisitions de logements ou des squats. Ce qui contribue à épuiser, enfermer et démoraliser les ouvriers sur tel ou tel lieu et surtout à empêcher l’extension spontanée de la lutte. Ces actions en petits groupes, générant l’impatience et le désarroi individuel, n’ont jamais mené à une remise en cause profonde de la société. Au contraire, ces actes visant le plus souvent des “symboles” de l’exploitation capitaliste sont antagoniques à de véritables mouvements de classe et à la révolution prolétarienne. Cette dernière n’est pas le produit de l’action d’une minorité mais l’œuvre de l’ensemble de la classe ouvrière. D’autre part, la révolution n’est pas dirigée en soi contre des acteurs économiques, des Institutions privées ou des individus, aussi puissants soient-ils, mais bien contre la classe dominante et l’État, contre le système d’exploitation au niveau mondial : le capitalisme.
Par conséquent, le langage “radical” des organisations gauchistes vise, en réalité, à défendre l’État, à empêcher de se poser les bonnes questions. Il sert à détourner la réflexion des ouvriers, à pourrir le développement de la conscience de classe, en particulier auprès des éléments en recherche en les poussant à remettre en cause leur aspiration à vouloir comprendre le véritable rôle exploiteur de l’État, à remettre en cause leur refus du capitalisme. En fait, ce langage vise à dévoyer, bloquer et paralyser les ouvriers dans leur lutte et les mener dans des impasses face à la faillite ouverte du système que révèle la pandémie en les maintenant pieds et poings liés à la merci de la bourgeoisie et surtout avec la perspective de leur faire accepter la logique de nouveaux “sacrifices” pour la défense de leur État national devenu “ouvrier”.
Les gauchistes proposent tous de vieilles recettes mystificatrices qui perpétuent et propagent l’illusion d’une “solution” dans le cadre toujours aussi capitaliste de la nation, de l’entreprise, voire de la localité. Pour les uns, il faudrait instaurer “une économie planifiée durable, sous contrôle démocratique” (selon les termes de Révolution, journal de la Tendance marxiste internationale, d’obédience trotskyste) qu’ils baptisent “socialisme”. Dans cette lignée, s’inscrit le “programme” de toute la gamme des organisations trotskystes. Parmi les eux, Lutte ouvrière (LO) se fait une fois de plus le champion du double langage en agitant en même temps son “programme minimum” et son “programme maximum”. D’un côté, en paroles, elle proclame que “la classe ouvrière devra renverser un système à l’agonie” comme dans son mensuel Lutte de classe du 8 mai 2020 ; mais de l’autre, il s’agirait “de faire payer les actionnaires et les milliardaires, pas les travailleurs”, le tout étant synthétisé dans ce “programme révolutionnaire” affiché au dos de leur journal où “il s’agira de remplacer l’État de la bourgeoisie pour créer un régime où les masses populaires exerceront elles-mêmes le pouvoir en assurant un contrôle démocratique sur tous les rouages du pouvoir économique et politique”. Outre les multiples pièges que contient à elle seule cette phrase, LO se garde bien d’expliciter le moyen à travers lequel parvenir à cette société gérée par les “masses populaires” consistant à “contrôler” le “pouvoir économique et politique”. Sans aucun doute, par les urnes ! Elle qui met un point d’honneur à présenter une candidate à chaque élection présidentielle afin de “défendre la voix des travailleurs” dans cette mascarade électorale, rappelant chaque fois un peu plus son appartenance au camp bourgeois. D’ailleurs, toute sa critique de l’État sur la gestion de la pandémie se résume à pourfendre la gestion du gouvernement en place : “l’État n’a même pas songé à réquisitionner et à contraindre les quelques entreprises qui auraient pu, il y a deux mois, fabriquer les masques et le gel en quantité suffisante”, voire à vanter les mérite de l’État chinois : “Si c’était pour lancer la construction d’hôpitaux de campagne, comme la Chine a su le faire, on comprendrait, mais ce n’est pas le cas !” Voilà, en fait, les bons conseils que donnent les gauchistes à leurs États respectifs ! Ils ne font d’ailleurs que proposer des mesures que la plupart des bourgeoisies nationales ont, tôt ou tard, déjà prises. L’État français a mis en place une logistique pour répartir les malades sur des hôpitaux français et même luxembourgeois, allemands et suisses dont les services d’urgence et de réanimation sont moins saturés. L’État français a réquisitionné des hôtels pour loger les sans-abris. Les États ont imposé à des entreprises de se reconvertir temporairement dans la fabrication de masques.
Pour les autres, qui pour la plupart se réclament d’une tradition anarchiste, il faudrait remplacer l’économie de marché par l’autogestion, c’est-à-dire la prétendue gestion des entreprises par les ouvriers au sein d’une société encore capitaliste, ainsi qu’un système politique fédéraliste. Cette vision est notamment théorisée par le “communalisme” de la Fédération anarchiste qui prétend que “le localisme est un trait structurel de l’écologie sociale, parce que l’équilibre entre les activités humaines et leur milieu doit être adapté à chaque type différent de milieu, et parce que c’est la seule manière pour chaque groupe humain de prendre en mains son propre sort en toute connaissance et responsabilité”. L’UCL en appelle aussi à “en finir avec ce système, en plaçant l’ensemble des moyens de production et de distribution entre les mains des travailleuses et des travailleurs, en remplaçant l’économie de marché par une économie socialisée et autogérée, et l’État par un système fédéraliste autogestionnaire”. Eux aussi, demandent aux ouvriers de passer à l’autogestion comme le connaissent déjà ou en ont fait l’amère expérience dans le passé de nombreux salariés des nombreuses entreprises autogérées. (1) Dans un communiqué du 14 avril, les quatre fédérations anarcho-syndicalistes de la CNT du secteur public appellent d’ailleurs aussi à un “service public autogéré” face à la pandémie.
L’autogestion, si elle était déjà une utopie petite bourgeoise au siècle dernier quand elle était préconisée par les courants proudhoniens, est aujourd’hui devenue une pure mystification capitaliste, une arme économique du capital qui a pour but de faire accepter aux travailleurs le poids des difficultés des entreprises frappées par la crise en leur faisant organiser les modalités de leur propre exploitation, et qui a pour fonction de diviser la classe ouvrière en l’enfermant et en l’isolant usine par usine, quartier par quartier, secteur par secteur, mais aussi d’attacher les travailleurs aux préoccupations de l’économie capitaliste qu’ils ont au contraire pour tâche de détruire. (2)
Tous leurs conseils aux différents gouvernements, toutes leurs propositions, toutes leurs manipulations idéologiques, ne sont par fortuits. La politique des groupes gauchistes n’est pas nouvelle, elle correspond à leur rôle dans l’appareil d’État depuis des décennies, un rôle de chien de garde et de rabatteurs du capitalisme. En enfermant les ouvriers dans l’illusion du contrôle de la production, d’une plus juste répartition des richesses, dans l’idée simpliste qu’il suffirait de faire payer les riches et les patrons, de faire respecter le droit du travail, tout cela sans renverser le capitalisme ni s’attaquer aux rapports de production capitalistes, les gauchistes cherchent à dévoyer la réflexion des ouvriers les plus combatifs sur le terrain pourri de la gestion “juste” et “démocratique” d’un système qu’il faudrait “remettre au goût du jour” (NPA), d’un système en décadence qui ne peut que conduire l’humanité dans la spirale infernale du chaos et de la barbarie. C’est pour cette raison qu’ils ne mettent jamais en avant, ou de façon platonique, la nécessité de détruire le système capitaliste et ses États, la nécessité révolutionnaire avant toute autre politique d’organisation de la société. En d’autres termes, ils masquent les enjeux réels de la situation et l’inéluctable crise du capitalisme. Ces politiques ne sont ni plus ni moins que des politiques bourgeoises, celle d’organisations gauchistes qui sont passées depuis bien longtemps dans le camp de la contre-révolution.
La politique des organisations révolutionnaires, c’est justement la mise en avant comme préalable à tout changement social, le renversement de l’État capitaliste. Sans ce préalable, il n’y a aucun espoir pour que la révolution internationale triomphe et que nous allions vers l’instauration d’une société sans classes. Celui-ci aura aussi comme tâche de préserver la santé, l’écosystème de notre planète et donc celle de l’humanité.
Aujourd’hui la perspective pour le prolétariat, c’est de comprendre que le plus grand fléau n’est pas le Covid-19, mais le capitalisme, que la solution n’est pas de s’unir derrière l’État assassin mais au contraire de se dresser contre lui, que l’espoir ne réside pas dans les recettes ou les slogans de tous ces groupes gauchistes mais dans le développement de la solidarité ouvrière, dans la lutte comme le montre les dernières réactions d’ouvriers dans le monde contre les sacrifices qu’on veut leur imposer. La seule alternative à la barbarie capitaliste, c’est la destruction de ce système par la révolution mondiale.
S. et P., 28 juin 2020
1 ) Voir par exemple nos articles sur l’expérience de Lip en France, au début des années 1970.
2 ) Voir le point 11 de la Plateforme du CCI : “L’autogestion, auto-exploitation du prolétariat” et les nombreux articles de notre presse qui dénoncent cette mystification.
