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Cinquante ans après les mobilisations ouvrières dans la ville de Cordoba en Argentine, nous revenons sur ces événements pour contribuer à une réflexion sur leur signification réelle, car ce sont ces mêmes cinquante années que l’appareil de gauche du capital a mis à profit pour inventer des versions mensongères de ces événements afin d’empêcher la classe ouvrière de tirer les leçons de l’expérience laissée par ces journées de lutte. Le fait que les travailleurs soient descendus dans la rue pour clamer leur rejet de la bourgeoisie argentine qui était alors gouvernée par une dictature militaire, a été utilisé pour affirmer qu’ils étaient à la recherche d’une voie démocratique pour le pays. D’autres versions, défendues par des organisations bourgeoises, comme le péronisme, dénaturent la protestation ouvrière, la présentent comme quelque chose qui les “auraient sensibilisés” et leur aurait fait changer d’attitude à l’égard du prolétariat, les amenant à intégrer des revendications “de classe” dans leur programme. Bon nombre de ces falsifications se réfèrent à ces événements pour chercher à effacer les actions spontanées et combatives que les travailleurs ont menées, dépassant le contrôle syndical, pour les transformer en “détonateur” des expressions syndicales radicales et même des activités terroristes et de guérilla des années 1970.
Le Cordobazo, tout comme Mai 1968, [1] ont marqué la fin de la période de plus de quarante ans de contre-révolution qui s’était installée après la vague révolutionnaire de 1917 à 1923. Pour expliquer ce processus, nous nous arrêterons un peu sur l’évolution historique qui donne un cadre aux mobilisations ouvrières d’il y a un demi-siècle.
L’avancée de la crise économique dans le monde et la fin de la période de contre-révolution
Contrairement à la réponse révolutionnaire que la classe ouvrière a apportée lors de la Première Guerre mondiale (qui avait contraint la bourgeoisie à mettre fin à ce carnage), le prolétariat s’est avéré incapable de s’opposer aux actions belliqueuses du capital dans la mesure où non seulement il avait été physiquement écrasé par le stalinisme et le fascisme, mais aussi laminé par l’idéologie bourgeoise qui a su le piéger et le soumettre derrière la bannière de l’antifascisme et de la défense de la démocratie.
Il est nécessaire d’expliquer que la période entre 1917 et 1923 représentait l’apogée d’une immense vague révolutionnaire mondiale, principalement marquée par la révolution en Russie et en Allemagne, vague qui était encore perceptible en 1927 avec les insurrections de la classe ouvrière de Shanghai et Canton en Chine. La série de défaites subies par la classe ouvrière au cours de cette période a ouvert les portes à la Seconde Guerre mondiale et à l’établissement d’une terrible et profonde période contre-révolutionnaire, qui a duré jusqu’en 1968.
La victoire de la contre-révolution a empêché la classe ouvrière de répondre de manière massive et organisée aux coups de la crise de 1929. Au contraire, elle s’est traduite par un affaiblissement et une démoralisation grandissante du prolétariat. La confusion et la perte de confiance dans ses forces se sont approfondies avec la préparation de la guerre par les puissances impérialistes, parce que ces préparatifs impliquaient non seulement la militarisation de l’économie, mais aussi la mise en œuvre de vastes campagnes idéologiques dans lesquelles la classe dominante a pu présenter l’État capitaliste comme une entité “bienfaisante” et la défense de la patrie comme le grand idéal. C’est ainsi que ces campagnes sont parvenues à enrôler le prolétariat derrière les drapeaux de la bourgeoisie et à le jeter à nouveau dans une féroce nouvelle boucherie mondiale.
À la fin de la Seconde Guerre mondiale, il y a eu une croissance relative de l’économie mondiale et s’est ouverte la période de la Guerre froide entre les blocs impérialistes de la Russie et des États-Unis. Ce qui a donné à la bourgeoisie l’occasion de poursuivre et d’approfondir sa campagne idéologique, ajoutant cette fois à son discours l’affirmation que le capitalisme était le seul système économique solide capable de procurer des avantages pour tous à travers une politique d’extension du “bien-être social” en faveur de laquelle elle invoquait aussi la nécessité de se mobiliser autour de “l’unité nationale”. Dans de telles circonstances, des sociologues et des intellectuels de gauche comme de droite ont proclamé “que les ouvriers s’étaient intégrés à la société de consommation”, ce qui signifiait que le capitalisme aurait trouvé la formule pour se perpétuer et pour annihiler politiquement la classe ouvrière.
Mais la crise économique que les théoriciens de la bourgeoisie prétendaient avoir bannie, est réapparu vers la fin des années soixante, la bourgeoisie avait donc besoin d’augmenter les taux d’exploitation et d’attaquer davantage les conditions de vie des travailleurs. C’est pourquoi les divers problèmes économiques qui sont apparus à travers la planète ont clairement montré que le capitalisme ne pouvait pas échapper à la crise. Mais, en même temps, à mesure que cette crise s’est étendue et s’est approfondie, elle a servi d’aiguillon à la lutte de la classe ouvrière, lui permettant ainsi de retrouver son identité de classe et de rétablir la confiance dans ses propres forces. Les grèves massives de Mai 1968 en France ont ainsi marqué la fin de la période de contre-révolution et le début d’une nouvelle vague de mobilisations ouvrières.
