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"Quiconque a vécu en tant qu'acteur politique la période qui s'est ouverte le 4 août 1914 pourra facilement se tromper sur le temps écoulé depuis cette date. (...) Dix ans ! Cela veut dire qu'une nouvelle génération est arrivée à maturité et est appelée à faire l'histoire. Cette génération doit connaître son passé pour connaître la totalité du présent. (...) Du point de vue prolétarien, il n'existe aucune synthèse sur cette période. Ce livre se veut donc un premier essai en vue de mener à bien cette tâche." Tel était le postulat de Paul Frölich quand il décida, en 1924, d'écrire l'une des premières synthèses sur la Première Guerre mondiale. Ce travail n'était pas destiné à "s'adonner à l'histoire au nom même de l'histoire" mais de "transmettre au travailleur tout ce qu'il devait savoir sur la guerre." Ainsi, Paul Frölich voulait établir une synthèse du conflit permettant au prolétariat de comprendre le processus historique qui a conduit à une telle boucherie. Il s'agissait de dénoncer la barbarie et le cynisme de la bourgeoisie internationale mais aussi la trahison de la social-démocratie qui, dans de nombreux pays, s'était rangée du côté des partis bourgeois au moment de signer les crédits de guerre.
Issu d'une famille ouvrière, Paul Frölich adhère au marxisme et rejoint très tôt le parti social-démocrate allemand (Sozialdemokratische Partei Deutschlands, SPD). Il suit les cours de Rosa Luxembourg à l'école du parti. En 1914, il critique la position du SPD en faveur des crédits de guerre et participe à la Conférence de Zimmerwald. Appartenant à la gauche radicale de Brême, il participe à la formation des Communistes Internationaux d'Allemagne. En 1918, il est membre du parti communiste d'Allemagne (Kommunistische Partei Deutschlands, KPD). Ainsi, Paul Frölich est avant tout un militant révolutionnaire ayant participé aux combats majeurs de la classe ouvrière allemande au début XXe siècle.
Les réflexions qu'il mène dans ce livre réaffirment et complètent celles énoncées par Rosa Luxembourg dans sa Brochure de Junius en 1916. En s'appuyant sur des documents officiels de la bourgeoisie ainsi que sur la presse bourgeoise et socialiste, Frölich explique les causes de la guerre et décrit ses conséquences aux plans politique et économique. L'auteur décrit les conditions de vie du prolétariat allemand durant cette période et n'hésite pas à dénoncer l'exploitation accrue que ce dernier a dû subir au cours du conflit.
A l'heure de la "commémoration" de la guerre 14-18 au cours de laquelle la bourgeoisie entreprend résolument d’"héroïser" les millions d'ouvriers ayant servi de chair à canon pour les intérêts du capital, ce livre permettra au prolétariat du XXIe siècle de pouvoir critiquer les falsifications historiques distillées par la bourgeoisie au sujet de cette guerre. Le compte rendu qui suit vise à souligner les idées forces du livre et à montrer en quoi l'analyse de Frölich peut servir à aiguiser le niveau théorique du prolétariat actuel.
L'impérialisme plonge l'humanité dans la barbarie
Dans le sillage de Rosa Luxembourg, Paul Frölich voit dans l'impérialisme la cause principale de la guerre 14-18. En effet, à la fin du XIXe siècle, le monde est trop étroit pour engloutir le flot béant de marchandises émises par la machine capitaliste. Les puissances impérialistes se font une concurrence acharnée pour contrôler les dernières zones de la planète pas encore sous la domination capitaliste. En effet, jusqu'aux années 1880, l'Angleterre "était le pays capitaliste par excellence" et pouvait écouler abondamment ses marchandises en Europe et dans les colonies. Mais cette situation se modifie avec l'émergence de nouvelles puissances capitalistes : l'Allemagne et les Etats-Unis. Le développement rapide de l'industrie dans ces deux pays offre à leur bourgeoisie respective des perspectives de profit important. Ainsi, les concurrences commerciales s'accroissent et chaque pays capitaliste souhaite maintenir ses territoires coloniaux, voire s'implanter dans de nouvelles zones afin d'écouler la production de marchandises. Ces tensions commerciales deviennent plus courantes dans les premières années du XXe siècle et tendent à se transformer en conflits armés. En effet, Paul Frölich montre que la course aux armements est consubstantielle au développement de l'impérialisme. Dans les dix années qui précèdent la Première Guerre mondiale, les politiques commerciales agressives menées par les puissances capitalistes dans les colonies manquent d'engendrer des guerres ouvertes. L'aventure chinoise à la fin du XIXe siècle, la concurrence entre l'Autriche-Hongrie et la Russie dans les Balkans, le conflit entre la France et l'Allemagne à propos du Maroc en 1911, … sont autant de signes annonciateurs d'un drame mondial sans cesse retardé par l'impréparation des différents acteurs sur le plan militaire. Mais en 1913-1914, la situation devient intenable, les manœuvres de l'impérialisme austro-hongrois dans les Balkans (soutenues par l'Allemagne) afin de maintenir ses intérêts commerciaux et briser l'élan d'indépendance de la Serbie déplaisent fortement à la Russie, l'Angleterre et la France regroupées dans une Triple Entente depuis 1907.
