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Avec sa réforme du Code du travail, le gouvernement socialiste mène une énième attaque contre les conditions de vie des travailleurs. Jour après jour, mesure après mesure, la précarité des salariés, des chômeurs et des retraités augmente lentement mais inexorablement. La gauche de la bourgeoisie profite ici de la faiblesse de notre classe ; elle sait que le prolétariat, empêtré dans de lourdes difficultés, est incapable d’opposer à ces attaques incessantes un grand mouvement de masse. Mais la bourgeoisie la plus clairvoyante sait aussi autre chose : la classe ouvrière n’a peut-être plus conscience qu’elle est capable de renverser le capitalisme et d’offrir une alternative à toute l’humanité, elle n’a peut-être plus conscience de sa propre force quand elle est unie et organisée, ni même qu’elle existe. Il n’en reste pas moins qu’elle existe, qu’elle a en elle une immense force potentielle et qu’elle est bel et bien en mesure de faire surgir la société communiste ! La bourgeoisie est intelligente, c’est même la classe dominante la plus intelligente de l’histoire. Elle tire des leçons et si cette histoire lui a bien appris une chose, c’est qu’elle ne doit surtout pas sous-estimer son ennemi mortel. C’est pourquoi le Parti socialiste, si habile et expérimenté contre la classe ouvrière, mène une politique intense pour désorienter et atomiser les travailleurs. Sa démarche est préventive. Il travaille sans relâche à entretenir et même à renforcer les faiblesses actuelles du prolétariat. Tel est le sens des grandes campagnes médiatiques de ces derniers mois.
Par exemple, les manifestations des taxis et des agriculteurs ont bénéficié d’une immense publicité. Pourquoi ? D’abord, l’ampleur du mécontentement à contenir est une réalité. Ceci dit, les blocages de taxis ou de tracteurs ne présentent pas une réelle menace pour l’ordre établi. C’est pour cette raison que les projecteurs ont pu être braqués sur les pneus qui brûlent, les autoroutes bloquées, les supermarchés dévastés : autant d’actions spectaculaires présentées comme radicales et... “efficaces”, puisque les portes des ministères se sont immédiatement ouvertes, elles aussi avec grand bruit. La grande distribution a été reçue par le Premier ministre et les fameux VTC, véhicules de tourisme avec chauffeurs, concurrents directs des taxis, ont été soumis à une réglementation beaucoup plus stricte.
Ce n’est pas exactement par hasard si, au même moment, les syndicats de fonctionnaires ont appelé à une journée de grève stérile sur la question des salaires. Le gouvernement a clamé haut et fort que d’augmentation, il n’en était pas question. Les médias en chœur ne se sont pas privés de souligner le contraste entre “l’impuissance” des “fonctionnaires en lutte” et la “relative réussite” des agriculteurs et des taxis. La bourgeoisie cherche ainsi à faire croire que la lutte efficace n’est pas celle des ouvriers, mais celle d’autres catégories sociales minoritaires et spectaculaires. Blocage et sabotage, tel serait le nec plus ultra du combat. En 2010-2011, lors du mouvement contre la réforme des retraites, la bourgeoisie française n’avait déjà eu de cesse de mettre en avant le blocage des raffineries prôné par les syndicats les plus “radicaux” et le risque de paralysie de l’économie qui en découlait prétendument (voir notre article : “Bilan du blocage des raffineries” 1). La classe dominante sait que ce type d’action est parfaitement inoffensif, comme des piqûres de moustique sur la peau d’un éléphant puisqu’elles participent à diviser, à épuiser et à isoler les éléments les plus combatifs de la majorité des travailleurs. Les méthodes réelles de lutte de la classe ouvrière sont l’exact opposé.
Les agriculteurs et autres chauffeurs de taxis n’ont pas d’avenir en dehors du capitalisme. Ils forment cette couche intermédiaire de la société qui n’appartient pas aux grands groupes, qui n’a pas les moyens d’investir et d’exploiter en masse mais qui pour autant n’appartient pas au rang des prolétaires qui n’ont, eux, que leur force de travail à vendre pour vivre. Ce sont de petits propriétaires, de quelques champs ou de leurs véhicules ou de tout autre capital relativement modeste, qui ne rêvent que d’une seule chose : prospérer, accroître leurs biens et “réussir”. Leur déception est d’autant plus grande quand, inexorablement, ils sont tour à tour broyés par le capital, sa concurrence effrénée et impitoyable comme par sa crise économique mondiale. De la déception à la frustration, de l’humiliation à la haine. Ces couches sociales qui s’apparentent plus ou moins à la petite-bourgeoisie sont incapables de mener des luttes qui remettent en cause le capitalisme. Au contraire, leurs actions coups de poings sont des cris qui reviennent à implorer la grande bourgeoisie de les respecter, voire de les protéger ou, plus exactement, de les réintégrer. Les petits propriétaires détenant leurs moyens de production se battent en regardant derrière eux. Ils tentent de résister à la force du capitalisme en se raccrochant à un passé idéalisé où ils gardaient une place plus importante au sein de l’économie. Finalement, pour eux, le salut vient du retour à ce passé mythifié.