Parmi les expressions ouvrières les plus significatives qui composent cette vague de luttes, il y a eu l’automne chaud italien de 1969 [2] mais aussi, cette même année, les mobilisations des travailleurs en Israël et évidemment le soulèvement de Cordoba en Argentine. Ces expressions de combativité se sont ensuite poursuivies en Pologne en 1970, en Espagne, en Égypte et en Grande-Bretagne en 1972…
Puis, au milieu des années 1970, les mobilisations se sont poursuivies et n’ont cessé d’être présentes jusqu’à la fin des années 1980. Parmi les mobilisations ouvrières les plus importantes de cette période figurent la grève massive en Pologne (1980) [3] et la grève des mineurs en Grande-Bretagne (1984-85). [4]
Toutes ces manifestations ont démontré une renaissance de la combativité de la classe ouvrière ; le surgissement d’assemblées générales et de comités de grève apparaît comme une reprise de l’expérience des conseils ouvriers… Mais tandis que la conscience et la combativité des ouvriers se rétablissaient, la bourgeoisie poursuivait son attaque contre les ouvriers, à travers les mensonges et les manœuvres de son appareil de gauche et de ses syndicats (tant à travers les syndicats officiels qu’à travers les prétendus “syndicats indépendants”).
Les grèves en Pologne et en Grande-Bretagne illustrent précisément comment la bourgeoisie a affronté les prolétaires. Elle a sans aucun doute pu compter sur la force de ses appareils de répression, mais surtout sur le sabotage de la lutte à travers ses partis et ses syndicats : en Grande-Bretagne, le Syndicat national des mineurs a eu une intervention active pour faire durer et isoler la grève et en Pologne, pour reprendre le contrôle de la lutte face aux assemblées générales souveraines et aux comités de grève des ouvriers, a été promue la formation du syndicat Solidarność.
De cette façon, le Cordobazo ne peut pas être considéré comme une expression isolée qui ne répond qu’aux “affaires argentines”, il fait partie d’une réponse internationale du prolétariat. Au contraire, c’est une lutte qui a réussi à développer une grande combativité malgré la présence à la fois du sabotage syndical et de la répression féroce de l’État.
Ainsi, la réapparition de la crise économique à la fin des années soixante a non seulement rompu la mystification de la croissance perpétuelle du capitalisme, mais aussi en poussant les prolétaires du monde à développer ses luttes, a mis un terme à la période de contre-révolution.
Les syndicats contre la classe ouvrière argentine
Le processus d’industrialisation de l’Argentine s’est distingué par un rythme plus actif que celui des autres pays d’Amérique latine, puisqu’il s’est formé et s’est étendu dès les dernières décennies du XIXe siècle, ce qui explique que la classe ouvrière ait également étendu sa présence sur la scène sociale. Le développement de l’accumulation du capital exigeait une main-d’œuvre largement couverte par l’afflux de travailleurs migrants d’Europe. Cela a permis à la bourgeoisie d’avoir une main d’œuvre qualifiée. Par ailleurs, cette masse de travailleurs exploités, en s’intégrant dans la vie sociale argentine, a transmis son expérience politique antérieure, aidant par certains aspects, à l’orientation et au développement de la combativité des travailleurs. [5]
Au XXe siècle, cette dynamique du capital s’est maintenue et s’est même accélérée dans les moments historiques “décisifs”, comme lors de la Première et de la Seconde Guerre mondiale. C’est au cours de ces périodes que l’industrie s’est développée dans toute l’Argentine, certaines villes devenant de grands pôles industriels avec une forte concentration de travailleurs. [6]
Mais ce processus dynamique d’accumulation s’est heurté aux limites de sa propre croissance. Si nous remontons à 1929, lorsque la crise économique a éclaté et s’est répandue dans le monde entier, nous constatons que l’économie argentine a également été affectée et dominée par la crise, mais ses effets et ses conséquences se sont amplifiés à cause du manque d’unité politique au sein de la classe dominante. C’est pourquoi certains secteurs de la bourgeoisie ont poussé à des coups d’État militaires successifs pour renforcer l’unité et le contrôle social qui leurs permettraient de résister dans ces moments critiques.
Ainsi, c’est à travers un coup d’État, qu’un gouvernement militaire s’est imposé sous la direction de José Uriburu (en septembre 1930) qui s’est donné pour tâche d’établir une politique de répression féroce contre les mobilisations ouvrières qui tentaient de répondre à la dégradation de leurs conditions de vie. Il ne suffisait pas que le nouveau gouvernement applique des mesures qui attaquaient davantage les salaires pour faciliter l’apport de nouvelles ressources fiscales et octroyer de nouveaux crédits pour la protection du capital national, il devait imposer sa force et son pouvoir par la persécution et la répression… mais pour éviter la riposte des travailleurs, il fallait aussi renforcer la structure des syndicats.
