Rapport sur la décomposition aujourd’hui (Mai 2017)

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Le CCI a adopté les Thèses sur la décomposition[1] il y a plus de 25 ans. Depuis ce moment-là, cette analyse de la phase actuelle de la vie de la société est devenue un élément de tout premier plan dans la compréhension par notre organisation de l'évolution du monde. Le document qui suit constitue une actualisation des Thèses sur la décomposition au regard de l'évolution de la situation mondiale au cours du quart de siècle écoulé, et particulièrement au cours de la dernière période.

Concrètement, il nous faut confronter les points essentiels des thèses avec la situation présente : dans quelle mesure les aspects mis en avant se sont vérifiés, voire amplifiés, ou bien ont été démentis ou bien doivent être complétés. Une telle approche systématique est d'autant plus nécessaire que, parmi les effets de la période de décomposition, du fait de la nature même de celle-ci, les révolutionnaires sont confrontés en permanence à une phénomène qui pèse sur toute la société, "le rejet d'une pensée rationnelle, cohérente, construite, y inclus de la part de certains milieux "scientifiques" (Thèse 8), ce qui explique en partie que cette question ne soit pas comprise dans la plupart des groupes se réclamant de la Gauche communiste. En particulier, la situation mondiale actuelle nous impose de revenir sur trois questions de première importance :

  • le terrorisme
  • les réfugiés
  • la montée du populisme comme manifestation de la perte du contrôle par la bourgeoisie de son jeu politique.

1) Le cadre général de l'analyse de la décomposition

"… il est indispensable de mettre en évidence la différence fondamentale qui oppose les éléments de décomposition qui ont affecté le capitalisme depuis le début du siècle [le 20e siècle] et la décomposition généralisée dans laquelle s'enfonce à l'heure actuelle ce système et qui ne pourra aller qu'en s'aggravant. Là aussi, au-delà de l'aspect strictement quantitatif, le phénomène de décomposition sociale atteint aujourd'hui une telle profondeur et une telle extension qu'il acquiert une qualité nouvelle et singulière manifestant l'entrée du capitalisme décadent dans une phase spécifique – la phase ultime – de son histoire, celle où la décomposition devient un facteur, sinon le facteur, décisif de l'évolution de la société." (Point 2)

"Concrètement, non seulement la nature impérialiste de tous les États, la menace de guerre mondiale, l'absorption de la société civile par le Moloch étatique, la crise permanente de l'économie capitaliste, se maintiennent dans la phase de décomposition, mais cette dernière se présente encore comme la conséquence ultime, la synthèse achevée de tous ces éléments." (Point 3)

"Dans une telle situation où les deux classes fondamentales et antagoniques de la société s'affrontent sans parvenir à imposer leur propre réponse décisive, l'histoire ne saurait pourtant s'arrêter. Encore moins que pour les autres modes de production qui l'ont précédé, il ne peut exister pour le capitalisme de "gel", de "stagnation" de la vie sociale. Alors que les contradictions du capitalisme en crise ne font que s'aggraver, l'incapacité de la bourgeoisie à offrir la moindre perspective pour l'ensemble de la société et l'incapacité du prolétariat à affirmer ouvertement la sienne dans l'immédiat ne peuvent que déboucher sur un phénomène de décomposition généralisée, de pourrissement sur pied de la société." (Point 4)

"En effet, aucun mode de production ne peut vivre, se développer, se maintenir sur des bases viables, assurer la cohésion sociale, s'il n'est pas capable de présenter une perspective à l'ensemble de la société qu'il domine. Et c'est particulièrement vrai pour le capitalisme en tant que mode de production le plus dynamique de l'histoire." (Point 5)

"… dans une situation historique où la classe ouvrière n'est pas encore en mesure d'engager immédiatement le combat pour sa propre perspective, la seule vraiment réaliste, la révolution communiste, mais où la bourgeoisie, elle non plus, ne peut proposer aucune perspective quelle qu'elle soit, même à court terme, la capacité que cette dernière a témoignée dans le passé, au cours même de la période de décadence, de limiter et contrôler le phénomène de décomposition ne peut que s'effondrer sous les coups de boutoir de la crise." (Point 5)

Pour commencer, il faut insister sur un aspect essentiel de notre analyse : le terme de "décomposition" est utilisé de deux façons différentes. D'une part, il s'applique à un phénomène qui affecte la société, particulièrement dans la période de décadence du capitalisme et, d'autre part, il désigne une phase historique particulière de cette dernière, sa phase ultime :

"(…) le phénomène de décomposition sociale atteint aujourd'hui une telle profondeur et une telle extension qu'il acquiert une qualité nouvelle et singulière manifestant l'entrée du capitalisme décadent dans une phase spécifique –la phase ultime– de son histoire, celle où la décomposition devient un facteur, sinon le facteur, décisif de l'évolution de la société."

