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5 717 900 ! Tel est le chiffre officiel du nombre de chômeurs en France (DOM compris) pour la fin mai 2015. La barre des 6 millions va bientôt être atteinte ! Gouvernement après gouvernement, la crise économique s’aggrave et le chômage augmente inexorablement. Quant à ceux qui trouvent encore à vendre leur force de travail, à être exploités pour vivre, les conditions de réalisation de la corvée quotidienne sont de plus en plus insoutenables. D’un côté, le gel des salaires, la réduction des effectifs, la pression croissante au nom de la “rentabilité”, la précarisation pour soi ou ses collègues… touchent tous les secteurs, privés comme publics. Mais au fond, cela n’est pas le plus grave, le plus pénible. Ce qui est réellement insupportable est l’ambiance délétère, l’individualisme, la mise en concurrence, les guerres de clans, les ragots au sein même des rangs salariés. Cette atmosphère fait que chacun ressent le fardeau de l’exploitation plus durement encore, sans trouver le réconfort vivifiant de la solidarité, de l’entraide et de la combativité dans le regard de ses collègues qui émanent des luttes ouvrières. Cette atmosphère nauséabonde, le gouvernement et les syndicats œuvrent sans relâche pour la promouvoir et l’entretenir.
De l’art socialiste d’attaquer en divisant...
En matière d’attaques anti-ouvrières et d’austérité, sous le masque hypocrite des “réformes”, la gauche a pu acquérir une solide expérience, en particulier durant les années Mitterrand où elle avait su insuffler ce qu’on avait appelé à l’époque la “rigueur” : c’est-à-dire planifier et orchestrer tout un ensemble de mesures et d’attaques brutales qui ont plongé les salariés dans l’insécurité, le chômage massif et la précarité. Bon nombre des nouveaux barons qui font partie du sérail actuel, comme Fabius et bien d’autres, étaient déjà aux commandes. Ainsi, contrairement à l’image entretenue par les médias durant tout un temps d’un Hollande trop “mou” et “indécis” (souvenons-nous de l’image du “Flamby” colportée par les caricaturistes), la réalité est au contraire celle d’un responsable méthodique soucieux de la compétitivité du capital national, de la productivité du travail, capable de faire passer les mesures de flexibilité (comme par exemple la loi Macron), une dégradation des conditions de travail que Sarkozy lui-même aurait rêvé d’imposer mais qu’il n’aurait pu mettre en place sans risquer une forte mobilisation sociale. Hollande y parvient très bien, c’est d’ailleurs ce qui fait dire à des syndicalistes très médiatisés comme l’ex-urgentiste P. Pelloux, devenu aussi le Monsieur Charlie-hebdo après les derniers attentats à Paris : “nous avons un très grand président” ! Sous son autorité en effet, le gouvernement prend soin de planifier ses attaques, paquets par paquets, secteur par secteur, tout en polarisant à chaque fois l’attention sur une partie particulière de la population ou sur un “problème de société” tout à fait secondaire, ou encore sur des “scandales” liés à des personnalités. Mouvement monté en épingle des “bonnets rouges”, bouc-émissarisation des Roms, focalisation sur les homosexuels... et aujourd’hui mise à l’index des chauffeurs clandestins de taxis. Et chaque fois, après avoir provoqué et agité, ce gouvernement se drape cyniquement et sans vergogne des vertus du héros de la “justice”, du “droit” et de la “cohésion sociale”.
... à l’expertise syndicale d’isoler les luttes
Main dans la main avec le gouvernement, les syndicats participent activement à la division et au pourrissement social. Partout où, face à des attaques insupportables, une volonté de se battre se fait jour, ils interviennent pour isoler la lutte, l’enfermer dans la boîte, l’entreprise, le secteur, la région,... poussent aux revendications spécifiques et encouragent aux actions stériles. Il ne s’agit pas de maladresses, ni de trahison des “centrales syndicales” mais de la fonction même du syndicalisme : encadrer socialement la classe ouvrière de “l’intérieur” afin que surtout les salariés ne réfléchissent pas et ne s’organisent pas par eux-mêmes.