Selon des chiffres partiels et systématiquement minorés par les États, (1) malgré le confinement de près de la moitié de la population mondiale, le Covid-19 est devenu la troisième maladie infectieuse la plus mortelle au monde actuellement en nombre de morts quotidiens (2) et a occasionné rien qu’en France, entre le 16 mars et le 3 mai, une surmortalité de 39 % au niveau national (3) et de près de 180 % sur deux mois dans certaines communes du département de Seine-Saint-Denis, le plus pauvre de France métropolitaine. (4) Avec un virus aussi dangereux circulant toujours au sein d’une population massivement non immunisée contre celui-ci, (5) sans qu’aucun vaccin ni remède n’ait encore été trouvé et un système de santé à genoux, il est évident que toute levée prématurée des tardives mesures de précautions sanitaires peut avoir de graves conséquences pour la santé voire la vie d’une grande partie de la population, notamment chez les travailleurs.
“Mais le capital, qui a de si “bonnes raisons” pour nier les souffrances de la population ouvrière qui l’entoure, est aussi peu ou tout autant influencé dans sa pratique par la perspective de la dégénérescence de l’humanité et finalement de sa dépopulation, que par la chute possible de la terre sur le soleil. […] Après moi le déluge ! telle est la devise de tout capitaliste et de toute nation capitaliste. Le capital ne s’inquiète donc point de la santé et de la durée de la vie du travailleur, s’il n’y est pas contraint par la société. À toute plainte élevée contre lui à propos de dégradation physique et intellectuelle, de mort prématurée, de tortures du travail excessif, il répond simplement : “Pourquoi nous tourmenter de ces tourments, puisqu’ils augmentent nos joies (nos profits) ?”” (6)
Ainsi, sous les encouragements de certains thuriféraires du capital déclarant ouvertement qu’on ne peut pas “sacrifier les jeunes et les actifs pour sauver les vieux”, (7) et afin de pouvoir renvoyer au travail un maximum de prolétaires, le gouvernement français a donc rouvert les crèches et les écoles primaires depuis le 11 mai, sous le prétexte hypocrite de lutter contre le décrochage scolaire, consécutif au confinement, d’un grand nombre d’élèves en difficulté. Mais la priorité donnée aux plus jeunes, notamment aux “enfants des personnels indispensables à la gestion de la crise sanitaire et à la continuité de la vie de la Nation” ainsi qu’aux enfants d’actifs ne pouvant pas télétravailler ne trompe personne.
Pour entretenir toutefois l’illusion, les enseignants sont tenus de suivre un inapplicable protocole sanitaire de 63 pages, pondu par le ministère de l’Éducation nationale, rendu inopérant tant par l’absurdité typiquement bureaucratique des préconisations formulées que par l’impossibilité de faire respecter scrupuleusement celles-ci par de si jeunes enfants. Et tout cela, bien sûr, sans compter les sempiternelles pénuries de masques et de gels hydroalcooliques. Dans de telles conditions d’accueil, malgré tous les efforts des adultes encadrants, l’école devient une sorte de dangereuse et traumatisante “garderie carcérale” où les enfants se voient privés de contact physique, comme dans cette école maternelle de Tourcoing où un marquage au sol de distanciation sociale à destination des élèves matérialise le côté ubuesque et déshumanisant de la situation. (8)
Mais s’il y a bien un point sur lequel le gouvernement n’a pas manqué de mettre l’accent, c’est sur la surveillance de toute expression critique tendant à dénoncer l’incurie criminelle des États bourgeois et leur responsabilité dans la survenue de la crise sanitaire actuelle. Ainsi, de manière particulièrement explicite, le ministère de l’Éducation nationale a mis en ligne des fiches “pédagogiques” à destination des enseignants où on peut lire que “la crise du Covid-19 peut être utilisée par certains pour démontrer l’incapacité des États à protéger la population et tenter de déstabiliser les individus fragilisés. Divers groupes radicaux exploitent cette situation dramatique dans le but de rallier à leur cause de nouveaux membres et de troubler l’ordre public” ; aussi, si “des enfants peuvent tenir des propos manifestement inacceptables […] La référence à l’autorité de l’État pour permettre la protection de chaque citoyen doit alors être évoquée, sans entrer en discussion polémique. Les parents seront alertés et reçus par l’enseignant, le cas échéant accompagné d’un collègue, et la situation rapportée aux autorités de l’école”. (9) En clair, les jeunes enfants sont utilisés par l’État pour identifier et intimider les parents qui oseraient mettre en cause l’action gouvernementale. Ce procédé, qui n’est pas sans évoquer les pratiques des régimes fascistes ou staliniens, n’est qu’une illustration du caractère totalitaire de la démocratie bourgeoise dans la phase de décadence du capitalisme. (10)
Toute cette situation découle du fait que, pour le capital français comme pour celui des autres nations, la reprise rapide du travail est un impératif économique à côté duquel la santé physique et mentale des ouvriers et de leur famille ne pèse pas lourd. Y compris celle de leurs enfants.
DM, 24 mai 2020.
1“L’étude de la surmortalité donne-t-elle les vrais chiffres du Covid-19, au-delà des bilans officiels ? [6]” sur liberation.fr.
2“Non, le Covid-19 n’est pas seulement “au 17e rang mondial en nombre de morts” [7]”, sur lemonde.fr.
3“Covid-19 : l’étude des chiffres de la surmortalité en Allemagne confirme-t-elle le bilan officiel ? [8]”, sur liberation.fr.
4“Coronavirus : une surmortalité très élevée en Seine-Saint-Denis [9]”, sur lemonde.fr.
5“Coronavirus : l’Europe doit s’attendre à une deuxième vague, selon ECDC [10]”, sur nouvelobs.com.
6Karl Marx, Le Capital, Livre Premier, Troisième section, Chapitre X, V. Lutte pour la journée de travail normale. Lois coercitives pour la prolongation de la journée de travail depuis le milieu du XIVe jusqu’à la fin du XVIIe siècle.
7Le Canard enchaîné du 6 mai indique que ces propos, tenus par l’essayiste Emmanuel Todd, ont fait l’objet de variations sur le même thème de la part des journalistes Jean Quatremer (Libération) et Christophe Barbier (L’Express).
8“Que sait-on de cette photo d’enfants assis dans des carrés dessinés à la craie lors d’une récréation ? [11]”, sur liberation.fr.
9“Une fiche invitant à signaler les “propos inacceptables” des élèves sur le Covid agace les profs [12]”, sur nouvelobs.com.
10Voir à ce sujet notre article “Comment est organisée la bourgeoisie ? : Le mensonge de l’État “démocratique” [13]”, Revue internationale n° 76.
La mort de George Floyd à Minneapolis le 25 mai dernier a provoqué une onde de choc dans de nombreux pays. Aux États-Unis, une vague de manifestations contre cet énième et insupportable assassinat d’un Noir par la police a déferlé sur tout le territoire, non seulement dans les grandes métropoles, mais aussi, ce qui est moins courant, dans de petites agglomérations. Ces manifestations ont été suivies par de multiples mobilisations un peu partout dans le monde : en Italie, en Grande-Bretagne, en Allemagne, en Nouvelle-Zélande, au Canada, en Irlande, etc.
Le 2 juin, un rassemblement sur le parvis du palais de justice de Paris, en soutien au “comité Adama Traoré”, lui aussi décédé alors qu’il était aux mains de la police, a attiré une foule de près de 20 000 personnes, ce qui est d’autant plus surprenant que le rassemblement était formellement interdit par la Préfecture. La mort d’Adama Traoré, lors de son interpellation, rappelle d’autres décès liés aux interventions policières ces dernières années : ceux de Zied et Bouna, électrocutés dans un transformateur en voulant fuir la police, d’Ibrahima Bah, tué lors d’un accident de moto au cours d’une intervention de la police, de Babacar Gueye, sans-papier abattu par un policier de la BAC… une liste qui s’allonge régulièrement et qui témoigne de la brutalité et des humiliations que la police déploie quotidiennement au pied des immeubles des quartiers pauvres.
Ces rassemblements sont le produit d’une profonde indignation face à la violence des forces de l’ordre qui n’hésitent jamais à user de leurs armes et de tous les moyens, y compris légaux, pour brutaliser les populations dans les “cités” comme dans les manifestations. La police donne la légitime impression de pouvoir agir dans une impunité quasi-totale ; la moindre “bavure”, même filmée par les caméras des téléphones, est aussitôt retournée contre la victime accusée d’ “outrage” ou de “rébellion” et embarquée dans des procédures judiciaires souvent expéditives et, la plupart du temps, perdues d’avance.
Cette réalité d’injustices est plus ou moins la même un peu partout dans le monde. La répression de plus en plus violente de tout mouvement de contestation sociale, l’utilisation d’armes de plus en plus dangereuses, la suspicion systématique envers les jeunes et les personnes issus de l’immigration (même de très longue date) dans les banlieues populaires notamment, sont autant de facteurs suscitant la colère des jeunes générations, témoins et bien souvent victimes de l’État policier.