À la base de notre analyse sur la décomposition, il y a le constat de cette situation inédite où aucune de deux principales classes de la société, la bourgeoisie et le prolétariat, n'est en mesure de mettre en œuvre sa propre réponse à la crise de l'économie capitaliste, la guerre mondiale ou la révolution communiste. Même s'il y avait eu un basculement du rapport de forces entre les classes, si par exemple la bourgeoisie s'acheminait vers une nouvelle guerre généralisée ou si le prolétariat avait engagé des combats ouvrant une perspective révolutionnaire, cela ne voudrait pas dire que cette période de décomposition de la société aurait été dépassée (comme l'affirme stupidement le GIGC par exemple). Le processus de décomposition de la société est irréversible car il correspond à la phase d'agonie de la société capitaliste. La seule chose qui aurait pu éventuellement se produire, dans le cas d'un tel basculement, c'est un ralentissement de ce processus, certainement pas un "retour en arrière". Mais, de toute façon, un tel basculement ne s'est pas produit. Au cours du dernier quart de siècle, le prolétariat mondial a été absolument incapable dans sa masse de se donner même une ébauche de perspective de renversement de l'ordre existant. Bien au contraire, on a plutôt assisté à une régression de sa combativité de même que de sa capacité à déployer cette arme fondamentale de son combat, la solidarité.

De même, la bourgeoisie n'a pas réussi à se donner de véritable perspective "exceptée celle de 'sauver les meubles' de son économie au jour le jour" (Thèses, point 9). Suite à l'effondrement du bloc de l'Est, l'économie mondiale a paru connaître, après une période d'instabilité dans cette zone, une rémission significative de sa crise. En particulier, on a assisté à l'émergence des BRICs connaissant des taux de croissance impressionnants. Cependant, la belle euphorie qui s'était emparée de la bourgeoisie mondiale, faisant croire que son économie pouvait repartir comme lors des "30 glorieuses", a été cruellement douchée avec les soubresauts de 2007-2008 qui ont mis en évidence la fragilité du secteur financier et fait planer la menace d'une dépression semblable à celle des années 1930. La bourgeoisie mondiale a réussi à limiter les dégâts, notamment par l'injection massive de fonds publics dans l'économie ce qui a abouti à une explosion des dettes souveraines et provoqué notamment la crise de l'Euro en 2010-2013. Parallèlement, le taux de croissance de la première économie mondiale s'est maintenu à un niveau inférieur à celui antérieur à 2007 malgré des taux d'intérêt pratiquement égaux à zéro. Quant aux BRICs tant encensés, ils se sont réduits aujourd'hui aux ICs puisque le Brésil et la Russie sont confrontés à un ralentissement spectaculaire de leur croissance, voire à la récession. Ce qui domine dans la classe dominante aujourd'hui ce n'est pas l'euphorie, la croyance en des "lendemains qui chantent", mais la morosité et l'inquiétude ce qui n'est certainement pas fait pour donner à l'ensemble de la société le sentiment qu'un "meilleur avenir est possible", notamment auprès des exploités dont les conditions de vie ne cessent de se dégrader.

Ainsi, les conditions historiques qui ont été à l'origine de cette phase de décomposition se sont non seulement maintenues, mais elles se sont aggravées ce qui a eu comme conséquence une aggravation de la plupart des manifestations de la décomposition.

Pour bien comprendre une telle aggravation il est important de rappeler que - comme le souligne le point 2 des Thèses - nous parlons de l’époque ou phase de la décomposition et non pas simplement de "manifestations de décomposition".

Le point 1 des Thèses insiste sur le fait qu'il existe une différence cruciale entre la décadence du capitalisme et la décadence des autres modes de production l’ayant précédé. Souligner cette différence est important par rapport à la question qui constitue la clé de la décomposition : la perspective. Pour se borner à la décadence du féodalisme celle-ci était limitée par l'émergence "en parallèle" des rapports capitalistes et l’ascension de façon graduelle et partielle de la classe bourgeoise. La décomposition d’une série de formes économiques, sociales, idéologiques, politiques, de la société féodale était en quelque sorte atténuée par l’instrumentalisation de celle-ci (pas nécessairement avec une réelle conscience) par le nouveau mode de production émergeant. On peut en donner deux illustrations : la monarchie absolue servait dans certains pays au développement économique du capital contribuant à former un marché national ; la vision religieuse de la "purification du corps" - censé être le foyer du diable - avait une utilité dans l’accumulation primitive de capital pour la croissance de la natalité et pour imposer la discipline aux futurs prolétaires.

C’est pour cela que, dans la décadence du féodalisme, il pouvait exister des manifestations de décomposition sociale plus ou moins poussées, mais il ne pouvait pas exister une époque spécifique de décomposition. Dans l’histoire humaine certaines civilisations très isolées ont pu finir dans une complète décomposition conduisant à leur disparition. Cependant, seul le capitalisme peut avoir dans sa décadence une époque globale de décomposition, comme phénomène historique et mondial.

