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La première partie de cet article brossait un panorama de l’histoire de la Turquie, État issu de la décadence et dont l’importance géostratégique joua un rôle important dans les conflits impérialistes du XXe siècle. Dans cette seconde partie, nous verrons comment les enjeux autour de la Turquie ont évolué depuis 1989 et l’entrée du capitalisme dans sa phase de décomposition.
L’implosion de l’URSS en 1989 et ses conséquences pour la Turquie et l’OTAN
L’éclatement du bloc russe en 1989 marqua également la fin des deux blocs et cela eut de profondes répercussions pour la Turquie au regard de son histoire et son poids géostratégique. Tous les facteurs de la décomposition entrèrent en scène et empirèrent la situation : chaos militariste, ambitions impérialistes dans un contexte de chacun pour soi, irrationalité du fondamentalisme religieux montant, renforcement des tendances totalitaires, répression pure et simple à l’encontre de revendications nationalistes impossibles à satisfaire, comportement sans cesse changeant à l’égard des autres pays et l’arrivée de millions de réfugiés et de déplacés, conséquence de tous ces facteurs et qui avait été utilisée comme arme impérialiste. La “nouvelle” et forte Turquie émergente est par conséquent une illustration particulière de la faiblesse du capitalisme et de sa décomposition.
Au lieu de la “victoire” du capitalisme et de sa super-puissance dominante, les États-Unis, on observe l’affaiblissement de ces derniers face à l’instabilité politique et économique, l’irrationalité et l’imprévisibilité, ce que le Moyen-Orient, avec la Turquie en acteur central, illustre particulièrement.
Durant la guerre froide, la Turquie était le principal bastion de l’Ouest contre la Russie. Une fois l’URSS dissoute (et avec elle la menace qu’elle représentait pour la Turquie), cet État n’avait plus autant besoin de l’OTAN. Même la récente annexion de la Crimée en 2014 par la Russie ne semble pas avoir menacé la Turquie. En fait, les relations grandissantes entre la Turquie et la Russie sont quelque peu problématiques pour l’Occident. La Turquie a bénéficié de l’invasion russe de la Crimée au point qu’elle a pu obtenir, suite aux sanctions économiques des Occidentaux, de l’énergie à bas prix. De son côté, la Russie compte toujours sur la Turquie pour laisser ses détroits ouverts, permettant à sa marine d’accéder aux eaux des mers chaudes. La Russie ne menaçant désormais plus ni sa frontière Est, ni celle de l’Ouest (des arrangements entre les deux pays, bien que non gravés dans le marbre, ayant été conclus au sujet de la frontière avec la Syrie), la dépendance de la Turquie envers l’OTAN s’est amoindrie. Sur son flanc oriental, la Turquie a intensifié ses relations avec l’Azerbaïdjan dont le pétrole et le gaz manquent à la Turquie. Depuis l’effondrement de l’Union Soviétique, la Turquie a développé des liens étroits sur les plans culturels, économiques et militaires avec l’Azerbaïdjan et a soutenu ce dernier en 2016 dans sa guerre contre l’Arménie (elle-même soutenue par les Russes), refusant toujours de reconnaître la “République indépendante du Haut-Karabagh”.
Mais, par-dessus tout, alors que la dépendance de la Turquie envers l’OTAN a diminué, celle de l’OTAN envers la Turquie s’est accentuée. A travers la poursuite de ses ambitions propres (ce qui signifie ne plus se soumettre à une quelconque alliance militaire, discipline ou à divers arrangements) la Turquie n’est pas seulement devenue peu fiable mais également imprévisible. Déjà en 2003, quand les États-Unis firent face aux problèmes en Irak, le Parlement turc a refusé le stationnement des troupes américaines en Anatolie orientale, que ces dernières avaient espéré pouvoir utiliser comme base militaire. Se retrouver engagée à faire face à la Russie devient un fardeau aussi inutile qu’indésirable pour la Turquie et au lieu de cela, on observe des tendances inverses à travers le rapprochement avec la Russie, ce qui fait de la Turquie une force en soi, ébranlant et affaiblissant l’OTAN. Si la Russie parvient à ramener la Turquie dans son orbite aux côtés de l’Iran, cela la renforcera considérablement. Poursuivant dans cette direction, la Turquie vient de finaliser l’achat de missiles russes S-400 et a discuté de la situation en Syrie avec la Russie à la mi-novembre avant une nouvelle entrevue à venir à Sotchi à ce sujet avec Poutine et l’Iran.