Cependant, l’indignation à elle seule ne suffit pas ; car celle-ci peut tout à fait se perdre sur le terrain de l’illusion d’une possible amélioration de la société bourgeoise. Les récents rassemblements contre le racisme et les violences policières n’ont pas échappé à cette logique. Sous l’apparente radicalité des slogans et des revendications, les participants font le jeu de la classe dominante, de sa police et de ses tribunaux. Les revendications des soutiens du “comité Adama Traoré” se résument au mot d’ordre : “Justice pour Adama !” Même chose pour le collectif “Justice et Vérité pour Babacar” (Gueye) qui a déployé une banderole similaire lors de la manifestation du 13 juin à Paris. Ces revendications s’inscrivent entièrement sur le terrain des “droits civique”. Elles participent à la défense pure et simple de la société bourgeoise puisqu’elles font appel à la “Justice de la République”, c’est-à-dire aux institutions “démocratiques” qui sont justement les rouages fondamentaux de la violence de l’État et de la garantie de l’ordre social.
Derrière les slogans, se cache en effet l’idée que nous sommes tous des “citoyens égaux devant la Loi” et que la justice démocratique aurait vocation à être la même pour tous. Or, la “justice” dans le monde capitaliste n’est que la sanction des rapports entre des classes sociales antagoniques. En réalité, l’État a toujours été, par son monopole de la violence, “un appareil spécial de répression” contre les exploités, comme le rappelait Lénine en citant Friedrich Engels dans L’État et la Révolution. C’est pourquoi, d’ailleurs, la police, garante de l’ordre bourgeois, ne saurait être moins “violente” et plus “démocratique” qu’elle ne l’est déjà, dans la mesure où, pour citer Engels, elle est, par sa fonction, entièrement liée à l’État, c’est-à-dire à “une organisation de la classe exploiteuse pour maintenir ses conditions de production extérieures, donc surtout pour maintenir par la force la classe exploitée dans les conditions d’oppression données par le mode de production existant (esclavage, servage, salariat)”. (1)
La classe ouvrière a depuis longtemps fait l’expérience de ce qu’est la police : le bras armé d’une domination de classe imposant “l’ordre public” par la loi et par la force. Par conséquent, l’idée d’une “bonne police”, d’une police “démocratique”, est totalement mystificatrice et illusoire. Au contraire, la police ne peut que devenir de plus en plus brutale et violente du fait de l’exacerbation des contradictions sociales engendrées par la crise du capitalisme, produisant toujours plus de tensions et de fractures au sein de la société. Dans ces conditions, le maintien de l’ordre devient de plus en plus difficile, de plus en plus sophistiqué et coûteux, de plus en plus violent. L’Etat ne peut qu’écraser toujours plus son talon de fer sur les exploités qui n’auront pas d’autre choix que de se révolter contre des conditions d’exploitation toujours plus insoutenables.
Déjà sous la présidence du “socialiste” François Hollande, à la suite des attentats de 2015 et la mise en place de l’état d’urgence, la bourgeoisie a procédé à un énorme renforcement de son arsenal législatif et répressif déjà très agressif. Les dispositions alors adoptées ont permis la mise en œuvre d’une politique ouvertement plus répressive. Si les manifestations contre la Loi “Travail” en 2016 étaient marquées par un accroissement significatif de la violence policière, le mouvement des “gilets jaunes” et la récente lutte contre la réforme des retraites ont vu la police déchaîner une violence de plus grande ampleur, causant de graves blessures, voire des morts. Naturellement, l’impunité de la police s’est également renforcée hors des manifestations, comme en témoignent le décès de Steve Caniço, poussé dans la Loire par la police lors de la fête de la musique en 2019 et les multiples agressions de jeunes issus de l’immigration.
La simultanéité des mouvements de lutte contre les violences policières et le racisme dans le monde, leur promotion par les États et les médias, montrent qu’il s’agit d’une campagne idéologique internationale menée par la bourgeoisie, dont le but est de revaloriser et dédouaner les États démocratiques, de mieux adapter et préparer la police au défis de demain en matière de répression. L’apparition en arrière-plan d’un argumentaire sur le “privilège blanc”, la focalisation sur le meurtre de Noirs par la police aux États-Unis et dans d’autres pays font partie intégrante de cette campagne idéologique laissant croire qu’une autre police, plus humaine, est possible. Il s’agit ni plus ni moins de tenter de réhabiliter l’image des “forces de l’ordre” et de préparer les appareils coercitifs aux troubles sociaux que pourraient engendrer la nouvelle situation ouverte par la pandémie de Covid-19.
Mais il existe un deuxième élément qui sous-tend insidieusement cette campagne démocratique et antiraciste, fortement marquée par la réalité du pourrissement de rapports sociaux propres à la phase de décomposition du capitalisme, avec ses relents racistes et racialistes. Le “privilège blanc” est, sous une nouvelle forme, une vieille connaissance aux États-Unis : “La White Skin Privilege Theory ou “théorie du privilège de la peau blanche”. Elle a été concoctée par les nouveaux gauchistes des années 1960 qui prétendaient que la classe dominante et la classe ouvrière blanche avaient un deal pour accorder aux ouvriers blancs un niveau de vie supérieur, aux dépens des ouvriers noirs qui subissaient le racisme et la discrimination”. (2)
Dans la période actuelle marquée par l’incapacité de la classe ouvrière à se reconnaître elle-même comme la seule force sociale en mesure de renverser le capitalisme, la bourgeoisie peut sans vergogne faire la promotion d’idéologies visant à diviser le prolétariat : par sexe, par religion, par race, par orientation sexuelle… La “lutte des races” devrait donc désormais remplacer la lutte de classe. Un piège idéologique que des groupes comme celui du “comité Adama Traoré” véhiculent sans scrupule et que les préjugés réactionnaires, alimentés par le repli sur soi et la peur de la différence favorisent allègrement. C’est ainsi que dans le reportage : À nos corps défendant, on a pu entendre la médiatique sœur d’Adama Traoré, systématiquement entourée d’armoires à glace, proférer des propos ouvertement racistes : “pour eux, l’homme noir représente une certaine virilité qu’il faut casser, qu’il faut castrer. […] Le seul crime de ces hommes, en fait, c’est d’avoir une corpulence athlétique et imposante”. Cette idéologie consacre la division des exploités, le repli sur la “race”, la famille, la “communauté”, la religion et le chacun-pour-soi. Une telle idéologie radicale s’attaque aveuglément à tous types de symboles, comme les statues de colonisateurs ou d’esclavagistes, renforçant par la même les forces centrifuges de la vengeance et de la réaction. Elle consacre in fine les “races sociales” comme facteur déterminant des antagonismes sociaux, ce qui, outre la fausseté d’une telle conception, ne peut qu’alimenter la fragmentation du corps social.
La stratégie d’opposer les “races” pour diviser la classe ouvrière n’a absolument rien de neuf aux États-Unis comme en France. Aux États-Unis par exemple, elle est utilisée depuis fort longtemps : “De pair avec sa politique encourageant l’immigration, la bourgeoisie n’hésita pas à mener, en même temps, des campagnes xénophobes et racistes pour diviser la classe ouvrière. On montait ceux qu’on appelait les ouvriers “natifs” (native workers, ouvriers “du pays”, “de souche”), et dont certains étaient eux-mêmes de la deuxième ou troisième génération descendant d’immigrés, contre les nouveaux arrivants qu’on dénonçait pour leurs différences linguistiques, culturelles et religieuses. Il est important de se rappeler que la peur et la méfiance envers les étrangers ont de profondes racines psychologiques dans cette société et le capitalisme n’a jamais hésité à exploiter ce phénomène pour ses propres fins sordides. La bourgeoisie, américaine en particulier, a utilisé cette tactique de “diviser pour mieux régner” afin de contrecarrer la tendance historique à l’unité de la classe ouvrière et mieux asservir le prolétariat.
Dans une lettre à Hermann Schlüter, en 1892, Engels notait : “Votre bourgeoisie sait beaucoup mieux que le gouvernement autrichien lui-même jouer une nationalité contre l’autre : Juifs, Italiens, Bohèmes, etc., contre Allemands et Irlandais, et chacun d’eux contre les autres.” C’est une arme idéologique classique de l’ennemi de classe”.
Le combat de la classe ouvrière, parce qu’il est un travail associé dont la condition d’exploitation est universelle, englobe tous les autres combats des opprimés contre les aspects spécifiques engendrés par la société de classe, tels que le racisme, la destruction de l’environnement, l’homophobie, le sexisme, etc. La solution à ces problèmes ne réside pas dans la société qui les a engendrés mais dans son dépassement. La classe ouvrière est la seule à même de détruire les fondements du racisme, de la concurrence de chacun contre tous, de la violence exercée par la classe dominante et son État contre les exploités, du fait de sa place au sein de la société et des rapports de production, de son rôle révolutionnaire. Les luttes parcellaires, liées au racisme ou à l’écologie, incapables de s’attaquer à la racine du problème, c’est-à-dire l’exploitation capitaliste, diluent les forces de la classe ouvrière dans des luttes stériles, des impasses impuissantes face à l’histoire.
Seul le prolétariat, par son combat qui tend à unifier tous les ouvriers au niveau international contre la source de leurs divisions et de leur exploitation, a la clé du combat contre le racisme, la fragmentation sociale et la violence de l’État : “Le fait qu’il existe une réceptivité à la peur irrationnelle exprimée dans le racisme et la xénophobie propagée par l’idéologie bourgeoise chez certains éléments de la classe ouvrière ne nous surprend pas dans la mesure où l’idéologie de la classe dominante, dans une société de classe, exerce une immense influence sur la classe ouvrière jusqu’à ce que se développe une situation ouvertement révolutionnaire. Cependant, quel que soit le succès de l’intrusion idéologique de la bourgeoisie dans la classe ouvrière, pour le mouvement révolutionnaire, le principe selon lequel la classe ouvrière mondiale est une unité, est un principe de base de la solidarité prolétarienne internationale et de la conscience de la classe ouvrière. Tout ce qui insiste sur les particularismes nationaux, aggrave, manipule ou contribue à la “désunion” de la classe ouvrière est contraire à la nature internationaliste du prolétariat comme classe, et est une manifestation de l’idéologie bourgeoise que les révolutionnaires combattent. Notre responsabilité est de défendre la vérité historique : “les ouvriers n’ont pas de patrie”.