La classe ouvrière, quant à elle, est porteuse d’une autre société et cela change tout. Son combat n’est pas une simple lutte de résistance tournée vers le passé ou des objectifs strictement immédiats, mais une lutte fortement marquée et inspirée par le futur. En inscrivant cette perspective dans chacune de ses luttes, elle s’éloigne inévitablement de la destruction et de la désorganisation pour aller vers le développement de la solidarité et de la prise en charge organisée et centralisée de ses luttes. La classe ouvrière ne porte pas dans ses combats la destruction aveugle, ni un quelconque blocage. Elle porte en elle le mouvement, la potentialité et la possibilité de construire une nouvelle société. Elle ne défend pas sa survie dans le capitalisme, elle lutte au contraire pour sa propre disparition en tant que classe, pour une société nécessitant d’unifier l’humanité. Les méthodes de lutte qu’elle emploie doivent être en cohérence avec ce but : favoriser l’unité et la solidarité la plus large possible de tous les secteurs de la classe ouvrière par des revendications communes, débattre en organisant des assemblées générales souveraines ou des cercles de discussion ou tout autre lieu de parole libre permettant la confrontation des idées. Ces méthodes de lutte, la bourgeoisie se doit de les disqualifier et de les combattre avec énergie, comme elle l’a toujours fait dans l’histoire, car elles contiennent en germe la remise en cause réellement radicale du capitalisme et de son mode de vie basé sur la concurrence de tous contre tous.
Les derniers événements judiciaires à propos des luttes à Goodyear sont éloquents de cette volonté constante de la bourgeoisie de décourager la majorité de la classe exploitée à lutter tout en poussant la minorité qui demeure malgré tout combative vers des impasses. Lors d’une grève contre la fermeture de leur usine, des ouvriers exaspérés sont encouragés par les syndicats à séquestrer les cadres de leur entreprise. Ces derniers finissent par renoncer aux plaintes qu’ils avaient initialement portées. Mais l’État ne l’entend pas de cette oreille et maintient les poursuites qui s’achèvent par une condamnation à de la prison ferme (peine aménageable). Le message est clair : lutter ne sert à rien. Pire, cela conduit au tribunal, puis en prison. Dans une situation où le prolétariat est victime de démoralisation et de déboussolement, de tels messages n’ont d’autre volonté que l’intimidation. Voilà pour la majorité poussée à la résignation.
Dans le même temps, ces condamnations permettent de faire croire que la bourgeoisie craint ce type d’actions-commando de séquestration, puisqu’elle les juge si sévèrement. Voilà pour la minorité combative, encouragée à se perdre dans le piège du corporatisme, de l’isolement et l’impasse d’actions coups de poing, aussi spectaculaires que stériles. Il y a même dans cette affaire politico-judiciaire une dimension encore plus sournoise et dangereuse : les syndicats (et en particulier à la CGT), ces chiens de garde du capitalisme, passent pour la partie la plus déterminée du prolétariat qu’il s’agirait de soutenir et suivre.
En fait, cette fausse alternative vise non seulement à diviser les ouvriers entre eux mais surtout à renforcer une attaque idéologique contre la conscience de tous les prolétaires en leur faisant croire que ce sont eux qui seraient l’expression d’une classe réduite soit à la résignation, soit à mener des combats désespérés et sans avenir.
Pourquoi la bourgeoisie s’évertue-t-elle tant à nous dresser un tableau si sombre ? Dans notre article publié page 4, “Podemos, des habits neufs au service de l’empereur capitaliste”, nous écrivons : “La spécificité de Podemos qui justifie le coup de pub que lui fait le capitalisme espagnol est que les troupes d’Iglesias (son leader) remplissent une mission spéciale, très importante pour la bourgeoisie aussi bien espagnole que mondiale, qui est celle d’effacer les empreintes du mouvement du 15 mai qui ont fait trembler les rues il y a quatre ans et demi.” “Effacer les empreintes”, cette formule résume parfaitement le but des campagnes et des manœuvres permanentes de la bourgeoisie. Le mouvement des Indignés de 2011 en Espagne, celui contre le CPE de 2006 en France, plus en arrière la grève de masse de 1980 en Pologne et en mai 1968 de nouveau en France, ou bien plus anciennement encore les vagues révolutionnaires de 1919-1921 en Allemagne et de 1917 en Russie, en remontant jusqu’à la Commune de Paris de 1871..., toutes ces expériences plus ou moins grandes, parfois gigantesques, sont autant “d’empreintes” inestimables que la bourgeoisie n’a de cesse de recouvrir de ses mensonges. Car la classe dominante craint que le prolétariat ne redécouvre ses empreintes, constate qu’il s’agit des pas d’un géant et surtout que ces empreintes sont celles qui peuvent potentiellement conduire, au bout d’un très long chemin, à la révolution mondiale !
GD, 26 février 2016