Ainsi, dans le contexte de l’expansion de la crise capitaliste de 1929 et de l’avancée de la contre-révolution dans le monde, la bourgeoisie argentine a cherché à renforcer son appareil politique syndical en se dotant politiquement d’un “grand” appareil centralisé afin d’assurer son contrôle sur les travailleurs. Ce projet s’est concrétisé le 27 septembre 1930 par la formation de la Confédération générale des travailleurs (CGT). C’est précisément la tâche que cette centrale syndicale va accomplir :
– faire campagne au sein de la classe ouvrière en faveur du gouvernement militaire afin de lui donner une certaine crédibilité ;
– contrôler le mécontentement prolétarien face aux mesures d’austérité imposées par l’État, ainsi que faire baisser le coût de la main-d’œuvre.
C’est pourquoi, dès son origine et dans son action quotidienne, la CGT se montrera comme une structure bourgeoise opposée aux travailleurs. Pour les convaincre, elle utilise un langage radical, mais elle accomplit en même temps son travail de sabotage contre le prolétariat. C’est la dynamique d’industrialisation qui a rendu la présence de la CGT plus importante pour le capital ; il n’est pas surprenant que ce soit au milieu des années 1940, avec le gouvernement Perón (qui avait pour mission de piloter cette phase d’industrialisation alors que le pays était auparavant dépendant de ses importations) que la CGT s’est alors renforcée et est devenue l’épine dorsale des politiques gouvernementales et le principal vecteur de l’idéologie péroniste, [7] qui étaient l’expression même de la domination du capital. De telle sorte que la présence d’une classe ouvrière en pleine expansion a conditionné la nécessité pour l’État bourgeois de renforcer son bras armé syndical, en créant quand il en avait besoin, autour de la CGT, des structures “alternatives”, avec des discours plus “radicaux” à travers lesquelles il a pu instaurer un partage des tâches afin de renforcer le contrôle de l’État sur les travailleurs.
En 1966, en tant que produit d’une nouvelle fracture interne de la bourgeoisie, mais surtout en réponse à la “doctrine de sécurité nationale” promue par les États-Unis, dans le cadre de la “guerre froide”, les forces militaires opèrent à nouveau un coup d’État. Profitant du discrédit des partis, des députés et des autres personnalités du pouvoir, l’armée se présente à nouveau comme une alternative dans la défense des “valeurs nationales” et de la sécurité, c’est pourquoi elle baptise ce projet “révolution argentine”, réalisant en peu de temps l’unification de la bourgeoisie et la petite bourgeoisie.
La CGT apporte ouvertement son soutien [8] au gouvernement militaire d’Onganía, réaffirmant que ses intérêts sont du côté de la bourgeoisie et que sa tâche est de soumettre les travailleurs. La cohésion que la bourgeoisie a essayé d’assurer avec la soi-disant “révolution argentine” s’est fragilisée à mesure que la crise économique avançait. Dans ces conditions, l’État développe encore davantage sa politique “anti-récession”, ce qui implique des attaques croissantes contre les travailleurs, rendant ainsi les services de la CGT encore plus nécessaires.
La défense éhontée du gouvernement militaire a usé le syndicat et l’a rendu beaucoup moins crédible aux yeux des travailleurs. C’est pourquoi la bourgeoisie elle-même a poussé à la création d’une structure syndicale “alternative” ; la CGT des Argentins (CGT-A) fut fondée en 1968. Ainsi, tandis que la CGT officielle (dirigée par Augusto Vandor), avec un discours modéré tentait de calmer le mécontentement social général, la CGT-A (dirigée par Raimundo Ongaro), gagnait une influence croissante parmi les secteurs prolétariens qui cherchaient à échapper à la domination du syndicat officiel.
Les documents politiques de la CGT-A contenait des déclarations rédigées dans un langage “radical”, ce qui permettait de masquer ses actions orientées vers la défense du capital ; par exemple, elle présentait les intérêts de la classe ouvrière comme unis à ceux de la bourgeoisie, justifiant ainsi son appel à la défense du capital national : “L’écrasement de la classe ouvrière a été accompagné par la liquidation des entreprises nationales, la reddition de toutes ressources, la soumission aux organisations financières internationales”. Dans les paragraphes qui suivent, elle complétait sa position : “Les secteurs fondamentaux de l’économie appartiennent à la Nation. Le commerce extérieur, les banques, le pétrole, l’électricité, le fer et l’acier et les réfrigérateurs doivent être nationalisés”. (Message de la CGT-A du 1er mai 1968 aux travailleurs et au peuple, pour définir son “programme”).
Il n’est pas du tout surprenant que le “caudillo” Perón, alors exilé, ait reconnu l’importance politique de la CGT-A et l’ait poussée à affronter la CGT de Vandor. Ce n’est pas seulement parce que Vandor avait mis en cause la direction du “parti justicialiste” de Perón, postulant la création d’un “péronisme sans Perón”, mais aussi parce que sa phraséologie radicale constituait un meilleur camouflage pour impliquer les travailleurs dans la défense du capitalisme.