2) Les manifestations sociales de la décomposition

Les thèses de 1990 indiquaient les principales manifestations sociales de la décomposition :

  • "la multiplication des famines dans les pays du "tiers-monde" (…)
  • la transformation de ce même "tiers-monde" en un immense bidonville où des centaines de millions d'êtres humains survivent comme des rats dans les égouts (…)
  • le développement du même phénomène au cœur des grandes villes des pays "avancés" (…)
  • les catastrophes "accidentelles" qui se sont multipliées ces derniers temps (…)
  • les effets de plus en plus dévastateurs, sur le plan humain, social et économique des catastrophes "naturelles" (…)
  • la dégradation de l'environnement qui atteint des proportions ahurissantes (…)" (Point 7)

Les chiffres officiels de la FAO affichent un recul de la sous-alimentation depuis les années 1990. Cependant, il y a encore aujourd'hui près d'un milliard d'êtres humains qui sont victimes de sous-alimentation. Cette tragédie affecte principalement l'Asie du Sud et surtout l'Afrique subsaharienne où, dans certaines régions, c'est près de la moitié de la population qui souffre de la faim, notamment les enfants, avec des conséquences dramatiques pour leur croissance et leur développement. Alors que la technologie a permis des accroissements phénoménaux de la productivité, y compris dans le secteur agricole, alors que les paysans de nombreux pays n'arrivent pas à vendre leur production, la faim continue pour des centaines de millions de personnes d'être ce fléau venu des pires périodes de l'histoire humaine. Et s'il ne frappe pas les pays riches, c'est dû au fait que l'État y est encore capable de nourrir ses pauvres. Ainsi, 50 millions d'habitants des États-Unis reçoivent des bons d'aide alimentaire.

Aujourd'hui, plus d'un milliard d'humains vivent dans des bidonvilles et le chiffre n'a fait que s'accroître depuis 1990. Ainsi, la "transformation du 'Tiers-Monde' en un immense bidonville" s'est pleinement vérifiée, à tel point que le rapport Global Risks présenté au Forum de Davos en 2015 place pour la première fois "l'urbanisation rapide et incontrôlée" parmi les risques majeurs menaçant la planète en constatant notamment que, à l'échelle du monde, "40 % de la croissance urbaine se fait dans les bidonvilles", ce qui signifie que cette proportion est bien plus élevée dans les pays sous-développés.

Et ce phénomène de développement des bidonvilles tend à s'étendre dans les pays les plus riches, sous des formes diverses : des millions d'américains perdant leur maison lors de la crise des "subprimes" et venant gonfler les cohortes de sans-abris existant au préalable, les campements de Roms ou de réfugiés dans les périphéries de nombreuses villes d'Europe, et même en leur centre… Et même pour ceux qui ont un logement en dur, des dizaines de millions d'entre eux vivent dans de véritables taudis. Ainsi, en 2015, 17,4% des habitants de l'Union Européenne occupaient des logements surpeuplés, 15,7% des logements ayant des fuites ou comportant de la pourriture et 10,8% avaient froid dans leur logis. Et ce n'était pas seulement le lot des pays pauvres d'Europe puisque, en Allemagne, ces chiffres étaient respectivement de 6,7%, 13,1% et 5,3% et, au Royaume-Uni, de 8%, 15,9% et 10,6%.

Concernant les catastrophes "accidentelles", l'on pourrait citer de multiples exemples ces 25 dernières années. Il suffit d'en citer deux parmi les plus spectaculaires et dramatiques affectant, non des pays du Tiers-monde, mais les deux puissances économiques les plus développées : les inondations de la Nouvelle-Orléans en août 2005 (près de 2000 morts, une ville vidée de ses habitants) et la catastrophe de Fukushima en mars 2011 qui se situe au même niveau que celle de Tchernobyl en 1986).

Quant à "la dégradation de l'environnement qui atteint des proportions ahurissantes", nous étions encore loin, lorsque cette phrase a été écrite, des constats et des prévisions qui font aujourd'hui l'unanimité dans les milieux scientifiques et que la majorité des secteurs bourgeois de tous les pays a repris à son compte (même si la classe dominante est incapable de mettre en œuvre les mesures nécessaires du fait des lois-mêmes du capitalisme). La liste est longue non seulement des catastrophes qui attendent l'humanité du fait du saccage de l'environnement, mais aussi de celles qui nous frappent dès à présent : pollution de l'air des villes et de l'eau des océans, dérèglement climatique avec des phénomènes météorologiques de plus en plus violents, avancée de la désertification, accélération de la disparition des espèces végétales et animales qui menacent de plus en plus l'équilibre biologique de notre planète (ainsi, la disparition des abeilles est une menace pour nos ressources alimentaires).