HG, le 4 juillet 2020
1 ) Engels, Les origines de la famille, de la propriété et de l’État (1884).
2 ) “L’immigration et le mouvement ouvrier”, Revue Internationale n° 140 (1er trimestre 2010). Les citations suivantes sont issues du même article.
Dans le mouvement contre la réforme des retraites, il était de la responsabilité des révolutionnaires (la partie de la classe ouvrière la plus résolue et la plus claire vis-à-vis des moyens et des buts du mouvement prolétarien) d’être partie prenante de ce combat de la classe ouvrière qui s’inscrit dans un contexte mondial de reprise des luttes comme on a pu le voir ces derniers mois en Finlande, en Grande-Bretagne, aux États-Unis ou encore en Italie.
L’orientation de notre intervention devait s’appuyer sur l’analyse la plus approfondie possible de la signification et de la dynamique de cette lutte. Il s’agissait donc de participer à la réflexion au sein de la classe sur la manière de construire un rapport de force contre l’État bourgeois en étant également capable de mettre au jour les pièges et les manœuvres mis en œuvre par la bourgeoisie pour parvenir à faire passer cette attaque de grande ampleur permettant d’intensifier l’exploitation salariée.
Grâce à notre présence, ainsi que celle d’autres organisations de la Gauche communiste telles que le PCI dans cette mobilisation, nous avions pu constater l’énorme colère de la classe ouvrière face à cette attaque contre l’ensemble des travailleurs exploités, toutes générations et tous secteurs confondus. (1)
Partout, l’enthousiasme d’être enfin tous ensemble dans la rue, après deux décennies de paralysie, était présent. Dans toutes les manifestations, la recherche de la solidarité et de l’unité dans la lutte était visible tant sur les banderoles que sur les mots d’ordre et les chansons entonnées en chœur : “On est là, on est là pour l’honneur des travailleurs et pour un monde meilleur !” “La classe ouvrière existe !” Les slogans unitaires ont montré un début de prise de conscience que c’est toute la classe ouvrière qui est attaquée aujourd’hui et qu’il faut se battre massivement tous unis pour freiner les attaques et faire reculer le gouvernement.
Face au resurgissement de la combativité ouvrière après une décennie de calme social, il était de notre responsabilité de faire entendre la voix des révolutionnaires dans ce mouvement afin de saluer la capacité du prolétariat en France à relever la tête. Nous avons pu diffuser, massivement et sans aucune difficulté, quatre tracts à chaque étape de cette mobilisation dans la rue.
C’est en suivant la dynamique du mouvement que nous avons décidé d’adapter nos tracts en fonction de l’évolution hebdomadaire des manifestations afin de pouvoir répondre aux besoins de la lutte, aux questionnements apparus dans la classe ouvrière et afin de dénoncer les manœuvres de la bourgeoisie et contrer celles des syndicats. Le premier tract diffusé dès le premier décembre, était intitulé : “Unifions nos luttes contre les attaques de nos exploiteurs !” Le 15 décembre, l’accent était mis sur la “Solidarité dans la lutte de tous les travailleurs et toutes les générations !” Puis le 13 janvier 2020 nous titrions : “Contre les attaques du gouvernement, lutte massive et unie de tous les exploités !” Enfin, le dernier tract en date du 4 février, intitulé : “Face aux attaques du gouvernement, il faut prendre nous-mêmes nos luttes en main !”, donnait une orientation politique pour la prise en charge des luttes futures : “La “guerre de classe” est faite d’avancées et de reculs, de moments de mobilisation et de pause pour pouvoir repartir de nouveau encore plus forts. Ce n’est jamais un combat en “ligne droite” où on gagne immédiatement du premier coup. Toute l’histoire du mouvement ouvrier a démontré que la lutte de la classe exploitée contre la bourgeoisie ne peut aboutir à la victoire qu’à la suite de toute une série de défaites.
Le seul moyen de renforcer la lutte, c’est de profiter des périodes de repli en bon ordre pour réfléchir et discuter ensemble, en se regroupant partout, sur nos lieux de travail, dans nos quartiers et tous les lieux publics.
Les travailleurs les plus combatifs et déterminés, qu’ils soient actifs ou chômeurs, retraités ou étudiants, doivent essayer de former des “comités de lutte” interprofessionnels ouverts à toutes les générations pour préparer les luttes futures. Il faudra tirer les leçons de ce mouvement, comprendre quelles ont été ses difficultés pour pouvoir les surmonter dans les prochains combats”.
Que ce soit à Paris, Marseille, Lyon, Nantes, Tours ou Lille, nos tracts et notre presse ont été extrêmement bien accueillis dans ces manifestations qui ont rassemblé à chaque fois plusieurs centaines de milliers de personnes. À Toulouse, un manifestant est même venu nous aider à diffuser nos tracts dans les cortèges. Cette sympathie envers les mots d’ordre que nous avions mis en avant révèlent non seulement qu’ils correspondaient aux besoins de la lutte mais également à la recherche de l’unité et de la solidarité entre tous les secteurs, entreprises et toutes générations confondues. Est réapparu ce point de vue typiquement prolétarien selon lequel nous luttons non seulement pour nous-mêmes mais surtout pour les générations futures.
Lors de nos diffusions, nous avons pu avoir de nombreuses discussions, avec des manifestants attirés par le titre de notre journal Révolution Internationale. Plusieurs d’entre eux, que ce soit à Paris ou en province, sont venus nous demander : “Qui êtes-vous ? Et que proposez-vous ?” Dans toutes les discussions, nous avons pu constater une volonté de chercher une perspective de classe face à l’impasse du capitalisme. De nombreux travailleurs en lutte ont exprimé leur accord avec les titres de nos tracts. Aucun ne fut jeté sur la voie publique. Après les avoir survolés, certains manifestants nous ont dit le mettre dans leur poche pour le lire plus tard, ce qui montrait une volonté de réflexion que nous n’avions pas vu dans la décennie passée où la tendance générale était plutôt à la résignation.
Nous avons pu diffuser plusieurs dizaines de milliers de tracts dont près de 10 000 à Paris avec des discussions, y compris parmi les badauds et les travailleurs en colère qui manifestaient sur les trottoirs, ne voulant pas se ranger derrière les banderoles et la sono des syndicats.
À la lecture du titre de notre journal, certains manifestants nous ont fait cette remarque : “Vous avez raison, c’est une révolution qu’il nous faut”, “le capitalisme va continuer à nous attaquer”. Ou encore : “Ce qu’il faut faire, c’est une grève générale. Il nous faut un nouveau Mai 68 !” Partout était présent le sentiment que seule une lutte massive de tous les travailleurs peut permettre de construire un rapport de force contre les attaques du capital. Ces remarques ont révélé également un début de prise de conscience de l’impasse du capitalisme, incapable désormais d’améliorer les conditions de vie des exploités. C’était donc clairement une perte d’illusion au sein de la classe ouvrière sur les possibilités d’une “sortie du tunnel” (encore confirmée par les conséquences économiques de la pandémie du Covid-19).
Bien évidemment, ce sont les syndicats qui ont pris les devants et ont organisé cette mobilisation contre la réforme des retraites en appelant parfois jusqu’à trois manifestations par semaine, dans le seul objectif d’épuiser la combativité des travailleurs et leur infliger une défaite cuisante. Malgré la détermination des manifestants à “aller jusqu’au bout”, jusqu’au retrait de la réforme, (avec le slogan “On ne lâchera rien !”), malgré la méfiance d’une petite minorité envers les syndicats (et la colère contre la CFDT), la classe ouvrière n’a pas été en mesure, cependant, ni d’étendre le mouvement, ni de prendre sa lutte en main. C’est la raison pour laquelle nous avons mis en avant que le principal levier pour élargir le mouvement ne pouvait être que l’organisation d’assemblées générales massives et vivantes, ouvertes à tous afin que la classe ouvrière ne se laisse pas confisquer sa lutte par les spécialistes de la négociation que sont les syndicats.
Si, dans tous les cortèges la question posée par tous était “Comment obliger Macron à retirer sa réforme des retraites ?”, “Comment peut-on gagner ?”, les difficultés de la lutte étaient également sensibles, notamment avec l’illusion que la solidarité envers les grévistes (et notamment les cheminots) pouvait prendre la forme de collectes dans les caisses de solidarité. Alors que, comme nous l’avions affirmé dans nos tracts, la vraie solidarité (en particulier avec les cheminots en grève) ne pouvait être que la solidarité active, dans et par la lutte, consistant à élargir le mouvement dès le début en envoyant des délégations massives aux entreprises les plus proches géographiquement afin d’entraîner les autres travailleurs dans le combat.
