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Le général Jaruzelski est mort en mai dernier. Ce serviteur zélé de l’État s'était illustré en décembre 1981 par la répression sanglante de la classe ouvrière, suite aux grandes grèves d'août 1980 en Pologne. Ces grèves avaient mobilisé des millions d'ouvriers dans un mouvement massif, opposés aux terribles conditions d'exploitation de l’État stalinien. Des grèves qui avaient fortement inquiété la bourgeoisie internationale ! Afin de tenter de contrer la dynamique de cette lutte du prolétariat, la bourgeoisie faisait surgir le syndicat "indépendant" Solidarnosc. Cette organisation fut rapidement présentée comme une véritable "victoire" de cette grève massive, le nec plus ultra de la perspective ouvrière face au stalinisme.
Le général Jaruzelski ne portait peut-être pas dans son cœur l’URSS, mais il sut, sans état d’âme, lui faire allégeance. Il n’avait d’ailleurs pas le choix s’il voulait gravir les échelons pour asseoir sa stature nationale et étatique. C’est ce qu’il fit avec brio jusqu’à devenir ministre de la défense dès la fin des années 1960. En septembre 1980, il était promu chef du gouvernement, puis président de la République jusqu’en 1989 où il cédera sa place à Lech Walesa, le leader historique du syndicat Solidarnosc.
C’est comme ministre de la défense que ce général s'était illustré, bien avant décembre 1981 dans la répression sanglante des grèves de 1970 où des dizaines d’ouvriers tomberont sous les balles de l’armée polonaise. Dès septembre 1980 et la légalisation du syndicat Solidarnosc, c’est au titre de chef du gouvernement qu’il assumera la répression générale, ponctuée par le coup de force de décembre 1981.
Dans des interviews, jusque dans ses dernières années, Jaruzelski avait "déploré sincèrement" ce coup de force, l’état de siège, la répression sauvage, les internements par milliers, au nom de la "nécessité nationale" et sous peine de voir surgir les chars russes en Pologne pour le rétablissement de l’ordre stalinien. Jaruzelski ira jusqu’à affirmer que l’incertitude pour assumer la répression le taraudait, les jours précédant le coup de force, au point de "penser même au suicide" ! (sic).
Mais aux yeux de la bourgeoisie, il a "fait son devoir", et bien évidemment, son "honneur" est sauf ! C’est d’ailleurs à ce titre que sa mémoire est saluée par tous les bourgeois du monde qui lui savent gré d’avoir préservé l’ordre capitaliste, en jouant dans un premier temps le pompier social avec force négociations et hypocrisie, en assumant ensuite le rôle du bourreau, le "méchant" qui aurait réprimé à lui seul la lutte.
Car ce serait une grave erreur de croire que cette répression fut une décision de l’instant, sous sa seule responsabilité ou même celle de l’État polonais. Ce coup de force ne fut une surprise ni pour les bourgeoisies du monde entier, en particulier occidentales, ni même pour le syndicat Solidarnosc et son leader Lech Walesa. Au contraire, pendant un an et demi, tous ces acteurs démocratiques se sont employés à casser la combativité, briser la confiance de la classe ouvrière en Pologne, à crédibiliser l’orientation démocratique par un bourrage de crâne présentant le "syndicat libre" comme une arme de lutte et de résistance. Ce sont eux en réalité les vrais saboteurs, les véritables bourreaux politiques de la lutte !
En effet, pendant la lutte ouverte d’août 1980 qui a embrasé tout le pays en moins de 48 heures, il n'était pas question de réprimer directement : les ouvriers donnant au départ l’exemple de la grève de masse, de l’auto-organisation de la lutte, de la véritable solidarité ouvrière. Cette lutte risquait de faire tâche d’huile alors qu'elle avait un large écho de sympathie un peu partout en Europe. La détermination, le courage, la combativité exceptionnelle n'étaient d’ailleurs en rien une spécificité polonaise mais bien la marque propre de la classe ouvrière internationale quand elle se lève et s’impose face aux exploiteurs et aux forces de répression. Tous les regards ouvriers étaient tournés vers la Pologne et la bourgeoisie internationale le savait parfaitement. Il n’était donc pas question d’attiser la situation, de mettre le feu aux poudres. Il fallait plutôt agir autrement pour circonscrire l’incendie prolétarien, le désamorcer, l’abattre, si possible de manière spectaculaire et en faire un exemple d’impuissance, au bout du compte, aux yeux de la classe ouvrière.
