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L’éditorial de notre premier numéro de la Revue Internationale, publié en 1975, établit clairement que le but du tout jeune CCI se définit ainsi : « Dans la période de crise générale, marquée par des convulsions et des bouleversements sociaux, une des tâches les plus urgentes et ardues qui se dresse devant les révolutionnaires est celle d’unifier et de souder ensemble les forces révolutionnaires qui émergent et qui sont aujourd’hui dispersées de par le monde. Cette tâche ne peut être entreprise qu’en la concevant dès le départ au niveau international. Ceci a toujours été une préoccupation centrale pour le Courant ». Pour une telle organisation, perdre un militant est un malheur. Perdre une section entière est un échec. Nous nous devons donc, pour nous même mais aussi pour tous ceux qui s’identifient avec la tradition de la Gauche communiste à la classe ouvrière en général, d’examiner cet échec avec un esprit critique impitoyable et d’exposer nos conclusions à nos lecteurs.
Cette nécessité est d'autant plus pressante au vu de la nature du texte écrit par nos ex-camarades de Turquie, que nous devons désormais appeler « Pale Blue Jadal » (PBJ). Il y a des points dans ce texte avec lesquels nous pouvons être d’accord, mais globalement on y trouve un tel fatras de demi-vérités, de distorsions, de récriminations et une telle confusion générale qu'il en devient à peine reconnaissable pour ceux d'entre nous qui ont vécu les événements qu'ils tentent de décrire, et cela doit certainement être complètement inintelligible pour qui que ce soit en dehors du CCI. Bien entendu, ceci n’empêchera pas le texte de BPJ d’avoir un certain effet : les couards y puiseront de nouveaux arguments pour nourrir leur scepticisme et nos ennemis (dont certains nous portent une haine qui relève plus du domaine de la psychopathologie que de la politique) y liront ce qu’ils ont envie d’y lire.
Pour répondre à chacune des accusations de PBJ, nous devrions entreprendre un examen approfondi, comparable à celui que fit Lénine du congrès du POSDR de 1903 dans Un pas en avant, deux pas en arrière, mais sur une période de presque dix ans : nous devrions citer en détails une masse de notes de conférences et de congrès, sans parler des correspondances et notes de réunion. Ceci serait trop long et mettrait à l’épreuve la patience de nos lecteurs. Et par-dessus tout, cela étalerait le fonctionnement interne de notre organisation au grand jour, ce qu’aucune organisation révolutionnaire de bon sens ne ferait aujourd’hui. Nous allons donc nous limiter à statuer sur notre cas de manière aussi claire que possible, et à corriger en passant, les erreurs et insinuations les plus flagrantes de PBJ.
L’opportunisme organisationnel
Commençons par un point d’accord avec PBJ : notre intégration du groupe EKS comme section turque du CCI fut un processus infesté par l’opportunisme. Nous ne proposons pas d’en analyser les raisons maintenant : il suffit de dire que nous avons essayé de forcer le rythme de l’histoire et cela est une expression classique de l’opportunisme.
« Forcer le rythme » à notre propre et modeste niveau, bien sûr : principalement, cela entraînait la décision de « précipiter » les discussions avec le groupe EKS qui était sur le point de devenir notre section en Turquie. En particulier, nous avions décidé de :
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Réduire drastiquement le temps passé à des discussions organisationnelles avec les membres d’EKS avant leur intégration, avec l’argument que l’art de construire une organisation s’apprend essentiellement de l’expérience.
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Intégrer EKS en tant que groupe avec les individus qui le constituaient. Bien que nos statuts traitent de cette question, cela présentait le danger que les nouveaux militants ne se perçoivent pas, d’abord et avant tout, comme des militants individuels d’une organisation internationale, mais comme membres de leur groupe d’origine.
Avec du recul, notre approche de la question organisationnelle était à la fois incroyablement cavalière et impardonnable. Qu’était EKS, après tout ? Comme PBJ le dit, c’était « simplement un regroupement de cercles d’amis politisés », et de plus, des cercles issus du milieu politisé étudiant petit-bourgeois. Autrement dit, c’était précisément le genre de cercle que Lénine décrivait en 1903. Compte-tenu de notre expérience passée, de notre conscience que nos propres faiblesses passées découlaient, pour une grande part, des origines du CCI dans le mouvement étudiant des années 60-70, comment avons-nous pu oublier à ce point que la principale question qui se posait à nous avec l’intégration du groupe EKS était précisément celle de transmettre notre expérience organisationnelle ? Comment avons-nous pu perdre de vue notre propre critique de l’inanité et de la précipitation des intégrations opportunistes qui ont été pratiquées dans le passé par la TCI 1? En tant que telle, notre expérience avec la section en Turquie ne sert que de nouvelle confirmation – en admettant qu’elle ait été nécessaire – que cette critique est fondamentalement correcte et qu’elle s’applique à nous-mêmes aussi bien qu’aux autres.
L’article à propos de notre XXIe Congrès donne une réponse générale à ces questions : « Le Congrès a souligné que le CCI est toujours affecté par son ‘péché de jeunesse’, l’immédiatisme, qui nous a fait perdre de vue, de façon récurrente, le cadre historique et à long terme dans lequel s’inscrit la fonction de l’organisation ». Ces défaillances sont d’autant plus difficiles à dépasser qu’elles sont présentes dans l’organisation depuis ses origines1. Concrètement, cela ouvrait la porte à une illusion particulièrement répandue parmi des membres d’ EKS, suivant laquelle notre difficulté à faire passer nos positions parmi la jeune génération nouvellement politisée (en particulier par le média relativement nouveau du forum internet) était essentiellement une question de présentation2, et que nous pouvions augmenter notre influence en édulcorant notre insistance sur les principes organisationnels (ce que PBJ appelle « reconnaitre que nos traumatismes posent problème »). En conséquence, nous avons perdu de vue les fondements historiques et matérialistes de notre pratique organisationnelle incarnée par nos statuts, lesquels ne peuvent se comprendre que d’un point de vue historique, comme principes politiques3 et comme le résultat à la fois du mouvement ouvrier (les Internationales et les Fractions) et de notre propre expérience. Nous avons traité les statuts comme de simples « règles de comportement » et les « discussions » sur le sujet étaient bouclées en une journée (cela contraste avec les mois de correspondance et de discussion avec EKS sur les positions contenues par notre Plateforme). Il n’y a pas eu de discussion sur les « Commentaires sur les statuts » (un texte qui place nos statuts dans le contexte de l’expérience historique du mouvement ouvrier et du CCI lui-même), pas plus que sur les textes organisationnels de base. Nous n’avons pas non plus insisté pour que ces textes soient traduits en turc4.