La bourgeoisie présente l'assassinat de l'archiduc François-Ferdinand comme l'événement déclencheur de la guerre afin de mieux cacher les vraies raisons qui ont plongé l'humanité dans quatre années de folie sanguinaire. Paul Frölich relativise cet épisode qui n'est qu'une étincelle ayant fait s'embraser un feu qui couvait depuis plusieurs années. Voici ce qu'il nous dit sur la portée de cet événement : "En Europe, on ne prêta guère plus d'attention à la nouvelle de l'attentat que celle qu'on accordait, en règle générale, aux sensationnelles nouvelles de cet importance." L'assassinat permit à l'Autriche-Hongrie de légitimer l'ultimatum puis la déclaration de guerre imposés à la Serbie. Le jeu des alliances impérialistes fit le reste comme l'indique Frölich : "Une guerre contre la Serbie signifiait donc une guerre contre la Russie. Et une guerre contre la Russie, c'était une guerre de toute l'Europe."
Pour les marxistes, la Première Guerre mondiale marque l'entrée du capitalisme dans sa période de décadence. Les contradictions entre le développement des forces productives et les rapports sociaux de production sont telles qu'il n'est désormais plus possible à ce système de
permettre une évolution positive de l'humanité. L'impérialisme (identifié par Engels puis par Rosa Luxembourg) forme pour les marxistes la cause principale de la guerre. L'incapacité de la bourgeoisie à régler les contradictions du capitalisme (devant l'impuissance momentané du prolétariat à détruire ce système) laissait comme seule réponse une guerre généralisée : "Il y avait deux voies pour sortir de ce dilemme. La voie capitaliste, qui promettait d'apporter provisoirement un peu d'air à ceux qui se trouvaient désormais au bord de l'asphyxie : par la guerre, l'écrasement de l'adversaire et la destruction de ses forces productives, la redistribution du monde entre les vainqueurs. De là, nouvelle course effrénée et folle, nouvelle pression des forces productives, accroissement de la concurrence – jusqu'à ce que le monde soit redevenu trop étroit. Puis nouvelle guerre ; mais point de solution. L'autre voie, radicale et prolétarienne : abolition du mode de production dont le profit est le moteur et le régulateur ; destruction de l'exploitation et de la domination de classe." La guerre 14-18 marque donc l'entrée du capitalisme dans une impasse historique ne pouvant être surmontée que par l'abolition de ce dernier par le prolétariat.
Paul Frölich s'appuie sur les acquis théoriques du marxisme forgés par les grandes figures du mouvement révolutionnaire afin d'expliquer le processus historique qui a mené à cette guerre. Cette vision permet à la classe ouvrière actuelle de pouvoir réagir aux mystifications que la bourgeoisie distille à ce sujet. Cette dernière fait de ce premier conflit mondial une guerre justifiée par le désir de revanche de la France sur l'Allemagne. Parfois, elle n'hésite pas à en appeler au hasard, à faire de cet événement une parenthèse de l'histoire, un moment particulier dans lequel, l'humanité, l'espace de quatre années, a sombré dans la folie guerrière. Autant d'explications lamentables visant à rejeter la responsabilité du capitalisme dans le déroulement de cette boucherie insupportable.
L'impuissance de la Deuxième Internationale et la trahison de la social-démocratie
Dans la période de décadence, la guerre est la seule alternative proposée par la bourgeoisie pour limiter les contradictions du capitalisme. Seul le prolétariat est porteur d'une autre perspective : le communisme. Ainsi, en 1914, l'une des tâches historiques du prolétariat était de s'opposer à la guerre et d'impulser un mouvement révolutionnaire : "Lutte contre la guerre voulait dire lutte de pouvoir contre la bourgeoisie dans tous les pays, autrement dit lutte révolutionnaire." Or, le prolétariat n'a pas été en mesure de briser l'ardeur barbare de la bourgeoisie. La défaillance des organisations révolutionnaires explique en grande partie cet échec.