Au vu du grand nombre et de la forte concentration de travailleurs émigrés turcs et kurdes dans le monde, particulièrement en Allemagne et dans le reste de l’Europe, il y a clairement un danger que ces éléments soient mobilisés derrière des intérêts nationalistes. L’impérialisme turc possède les moyens de faire la propagande de ses intérêts perçus en direction de sa diaspora à travers l’organisation Milli Görüs (qui propage une vision nationaliste et religieuse), formée en 1969.(1)
Cela prit un certain temps, comme pour beaucoup de politiciens occidentaux, de comprendre les conséquences de la chute de l’URSS. L’économie turque se portait relativement bien, malgré une dette croissante. À la fin des années 1990, la Turquie rejoignit l’union douanière de l’Union Européenne et en 2005 engagea des négociations sur son adhésion à L’UE. Durant cette période, le coup d’État kémaliste/laïc de 1997, finalement occasionné par une manifestation anti-Israël arborant des images du Hamas et du Hezbollah, évinça le leader islamiste Erbakan et força l’interdiction des expressions et institutions religieuses. L’armée turque réalisa par conséquent un autre de ses “ajustements équilibrés”.
Cette période marqua l’ascension parallèle de l’ex-footballeur et ancien maire d’Istanbul, Recip Erdogan qui, bien que toujours écarté de la vie politique pour ses penchants islamistes, participa à la formation du Parti de la Justice et du développement (AKP) en 2001. Il déclara que le parti n’adopterait pas un axe islamique.
L’ascension de Recip Tayyip Erdogan
L’AKP vint au pouvoir en Turquie en 2002 par une victoire écrasante après que les chamailleries entre différentes factions de la classe dominante eurent mené le pays au bord de la faillite, forçant le FMI à le renflouer l’année précédente. Erdogan devint Premier ministre en 2003 alors que l’émigration des travailleurs turcs, une puissante soupape de décompression pour l’économie nationale, était en train de ralentir et que, de manière générale au Moyen Orient, il y avait un affaiblissement des pouvoirs laïcs et une montée du fondamentalisme religieux. Grâce à un mélange de structures de type mafieuses, de corruption et de clanisme, Erdogan devint Premier ministre et mit immédiatement en avant ses fortes ambitions et projets nationalistes : modernisation de l’infrastructure, création d’emplois (même s’ils étaient mal payés) grâce à l’endettement et aux investissements étrangers, tout cela baignant dans un fondamentalisme islamique toujours plus profond et ambitieux reposant sur des éléments arriérés. Afin d’affaiblir l’emprise de l’armée, qui demeurait une menace pour l’AKP, Erdogan conclut une alliance tactique avec le puissant responsable religieux Fethullah Gülen, le leader du pragmatique et transnational Hizmet islamiste (dit le “Service” ou “Confrérie Gülen”), mouvement solidement implanté dans la police turque, l’éducation, la presse et la justice. Gülen servit bien Erdogan, affaiblissant l’armée et la laïcité à travers son influence sur les tribunaux et toutes sortes d’intrigues et de manœuvres obscures. Mais les deux hommes, pris dans une lutte opposant différentes factions de la bourgeoisie turque, finirent par s’affronter à travers le scandale de corruption touchant directement Erdogan, et réciproquement par les accusations d’infiltration de la confrérie Gülen dans les services de renseignement turcs (MIT).(2) L’État turc a depuis désigné Gülen et son organisation comme “terroristes”. Erdogan a demandé l’extradition de Gülen des États-Unis pour son supposé rôle dans la tentative de coup d’État de 2016 mais les États-Unis ne sont pas disposés à accéder à cette requête, au vu du poids que représente la confrérie Gülen pour l’impérialisme américain et le message que cela représenterait pour tout “exilé” utile au Département d’État.