Pour toutes ces raisons, nous le répétons, le CCI – et non les membres d’EKS – en porte l’entière responsabilité5.
Mais le résultat fut que l’attitude de la section turque à l’égard des statuts n’était pas celle de militants marxistes qui cherchent à comprendre et à mettre en pratique les principes qu’ils sous-tendent – ou si nécessaire d’argumenter l’idée qu’ils devraient être changés avec tout le débat international au sein de l’organisation que cela impliquerait : en pratique, c’était plus l’attitude du petit avocat de salon, sans scrupules, dont le seul intérêt est de disséquer chaque document pour le tourner à son propre avantage.6
« Nous devions partir »
Cela constitue, au final, la justification de PBJ pour leur démission : « nous devions partir ». Mais qu’est-ce que cela sous-entend exactement ? Après tout, les membres turcs n’étaient pas exclus, ni collectivement ni individuellement, pas plus qu’il n’y avait de sanction prise à leur encontre. Leurs « positions minoritaires » n’étaient pas étouffées – au contraire, ils étaient constamment poussés à exprimer leurs positions par écrit de manière à pouvoir les publier et les porter à la connaissance de l’ensemble de l’organisation.
Si nous essayons de dégager les points principaux du texte de PBJ, le tableau qui se dessine alors se compose des éléments suivants :
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Le CCI souffre d’une « culture de l’accord », ce qui rend les débats difficiles. Là-dessus, nous pouvons être d’accord, au moins jusqu’à un certain point7. Nous reviendrons sur la « culture de l’accord » au sein de la section turque elle-même.
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Les « vieux » militants essayaient d’imposer une « transmission unilatérale » de l’expérience aux jeunes.
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« La section était dissoute ».
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En bref, donc, « nous devions partir ».
Pour résumer, PBJ est la « gauche critique » du CCI, plus encore qu’il ne représente les « jeunes » qui refusent d’accepter la « transmission unilatérale », la « dictature » des vieux dont les « traumatismes » « posent problème ».
En effet, à peine quelques mois avant leur démission, la section s’est opposée à l’organisation avec une prise de position grandiloquente dans laquelle elle déclarait être « la gauche » au sein de l’organisation. Reprenons leurs propres mots et mesurons un instant ce que signifie être « la gauche » dans le contexte du CCI ?
De manière parfaitement consciente, le CCI déclare tirer ses origines de la Gauche communiste, mais plus explicitement, et d’autant plus en matière de questions organisationnelles, de la tradition de la Gauche communiste italienne. Qu’est-ce que cela signifiait, être une « fraction de gauche » du temps de la Gauche italienne, lors de la dégénérescence de l’Internationale communiste ? « La Fraction de Gauche se forme alors que le parti prolétarien dégénère sous l’influence de l’opportunisme, c’est- à- dire, par la pénétration de l’idéologie bourgeoise. Il est de la responsabilité de la minorité qui défend le programme révolutionnaire, de mener une lutte organisée pour sa victoire au sein du parti. (…) C’est la responsabilité de la Fraction de Gauche de continuer le combat au sein du parti aussi longtemps que demeure l’espoir de le redresser : c’est pourquoi, durant la fin des années 1920, et le début des années 30, les courants de gauche n’ont pas quitté les partis de l’IC, mais ils en furent exclus, souvent au moyen de sordides manœuvres ».8
En bref, la gauche se bat pour son organisation jusqu’au bout pour :
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Convaincre, et étendre son influence dans l’organisation autant que possible ;
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Sauver autant de militants que possible ;
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Clarifier les raisons du déclin de l’organisation, pour eux-mêmes, pour les autres militants, et pour le futur.
Enfin, la gauche ne s’enfuit pas au premier signe de désaccord et d’opposition. Elle fait tout ce qui est possible pour rester dans l’organisation et pour défendre ses idées – jusqu’à son exclusion. Elle ne joue pas les saintes-nitouches en fuyant lamentablement.
La Fraction de la Gauche italienne se forma contre la dégénérescence de l’Internationale communiste lorsque les partis constituant celle-ci intégrèrent l’appareil politique de la classe dirigeante. Quels que soient nos défauts, ce n’est pas la situation du CCI et, d’ailleurs, la section en Turquie n’a pas fait de telle déclaration. Il n’y avait donc aucune raison de supposer que les nombreux désaccords exprimés par, ou au sein de la section puissent justifier la formation d’une « fraction » dans le CCI ; au contraire, nous pouvions espérer que la discussion ouverte au sein de l’organisation permettrait une clarification de ces désaccords, et peut être conduire à une position plus claire de l’ensemble de l’organisation.
Toutefois, le dernier point souligné reste valable. Il est de la responsabilité de la minorité au sein d’une organisation révolutionnaire de défendre ses positions aussi longtemps qu’elle en est capable, d’essayer au maximum de convaincre le reste de l’organisation de la validité de ses positions. Personne ne prétendra que c’est une chose facile – mais c’est l’unique moyen de construire une organisation révolutionnaire.