Syndicats officiels, “indépendants” ou “radicaux”, mêmes ennemis de la classe ouvrière
Dans la formation de cette CGT “combative” (comme la CGT-A se désignait elle-même), collaboraient des personnages issus du milieu intellectuel radicalisé d’origine petite bourgeoise et même des prêtres catholiques du “Mouvement des prêtres pour le Tiers Monde”. Un grand nombre d’ouvriers s’y était engagé sincèrement (mais avec beaucoup de confusion), ce qui ne changeait en rien le caractère bourgeois de cette structure ; les syndicats sont précisément des armes indispensables pour la bourgeoisie parce que c’est à travers eux qu’elle peut pénétrer dans les rangs des ouvriers, tout en arborant un visage combatif pour cacher sa nature, celle d’un rouage de plus dans la machine étatique bourgeoise.
L’accession au pouvoir du gouvernement militaire d’Onganía était présentée comme une réponse politique de la bourgeoisie à la fois face à la rupture de son unité et face à la montée de la crise économique. C’est pour cela que le gouvernement concentrait ses efforts sur l’amélioration des mécanismes d’exploitation et de soumission des travailleurs, conduisant à une plus forte dégradation de leur niveau de vie, à une surveillance policière encore plus stricte de la vie sociale et à une répression féroce des manifestations des travailleurs (et des étudiants). La répression devint une constante du régime et progressa, prenant des dimensions plus importantes se traduisant à chaque occasion par un nombre croissant d’emprisonnés, de blessés et de morts.
Mais la terreur de l’État n’a pas réussi à intimider et à paralyser les travailleurs ; au contraire, elle a nourri leur courage et leur combativité, bien que cette atmosphère de lutte ait également été mise à profit par les partis maoïstes, staliniens, trotskystes et péronistes, pour recruter bon nombre d’étudiants et de jeunes travailleurs. Ainsi, malgré la pratique répressive de l’État, l’action syndicale, l’action de la gauche et des gauchistes, certains secteurs du prolétariat argentin ont pu développer une discussion et une réflexion sur le sens des mesures économiques et les politiques appliquées par le gouvernement, mais aussi sur la possibilité et la nécessité de la révolution. [9]
À la fin des années 1960, l’Argentine avait des villes très industrialisées (comme Buenos Aires, Rosario et Cordoba), dans lesquelles se concentraient de larges masses de travailleurs, faisant preuve d’une grande combativité dans leurs mobilisations. C’est précisément cette combativité ouvrière qui a commencé à prévaloir en 1966 et qui apparaît comme une caractéristique dominante des luttes en réponse aux attaques de la bourgeoisie et de son État.
C’est surtout au cours de l’année 1969 que cela s’est manifesté quand les attaques ont pris une tournure plus féroce et où toute manifestation de rue était brutalement réprimée. Par exemple, dans les provinces de Corrientes et de Rosario, les mobilisations étudiantes qui protestaient contre l’augmentation des prix de la cantine universitaire se sont terminées, dans les deux cas, par des attaques policières, laissant sur le carreau des étudiants assassinés et blessés. Ces événements ont suscité la consternation parmi les travailleurs, mais en même temps, ils sont devenus des éléments qui ont servi de catalyseurs aux attitudes courageuses et aux expressions de solidarité.
À Cordoba, en mai 1969, le mécontentement des travailleurs s’était accru en réponse aux mesures économiques violentes et aux actes répressifs : début mai, les transporteurs se sont mis en grève pour de meilleurs salaires. Dans les usines automobiles, depuis 1968, les travailleurs étaient licenciés et l’intensité des cadences augmentait, mais en 1969, les patrons annonçaient que, pour les travailleurs des secteurs de la métallurgie et de l’automobile, le “repos du samedi après-midi ” serait supprimé, ce qui impliquait l’extension de la journée de travail du samedi (4 heures supplémentaires non payées). Cette mesure s’est accompagnée de la réduction directe du salaire (due à l’effet des “quitas zonales”). [10] Dans les autres entreprises, le gel des salaires, appliqué depuis 1967 était maintenu…
Le 14 mai, les métallurgistes étaient attaqués par la police alors qu’ils tenaient une assemblée générale déclenchant de violents combats de rue, démontrant et confirmant le courage et la combativité des ouvriers. Les syndicats ne cachaient pas leur inquiétude face à cette combativité croissante qui menaçait de déborder leur contrôle, c’est pourquoi les deux CGT cherchaient dès lors à travailler ensemble.
Malgré le contrôle syndical, la combativité des travailleurs demeure
Afin d’éviter que le mécontentement croissant des travailleurs n’échappe au contrôle syndical, la CGT-A, de concert avec la CGT de Vandor, appelèrent à un arrêt de travail national de 24 heures pour le 30 mai. Les syndicats cordouans [11], pour leur part, dans une sorte de compétition avec les structures bureaucratiques de la CGT et même de la CGT-A (à laquelle la plupart des syndicats de Cordoba étaient rattachés), proposèrent de commencer la grève le 29 mai à 11 heures et de la terminer 37 heures plus tard, cherchant ainsi à gagner en prestige parmi les travailleurs et en même temps à montrer à la direction des deux centrales leur pouvoir local afin de renforcer leur présence et de monter en grade dans la hiérarchie syndicale.
L’appel à la mobilisation était contrôlé par le syndicat. Même l’arrestation du péroniste Raimundo Ongaro deux jours avant la grève a alimenté le mécontentement dont les syndicats ont pu profiter.
