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Depuis qu’Olivier Besancenot n’est plus le candidat emblématique du NPA aux élections présidentielles, il semble aspirer à de “nobles” fonctions au sein de l’appareil politique de la bourgeoisie, celles de “tête pensante” et de “vulgarisateur” d’un marxisme contrefait et paralysant. Ce n’est pas la première fois que le champion médiatique de la prétendue “gauche radicale” prend la plume, mais avec cet ouvrage, il s’attaque à une question primordiale dans le processus de prise de conscience de la classe ouvrière : la lutte des classes.
Pour le marxisme, le prolétariat est avant tout une classe révolutionnaire, en lutte, tantôt ouverte, tantôt dissimulée, une lutte pour l’abolition du capitalisme et l’avènement d’une société sans classe ni frontière ; une société qui, nous sommes contraints de le préciser tant le mot brille par son absence dans le texte de Besancenot, porte le nom de communisme. Cette classe est riche d’une histoire de luttes sociales, mais aussi et surtout, puisque le combat historique du prolétariat pour arracher l’humanité à sa préhistoire ne se réduit pas, loin s’en faut, à une bataille pour du pain et un toit, à une expérience de luttes théoriques et politiques. Cette expérience acquise par de nombreuses générations de prolétaires, faite de combats acharnés, de réflexion et de révolutions, prouve combien la classe ouvrière a réellement les moyens de remplir sa mission historique, d’abolir le capitalisme en détruisant ses États, et ce, à l’échelle internationale.
Si Besancenot s’entoure d’un verbiage qui se veut radical et dans la continuité du mouvement ouvrier, son texte s’inscrit en réalité dans celle de la gauche mystificatrice du capital, dont l’unique objectif est celui de maintenir le prolétariat dans des impasses politiques pour le conduire à la défaite et assurer le triomphe des possédants. Cette accusation est grave et semble excessive tant est répété le mensonge selon lequel “la gauche de la gauche” défendrait les intérêts de la classe ouvrière. Pourtant le dernier livre de Besancenot confirme, à tous les égards, la validité de cette analyse.
Destruction du capitalisme ou lutte contre “la classe des riches” ?
La première partie de l’ouvrage prétend identifier la classe ennemie du prolétariat : la bourgeoisie. Ceci étant, l’auteur avance une définition bien particulière de celle-ci. Apparemment, la “lutte de classes au xxie siècle” prend la forme d’une “conjuration des inégaux” 1. Ainsi, le leader du NPA n’a de cesse de dénoncer la “classe des riches”, ce “petit monde”, cette “oligarchie” composée de “quelques familles” qui dirigent le système capitaliste au moyen, notamment, de “la dictature des banques”. En effet, le cœur de cette “conjuration” se trouverait dans les grandes fortunes industrielles et surtout dans le milieu financier où quelques dynasties s’auto-reproduisent et “traversent les époques en résistant aux aléas de l’histoire et aux évolutions du capitalisme lui-même” sans en faire profiter les autres.
C’est cette resucée des “200 familles” 2 qu’Olivier Besancenot désigne comme des profiteurs de crise et les véritables maîtres du système. La manœuvre idéologique est éculée : il s’agit de désigner, afin de ménager le système comme un tout, une partie seulement de la classe dominante (parfois choquante de cynisme) censée “tirer les ficelles” dans l’ombre et produire les crises par une sorte d’égoïsme. C’est ainsi que toute la bourgeoisie, gauche et droite confondues, expliqua la crise de 2008 ; la mise à l’index de l’égoïsme des banquiers et de la folie des spéculateurs, que l’État bourgeois se proposait bien entendu de “réguler”, détournait le regard et la réflexion du vrai coupable : les rapports sociaux capitalistes devenus obsolètes, l’existence même du salariat et du capital.
Destruction de l’État ou défense d’un État plus juste et plus démocratique ?
En réalité, derrière la dénonciation d’une partie spécifique de la bourgeoisie, il s’agit surtout d’enchaîner la classe ouvrière à l’État bourgeois. En défenseur radical… de la classe dominante, l’auteur ne met jamais en question l’État en tant que tel mais seulement la façon dont il est géré. Selon Besancenot, la rapacité de quelques familles fortunées et la dictature des banques ne pourraient exister sans la complicité d’un État aux ordres qui détourne l’argent des impôts pour renflouer les pertes sèches du système bancaire au lieu de financer les services publics, qui ordonne aux CRS de pourchasser les ouvriers et jamais les patrons, qui exclut les “classes populaires” des bancs de l’Assemblée nationale… Autrement dit, ce que Besancenot propose n’est rien d’autre que de “lutter” pour mieux gérer l’État, pour que celui-ci soit gouverné de façon prétendument plus juste, plus équitable, plus humaine. Si Besancenot était le marxiste qu’il prétend être, il ne se présenterait nullement comme le défenseur inconditionnel d’un illusoire État soucieux de l’intérêt public contre l’avidité des patrons et des banquiers. Il appellerait au contraire à l’abolition de l’État.