Depuis les années 1980 en particulier, il y a eu une montée de l’influence islamique et le renforcement du fondamentalisme religieux dans tout le Moyen-Orient. Par exemple, lors de la campagne pour les élections de 1987, le port du voile par les femmes dans les lieux publics comme les écoles, les hôpitaux et les bâtiments officiels, fut une question récurrente. Une des nombreuses parades utilisées par l’armée fut de s’opposer en 1997 aux plans d’Erkaban en refusant de donner aux lycées Imam Hatip (Imam Hatip Lisesi – IHL – en turc) le statut d’école publique. En conséquence, le nombre d’étudiants des IHL chuta de 500 000 en 1996-1997 à environ 100 000 en 2004-2005. En 1998, Erdogan fut condamné à 10 mois de prison (il fut relâché au bout de 4 mois) pour “incitation à la haine religieuse”. Il lui fut également interdit de se présenter à des élections et d’occuper une fonction politique. En mars 2008, le procureur général de l’État, avec le soutien de l’armée, planifiait de déclarer l’AKP illégal car ce dernier devenait un “point de cristallisation d’activités anti-laïques”, suite à la fin de l’interdiction de porter le voile dans les universités. Peu de temps après, la Cour Suprême rejeta le plan du procureur général.
Suite à cela, l’AKP d’Erdogan devint plus que déterminé à diminuer le pouvoir de l’armée. Cependant, depuis la rupture entre Gülen et Erdogan, il y a désormais encore plus de divisions entre Turcs “blancs et noirs”, les “kémalistes” et les “religieux”. De plus les groupes islamiques sont désormais divisés en deux branches.
Depuis la proclamation de la République turque en 1923, toutes les tentatives de “contenir” l’influence des forces islamiques ainsi que leur pénétration au sein des structures de l’État ont échoué ; de fait, depuis les années 1980 (comme ailleurs avec la montée des Moudjahidines et Khomeini en Iran à la fin des années 1970), cette montée du fondamentalisme islamique, sous différentes formes, reflète une tendance globale vers un militantisme religieux extrêmement réactionnaire.(3) Dans un même temps, l’armée ayant réprimé d’une main de fer durant une décennie tous les groupes d’opposition (qu’ils soient islamiques, kurdes ou autres), cela a établi une polarisation factice entre une armée présentée comme “anti-démocratique” et les forces “démocratiques” comme l’AKP qui n’étaient pas moins autoritaires.
Aujourd’hui, le clan Erdogan dirige l’État comme sa propre entreprise, toutes les charges de corruption contre celui-ci ayant-été abandonnées depuis belle lurette et les personnes impliquées dans la procédure judiciaire qui le visait ont été purgées. Mais, derrière le clan Erdogan, repose une forme particulière de totalitarisme d’État, basée sur une exclusion religieuse réactionnaire, des discours nationalistes enragés et de fortes ambitions impérialistes.
L’utilisation de la question des réfugiés par l’impérialisme turc
Une nouvelle preuve de l’importance de sa position géostratégique est que la Turquie représente également une tête de pont pour tous les réfugiés fuyant la guerre au Moyen-Orient. Mais les réfugiés sont également utilisés dans un cynique exercice de chantage face à l’Union Européenne. L’UE a payé de fortes sommes à l’AKP d’Erdogan pour qu’il retienne les réfugiés et Erdogan a souvent menacé de les laisser partir pour l’Europe. Dans ce but, la Turquie a de nouveau demandé 3 milliards d’euros à l’Europe pour 2018.