Pourquoi les camarades turcs ont-ils à ce point échoué ? Nous pouvons pointer deux principaux facteurs :
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Le premier, et nous l’avions souligné en 2007 dans un texte sur la « culture du débat »9 qui posait la nécessité absolument vitale du débat au sein de l’organisation pour sa bonne santé interne : « La deuxième raison majeure pour que le CCI revienne sur la question de la culture du débat était notre propre crise interne au début des années 2000, caractérisée par le comportement le plus sournois que nous n’ayons jamais vu dans nos rangs (…) Une des conclusions à laquelle nous sommes parvenus est que la tendance au monolithisme a joué un rôle dans toutes les scissions dont nous avons souffert. Quand des divergences apparaissaient, certains membres ont commencé à affirmer qu’ils ne pouvaient pas travailler davantage avec les autres, et que le CCI était devenu une organisation stalinienne ou était dans un processus de dégénérescence. Ces crises ont éclaté en réponse à des divergences qui, en grande partie, auraient pu être parfaitement contenues au sein d’une organisation non monolithique, et dans tous les cas, devraient être discutés et clarifiés avant toute séparation ». Les camarades turcs se sentirent victimes de ce même « monolithisme de la minorité ».
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Le second est que la conviction que l’organisation est une nécessité vitale, c’est une des pré-conditions pour que la gauche se battre jusqu’au bout plutôt que de quitter l’organisation en hâte. C’est précisément le problème dans le milieu politique aujourd’hui qui n’a pas d’expérience de la vie de parti (comme cela existait par exemple dans le parti bolchevik du temps de Lénine), pas d’expérience de l’agitation révolutionnaire par un parti avec une influence déterminante sur la lutte de classe. De plus, il est infesté non seulement par la vieille opposition conseilliste au Parti, mais plus largement, par une profonde suspicion contre toute forme organisée d’activité politique au-delà de celle de cercle en tant que tel. En fait, PBJ ne prend pas vraiment l’organisation au sérieux. C’est pour cela que PBJ est autant choqué par « les positions au sein de l’organisation qui développent l’idée que, si le CCI d’une manière ou d’une autre cessait d’exister, le parti ne pourrait pas être fondé, le prolétariat ne pourrait pas faire la révolution et le monde serait confronté à une inévitable ruine, [et] exprime l’espoir que nous ne serions pas seuls à poursuivre une activité communiste, s’il devait advenir une telle situation ». Nous devrions demander à PBJ : croyez-vous (comme vous deviez le croire lorsque vous avez rejoint le CCI) que l’existence d’une organisation politique révolutionnaire, internationale et centralisée, soit décisive pour le succès d’une future révolution ? Contrairement à certains, nous n’avons jamais prétendu être « le Parti », ni être le seul groupe au monde qui défend l’internationalisme prolétarien. Il y a trop peu de révolutionnaires dans le monde et, selon toute probabilité, cela sera encore le cas pour un bon moment. Le prolétariat a besoin de rassembler toutes les forces qu’il peut : l’existence d’une organisation révolutionnaire n’est pas une question d’individus mais un produit historique de la nature révolutionnaire du prolétariat. Comme Bilan l’avait souligné pendant la guerre d’Espagne dans les années 1930, s’il n’y a pas de parti – pas d’organisation politique reconnue comme sienne par la classe ouvrière internationale – il n’y a alors pas de révolution. Et pourtant, une telle organisation ne va pas surgir par un quelconque processus mystique de génération spontanée. Construire une organisation est immensément difficile et nécessite des années d’efforts laborieux, et pourtant, elle reste toujours fragile au point de pouvoir être démolie en quelques mois, ou même quelques semaines. Si le CCI, qui est aujourd’hui la plus grande organisation de la Gauche communiste10, venait à faillir dans sa tâche, qu’y aurait-il pour la remplacer ? Comment et sur quelles bases serait construite l’organisation internationale ? A ces questions, PBJ peut seulement répondre « nous espérons que nous ne serions pas seuls ». « L’espoir fait vivre », comme on dit, mais ici, la superficialité règne en maître.
Nous voulons conclure ce point en répondant à la prétendue « dissolution de la section turque ». Il n’y a pas de doute que des erreurs ont été commises des deux côtés, dans le processus qui a conduit au départ de la section ; il ne fait aucun doute qu’une certaine méfiance s’est développée et que nous avons été incapables de la dissiper11. Il n’est pas vrai, dans tous les cas, de suggérer que la section a été « dissoute ». Cette déclaration est basée sur deux points :
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Premièrement, qu’il a été demandé à la section par une résolution de l’organe central, de remplacer ses propres réunions par la participation de tous ses membres (via internet) à des discussions avec d’autres sections du CCI.
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Deuxièmement, qu’il a été demandé à la section de traduire tous ses articles en anglais et de les soumettre au BI avant de les publier.
Prenons-les dans l’ordre.
Comme dit le propre texte de PBJ, la participation des membres de la section turque à d’autres réunions était une tentative de casser le localisme dans lequel se retranchait la section – et qu’ils ne peuvent nier. Ce qu’ils ont oublié de mentionner, c’est que la même mesure était appliquée dans d’autres sections peu avant le congrès du CCI. Le but était d’ouvrir la vie locale des sections à la discussion internationale, pour faire rentrer de l’air frais et permettre à tous les camarades d’avoir une vision de la vie de l’organisation comme un tout, au-delà de leurs propres préoccupations immédiates, avant que les délégations n’arrivent au Congrès. À l’origine, cette mesure n’était pas prévue pour durer au-delà du Congrès lui-même. C’est par la suite – ce que PBJ oublie de dire à ses lecteurs-, une fois que la section turque était clairement en désaccord avec la mesure proposée (parce qu’ils ne la comprenaient pas), qu’elle a été retirée par l’organe central : la discipline communiste n’est pas une chose qui peut être imposée d’une manière bureaucratique.