Dans L’État et la révolution, Lénine affirme à raison que l’État est “le produit et la manifestation de ce fait que les contradictions de classes sont inconciliables”. Il est historiquement l’instrument des classes dominantes pour contenir les antagonismes de classe dans les limites de l’ordre social existant et assurer la répression des classes exploitées et des révolutionnaires. Il est l’outil indispensable de la conservation sociale. L’expérience de la Commune de Paris avait déjà permis à Marx et Engels de corriger leur conception à ce sujet. La lutte du prolétariat parisien avait démontré que “la classe ouvrière ne peut pas se contenter de prendre la machine de l’État toute prête et de la faire fonctionner pour son propre compte” 3. Désormais, la classe ouvrière devrait s’efforcer de briser et démolir l’État en s’attaquant à cette machine bureaucratique et militaire.
Avec la période de décadence, dans laquelle nous baignons depuis plus d’un siècle, le capitalisme est marqué par le renforcement inouï d’une tendance universelle : celle du capitalisme d’État. Son emprise totalitaire a fini par aspirer l’ensemble de la vie sociale, transformant ce dernier en un véritable rouleau compresseur pour une exploitation implacable. Aussi, loin d’être un “jouet” entre les mains de la bourgeoisie, l’État est devenu au contraire le fer de lance à abattre de l’exploitation.
Il faut également souligner que le rôle “redistributif” que Besancenot veut donner à l’État se situe entièrement sur le terrain pourri du nationalisme. Ce n’est nullement par hasard ou par “oubli” que l’internationalisme n’est évoqué nulle part dans le livre alors que ce principe est précisément la pierre de touche de tout le mouvement ouvrier et des révolutionnaires. Besancenot se fait en revanche le porte-voix d’une conception du monde indissolublement liée à sa vision purement bourgeoise de la société dont le périmètre est depuis toujours circonscrit à celui de la nation. Si, en d’autres occasions, sur les plateaux de la télévision bourgeoise, par exemple, ou dans d’autres ouvrages déjà publiés, Besancenot évoque avec hypocrisie “l’internationalisme”, c’est pour l’accommoder à la sauce nauséabonde d’une “fédération des peuples ou des nations” et de “l’Europe sociale”. Le prétendu “internationalisme” de Besancenot et du NPA consiste d’ailleurs à toujours choisir, lors d’un conflit armé, un camp impérialiste contre l’autre et/ou la fraction d’une bourgeoisie nationale contre une autre, au nom de la “défense des peuples opprimés”, ou de la “libération nationale”, ou encore du “moindre mal”.
Besancenot et le NPA proposent à ce titre une tactique qui se trouve à l’opposé de la démarche des révolutionnaires marxistes : “En fonctionnant du haut vers le bas, dans le sens inverse d’une démocratie réelle, notre représentation publique ne nous présente pas et assure la domination de la classe des puissants. Elle soustrait la “démocratie” du contrôle populaire en même temps qu’elle l’offre aux milieux financiers”. Traduisez : notre système marche sur la tête, le NPA se propose de le remettre d’aplomb par un contrôle de l’État basé sur une “démocratie réelle” débarrassée des “abus” et des excès de la classe dominante.
Mais l’État démocratique n’est ni “neutre” ni “au-dessus des classes”. Il est au contraire l’expression la plus achevée et la plus sournoise de la dictature du capital sur la société. L’État, qu’il soit démocratique ou dictatorial, reste un appareil marqué par sa nature de classe, une machine qui n’existe que pour l’exploitation d’une classe par une autre. Comme l’écrit Lénine dans La révolution prolétarienne et le renégat Kautsky : “Plus la démocratie est développée et plus elle est près, en cas de divergence politique profonde et dangereuse pour la bourgeoisie, du massacre ou de la guerre civile. (…) Dans l’État bourgeois le plus démocratique, les masses opprimées se heurtent constamment à la contradiction criante entre l’égalité nominale proclamée par la démocratie des capitalistes et les milliers de restrictions et de subterfuges réels qui font des prolétaires des esclaves salariés.” L’invocation permanente de la démocratie à toutes les sauces, de l’extrême droite à l’extrême gauche de la bourgeoisie, est l’arme la plus insidieuse pour maintenir le prolétariat dans l’exploitation en le détournant de ses propres armes politiques et de ses buts.