La bourgeoisie turque a également tiré profit de l’organisation du trafic de migrants de l’Afrique vers l’Europe, ce qui éclaire un peu plus les visées impérialistes de la Turquie sur ce continent. Les ambassades turques, consulats, entreprises et autres ont fleuri dans toute l’Afrique, tout comme la compagnie aérienne Turkish Airlines. À travers des vols peu onéreux, subventionnés, les candidats à l’émigration peuvent voyager depuis l’Afrique du Nord et sub-saharienne jusqu’à la Turquie. De là, ils sont amenés jusqu’aux frontières de l’Europe avec l’appui nécessaire de réseaux du crime organisé qui sont incorporés dans l’État turc. Erdogan a mentionné plusieurs fois la création d’une zone exempte de visas pour les ressortissants des pays musulmans, une sorte de “Schengen islamique” que l’Europe voit d’un très mauvais œil.
Aux côtés des Mili Görüs mentionnés précédemment, la Turquie dispose de nombreuses ONG qui servent ses intérêts impérialistes. Parmi celles-ci se trouve la Fondation pour l’aide humanitaire (IHH) qui supervise des programmes sanitaires majeurs dans de nombreux pays africains et qui est présente dans des dizaines d’autres. Sa montée en puissance coïncida avec les nombreux voyages d’Erdogan en Afrique et le développement général du soft power turc qui s’étend au-delà du continent africain. L’IHH est structurée selon les lignes directrices des œuvres caritatives des Frères Musulmans et contient de fait des cadres de l’organisation. C’est cette organisation qui, sous la direction d’Erdogan, lança la “Flottille pour Gaza” en 2010, incluant des éléments de la gauche du capital qui n’eurent aucun problème à se mêler à leur équipage fondamentaliste islamique.(4) La plupart des médicaments que la flottille transportait durant cette farce impérialiste avaient expiré avant que celle-ci ne soit stoppée par le blocus israélien.
La pratique du soft power turc s’étend à son allié pakistanais ou à son ONG, Kizilay, qui a construit des mosquées dans le style ottoman près de la frontière indienne. Erdogan a soutenu le Pakistan sur la question du Cachemire et en retour, le régime pakistanais a facilité la purge des “gulénistes” au sein des établissements scolaires turco-pakistanais. Les deux pays ont en effet besoin l’un de l’autre pour défendre leurs intérêts contre les États-Unis.
Erdogan affirme sa position et son autorité
Après s’être affiché comme “ami” et “défenseur de la paix” auprès des Kurdes, Erdogan, une fois à la tête de l’État, fut contraint de tomber le masque à cause du succès électoral du Parti démocratique des peuples pro-Kurde (HDP) qui menaçait la majorité de l’AKP au parlement. Mais ce volte-face fut principalement dû aux succès des Unités de protection du peuple kurdes qui gagnèrent des pans de territoire le long de la frontière turco-syrienne.
Tout comme la bourgeoisie israélienne souhaiterait se débarrasser des Palestiniens, la Turquie souhaite se débarrasser des Kurdes. En juillet 2015, l’armée turque lança une guerre-éclair contre les positions séparatistes kurdes dans le sud-est, détruisant les zones civiles étendues qui abritaient les combattants kurdes.
L’AKP qui avait remporté une victoire écrasante en 2011 avec 49,8 % des voix, ne récolta que 40,9 % à l’élection de juin 2014. De surcroît, le (HDP) fit un score de 13,1 % et put ainsi siéger au parlement. Le résultat signifia qu’Erdogan ne put atteindre la majorité nécessaire de deux-tiers pour modifier la constitution.
Obsédé par le fait de devenir le “nouveau Sultan” du nouvel Empire ottoman, l’AKP ordonna à l’appareil judiciaire de mettre l’HDP hors-la-loi.