3) Les manifestations politiques et idéologiques de la décomposition

Le tableau que nous en donnions en 1990 était le suivant :

  • "l'incroyable corruption qui croît et prospère dans l'appareil politique (…)
  • le développement du terrorisme, des prises d'otages, comme moyens de la guerre entre États, au détriment des "lois" que le capitalisme s'était données par le passé pour "réglementer" les conflits entre fractions de la classe dominante
  • l'accroissement permanent de la criminalité, de l'insécurité, de la violence urbaine (…)
  • le développement du nihilisme, du suicide des jeunes, du désespoir, de la haine et de la xénophobie (…)
  • le raz-de-marée de la drogue, qui devient aujourd'hui un phénomène de masse, participant puissamment à la corruption des États et des organismes financiers (…)
  • la profusion des sectes, le regain de l'esprit religieux, y compris dans certains pays avancés, le rejet d'une pensée rationnelle, cohérente, construite (…)
  • l'envahissement de ces mêmes médias par le spectacle de la violence, de l'horreur, du sang, des massacres (…)
  • la nullité, et la vénalité, de toutes les productions "artistiques", de la littérature, de la musique, de la peinture, de l'architecture (…)
  • le "chacun pour soi", la marginalisation, l'atomisation des individus, la destruction des rapports familiaux, l'exclusion des personnes âgées, l'anéantissement de l'affectivité" (Point 8)

Tous ces aspects se sont confirmés et même aggravés. En laissant momentanément de côté les aspects en lien avec les points qui feront plus loin l'objet d'une insistance particulière (le terrorisme, la question des réfugiés et la montée du populisme), on peut relever le fait, par exemple, que la violence et la criminalité urbaine ont connu une explosion dans beaucoup de pays d'Amérique latine et également dans les banlieues de certaines villes européennes-en partie en lien avec le trafic de drogue, mais pas uniquement. Concernant, ce trafic, et le poids énorme qu'il a pris dans la société, y compris sur le plan économique, on peut dire qu'il correspond à l'existence d'un "marché" en continuelle expansion du fait du malaise croissant et du désespoir qui affecte toutes les couches de la population. Concernant la corruption, et toutes les manipulations qui constituent la "délinquance en col blanc", ces dernières années n'ont pas été avares en découvertes (comme celles des "Panama papers" qui ne sont qu'un tout petit sommet de l'iceberg du gangstérisme dans lequel patauge de plus en plus la finance). Pour ce qui est de la vénalité des créations artistiques, de leur récupération, on peut citer l'attribution récente du Prix Nobel de littérature à Bob Dylan, symbole artistique de la révolte des années 1960, mais on pourrait en trouver de nombreuses autres. Enfin, la destruction des rapports humains, des liens familiaux, de l'affectivité n'a fait que s'aggraver comme le montrent la consommation des antidépresseurs, l'explosion de la souffrance psychique au travail, l'apparition de nouveaux métiers destinés à "coacher" les personnes, de même que de véritables hécatombes comme celle de l'été 2003 en France où 15 000 personnes âgées sont mortes au cours de la canicule.

4) La question du terrorisme

Évidemment, ce n'est pas une question nouvelle ni dans l'histoire ni dans les analyses du CCI (voir par exemple les textes "Terreur, terrorisme et violence de classe" publiés dans les numéros 14 et 15 de la Revue Internationale.

Cela-dit, il est important de rappeler que c'est à partir des attentats de Paris en 1985 que notre camarade MC a engagé la réflexion sur la décomposition. Les thèses analysent comme particulièrement significatif de l'entrée du capitalisme dans la phase de décomposition : "le développement du terrorisme, des prises d'otages, comme moyens de la guerre entre États, au détriment des "lois" que le capitalisme s'était données par le passé pour "réglementer" les conflits entre fractions de la classe dominante".

Il est à peine besoin de relever à quel point cette question a acquis une place de premier plan dans la vie du capitalisme. Aujourd'hui, le terrorisme comme instrument de guerre entre États a acquis une place centrale dans la vie de la société. On a même vu la constitution d'un nouvel État, Daesh, avec son armée, sa police, son administration, ses écoles, dont le terrorisme est l'arme de prédilection.

La croissance quantitative et qualitative de la place du terrorisme a franchi un pas décisif il y a 15 ans déjà avec l'attaque contre les Twin Towers, et c'est la première puissance mondiale qui lui a ouvert délibérément la porte afin de justifier son intervention en Afghanistan et en Irak. Elle s'est confirmée par la suite avec les attentats de Madrid en 2004 et de Londres en 2005. La constitution de Daesh en 2013-14 et les attentats en France en 2015-16, en Belgique et en Allemagne en 2016 représentent une autre étape de premier plan de ce processus.

Par ailleurs, les thèses nous donnent des éléments d'explication de la fascination croissante du djihadisme et des actes suicidaires sur une partie de la jeunesse des pays développés :

  • "le développement du nihilisme, du suicide des jeunes, du désespoir, de la haine et de la xénophobie
  • la profusion des sectes, le regain de l'esprit religieux, y compris dans certains pays avancés, le rejet d'une pensée rationnelle, cohérente, construite (…)
  • l'envahissement de ces mêmes médias par le spectacle de la violence, de l'horreur, du sang, des massacres (…)"

