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Le cadre historique : la phase de décomposition du capitalisme
1) Il y a 30 ans, le CCI a mis en évidence que le système capitaliste était entré dans la phase ultime de sa période de décadence et de son existence, celle de la décomposition. Cette analyse se basait sur un certain nombre de faits empiriques, mais en même temps elle donnait un cadre pour la compréhension de ceux-ci : "Dans une telle situation où les deux classes fondamentales et antagoniques de la société s’affrontent sans parvenir à imposer leur propre réponse décisive, l’histoire ne saurait pourtant s’arrêter. Encore moins que pour les autres modes de production qui l’ont précédé, il ne peut exister pour le capitalisme de "gel", de "stagnation" de la vie sociale. Alors que les contradictions du capitalisme en crise ne font que s’aggraver, l’incapacité de la bourgeoisie à offrir la moindre perspective pour l’ensemble de la société et l’incapacité du prolétariat à affirmer ouvertement la sienne dans l’immédiat ne peuvent que déboucher sur un phénomène de décomposition généralisée, de pourrissement sur pied de la société." ("La décomposition, phase ultime de la décadence du capitalisme", Point 4, Revue Internationale n° 62)
Notre analyse prenait le soin de préciser les deux significations du terme "décomposition" ; d’une part, il s’applique à un phénomène qui affecte la société, particulièrement dans la période de décadence du capitalisme et, d’autre part, il désigne une phase historique particulière de cette dernière, sa phase ultime :
- "… il est indispensable de mettre en évidence la différence fondamentale qui oppose les éléments de décomposition qui ont affecté le capitalisme depuis le début du siècle [le 20e siècle] et la décomposition généralisée dans laquelle s’enfonce à l’heure actuelle ce système et qui ne pourra aller qu’en s’aggravant. Là aussi, au-delà de l’aspect strictement quantitatif, le phénomène de décomposition sociale atteint aujourd’hui une telle profondeur et une telle extension qu’il acquiert une qualité nouvelle et singulière manifestant l’entrée du capitalisme décadent dans une phase spécifique – la phase ultime – de son histoire, celle où la décomposition devient un facteur, sinon le facteur, décisif de l’évolution de la société." (Ibid., Point 2)
C’est principalement ce dernier point, le fait que la décomposition tende à devenir le facteur décisif de l’évolution de la société, et donc de l’ensemble des composantes de la situation mondiale – une idée qui n’est nullement partagée par les autres groupes de la Gauche communiste – qui constitue l’axe majeur de la présente résolution.
2) Les thèses de mai 1990 sur la décomposition mettent en évidence toute une série de caractéristiques dans l’évolution de la société résultant de l’entrée du capitalisme dans cette phase ultime de son existence. Le rapport adopté par le 22e congrès a constaté l’aggravation de l’ensemble de ces caractéristiques comme par exemple :
- "la multiplication des famines dans les pays du "tiers-monde" ;
- la transformation de ce même "tiers-monde" en un immense bidonville où des centaines de millions d’êtres humains survivent comme des rats dans les égouts ;
- le développement du même phénomène au cœur des grandes villes des pays "avancés" ;
- les catastrophes "accidentelles" qui se sont multipliées ces derniers temps (…) les effets de plus en plus dévastateurs, sur le plan humain, social et économique des catastrophes "naturelles" ;
- la dégradation de l’environnement qui atteint des proportions ahurissantes" (Thèses sur la décomposition, pt. 7)
Ce même rapport du 22e congrès du CCI soulignait également la confirmation et l’aggravation des manifestations politiques et idéologiques de la décomposition telles qu’elles avaient été identifiées en 1990 :
- "l’incroyable corruption qui croît et prospère dans l’appareil politique (…) ;
- le développement du terrorisme, des prises d’otages, comme moyens de la guerre entre États, au détriment des "lois" que le capitalisme s’était données par le passé pour "réglementer" les conflits entre fractions de la classe dominante ;
- l’accroissement permanent de la criminalité, de l’insécurité, de la violence urbaine (…) ;
- le développement du nihilisme, du suicide des jeunes, du désespoir, de la haine et de la xénophobie (…) ;
- le raz-de-marée de la drogue, qui devient aujourd’hui un phénomène de masse, participant puissamment à la corruption des États et des organismes financiers (…) ;
- la profusion des sectes, le regain de l’esprit religieux, y compris dans certains pays avancés, le rejet d’une pensée rationnelle, cohérente, construite (…) ;
- l’envahissement de ces mêmes médias par le spectacle de la violence, de l’horreur, du sang, des massacres (…) ;
- la nullité, et la vénalité, de toutes les productions "artistiques", de la littérature, de la musique, de la peinture, de l’architecture (…) ;
- le "chacun pour soi", la marginalisation, l’atomisation des individus, la destruction des rapports familiaux, l’exclusion des personnes âgées, l’anéantissement de l’affectivité". (Thèses sur la décomposition, pt. 8)
Le rapport du 22e congrès revenait en particulier sur le développement d’un phénomène déjà relevé en 1990 (et qui avait joué un rôle majeur dans la prise de conscience par le CCI de l’entrée du capitalisme décadent dans la phase de décomposition) : l’utilisation du terrorisme dans les conflits impérialistes. Le rapport relevait que : "La croissante quantitative et qualitative de la place du terrorisme a franchi un pas décisif (…) avec l’attaque contre les Twin Towers (…) Elle s’est confirmée par la suite avec les attentats de Madrid en 2004 et de Londres en 2005 (…), la constitution de Daesh en 2013-14 (…) les attentats en France en 2015-16, en Belgique et en Allemagne en 2016". Le rapport relevait également, en lien avec ces attentats et comme expression caractéristique de la décomposition de la société, la progression de l’islamisme radical qui, s’il avait été dans un premier temps d’inspiration shiite (avec l’instauration en 1979 du régime des mollahs en Iran), est devenu le fait essentiellement de la mouvance sunnite à partir de 1996 et la prise de Kaboul par les talibans et plus encore après le renversement du régime de Saddam Hussein en Irak par les troupes américaines.
