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Il y a cent ans, la guerre entre dans une nouvelle année de massacres. Elle devait être "terminée pour Noël", mais Noël est passé et la guerre est toujours là.
A partir du 24 décembre, des fraternisations sur les lignes de front ont donné lieu à la "Trêve de Noël". De leur propre initiative et au grand dam des officiers, les soldats – ouvriers ou paysans en uniforme – sont sortis spontanément de leurs tranchées pour échanger bière, cigarettes, et nourriture. Pris de court, les Etats-Majors n'ont pas su réagir sur le champ.
Les fraternisations posent la question : que serait-il passé s'il y avait eu un parti ouvrier, une Internationale, capable de leur donner une vision plus large, de les faire fructifier pour devenir une opposition consciente non seulement à la guerre mais à ses causes ? Mais les ouvriers sont abandonnés par leurs partis : pire, ces partis sont devenus les sergents-recruteurs de la classe dominante. Derrière les pelotons d'exécution qui attendent les déserteurs et les mutins, se tiennent des ministres "socialistes". La trahison des partis socialistes dans la plupart des pays belligérants fait que l'Internationale socialiste s'effondre, incapable de faire appliquer les résolutions contre la guerre adoptées par le congrès de Stuttgart en 1907 et de Bâle en 1912 : cet effondrement est le thème d'un des articles de ce numéro.
L'année 1915 s'ouvre. Il n'y aura plus de "Trêve de Noël" : les Etats-Majors, inquiets, feront appliquer la discipline et tonner les canons le Noël prochain afin de tuer dans l'œuf toute velléité de mettre fin à la guerre de la part des soldats et des ouvriers.
Et pourtant, péniblement et sans plan d'ensemble, la résistance ouvrière ressurgit. En 1915 il y aura encore des fraternisations sur le front, de grandes grèves dans la vallée du Clyde en Ecosse, des manifestations d'ouvrières allemandes contre le rationnement. De petits groupes, comme Die Internationale (où milite Rosa Luxembourg) ou le groupe Lichtstrahlen en Allemagne, rescapés de la ruine des partis de l'Internationale, s'organisent malgré la censure et la répression. En septembre, certains participeront à la première conférence internationale des socialistes contre la guerre, à Zimmerwald en Suisse. Cette conférence, et les deux qui suivront, s'affronteront aux mêmes problèmes posés à la 2e Internationale : est-il possible de mener une politique de "paix" sans passer par la révolution prolétarienne ? Peut-on envisager une reconstruction de l'Internationale sur la base de l'unité d'avant 1914 qui s'est avérée apparente et non réelle, ?
Cette fois, c'est la gauche qui va gagner la bataille, et la 3e Internationale qui sortira de Zimmerwald sera explicitement communiste, révolutionnaire, et centralisée : ce sera la réponse à la faillite de l'Internationale, tout comme les Soviets en 1917 seront la réponse à la faillite du syndicalisme.
Il y a presque 30 ans (en 1986) nous avons commémoré le 70e anniversaire de Zimmerwald dans un article publié dans cette Revue. Six ans après l'échec des Conférences internationales de la Gauche communiste 1 nous écrivions : "Comme à Zimmerwald, le regroupement des minorités révolutionnaires se pose aujourd'hui de façon brûlante (...) Face aux enjeux actuels, la responsabilité historique des groupes révolutionnaires est posée. Leur responsabilité est engagée dans la formation du parti mondial de demain, dont l'absence aujourd'hui se fait cruellement sentir (...) L'échec des premières tentatives de conférences (1977-80) n'invalide pas la nécessité de tels lieux de confrontation. Cet échec est relatif : il est le produit de l'immaturité politique, du sectarisme et de l'irresponsabilité d'une partie du milieu révolutionnaire qui paie encore le poids de la longue période de contre-révolution (...) Demain, de nouvelles conférences des groupes se revendiquant de la Gauche se tiendront...".2
Force est de constater que nos espoirs, notre confiance d'alors ont souffert une amère déception. Des groupes ayant participé aux Conférences, seuls restent le CCI et la TCI (ex-BIPR, créé par Battaglia Comunista d'Italie et la CWO de Grande Bretagne peu après les Conférences). 3 Si la classe ouvrière ne s'est pas laissé enrôler sous les drapeaux dans une guerre impérialiste généralisée, elle n'a pas non plus su opposer sa propre perspective à la société bourgeoise. De ce fait, la lutte de classe n'a pas imposé aux révolutionnaires de la Gauche communiste un minimum des sens des responsabilités : les Conférences n’ont jamais été renouvelées, et nos appels répétés à un minimum d’action commune des internationalistes (notamment lors des guerres du Golfe dans les années 1990 et 2000) sont restés sans réponse et lettre morte. L'anarchisme nous offre un spectacle encore plus affligeant, si c'était possible. Avec les guerres en Ukraine et en Syrie, c'est la débandade dans le nationalisme et l'antifascisme dont peu s'en sortent avec honneur (le KRAS en Russie est une exception admirable).
Dans cette situation, caractéristique de la décomposition sociale ambiante, le CCI n'a pas été épargné. Notre organisation est secouée par une crise profonde, qui exige de nous une réflexion théorique et une mise en question toute aussi profonde pour y faire face. C'est le thème de l'article sur notre récente Conférence extraordinaire, également publié dans ce numéro.
Les crises ne sont jamais une situation confortable, mais sans crises il n'y a pas de vie, et elles peuvent être à la fois nécessaires et salutaires. Comme souligne notre article, s'il y a une leçon à tirer de la trahison des partis socialistes et de l'effondrement de l'Internationale, c'est que la voie tranquille de l'opportunisme mène à la mort et à la trahison, et que la lutte politique de la gauche révolutionnaire ne s'est jamais faite sans heurts et sans crises.
CCI, décembre 2014
1 Nous renvoyons le lecteur non informé sur ces conférences à notre article de la Revue internationale n° 22, "Le sectarisme, un héritage de la contrerévolution à dépasser" ; https://fr.internationalism.org/rinte22/conference.htm..
2 Revue internationale n°44, 1er Trimestre 1986.
3 Le GCI étant passé du côté de la bourgeoisie en soutenant le Sentier lumineux péruvien.