Tous ces aspects n'ont fait que se renforcer au cours des dernières décennies. Ils affectent tous les secteurs de la société. Ainsi, on a pu voir, dans le pays le plus avancé du monde, la montée d'une "droite religieuse" (le "Tea Party") au sein d'un des deux partis politiques en charge de la gestion des intérêts du capital national, un mouvement concernant les secteurs les plus favorisés de la société. De même, dans un pays comme la France, l'adoption du mariage homosexuel (qui en soi n'était qu'une manœuvre de la Gauche pour faire diversion face à la trahison de ses promesses électorales et aux attaques qu'elle portait contre les exploités) a vu se mobiliser des millions de personnes, de toutes origines sociales, mais surtout des bourgeois et des petits bourgeois, qui considéraient qu'une telle mesure était une insulte faite à Dieu. Parallèlement, l'obscurantisme et le fanatisme religieux ne cessent de progresser parmi les couches les plus défavorisées de la population, particulièrement les jeunes prolétaires issus de l'immigration musulmane entraînant avec eux un nombre significatif de jeunes "nationaux de souche". Jamais, dans les villes européennes, on n'avait vu autant de voiles, ou même de "burqas" sur la tête des femmes musulmanes. Et que dire de l'attitude de ces dizaines de milliers de jeunes qui, après l'assassinat des dessinateurs du journal Charlie Hebdo, considéraient qu'ils l'avaient cherché en dessinant le "Prophète" ?

5) La question des réfugiés

Cette question n'est pas abordée dans les thèses de 1990. Il s'agit d'apporter à celles-ci un complément abordant ce problème.

La question des réfugiés a acquis, au cours des dernières années, une place centrale dans la vie de la société. Au cours de l'année 2015, ce sont plus de 6 millions de personnes qui ont été contraintes de quitter leur pays portant à plus de 65 millions le nombre de réfugiés dans le monde (plus que la population de la Grande-Bretagne). À ce nombre, il faut ajouter les 40 millions de personnes qui sont déplacées au sein de leur propre pays. Il s'agit là d'un phénomène sans précédent depuis la seconde guerre mondiale.

Les déplacements de population font partie de l'histoire de l'espèce humaine, une espèce apparue dans une petite région de l'Afrique de l'Est il y a 200.000 ans et qui a essaimé dans le monde entier, partout où il y avait des ressources exploitables pour s'alimenter et faire face aux autres besoins élémentaires de la vie. Un des grands moments de ces déplacements de population est celui de la colonisation de la plus grande partie de la planète par les puissances européennes, un phénomène apparu il y a 500 ans et qui coïncide avec l'essor du capitalisme (voir les pages du Manifeste communiste à ce sujet). En général, les flux migratoires (s'ils peuvent comprendre des marchands, des aventuriers ou des militaires animés par la conquête) se composent principalement de populations qui fuient leur pays à cause des persécutions (protestants anglais du "Mayflower", juifs d'Europe de l'Est) ou de la misère (Irlandais, Siciliens). Ce n'est qu'avec l'entrée du capitalisme dans sa période de décadence que les flux migratoires dominants s'inversent. De façon croissante, ce sont les habitants des colonies qui, chassés par la misère, viennent chercher du travail (en général peu qualifié et très mal payé) dans les métropoles. Un phénomène qui s'est poursuivi après les vagues de décolonisation qui se sont succédées depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale jusqu'aux années 1960. C'est à la fin de ces années 1960 que la crise ouverte de l'économie capitaliste, qui voit une montée du chômage dans les pays développés en même temps que l'accentuation de la misère dans les anciennes colonies, provoque une croissance significative de l'immigration illégale. Depuis, la situation n'a fait qu'empirer malgré les discours hypocrites de la classe dominante qui trouve dans ces "sans-papiers" une main d'œuvre encore moins chère que celle qui dispose de papiers.

Ainsi, durant plusieurs décennies, les flux migratoires concernaient essentiellement l'émigration économique. Mais ce qui est nouveau, depuis quelques années, c'est que la proportion des immigrés qui ont fui leur pays pour des raisons de guerre ou de répression a explosé, créant une situation comme celle qu'on avait connue à la fin de la guerre d'Espagne ou à la fin de la seconde guerre mondiale. D'année en année, le nombre de réfugiés qui, par toutes sortes de moyens, y compris les plus dangereux, frappent à la porte de l'Europe s'accroit, ce qui met à l'épreuve les capacités d'accueil des pays européens et faisant de la question des réfugiés un enjeu politique de premier plan dans ces pays (voir plus loin la question du populisme).

Les déplacements massifs de populations ne sont pas des phénomènes propres à la phase de décomposition. Mais ils acquièrent aujourd'hui une dimension qui en fait un élément singulier de cette décomposition et on peut appliquer à ce phénomène ce que nous disions en 1990 à propos du chômage :

"En fait le chômage, qui résulte directement de la crise économique, s'il n'est pas en soi une manifestation de la décomposition, débouche, dans cette phase particulière de la décadence, sur des conséquences qui font de lui un élément singulier de cette décomposition." (Point 14)

6) La montée du populisme

L'année 2016, avec notamment le "Brexit" en juin et l'élection de Donald Trump à la tête de la première puissance mondiale en novembre, mais aussi la poussée du parti d'extrême droite AfD aux élections régionales en Allemagne en septembre, marque une étape de grande importance dans le développement d'un phénomène qui n'avait été significatif jusqu'ici quand dans des pays comme la France, l'Autriche ou, dans une moindre mesure, l'Italie : la montée de l'extrême droite populiste aux élections. Un phénomène qui, de toute évidence, n'est pas le résultat d'une volonté politique délibérée des secteurs dominants de la bourgeoise même si, évidemment, ces secteurs savent le retourner contre la conscience du prolétariat.