3) Outre la confirmation des tendances qui étaient déjà identifiées dans les thèses de 1990, le rapport adopté par le 22e congrès relevait l’émergence de deux phénomènes nouveaux résultant de la poursuite de la décomposition et appelés à jouer un rôle majeur dans la vie politique de nombreux pays :
- une augmentation spectaculaire des flux migratoires à partir de 2012 avec un point culminant en 2015, des flux provenant principalement du Proche et du Moyen-Orient ravagés par la guerre, notamment à la suite « des printemps arabes" de 2011 ;
- la montée continue du populisme dans la plupart des pays d’Europe et aussi, dans la première puissance mondiale avec l’élection de Donald Trump en novembre 2016.
Les déplacements massifs de populations ne sont pas des phénomènes propres à la phase de décomposition. Cependant, ils acquièrent aujourd’hui une dimension qui en font un élément singulier de cette décomposition tant au niveau de leurs causes actuelles (notamment le chaos guerrier qui règne dans les pays d’origine) que de leurs conséquences politiques dans les pays de destination. En particulier, l’arrivée massive de réfugiés dans les pays européens a constitué un aliment de premier choix pour la vague populiste qui se développe en Europe bien que cette vague ait commencé à se lever bien avant (notamment dans un pays comme la France avec la montée du Front National).
4) En fait, au cours des vingt dernières années, les partis populistes ont vu le nombre de votes en leur faveur tripler en Europe (de 7 % à 25 %) avec de fortes progressions à la suite de la crise financière de 2008 et de la crise migratoire de 2015. Dans une dizaine de pays, ces partis participent au gouvernement ou à la majorité parlementaire : Pologne, Hongrie, Tchéquie, Slovaquie, Bulgarie, Autriche, Danemark, Norvège, Suisse et Italie. Par ailleurs, même lorsque les formations populistes ne sont pas impliquées dans le gouvernement, elles pèsent de façon significative sur la vie politique de la bourgeoisie. On peut en citer trois exemples :
- en Allemagne, c’est la montée électorale de l’AfD qui a fragilisé considérablement Angela Merkel la contraignant à abandonner son leadership sur son parti ;
- en France, "l’homme providentiel" Macron, apôtre d’un "Nouveau Monde", s’il a réussi à s’imposer largement face à Marine Le Pen aux élections de 2017, n’a nullement réussi à réduire l’influence du parti de cette dernière qui talonne dans les sondages son propre parti, la République en Marche, qui se veut pourtant "et de Droite et de Gauche" avec un personnel politique récupéré dans les deux camps (par exemple un Premier Ministre issu de la Droite et un ministre de l’Intérieur venu du Parti socialiste) ;
- en Grande-Bretagne, la bourgeoisie traditionnellement la plus habile du monde nous donne depuis plus d’un an le spectacle d’un profond désarroi résultant de son incapacité à gérer le "Brexit" qui lui a été imposé par les courants populistes.
Que les courants populistes soient au gouvernement ou qu’ils se contentent de perturber le jeu politique classique, ils ne correspondent pas à une option rationnelle de gestion du capital national ni donc à une carte délibérée jouée par les secteurs dominants de la classe bourgeoise qui, notamment à travers leurs médias, dénoncent en permanence ces courants. Ce qu’exprime en réalité la montée du populisme c’est l’aggravation d’un phénomène déjà annoncé dans les thèses de 1990 : "Parmi les caractéristiques majeures de la décomposition de la société capitaliste, il faut souligner la difficulté croissante de la bourgeoisie à contrôler l’évolution de la situation sur le plan politique." (Point 9) Un phénomène constaté clairement dans le rapport du 22e congrès : "Ce qu’il faut souligner dans la situation actuelle, c’est la pleine confirmation de cet aspect que nous avions identifié il y 25 ans : la tendance à une perte de contrôle croissante par la classe dominante de son appareil politique."
La montée du populisme constitue une expression, dans les circonstances actuelles, de la perte de contrôle croissante par la bourgeoisie des rouages de la société résultant fondamentalement de ce qui se trouve au cœur de la décomposition de celle-ci, l’incapacité des deux classes fondamentales de la société d’apporter une réponse à la crise insoluble dans laquelle s’enfonce l’économie capitaliste. En d’autres termes, la décomposition résulte fondamentalement d’une impuissance de la part de la classe régnante, d’une impuissance qui trouve sa source dans son incapacité à surmonter cette crise de son mode de production et qui tend de plus en plus à affecter son appareil politique. Parmi les causes actuelles de la vague populiste on trouve les principales manifestations de la décomposition sociale : la montée du désespoir, du nihilisme, de la violence, de la xénophobie, associée à un rejet croissant des "élites" (les "riches", les politiciens, les technocrates) et dans une situation où la classe ouvrière est incapable de présenter, même de façon embryonnaire, une alternative. Il est évidemment possible, soit parce qu’il aura lui-même démontré sa propre impuissance et sa propre corruption, soit parce qu’un renouveau des luttes ouvrières lui coupera l’herbe sous les pieds, que le populisme perde de son influence dans le futur. En revanche, cela ne pourra en aucune façon remettre en cause la tendance historique d’enfoncement de la société dans la décomposition, ni les différentes manifestations de celle-ci, y compris la perte de contrôle croissante par la bourgeoisie de son jeu politique. Et cela a des conséquences non seulement au niveau de la politique intérieure de chaque État mais aussi au niveau de l’ensemble des rapports entre États et des configurations impérialistes.
Le cours historique : un changement de paradigme
5) En 1989-90, face à la dislocation du bloc de l’Est, nous avons analysé ce phénomène inédit dans l’histoire, celui de l’effondrement de tout un bloc impérialiste en l’absence d’affrontements généralisés, comme la 1ère grande manifestation de la période de décomposition. En même temps, nous avons examiné la nouvelle configuration du monde qui résultait de cet événement historique :
- "La disparition du gendarme impérialiste russe, et celle qui va en découler pour le gendarme américain vis-à-vis de ses principaux "partenaires" d’hier, ouvrent la porte au déchaînement de toute une série de rivalités plus locales. Ces rivalités et affrontements ne peuvent pas, à l’heure actuelle, dégénérer en un conflit mondial (même en supposant que le prolétariat ne soit plus en mesure de s’y opposer). (…) Jusqu’à présent, dans la période de décadence, une telle situation d’éparpillement des antagonismes impérialistes, d’absence d’un partage du monde (ou de ses zones décisives) entre deux blocs, ne s’est jamais prolongée. La disparition des deux constellations impérialistes qui étaient sorties de la seconde guerre mondiale porte, avec elle, la tendance à la recomposition de deux nouveaux blocs. Cependant, une telle situation n’est pas encore à l’ordre du jour, la tendance à un nouveau partage du monde entre deux blocs militaires est contrecarrée, et pourra peut-être même être définitivement compromise, par le phénomène de plus en plus profond et généralisé de décomposition de la société capitaliste tel que nous l’avons déjà mis en évidence.