Sous les effets combinés de la terreur d’État, des attaques terroristes de Daech et du PKK, une part importante de la population intimidée se jeta dans les bras d’Erdogan et à l’élection de novembre 2015, l’AKP disposa enfin de la majorité nécessaire. À nouveau la répression contre les Kurdes se renforça à mesure que le parti gagna en puissance. Erdogan consolida encore sa position en gagnant le référendum de 2017, changeant ainsi la constitution et concentrant ainsi un pouvoir toujours plus large entre ses mains.
Malgré l’élection orchestrée par l’AKP au pouvoir, Erdogan l’emporta seulement avec une courte majorité de 51 % des voix. Significativement, les trois plus grandes villes de Turquie, Istanbul comprise, votèrent contre lui mais, selon le Washington Post du 17 avril 2017, il fit mieux que prévu auprès des électeurs kurdes (probablement terrifiés par la tournure des événements). Ce n’est pas la première fois qu’Erdogan s’en sort de justesse : il se produisit la même chose durant le putsch raté de 2016.(5)
Erdogan sortit renforcé de cet épisode et de la purge (dans le plus pur style stalinien) qui s’ensuivit et qui sévit encore jusqu’à ce jour : des torrents de propagande contre les “comploteurs” et les “terroristes” sont diffusés depuis continuellement par l’État, alors que toute contestation est systématiquement écrasée.
Par le développement particulier de son capitalisme d’État teinté de fondamentalisme religieux, la Turquie s’est éloignée de l’Union Européenne. Son rôle déjà fragile au sein de l’OTAN est devenu incertain et, tout en étant impliquée dans des querelles diplomatiques avec les États-Unis et l’OTAN au point de se retirer de manœuvres opérées par cette dernière, elle a opté provisoirement pour des relations plus amicales, quasi-stratégiques et également très imprévisibles avec la Russie.
Même si les médias présentent Erdogan comme le “nouveau Sultan” et que lui-même se présente comme l’architecte de la nouvelle “Turquie islamique moderne” (après la “Turquie moderne et laïque” d’Ataturk), différente du “modèle” iranien théocratique, ce projet ne reflète pas uniquement, loin s’en faut, l’ambition d’un leader mégalomane. Comme nous l’avons évoqué précédemment, il représente la résurgence des ambitions impérialistes d’une Turquie au sein d’un noyau impérialiste toujours plus chaotique et en pleine fragmentation. En fait toutes les composantes de la classe dominante sous l’AKP ont été impliquées dans ce processus.
Quel avenir pour la Turquie et la classe ouvrière ?
Erdogan intensifie son projet avec l’ambition de faire de la Turquie une super-puissance d’ici 20 à 30 ans. Ce qui apparaît comme une lubie ne tient pas compte de la présente irrationalité du capitalisme en décomposition. Pour que ce nouveau “Sultanat” prenne forme, la “question kurde” doit être réglée une fois pour toutes et les relations avec la Russie doivent s’intensifier.
Avec ses pouvoirs grandissants, Erdogan s’est éloigné de l’OTAN, a pris ses distances avec l’Europe et l’Allemagne et voit les États-Unis comme une puissance hostile. La Turquie n’est pas en état de guerre ouverte avec une autre puissance mais elle est impliquée dans des opérations militaires en dehors de son territoire et se retrouve être de plus en plus le théâtre d’affrontements entre l’armée turque et les groupes que celle-ci a combattus au sein ou en dehors des frontières mêmes de la Turquie (PKK ou Daech). Le pays lui-même risque de s’engouffrer dans une spirale de chaos militariste tout en étant entouré par des millions de réfugiés et une instabilité impérialiste globale.
Il y a cependant des facteurs imprévisibles en jeu. La nature de la politique extérieure américaine sous Trump, les tensions grandissantes entre l’Arabie Saoudite et l’Iran et leurs répercussions sur le Liban avec la possibilité d’une intervention militaire israélienne dans la région, tous ces facteurs auront vraisemblablement un retentissement sur des zones représentant des intérêts importants pour la Turquie : la Syrie, l’Irak, le Liban,(6) Gaza, etc.