Bien évidemment, une grande majorité de manifestants avaient pleinement conscience que la “grève par procuration” ne pouvait pas permettre de développer un mouvement massif capable de faire reculer le gouvernement. Tous avaient conscience des difficultés à mobiliser les travailleurs précaires et les ouvriers du secteur privé. Mais la combativité et la détermination de ceux qui ont continué à participer aux manifestations, semaine après semaine, avaient essentiellement pour objectif d’affirmer que la lutte de classe avait ressurgi et que le prolétariat était là de nouveau sur le devant de la scène sociale. Partout, nous avons pu constater un début de prise de conscience générale que seules la solidarité et la recherche de l’unité étaient un moyen de faire comprendre à la bourgeoisie que la classe exploitée a les mêmes intérêts à défendre et qu’elle n’était plus disposée à se laisser paralyser, ni à encaisser les attaques du capital et la plongée dans la misère sans réagir. En cela, nous avons pu déceler les germes pouvant permettre de recouvrer une identité de classe.
Avec le reflux du mouvement après la reprise du travail chez les cheminots, cette combativité ne s’était nullement épuisée, malgré le caractère moins massif des manifestations.
Malgré l’encadrement syndical, de petits groupes de manifestants scandaient parfois : “Grèves sauvages, manifs sauvages !” Ces slogans, bien que très sporadiques et localisés, ont révélé un début de contestation de l’encadrement syndical au sein de petites minorités.
Du fait des limites de ce mouvement, nous avons mis en avant que le principal gain de la lutte, c’est la lutte elle-même ; c’est la capacité du prolétariat en France à faire de nouveau l’expérience de la lutte et à se battre sur son propre terrain de classe. Nous avons mis également en évidence que la classe ouvrière a perdu une bataille (et elle en perdra d’autres) mais n’a pas perdu la guerre. Afin d’éviter la démoralisation de la défaite, nous avons exhorté les travailleurs les plus combatifs à se regrouper dans des “comités de lutte” pour pouvoir tirer les leçons de cette mobilisation et préparer les luttes futures.
Ce n’est pas seulement une reprise de la combativité ouvrière que nous avons pu voir dans ce mouvement, mais également un début de prise de conscience que le capitalisme n’a aucun avenir à offrir aux exploités, qu’ils soient retraités, actifs, précaires ou au chômage et qu’il n’y a qu’une seule solution : le renversement à terme de ce système moribond.
L’accueil souvent très chaleureux que nous avons reçu dans ce mouvement montre que la presse des révolutionnaires ne suscite plus aujourd’hui la méfiance comme c’était le cas dans les décennies passées. Au contraire, l’intérêt porté à nos tracts a révélé que la situation a mûri avec l’aggravation de la crise économique et des attaques contre toute la classe ouvrière.
Ce mouvement a démontré que la voix des révolutionnaires et leur intervention est indispensable, pour donner une orientation politique générale pour les combats futurs de la classe ouvrière en mettant en avant la perspective historique de la révolution prolétarienne à l’échelle mondiale. Quelques manifestants ont exprimé le besoin de continuer à discuter avec nous afin de poursuivre et approfondir leur réflexion. Nous les avons donc invités à venir participer à nos réunions publiques.
En intervenant activement dans les manifestations, malgré ses faibles forces, le CCI a pleinement rempli ses responsabilités politiques au sein de la classe ouvrière. Le fruit de cette intervention se manifestera (et s’est déjà manifesté, même si c’est encore de façon à peine perceptible) par l’émergence de petites minorités d’éléments à la recherche des positions de classe et d’une perspective révolutionnaire.
RI, mai 2020
1 ) Voir nos articles dans Révolution Internationale n° 480 à 482 et disponibles sur le site internet du CCI.
Nous publions ci-dessous le courrier d’un lecteur qui évoque avec lucidité les dangers des campagnes idéologiques générées par différents acteurs de la société bourgeoise au sujet des récentes émeutes aux Etats-Unis. Les quelques lignes que nous publions soulignent justement que ces campagnes constituent un véritable poison contre la conscience de classe du prolétariat.
L’intérêt de ce bref courrier est donc de mettre en évidence le piège que ces campagnes insidieuses peuvent constituer lorsqu’elles proposent, par exemple, des “voies faussement opposées et stériles qui ne remettent pas du tout en cause le système existant”. Elles s’avèrent être ainsi des impasses très dangereuses. Autre intérêt encore, ce courrier, en dénonçant fortement les propagandistes bourgeois, appelle explicitement à la nécessaire vigilance politique pour défendre une idée que nous jugeons centrale : “les membres de la classe ouvrière n’ont aucun intérêt à s’allier avec des éléments de la classe dominante, quelle que soit leur couleur de peau”. Nous soutenons cet esprit de combat et intransigeance rigoureuse que nous partageons pleinement et qui met aussi très justement en perspective le besoin fondamental et vital d’une “union internationale de la classe ouvrière contre la réaction”.
Il n’est pas rare de voir des entreprises soutenir les récents mouvements aux Etats-Unis : le compte Twitter de la plateforme de streaming Netflix s’est fendu d’un message disant : “Rester silencieux est devenir complice”, tandis que l’entreprise d’équipements sportifs Nike a publié une vidéo accompagnée d’une musique larmoyante nous invitant à “participer au changement”.
Dans les médias, la dichotomie entre les “émeutiers” et les “manifestants pacifistes” est largement présente. Les émeutes où sont démolis les biens de prolétaires tels que leurs voitures font part d’une complaisance de la part de certaines organisations de l’extrême gauche du capital. De l’autre côté, la technique préconisée par les organisations de droits civiques est de faire appel au processus démocratique/réformiste. En réalité, ce sont deux voies faussement opposées et stériles qui ne remettent pas du tout en cause le système existant.
La police étant l’un des organes de défense de la classe dominante, il n’est pas illogique de voir les préjugés les plus réactionnaires s’y développer parmi ses rangs. Contrairement à ce que certains groupes comme la NAACP (National Association for the Advancement of Colored People) laisse croire, ce n’est pas une réforme miracle de la police qui stoppera le racisme.
Le racisme prends ses racines dans la division de la société en classes présente dans le capitalisme. Tous les partis et organisations politiques bourgeoises ont pour objectif de défendre les intérêts du capital national. Il n’y a donc rien d’exceptionnel dans le fait que, par exemple, le nombre d’expulsions d’immigrés était supérieur sous le mandat d’Obama que celui de Trump, bien que le Parti Démocrate essaie de se faire passer pour le parti progressiste. En fait, le soutien hypocrite de certaines entreprises citées plus haut pour le “changement sociétal” n’est qu’un nouvel enfumage qui présente l’ensemble de la population d’un pays comme étant composé de simples citoyens isolés, qui devraient se rattacher à la défense de l’État.
Il est vrai que de nombreuses personnes noires subissent des violences de la part de la police (et cela n’est pas un phénomène exclusif aux Etats-Unis). Néanmoins, les membres de la classe ouvrière n’ont aucun intérêt à s’allier avec des éléments de la classe dominante, quelle que soit leur couleur de peau. Au contraire, cela ne fera que renforcer la domination de la classe bourgeoise et sous-estime le rôle progressiste de l’union internationale de la classe ouvrière contre la réaction.
B. J
Il y a quarante ans, durant l’été 1980, la classe ouvrière en Pologne mettait le monde en haleine. Un gigantesque mouvement de grève s’étendait dans le pays : plusieurs centaines de milliers d’ouvriers se mettaient en grève sauvage dans différentes villes, faisant trembler la classe dominante en Pologne comme dans d’autres pays. La grève de masse en Pologne fut l’un des combats les plus importants mené par le prolétariat mondial à la fin du XXe siècle. De la même façon que c’est bien la révolution russe d’Octobre 1917 qui a obligé la bourgeoisie des deux camps belligérants à signer l’Armistice du 11 novembre 1918 et à mettre fin à la première boucherie mondiale, la grève de masse des ouvriers de Pologne a permis de lever la chape de plomb d’un des régimes les plus barbares et sanguinaires que l’humanité ait connu au siècle dernier : le stalinisme. Ces deux événements, qui ont marqué le début et la fin du XXe siècle, montrent que la classe ouvrière est bien la seule force de la société qui puisse changer le monde. À l’occasion de ce quarantième anniversaire nous faisons paraître dans ce journal un article publié en septembre 2000 dans Welt Revolution (organe de presse du CCI en Allemagne) rappelant le formidable combat mené par les ouvriers de Pologne en août 1980.
Suite à l’annonce de l’augmentation des prix de la viande, les ouvriers réagissent dans de nombreuses usines par des grèves spontanées. Le premier juillet, les ouvriers de Tczew près de Gdansk et à Ursus dans la banlieue de Varsovie se mettent en grève. A Ursus, des assemblées générales se tiennent, un comité de grève est élu et des revendications communes sont mises en avant. Durant les jours suivants, les grèves continuent à s’étendre : Varsovie, Lodz, Gdansk, etc. Le gouvernement tente d’empêcher une plus grande extension du mouvement en faisant de rapides concessions telles que des augmentations de salaires. Mi-juillet, les ouvriers de Lublin, un important carrefour ferroviaire, se mettent en grève. Lublin était située sur la ligne de train qui relie la Russie à l’Allemagne de l’Est. En 1980, c’était une ligne vitale pour le ravitaillement des troupes russes en Allemagne de l’Est. Les revendications des ouvriers sont les suivantes : pas de répression contre les ouvriers en grève, retrait de la police hors des usines, augmentation des salaires et élections libres de syndicats.