Dans un tel contexte de perte de contrôle de la situation par la bourgeoisie mondiale, il n’est pas dit que les secteurs dominants de celle-ci soient aujourd’hui en mesure de mettre en œuvre l’organisation et la discipline nécessaires à la reconstitution de blocs militaires. ("Après l’effondrement du bloc de l’est, déstabilisation et chaos", Revue Internationale n° 61)
Ainsi, 1989 marque une modification fondamentale dans la dynamique générale de la société capitaliste :
- Avant cette date, le rapport de forces entre les classes constituait l’élément déterminant de cette dynamique : c’est de ce rapport de forces que dépendait l’aboutissement de l’exacerbation des contradictions du capitalisme : soit le déchainement de la guerre mondiale, soit le développement des combats de classe avec, en perspective, le renversement du capitalisme.
- Après cette date, cette dynamique n’est plus déterminée par le rapport de forces entre les classes. Quel que soit ce rapport de forces, la guerre mondiale n’est plus à l’ordre du jour mais le capitalisme va continuer de s’enfoncer dans la décomposition.
6) Dans le paradigme qui a dominé la plus grande partie du 20e siècle, la notion de "cours historique" définissait l’aboutissement d’une tendance historique : soit la guerre mondiale soit les affrontements de classe et dès lors que le prolétariat avait subi une défaite décisive (comme à la veille de 1914 ou comme à la suite de la vague révolutionnaire de 1917-23), la guerre mondiale devenait inéluctable. Dans le paradigme qui définit la situation actuelle (tant que ne sont pas reconstitués deux nouveaux blocs impérialistes, ce qui peut ne jamais advenir), il est possible que le prolétariat subisse une défaite si profonde qu’elle lui interdise définitivement de se ressaisir mais il est aussi tout à fait possible que le prolétariat subisse une défaite profonde sans que cela ait une conséquence décisive pour l’évolution générale de la société. C’est pour cela que la notion de "cours historique" n’est plus en mesure de définir la situation du monde actuel et le rapport de forces entre bourgeoisie et prolétariat.
D’une certaine façon, la situation historique présente a des ressemblances avec celle du 19e siècle. En effet, à cette époque :
- une montée des combats ouvriers ne signifiait pas la perspective d’une période révolutionnaire à une époque où la révolution prolétarienne n’était pas encore à l’ordre du jour de même qu’elle ne pouvait empêcher une guerre majeure d’éclater (par exemple la guerre entre la France et la Prusse en 1870 alors que montait la puissance du prolétariat avec le développement de l’AIT) ;
- une défaite majeure du prolétariat (comme l’écrasement de la Commune de Paris) n’avait pas pour conséquence une nouvelle guerre.
Cela dit, il importe de souligner que la notion de "cours historique" telle qu’elle a été utilisée par la Fraction italienne dans les années 1930 et par le CCI entre 1968 et 1989 était parfaitement valable et constituait le cadre fondamental de compréhension de la situation mondiale. En aucune façon, le fait que notre organisation ait été conduite à prendre en compte les données nouvelles et inédites de cette situation depuis 1989 ne peut être interprété comme une remise en cause de notre cadre d’analyse jusqu’à cette date.
Les tensions impérialistes
7) Dès 1990, en même temps que nous constations la disparition des blocs impérialités qui avaient dominé la "Guerre froide", nous insistions sur la poursuite, et même l’aggravation des affrontements guerriers :
- "Dans la période de décadence du capitalisme, TOUS les États sont impérialistes et prennent les dispositions pour assumer cette réalité : économie de guerre, armements, etc. C’est pour cela que l’aggravation des convulsions de l’économie mondiale ne pourra qu’attiser les déchirements entre ces différents États, y compris, et de plus en plus, sur le plan militaire. (…) Ces rivalités et affrontements ne peuvent pas, à l’heure actuelle, dégénérer en un conflit mondial (…). En revanche, du fait de la disparition de la discipline imposée par la présence des blocs, ces conflits risquent d’être plus violents et plus nombreux, en particulier, évidemment, dans les zones où le prolétariat est le plus faible." (Revue Internationale n° 61, "Après l’effondrement du bloc de l’est, déstabilisation et chaos ")
- "… la disparition actuelle des blocs impérialistes ne saurait impliquer la moindre remise en cause de l’emprise de 1’impérialisme sur la vie de la société. La différence fondamentale réside dans le fait que (…) la fin des blocs ne fait qu’ouvrir la porte à une forme encore plus barbare, aberrante et chaotique de l’impérialisme." (Revue Internationale n°64, "Militarisme et décomposition ")
Depuis, la situation mondiale n’a fait que confirmer cette tendance à l’aggravation du chaos comme nous le constations il y a un an :
- "Le développement de la décomposition a conduit à un déchaînement sanglant et chaotique de l’impérialisme et du militarisme. L’explosion de la tendance au chacun pour soi a conduit à la montée des ambitions impérialistes des puissances de deuxième et troisième niveau, ainsi qu’à l’affaiblissement croissant de la position dominante des États-Unis dans le monde. La situation actuelle se caractérise par des tensions impérialistes partout et par un chaos de moins en moins contrôlable, mais surtout par son caractère hautement irrationnel et imprévisible, lié à l’impact des pressions populistes, en particulier au fait que le pouvoir le plus fort du monde est aujourd’hui dirigé par un président populiste aux réactions capricieuses." (Revue Internationale n°161, "Analyse de l’évolution récente des tensions impérialistes (juin 2018)")
8) Le Moyen-Orient, là où l’affaiblissement du leadership américain est le plus manifeste et où l’incapacité américaine de s’engager militairement trop directement en Syrie a laissé le champ ouvert aux autres impérialismes, offre un concentré de ces tendances historiques :
- En particulier la Russie s’est imposée sur le théâtre syrien grâce à sa force militaire et s’y est affirmée comme puissance incontournable pour y conserver sa base navale de Tartous.