Des exemples de cet émiettement de la lutte ? Prenons pour exemple les seuls derniers quinze jours de juin. Le 14 juin, grève à la raffinerie de La Mède, près de Marseille, à l’appel de la CGT. Le 17 juin, grève à la RATP à l’appel de la CGT, FO et SUD. Le 18 juin, grève à la Bourse de Paris contre une vague de licenciements à l’appel de la CGT et de la CFDT. Le 23 juin, grève des marins d’Eurotunnel à l’appel du Syndicat maritime Nord. Le 25 juin, grève des cheminots à l’appel de la CGT. Les 25 et 26 juin, grève des enseignants des collèges de l’Académie de Lille à l’appel principalement de la FSU et de la CGT. Les 2 et 3 juillet, appel à la grève des contrôleurs aériens à l’appel de la SNCTA et de FO… Et cette liste de grèves orchestrées volontairement sous la houlette syndicale sans aucun lien entre elles est très loin d’être complète. Compte-tenu de l’ampleur de la dégradation continue des conditions de vie et de travail, la colère est forcément très grande dans les rangs ouvriers. Et partout, dans tous les secteurs, toutes les branches, des conflits larvés ou plus ouverts sont présents. Et partout aussi règnent l’isolement et la division que les syndicats orchestrent et planifient savamment. Voici un autre exemple criant, il s’agit des premières lignes d’un article du quotidien régional Sud-Ouest du 29 mai : “Les poubelles qui s’accumulent dans les rues et les lettres dans les centres de tri, les cantines sans cantinières et les transports en commun au ralenti : les mouvements de mécontentement se cristallisent ces jours-ci à Bordeaux. Ce vendredi matin, alors que les employés de Kéolis allaient se réunir, de leur côté, les agents de Bordeaux Métropole investissaient le hall et le parvis de l’Hôtel de Région où devait se discuter le ‘schéma de mutualisation’. De leur côté, écoles et cantines suivaient le mouvement national de grève de la fonction publique.”
“De leur côté”… Tout est là, dans ces trois petits mots... : “de leur côté”. Les syndicats sont passés maîtres dans l’art de diviser. Alors que nous sommes tous touchés, que la seule façon de faire face et d’être fiers de nous-mêmes, dignes, c’est de nous unir, de nous montrer solidaires les uns pour les autres dans la lutte, les syndicats n’ont de cesse de mettre en avant des attaques prétendument “spécifiques”.
Le mouvement syndical de l’AP-HP (Assistance publique-Hôpitaux de Paris) est de ce point de vue édifiant. “Les RTT, c’est pour souffler”, “Touche pas à nos RTT !”, “Retrait du plan Hirsch !”… Tous les hôpitaux de Paris ont inscrit ces slogans en gros sur leurs façades. Pendant un mois, de la mi-mai à la mi-juin, l’AP-HP a connu un mouvement de grèves et de manifestations marqué par une forte mobilisation. Il faut dire que les travailleurs de ce secteur, déjà confrontés à des conditions d’exploitation extrêmes, ont dû faire face à une énième attaque inique. Le projet porté par Martin Hirsch, actuel directeur général de l’AP-HP, implique de réduire le temps de travail moyen par jour à 7 heures maximum tout en maintenant la même charge de travail par salarié. Autrement dit, sous couvert d’un “assouplissement des 35 heures”, il s’agit pour l’État de payer moins d’heures pour une quantité de travail constante ; aux salariés de se débrouiller pour “bien faire leur travail” en intensifiant leurs efforts, en ne prenant plus aucune pause, en dépassant toujours plus largement leurs horaires, etc. L’objectif affiché est d’économiser 20 millions d’euros par an. Parallèlement, en ce printemps 2015, Paris a été touché par deux autres vagues de mobilisations : celle des crèches et celle des piscines et infrastructures sportives. Dans les crèches, le manque d’effectif est devenu si dramatique que la santé des salariés surmenés et la sécurité des enfants sont menacées. Depuis le début de l’année, il y a déjà eu quatre journées d’action. Quant aux piscines, la maire de Paris a dû faire face au conflit le plus long qu’ait connu ce secteur : la colère face aux payes misérables des salaires étant très importante. Il n’y a pourtant eu aucune convergence entre ces luttes menées simultanément sur la même ville, parfois dans la même rue. Au contraire, le mouvement le plus important, celui de l’AP-HP, a été poussé vers une fausse radicalisation à travers un enfermement ultra-corporatiste et régionaliste. L’idée était de neutraliser le noyau central du secteur hospitalier pour faire passer l’attaque sur l’ensemble des hôpitaux ensuite. Jamais les syndicats ne proposeront aux grévistes d’aller à la rencontre des autres secteurs (pourtant les grandes concentrations de salariés ne manquent pas dans la capitale), au contraire ils ont orchestré des actions isolées et bidons comme des défilés sous les fenêtres de Monsieur Hirsch !