Les ouvriers avaient tiré les leçons des luttes de 1970 et de 1976. (1) Ils voyaient clairement que l’appareil syndical officiel était du côté de l’État stalinien et du côté du gouvernement chaque fois qu’ils avançaient des revendications. C’est pourquoi ils prennent directement l’initiative dans les grèves de masse de 1980. N’attendant aucune instruction venant d’en haut, ils marchaient ensemble, tenaient des assemblées afin de décider eux-mêmes du lieu et du moment de leurs luttes. C’est ce qu’on a vu le plus clairement à Gdansk, Gdynia et Sopot, c’est-à-dire la ceinture industrielle de la mer Baltique. Les seuls chantiers navals Lénine de Gdansk comptaient 20 000 ouvriers.
Des revendications communes étaient mises en avant dans des assemblées de masse. Un comité de grève fut formé. Au début, les revendications économiques étaient au premier plan. Les ouvriers étaient déterminés. Ils ne voulaient pas une répétition de l’écrasement sanglant de la lutte comme en 1970 et 1976. Dans un centre industriel tel que celui de Gdansk-Gdynia-Sopot, il était évident que tous les ouvriers devaient s’unir pour faire en sorte que le rapport de force soit en leur faveur. Un comité de grève inter-usines (MKS) fut constitué ; il était formé de 400 membres, de deux délégués par entreprise. Durant la seconde moitié d’août, quelque 800 à 1000 délégués se réunissaient. En formant un comité de grève inter-usines, l’habituelle dispersion des forces était dépassée. À présent, les ouvriers pouvaient faire face au capital de façon unie. Chaque jour des assemblées générales se tenaient aux chantiers navals Lénine. Des haut-parleurs avaient été installés pour permettre à tous de suivre les discussions des comités de grève et les négociations avec les représentants du gouvernement. Peu après, des micros furent installés en-dehors de la salle de réunion du MKS, afin que les ouvriers présents dans les assemblées générales puissent intervenir directement dans les discussions du MKS. Le soir, les délégués (la plupart pourvus de cassettes avec l’enregistrement des débats) rentraient sur leur lieu de travail et présentaient les discussions et la situation dans “leurs” assemblées générales d’usine, rendant leur mandat devant celles-ci.
Tels étaient les moyens grâce auxquels le plus grand nombre d’ouvriers ont pu participer à la lutte. Les délégués devaient rendre leur mandat, étaient révocables à tout moment, et les assemblées générales étaient toujours souveraines. Toutes ces pratiques étaient en opposition totale avec la pratique syndicale.
Pendant ce temps, après que les ouvriers de Gdansk-Gdynia-Sopot se soient unis, le mouvement s’étendit à d’autres villes. Pour saboter la communication entre les ouvriers, le gouvernement coupa les lignes téléphoniques le 16 août. Immédiatement, les ouvriers menacèrent d’étendre encore plus leur mouvement si le gouvernement ne les rétablissait pas sur le champ. Ce dernier fit marche arrière.
L’assemblée générale décida la mise sur pied d’une milice ouvrière. Alors que la consommation d’alcool était largement répandue, il fut décidé collectivement de la prohiber. Les ouvriers savaient qu’il leur fallait avoir la tête claire dans leur confrontation contre le gouvernement.
Une délégation gouvernementale rencontra les ouvriers afin de négocier. Cela se fit devant une assemblée générale entière et non pas derrière des portes closes. Les ouvriers exigèrent une nouvelle composition de la délégation gouvernementale parce que celle-ci était constituée de représentants d’un rang trop bas. Le gouvernement fit encore marche arrière.
Lorsque le gouvernement menaça de réprimer à Gdansk, les cheminots de Lublin déclarèrent : “Si les ouvriers de Gdansk sont physiquement attaqués et si un seul d’entre eux est touché, nous paralyserons la ligne de chemin de fer stratégiquement la plus importante entre la Russie et l’Allemagne de l’Est”. Le gouvernement saisit ce qui était en jeu : son économie de guerre entière. Ses troupes auraient été frappées à l’endroit le plus fragile et, du temps de la Guerre froide, cela lui aurait été fatal.
Dans presque toutes les principales villes, les ouvriers étaient mobilisés. Plus d’un demi-million d’entre eux comprenaient qu’ils constituaient la seule force décisive dans le pays capable de s’opposer au gouvernement. Ils sentaient ce qui leur donnait cette force :
– l’extension rapide du mouvement au lieu de son épuisement dans des affrontements violents comme en 1970 et 1976 ;
– leur auto-organisation, c’est-à-dire leur capacité à prendre l’initiative eux-mêmes au lieu de compter sur les syndicats ;
– la tenue d’assemblées générales dans lesquelles ils peuvent unir leurs forces, exercer un contrôle sur le mouvement, permettre la plus grande participation de masse possible et négocier avec le gouvernement devant tous.
En bref, l’extension du mouvement fut la meilleure arme de la solidarité ; les ouvriers ne se sont pas contentés de faire des déclarations, ils ont pris eux-mêmes l’initiative des luttes. C’est ce qui a rendu possible le développement d’un rapport de forces différent. Tant que les ouvriers luttaient de façon aussi massive et unie, le gouvernement ne pouvait mener aucune répression. Pendant les grèves de l’été, lorsque les ouvriers affrontaient le gouvernement de façon unie, pas un seul d’entre eux ne fut tué ou frappé. La bourgeoisie polonaise avait compris qu’elle ne pouvait pas se permettre une telle erreur mais qu’elle devrait affaiblir la classe ouvrière de l’intérieur.
En outre, les ouvriers de Gdansk, auxquels le gouvernement avait accordé des concessions, exigeaient que celles-ci soient également garanties aux ouvriers du reste du pays. Ils voulaient s’opposer à toute division et manifestaient ainsi leur solidarité aux autres ouvriers.
La classe ouvrière devenait le point de référence pour toute la population. Aux côtés d’autres ouvriers qui se rendaient à Gdansk afin d’établir un contact direct avec les ouvriers en grève, des paysans et des étudiants venaient aux portes de l’usine recevoir les bulletins de grève et diverses informations. La classe ouvrière était devenue le pôle de référence pour toute la population et a montré qu’elle constituait une menace pour la classe dominante.
Le danger que constituaient les luttes en Pologne pouvait être appréhendé à travers les réactions des pays voisins. Les frontières entre la Pologne et l’Allemagne de l’Est, la Tchécoslovaquie et l’Union soviétique furent immédiatement fermées. Alors qu’auparavant les ouvriers polonais se rendaient fréquemment en Allemagne de l’Est, surtout à Berlin, pour faire des achats parce qu’il y avait encore moins de marchandises dans les magasins polonais qu’en Allemagne de l’Est, la bourgeoisie cherchait à isoler la classe ouvrière. Un contact direct entre les ouvriers des différents pays devait être évité à tout prix. Et la bourgeoisie avait de bonnes raisons de prendre une telle mesure ! Parce que dans la région charbonnière voisine d’Ostrava en Tchécoslovaquie, les mineurs, suivant l’exemple polonais, s’étaient également mis en grève. Dans les régions minières roumaines, en Russie à Togliattigrad, les ouvriers suivaient le même chemin que leurs frères de classe en Pologne. Même si, dans les pays d’Europe de l’Ouest, il n’y avait pas eu de grèves en solidarité directe avec les luttes des ouvriers polonais, les ouvriers de nombreux pays reprenaient les mots d’ordre de leurs frères de classe de Pologne. À Turin, on entendit en septembre 1980 les ouvriers scander : “Gdansk nous montre le chemin”.
À cause de sa perspective et de ses méthodes de luttes, la grève de masse en Pologne avait un énorme impact sur les ouvriers des autres pays. À travers celle-ci, la classe ouvrière a montré, comme elle l’avait fait en 1953 en Allemagne de l’Est, en 1956 en Pologne et en Hongrie, en 1970 et en 1976 en Pologne à nouveau, que, dans les prétendus pays “socialistes”, l’exploitation capitaliste existe comme à l’Ouest et que leurs gouvernements sont des ennemis de la classe ouvrière. Malgré l’isolement imposé aux frontières polonaises, malgré le rideau de fer, la classe ouvrière de Pologne, tant qu’elle restait mobilisée, représentait un pôle de référence à l’échelle mondiale. Précisément à l’époque de la Guerre froide, pendant la guerre en Afghanistan, les combats des ouvriers de Pologne contenaient un important message : ils s’opposaient à la course aux armements et à l’économie de guerre par la lutte de classe. La question de l’unification des ouvriers entre l’Est et l’Ouest, même si elle n’était pas encore concrètement posée, resurgissait en tant que perspective.
Le mouvement a pu développer une telle force parce qu’il s’est étendu rapidement et parce que les ouvriers eux-mêmes ont pris l’initiative. L’extension au-delà du cadre de l’usine, les assemblées générales, la révocabilité des délégués, toutes ces mesures contribuèrent à leur force. Alors qu’au début il n’y avait pas d’influence syndicale, les membres des “syndicats libres” (2) s’appliquèrent à entraver la lutte.