En ce qui concerne la presse, nos statuts établissent sans ambiguïté que (même en Turquie) « les publications territoriales sont confiées par le CCI aux sections territoriales et plus spécifiquement à leurs organes centraux qui peuvent nommer des comités de rédaction à cette fin. Cependant, les publications sont l’émanation de la totalité du Courant et non des sections territoriales particulières. De ce fait, le B.I. (Bureau International) a la responsabilité d’orienter et de suivre le contenu de ces publications ». Étant donné que le BI en général ne parle pas turc et que la section – comme PBJ pourrait difficilement nier – n’était pas complètement en accord avec le reste du CCI sur toute une série de points (incluant par exemple l’analyse de la « révolte sociale » en Espagne, Égypte, Turquie et au Brésil), il n’était certainement pas irresponsable de la part du BI de demander que les articles lui soient soumis avant publication : dans tous les cas, le BI était pleinement dans ses droits statutaires en le demandant. Pour voir à quel point le BI avait raison, les lecteurs peuvent juger par eux-mêmes sur la base de l’article à propos du désastre de la mine de Soma, article dont PBJ souligne particulièrement qu’il n’a pas été publié. Dans cet article, nous lisons par exemple que « la mort d’ouvriers des chantiers navals ou de sur des sites de construction comme dans les guerres surviennent parce que la bourgeoisie souhaite consciemment qu’elles arrivent ; le massacre à Soma qui a été appelé accident, a été consciemment orchestré », et il poursuit en disant que « sur un champ de bataille ou sur leur lieu de travail, les ouvriers ont de la valeur s’ils meurent pour le capitalisme. » Même pour un spécialiste adepte du matérialisme vulgaire (et les membres de la section turque déclaraient à cette époque, être marxistes, nous régalant jusqu’à l’indigestion de leçons sur la « loi de la valeur »), c’est un sacré non-sens : les ouvriers ont de la valeur pour le capital s’ils produisent de la plus-value, ce qu’ils peuvent difficilement faire s’ils sont morts.
Loin de « dissoudre » la section, l’organisation avait tout intérêt à ce qu’elle participe à la vie internationale du CCI, incluant en particulier son congrès international. Certains auraient pu s’attendre à ce que « la gauche » saute sur l’occasion pour s’exprimer au congrès, d’autant plus que nos statuts exigent explicitement la surreprésentation des positions minoritaires. Mais pas pour PBJ : ses membres ont non seulement démissionné précipitamment avant le congrès, mais ont également rejeté notre invitation à y participer et à parler en tant que groupe extérieur. Ils étaient trop occupé par un « travail important » à faire – nous laissons nos lecteurs juger par eux-mêmes le résultat du « travail important » de PBJ sur leur propre site web. Après tout, « la preuve du pudding, c’est qu’on le mange ».
La transmission de l’expérience
PBJ parlait beaucoup de prétendus « camarades conservateurs »12, qui « mettaient en avant que la génération de 68 devait transmettre son expérience aux jeunes de manière unidirectionnelle. Cette insistance présupposait que les jeunes camarades étaient dépourvus de toute expérience sur la question de l’organisation ». Que « les jeunes camarades étaient dépourvus de toute expérience sur la question de l’organisation » est un état de fait 13, mais il vaut la peine de reprendre cette question avec un peu plus de profondeur, ce que PBJ peine à faire.
« Chaque génération constitue un maillon dans la chaîne de l'histoire de l'humanité. Chacune d'elle fait face à trois tâches fondamentales : recueillir l'héritage collectif de la génération précédente, enrichir cet héritage sur la base de son expérience propre, le transmettre à la génération suivante de sorte que cette dernière aille plus loin que la précédente.
Loin d'être faciles à mettre en œuvre, ces tâches représentent un défi particulièrement difficile à relever. Ceci est également valable pour le mouvement ouvrier. La vieille génération doit offrir son expérience. Mais elle porte aussi les blessures et les traumatismes de ses luttes ; elle a connu des défaites, des déceptions, elle a dû y faire face et prendre conscience du fait qu'une vie ne suffit souvent pas pour construire des acquis durables de la lutte collective. Cela nécessite l'élan et l'énergie de la génération suivante mais également les questions nouvelles qu'elle se pose et la capacité qu'elle a de voir le monde avec des yeux nouveaux.
Mais même si les générations ont besoin les unes des autres, leur capacité à forger l'unité nécessaire entre elles ne va pas automatiquement de soi. Plus la société s'éloigne d'une économie traditionnelle naturelle, plus le capitalisme "révolutionne" de façon constante et rapide les forces productives et l'ensemble de la société, plus l'expérience d'une génération diffère de celle de la suivante. Le capitalisme, système de la concurrence par excellence, monte aussi les unes contre les autres les générations dans la lutte de tous contre tous. »14
Schématiquement, nous pouvons dire qu’il y a trois réactions possibles à ce besoin de transmission de l’expérience propre à toute société humaine :
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L’autorité du Maître ne peut être remise en cause, chaque génération doit souvent s’approprier et répéter les leçons de la précédente. Ceci est l’attitude caractéristique des vieilles sociétés asiatiques, qui a infecté le mouvement prolétarien sous la forme bordiguiste caricaturale de dévotion à l’intouchable travail du Maître.
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La contestation qui dominait dans le mouvement de la jeunesse des années 1960, condamné – parce qu’il échoua à apprendre de ses prédécesseurs – à répéter leurs erreurs dans leurs moindres détails.15
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Enfin, nous avons l’appropriation critique, scientifique et marxiste de l’expérience du passé. Comme montrait un article précédent16, c’est cette capacité à s’approprier le travail et la pensée des générations précédentes et de les développer de manière critique, qui caractérisa l’émergence de la pensée scientifique dans la Grèce antique.