Pour briser les luttes de masse, la bourgeoisie est capable d’une unité magistrale, taisant ses divergences idéologiques, laissant temporairement de côté ses confrontations impérialistes, soutenant financièrement et politiquement la bourgeoisie nationale "aux premières loges" de la confrontation avec la classe ouvrière. La Pologne n’a pas fait exception : partout, fut mise en avant la nécessité de "l’alternative démocratique", de la "liberté syndicale" pour "en finir avec l’oppression". De l’Europe entière, affluaient crédits, soutiens politiques, conseils et matériel syndicaux en tous genres pour mettre sur pied la structure Solidarnosc. La bourgeoisie française avait par exemple envoyé des conseillers de la CFDT, du matériel d’imprimerie pour faire "vivre la lutte".
Mais l’arme syndicale, libre ou non, comme Solidarnosc n’a jamais été une arme au service du prolétariat. Au contraire, Solidarnosc fut l’outil essentiel de la bourgeoisie pour pourrir la conscience ouvrière et préparer directement la répression en Pologne. Cela en sabotant toute possibilité réelle de solidarité internationale.
Quand Jaruzelski a dit vouloir apaiser le climat social afin de ne pas donner de justification à l’URSS pour intervenir, Walesa jouait en même temps le pompier social se déplaçant en hélicoptère dans tous les centres industriels où la lutte se maintenait, prétextant vouloir éviter le bain de sang, imposant le besoin de la structuration et la "légalisation" de la lutte pour asseoir sur le long terme les accords de Gdansk. Ceux-ci, contenant 21 points, étaient dans un premier temps clairement orientés vers la satisfaction de besoins économiques et alimentaires. Ces accords se vidèrent rapidement de leur substance et la propagande bourgeoisie inversa habilement les priorités en propulsant en avant la reconnaissance de Solidarnosc, sa légalisation, le besoin de démocratie parlementaire ; cela, au détriment des revendications économiques et politiques originelles du mouvement.
Concrètement, Walesa et Jaruzelski ont travaillé main dans la main pour écarter le prolétariat de son terrain de classe, le démobiliser, lui subtiliser sa prise en main de la lutte en la déléguant à Solidarnosc, préparant ainsi la répression de décembre 1981, étouffant toute possibilité de résistance majeure de la classe ouvrière au coup de force, toute possibilité de réelle solidarité active à l’échelle internationale.
De fait, ces deux artisans de la répression, Walesa et Jaruzelski, présentés comme "ennemis irréductibles", furent en réalité les têtes de pont de la défense de l’État capitaliste en Pologne, les défenseurs de l’ordre bourgeois sous le masque de l'idéologie démocratique. Ces deux sinistres complices incarnaient les deux faces de la même médaille pour piéger les ouvriers : Jaruzelski la dictature militaire et Walesa l'opposition démocratique.
Aujourd'hui, de l'eau a coulé sous les ponts : Walesa, leader historique du syndicat Solidarnosc s'est illustré lui-même comme président de la République polonaise entre 1990 et 1995, succédant ainsi à Jaruzelski. La boucle était ainsi bouclée.
A la mort de Jaruzelski, la bourgeoisie a su fêter un des siens, un épouvantail autrefois décrié qui devint finalement un de ceux qui auront "contribué à la mort du communisme" et au "renouveau démocratique national". La bourgeoisie révèle une nouvelle fois tout son cynisme.
Stopio (21 juin 2014)