Tandis qu’initialement les négociations étaient menées de façon ouverte, il fut prétendu, au bout d’un certain temps, que des “experts” étaient nécessaires afin de mettre au point les détails des négociations avec le gouvernement. De façon croissante, les ouvriers ne pouvaient plus suivre les négociations, encore moins y participer, les haut-parleurs qui transmettaient celles-ci ne fonctionnaient plus à cause de problèmes “techniques”. Lech Walesa, membre des “syndicats libres”, fut couronné leader du mouvement grâce à la mesure de renvoi dont l’avait frappé la direction des chantiers navals de Gdansk. Le nouvel ennemi de la classe ouvrière, le “syndicat libre”, avait travaillé à infiltrer le mouvement et commença son travail de sabotage. Ainsi, il s’attacha à distordre complètement les revendications ouvrières. Alors qu’initialement les revendications économiques et politiques se trouvaient en tête de liste, le “syndicat libre” et Walesa poussaient à présent à la reconnaissance de syndicats “indépendants”, mettant seulement au second plan les revendications économiques et politiques. Ils suivaient la vieille tactique “démocratique” : défense des syndicats au lieu des intérêts ouvriers.
La signature des accords de Gdansk le 31 août marque l’épuisement du mouvement (même si des grèves se poursuivent pendant quelques jours en d’autres endroits). Le premier point de ces accords autorise la création d’un syndicat “indépendant et autogéré” qui prendra le nom de Solidarnosc. Les quinze membres du présidium du MKS (comité de grève inter-entreprises) constituèrent la direction du nouveau syndicat.
Parce que les ouvriers avaient été clairs sur le fait que les syndicats officiels marchaient avec l’État, la plupart d’entre eux pensaient maintenant que le syndicat Solidarnosc nouvellement fondé, fort de dix millions d’ouvriers, n’était pas corrompu et défendrait leurs intérêts. Ils n’étaient pas passés par l’expérience des ouvriers à l’Ouest qui se sont confrontés pendant des décennies aux syndicats “libres”.
Alors que Walesa avait déjà promis en ce temps-là : “Nous voulons créer un second Japon et établir la prospérité pour tous” et que beaucoup d’ouvriers, à cause de leur inexpérience de la réalité du capitalisme à l’Ouest, pouvaient avoir d’aussi grandes illusions, Solidarnosc et Walesa à sa tête assumèrent le rôle de pompier du capitalisme pour éteindre la combativité ouvrière. Ces illusions au sein de la classe ouvrière en Pologne n’étaient rien d’autre que le poids et l’impact de l’idéologie démocratique sur cette partie du prolétariat mondial. Le poison démocratique déjà très puissant dans les pays occidentaux ne pouvait avoir qu’une force encore plus grande en Pologne après cinquante ans de stalinisme. C’est ce que la bourgeoisie polonaise et mondiale avait très bien compris. Ce sont ces illusions démocratiques qui furent le terreau sur lequel la bourgeoisie et son syndicat Solidarnosc ont pu mener sa politique anti-ouvrière et déchaîner la répression.
À l’automne 1980, alors que les ouvriers repartent en grève à nouveau pour protester contre les accords de Gdansk, après avoir constaté que même avec un syndicat “libre” à leurs côtés, leur situation matérielle avait empiré, Solidarnosc commence déjà à montrer son vrai visage. Juste après la fin des grèves de masse, Walesa va ici et là dans un hélicoptère de l’armée pour appeler les ouvriers à cesser leurs grèves de toute urgence. “Nous n’avons plus besoin d’autres grèves car elles poussent notre pays vers l’abîme, il faut se calmer”.
Depuis le début, Solidarnosc a commencé à saboter le mouvement. Chaque fois que possible, il s’empare de l’initiative des ouvriers, les empêchant de lancer de nouvelles grèves.
En décembre 1981, la bourgeoisie polonaise peut enfin déclencher la répression contre les ouvriers. Solidarnosc a fait de son mieux pour désarmer les ouvriers politiquement en préparant leur défaite. Alors que pendant l’été 1980, aucun ouvrier n’avait été frappé ou tué grâce à l’auto-organisation et à l’extension des luttes, et parce qu’il n’y avait pas de syndicats pour encadrer les ouvriers, en décembre 1981, plus de 1 200 ouvriers sont assassinés, des dizaines de milliers mis en prison ou conduits vers l’exil. Cette répression militaire est en outre organisée suivant une intense coordination entre la classe dominante de l’Est et de l’Ouest.
Après les grèves de 1980, la bourgeoisie occidentale a offert à Solidarnosc toutes sortes d’assistance, afin de le renforcer contre les ouvriers. Une campagne comme celle des “colis de médicaments pour la Pologne” était lancée et des crédits à bon marché dans le cadre du FMI sont mis sur pied afin d’éviter qu’il ne vienne à l’idée des ouvriers de l’Ouest de suivre l’exemple polonais, de prendre eux-mêmes leurs luttes en mains. Avant le déclenchement de la répression du 13 décembre 1981, les plans étaient directement coordonnés entre les chefs des gouvernements. Le 13 décembre, le jour même de la répression, le chancelier social-démocrate Helmut Schmidt et le leader de la RDA, le stalinien par excellence, Erich Honecker, se rencontrent près de Berlin prétendant ne “rien savoir des événements”. Mais en réalité, non seulement ils avaient donné leur aval à la répression mais la bourgeoisie polonaise avait pu bénéficier de l’expérience de ses consœurs occidentales en matière d’affrontement à la classe ouvrière.
Un an plus tard, en décembre 1981, Solidarnosc a montré quelle terrible défaite il a pu imposer aux ouvriers. Après la fin des grèves de 1980, avant même que l’hiver ne commence, Solidarnosc avait déjà prouvé quel fort pilier de l’État il était devenu. Et si, depuis, l’ex-leader de Solidarnosc Lech Walesa a été élu à la tête du gouvernement polonais, c’est justement parce qu’il avait déjà montré qu’il était un excellent défenseur des intérêts de l’État polonais dans ses fonctions de chef syndical.
Même si vingt ans se sont écoulés depuis, et bien que beaucoup d’ouvriers qui ont pris part au mouvement de grève à l’époque sont devenus chômeurs ou ont été forcés à l’émigration, leur expérience est d’une inestimable valeur pour toute la classe ouvrière. Comme le CCI l’a déjà écrit en 1980, “Sur tous ces points, les luttes en Pologne représentent un grand pas en avant dans la lutte du prolétariat à l’échelle mondiale, c’est pourquoi ces luttes sont les plus importantes depuis un demi-siècle”. (3) Elles furent le plus haut point d’une vague internationale de luttes. Comme nous l’affirmions dans notre rapport sur la lutte de classe en 1999 à notre 13e congrès : “Les événements historiques à ce niveau ont des conséquences à long terme. La grève de masse en Pologne a fourni la preuve définitive que la lutte de classe est la seule force qui peut contraindre la bourgeoisie à mettre de côté ses rivalités impérialistes. En particulier, elle a montré que le bloc russe (historiquement condamné par sa position de faiblesse à être “l’agresseur” dans toute guerre) était incapable de répondre à sa crise économique grandissante par une politique d’expansion militaire. De façon claire, les ouvriers des pays du bloc de l’Est (et de la Russie elle-même) ne pouvaient pas totalement servir de chair à canon dans une quelconque guerre future à la gloire du “socialisme”. Ainsi, la grève de masse en Pologne fut un puissant facteur dans l’implosion qui advint du bloc impérialiste russe”.
D’après Welt Revolution n° 101, organe du CCI en Allemagne
1 ) Durant l’hiver 1970-71, les ouvriers des chantiers navals de la Baltique étaient entrés en grève contre des hausses de prix des denrées de première nécessité. Dans un premier temps, le régime stalinien avait réagi par une répression féroce des manifestations faisant plusieurs centaines de morts, notamment à Gdansk. Les grèves n’avaient pas cessé pour autant. Finalement, le chef du parti, Gomulka, avait été limogé et remplacé par un personnage plus “sympathique”, Gierek. Ce dernier avait dû discuter pendant 8 heures avec les ouvriers des chantiers navals de Szczecin avant de les convaincre de reprendre le travail. Évidemment, il avait rapidement trahi les promesses qu’il leur avait faites à ce moment-là. Ainsi, en 1976, de nouvelles attaques économiques brutales avaient provoqué des grèves dans plusieurs villes, notamment à Radom et Ursus. La répression avait fait plusieurs dizaines de morts.
2 ) Il ne s’agissait pas à proprement parler d’un syndicat mais d’un petit groupe d’ouvriers qui, en lien avec le KOR (comité de défense des ouvriers) constitué par des intellectuels de l’opposition démocratique après les répression de 1976, militaient pour la légalisation d’un syndicalisme indépendant.
3 ) “Résolution sur la lutte de classe, 4e congrès du CCI”, Revue Internationale n° 26 (1980).
En écho à l’article publié ci-contre, voici un tract que le CCI avait diffusé au moment de la grève de masse en Pologne en 1980. Nous insistions alors sur la dimension internationale et unitaire que représentait le combat des ouvriers polonais. Leur lutte était en réalité la lutte de tout le prolétariat mondial.