- L’Iran, grâce à sa victoire militaire permettant de sauver le régime allié d’Assad et en se forgeant un corridor terrestre irako-syrien reliant directement l’Iran à la Méditerranée et au Hezbollah libanais, en est le principal bénéficiaire et a rempli son objectif de s’ériger au premier plan dans cette région, en particulier en y déployant des troupes en dehors de son territoire.
- La Turquie, obsédée par la crainte de l’établissement de zones autonomes kurdes qui la déstabilise, opère militairement en Syrie.
- Les "victoires" militaires en Irak et en Syrie contre l’État Islamique et le maintien d’Assad au pouvoir n’offrent aucune perspective de stabilisation. En Irak, la défaite militaire de l’EI n’a pas éliminé le ressentiment de l’ancienne fraction sunnite de S. Hussein qui lui a donné naissance : l’exercice du pouvoir pour la première fois par des chiites ne fait que l’attiser encore. En Syrie, la victoire militaire du régime ne signifie ni la stabilisation ni la pacification de l’espace syrien partagé et soumis à des impérialismes aux intérêts concurrents.
- La Russie et l’Iran se divisent profondément quant à l’avenir de l’État syrien et la présence de leurs troupes militaires sur son territoire ;
Ni Israël, hostile au renforcement du Hezbollah au Liban et en Syrie, ni l’Arabie Saoudite ne peuvent tolérer cette avancée iranienne ; tandis que la Turquie ne peut accepter les trop grandes ambitions régionales de ses deux rivaux.
Les États-Unis et les occidentaux ne peuvent pas non plus renoncer à leurs ambitions dans cette zone stratégique du monde.
L’action centrifuge des différentes puissances, petites et grandes, dont les appétits impérialistes divergents entrent constamment en collision, ne fait qu’alimenter la persistance des conflits actuels, comme au Yémen, ainsi que la perspective de prochaines conflagrations et l’extension du chaos.
9) Alors que, suite à l’effondrement de l’URSS en 1989, la Russie semblait condamnée à ne plus pouvoir jouer qu’un rôle de puissance secondaire, celle-ci effectue un retour en force au plan impérialiste. Puissance sur le déclin et dépourvue des capacités économiques pour soutenir la compétition militaire avec les autres grandes puissances à long terme, elle démontre grâce à la restauration de ses capacités militaires depuis 2008 sa très importante agressivité militaire et sa force de nuisance internationalement :
- Elle a ainsi mis en échec le "containment" américain (avec l’intégration à l’OTAN de ses ex-alliés du Pacte de Varsovie) sur le continent européen avec l’annexion de la Crimée en 2014, l’amputation séparatiste du Donbass brisant toute possibilité de faire de l’Ukraine une pièce centrale du dispositif antirusse.
- Elle a profité des difficultés américaines pour effectuer une poussée vers la Méditerranée : son intervention militaire en Syrie lui a permis de renforcer sa présence militaire navale dans ce pays et dans le bassin oriental de la Méditerranée. La Russie est aussi parvenue pour le moment à opérer un rapprochement avec la Turquie, pourtant membre de l’OTAN, qui s’éloigne de l’orbite américaine.
L’actuel rapprochement de la Russie avec la Chine sur la base du rejet des alliances américaines dans la région Asie n’ayant qu’une faible perspective d’alliance à long terme tant les intérêts des deux États divergent, l’instabilité des rapports de forces entre puissances confère à l’État-continent eurasiatique russe, une importance stratégique nouvelle au vu de la place qu’elle peut occuper dans l’endiguement de la Chine.
10) Surtout, la situation actuelle est marquée par la rapide montée en puissance de la Chine. Celle-ci se donne comme perspective (en investissant massivement dans de nouveaux secteurs technologiques, en particulier l’intelligence artificielle) de s’ériger en puissance économique de premier plan à l’horizon 2030-50 et de se doter d’ici 2050 d’une "armée de classe mondiale capable de remporter la victoire dans toute guerre moderne". La manifestation la plus visible de ses ambitions est le lancement depuis 2013 des "nouvelles route de la soie" (création de corridors de transport sur mer et sur terre, d’accès au marché européen et de sécurisation de ses voies commerciales) conçues comme moyen de renforcer sa présence économique mais également comme un instrument de développement de sa puissance impérialiste dans le monde et à long terme, menaçant directement la prééminence américaine.
Cette ascension de la Chine provoque une déstabilisation générale des relations entre puissances qui, d’ores et déjà sont entrées dans un moment stratégique grave où la puissance dominante, les États-Unis, tente de contenir et entreprend de briser l’ascension de la puissance chinoise qui la menace. La riposte américaine débutée par Obama – reprise et amplifiée par Trump par d’autres moyens, représente un tournant dans la politique américaine. La défense de leurs intérêts en tant qu’état national épouse désormais celle du chacun pour soi qui domine les rapports impérialistes : les États-Unis passent du rôle de gendarme de l’ordre mondial à celui de principal agent propagateur du chacun pour soi et du chaos et de remise en cause de l’ordre mondial établi depuis 1945 sous leur égide.
Cette "bataille stratégique pour le nouvel ordre mondial entre États-Unis et Chine" qui se joue dans tous les domaines à la fois, augmente encore l’incertitude et l’imprévisibilité déjà inscrite dans la situation particulièrement complexe, instable et mouvante de la décomposition : ce conflit majeur contraignant tous les états à reconsidérer leurs options impérialistes en pleine évolution.