Depuis 1889, la classe ouvrière s'était réorganisée au niveau mondial. La Deuxième Internationale se composait de partis nationaux indépendants de tendance marxiste. Pour autant, la vie de l'organisation fut sans cesse perturbée par des luttes internes entre le courant opportuniste et l'aile internationaliste. L'histoire de la Deuxième Internationale montre à quel point cette organisation fut gangrénée par l'esprit routinier du rouage parlementariste et par la contradiction constante entre les positions de principe et la pratique. Le simplisme et le manque de rigueur avec lesquels la question de la guerre est traitée lors des Congrès Internationaux illustre cette attitude. Avec le développement de l'opportunisme en son sein, la Deuxième Internationale s'éloignait de l'internationalisme et de fait, transigeait avec le refus catégorique de la guerre et surtout avec la transformation de la guerre impérialiste en guerre révolutionnaire. Paul Frölich a identifié cette tendance à la dégénérescence de l'organisation : "Compte tenu de sa nature et de la façon dont elle était organisée, l'Internationale était condamnée à échouer lamentablement quand elle fut confrontée aux tâches immenses que la guerre exigeait d'elle." En définitive, la Deuxième Internationale "faisait grand cas de sa nature révolutionnaire, mais en réalité elle n'était pas révolutionnaire."
La fébrilité de la Deuxième Internationale fut renforcée par le développement progressif de l'opportunisme au sein de la social-démocratie des grandes puissances impérialistes (la SFIO en France, le SPD en Allemagne notamment). En effet, Paul Frölich démontre que, dans les pays traditionnels du capitalisme, le parlementarisme et le démocratisme ont facilité le basculement de la social-démocratie dans le camp de la classe dominante. "Les partis qui se sont effondrés, ce sont les partis où s'était manifestée la véritable nature de l'Internationale et qui avaient eu le temps, au cours d'une longue période de répit des luttes de classe, de constituer une politique nettement opportuniste ; ce sont aussi les partis des pays dans lesquels la bourgeoisie était assez riche pour entretenir et corrompre une aristocratie ouvrière.
Les partis qui se sont maintenus, ce sont les partis qui étaient soumis à une oppression constante, qui devaient être et rester révolutionnaires par la force des choses, qui ne laissèrent pas le temps à l'opportunisme de les avaler, qui s'appuyaient sur un prolétariat qui, effectivement, 'n'avait rien à perdre que ses chaînes'. Ces partis formèrent, avec les fractions révolutionnaires des grands partis, la base de la Troisième Internationale. Ici, dans l'effondrement de tout un monde, les forces se rassemblaient pour en construire un nouveau." Comme l'indique Paul Frölich, seuls les partis ouvriers des nations secondaires du capitalisme restèrent fidèles à l'internationalisme et luttèrent contre la guerre. Parmi eux, le parti bolchevik, le parti social-démocrate de Lituanie et de Pologne, le parti social-démocrate serbe, une fraction du parti socialiste italien, formaient le noyau dur de la gauche révolutionnaire dans l'Internationale. Mais la forte influence des partis traîtres sur les masses était un boulet trop lourd pour infléchir la conscience du prolétariat. Lorsque le 4 août 1914, le SPD en Allemagne et la SFIO en France votèrent les crédits de guerre, une partie non-négligeable de l'avant-garde du mouvement révolutionnaire "passa drapeau au vent dans le camp de l'ennemi". La classe ouvrière "perdait le fruit d'un demi-siècle de travail d'éducation socialiste, et seul un petit groupe, dispersé dans tout le pays, restait attaché au socialisme et à l'Internationalisme." La trahison des partis ouvriers n'est pas un événement anecdotique et doit
trouver un écho auprès de la classe ouvrière du XXIe siècle. Alors que la gauche de la bourgeoisie ne rate jamais une occasion de se réclamer de l'héritage politique du mouvement ouvrier, il est important de souligner que 1914 marque la chute irréversible de la social-démocratie dans le camp de la bourgeoisie. Autrement dit, en reniant l'internationalisme, ces organisations ont arrêté de servir les intérêts de la classe ouvrière. Cette trahison est largement passée sous silence par la bourgeoisie.