En Pologne, comme en Occident, comme dans tous les pays, les ouvriers sont exploités. Comme tous les exploités, ils subissent dans leur chair la crise économique du capitalisme mondial. Comme tous les exploités, ils se battent. La force des ouvriers en Pologne, l’exemple de leurs luttes, est un formidable encouragement pour tous les travailleurs. Les exploiteurs le savent et le craignent. C’est pour cela qu’ils présentent la Pologne comme un “cas particulier”. Pour les défenseurs du capitalisme à l’occidentale, les ouvriers se seraient battus “pour une démocratie à l’occidentale”. Pour les défenseurs du capitalisme d’État à la russe, la lutte aurait pour but une “amélioration” du soi-disant “socialisme”. Pour tous, “en Pologne, c’est différent, ici, ce n’est pas pareil”. La vérité, c’est que : les ouvriers en Pologne se battent pour les mêmes intérêts que les ouvriers de tous les autres pays ; leur ennemi est le même que celui des prolétaires du monde entier : le capitalisme.
Les ouvriers polonais mènent une lutte de masse contre la bourgeoisie étatique. Cette bourgeoisie n’est pas moins capitaliste que celle des autres pays parce qu’elle a l’étiquette “membre du Parti communiste” au lieu de l’étiquette “privé”, parce que là-bas les ouvriers font la queue devant les boucheries et ici devant les bureaux de chômage. Les ouvriers qui se battent en Pologne font partie de la même classe ouvrière internationale qui s’est battue en France en 68, en Italie en 69, en Pologne en 70 et en 76, aux USA dans les mines en 78, à Longwy et Denain en France en 79, dans la sidérurgie anglaise en 80, dans la métallurgie brésilienne en 79 et 80, et dans tant d’autres pays ! C’est contre une même crise du capitalisme qui touche tous les pays que cette classe ouvrière engage le combat. Et cette crise, parce qu’elle n’a pas d’issue, condamnera la société à une 3e guerre mondiale si les bourgeois ont les mains libres. Pendant tout le temps qu’a duré la lutte, les ouvriers de Pologne ont fait la démonstration que l’acceptation passive de l’exploitation, l’impuissance face à la répression, le sentiment de désespoir face à une vie d’abrutissement, la peur du lendemain, la hantise de la guerre, ne sont pas des fatalités.
La classe ouvrière, quand elle lutte, quand elle est unie, quand elle agit de façon massive sur son terrain, est une force immense qui peut faire reculer le capitalisme.
Tant que les ouvriers ont imposé un rapport de forces en leur faveur, ni la bourgeoisie polonaise, ni la bourgeoisie russe, n’ont osé déchaîner la répression. Quel que soit le développement de la situation, les ouvriers de Pologne ont fait un pas immense pour rendre à leurs camarades du monde entier la fierté d’appartenir à une classe qui produit l’essentiel des richesses de la société, qui demain pourra édifier un nouveau monde libéré de l’oppression et de l’exploitation.
Pourquoi cette force de la classe ouvrière en Pologne ? Parce que les ouvriers se sont donnés deux armes essentielles : la généralisation de la lutte et l’auto-organisation.
En Pologne, les ouvriers ont su dépasser l’éparpillement du début de la lutte. Ils sont devenus une menace réelle pour l’État quand ils ont unifié et centralisé leur combat, quand ils ont étendu jour après jour ce combat vers de nouvelles usines, vers de nouvelles villes, par delà les catégories, les secteurs, l’éloignement géographique, contre les multiples tentatives de la bourgeoisie de les isoler les uns des autres, de négocier usine par usine. Et c’est lorsque le mouvement a commencé à s’étendre à l’ensemble du pays, notamment aux mines de Silésie, où l’État a cédé sur les principales revendications. En Pologne, les ouvriers ont montré à leurs frères de classe qu’aujourd’hui, seule une solidarité sans failles peut faire reculer la bourgeoisie. Et cette solidarité, c’est avant tout, l’extension, la généralisation, l’unité de la lutte. Pourquoi la lutte a-t-elle acquis ce dynamisme dans l’extension, cette extension qui fait défaut a tant de luttes ouvrières ? Parce que les ouvriers ont pris leur lutte dans leurs propres mains, qu’ils en ont fait leur affaire, et non celle de spécialistes de la revendication et de la négociation. Parce qu’ils n’ont pas confié à des bureaucrates le soin de les “représenter”, de “défendre leurs intérêts”, mais se sont dotés d’une organisation formée par eux dans et pour la lutte, avec des délégués élus, contrôlés et révocables à tout moment par les assemblées générales. Parce qu’ils n’ont pas laissé ces délégués négocier dans leur dos avec les exploiteurs, mais se sont organisés pour diffuser à l’extérieur, suivre et contrôler ces négociations. “Nous n’avons confiance qu’en nous-mêmes !” tel était l’état d’esprit des ouvriers au plus fort de la lutte, C’est à ce moment qu’ils ont montré que, spontanément et en quelques jours, ils étaient capables d’initiative et d’organisation, avec une efficacité que seules possèdent les classes porteuses d’un avenir historique. La force du mouvement, son extension et son auto-organisation ; cet exemple donné aux ouvriers des autres pays est la vraie victoire de la classe ouvrière mondiale en Pologne. Que les ouvriers aient agité des drapeaux polonais et chanté l’hymne national, n’est pas une victoire, mais une faiblesse de leur lutte. Le drapeau national est celui des exploiteurs et des généraux, le torchon pour lequel on se massacre dans les guerres impérialistes. Seuls les possédants ont une patrie, les prolétaires n’ont pas de patrie. Que l’Église ait la “liberté d’expression” n’est pas une victoire pour les ouvriers ; elle n’en use que pour réclamer la fin de la grève, l’ordre, la résignation. Que l’État promette d’octroyer des “droits démocratiques” n’est pas non plus une victoire pour les ouvriers. À l’Ouest où ces prétendus “droits” existent, la misère et l’exploitation ont-elles disparu pour autant ? Non. Des “syndicats indépendants” ? À l’Ouest, les ouvriers les connaissent. Nos intérêts ne sont pas servis par ces organes bureaucratiques ; au contraire, chaque fois que la lutte se durcit, ce qui se développe, c’est une tendance au débordement des syndicats, la nécessité de s’organiser indépendamment de toute institution officielle qui prétend “représenter” les ouvriers. Si la bourgeoisie de l’Est laisse aboutir les tentatives actuelles d’institutionnaliser les comités ouvriers surgis dans la grève en Pologne en de nouveaux syndicats, c’est en le vidant de leur contenu ouvrier. Aujourd’hui, on transforme déjà certains délégués en “permanents” mieux payés que leurs camarades et coupés d’eux. Dans un capitalisme mondial en crise, il ne peut exister d’acquis réel d’une lutte que si la classe ouvrière reste mobilisée, unie, vigilante. Prolétaires du monde entier, en Pologne, la classe ouvrière mondiale a fait un pas énorme sur le long et difficile chemin de son émancipation. Mais ce pas ne prendra sa dimension réelle que si partout les ouvriers tirent les enseignements de l’expérience de leurs camarades en Pologne :
– la nécessité et la possibilité de lutter
– le besoin de généraliser le combat
– l’auto-organisation des luttes
Partout, les ouvriers doivent redonner vie aux vieux mots d’ordre du mouvement ouvrier : l’émancipation des travailleurs sera l’œuvre des travailleurs eux-mêmes !
Prolétaires de tous les pays, unissez-vous !
CCI, 6 septembre 1980
Links
[1] https://fr.internationalism.org/files/fr/ri_483_bat_0.pdf
[2] https://fr.internationalism.org/en/tag/5/50/etats-unis
[3] https://fr.internationalism.org/en/tag/heritage-gauche-communiste/luttes-parcellaires
[4] https://fr.internationalism.org/en/tag/recent-et-cours/coronavirus
[5] https://fr.internationalism.org/en/tag/recent-et-cours/covid-19
[6] https://www.liberation.fr/checknews/2020/04/26/l-etude-de-la-surmortalite-donne-t-elle-les-vrais-chiffres-du-covid-19-au-dela-des-bilans-officiels_1786454
[7] https://www.lemonde.fr/les-decodeurs/article/2020/05/14/non-le-covid-19-n-est-pas-seulement-au-17e-rang-mondial-en-nombre-de-morts_6039679_4355770.html
[8] https://www.liberation.fr/checknews/2020/05/22/covid-19-l-etude-des-chiffres-de-la-surmortalite-en-allemagne-confirme-t-elle-le-bilan-officiel_1789108
[9] https://www.lemonde.fr/societe/article/2020/05/17/coronavirus-une-surmortalite-tres-elevee-en-seine-saint-denis_6039910_3224.html
[10] https://www.nouvelobs.com/coronavirus-de-wuhan/20200521.OBS29165/coronavirus-l-europe-doit-s-attendre-a-une-deuxieme-vague-selon-ecdc.html
[11] https://www.liberation.fr/checknews/2020/05/15/que-sait-on-de-cette-photo-d-enfants-assis-dans-des-carres-dessines-a-la-craie-lors-d-une-recreation_1788236
[12] https://www.nouvelobs.com/coronavirus-de-wuhan/20200512.OBS28723/une-fiche-invitant-a-signaler-les-propos-inacceptables-des-eleves-sur-le-covid-agace-les-profs.html
[13] https://fr.internationalism.org/rinte76/mensonge.htm
[14] https://fr.internationalism.org/en/tag/situations-territoriales/situation-sociale-france
[15] https://fr.internationalism.org/en/tag/situations-territoriales/lutte-classe-france
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[17] https://fr.internationalism.org/en/tag/recent-et-cours/pologne-1980