Ainsi, la structure syndicale couvrait différents flancs pour assurer leur contrôle sur la combativité des travailleurs. Elle associe la “radicalité” de la CGT-A à l’attitude “mesurée et légaliste” de la CGT, mais aussi les syndicats qui étaient restés en dehors de l’appel des deux centrales CGT (comme ce fut le cas par exemple pour ceux de la Fiat) ont également pu jouer leur rôle.
Alors que certains syndicats tentaient d’empêcher les travailleurs de participer à la grève, les syndicats locaux dans différentes industries appelaient à la mobilisation, essayant comme toujours de limiter ces mobilisations à de simples processions, occupant les rues mais de manière dispersée, maintenant d’ailleurs (sous la supervision même des syndicats) une division syndicale reproduisant la division du travail dans la production capitaliste. Cependant, en cette occasion, ils ne purent pas contenir l’expression de colère prolétarienne sur son propre terrain de classe.
29 mai 1969 : la rébellion ouvrière à Cordoba
La proposition qui s’était dégagée de la réunion syndicale était que dès le matin du 29 mai, les différents contingents de travailleurs et d’étudiants quitteraient les portes des différentes usines pour avancer, formant des contingents dispersés, jusqu’à leur arrivée devant les locaux de la CGT (situés avenue Vélez Sarsfield).
Le premier aspect frappant fut la réponse massive des travailleurs ; non seulement les ouvriers des usines et des grandes fabriques se sont mobilisés, mais aussi travailleurs des petits ateliers qui rejoignirent spontanément la manifestation et même de nombreux travailleurs de Fiat, dans l’usine où le syndicat s’était ouvertement opposé à la grève. Les étudiants ont également quitté leur université et se sont massivement intégrés à la manifestation en soutien aux travailleurs, de sorte que pratiquement l’activité de toute la ville était arrêtée.
Dès les premières heures du 29 mai, la police avait encerclé l’avenue Velez Sarsfield pour empêcher l’arrivée de groupes de travailleurs, dans les diverses rues adjacentes et les quartiers près des zones industrielles, le gouvernement déployait ses escadrons de gendarmerie et de cavalerie, qui ont commencé très tôt leur travaille d’intimidation, essayant d’empêcher la progression des colonnes de travailleurs. Mais c’est dans les rues du centre de la ville que les combats les plus acharnés eurent lieu.
Quand la police vit la manifestation s’approcher du point de ralliement, elle attaqua d’abord avec des gaz lacrymogènes, puis elle lança ses escouades de la police montée. Avec ces assauts, elle réussit à disperser quelques groupes de manifestants, mais bientôt les manifestants se regroupèrent à nouveau, réagissant avec beaucoup de courage face à cette agression. Des bâtons et des pierres ont été utilisés par les manifestants contre les forces de répression. La massivité de la manifestation réussit à repousser l’agression, mais les policiers, incapables d’imposer l’ordre, tirèrent profit de leur armement, de sorte qu’ils n’utilisèrent plus seulement leurs “armes dissuasives”, mais leurs fusils et pistolets pour tirer contre les masses, blessant plusieurs ouvriers et assassinant Máximo Mena, [12] un jeune travailleur de IKA-Renault.
La mort de leur camarade, au lieu de provoquer la panique, encouragea la solidarité des ouvriers et leur détermination. Les travailleurs construisirent spontanément des barricades et organisèrent des assemblées générales dans les rues et à l’intérieur des barricades elles-mêmes, auxquelles participaient les travailleurs sans distinction de l’usine dans laquelle ils travaillaient, en intégrant également les étudiants et les habitants des quartiers eux-mêmes, dans un grand élan unitaire où s’exprimait une forte solidarité. Selon le témoignage d’un ouvrier qui a participé à ces batailles : “La réaction des gens a été remarquable, ils sont sortis pour nous donner du matériel (pour allumer les feux qui aident à diminuer l’effet des gaz lacrymogènes), les femmes, y compris les femmes âgées, nous ont donné des allumettes, des bouteilles pour nous défendre, et même des bâtons”. [13]
L’appareil d’encadrement syndical, malgré tous les efforts déployés pour faire cesser les affrontements, n’a pas réussi son coup et a regardé avec horreur la manifestation qu’il espérait contrôler se transformer en rébellion ouvrière massive.
Certains “chefs syndicaux” ont avoué leur impuissance face à la force ouvrière qui s’élevait de façon autonome comme ce fut le cas d’Agustín Tosco, du syndicat d’entreprise Luz y Fuerza, qui déclarait aux journalistes de la revue Siete Días : “Le peuple est sorti pour les siens, maintenant personne ne le dirige” et toute son amertume ressortait lorsqu’il a ajouté : “Tout est devenu incontrôlable !” [14] La structure syndicale de l’UOM (dirigée par le péroniste “modéré” Atilio López), s’était aussi rendu compte que les travailleurs s’étaient libérés de leur contrôle. Ses dirigeants ont donc pris la fuite et ses membres se sont “séparés”, chacun essayant d’obtenir le pardon de l’État et de sauver sa propre peau…
Après quelques heures de combats acharnés dans les rues de Cordoba, les exploités parvinrent à faire reculer et même obtinrent le retrait d’une grande partie des forces répressives qui se retranchèrent dans leurs casernes. Ceux qui restaient sur le terrain poursuivaient le combat dans des quartiers plus excentrés, mais sans pouvoir franchir les barricades. Par désespoir et esprit de revanche, la police s’attaqua à la population qui ne s’était pas associée à la manifestation, mais qui avait eu le malheur de croiser son chemin.