Pour autant, des membres de la social-démocratie sont restés dans le camp du prolétariat. En France, c'est le cas de Jean Jaurès qui paya de sa vie la défense de la cause ouvrière et son refus de la guerre. Même si la position de ce dernier restait ambiguë, il garda en lui la force morale pour ne pas trahir sa classe et dénonça âprement le malheur que laissait présager le conflit approchant. Seulement, à la guerre, Jaurès n'opposa que la paix. Des positions plus claires et plus lucides se faisaient entendre en Allemagne et en Russie au même moment : Rosa Luxembourg, Lénine et Martov opposaient à la guerre, non pas la paix, mais la révolution prolétarienne. Ces militants révolutionnaires ont été capables d'analyser avec clarté la situation historique et ainsi ont pu démontrer que l'humanité n'avait rien à gagner dans ce conflit généralisé. Mais si une personne illustre l'opposition à la guerre, c'est bel et bien Karl Liebknecht. Paul Frölich s'arrête sur l'action courageuse de ce dernier qui n'eut de cesse de dénoncer les horreurs de la guerre au parlement et dans la rue. Mobilisé en 1915, il mena le cortège lors de la manifestation des travailleurs berlinois le 1er mai 1916 et cria "A bas le gouvernement ! A bas la guerre !" avant d'être arrêté sur la Potsdamer Platz. Outre cet acte symbolique, Liebknecht porte en lui l'ardeur révolutionnaire, l'intransigeance face à l'opportunisme et au réformisme et la confiance dans le rôle historique de la classe ouvrière. Fusionnent en la personne de Liebknecht l'opposition à la guerre et la lutte révolutionnaire. Résonne dans l'attitude de ce révolutionnaire l'impératif moral qui l'appelait à s'indigner haut et fort face à la barbarie guerrière.
De fait, pour la bourgeoisie, le cas Liebknecht est irrécupérable. Contrairement à ce qu'elle veut nous faire croire, ce ne sont pas les réformistes qui se sont réellement opposés à la guerre mais bel et bien les militants révolutionnaires qui, comme l'ensemble de la classe ouvrière, portaient en eux l'espoir de l'avènement d'une société sans classe, sans exploitation, sans guerre.
La souffrance du prolétariat
Paul Frölich ne se contente pas d'analyser, de tirer les leçons d'un événement historique de grande ampleur dans la pure tradition marxiste. Ce dernier dénonce la barbarie de la guerre impérialiste, s'indigne face aux souffrances endurées par le prolétariat et accuse le cynisme de la bourgeoisie.
Durant les quatre années de guerre, la bourgeoisie a dû s'adapter aux nécessités d'un conflit impérialiste généralisé. Ainsi, la production d'armement et d'autres marchandises destinées aux secteurs militaires est devenue le cœur de l'activité économique. En Allemagne et chez les autres grandes puissances impérialistes, l'économie fut réorganisée en une "énorme usine de munitions", c'est-à-dire en une économie de guerre.
Frölich montre que les profits réalisés par la bourgeoisie allemande au sein de cette économie de guerre étaient basés "sur du vent". Ce mécanisme alliant État et grand capital montre toute l’irrationalité du militarisme dans la décadence du capitalisme : "Maintenant, il nous est possible de comprendre comment l'argent, le sang du grand corps capitaliste, circulait. Le Reich payait des prix élevés au moyen de papier-monnaie. Les prix élevés rapportaient des bénéfices élevés. Ils permettaient au capitaliste d'acheter des titres d'emprunt grâce aux bénéfices réalisés en papier-monnaie, et ainsi le Reich récupérait le papier-monnaie en retour, il pouvait de nouveau payer le capitaliste, faire des bénéfices, acheter des emprunts de guerre, etc. Le schéma est ici quelque peu simplifié, le procès général était bien plus complexe en réalité. En tout cas, il en tenait essentiellement ainsi, à une chose près ! A en juger par ce qu'on peut voir maintenant, les capitalistes se sont donc financés eux-mêmes et, ce faisant, ont financé la guerre. Avec quoi ? Avec du vent ! Et à cette occasion, ils ont ajouté à leur fortune les emprunts de guerre qui leur ont rapporté de jolis intérêts."
Le financement de la guerre reposait donc sur un cercle vicieux ne créant aucune richesse mais cela ne modifiait en rien la source du profit capitaliste : l'exploitation du prolétariat. Et dans une économie où la majeure partie de la production est destinée à être détruite, l'exploitation du prolétariat est accrue : "Les capitalistes ont en effet accru leur capital. Comment s'accomplit, en temps normal, cette accumulation de capital ? Le travailleur produit des marchandises, de la valeur ; plus de valeur que ce qu'il reçoit pour son travail. Il est exploité. L'employeur transforme, du moins en partie, la plus-value en capital. Pendant la guerre aussi, il ne tire des profits que du travail. Il fallait donc extorquer encore davantage des masses qui restaient employées, étant donné qu'une grande partie des produits étaient conçus pour être détruits tout en détruisant, qu'il fallait nourrir une gigantesque armée qui détruisait mais qui ne produisait rien, et que la promesse de très gros bénéfices pour les capitalistes était nécessaire afin que le Reich puisse sans cesse récupérer l'argent qu'il devait dépenser. Et ce fut bien évidemment le cas."
