Grèves du personnel des maisons de retraites : l'inhumanité du capital

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Des mouvements de grève ont été déclenchés cet été par les aides-soignants des maisons de retraite dans différents départements : à Brest ou Carhaix, Domme, Bruz et Chateaugiron, Romorantin, Buxy et, en région parisienne, à Argenteuil, à Chatenay-Malabry. Un cas a marqué particulièrement ce mouvement, celui de la maison de retraite des Opalines à Foucherans dans le Jura, un Ehpad (établissement d’hébergement pour personnes âgées dépendantes) ayant duré plus de cent jours, la plus longue grève en France dans ce secteur.

Ce qui a surtout déclenché ces différentes grèves, ce sont tant les conditions de travail déplorables des salariés que les conditions de vie indignes des pensionnaires, un mouvement de révolte contre les exigences où il est demandé au personnel de prendre en charge des personnes souvent en souffrance, sans pouvoir prendre le temps de développer de veritables relations empathiques : “trouver la bonne distance, ne pas s’attacher”, recommandent les formateurs. Ceci, alors que les personnes âgées et les soignants développent nécessairement des sentiments vis-à-vis de ceux qui deviennent comme des “proches”.

Soumis à la pression de la direction, l'arme de la culpabilité est exploitée pour accélérer les cadences et tenter de justifier l’injustifiable, par exemple demander aux soignants d’effectuer en “quinze minutes, la toilette, l’habillement, le petit déjeuner et la prise des médicaments”. Les sous-effectifs se traduisent par des toilettes non-faites ou bâclées, l'assistance au repas de cinq à six résidents en même temps, la douche hebdomadaire (sic !) reportée, etc. Tout ceci, par manque de moyens humains et matériels, au détriment des résidents bien sûr, mais aussi de la santé des aides-soignants, eux-mêmes au bord de l’épuisement. Une fatigue physique, nerveuse et morale qui devient insupportable (le jour du départ du mouvement aux “Opalines”, plusieurs d’entre-eux se sont mises à pleurer au moment du changement d’équipe : “c’était un matin comme les autres (…) mais sans doute un matin de trop”, comme l’a écrit dans un article Florence Aubenas.1

Beaucoup de nos politiciens saluent régulièrement avec zèle le travail du personnel de santé et en particulier celui des infirmiers, des aides-soignants, etc… Pourtant tous ces dirigeants savent très bien que “le secteur compte plus d’accidents et de maladies professionnelles que le BTP”. Quel cynisme ! Suite à des grèves dans les hôpitaux publics, voilà ce que disait déjà un ancien Président de la République, François Mitterrand : “Je dirai même que l'une des revendications les plus justes des infirmières, c'est de demander l'accroissement de leur nombre. On manque d'infirmières. Il faut donc en recruter. Le travail qui revient à celles qui sont là est souvent écrasant, les occupe de jour et de nuit. On dit infirmières, on pourrait dire aussi infirmiers et aides-soignants ; c'est un personnel particulièrement exposé auquel on demande beaucoup, auquel on demande souvent trop.” Vingt-cinq ans plus tard, la situation ne s’est pas améliorée. On mesure là toute l'hypocrisie de la bourgeoisie. Dans de nombreux cas, les maisons de retraite publiques ont été privatisées, l’Etat-patron se désengageant pour diminuer ses dépenses et tenter de vendre des services pour trouver de l’argent frais. En fait, lorsque nous écoutons ce que disent les aides-soignants en grève, c’est une partie de “nos vieux” qu'on livre à l'abandon. Alors que, dans de nombreuses sociétés passées, les anciens étaient respectés et soignés comme les autres membres de la communauté (voire mieux et avec plus d’attention), considérant à juste titre qu’ils pouvaient transmettre le savoir, ils deviennent aujourd'hui de véritables parias sans droit à la parole. Leur expérience de la vie est méprisée par une société où seul le profit et la rentabilité immédiate ont voix au chapitre.

Pour pouvoir survivre, le résident doit être solvable, avoir les moyens de payer avec sa retraite. Si cela ne suffit pas, il a l’obligation d’utiliser ses économies, de vendre ses biens et s’en servir pour payer la différence. Seuls ceux qui ne peuvent pas payer du tout reçoivent différentes allocations de misère. Depuis de nombreuses années, investisseurs ou organismes d’investissement placent de l'argent dans les maisons de retraite ou dans les cliniques au même titre que n’importe qu’elle entreprise susceptible d'être rentable. Ils achètent ainsi des parts dans différentes maisons de retraite ou autres organismes de gestion. Il faut donc que le capital investi génère davantage de capital, plus qu'un “retour sur investissement”.

