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En Grèce, le triomphe électoral du parti Syriza a produit les réactions attendues de la droite à la gauche de l'échiquier politique bourgeois. Au Royaume Uni, le Times, pour la droite, écrivait : "la torche incendiaire de l'extrême-gauche vole vers la victoire", relayé par le Daily Mails qui renchérissait : "l'extrême gauche, poussée au pouvoir en Grèce, propage une onde de choc à travers toute l'Europe."
Contrairement à l'alarmisme de la droite, des groupes gauchistes ont bien-sûr quant à eux plébiscité l'arrivée de Syriza au pouvoir. En Allemagne, Die Linke se félicitait : "la Grèce a fait l'expérience d'un jour d'élections véritablement historique. Nous nous réjouissons avec vous. (…) Ce que Syriza a accompli est une grande réussite. En tant que parti de gauche pluraliste et moderne, vous avez réussi à devenir les porte-paroles de millions de gens qui vous font confiance parce que vous êtes cohérents et honnêtes et parce que vous leur rendez leur fierté." En France, le NPA saluait également : "la victoire de Syriza", cet "événement très positif, qui aidera à desserrer l'étau de l'austérité qui a provoqué une chute du niveau de vie de la population grecque. (…) Au niveau européen, c'est une défaite pour les gouvernements de droite et de gauche qui ne cessent de répéter qu'il n'y a pas d'alternative à l'austérité et à la destruction des acquis sociaux". Au Royaume-Uni, le Social Workers Party ajoutait : "les électeurs grecs ont délivré un message clair de rejet de l'austérité. (…) Le parti de la gauche radicale Syriza s'est emparé de la victoire, laissant les partis traditionnels sur le bas-côté."
Il est vrai que le schéma classique du partage de la diabolisation et de la célébration entre la droite et la gauche n'est cette fois-ci pas complètement respecté : certains partis de droite ont aussi encensé Syriza (et pas seulement pour leur coalition avec le parti d'extrême-droite ANEL). Marine Le Pen, du Front National, s'est déclarée "enchantée par l'énorme claque démocratique que le peuple grec a donnée à l'Union Européenne." Nigel Farage[1], du UK Independance Party, a vu dans le résultat de l'élection un cri à l'aide désespéré du peuple grec, des millions d'entre eux ayant été appauvris par l'expérience de l'euro.
Pourquoi faire ces citations ? Parce qu'elles rendent compte des différentes expressions de l'idéologie bourgeoise : la droite avertit qu'un changement dans la politique économique de la Grèce va déstabiliser d'autres économies en Europe, et peut-être même avoir un impact sur le fonctionnement du capitalisme au-delà ; la Gauche dépeint l'ascension de Syriza comme la preuve qu'une "alternative au libéralisme est possible", et se réjouit de l'émergence d'une nouvelle force sociale à laquelle les gens font confiance.
Il existe, à la gauche de l'appareil politique, une voix hypocritement dissidente : c'est celle de Lutte Ouvrière. Un article intitulé "Epreuve de force après la victoire de Syriza", tout en exprimant quelques sentiments familiers ("En votant massivement pour Syriza, les classes populaires ont dit qu’elles n’en pouvaient plus et ont exprimé leur rejet de ces politiques d’austérité", etc.), est également très critique. "Tsipras et Syriza n’ont jamais mis en cause l’ordre capitaliste. Ils ne prétendent pas le combattre et encore moins chercher à le renverser. Ils se situent entièrement sur le terrain de la bourgeoisie." De plus, en flattant les sentiments anti-allemands "Syriza situe son combat sur le terrain du nationalisme et se pose en champion de l’indépendance nationale de la Grèce." Mais, au bout du compte, LO apporte malgré tout son soutien à Syriza : "C’est une nécessité objective pour être en situation de lutter en solidarité avec le gouvernement de Tsipras tant que celui-ci s’en tient aux mesures favorables aux travailleurs qu’il avait promises et contre lui s’il tourne le dos à ses promesses." LO défend la position selon laquelle un gouvernement capitaliste en Grèce pourrait défendre en quelque sorte des intérêts qui ne seraient pas ceux de la bourgeoisie.
Il y a différentes façons de gérer la crise capitaliste
Syriza se situe entièrement sur le terrain du capitalisme d'Etat. Ce parti est soumis aux mêmes pressions que les autres bourgeoisies, et il n'est pas surprenant que Syriza, juste après son arrivée au pouvoir, ait commencé à faire des concessions allant à l'encontre de ses engagements antérieurs. Il s'est d'abord allié avec des dissidents du KKE et du PASOK (qui ont tous deux exercé le pouvoir, le premier pendant de nombreuses années et le second en coalition avec les conservateurs de la Nouvelle Démocratie). En tant que parti en lice pour le pouvoir, il se situait déjà sur le terrain capitaliste, différant des autres uniquement par la manière dont il a exprimé son nationalisme, et l'emphase particulière avec laquelle il a défendu sa politique capitaliste d'Etat.