11) Les étapes de l’ascension de la Chine sont inséparables de l’histoire des blocs impérialistes et de leur disparition en 1989 : la position de la Gauche communiste affirmant "l’impossibilité de tout surgissement de nouvelles nations industrialisées" dans la période de décadence et la condamnation des états " qui n’ont pas réussi leur "décollage industriel" avant la première guerre mondiale à stagner dans le sous-développement, ou à conserver une arriération chronique par rapport aux pays qui tiennent le haut du pavé" était parfaitement valable dans la période de 1914 à 1989. C’est le carcan de l’organisation du monde en deux blocs impérialistes adverses (permanente entre 1945 et 1989) en vue de la préparation de la guerre mondiale qui empêchait tout bouleversement de la hiérarchie entre puissances. L’essor de la Chine a commencé avec l’aide américaine rétribuant son changement de camp impérialiste en faveur des États-Unis en 1972. Il s’est poursuivi de façon décisive après la disparition des blocs en 1989. La Chine apparait comme le principal bénéficiaire de la "globalisation" suite à son adhésion à l’OMC en 2001 quand elle est devenue l’atelier du monde et la destinataire des délocalisations et des investissements occidentaux, se hissant finalement au rang de seconde puissance économique mondiale. Il a fallu la survenue des circonstances inédites de la période historique de la décomposition pour permettre l’ascension de la Chine, sans laquelle celle-ci n’aurait pas eu lieu.
La puissance de la Chine porte tous les stigmates du capitalisme en phase terminale : elle est basée sur la surexploitation de la force de travail du prolétariat, le développement effréné de l’économie de guerre du programme national de "fusion militaro-civile" et s’accompagne de la destruction catastrophique de l’environnement, tandis que la "cohésion nationale" repose sur le contrôle policier des masses soumises à l’éducation politique du Parti unique et la répression féroce des populations allogènes du Xinjiang musulman et du Tibet. En fait, la Chine n’est qu’une métastase géante du cancer généralisé militariste de l’ensemble du système capitaliste : sa production militaire se développe à un rythme effréné, son budget défense a multiplié par six en 20 ans et occupe depuis 2010 la 2° place mondiale.
12) La mise en place des "nouvelles routes de la soie" et l’avancée graduelle, persistante et à long terme de la Chine (l’établissement d’accords économiques ou de partenariats interétatiques partout dans le monde - avec l’Italie, la prise de contrôle du port d’Athènes en Méditerranée - jusqu’en Amérique Latine ; la création d’une base militaire à Djibouti – porte d’entrée de son influence grandissante sur le continent africain) affecte tous les états et bouscule "tous les équilibres" existants.
En Asie, la Chine a déjà modifié l’équilibre des forces impérialistes au détriment des États-Unis. Il ne lui est pas possible cependant de remplir automatiquement le “vide” laissé par le déclin du leadership américain en raison même du chacun pour soi impérialiste et de la méfiance qu’inspire sa puissance. D’importantes tensions impérialistes se cristallisent en particulier avec :
- l’Inde, qui dénonce la création des routes de la soie dans son voisinage immédiat (Pakistan, Birmanie, Sri Lanka) comme une stratégie d’encerclement et une atteinte à sa souveraineté, entreprend un grand programme de modernisation de son armée et a quasiment doublé son budget depuis 2008.
- et le Japon qui adopte la même volonté d’y faire barrage. Tokyo a commencé à remettre en cause le statut limitant sa capacité juridique et matérielle à recourir à la force militaire issu de la 2e guerre mondiale et soutient directement les États régionaux, diplomatiquement mais aussi militairement, pour faire face à la Chine.
L’hostilité de ces deux États envers la Chine pousse à leur convergence ainsi qu’à leur rapprochement avec les États-Unis. Ces derniers ont lancé une alliance quadripartite Japon-États-Unis-Australie-Inde offrant un cadre de rapprochement diplomatique entre les différents États opposés à la montée de la Chine, mais aussi militaire.
Dans cette phase de "rattrapage" de la puissance des États-Unis par la Chine, celle-ci tente de masquer ses ambitions hégémoniques afin d’éviter l’affrontement direct avec son challenger nuisible à ses projets à long terme, tandis que les États-Unis prennent l’initiative dès maintenant pour y faire barrage et recentrent l’essentiel de leur attention impérialiste sur l’espace Indopacifique.
13) Malgré le populisme de Trump, en dépit des désaccords au sein de la bourgeoisies américaine sur la manière de défendre leur leadership et des divisions en particulier concernant la Russie, l’administration Trump adopte une politique impérialiste en continuité et en cohérence avec les intérêts impérialistes fondamentaux de l’État américain qui fait globalement consensus au sein des secteurs majoritaires de la bourgeoisie américaine : défendre le rang de première puissance mondiale indiscutée des États-Unis.
Face à l’enjeu chinois, les États-Unis opèrent une importante mutation de leur stratégie impérialiste mondiale. Ce virage repose sur le constat que le cadre de la “mondialisation” n’a pas garanti la position des États-Unis, mais l’a même affaiblie. L’officialisation par l’administration Trump de faire prévaloir sur tout autre principe celui de la défense de leurs seuls intérêts en tant qu’état national et l’imposition de rapports de force profitables aux États-Unis comme principal fondement des relations avec les autres États, entérine et tire les implications de l’échec de la politique des 25 dernières années de lutte contre le chacun pour soi en tant que gendarme du monde et de la défense de l’ordre mondial hérité de 1945.
Le tournant opéré par les États-Unis se concrétise par :
- leur retrait (ou la remise en cause) des accords internationaux et des institutions devenus des entraves à leur suprématie ou contradictoires avec les besoins actuels de l’impérialisme américain : retrait de l’Accord de Paris sur le changement climatique, la réduction des contributions à l’ONU et leur retrait de l’UNESCO, du Conseil des Droits de l’Homme des Nations-Unies, du Pacte Mondial sur les Migrants et les réfugiés.
- la volonté d’adapter l’OTAN, l’alliance militaire héritée des blocs qui a perdu une bonne partie de sa pertinence dans la configuration actuelle des tensions impérialistes, en imposant aux alliés une prise en charge financière plus importante de leur protection et en révisant l’automaticité du déploiement du parapluie américain en leur faveur.
- la tendance à l’abandon du multilatéralisme au profit d’accords bilatéraux (en se fondant sur sa force militaire et sa force économique) utilisant les leviers du chantage économique, de la terreur et de la menace de l’utilisation de la force brute militaire (comme les frappes atomiques contre la Corée) pour s’imposer.
- la guerre commerciale avec la Chine en bonne partie en vue d’interdire à celle-ci toute possibilité d’accéder à la stature économique et de développer les secteurs stratégiques lui permettant de contester directement leur hégémonie.