Dans le quartier de Clínicas, des groupes composés principalement d’étudiants furent placés sur les toits des maisons d’où ils tiraient des coups de feu dissuasifs pour empêcher l’avancée de la police. Tard dans la nuit, les ouvriers coupaient les lumières, créant une obscurité qui gênait la circulation de la police et de l’armée qui étaient arrivées dans la ville dans l’après-midi et préparaient l’assaut.
Les escadrons militaires entreprirent la lente progression à travers la ville jusqu’au petit matin du 30 mai comme ils trouvaient encore des barricades dans lesquelles les prolétaires tentaient de se défendre. Mais la soldatesque finit par s’imposer et par prendre la ville militairement, ce qui lui permit d’établir le “couvre-feu” et de procéder à la détention massive des ouvriers et étudiants, la plupart jugés en comparution immédiate devant les tribunaux militaires improvisés pour la circonstance.
Les leçons du Cordobazo
Les journées de combat de mai 1969 ont déclenché une vague de luttes en Argentine jusqu’au milieu des années 1970. Mais à la différence de la bourgeoisie qui, comme le disait Marx, dans sa lutte contre l’ancien système dont “les révolutions progressent rapidement en volant de succès en succès”, les prolétaires au contraire avancent dans l’histoire de manière beaucoup plus heurtée et difficile, “en remettant constamment en cause leur pratique, interrompant à chaque instant leur propre cours, revenant sur ce qui semblait déjà être accompli pour le recommencer à nouveau, raillant impitoyablement les hésitations, les faiblesses et les misères de leurs premières tentatives”.[15] Ils le font parce que c’est une classe sociale qui n’a aucune emprise économique sur ce système, sa force vient seulement de son degré de conscience et de son organisation et ils ne peuvent se renforcer qu’à travers l’évaluation de leur propre pratique et de leur expérience, en récupérant les leçons de tous leurs combats et plus encore de leurs défaites. En ce sens, quand nous appelons à nous souvenir du Cordobazo, ce n’est pas pour en faire une apologie excessive ou aveugle, pour en tirer un discours larmoyant et émouvant ou un hommage formel pour commémorer un anniversaire, nous devons nous en souvenir 50 ans après parce que la classe exploitée en Argentine a démontré la force que peut représenter le prolétariat quand il parvient à briser les chaînes qui le soumettent aux syndicats et aux partis de gauche comme de droite du capital. C’est une grande leçon que le prolétariat du monde entier doit récupérer, mais en même temps, il a besoin d’en faire un examen critique en montrant ses faiblesses, comme par exemple :
– Le soulèvement ouvrier du 29 mai s’est manifesté comme une réponse spontanée et consciente aux attaques du capital, une expression importante mais à peine balbutiante de la renaissance de la lutte contre le capitalisme, dans la mesure où il a réussi à réveiller la combativité, à encourager la solidarité et à retrouver confiance dans ses forces, mais cette mobilisation ne s’est pas poursuivie. Un des aspects qui a empêché les travailleurs d’élever leur conscience à des niveaux plus développés a été le poids des idéologies qui pendant des années ont été inoculées par l’appareil syndical, la gauche du capital et en particulier le péronisme, qui en Argentine a agi et continue à agir pour défendre le capital et contre le prolétariat.
En particulier, l’idéologie de l’ “anti-impérialisme” [16] et la “critique” du “pouvoir des monopoles” sont basés sur une argumentation à travers laquelle la bourgeoisie cherche à porter des coups à la conscience du prolétariat. [17] En effet, l’ “anti-impérialisme” est en fait le déguisement d’un discours nationaliste qui utilise les secteurs de droite comme de gauche du capital pour semer la confusion et détourner le mécontentement des exploités vers la défense du capitalisme national ; le même point est atteint lorsque le slogan de la lutte contre les monopoles est lancé et encore plus lorsqu’il plonge les exploités dans l’illusion de possibles politiques “alternatives”, comme le protectionnisme ou la nationalisation, créant un degré de confusion supplémentaire. Ces vieux pièges n’ont d’autre objectif que d’empêcher les travailleurs de diriger leur lutte contre les fondements du capitalisme.
Le poids de des confusions est apparu lors de la rébellion du 29 mai lorsque des groupes de travailleurs et d’étudiants ont tenté de manifester leur mécontentement en brûlant non seulement des bureaux gouvernementaux, mais surtout des entreprises et des bureaux de firmes étrangères (Xerox, Citroën,…).
Le nationalisme est l’un des poisons idéologiques les plus tenaces pour le prolétariat. Il n’est donc pas surprenant que ces expressions apparaissent même à des moments de montée de la combativité et ce, parce que la bourgeoisie ne laisse passer aucun jour sans nourrir cette campagne. En 1973, c’est au nom de la défense de la nation que les travailleurs argentins ont été entraînés vers les urnes (par la suite, ils ont tendu le même piège d’innombrables fois) et en 1982, l’atmosphère sociale a été empoisonnée par le patriotisme en soutien à la guerre des Malouines.