Les exemples d’une telle réappropriation critique par une nouvelle génération de militants ne manquent pas dans l’histoire du mouvement ouvrier. Nous pouvons citer celui de Lénine à l’égard de Plekhanov, ou plus frappant encore, celui de Rosa Luxemburg au regard de Kautsky et du SPD en général, aussi bien qu’envers les théories de Marx qu’elle a à la fois critiquées et développées dans L’accumulation du capital. Ces exemples nous montrent qu’une des préconditions pour la critique est précisément l’appropriation des idées de nos prédécesseurs, c’est-à-dire la capacité à les comprendre – et une capacité à comprendre est dépendante d’une capacité à lire (alors que la moitié de la section ne lisait d’autres langues que le turc, ceci était clairement une impossibilité physique). Ce n’est qu’après avoir compris les idées que l’on peut les critiquer, particulièrement dans le contexte d’une organisation où le but est de convaincre les autres camarades, en polémiquant avec eux, ce que les membres de la section turque n’ont pas réussi à faire. PBJ prétend que ce n’est pas vrai17. Et pourtant, ils auraient du mal à pointer un seul texte sur la question organisationnelle (en dehors de « l’infâme » position sur le parasitisme) qui soit en prise avec les documents de base du CCI, internes ou externes. Si nos lecteurs ont besoin de se convaincre de la vacuité de la compréhension organisationnelle de PBJ, nous les invitons à consulter le texte de Jamal (Text by Jamal), un contributeur régulier sur le forum du CCI) que PBJ a publié sur son site web sans le moindre commentaire critique : il se lit comme une sorte de manuel pour manageur produit par le service des ressources humaines d’une nouvelle start-up.
Ce que signifie rejoindre le CCI
Maintenant, nous voulons faire un pas en arrière et revenir à notre citation au début de cet article. « Une des tâches les plus urgente et ardue qui se dresse devant les révolutionnaires est celle d’unifier et de souder ensemble les forces révolutionnaires qui émergent et qui sont aujourd’hui dispersées de par le monde ». Face aux défaillances du CCI (et nul ne le sait mieux que nous), il est bien trop aisé d’oublier combien une telle tâche est difficile et ambitieuse. Rassembler des militants de toutes les parties du monde, d’origines et de cultures très différentes, au sein d’une même association internationale capable de s’impliquer, de prendre part et de stimuler la réflexion du prolétariat mondial (fort de plusieurs milliards) afin qu’il s’unisse - non dans une homogénéité sans vie mais dans un tout où l’unité d’action se fonde sur la diversité du débat au sein d’un cadre politique accepté -, c’est une entreprise gigantesque. Certainement, nous sommes loin de la réalisation de nos ambitions – mais nous devons seulement inciter à prendre en considération combien nos ambitions sont différentes de la mentalité de cercle qui dominait EKS, comme ses membres le reconnaissent eux-mêmes.
En fait, les membres de la section turque n’ont jamais compris la différence fondamentale entre être un cercle et être des militants d’une organisation révolutionnaire, en particulier une organisation internationale. Ce n’est pas entièrement leur faute, dans la mesure où nous avons échoué à leur transmettre nos conceptions organisationnelles – en partie parce que, jusqu’un certain point, nous les avions nous-mêmes perdues de vue.
Nous avons déjà largement traité de la question que Lénine appelle « l’esprit de cercle »18. Nous nous contenterons ici de rappeler quelques points essentiels.
Tout d’abord, le cercle se caractérise par une adhésion basée sur un mélange d’amitiés personnelles et d’accords politiques. Il en résulte que les conflits personnels et les désaccords politiques sont amalgamés – une recette infaillible pour la personnalisation des arguments politiques. Il est peu surprenant que la vie de la section en Turquie ait été marquée par une série d’animosités personnelles amères conduisant à des divisions et à des périodes de « paralysie ».
Pour maintenir sa cohésion, le cercle se referme vis-à-vis de l’extérieur, comme une huître. Cela devient alors une recette de la personnalisation des antagonismes entre le cercle et le reste de l’organisation : « Sous le nom de ‘minorité’, des éléments hétérogènes se regroupent au sein du parti s’unissent, mus par le désir, conscient ou non, de maintenir leur relations de cercle, formes d’organisations préalable au parti ».19 L’esprit de cercle au sein d’une organisation mène à une attitude de « eux et nous », le cercle contre les « organes centraux » ; le cercle perd complètement la vision de l’organisation comme un tout, et devient obsédé par les « organes centraux ». Un exemple que nous pouvons citer parmi bien d’autres est le texte écrit par un des membres de la section : Y a-t-il une crise dans le CCI ? ; la critique exprimée dans ce texte a été reprise et développée par une autre section qui y a également répondu, bien que cette réponse ait été complètement ignorée. Seuls « les organes centraux » sont jugés dignes de considération.
Le cercle maintient sa cohésion en s’opposant en bloc au reste de l’organisation, alors qu’il évite simultanément tout débat au sein du cercle sur ses propres divergences. Ceci était très flagrant dans le débat sur l’éthique et la morale engagé au sein du CCI où un camarade développait des arguments critiques (voir notes plus haut) qui étaient d’une certaine manière directement inspirés par les propres textes de l’organisation, alors qu’un autre mettait en avant une position qui bien plus redevable à Hobbes qu’à Marx – et pourtant, nous n’en avons jamais entendu la moindre critique de la part des autres camarades de Turquie20.