Dans chaque lieu où les aides-soignants ont fait grève, il y avait bien sûr des marques de soutien de la part des personnes concernées, les résidents, mais aussi de la part de la population à travers une aide matérielle (collectes, produits alimentaires, présence physique aux piquets de grève, etc…). Mais les autres salariés de ces maisons de retraite n’avaient pas la force de rejoindre le mouvement, moins encore les travailleurs des autres secteurs implantés autour et qui pourtant subissent, in fine, la même exploitation et ses conséquences toujours inhumaines. Même s’ils ont pu manifester leur accord avec les revendications des aides-soignants, ils ne se sont pas solidarisés de façon active avec eux : c'est-à-dire qu’ils n’ont pas créé un mouvement de solidarité en rejoignant la grève et en arrêtant le travail eux-aussi. Cette lutte est restée, malheureusement, corporatiste et très isolée. Avec l’idée que ceux sont “NOS” problèmes d’aide-soignants de maison de retraite, qu'il faut lutter pour “NOS” conditions de travail, pour “NOS” revendications. Et même si le reste du personnel des maisons de retraite s’était mis en grève, cela n’aurait pas permis d’éviter le piège du corporatisme. Pour être réellement victorieux, un mouvement doit s'étendre et créer un rapport de force. Dans le contexte actuel de faiblesse de la conscience de la classe ouvrière, un tel niveau de prise en charge du combat n'était pas immédiatement réalisable. Mais cela ne doit pas pousser à la résignation. Au contraire, nous savons qu'il est nécessaire de réfléchir plus largement aux conditions qui permettent de créer une dynamique de lutte : comme le fait d’envoyer des délégations massives aux portes des entreprises, appeler à la solidarité active par la lutte. Appeler à se mettre en grève en soutien et élargir les revendications unitaires. Car ce n'est que par la généralisation rapide d’une lutte que nous pouvons être efficaces, prendre conscience de notre force, préparer les luttes futures et faire reculer, même momentanément, les directions ou l’État pour nous permettre de retrouver notre dignité d’ouvriers. Bref, il est nécessaire de renouer avec l'expérience des luttes du mouvement ouvrier, nécessaire de prendre conscience que nous appartenons à une même classe sociale, le prolétariat, porteur d'un futur, d'une autre société.

Ce ne sont pas les deux embauches et la création d’un “observatoire du bien-être des personnels des Ehpad” à l’Ehpad de Foucherans qui permettent “une victoire sur toute la ligne” comme l’a proclamé L’Humanité2 ou “une fin de grève victorieuse” comme l’annonce LO.3 Quand on connaît l’ensemble des revendications non satisfaites, il faut traiter avec le plus grand mépris ceux qui parlent de “victoire” des aides-soignants qui, eux, vont se retrouver exactement face aux mêmes conditions de travail qu’avant leurs cent jours de grève, voire pire.

Bien sûr, si nous reconnaissons que ces ouvriers viennent de connaître une défaite, cela ne nous empêche pas d’abord de saluer leur lutte. Comme nous l’avons dit, le déclenchement de ce mouvement était au départ pour la défense de la dignité humaine, une réaction d’indignation contre ce que le capitalisme cherche à imposer à tous les prolétaires : des conditions de travail inhumaines, des cadences infernales. C’est aussi pour ces raisons d’indignité et du fait du caractère sensible et scandaleux de cette affaire que l’on a si peu entendu parler de ce mouvement dans les médias. Comme a pu titrer cyniquement France-Info : La France n'aime pas ses vieux ! L'exploitation rime bien avec inhumanité et avec rejet de ceux qui ne peuvent plus servir directement l’appareil de production. Les “vieux”, en effet, ne sont pour le capital que des bouches inutiles à nourrir, deviennent des "charges inacceptables" qu'il faut dépouiller au maximum jusqu'à ce qu’ils crèvent.

A l’avenir, il faudra encore et encore rejeter l’immoralité que cherche à nous faire accepter la bourgeoisie. Nous devons retrouver notre dignité, renouer avec notre identité de classe par la lutte. Seuls le combat et la lutte pourront offrir une réelle perspective politique à cette société d'exploitation qui ne mène qu'à la désolation, à la misère et à la destruction.

Joffrey, 5 septembre 2017

 

1Le Monde du 18 juillet 2017 : “On ne les met pas au lit, on les jette” : enquête sur le quotidien d’une maison de retraite.

2L’Humanité du 28 juillet 2017 : Maison de retraite : 117 jours de grève et une victoire sur toute la ligne.

3Lutte Ouvrière du 2 août 2017 : Opalines de Foucherans : fin de grève victorieuse !

 

 

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