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Cinq mois après la tuerie de Charlie hebdo, Yassin Salhi, après la mise en scène répugnante de l’exécution de son patron, tentait de faire exploser une usine en Isère en fonçant avec son véhicule dans des bonbonnes de gaz. Le même jour, sur une plage de la station balnéaire tunisienne de Sousse, un terroriste abattait froidement 39 touristes (deux mois plus tôt, le musée du Bardo, dans la banlieue de Tunis, était déjà le théâtre d’un massacre similaire). Au même instant, une troisième attaque terroriste faisait 27 victimes et plus de 200 blessés dans une mosquée de Koweït-City. Quelques jours plus tard, des attaques à la voiture piégée étaient menées simultanément contre cinq positions de l’armée égyptienne dans le nord du Sinaï. Plusieurs attaques analogues ont eu lieu en Arabie saoudite et au Yémen, ces dernières semaines. Si l’attentat en Isère semble relever de l’initiative spontanée d’un individu vaguement en rapport avec la mouvance djihadiste (Salhi ayant envoyé une photographie de son odieux “exploit” à un certain Yunes-Sébastien qui a rejoint les rangs de l’État islamique en 2014), les massacres de Sousse et du Koweït ont immédiatement été revendiqués par l’État islamique qui sème la terreur dans plusieurs pays arabes.
Un pur produit de la décomposition du capitalisme
Cette vague d’attentats s’inscrit dans la continuité de la période qui s’est ouverte avec ceux du 11 septembre 2001, à New York. La spectaculaire attaque du World Trade Center annonçait alors un enfoncement croissant dans la barbarie. Les récentes tueries de Charlie Hebdo et du supermarché cacher exprimaient quant à elles un pas de plus dans l’irrationalité : il ne s’agissait même pas de représailles ou de pression sur ces autres “machines à tuer” que sont les États, mais de “venger le prophète” pour des dessins ! Si l’attentat en Isère, aussi révoltant que puisse être une exécution à ce point macabre, est loin d’avoir l’ampleur symbolique des attaques de janvier 2015, il n’est pas moins vrai qu’il se situe également dans la continuité de ces derniers ; les motivations djihadistes se mêlant visiblement aux contentieux personnels et à une frustration profonde.1
Mais ce que symbolisent également ces derniers événements, c’est la fréquence accrue et même la banalisation d’une telle barbarie : dans certains pays, comme l’Irak, la Syrie, l’Afghanistan ou la Libye, le terrorisme fait presque chaque jour des victimes. Désormais, après les récents attentats en France et au Danemark, il faut s’attendre de l’aveu même de la bourgeoisie, à une recrudescence des attaques terroristes dans les pays centraux du capitalisme. Même si tout cela est forcément utilisé contre la classe ouvrière dans une perspective policière et idéologique, il ne s’agit pas que de mots pour justifier la logique d’un flicage totalitaire. La situation commence à devenir véritablement incontrôlable bien au-delà des frontières où le terrorisme était jusque-là le plus souvent circonscrit.
Cette situation est encore aggravée par le fait que ces attentats, bien que sous l’égide de l’État islamique, ne semblent pas réellement coordonnés. Même s’il y a derrière des réseaux plus ou moins lâches, il s’agit visiblement d’actes individuels ou de groupes isolés qui ont pu surgir spontanément. Ainsi, à la racine de ces actes, il y a clairement l’abrutissement intellectuel et moral, l’obscurantisme, les délires fanatiques et la haine aveugle qui gangrènent la société capitaliste en décomposition. Comme nous l’écrivions dans notre article sur les attentats de Paris, Attentats sanglants à Paris: le terrorisme, une manifestation de la putréfaction de la société bourgeoise: “Aujourd’hui, un peu partout (en Europe aussi et particulièrement en France), de nombreux jeunes sans avenir, au parcours chaotique, humiliés par des échecs successifs, par la misère culturelle et sociale, deviennent les proies faciles des recruteurs sans scrupules (souvent liés à des États ou expressions politiques comme Daesh) qui drainent dans leurs réseaux ces paumés aux conversions aussi inattendues que soudaines, les transformant en des tueurs à gages potentiels ou en chair à canon pour le ‘djihad’. Avec l’absence de perspective propre à la crise actuelle du capitalisme, une crise économique mais aussi sociale, morale et culturelle, avec le pourrissement sur pied de la société qui sue la mort et la destruction par tous les pores, la vie de bon nombre de ces jeunes est devenue à leurs propres yeux sans objet et sans valeur. Elle prend souvent et très rapidement la coloration religieuse d’une soumission aveugle et fanatisée qui inspire toutes sortes de comportements irrationnels et extrêmes, barbares, alimentés par un nihilisme suicidaire puissant. L’horreur de la société capitaliste en décomposition, qui a fabriqué ailleurs des enfants soldats en masse (par exemples en Ouganda, au Congo ou au Tchad particulièrement depuis le début des années 1990), génère maintenant au cœur même de l’Europe de jeunes psychopathes, tueurs professionnels au sang-froid, totalement désensibilisés et capable du pire sans même attendre une rétribution pour cela. Bref, cette société capitaliste en putréfaction, laissée à sa propre dynamique morbide et barbare, ne peut qu’entraîner progressivement toute l’humanité vers le chaos sanglant, la folie meurtrière et la mort. Comme le montre le terrorisme, elle ne cesse de fabriquer toujours plus nombreux des individus totalement désespérés, broyés et capables des pires atrocités ; fondamentalement ces terroristes, elle les façonne à son image. Si de tels ‘monstres’ existent c’est parce que la société capitaliste est devenue “monstrueuse”. Et si tous les jeunes qui sont affectés par cette dérive obscurantiste et nihiliste ne s’enrôlent pas dans le “djihad”, le fait que beaucoup d’entre eux considèrent comme des “héros” ou des “justiciers” ceux qui ont franchi ce pas constitue bien une preuve du caractère de plus en plus massif du désespoir et de la barbarie qui envahit la société”. Car, en effet, la montée en puissance du fanatisme religieux comme celle des populismes, les innombrables massacres perpétrés par des bandes armées fanatisées et mafieuses telles que l’État islamique, Boko Haram, AQMI et consorts, comme la fuite en avant guerrière et incontrôlable des grandes puissances impérialistes, tout cela est l’expression, avec bien d’autres manifestations, du pourrissement sur pied de la société capitaliste, de l’incapacité objective de la bourgeoisie à offrir la moindre perspective conjuguée aux immenses difficultés que rencontre la classe ouvrière à défendre ouvertement la sienne.