- la remise en cause des accords multilatéraux de limitation des armements (FNI et START) afin de conserver leur avance technologique et relancer la course aux armements pour épuiser ses rivaux (selon la stratégie éprouvée ayant entrainé l’effondrement de l’URSS). Les États-Unis ont adopté en 2018 l’un des budgets militaires les plus élevés de leur histoire, relancent leurs capacités nucléaires et envisagent la création d’une VIe composante de l’US Army destinée à "dominer l’espace" afin de contrecarrer les menaces de la Chine dans le domaine satellitaire.
Le comportement de vandale d’un Trump qui peut dénoncer du jour au lendemain les engagements internationaux américains au mépris des règles établies représente un nouveau et puissant facteur d’incertitude et d’impulsion du chacun pour soi. Il forme un indice supplémentaire de la nouvelle étape que franchit le système capitaliste dans l’enfoncement dans la barbarie et l’abîme du militarisme à outrance.
14) Le changement de stratégie américaine est perceptible sur certains des principaux théâtres impérialistes :
- au Moyen-Orient, l’objectif affirmé des États-Unis vis à vis de l’Iran (et des sanctions à son encontre) vise à déstabiliser et à renverser le régime en jouant sur ses divisions internes. Tout en cherchant à poursuivre leur désengagement militaire progressif des bourbiers d’Afghanistan et de Syrie, les États-Unis s’appuient désormais unilatéralement sur leurs alliés d’Israël et surtout d’Arabie Saoudite (de loin la principale puissance militaire régionale) comme pivot de leur politique d’endiguement de l’Iran. Dans cette perspective ils fournissent à chacun de ces deux États et à leurs dirigeants respectifs les gages de soutien indéfectible sur tous les plans (fourniture d’équipements militaires dernier cri, appui de Trump dans le scandale de l’assassinat de l’opposant Khashoggi pour l’Arabie, reconnaissance de Jérusalem-Est comme capitale et de la souveraineté israélienne sur le plateau syrien du Golan pour Israël) pour s’attacher leur alliance. La priorité de l’endiguement de l’Iran s’accompagne de la perspective de l’abandon des accords d’Oslo de la solution des "deux États" (israélien et palestinien) à la question palestinienne. L’arrêt de l’aide américaine aux Palestiniens et à l’OLP et la proposition du "big deal" (l’abandon de toute revendication de la création d’un état palestinien en échange d’une aide économique américaine "géante") visent à tenter de résorber la pomme de discorde palestinienne instrumentalisée par tous les impérialismes régionaux contre les États-Unis pour faciliter le rapprochement de facto entre les alliés arabe et israélien.
- en Amérique Latine, les États-Unis engagent une contre-offensive pour s’assurer un meilleur contrôle impérialiste dans leur zone d’influence traditionnelle. L’arrivée au pouvoir de Bolsonaro au Brésil n’est pas en tant que telle le résultat d’une simple poussée du populisme mais résulte d’une vaste opération de pression américaine sur la bourgeoisie brésilienne tramée par l’État américain avec l’objectif, rempli, de ramener cet État dans son giron impérialiste. Prologue d’un plan d’ensemble visant à renverser les régimes anti-américains de la "troïka de la tyrannie" (Cuba, Venezuela et Nicaragua), il a été poursuivi par la tentative, pour l’instant avortée, d’écarter la clique chaviste du régime Maduro au Venezuela.
Washington inflige cependant clairement un revers à la Chine qui avait fait du Venezuela un allié politique de choix pour étendre son influence et qui se révèle impuissante à s’opposer à la pression américaine. Il n’est pas impossible que cette offensive américaine de reconquête impérialiste de son arrière-cour d’Amérique latine inaugure une offensive plus systématique contre la Chine sur d’autres continents. Pour le moment elle fait planer la perspective de la plongée du Venezuela dans le chaos d’un affrontement à mort et sans issue entre fractions bourgeoises, ainsi que d’une déstabilisation accrue de l’ensemble de cette zone sud-américaine.
15) L’actuel renforcement général des tensions impérialistes se traduit par la relance de la course aux armements et à la suprématie technologique militaire non seulement là où les tensions sont les plus apparentes (en Asie et au Moyen Orient) mais pour tous les États, grandes puissances en tête. Tout indique que se profile une nouvelle étape dans les affrontements inter-impérialistes et d’enfoncement du système dans la barbarie guerrière.
Dans ce contexte l’Union Européenne, en raison de cette situation impérialiste, va continuer à être confrontée à la tendance à la fragmentation, comme l’a mis en évidence le rapport sur les tensions impérialistes de juin 2018. (Revue Internationale n° 161)
La crise économique
16) Au plan économique, la situation du capitalisme est, depuis début 2018, marquée par un net ralentissement de la croissance mondiale (passée de 4 % en 2017 à 3,3 % en 2019), que la bourgeoisie prévoit comme durable et devant s’aggraver en 2019-20. Ce ralentissement s’est avéré plus rapide que prévu en 2018, le FMI ayant dû revoir à la baisse ses prévisions sur les deux prochaines années, et touche pratiquement simultanément les différentes parties du capitalisme : Chine, États-Unis, zone euro. En 2019, 70 % de l’économie mondiale ralentissent et particulièrement les pays "avancés", (Allemagne, Royaume-Uni). Certains des pays émergents sont déjà en récession (Brésil, Argentine, Turquie) tandis que la Chine, en ralentissement depuis 2017 et avec une croissance évaluée à 6,2 % pour 2019 encaisse ses plus bas chiffres de croissance des trente dernières années.
La valeur de la plupart des monnaies des pays émergents s’est affaiblie, quelquefois fortement, comme en Argentine et en Turquie. Fin 2018, le commerce mondial enregistre une croissance zéro, tandis qu’au plan financier Wall Street a connu en 2018 les "corrections" boursières les plus amples des 10 dernières années. La plupart des indicateurs sont au clignotant et annoncent la perspective d’une nouvelle plongée de l’économie capitaliste.