Les thèses de 1990 disaient :
"Parmi les caractéristiques majeures de la décomposition de la société capitaliste, il faut souligner la difficulté croissante de la bourgeoisie à contrôler l'évolution de la situation sur le plan politique." (Point 9)

"Cette tendance générale à la perte de contrôle par la bourgeoisie de la conduite de sa politique, si elle constitue un des facteurs de premier plan de l'effondrement du bloc de l'Est, ne pourra que se trouver encore accentuée avec cet effondrement, du fait :

  • de l'aggravation de la crise économique qui résulte de ce dernier ;
  • de la dislocation du bloc occidental que suppose la disparition de son rival ;
  • de l'exacerbation des rivalités particulières qu'entraînera entre différents secteurs de la bourgeoisie (notamment entre fractions nationales, mais aussi entre cliques au sein d'un même État national) l'éloignement momentané de la perspective de la guerre mondiale." (Point 10)

La première conséquence, l'aggravation de la crise économique résultant de l'effondrement du bloc de l'Est, si elle a eu lieu dans un premier temps, ne s'est pas maintenue. Cependant, les autres aspects sont restés valables. Ce qu'il faut souligner dans la situation actuelle, c'est la pleine confirmation de cet aspect que nous avions identifié il y 25 ans : la tendance à une perte de contrôle croissante par la classe dominante de son appareil politique.

Évidemment, ces événements sont utilisés par différents secteurs de la bourgeoisie (et particulièrement ceux de gauche) pour ranimer la flamme de l'antifascisme (c'est particulièrement le cas en Allemagne) pour des raisons historiques évidentes. En France, de même, on a assisté, lors des dernières élections régionales en décembre 2015, à un "Front républicain" qui a vu le parti socialiste retirer ses candidats et appeler à voter pour la droite afin de barrer la route au Front national. Cela-dit, il est clair que la principale cible des campagnes antifascistes, comme l'histoire nous l'a enseigné, la classe ouvrière, ne constitue pas une menace, ni même une préoccupation majeure pour la bourgeoisie à l'heure actuelle.

En réalité, la presque unanimité qu'on a vue dans les secteurs les plus responsables de la bourgeoisie et leurs médias contre le Brexit, contre l'élection de Trump, contre l'extrême droite en Allemagne ou contre le Front national en France ne peut pas être considéré comme une manœuvre : les options économiques et politiques portées par le populisme ne constituent nullement une option réaliste de gestion du capital national (contrairement aux options de la gauche du capital qui proposent un retour à des solutions de type keynésien face aux "excès" de la mondialisation ordo-libérale). Si on se borne au cas de l'Europe, des gouvernements dirigés par des populistes, s'ils appliquaient leur programme, ne pourraient conduire qu'à une sorte de vandalisme qui ne ferait qu'aggraver encore l'instabilité qui menace les institutions de ce continent. Et cela d'autant plus que le personnel politique des mouvements populistes, s'il a acquis une expérience sérieuse dans le domaine de la démagogie, n'est nullement préparé à prendre en charge les affaires de l'État.

Lorsque nous avons développé notre analyse de la décomposition, nous avions considéré que ce phénomène affectait la forme des conflits impérialistes (voir "Militarisme et décomposition", Revue internationale n° 64) et aussi la prise de conscience du prolétariat. En revanche, nous avions considéré qu'il n'avait pas d'impact réel sur l'évolution de la crise du capitalisme. Si la montée actuelle du populisme devait aboutir à l'arrivée au pouvoir de ce courant dans certains des principaux pays d'Europe, on pourrait voir se développer un tel impact de la décomposition.

En fait, la montée du populisme, s'il peut avoir des causes spécifiques dans tel ou tel pays (contrecoup de la chute du stalinisme pour certains pays d'Europe centrale, effets de la crise financière de 2007-2008 qui a ruiné et privé de leur maison des millions d'américains, etc. comporte un élément commun qui est présent dans la plupart des pays avancés : la perte profonde de confiance envers les "élites", c’est-à-dire les partis dirigeant classiques (conservateurs ou progressistes du type social-démocrate) du fait de leur incapacité à rétablir la santé de l'économie, d'enrayer une montée continue du chômage ou de la misère. En ce sens, la montée du populisme constitue une sorte de révolte contre les dirigeants politiques actuels mais une révolte qui ne peut déboucher sur une perspective alternative au capitalisme. La seule classe qui puisse donner une telle alternative, c'est le prolétariat lorsqu'il se mobilise sur son terrain de classe et accède à une prise de conscience de la nécessité et de la possibilité de la révolution communiste. Il en est ainsi du populisme comme du phénomène général de décomposition de la société qui marque la phase actuelle de la vie du capitalisme : leur cause déterminante est l'incapacité du prolétariat à mettre en avant sa propre réponse, sa propre alternative à la crise du capitalisme. Dans cette situation de vide, en quelque sorte, de perte de confiance envers les institutions officielles de la société qui ne sont plus capables de la protéger, de perte de confiance en l'avenir, la tendance à se tourner vers le passé, à chercher des boucs émissaires responsables de la catastrophe devient de plus en plus forte. En ce sens, la montée du populisme est un phénomène totalement typique de la période de décomposition. Et cela, d'autant plus qu'il trouve des alliés précieux dans la montée du terrorisme qui crée un sentiment croissant de peur et d'impuissance et dans l'arrivée massive de réfugiés dont on craint qu'ils ne viennent prendre le travail des autochtones ou qu'ils cachent parmi eux de nouveaux terroristes.

