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Vingt morts et deux disparus, maisons de retraite, parkings, tunnels, terrains de camping transformés en pièges mortels, des véhicules emportés jusqu’à la mer par la force des flots, 70 000 foyers privés d’électricité, des dégâts matériels estimés à 600 millions d’euros, tel est le bilan des inondations meurtrières qui ont frappé le sud-est de la France les 3 et 4 octobre, deux jours durant lesquels des pluies diluviennes équivalant à 10 % des précipitations annuelles sont tombées, entraînant notamment la crue du fleuve côtier de la Brague.
Les causes de cette catastrophe sont connues : d’un côté, le réchauffement climatique global occasionné par le mode de production capitaliste entraîne la multiplication et l’intensification d’événements météorologiques auparavant plus rares ou moins violents ; de l’autre, la spéculation immobilière et la cupidité de la bourgeoisie, des entrepreneurs du bâtiment aux élus locaux, débouchent sur le bétonnage d’espaces naturels ou agricoles (limitant ainsi l’absorption de l’eau par les sols et facilitant la circulation en surface de cette même eau) et la construction effrénée de bâtiments, y compris en zones inondables.
Ce genre de catastrophe, qui comme on peut le voir n’a de “naturelle” que le nom, ne constitue évidemment pas un cas isolé dans ce monde capitaliste gouverné par la recherche effrénée du profit, comme l’illustre la tragique actualité de ces derniers mois.
• En mai, dans le nord-ouest de la Colombie, un événement climatique similaire a provoqué un glissement de terrain, submergeant des villages de boue, de rochers et d’arbres déracinés, causant la mort d’au moins 61 personnes et faisant 37 blessés.
• En septembre, le typhon qui a frappé le Japon ainsi que les pluies record et les inondations consécutives ont fait au moins 2 morts et plusieurs disparus et nécessité l’évacuation de plus de 100 000 personnes. Le site de la centrale nucléaire de Fukushima a lui aussi été inondé, ce qui s’est traduit une nouvelle fois par la fuite de centaines de tonnes d’eau contaminée dans l’océan Pacifique.
• Début octobre, à une quinzaine de kilomètres de la capitale du Guatemala, un autre glissement de terrain a recouvert une centaine de maisons et fait 191 victimes et 150 disparus. Et ce alors même que “la Coordinadora nacional para la reducción de desastres (Conred) a fait parvenir un rapport aux autorités municipales pour prévenir d’un risque imminent en décembre 2014. “L’endroit du désastre était entouré de rouge”, affirme le Secrétaire exécutif de la Conred, Alejandro Maldonado, fils du président intérimaire du Guatemala. (…) Dans son rapport de 2014, la Conred relevait que le Rio Pinula provoquait une érosion sur les terres et les maisons de ses rives. Elle recommandait de reloger la communauté dans un endroit plus protégé.”
L’augmentation tant du nombre de ces catastrophes capitalistes pseudo-naturelles que du nombre de victimes ces dernières années ne fait plus aucun doute et peut dorénavant être statistiquement étudié.
“Entre 1994 et 2013, EM-DAT 1 a recensé 6873 catastrophes naturelles dans le monde, qui ont coûté 1,35 million de vies soit presque 68 000 vies en moyenne chaque année. En outre, 218 millions de personnes en moyenne ont été touchées par des catastrophes naturelles chaque année durant cette période de 20 ans.
La fréquence des catastrophes géophysiques (séismes, tsunamis, éruptions volcaniques et mouvements de masse rocheuse) est restée dans l’ensemble constante durant cette période, mais une hausse soutenue des événements liés au climat (principalement les inondations et les tempêtes) tire nettement à la hausse le nombre total d’événements. Depuis l’an 2000, EM-DAT a recensé une moyenne de 341 catastrophes liées au climat par année, une hausse de 44 % par rapport à la moyenne des années 1994-2000 et de bien plus du double du niveau de 1980-1989.
