Campagne idéologique autour des “suffragettes”: droit de vote ou communisme ?

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Face au torrent de “célébrations” sur la façon dont les femmes (ou quelques femmes) ont obtenu le droit de vote en 1918, nous sommes heureux de publier la traduction de la courte réponse d’un camarade qui s’est rapproché des positions de la Gauche Communiste, et ainsi des idées de Sylvia Pankhurst en 1918 qui a démontré que l’acquisition du droit de vote n’était qu’une tromperie visant à endiguer le flot révolutionnaire provoqué par les horreurs de la Première Guerre mondiale.

CCI

La Fédération Socialiste des travailleurs est apparue d’abord sous le nom de Fédération de l’Est de Londres de l’Union Sociale et Politique des Femmes (WSPU), principale organisation pour le droit de vote des femmes, dirigée par Emmeline et Christabel Pankhurst. À l’inverse du WSPU, la Fédération de l’Est de Londres (UPMS) était composée d’une grande majorité de femmes de la classe ouvrière (opposées aux classes moyennes), et ouverte aux hommes. Sylvia Pankhurst était donc concernée par les réformes sociales et l’action industrielle pour l’amélioration des conditions de vie désastreuses de la classe ouvrière, alors que le WSPU avait fait de la lutte pour le droit de vote féminin son cheval de bataille et visait à attirer les femmes de la classe moyenne. La nature ouvrière et la radicalité réformatrice de la Fédération de Londres-Est entraîna son expulsion du WSPU en 1914.

Pendant la Première Guerre mondiale, la plus grande partie du mouvement international pour le suffrage féminin (par exemple le WSPU en Grande Bretagne ou la National American Woman Suffrage Association aux États-Unis) s’est ralliée au soutien à l’effort de guerre de leur pays, s’engageant dans une propagande patriotique/nationaliste pro-guerre. La guerre a exacerbé la pauvreté et les difficultés de la classe ouvrière dans l’Est de Londres et Sylvia Pankhurst avait tenté vainement d’alléger les souffrances des travailleurs par la charité et en faisant pression pour des réformes et des coopératives.

La révolution russe a conduit à un changement radical de la politique de Sylvia Pankhurst. En effet, le nom de son organisation a évolué de “Fédération des Suffragettes de l’Est de Londres” en “Fédération pour le Suffrage des Femmes”, puis en “Fédération pour le Suffrage des ouvriers” et enfin “Fédération Socialiste des Ouvriers”. Le nom de son journal est passé de : La menace féminine, à : La menace ouvrière, ce qui a illustré ce changement de politique, passant des “femmes” (une catégorie interclassiste), aux “femmes ouvrières”, et enfin à la “classe ouvrière” en général et son rejet ultime de la politique du suffragisme réformiste au profit du communisme.

En 1918-1919, Sylvia Pankhurst a reconnu qu’il était inutile et en fait réactionnaire de faire campagne en faveur du droit de vote au milieu d’une vague révolutionnaire mondiale et prolétarienne. À une époque où la classe ouvrière révolutionnaire remettait en question l’existence même des Parlements et des États-Nations, la question du vote des ouvriers, des femmes ou des femmes de la classe moyenne à ces mêmes parlements bourgeois, avait perdu toute pertinence. Les parlements n’étaient plus un lieu de contestation politique important pour le prolétariat, l’avenir était à chercher dans la forme des soviets territoriaux (conseils ouvriers).

Le Parti Communiste, estimant que les instruments de l’organisation et de la domination capitaliste ne peuvent être utilisés à des fins révolutionnaires, s’abstient de toute participation au parlement et au système de gouvernement local bourgeois. Il ne manquera pas d’expliquer sans relâche aux ouvriers que leur salut ne réside pas dans les organes de la “démocratie” bourgeoise, mais dans les Soviets Ouvriers.

Le Parti Communiste refuse tout compromis avec les socialismes de droite ou centriste. Le parti travailliste britannique est dominé par les opportunistes réformistes, les social-patriotes et les bureaucrates syndicaux, qui se sont déjà alliés au capitalisme contre la révolution ouvrière dans leur pays et à l’étranger. La construction et la constitution du parti travailliste britannique est telle que les masses ouvrières ne peuvent pas s’exprimer à travers lui. La classe ouvrière est et restera affiliée à la Deuxième Internationale, aussi longtemps que cette Internationale existera”. (Résolutions provisoires pour la constitution du programme du Parti Communiste, 1920).

Cette grande campagne médiatique autour de la célébration du suffragisme, et la tentative de présenter Sylvia Pankhurst comme une suffragette, plutôt que comme la militante communiste anti-parlementaire qu’elle est devenue, tout cela procède d’une offensive idéologique de la classe dirigeante : récupérer ce qui peut l’être, dissimuler ce qui ne peut être récupéré, pour réécrire l’Histoire, en laissant de côté tous les éléments révolutionnaires. D’une manière générale, il s’agit de saper la mémoire historique du mouvement de la classe ouvrière au moment du centenaire de la vague révolutionnaire mondiale de 1917-1923.

Pourquoi la classe dirigeante fait-elle tant de bruit autour de la commémoration de la Loi sur la représentation du peuple (People Act) de 1918, la présentant comme un grand moment de l’histoire britannique ? Pourquoi présente-t-elle les suffragettes comme des héroïnes nationales ? Qu’aurait pensé la Communiste de Gauche Sylvia Pankhurst de cette fête nationale ?

Il est intéressant de noter que les obstacles juridiques qui ont été opposés à la participation des femmes au parlement et à ses élections n’ont été levés que lorsque le mouvement pour l’abolition du Parlement a été fortement encouragé par le spectacle de l’effondrement du parlement russe et la création des Soviets.

Les événements de Russie ont suscité une réponse à travers le monde, pas seulement parmi la minorité qui était favorable à l’idée du Communisme des Conseils, mais aussi parmi les tenants de la réaction. Ces derniers étaient parfaitement conscients de la croissance du soviétisme lorsqu’ils ont décidé de jouer la carte de la vieille machine parlementaire en accordant à certaines femmes à la fois le droit de vote et le droit d’être élues”. (La menace ouvrière, 15 décembre 1923).

N’est-il pas vrai que tous ceux qui célèbrent le droit de vote sont englués dans la défense de la démocratie ?

Même s’il était possible de démocratiser les rouages du parlement, il garderait son caractère intrinsèquement anticommuniste : le roi pourrait être remplacé par un président, toute trace du Bureau actuel abolie, la Chambre des Lords pourrait disparaître ou être transformée en Sénat, la Premier ministre choisi par un vote majoritaire au parlement ou élu par un référendum populaire, le Cabinet pourrait être choisi par référendum ou devenir un Comité exécutif élu par le parlement. Les lois parlementaires pourraient être ratifiées par référendum…, malgré tout cela, le parlement resterait une institution non communiste.

Sous le communisme, nous n’aurons pas un tel mécanisme de législation et de coercition. L’activité des Soviets sera d’organiser la production et la fourniture de services pour tous ; ils ne peuvent avoir aucune autre fonction durable”. (S. Pankhurst, 1922)

Craftwork, 12 février 2018

Rubrique: 

Histoire du mouvement ouvrier