Ainsi, les conditions de vie du prolétariat allemand se dégradèrent considérablement. Les ouvriers mobilisés au front subissaient de plein fouet les horreurs de la guerre et ceux restés à l'arrière devaient résister aux réquisitions, à la cherté de la vie et à l'écart entre les prix et les salaires. Voilà comment Frölich décrit l'état déplorable du prolétariat allemand : "Les femmes se ruinaient la santé. Elles mangeaient moins. Elles mangeaient du pain fait de son, de pommes de terre et de navets (la falsification du pain était devenue un acte patriotique !) ; elles mangeaient de la graisse synthétique, du miel artificiel, des betteraves, de l'herbe, de la saleté. Leurs corps se desséchaient. Les enfants mouraient avant même d'avoir atteint la fleur de l'âge. Toute la classe ouvrière tombait malade. La grippe emportait des centaines de milliers de personnes (...) On assistait à une dégénérescence du peuple tout entier. De terribles épidémies faisaient des ravages. Au cours de la guerre, parmi la population allemande civile, on a compté 900 000 morts de plus qu'en temps normal : c'était dû à la famine." Dans tous les pays en guerre, la classe ouvrière a dû subir les mêmes conditions d'existence.
Le marxisme comme arme théorique face à l'idéologie bourgeoise
Un siècle après cette guerre, le climat de chaos s'est amplifié et généralisé à la planète toute entière. Ayant perdu tout rôle historique, la bourgeoisie est incapable de constater et d'expliquer cette descente dans la barbarie. Le marxisme a offert à la classe ouvrière les moyens de s'émanciper de l'idéologie bourgeoise en forgeant la vision dialectique de l'histoire. Cette méthode d'analyse a permis à Friedrich Engels en 1887 d'anticiper la Première Guerre mondiale : "Et enfin, il n'y a plus pour la Prusse-Allemagne, d'autre guerre possible qu'une guerre mondiale, et, à la vérité, une guerre mondiale d'une ampleur et d'une violence encore jamais vues. Huit millions de soldats s'entr'égorgeront ; ce faisant, ils dévoreront toute l'Europe comme jamais ne le fit encore une nuée de sauterelles. Les dévastations de la guerre de Trente ans, condensées en trois ou quatre années et répandues sur tout le continent ; la famine, les épidémies, la férocité générale, tant des armées que des masses populaires, provoquée par l'âpreté du besoin, la confusion désespérée dans le mécanisme artificiel qui régit notre commerce, notre industrie et notre crédit, finissant dans la banqueroute générale. L'effondrement des vieux États et de leur sagesse politique routinière est tel que les couronnes rouleront par douzaines sur le pavé et qu'il ne se trouvera personne pour les ramasser ; l'impossibilité absolue de prévoir comment tout cela finira et qui sortira vainqueur de la lutte ; un seul résultat est absolument certain : l'épuisement général et la création des conditions nécessaires à la victoire finale de la classe ouvrière... La guerre va peut-être nous rejeter momentanément à l'arrière-plan, elle pourra nous enlever maintes positions déjà conquises. Mais si vous déchainez des forces que vous ne pourrez plus maitriser ensuite, quelque tour que prennent les choses, à la fin de la tragédie, vous ne serez plus qu'une ruine et la victoire du prolétariat sera déjà acquise, ou, quand même, inévitable."
Ce passage prophétique n'est pas dû au génie d'un homme mais bel et bien à la mise en pratique de la méthode marxiste afin d'éclairer la classe ouvrière, pour lui faire comprendre le monde chaotique qu'allait générer l'entrée du capitalisme| dans sa période de décadence. Aujourd'hui comme hier, la réflexion et l’effort d’approfondissement théorique, la dénonciation des mystifications et de l'idéologie bourgeoise font partie ´des tâches des révolutionnaires afin d'éviter au prolétariat de tomber dans les pièges tendus par la classe dominante. Quand la bourgeoisie nie sa totale responsabilité dans le déchaînement de violence qu'a subi l'Europe entre 1914 et 1918, il est de notre devoir de rétablir la vérité, de dénoncer la barbarie engendrée et de donner des cadres d'analyse permettant au prolétariat de se forger une vision claire de la
période qui s'ouvre à partir de 1914. C'est en partie en élaborant une juste analyse du passé que le prolétariat pourra rehausser son niveau de conscience et identifier son véritable bourreau : le capitalisme. Alors, la bourgeoisie pourra trembler devant la détermination du prolétariat à briser ses propres chaînes.
Jodorowsky