Un cas plus flagrant de cette fermeture au reste de l’organisation apparaît avec le débat sur les événements autour des manifestations massives de Gezi Park à Istanbul. D’après PBJ, « il a été dit que la section n’avait pas informé l’organisation de ses désaccords pendant le mouvement de Gezi alors qu’au plus chaud des événements, la section a eu une réunion avec les camarades du secrétariat pour tenter d’expliquer ses désaccords. » Il est certainement vrai qu’il y a eu une longue discussion entre les membres du secrétariat international et les membres de la section turque sur la modification éditoriale de leur article à propos des événements de Gezi. Il est également vrai que les membres du secrétariat international ont eu des difficultés à comprendre les tenants et les aboutissants de ces « désaccords », et cela pour une bonne raison : à la conférence de la section tenue peu après, il est devenu évident qu’il y avait au moins deux, sinon trois, différentes positions au sein de la section elle-même. Les membres de la section se sont engagés à écrire leurs différentes positions pour mener la discussion au sein de l’ensemble de l'organisation – nos lecteurs seraient étonnés d’apprendre que ces documents n’ont toujours pas vu le jour.
Les ex-camarades de Turquie restent encore silencieux sur un autre de leurs désaccords internes, à propos du « ton » de notre "Communiqué à nos lecteurs : le CCI attaqué par une nouvelle officine de l’État bourgeois". D’après PBJ, « néanmoins, les membres de la section dans l’organe central du CCI n’ont pas manqué de critiquer le ton extrêmement virulent du communiqué écrit en réponse à cette attaque. » Parfaitement vrai. Mais le texte oublie de mentionner que deux autres membres de la section ont trouvé le communiqué tout à fait approprié, et l’on dit sans ambiguïté pendant une réunion tenue en juillet 2014 avec des membres de la section en France.
Nous avons déjà mentionné (voir la note 6), l’insistance de L. et Devrim pour poursuivre leurs débats sur les forums sans aucune restriction. Ceci rappelle, une fois de plus, les paroles de Lénine : « Certains militants éminents des vieux cercles les plus influents, n’étaient pas habitués aux restrictions organisationnelles que le Parti doit imposer, sont mécaniquement enclins à confondre les intérêts généraux du Parti et leurs intérêts de cercle qui peuvent coïncider pendant la période des cercles. » Ils « brandissent naturellement l’étendard de la révolte contre les restrictions indispensables de l’organisation et ils établissent leur anarchisme spontané comme un principe de lutte (…) montrant des exigences en faveur de la ‘tolérance’, etc. »21
Où va Pale Blue Jadal ?
« Une image vaut mille mots », comme dit le proverbe, et cela est certainement valable pour PBJ. Grace à la magie technique d’internet, nous avons découvert que l’image que PBJ a choisie pour représenter le groupe vient directement du monde « sentimental hippiedom.22 »
Leurs « principes politiques » sont dénués de toute référence à la Gauche communiste, ou encore de tout héritage du passé. PBJ déclare être un nouveau groupe basé seulement sur lui-même, sur l’ignorance et sur un amalgame de ressentiments, de mécontentements et de loyautés personnelles23.
Il n’y a par ailleurs aucune référence à la décadence du capitalisme, qui est pour le CCI qu’ils viennent tout juste de quitter, le fondement matérialiste de ses positions politiques. PBJ ne fait aucune critique de ses fondements théoriques, pas plus qu’il n’a d’alternative à donner. Les membres de PBJ n’en ont peut-être pas conscience, mais en évacuant toute référence au passé et toute tentative de donner une base matérialiste à leurs positions, ils compromettent déjà le processus de « discussion politique » qu’ils prétendent avoir engagé.24 Dans la liste des sujets de discussions proposés dans la « feuille de route » de PBJ (qui devrait les tenir occupés pendant les vingt prochaines années au moins), il vaut la peine de remarquer la présence de « La question nationale au Moyen-Orient »... et l'absence complète sur le site de PBJ du moindre commentaire sur la situation concrète en Turquie, la continuité de la guerre d'Erdogan contre les Kurdes, la résurgence du nationalisme kurde et la crise des réfugiés syriens, l'attaque à la bombe de Suruç, etc., etc.
Nous avons dit plus haut que l'existence d'une organisation révolutionnaire internationale est une condition préalable pour la réussite du renversement du capitalisme. Si le prolétariat se montre un jour capable de « se lancer à l’assaut du ciel » (pour utiliser une expression de Marx), alors sa force décisive proviendra de ces pays munis d’une classe ouvrière forte et d’une certaine expérience historique. La Turquie, passerelle entre l’Europe et l’Asie, est l’un de ces pays et un mouvement prolétarien montant produira nécessairement une expression politique qui ne peut être fondée que sur l’héritage de la Gauche communiste. En tournant le dos à cet héritage, les membres de PBJ se disqualifient pour participer à une telle expression politique, et ceci est leur tragédie.
Terminons tout de même sur une note optimiste. Toute notre expérience passée indique que PBJ est condamné à suivre la voie des cercles précédents - ceux qui refusent d'apprendre de l'histoire (et vous ne pouvez pas apprendre de l'histoire, si vous ne savez rien à son sujet) sont condamnés à la répéter. Mais restons ouverts à la possibilité que nous pouvons avoir tort et que PBJ, en dépit de toutes les apparences, pourra encore produire quelque chose d'utile pour le prolétariat et pour la révolution. Pour ce faire, ils devront trouver leur chemin pour revenir vers l’héritage révolutionnaire théorique et organisationnel de la Gauche communiste.
CCI, novembre 2015
1 La TCI-Tendance Communiste Internationaliste (ex-BIPR-Bureau International pour le Parti Révolutionnaire) offre une autre illustration frappante de cette extrême difficulté à dépasser les erreurs qui sont, pour ainsi dire, installées dans les gènes de l’organisation : ces origines dans le profond opportunisme qui présidait à la création du Partito Comunista Internazionalista en 1943 dont elle est issue, ont toujours hanté cette organisation depuis lors.
2 Bien entendu, il ne s’agit pas non plus de nier que nous avons fait des erreurs dans ce domaine également, en grande partie comme résultat de notre tendance au schématisme.
3 C’est pourquoi nos statuts font explicitement partie de notre plateforme et ils constituent une partie des bases sur lesquelles les militants sont intégrés dans l’organisation.