La bourgeoisie instrumentalise les attentats au profit de sa domination de classe
Après les attentats de janvier 2015, les rassemblements gigantesques de solidarité étaient aussitôt récupérés par l’État sous le patronage des “valeurs républicaines” afin de mieux justifier les opérations militaires de l’impérialisme français et les mesures de flicage, tout cela au nom de la “liberté d’expression” et de la “sécurité des Français”. L’exécution perpétrée par Salhi et l’attaque de Sousse, où les touristes occidentaux étaient visés, ont pareillement été l’occasion d’une instrumentalisation sans vergogne par le gouvernement “socialiste”.
Alors que l’intense propagande autour de “l’esprit du 11 janvier”, où le Parti socialiste fit applaudir les forces de répression et vanta “l’unité nationale”, n’a pas complètement levé toute résistance face à l’offensive sécuritaire du gouvernement, l’attentat en Isère permettait de nouveau une même instrumentalisation à des fins idéologiques. Après le déploiement massif et ultra-médiatisé des forces de l’ordre et de l’armée dans les rues, la loi sur le renseignement devait fournir une légitimation “démocratique” au renforcement des mécanismes de surveillance que l’État utilise depuis de nombreuses années. Le critique démocratique ronronnait tranquillement avec, d’un côté, les défenseurs inconditionnels de la loi, de l’autre, ceux qui réclamaient un cadre juridique prétendument plus contraignant afin de protéger les “libertés individuelles”. Seulement, comme la loi sur le renseignement prévoit entre autres choses de prévenir “les atteintes à la forme républicaine des Institutions, des violences collectives de nature à porter atteinte à la sécurité nationale ou de la reconstitution de groupements dissous”, ou encore la défense “des intérêts économiques, industriels et scientifiques de la France”, le projet est apparu pour ce qu’il est : la légalisation de la surveillance généralisée et la criminalisation de toute expression de lutte contre la dictature capitaliste. Avec l’attentat de Yassin Salhi, la bourgeoisie a ainsi pu alimenter un peu plus le climat d’anxiété et de suspicion pour faire unanimement acclamer sa loi “difficile mais nécessaire” en jouant sur les émotions.
Cependant, c’est surtout sur le plan impérialiste que la bourgeoisie exploite à fond cette série d’attentats. Paré des hypocrites vertus démocratiques et civilisationnelles, le gouvernement a trouvé une nouvelle occasion à exploiter pour justifier un engagement guerrier plus marqué dans le monde. Que la France ait armé bien des groupes terroristes, qu’elle ait un rôle actif dans les nombreux conflits qui ont plongé la planète dans le chaos et le sang, tout cela est honteusement dissimulé. Ne reste que “la défense de la civilisation contre la sauvagerie terroriste”, c’est-à-dire la défense d’une abominable machine à tuer contre une autre. Ainsi, alors que l’État français s’implique militairement au Moyen-orient, il n’est pas anodin que le Premier ministre socialiste, Manuel Valls, ait repris la théorie des “faucons néo-conservateurs” américains selon laquelle nous assisterions au “choc des civilisations”. Ce mensonge éhonté vise à préparer les esprits aux aventures guerrières présentes et futures, mais en plus, il permet de façon plus immédiate de diviser davantage les ouvriers, en favorisant les replis communautaristes (bref, en stigmatisant ceux qui appartiennent à “l’autre civilisation à combattre”).
Il n’y a aucune illusion à se faire : au nom de la “lutte contre le terrorisme”, l’impérialisme français prépare la répression et sèmera encore la mort dans de nombreuses régions du monde. Seule la classe ouvrière internationale, en jetant tout son poids et sa volonté révolutionnaire dans la balance, pourra offrir une réelle perspective pour l’humanité.
S.W., 4 juillet 2015
1 Et pourtant, ceux qui commettent ces atrocités, ces humains et non ces “monstres” comme se plaisent à les nommer les médias, ont besoin d’être dans un état second pour appuyer sur la détente, comme lors d’un suicide. La mère du gamin-terroriste qui a frappé en Tunisie a ainsi parlé d’un véritable lavage de cerveau qui a poussé son fils à commettre le plus horrible. Un récent reportage sur France 5 soulignait que la plupart de ces meurtriers étaient sous l’emprise d’une drogue appelée “captalon” (ou “pilule de Daesh”). Il s’agit d’une sorte de “pare-balle chimique” qui permet d’aller au combat comme lobotomisé et en se sentant invincible.