Les médias relayant allégrement ce mouvement stérile, c’est toute la classe ouvrière qui est touchée par ce type de manœuvre.
Autre exemple significatif, le mouvement de protestation des syndicats de l’Éducation nationale contre la réforme des collèges. L’idée que cette réforme va renforcer “la lutte contre les inégalités” est évidemment un mensonge. L’objectif réel n’est ni plus ni moins que de faire des économies en supprimant des postes et des heures de cours et en réorganisant, sous couvert d’un verbiage pédagogique prétentieux servant d’alibi, tout le travail des équipes d’enseignants de façon à augmenter considérablement et insidieusement leur productivité. Tout cela induira une augmentation des réunions et de la paperasse supplémentaire, permettra des pressions individuelles accrues, un flicage renforcé et une mise en concurrence sournoise entre disciplines et même entre collègues. Le but est de rendre les enseignants plus corvéables, de renforcer leur flexibilité tout en les habituant aux “valeurs” du management et du marketing. Voilà le secret de cette réforme ! Or, que font les syndicats ? Ils s’efforcent de la faire passer en catimini et de glisser systématiquement de façon insidieuse que les salariés sont bien “demandeurs” et qu’ils sont “pour le principe de la réforme”. Ainsi, par exemple, le SNES parle d’un “rendez-vous attendu par les personnels”. Mais pour faire passer la pilule, les syndicats sont obligés d’ajouter un “oui mais” : celui de la possibilité d’adopter un contenu prétendument “différent”. L’essentiel est là, faire accepter de manière scélérate le principe de la réforme (faire des économies) en modifiant éventuellement légèrement l’emballage. Pour ce faire, ils agissent aussi directement sur le terrain en enfermant les plus combatifs sur le seul secteur de l’éducation par des manifestations totalement isolées des salariés des autres secteurs. Toute démarche de lutte collective est écartée au profit de propositions stériles et démoralisantes comme “boycotter les corrections du brevet des collèges” ou autres singeries qui ne peuvent qu’enfermer dans le corporatisme et servir à discréditer les enseignants.
Les difficultés aujourd’hui présentes au sein de notre classe le seront pour longtemps encore. Mais les perspectives de dépassement de ces difficultés sont elles aussi réelles du fait de l’enfoncement du système capitaliste dans une crise historique sans issue. Cette dynamique, dont le cœur sera la réflexion collective et le développement de la conscience, passera nécessairement par la confrontation aux réalités du capitalisme d’État : ses pièges idéologiques (de la droite comme de la gauche ; de l’extrême-droite comme de l’extrême-gauche) et les manœuvres de sabotage des luttes par les syndicats. Alors, l’individualisme, la mise en concurrence, l’esprit délétère que tente de nous imposer en permanence la bourgeoisie feront place à la solidarité, l’entraide, la confiance mutuelle, la combativité. Tout ce qui caractérise notre classe quand elle lutte pour l’avenir, le sien et celui de l’humanité.
Cerise, 6 juillet 2015