Les impressionnantes performances économiques de la Turquie ces dernières années, qui renforcent la “popularité” d’Erdogan, semblent se placer sur le court terme et sont sous la menace d’une instabilité géopolitique, ce qui signifie que cet avantage s’estompera au moment même où la soupape de sécurité de l’émigration cessera de fonctionner et où la dette augmentera. Aucune campagne d’intoxication religieuse ou aucun délire sur le “nouvel Empire” ne pourront compenser cela.
Le poids de l’économie de guerre, qui engloutit d’énormes quantités d’argent, aura vraisemblablement des répercussions sur les conditions de vie du prolétariat. Les manifestations du Parc Gezi en 2013 suivirent une vague de protestations contre la guerre et le gouvernement dans le sud et rassembla des manifestants au-delà des divisions religieuses, sexuelles et ethniques. La classe ouvrière était présente dans ces manifestations mais pas avec un fort sentiment d’appartenance de classe.(7)
Est-ce que le prolétariat est prêt à être asservi et à mourir pour les projets d’Erdogan ? Le prolétariat turc a montré historiquement une solide tradition de lutte et de militantisme. Il doit absolument rester sur son terrain de classe et développer ses luttes de manière autonome tout en refusant d’être entraîné dans des campagnes nationalistes et pro ou anti-Erdogan.
Boxer, 25 novembre 2017
1 Milli Gorus est une organisation pro-musulmane et anti-occidentale. Elle possède environ 2 500 groupes locaux, construit environ 500 mosquées et crée de nombreuses fondations. Elle n’inclut pas seulement des Turcs islamiques mais également des Sunnites d’Asie centrale et du Caucase. Son épicentre se trouve en Allemagne et elle possède des ramifications dans de nombreux pays européens mais également en Australie, au Canada et aux États-Unis. L’organisation fut fondée par Necmettin Erbakan, islamiste, anti-européen, anti-kémaliste qui fut Premier ministre de la Turquie de 1996 à 1997. On dit qu’Erdogan reprend l’héritage d’Erbakan et qu’il utilisera probablement la Mili Gorus pour le diffuser.
2 Gulen réside désormais aux États-Unis et est généralement dépeint en occident comme un simple prédicateur. En fait, il est assis sur une vaste et pénétrante organisation multi-milliardaire. Il est proche du clan Clinton et des Démocrates.
3 Selon le Middle East Quarterly, hiver 2009, (pp 55-66) : en 2008 “on recensait en Turquie plus de 85 000 mosquées, une pour 350 habitants (en comparaison il y avait un hôpital pour 6000 habitants) le plus élevé par tête au monde avec 90 000 imams, un nombre supérieur à celui des médecins ou des enseignants”.
4 Il y a quelques années en Grande-Bretagne, il y eut de nombreuses manifestations à l’appel de la gauche qui soutenaient les attaques contre Israël et marchaient côte-à-côte avec des éléments du Hamas, scandant l’odieux slogan de “We are all Hamas”. Cela ne différait pas tant que ça de la politique extérieure officielle de la Grande-Bretagne à l’époque qui soutenait activement les Frères Musulmans.
5 Erdogan échappa de justesse à une unité de commando envoyée par les forces impliquées dans la tentative de coup d’État de juillet 2016 alors qu’il était en vacances dans la station de Marmaris et une fois en sûreté à bord de son jet, il échappa à nouveau à deux chasseurs-bombardiers F-16 sous le contrôle des putschistes qui tentaient de le pourchasser (Agence Reuters du 17 juillet 2017). Mais tout comme une part importante des coulisses du coup d’État, tout ceci reste nimbé de mystère.
6 Les obligations de visas entre la Turquie et le Liban ont été abolies et plusieurs protocoles d’accords et de coopération établis.
7 Lire notre article “Mouvement social en Turquie : le remède à la terreur d’État n’est pas la démocratie” dans Révolution Internationale n°439 (février – avril 2013).