Lorsque nous avions identifié l'entrée du capitalisme mondial dans la phase aiguë de sa crise économique nous avions relevé que ce système avait réussi dans un premier temps à rejeter vers la périphérie ses effets les plus catastrophiques mais que ces effets ne manqueraient pas de revenir vers le centre comme un boomerang. Le même schéma s'applique aux trois questions qu'on vient d'examiner plus en détail puisque :

  • le terrorisme existe déjà à une échelle bien plus dramatique dans certains pays de la périphérie
  • ces mêmes pays sont confrontés à la question des réfugiés de façon bien plus massive que dans les pays centraux
  • ces pays se caractérisent aussi par les convulsions de leur appareil politique.

Le fait qu'aujourd'hui on assiste, dans les pays centraux à un tel retour du boomerang est le signe que la société humaine est en train de franchir un pas supplémentaire dans son enfoncement dans la décomposition.

7) La difficulté générale que pose la décomposition pour être reconnue

Une des raisons de la difficulté que rencontrent le prolétariat et, en premier lieu sa propre avant-garde, pour cerner et comprendre cette époque de la décomposition et s’armer à son encontre, est la nature même de la décomposition comme phase historique.

Le processus de décomposition qui imprime sa marque à la période historique présente constitue un phénomène qui avance d’une manière très sournoise. Dans la mesure où il affecte les fondements les plus profonds de la vie sociale et se manifeste par un pourrissement sur pied des rapports sociaux les plus ancrés, il n’a pas nécessairement une expression unique et indiscutable comme l'étaient, par exemple, l’éclatement de la guerre mondiale ou les tentatives révolutionnaires. Elle s’exprime plutôt par une prolifération de phénomènes sans rapport apparent entre eux.

En soi, chacun des phénomènes pouvant identifier la décomposition n’est pas nouveau, chacun se rattache à des étapes précédentes de la décadence capitaliste. Par exemple, on assiste à une poursuite des guerres impérialistes. Cependant au sein de cette continuité on trouve le chacun pour soi et notamment "le développement du terrorisme, des prises d'otages, comme moyens de la guerre entre États, au détriment des "lois" que le capitalisme s'était données par le passé pour "réglementer" les conflits entre fractions de la classe dominante" (thèse 8). Ces éléments apparaissent "confondus" au milieu des traits classiques et généraux de la guerre impérialiste, ce qui les rend difficiles à identifier. Un regard superficiel ne les perçoit pas. Il en est de même au niveau de l’appareil politique de la bourgeoisie (ainsi, l’émergence du populisme peut être rattachée, de façon erronée, au phénomène du fascisme de l'entre-deux guerres).

Le fait que les deux classes fondamentales de la société (le prolétariat et la bourgeoisie) soient incapables de donner une perspective favorise le manque de vision globale, l’accommodation passive à ce qu’existe. Cela favorise les visions petites bourgeoises étriquées, aveugles, sans orientation ni avenir. On peut dire que la décomposition constitue en elle-même un puissant facteur d’anéantissement de la conscience de sa réalité. Cela est très dangereux pour le prolétariat. Mais elle produit aussi un aveuglement de la bourgeoisie, de telle sorte que la décomposition, du fait de la difficulté à être reconnue produit un phénomène cumulatif, en spirale au niveau de ses effets.

Enfin, deux tendances propres au capitalisme aggravent encore cette difficulté pour reconnaitre la décomposition et ses conséquences :

  • Le capitalisme est le mode de production le plus dynamique de l’histoire (thèse 5) et "la bourgeoisie ne peut exister sans révolutionner constamment les instruments de production, ce qui veut dire les rapports de production, c'est-à-dire l'ensemble des rapports sociaux" (Manifeste Communiste). Cela donne l’impression d’une "modernité" permanente, d’une société qui, malgré tout, "progresse" et se développe. Une des conséquences de cela est que la décomposition ne se manifeste pas de façon uniforme dans tous les pays. Elle est plus atténuée en Chine ou d’autres pays asiatiques. Par contre, elle prend une forme bien plus extrême dans d'autres parties du monde, par exemple en Afrique ou dans certains pays d’Amérique latine. Tout cela tend à "masquer" la décomposition. On pourrait dire que l’odeur nauséabonde qu’elle produit est amoindrie par le parfum séduisant de la "modernité".
  • Dans les pays les plus développés, la bourgeoise, avec le développement du capitalisme d'État, est encore capable de produire certaines contre-tendances pour limiter les effets de la décomposition. On en a vu un exemple dans le cas du Brexit où la bourgeoisie britannique s’est rapidement organisée pour en limiter les dégâts.