– Un autre aspect qui a entravé le développement de la conscience des travailleurs a été le renforcement de la structure syndicale par l’État. Quand les tribunaux militaires ont arrêté des dirigeants syndicaux tels qu’Agustín Tosco, Atilio López et Elpidio Torres, en les accusant d’être responsables de la rébellion, ceux-ci ont pu se faire passer pour des martyrs, leur redonnant du prestige, à eux comme à l’ensemble des syndicats. Il ne s’est donc pas passé beaucoup de temps pour que la bourgeoisie profite du prestige donné à Atilio López et à Tosco, [18] pour pousser les ouvriers vers les urnes et la défense de la démocratie à travers leur participation au Front de libération justicialiste (FREJULI). Cela signifie que l’avance combative démontrée par le Cordobazo n’a pas eu de suite. Le contrôle de la lutte a pu être arraché des mains des syndicats, montrant clairement que la lutte pouvait se mener sans les syndicats mais cela n’a pas ouvert la voie à la construction par le prolétariat de ses propres organisations (conseils ouvriers, comités de grèves ou de luttes…) qui lui auraient permis d’affirmer son autonomie de classe.
Quelques années plus tôt, lorsque les ouvriers ont commencé à reconnaître le caractère anti-ouvrier de la CGT officielle, au lieu de chercher à affirmer le caractère autonome de leur lutte, ils ont laissé la bourgeoisie manœuvrer en imposant un autre syndicat, la CGT-A, de sorte que la combativité a été à nouveau accaparée par le syndicat qui a semé davantage de confusion. Les ouvriers ne sont pas parvenus à avancer dans la compréhension que les syndicats sont des structures totalement intégrées à l’appareil d’État. Ce même problème s’est répété dans le “Viborazo” de mars 1971, [19] dans lequel les syndicats Sitrac et Sitram se sont “métamorphosés”, passant de l’image de syndicats conservateurs à celle de syndicats ultra-radicaux, pour élargir la confusion et stériliser la combativité des travailleurs.
C’est dans ce cadre que la presse bourgeoise et l’appareil de gauche du capital, lorsqu’ils parlent du Cordobazo, mettent en avant les affrontements dans les rues, en essayant de réduire cette journée à des événements anecdotiques, afin de masquer le fait que c’était une mobilisation qui avait démontré la capacité des travailleurs à prendre le contrôle de leur lutte, passant par-dessus le contrôle syndical.
Sur cette base, la bourgeoisie tente aussi de falsifier le terrain réel de lutte du prolétariat, en présentant comme des méthodes de lutte soit “radicales”, soit “efficaces”, l’extorsion ou le pillage comme lors des manifestations contre le “Corralito” de 2001-2002, [20] les barrages routiers ou les méthodes des “piqueteros” en 2004[21]. Nous avons dénoncé de telles méthodes contraires à la véritable auto-organisation et à la véritable unité des prolétaires. Avec la perspective pour la bourgeoisie de développer de nouvelles attaques brutales dans un avenir proche et la perspective de voir émerger de nouvelles luttes ouvrières, le prolétariat doit retrouver sa capacité de tirer les leçons des expériences de lutte les plus significatives en Argentine, comme dans le monde entier.
Tatlin, Juillet 2019
[1] Voir notre dossier : “Il y a 50 ans Mai 1968” dans lequel on peut trouver une série d’articles sur cette expérience prolétarienne.
[2] Voir nos deux articles “Automne chaud en Italie en 1969 : un moment de la reprise historique de la lutte de classe” (Revue Internationale n° 140 et 143).
[3] Voir : “Une année de luttes ouvrières en Pologne” (Revue Internationale n° 27).
[4] Voir la Résolution sur les rapports de forces entre les classes de notre 23e Congrès disponible sur notre site web.
[5] La présence de travailleurs migrants en Argentine a été décisive dans la formation de groupes anarcho-syndicalistes tels que la FORA dont la participation a été très active dans les moments de lutte, comme lors de la “Semaine tragique” (1919) ou dans les grèves de la “Patagonie rebelle” (1920-21). Voir dans notre Revue Internationale l’article consacré à la FORA :“Histoire de l’anarcho-syndicalisme en Argentine”.
[6] C’est le cas de la province de Cordoba qui, à partir du milieu du XXe siècle, est devenue l’une des villes avec la plus grande concentration d’industries et de services.
[7] L’idéologie péroniste est en réalité une façade derrière laquelle divers secteurs de la bourgeoisie se regroupent, se présentant comme un mouvement, mais sans véritable unité. Le mouvement péroniste a toujours cherché à intégrer les travailleurs comme chair à canon, alors il intervient dans ses rangs à travers les syndicats, les partis et même les organisations religieuses. Le péronisme a été très utile à la bourgeoisie parce qu’il est présenté comme une expression idéologique confuse et flexible qui peut naviguer entre la “droite” et la “gauche”, maintenant dans tous les cas un discours nationaliste sur lequel viennent se greffer aussi bien des idéologies religieuses que des “expériences” de prétendues “réalisations socialistes”. En dérive une diversité de fractions concurrentes que nous pourrions (selon leurs propres termes) diviser comme suit :
– les “péronistes orthodoxes”, représentés principalement par le Parti Justicialiste et le péronisme syndical ;
– les “péronistes révolutionnaires”, formés par les différentes “tendances” se réclamant des mouvements de guérilla ;
– les “péronistes de base”, comme on appelle l’activiste de quartier qui revendique faire “un travail éducatif de terrain parmi les masses” ;
– le “néo-péronisme”, exposé dans la pratique des gouvernements les plus récents comme Menen, les époux Kirchner...