4 Le manque de traductions en turc est devenu critique uniquement lorsque la section (sans demander l’opinion à qui que ce soit d’autre sur le sujet) a intégré des nouveaux membres qui ne pouvaient pas lire l’anglais.
5 Le lecteur attentif aura remarqué que notre vision de l’opportunisme du CCI en matière d’organisation est très différente de celle de PBJ. Au risque d’éprouver la patience de nos lecteurs, nous voulons répondre brièvement à l’un des petits « mythes » de PBJ (pour reprendre leur expression) : selon lequel « l’exemple le plus évident de l’opportunisme dans le processus d’intégration de la section, était que des camarades en désaccord avec la plateforme et les statuts étaient acceptés dans l’organisation. » À quoi cela se réfère-t-il exactement ? En fait, il y avait deux désaccords possibles soulevés par le processus de discussion. Le premier était un désaccord de Devrim sur l’interdiction par nos statuts d’être membre d’un syndicat (étonnamment, PBJ ne voit visiblement rien de malhonnête dans le fait d’accepter d’intégrer dans une organisation un élément qui est en désaccord avec les positions de celle-ci … ), le second se réfère à une camarade qui était en désaccord avec l’interdiction par les statuts d’appartenir à toute autre organisation politique. Prenons ces désaccords un à un.
Exclure l’appartenance à un syndicat vise toute concession à « l’entrisme » (l’idée qu’il serait possible d’influencer positivement les syndicats de l’intérieur, ou bien que l’on pourrait intervenir « plus efficacement » en étant membre d’un syndicat) ou au « syndicalisme rouge » selon sa variante bordiguiste, ou encore à son cousin, le syndicalisme révolutionnaire. Toutefois, les statuts l’autorisent pour des exceptions dues à des « contraintes professionnelles ». Cette disposition fut ajoutée pour prendre en compte les travailleurs des industries « closed-shop » (système d’affiliation obligatoire aux syndicats, NdT), où l’appartenance à un syndicat est une condition d’embauche – une situation très courante dans les années 1970 en Angleterre, mais aussi dans quelques industries dans d’autres pays (par exemple, l’industrie française de l’imprimerie lorsqu’elle était complètement dominée par la CGT). L’objection de Devrim était que les travailleurs pouvaient être forcés, pas nécessairement dans un « closed-shop » à se syndiquer pour accéder à la sécurité sociale, à un système de protection sociale ou d’assurance ou d’autres avantages critiques tels que la représentation légale dans une dispute personnelle ; à aucun moment (à notre connaissance), aussi bien aujourd’hui qu’à l’époque de l’argumentation de Devrim, cela ne fut en faveur de l’entrisme ou bien en faveur du syndicalisme révolutionnaire, et nous avions considéré (comme nous le lui avions expliqué) que les cas qu’il citait, dans les conditions des années 2000, tombaient dans la définition de ce que l’on nomme « des contraintes professionnelles ».
Dans le second cas, la camarade en question participait à un groupe de femmes et était réticente à l’abandonner. Nous avons demandé de quelle sorte de groupe il s’agissait. Elle a expliqué qu’il s’agissait d’un groupe de femmes qui se rencontraient pour discuter spécifiquement des problèmes de femmes (politiques et sociaux) et préféraient le faire sans la présence des hommes – ce qui est parfaitement compréhensible dans les conditions d’un pays tel que la Turquie. Ce groupe – pour autant que nous pouvions comprendre – n’avait pas de plateforme politique, ni même d’ordre du jour politique en tant que tel ; sur cette base, nous avons conclu qu’il ne s’agissait pas d’un groupe politique tel que défini dans les statuts mais plutôt d’un groupe de discussion et qu’en conséquence, non seulement nous ne pouvions avoir d’objection à sa participation mais qu’au contraire, nous considérions cela comme une partie de l’intervention de l’organisation.
6 Nous nous limiterons à un seul exemple. Selon nos statuts, le débat au sein de l’organisation est rendu public seulement lorsqu’il a atteint un degré de maturité tel que, premièrement, l’ensemble de l’organisation soit consciente des débats et de leurs implications, et deuxièmement, qu’il était possible de l’exprimer avec une clarté suffisante pour qu’il contribue à cette clarification et non à la confusion. Ces dispositions, rappelons-le, sont dans les mêmes statuts auxquels tous les membres d’EKS ont adhéré. Quoi qu’il en soit, deux d’entre eux ont continué à débattre entre eux en public sur divers forums internet qu’ils avaient l’habitude de fréquenter, sans jamais, à aucun moment, penser nécessaire de tenir informé le reste de l’organisation que ce soit de leur intervention ou de leurs désaccords. Lorsqu’il leur a été montré que c’est en contradiction directe avec à la fois la lettre et l’esprit des statuts, ils ont répondu que les statuts avaient été écrits avant l’existence d’internet, et que ces règles pouvaient uniquement être applicables à la presse imprimée.
Maintenant bien sûr, quelqu’un pourrait parfaitement argumenter sur ce point – mais ce que l’on ne peut pas faire, quand on accepte les statuts d’une organisation comme le CCI, c’est de tout simplement les ignorer lorsqu’ils ne nous conviennent pas et de tenter de se justifier a posteriori en pinaillant sur la différence entre la presse imprimée et la presse électronique.
7 L’article sur le Congrès parle de « dimension intellectuelle » de la crise du CCI et de la lutte nécessaire contre le « routinisme, la superficialité, la paresse intellectuelle, le schématisme, … ». Mais les membres de PBJ, peuvent-ils honnêtement prétendre être eux-mêmes à l’abri de ces défauts ?
8 Revue Internationale n° 90, La fraction italienne et la Gauche Communiste de France, voir également le « Rapport sur la Fraction » pour le XXIe Congrès du CCI.