Que les gauchistes décrivent Syriza comme une sorte d'alternative au capitalisme est totalement frauduleux. Juste avant les élections, un groupe de dix-huit économistes distingués (incluant deux lauréats du Prix Nobel et un ancien membre du Comité de politique monétaire d'Angleterre) a écrit au Financial Times en approuvant des aspects de la politique économique de Syriza : "Nous pensons qu'il est important de distinguer austérité et réformes : condamner l'austérité n'entraîne pas d'être anti-réformes. La stabilisation macro-économique peut être atteinte grâce à la croissance et à l'augmentation de l'efficacité dans la collecte de l'impôt plutôt que par une réduction des dépenses publiques qui a diminué le niveau de vie et conduit à une augmentation du taux d'endettement." La lettre est parue sous le titre : "Le nouveau départ de la Grèce va profiter à l'Europe", considérant la consécration de Syriza comme potentiellement bénéfique pour le capitalisme européen. Comme le fait remarquer un commentaire sur le site du magazine The New Statesman : "le programme de Syriza (…), c'est de la macro-économie classique. Le parti Syriza a simplement l'intention d'appliquer ce que les manuels suggèrent."
Et donc, suivant les manuels, Syriza a négocié avec les créanciers européens de la Grèce, en premier lieu pour prolonger le plan de sauvetage et ses conditions jusqu'au 30 juin. Ainsi, alors qu'il y avait des manifestations dans les rues d'Athènes contre le plan de sauvetage, Die Linke l'a voté au parlement allemand avec les partis au gouvernement. Habituellement, ils votaient contre les plans de sauvetage en raison des mesures d'austérité obligatoires qui accompagnaient ces plans. Cette fois, ils ont affirmé qu'ils votaient "par solidarité avec Syriza". Un dirigeant de Die Linke a même déclaré devant le Reichstag : "Maintenant, vous allez voir qu'un gouvernement de gauche peut arriver à quelque chose."
Dans un débat récent à Londres entre un membre dirigeant du Socialist Workers Party et Stathis Kouvelakis, du comité central de Syriza, ce dernier a déclaré : "Trente-deux grèves générales et des centaines de milliers de personnes n'ont pas réussi à empêcher l'application d'une seule mesure. Syriza a apporté l'imagination politique qui manquait et a traduit ces mouvements dans un défi au pouvoir. Et, quand on lui a fait remarquer que les demandes de Syriza étaient modérées, Stathis a rappelé à l'auditoire que la Révolution russe de 1917 a commencé avec des appels pour 'la paix, le pain et la terre'." Il est vrai que les grèves générales en Grèce ont été mises en scène par les différentes coordinations syndicales et ont ainsi joué le rôle d'exutoire à la colère des ouvriers contre les mesures d'austérité imposées par l'alliance gouvernementale de la Nouvelle Démocratie et du PASOK. Ils se sont assurés que l'opposition à l'austérité était contenue et détournée. L'imagination politique démontrée par Syriza consiste seulement à s'être coulé dans le moule pour prendre sa place dans l'appareil politique de l’État capitaliste. Il ne s'agit pas d'un défi au pouvoir mais d'une participation à la domination du capital et à l'exploitation de la classe ouvrière.
Il est potentiellement dangereux de faire référence à 1917 pour des gauchistes. La réalité de la révolution et la participation des révolutionnaires à cette réalité ont tendance à mettre à nu les (im)postures des partis comme Syriza. La Révolution russe a non seulement revendiqué "la paix, le pain et la terre", elle a aussi été caractérisée par le travail théorique de Lénine sur le marxisme et l’État, les Thèses d'avril et L’État et la Révolution. Une pierre angulaire du marxisme est que l’État existe à cause de l'impossibilité de faire disparaître les antagonismes de classe. En cela, il est tout à fait approprié pour Syriza de prendre sa place au sein de l’État et pour les gauchistes de tout poil d'entretenir les illusions sur les bienfaits de l’État capitaliste.
Car. (05/03/2015)
[1] Député populiste au Parlement européen, ancien membre du parti conservateur, il est connu pour ses discours provocateurs anti-Maastricht et sa grande admiration de Poutine.