[8] Perón, qui dirigeait le “péronisme” depuis son exil en Espagne, synthétisait cette attitude en recourant à l’expression utilisée par les cavaliers gauchos : « savoir ranger la selle de son cheval jusqu’à ce que le temps s’éclaircisse », c’est-à-dire un appel à attendre le moment opportun pour assurer la collaboration avec le gouvernement militaire putschiste.
[9] Certains travailleurs exprimaient leur position politique avec le slogan : “ni coup d’État, ni élection : révolution !”, montrant leur rejet du gouvernement putschiste, mais aussi des promesses électorales de la gauche et plus spécifiquement du péronisme, mettant ainsi en avant la revendication d’une révolution comme seule issue pour échapper au capitalisme. En réalité, la classe ouvrière argentine a atteint un grand niveau de combativité dans les grèves et les mobilisations de la fin des années 1960 jusqu’au milieu des années 1970, mais n’a pas atteint une clarté totale qui lui permettrait d’affronter l’environnement bourgeois dominant imposé par le péronisme et la gauche.
[10] Littéralement “retraits de zones” : mesure patronale pour réduire les salaires dans certaines provinces, permettant des dérogations aux conventions collectives négociées au niveau national avec les syndicats (Note du traducteur).
[11] Les principaux syndicats des industries présentes à Cordoba étaient : le syndicat de Luz y Fuerza (électriciens), le syndicat de la mécanique et des transports automobiles connexes (SMATA), le syndicat des métallurgistes (UOM), le syndicat des conducteurs du tramway (UTA).
[12] L’ouvrier Mena n’est pas le seul à avoir été assassiné, les témoignages des participants à cette journée de combats indiquent qu’ils étaient près de soixante. D’autres sources journalistiques indiquent que vingt personnes avaient été tuées, mais comme dans toutes les rébellions, il est difficile de connaître avec exactitude le nombre des morts et des blessés. Ce qui est plus certain, c’est que le nombre de détenus était supérieur à 2 000.
[13] Témoignage recueilli par Juan Carlos Cena dans l’ouvrage (en espagnol) : El Cordobazo una rebelión popular (2003).
[14] Cité dans la brochure en espagnol: “Mayo del 69, la llama que no ardió” du groupe “Emancipación Obrera”. En 2016, nous avons publié le témoignage d’un ancien militant sur l’expérience de ce groupe aujourd’hui dissous : “Una experiencia de la que sacar lecciones : el grupo Emancipación Obrera en Argentina”.
[15] Marx, Le 18 Brumaire de Louis Bonaparte.
[16] Elle n’est généralement associée qu’à la seule politique impérialiste pratiquée par les États-Unis, alors que la politique impérialiste est menée par tous les États à un degré plus ou moins élevé, selon leurs moyens.
[17] Dans une interview donnée à la revue “Análisis-Confirmado” (9 février 1973), le dirigeant syndical Tosco définit ainsi son profil politique : “Je suis pour la lutte anti-impérialiste qui mène au socialisme. Le socialisme est encore un peu loin pour l’Argentine, mais il est proche de la lutte libératrice : anti-monopole, anti-impérialiste”. Cette déclaration permet d’entrevoir le ton et l’orientation du discours idéologique qui s’est répandu avec le syndicalisme radical.
[18] Suite à la prise de contrôle de Cordoba par l’armée, Agustín Tosco, Elpidio Torres, Atilio López et Jorge Canelles ont été emprisonnés et condamnés à huit ans de prison, mais ils furent libérés après sept mois. Tosco en tirera un plus grand prestige car il fut fortement persécuté et forcé de vivre dans la clandestinité, et sa mort prématurée l’a empêché d’être récompensé pour ses services. Nous n’avons donc pas l’intention de porter un jugement individuel sur Agustín Tosco, mais il est nécessaire de rappeler que son action, dans le cadre syndicale, a exercé pleinement sa fonction dans les rouages de l’appareil d’État pour empêcher le développement de la conscience des travailleurs.
[19] Terme repris ironiquement par les animateurs du second soulèvement de Cordoba le 15 mars 1971 (qui a été également noyé dans un nouveau bain de sang par les forces de répression) en référence aux propos du gouverneur de la province qui avait déclaré que le mouvement des ouvriers et des étudiants était un “nid de vipères qu’il fallait écraser” mais qui était cette fois sous l’emprise totale des syndicats, avec une orientation anti-dictature et pro-démocratique (Note du traducteur).
[20] Lire notre article : Les révoltes “populaires” en Argentine : “Seule l’affirmation du prolétariat sur son terrain peut faire reculer la bourgeoisie”.
[21] Voir, entre autres, l’article : “Argentine : Contribution sur la nature de classe du mouvement des piqueteros”.