Lutte de masse ou luttes parcellaires ?
Dans sa lutte contre la bourgeoisie, le prolétariat doit s’organiser de façon autonome et unitaire en forgeant ses propres armes politiques, telles que les assemblées générales et les conseils ouvriers. Les luttes prolétariennes portent en elles un immense bouleversement social, culturel, intellectuel et humain. Mais contre cette perspective révolutionnaire, cette exigence d’unité internationale et de rupture avec tous les organes politiques et idéologiques de la bourgeoisie, Besancenot fait l’apologie des luttes parcellaires qui divisent le prolétariat et le réduisent à l’impuissance dans le seul cadre de l’ordre social existant : “la lutte pour la défense de l’égalité des droits contre un système qui perpétue des discriminations raciales, sexistes ou sexuelles, fait forcément partie du champ d’intervention de la classe des exploités et des opprimés, sauf à la rendre borgne, voire aveugle. (…) Notre combat a besoin d’intégrer la diversité ; il ne fléchit pas avec elle, il se dévitalise au contraire lorsqu’il l’ignore. Accepter les déclinaisons diverses de la lutte, ce n’est pas accepter son éclatement, c’est tenter de l’unifier dans un même sens, contre un adversaire commun et vers une direction commune.” La décadence du capitalisme, accentuée par sa phase ultime de décomposition, dégrade tous les types de rapports humains. Cependant, faire croire qu’il est possible de les changer en organisant des luttes spécifiques sur des problèmes parcellaires tels que le racisme, la condition féminine, la pollution, la sexualité et les autres aspects de la vie quotidienne est un mensonge. Si la lutte contre les rapports sociaux capitalistes contient en elle la lutte contre ces aspects spécifiques de la société capitaliste, la réciproque est fausse.
Pour conduire ces luttes parcellaires, Besancenot enfonce d’ailleurs le clou en plaçant toute sa confiance dans un mouvement syndical prétendument plus “démocratique, unitaire et radical”. Mais ces véritables fossoyeurs professionnels de la lutte ne servent qu’à encadrer la classe ouvrière, à la diviser en corporations, branches ou entreprises, en la livrant pieds et poings liés à la bourgeoisie au nom de la légalité juridique et des prétendus “droits acquis”.
Dans la même logique, les organes autonomes et unitaires du prolétariat que sont les assemblées souveraines et ouvertes à tous, ne sont pas une seule fois mentionnés. Même lorsqu’il est fait référence au mouvement des Indignés en Espagne, Besancenot se garde bien d’évoquer les assemblées ouvrières en son sein. Pourtant, en 2011, ces lieux de débats et de décisions, malgré leurs nombreuses confusions et illusions, ont montré une nouvelle fois la capacité de la classe à s’auto-organiser aux dépens des syndicats et des “partis de gauche”. Ces assemblées ont permis de dessiner une ébauche des luttes à venir en tentant d’affermir la confiance et en posant la question de l’extension internationale de la lutte et de la solidarité ouvrière.
Bien des aspects restent encore à dénoncer dans cet ouvrage dont la publication n’aura finalement eu qu’un seul objectif : pourrir le champ de réflexion du lecteur sous prétexte de vulgarisation du marxisme et miner le terrain de sa prise de conscience pour mieux le désarmer politiquement, étouffer ses velléités de rejet du capitalisme et l’enchaîner, l’enfermer derrière les barbelés idéologiques de la gauche de la bourgeoisie.
AJ, 26/01/2015
1 Besancenot fait référence, en renversant le rapport, à la conjuration des Egaux menée par Gracchus Babeuf en 1796 qui, dans la dynamique de la Révolution française, appelait à l’instauration d’une société au sein de laquelle les moyens de production seraient mis en commun et où régnerait la “parfaite égalité” entre les individus.
2 Slogan démagogique lancé par le Parti radical dans les années 1930 pour désigner les actionnaires “tout-puissants” de la Banque de France puis repris par le Front populaire et l’extrême-droite, et relayé enfin par le parti stalinien.
3Marx, La Guerre civile en France, IIIe partie.