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Depuis sa nomination au poste de président le 15 février dernier, le nouveau leader de l’Afrique du Sud est largement plébiscité par les médias. Il faut dire que son prédécesseur, Jacob Zuma, se traîne une impressionnante série de casseroles qui devenait difficilement supportable pour l’image de la bourgeoisie elle-même et entravait la gestion de l’État.
Ex-syndicaliste et figure de la lutte anti-apartheid, Cyril Ramaphosa est un baron de l’ANC, le Parti au pouvoir depuis 1994. Avant son retour dans les affaires politiques, cet ancien leader du Syndicat national des mines (le NUM, dont il occupe le poste de secrétaire général en 1982) fit un passage remarqué dans les milieux d’affaires, qui lui permit de devenir une des plus grosses fortunes du continent. Il siège déjà au conseil d’administration de la mine de Marikana en 2012 lorsque la grève éclate et use de ses relations pour faire intervenir les forces de l’ordre. Bilan : la police tire sans sommation faisant 34 morts parmi les mineurs. Blanchi par une commission d’enquête, il a présenté depuis ses excuses. A peine arrivé au pouvoir, Ramaphosa a présenté un plan d’austérité comme l’Afrique du Sud en a peu connu depuis la fin de l’apartheid, en particulier marqué par une hausse de la TVA et de diverses taxes. Voilà comment cet ex-syndicaliste entend engager l’Afrique du Sud dans une “ère nouvelle”.
Ramaphosa serait-il un traître ? Aurait-il renoncé à ses “idéaux” ? En réalité, la trajectoire de cet individu illustre bien que, depuis plus d’un siècle, les syndicats ont cessé d’être un outil de lutte aux mains des ouvriers. En entrant en décadence, le système capitaliste a cessé d’être en mesure d’accorder des réformes véritables en faveur de la classe ouvrière. Ayant perdu toute possibilité d’exercer leur fonction de défenseur des intérêts économiques du prolétariat dans un contexte historique où seul l’abolition du salariat, et donc leur propre disparition, est à l’ordre du jour, les syndicats sont devenus, comme condition de leur propre survie, les défenseurs acharnés du système, s’intégrant entièrement à l’appareil d’État.(1)
De nombreux exemples illustrent la réalité de l’assimilation des syndicats à l’État bourgeois. En Pologne, lors des luttes massives d’août 1980, de nombreuses usines se mirent en grève en portant des revendications unitaires, entre autres contre l’augmentation des prix et pour des augmentations de salaire. La solidarité inter-secteurs comme la prise en charge de l’organisation de la lutte et son contrôle par les ouvriers eux-mêmes furent des éléments-clés de la force et de l’extension du mouvement à tout le pays, avec quelques craintes de la part de la bourgeoisie russe en particulier, que le mouvement ne s’étende aux pays voisins de l’ex-bloc de l’Est. Pour la bourgeoisie, il s’agissait donc d’empêcher l’extension du mouvement par tous les moyens. Pour ce faire, elle misa sur une figure reconnue des ouvriers dans les luttes précédentes, notamment dans les chantiers navals en 1970 et 1976. A la tête d’une nouvelle structure d’encadrement syndical, Solidarnosc, qui s’est rapidement substitué aux comités inter-usines, Lech Walesa parcourut alors le pays comme “pompier volant” (souvent avec un hélicoptère de l’armée) pour presser les ouvriers de cesser les grèves, affirmant que “la société veut de l’ordre maintenant. Nous devons apprendre à négocier plutôt qu’à lutter”. Solidarnosc devint alors ouvertement un partenaire du gouvernement, tentant même de pousser les ouvriers à renoncer à huit samedis libres pour aider le pays à surmonter la crise. Ce sabotage du mouvement des luttes massives en Pologne en août 1980 contre sa dynamique d’extension et d’auto-organisation et sa défense des intérêts de l’économie nationale ont ainsi ouvert la voie à la répression en 1981 du général Jaruzelski auquel Walesa a succédé en accédant à la présidence de la Pologne, concrétisant la pleine intégration de son syndicat à l’État. Tout cela lui a d’ailleurs valu la reconnaissance de la bourgeoisie internationale en lui décernant le prix Nobel de la Paix en 1983.