Du point de vue de l’analyse des catastrophes, la croissance de la population et les modèles de développement économique sont plus importants que le changement climatique ou les variations météorologiques cycliques pour ce qui est de l’explication de cette tendance à la hausse. Aujourd’hui, non seulement il y a plus de personnes en danger qu’il n’y en avait il y a 50 ans, mais les constructions dans des plaines inondables, des zones sismiques et d’autres régions à haut risque accroissent aussi la probabilité qu’un risque naturel habituel devienne une catastrophe majeure. (…)
Alors que les catastrophes sont devenues plus fréquentes durant les 20 dernières années, le nombre moyen de personnes touchées est tombé de 1 sur 23 pour la période 1994-2003 à 1 sur 39 pour la période 2004-2013. Ceci s’explique en partie par la croissance de population, mais le nombre de personnes touchées a également diminué en termes absolus.
Les taux de mortalité, en revanche, ont augmenté durant la même période, atteignant une moyenne de plus de 99 700 morts par an entre 2004 et 2013. Ceci reflète en partie les immenses pertes en vies humaines lors de trois grandes catastrophes (le tsunami asiatique de 2004, le cyclone Nargis de 2008 et le séisme haïtien de 2010). Cependant, la tendance reste à la hausse même en excluant ces trois événements des statistiques.
L’analyse des données d’EM-DAT montre également comment les niveaux de revenus impactent le nombre de morts lors de catastrophes. En moyenne, plus de trois fois plus de personnes meurent par catastrophe dans les pays à faible revenu (332 morts) que dans les nations à haut revenu (105 morts). (...) Pris ensemble, les pays à haut revenu enregistrent 56 % des catastrophes mais 32 % des pertes humaines, alors que les pays à faible revenu enregistrent 44 % des catastrophes mais 68 % des morts. Ceci démontre que les niveaux de développement économique, plus que l’exposition aux risques en soi, sont des déterminants majeurs de la mortalité” 2.
Cependant, même si le nombre de catastrophes augmente année après année sur toute la planète, toutes les classes sociales de la société ne sont pas logées à la même enseigne. Au niveau mondial, ce sont d’abord et avant tout les classes non-exploiteuses de la société, en particulier la paysannerie pauvre et le prolétariat, qui en sont les premières victimes ; des habitations englouties du Guatemala aux maisons de retraite submergées de la Côte d’Azur française, ce sont bien les membres des classes non-exploiteuses, et en particulier du prolétariat qu’on loge principalement dans les zones à risques, et c’est pourquoi ces classes sociales payent le plus lourd tribut à ces catastrophes capitalistes, tant en nombre de morts que de réfugiés.
Et c’est justement parce que ces catastrophes ne sont nullement naturelles mais bel et bien capitalistes que les appels à la responsabilité envers les représentants de la bourgeoisie, tant au niveau international au sujet du réchauffement climatique qu’au niveau local quant à l’hyper-urbanisation anarchique, ne peuvent aboutir qu’au dédouanement du seul et unique responsable de ces tragédies : le capitalisme.
“Le capitalisme n’est pas innocent non plus des catastrophes dites “naturelles”. Sans ignorer l’existence de forces de la nature qui échappent à l’action humaine, le marxisme montre que bien des cataclysmes ont été indirectement provoqués ou aggravés par des causes sociales. (...) Non seulement la civilisation bourgeoise peut provoquer directement ces catastrophes par sa soif de profit et par l’influence prédominante de l’affairisme sur la machine administrative (...), mais elle se révèle incapable d’organiser une protection efficace dans la mesure où la prévention n’est pas une activité rentable. (…) S’il est vrai que le potentiel industriel et économique du monde capitaliste s’accroît et ne s’infléchit pas, il est tout aussi vrai que plus grande est sa force, pires sont les conditions de vie des masses humaines face aux cataclysmes naturels et historiques” 3.
DM, 25 octobre 2015
1EM-DAT est la base internationale de données sur les situations d’urgence.
2Centre de recherches sur l’épidémiologie des désastres, Université catholique de Louvain, The human cost of natural disasters, 2015, A global perspective.
3Amadeo Bordiga, Espèce humaine et Croûte terrestre ; Petite Bibliothèque Payot,1978.