17) La classe capitaliste n’a pas de futur à offrir, son système a été condamné par l’histoire. Depuis la crise de 1929, la première grande crise de l’époque de la décadence du capitalisme, la bourgeoisie n’a pas cessé de sophistiquer l’intervention de l’État pour exercer un contrôle général sur l’économie. De plus en plus confronté à l’étroitesse croissante des marchés extra-capitalistes, de plus en plus menacé par une surproduction généralisée, "le capitalisme s’est donc maintenu en vie grâce à l’intervention consciente de la bourgeoisie qui ne peut plus se permettre de s’en remettre à la main invisible du marché. C’est vrai que les solutions deviennent aussi des parties du problème :
- le recours à l’endettement accumule clairement des problèmes énormes pour le futur,
- la boursouflure de l’État et du secteur de l’armement génère des pressions inflationnistes effroyables.
Depuis les années 70, ces problèmes ont engendré différentes politiques économiques, mettant alternativement l’accent sur le "Keynésianisme" ou le "néolibéralisme", mais comme aucune politique ne peut s’attaquer aux causes réelles de la crise, aucune démarche ne pourra arriver à la victoire finale. Ce qui est remarquable, c’est la détermination de la bourgeoisie à maintenir à tout pris son économie en marche et sa capacité à freiner la tendance à l’effondrement à travers un endettement gigantesque." (Résolution sur la situation internationale du 16° Congrès)
Produit des contradictions de la décadence et de l’impasse historique du système capitaliste, le capitalisme d’État mis en place à l’échelle de chaque capital national n’obéît cependant pas à un strict déterminisme économique ; au contraire son action, essentiellement de nature politique, intègre et combine simultanément dans son organisation et ses options les plans économiques, sociaux (comment faire face à son ennemi de classe en fonction du rapport de force entre les classes) et impérialistes (la nécessité de maintenir un énorme secteur de l’armement au centre de toute activité économique) pour préserver et défendre le système d’exploitation bourgeois sur tous les plans vitaux. Ainsi le capitalisme d’État a-t-il connu différentes phases et modalités d’organisation au cours de l’histoire de la décadence.
18) Dans les années 1980, sous l’impulsion des grandes puissances économiques, une telle nouvelle phase a été inaugurée : celle de la "mondialisation". Dans une première étape, elle a d’abord pris la forme des Reagonomics, rapidement relayée par une deuxième, qui a mis à profit la situation historique inédite de la chute du bloc de l’est, pour étendre et approfondir une vaste réorganisation de la production capitaliste à l’échelle planétaire entre 1990 et 2008.
Le maintien de la coopération entre États, utilisant notamment les vieilles structures du bloc occidental, et la préservation d’un certain ordre dans les échanges commerciaux, ont été des moyens de faire face à l’aggravation de la crise (les récessions de 1987 et 1991-93) mais aussi aux premiers effets de la décomposition, qui, sur le terrain économique ont pu ainsi être, en grande partie, atténués.
Sur le modèle de référence de l’UE éliminant les barrières douanières entre États-membres, l’intégration de nombreuses branches de la production mondiale s’est renforcée en développant de véritables chaînes de production à l’échelle planétaire. En combinant logistique, informatique et télécommunications, permettant des économies d’échelle, l’exploitation accrue de la force de travail du prolétariat (par la hausse de la productivité, la mise en concurrence internationale, la libre circulation de la main d’œuvre pour imposer la baisse les salaires), la soumission de la production à la logique financière de la rentabilité maximale, le commerce mondial a continué à s’accroitre, même si plus faiblement, stimulant l’économie mondiale, d’un "second" souffle prolongeant l’existence du système capitaliste.
19) La crise de 2007-09 a marqué une étape dans l’enfoncement du système capitaliste dans sa crise irréversible : après quatre décennies de recours au crédit et à l’endettement afin de contrecarrer la tendance croissante à la surproduction, ponctuées de récessions de plus en plus profondes et de reprises de plus en plus limitées, la récession de 2009 a été la plus importante depuis la Grande Dépression. C’est l’intervention massive des États et de leurs banques centrales qui ont sauvé le système bancaire de la faillite complète par un endettement public faramineux en rachetant les créances qui ne pouvaient plus être remboursées.
Le capital chinois, lui aussi gravement touché par la crise, a joué un rôle important dans la stabilisation de l’économie mondiale par la mise en œuvre de plans de relance en 2009, 2015 et 2019 fondé sur un endettement massif de l’État.
Non seulement les causes de la crise de 2007-2011 n’ont pas été résolues ou dépassées, mais la gravité et les contradictions de la crise sont passées à un stade supérieur : ce sont désormais les États eux-mêmes qui sont confrontés au poids écrasant de leur endettement (la "dette souveraine") qui affecte encore plus leur capacité à intervenir pour relancer leurs économies nationales respectives. "L’endettement a constitué un moyen de suppléer à l’insuffisance des marchés solvables, mais celui-ci ne peut s’accroître indéfiniment, ce qu’a mis en évidence la crise financière à partir de 2007. Cependant, toutes les mesures qui peuvent être prises pour limiter l’endettement placent à nouveau le capitalisme devant sa crise de surproduction, et cela dans un contexte économique international qui limite de plus en plus sa marge de manœuvre." (Résolution situation internationale 20°Congrès)
20) Le développement actuel de la crise par les perturbations croissantes qu’elle provoque dans l’organisation de la production en une vaste construction multilatérale à l’échelle internationale unifiée par des règles communes montre les limites de la "mondialisation": le besoin toujours plus grand d’unité (qui n’a jamais signifié autre chose que l’imposition de la loi du plus fort sur les plus faibles) en raison de l’intrication "transnationale” de la production très segmentée pays par pays (c’est en unités fondamentalement divisées par la concurrence où tout produit est conçu ici, assemblé là à l’aide d’éléments produits ailleurs encore) se heurte à la nature nationale de chaque capital, aux limites mêmes du capitalisme, irrémédiablement divisé en nations concurrentes et rivales, le degré d’unité maximal qu’il est impossible au monde bourgeois de dépasser. L’aggravation de la crise (ainsi que les exigences de la rivalité impérialiste) soumet à rude épreuve les institutions et les mécanismes multilatéraux.