De l’autre côté de la planète, à la même période, l’ex-président du syndicat de la métallurgie au Brésil faisait ses armes au sein de différentes instances de l’État. Il s’agissait d’un certain Lula Da Silva. Si Lula est aujourd’hui sous les feux des projecteurs, ce n’est pas pour “ses bons services rendus à la nation” ni pour avoir participé à la création du Parti des travailleurs (PT) en 1980. Il croule aujourd’hui sous les dossiers du scandale de Pétrobras, pour corruption et blanchiment d’argent, s’accrochant obstinément à une bouée de sauvetage : les prochaines élections présidentielles. Cet ancien leader syndical s’est notamment distingué par les attaques de ses “réformes”, et la brutalité dont il a fait preuve pour réprimer les mouvements de lutte dont celui des contrôleurs aériens en 2007 : “Quelques jours après la grève, le gouvernement a déclaré illégal l’accord signé par ses propres représentants et les grévistes, accord qui donnait satisfaction aux revendications. Dans un violent discours adressé à la presse et à la population, le Président Lula a accusé les contrôleurs d’être des “irresponsables” et des “traîtres”, pour n’avoir pas respecté les institutions et la hiérarchie militaire. (…) Ce discours a ouvert la voie de la répression, renforçant la volonté des organes militaires de punir, y compris d’incarcérer, les éléments les plus combatifs”.(2)
En France, on peut citer les Chérèque, père et fils. Jacques Chérèque, le père, ancien OS de la métallurgie qui fut leader de la CFTC et CFDT, avant de se rapprocher du prétendu socialisme de Michel Rocard et accéder ainsi au poste de préfet (en 1984) puis à celui de ministre délégué à l’aménagement du territoire en 1988 ; il n’a cessé d’être dans toutes les années 1970 et 1990 l’un des acteurs clés du démantèlement de la sidérurgie en Lorraine, responsable du licenciement et de la mise au chômage de dizaines de milliers d’ouvriers. Son fils, François, céda la direction de la CFDT en 2012 pour devenir inspecteur à l’IGAS (Inspection générale des affaires sociales).
Au mois de mai dernier, nous avons vu le gouvernement intégrer d’anciens syndicalistes à des postes spécialement créés pour l’occasion : ainsi, Stéphane Lardy, ex-cadre de FO entre au cabinet du ministère du travail lui aussi comme inspecteur à l’IGAS, sans doute pour mettre en œuvre la réforme du travail, la réforme de l’assurance-chômage, de la formation professionnelle, de la retraite, etc. Ou encore Thierry Lepaon, l’ancien secrétaire général de la CGT qui, sur fond de révélation de dépenses suspectes (3) est placé à la tête de l’Agence de la langue française pour la cohésion sociale. Fonction rémunérée, mais déjà prise en charge de manière bénévole par la présidente d’une agence déjà existante, l’ANLCI, dont l’objectif affiché est identique.
La classe ouvrière n’a rien à attendre de tous les ex-syndicalistes qui passent à une carrière politique, pas plus du nouveau président d’Afrique du Sud que de ses prédécesseurs, qui n’ont fait, au final, que gravir les échelons de la bureaucratie étatique à l’intérieur d’un de ses organes : les syndicats. Ce que viennent illustrer ces quelques exemples, c’est avant tout que les syndicats ne sont pas uniquement des outils efficaces au service de l’encadrement des luttes ouvrières et de la répression, ils représentent aussi un vivier de cadres politiques au service du pouvoir d’État, une source d’éléments capables de défendre avec le plus grand zèle le camp auquel ils appartiennent : celui des exploiteurs.
Marius, 23 février 2018
1 Voir notre brochure : Les syndicats contre la classe ouvrière.
2 Brésil : les contrôleurs aériens en grève, Révolution internationale n° 380, juin 2007.
3 Concernant la rénovation de son bureau et de son appartement de fonction, son indemnité de mutation entre la Basse-Normandie et Montreuil (d’après Médiapart : Le gouvernement recase des syndicalistes de FO et de la CGT (18 avril 2016).