9 Revue Internationale n° 131, La culture du débat : une arme de la lutte de classe.
10 Plus important encore, le CCI est actuellement la seule organisation dont les positions viennent de la synthèse des principales avancées des différents courants de la Gauche communiste. Les autres groupes s’identifient exclusivement soit à la Gauche germano-hollandaise, soit à la Gauche italienne.
11 PBJ mentionne une réunion du Bureau international dans laquelle le droit de participation du délégué de la section turque a été remis en question par une des autres délégations. Ceci était assurément une sérieuse erreur de la part de la délégation en question, mais aussi un indicateur de cette atmosphère de méfiance qui s’est développée dans l’organisation – mais comme PBJ le met en avant, l’idée que le délégué de la section turque ne devrait pas être admis a été fermement rejeté par le BI, comme étant contraire à nos statuts et à notre conception de l’organisation.
12 PBJ est très habitué à la « personnalisation » qui était supposée caractériser notre approche. Pourtant, tout au long de leur texte, les militants sont décrits comme étant « expansionniste s» ou « conservateurs », complètement indépendamment des arguments politiques invoqués. Laissons PBJ se préoccuper de la poutre dans leurs yeux, avant de se soucier de la paille dans les yeux des autres.
13 Certains militants de la section turque avaient une longue expérience organisationnelle avant de rejoindre le CCI… dans des sectes gauchistes. Mais quelles que soient les intentions conscientes de ces membres, ces groupes sont fondamentalement bourgeois et en tant que tels, ils sont profondément imprégnés de l’idéologie bourgeoise : c’est notre expérience avérée – confirmée à la lettre par PBJ – que, pour un ex-gauchiste, être militant dans une organisation communiste signifie avant tout désapprendre toutes les attitudes et pratiques acquises dans le gauchisme. Ceci est bien plus difficile que de venir au communisme sans expérience antérieure.
14 La culture du débat, 2007, op. cit
15 Dans la chanson Les bourgeois du chanteur belge Jacques Brel, trois étudiants se moquent du ridicule des « bourgeois » provinciaux… jusqu’à ce qu’eux-mêmes vieillissent et se retrouvent devant la police pour se plaindre de l’intolérable insolence des jeunes étudiants. Brel aurait pu écrire pour Joschka Fischer, Daniel Cohn-Bendit et tous les autres leaders politiques issus du mouvement étudiant de 1968.
16 Notes de lecture sur marxiste et science (disponible uniquement en anglais).
17 Selon PBJ, « l’affirmation selon laquelle un texte interne sur l’éthique écrit par un membre de la section ignorait les textes écrits auparavant par l’organisation sur ce sujet était une autre légende parce que le texte en question ét)ait en fait écrit en réponse au texte d’orientation de l’organisation sur cette question. » En retour, nous pouvons citer une réponse au texte en question que PBJ a publié trop précipitamment : « Une précondition pour la ‘culture du débat’ est qu’il devrait y avoir un débat : cela signifie que les positions opposées doivent se répondre. Bien que le texte de L. commence par une brève citation du texte sur « Marxisme et éthique » sur la définition de l’éthique et de la morale, et nous dit que ‘de ces définitions découlent toute une série de confusions, et de nombreuses autres erreurs’, ceci est l’unique endroit dans son texte où il fait référence à Marxisme et éthique, nous sommes laissés dans l’obscurité sur ce que sont exactement ces ‘erreurs et confusions’, et de quelle manière elles sont le résultat des idées avancées dans Marxisme et éthique. De plus, il est clair pour nous que des parties du texte de L. sont en accord ou sont directement inspirées par Marxisme et éthique, et pourtant, ces zones d’accord ne sont pas plus claires. »
18 Notamment dans La question du fonctionnement de l’organisation dans le CCI, Revue Internationale n° 109
19 Lénine, Un pas en avant, deux pas en arrière, cité dans le texte sur le fonctionnement organisationnel.
20 Pour donner une idée de l’influence de la philosophie de Hobbes de ce texte, nous en citons ce court passage : « La relation entre les êtres humains est une relation inégale. Cette inégalité découle de la valeur d’usage et de la valeur d’échange produite par les êtres humains [visiblement ici l’auteur n’a pas conscience des dizaines de milliers d’années de l’histoire de l’humanité où la valeur d’échange n’existait pas]. Cette réelle base matérielle détermine complètement les relations humaines de tout temps [l’objection bourgeoise classique à la possibilité du communisme]. Et cette inégalité produit une tendance à dominer. Pour les êtres humains, cette tendance émerge de la survie dans des conditions naturelles. De manière primordiale, c’est la tendance de chacun pour assurer sa propre survie ». Autrement dit, l’homme est un loup pour l’homme et la société humaine, c’est la guerre de chacun contre tous, comme l’énonçait Hobbes, etc. etc.
21 Citation de Lénine.
22 Ceux que cela intéresse peuvent trouver l’original ici : markhensonart.com/galleries/new-pioneers. Elle est accompagnée de l’édifiant texte suivant : « Le drame épique de la vie, de la mort, de la guerre, de la paix et le droit inaliénable de choisir est représenté dans un immense panorama. Des réfugiés sortent d'une zone de guerre, un pionnier arrive à un mur de graffitis où les choix sont rayés. Nous voulons tous vivre en paix, mais en quelque sorte, beaucoup sont attirés par des valeurs qui sont totalement différentes et la guerre semble être la seule option pour une humanité devenue folle. Les pionniers et les réfugiés vont, eux, vers un nouveau monde de la conscience éveillée. »
23 Il vaut la peine de noter qu’un camarade, dans sa lettre de démission, n’exprime absolument aucun désaccord politique avec l’organisation.
24 Nos lecteurs peuvent juger des limites dans lesquelles PBJ est engagé dans un processus de discussion et de clarification d’après leur refus, suite à notre invitation pour participer au dernier congrès du CCI, soit au titre de membres de l’organisation soit comme éléments extérieurs à celle-ci.