Ce fait s’illustre par l’attitude actuelle des deux principales puissances en compétition pour l’hégémonie mondiale :
- La Chine a assuré sa montée en puissance économique à la fois en utilisant les leviers du multilatéralisme de l’OMC tout en développant sa propre politique de partenariat économique (comme à travers le projet des "nouvelles route de la soie" visant à contrecarrer le ralentissement de sa croissance) sans se préoccuper des normes environnementales ou "démocratiques" (propres à la politique de mondialisation pour imposer les normes occidentales et la concurrence à l’échelle mondiale entre bénéficiaires et perdants de la mondialisation). Idéologiquement elle conteste l’ordre libéral occidental qu’elle estime en déclin et tente, en créant depuis 2012 des institutions (l’Organisation de Shanghai, la Banque asiatique de développement…) de poser les bases d’un ordre international concurrent alternatif, que la bourgeoisie qualifie d'"illibéral".
- L’État américain sous l’administration Trump (soutenu par une majorité de la bourgeoisie américaine) s’estimant le perdant de la "mondialisation" face aux "tricheries" de la Chine et de ses rivaux tend à contourner les institutions de régulation (OMC, G7 et G20) de plus en plus inaptes à préserver la position américaine (leur vocation première) pour privilégier les accords bilatéraux assurant une meilleure défense de ses intérêts.
21) L’influence de la décomposition représente un facteur de déstabilisation supplémentaire. En particulier, le développement du populisme vient encore aggraver la situation économique en voie de dégradation en introduisant un facteur d’incertitude et d’imprédictibilité face aux tourments de la crise. L’arrivée au pouvoir de gouvernements populistes, aux programmes peu réalistes pour le capital national, qui affaiblit le fonctionnement de l’économie et du commerce mondiaux sème la pagaille, fait planer le risque d’affaiblissement des moyens imposés par le capitalisme depuis 1945 pour éviter tout repli autarcique sur le cadre national favorisant la contagion incontrôlée de la crise économique. La pagaille du Brexit et l’épineuse sortie de la Grande-Bretagne de l’UE en fournissent une autre illustration : l’incapacité des partis de la classe dominante britannique à statuer sur les conditions de la séparation et la nature des relations futures avec l’Union Européenne, les incertitudes autour du "rétablissement" des frontières, en particulier entre l’Irlande du Nord et l’Eire, le devenir incertain de l’Ecosse pro-européenne menaçant de se séparer du Royaume-Uni affectent l’économie anglaise (en faisant dévisser la valeur de la livre) tout comme celle des ex-partenaire de l’UE, privées de la visibilité à long terme et de la stabilité réglementaire indispensables à la conduite des affaires.
Les désaccords concernant la politique économique en Grande-Bretagne, aux États-Unis et ailleurs montrent l’existence de divisions croissantes sur ce plan, non seulement entre nations rivales mais aussi au sein de chaque bourgeoisie nationale entre "multilatéralistes" et "unilatéralistes" et même au sein de chacune de ces approches (par ex. entre "soft" et "hard" Brexiters au Royaume-Uni). Non seulement il n’y a plus de consensus minimal sur la politique économique, même entre les pays de l’ancien bloc occidental, mais cette question est aussi de plus en plus conflictuelle au sein même des bourgeoisies nationales.
22) L’accumulation actuelle de l’ensemble de ces contradictions dans le contexte présent d’avancée de la crise économique ainsi que de fragilité du système monétaire et financier et d’endettement massif des États au plan international suite à 2008, ouvrent une période de graves convulsions à venir et placent à nouveau le système capitaliste devant la perspective d’une nouvelle plongée. Il faut néanmoins ne pas perdre de vue que le capitalisme n’a certainement pas épuisé de façon définitive tout recours pour accompagner l’enfoncement dans la crise et éviter des situations incontrôlées, en particulier dans les pays centraux. La situation de surendettement des États, dont le service de la dette auquel doit être affecté une partie accrue de la richesse nationale produite, plombe lourdement les budgets nationaux et réduit fortement leur marge de manœuvre face à la crise. Pour autant, il est certain que cette situation ne mettra :
- aucunement fin à la politique d’endettement, comme principal palliatif aux contradictions à la crise de surproduction et moyen de reporter les échéances, dans la fuite en avant pour préserver son système, au prix de convulsions futures toujours plus graves ;
- ni aucun frein à la folle course aux armements à laquelle est condamné irrémédiablement chaque État. Celle-ci prend une forme de plus en plus manifestement irrationnelle par le poids croissant de l’économie de guerre et la production d’armement, la part grandissante de leur PIB qui va continuer à y être consacrée (et qui atteint aujourd’hui son plus haut niveau depuis 1988, à l’époque de la confrontation entre blocs impérialistes).
23) Concernant le prolétariat, ces nouvelles convulsions ne peuvent que se traduire par des attaques encore plus importantes contre ses conditions de vie et de travail sur tous les plans et dans le monde entier, en particulier :
- par le renforcement de l’exploitation de la force de travail par la poursuite de la baisse des salaires et l’augmentation des cadences et de la productivité dans tous les secteurs ;
- par la poursuite du démantèlement de ce qui reste du welfare state (restrictions supplémentaires des différents systèmes d’indemnités accordées aux chômeurs, des aides sociales et des systèmes de retraite) ; et plus généralement l’abandon en "douce" du financement de toutes les formes d’aides ou de soutien social du secteur associatif ou parapublic ;
- la réduction par les États des coûts que représentent l’enseignement et la santé dans la production et l’entretien de la force de travail du prolétariat (et donc des attaques importantes contre les prolétaires de ces secteurs publics) ;
- l’aggravation et le développement encore plus grand de la précarisation comme moyen d’imposer et de faire peser le développement du chômage de masses dans toutes les parties de la classe.
- les attaques camouflées derrière des opérations financières, telles que les taux d’intérêt négatifs qui érodent les petits comptes d’épargne et les régimes de retraite. Et bien que les taux officiels d’inflation des biens de consommation soient faibles dans de nombreux pays, les bulles spéculatives ont contribué à une véritable explosion du coût du logement.
- l’augmentation du coût de la vie et notamment des taxes et du prix des produits de première nécessité.
Néanmoins, bien que la bourgeoisie de tous les pays, est de plus en plus acculée à renforcer toujours plus ses attaques contre la classe ouvrière, sa marge de manœuvre sur le plan politique est loin d’être épuisée. On peut être sûr qu’elle va tout mettre en œuvre pour empêcher le prolétariat de riposter sur son propre terrain de classe contre la dégradation croissante de ses conditions de vie imposée par les convulsions de l’économie mondiale.
Mai 2019