8) L’impact de la décomposition sur la classe ouvrière

Dans leur point 13, les Thèses abordent cette question dans les termes suivants :

"Les différents éléments qui constituent la force du prolétariat se heurtent directement aux diverses facettes de cette décomposition idéologique :

  • l'action collective, la solidarité, trouvent en face d'elles l'atomisation, le "chacun pour soi", la "débrouille individuelle" ;
  • le besoin d'organisation se confronte à la décomposition sociale, à la déstructuration des rapports qui fondent toute vie en société ;
  • la confiance dans l'avenir et en ses propres forces est en permanence sapée par le désespoir général qui envahit la société, par le nihilisme, par le "no future" ;
  • la conscience, la lucidité, la cohérence et l'unité de la pensée, le goût pour la théorie, doivent se frayer un chemin difficile au milieu de la fuite dans les chimères, la drogue, les sectes, le mysticisme, le rejet de la réflexion, la destruction de la pensée qui caractérisent notre époque." (Point 13)

Les expériences de lutte des 25 dernières années ont confirmé largement ces analyses. Notamment, lorsqu’on examine les deux mouvements les plus avancés de toute cette période : le mouvement anti-CPE en 2006 en France et le mouvement des Indignés en Espagne en 2011. C’est vrai que la solidarité a été au cœur de ces deux mouvements, comme elle avait été au cœur d’expériences plus limitées – par exemple, la mobilisation contre la réforme des retraites en France 2003 ou la grève du Métro à New York en 2005. Cependant, ces manifestations sont restées isolées et, au-delà d’une sympathie plutôt passive, n’ont pas suscité une mobilisation générale de la classe.

L’action collective et solidaire, un des traits fondamentaux de la lutte prolétarienne a eu beaucoup plus de mal que dans le passé à s’exprimer, malgré la gravité des attaques assenées contre la classe ouvrière - par exemple, au niveau des licenciements. C’est vrai que l’intimidation qu’exerce la crise provoque un retrait temporaire dans la combativité ; cependant le fait qu’un tel retrait a été presque permanent nous oblige à comprendre que ce facteur, tout en jouant un rôle, n’est pas le seul, et à considérer l’importance de ce que dit la thèse 13, le "chacun pour soi", l’atomisation, la débrouille individuelle.

La question de l’organisation est au cœur de la lutte du prolétariat. En laissant de côté les énormes difficultés qu’ont les minorités révolutionnaires pour assumer avec sérieux la question organisationnelle (ce que mériterait un autre texte), les difficultés de la classe pour s’organiser se sont aggravées, malgré l’irruption spectaculaire des Assemblées Générales dans le mouvement des Indignés ou dans le mouvement anti-CPE. Au-delà de ces exemples les plus avancés, qui restent un jalon vers l’avenir, beaucoup d’autres luttes semblables ont eu beaucoup de difficulté pour s’organiser. C'est le cas, notamment, du mouvement "Occupy" en 2011 ou des mouvements au Brésil et en Turquie en 2013.

La confiance dans sa propre force comme classe, un élément clé de la lutte du prolétariat, a fait cruellement défaut. Dans les deux mouvements importants qu'on vient de citer, l’énorme majorité de participants ne se reconnaissait pas comme classe ouvrière. Elle se voyait plutôt comme "les citoyens d’en bas", ce qui est très dangereux de point de vue de l’impact des illusions démocratique mais aussi face à la vague populiste actuelle.

La confiance dans l’avenir, et notamment sur la possibilité d’une nouvelle société, a été également absente au-delà de quelques intuitions trop générales ou de la capacité à se poser de façon très embryonnaire des questions comme celles de l’État, la morale, la culture etc. Ces tentatives sont certes très intéressantes du point de vue de l’avenir, cependant, elles sont restées très limitées, et d’un point de vue général très en-dessous du niveau de réflexion ayant existé dans les mouvements les plus avancés en 1968.

La conscience et la pensée structurée constituent un des éléments, comme note le point 13 des Thèses, qui trouvent un mur énorme devant elles pour se développer. Tandis que 68 a été préparé par une importante effervescence sociale au niveau de minorités et a donné lieu, par la suite et pendant tout un temps, à une prolifération d’éléments en recherche ; il faut relever le très peu de maturation sociale qui a préparé et qui a suivi les mouvements de 2006 et 2011. Malgré la gravité de la situation historique - incomparablement plus sérieuse qu’à 68 - il n’y a pas eu une nouvelle génération de minorités révolutionnaires. Cela montre que le décalage traditionnel dans le prolétariat - comme le soulignait Rosa Luxemburg - entre l’évolution objective et la compréhension subjective s’est aiguisé d’une façon très importante avec la décomposition, un phénomène qu’on ne devrait pas sous-estimer.


[1] THESES : la décomposition, phase ultime de la décadence capitaliste ; Revue internationale n° 107, 2001.