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Le CCI a tenu récemment son 20e congrès international. Le Congrès d'une organisation communiste constitue un des moments les plus importants de son activité et de sa vie. C'est celui où l'ensemble de l'organisation (au moyen des délégations nommées par chacune de ses sections) fait le bilan de ses activités, analyse en profondeur la situation internationale, établit des perspectives et élit l'organe central qui a pour tâche d'assurer que les décisions du Congrès sont mises en œuvre.
Parce que nous sommes convaincus de la nécessité du débat et de la coopération entre les organisations qui combattent pour le renversement du système capitaliste, nous avons invité trois groupes – deux de Corée et Opop du Brésil qui ont déjà assisté à nos congrès internationaux. C'est donc parce que les travaux d'un congrès d'une organisation communiste ne sont pas une question "interne" mais intéressent l'ensemble de la classe ouvrière que nous informons nos lecteurs des questions essentielles qui ont été discutées lors de ce congrès.
Ce congrès s'est tenu dans un contexte d'aiguisement des tensions en Asie, de poursuite de la guerre en Syrie, d'aggravation de la crise économique et d'une situation de la lutte de classe complexe, marquée par un faible développement des luttes ouvrières "classiques" contre les attaques économiques de la bourgeoisie mais aussi par le surgissement international de mouvements sociaux dont les exemples les plus significatifs ont été celui des "Indignados" en Espagne et celui de "Occupy Wall Street" aux États-Unis.
L'analyse de la situation mondiale : un défi qui requiert un important effort théorique
La résolution sur la situation internationale adoptée pas le 20e Congrès du CCI, et qui résume les analyses qui se sont dégagées des discussions, est publiée dans ce même numéro de la Revue internationale. Il est donc inutile de la détailler ici.
Cette résolution rappelle le cadre historique dans lequel nous comprenons la situation présente de la société, celui de la décadence du mode de production capitaliste, décadence qui a débuté avec la première guerre mondiale, et la phase ultime de cette décadence que le CCI, depuis le milieu des années 1980, a analysée comme celle de la décomposition, du pourrissement sur pieds de cette société. Cette décomposition s'illustre particulièrement avec la forme que prennent à l'heure actuelle les conflits impérialistes, et dont la situation en Syrie constitue un exemple tragique (comme on peut le voir dans le rapport sur cette question adopté par le congrès et que nous publions ici), mais également avec la dégradation catastrophique de l'environnement que la classe dominante, malgré toutes ses déclarations et campagnes alarmées, est parfaitement incapable d'empêcher, et même de freiner.
Le congrès n'a pas mené de discussion spécifique sur les conflits impérialistes du fait d'un manque de temps et aussi parce que les discussions préparatoires avaient mis en évidence la grande homogénéité dans nos rangs sur cette question. Toutefois, le congrès a pris connaissance d'une présentation effectuée par le groupe coréen Sanoshin sur les tensions impérialistes en Extrême-Orient, présentation que nous publions en annexe sur notre site Internet.
Sur la crise économique
Sur cette question, la résolution souligne l'impasse dans laquelle se trouve aujourd'hui la bourgeoisie qui est incapable de surmonter les contradictions du mode de production capitaliste, ce qui constitue une confirmation éclatante de l'analyse marxiste. Une analyse que tous les "experts", qu'ils se réclament du "néolibéralisme" ou qu'ils le rejettent, considèrent avec le mépris des ignorants et surtout qu'ils combattent parce que, justement, elle prévoit la faillite historique de ce mode de productions et la nécessité de le remplacer par une société où le marché, le profit et le salariat auront été rangés au musée de l'histoire, où l'humanité sera libérée des lois aveugles qui l'enfoncent dans la barbarie pour vivre suivant le principe "De chacun selon ses moyens, à chacun selon ses besoins".
Concernant la situation présente de la crise du capitalisme, le congrès s'est prononcé clairement pour considérer que la "crise financière" actuelle n'est nullement à la source des contradictions dans lesquelles s'enfonce l'économie mondiale ni qu'elle trouverait ses racines dans une "financiarisation de l'économie" se préoccupant uniquement de profits immédiats et spéculatifs : "C'est la surproduction qui se trouve à la source de la 'financiarisation' et c'est le fait qu'il soit de plus en plus hasardeux d'investir dans la production, face à un marché mondial de plus en plus saturé, qui oriente de façon croissante les flux financiers vers la simple spéculation. C'est pourquoi toutes les théories économiques 'de gauche' qui préconisent une 'mise au pas de la finance internationale' pour 'sortir de la crise' sont des songes creux puisqu'elles 'oublient' les causes véritables de cette hypertrophie de la sphère financière." (Résolution sur la situation internationale, point 10) De même, le Congrès a considéré que : "La crise des 'subprimes' de 2007, la grande panique financière de 2008 et la récession de 2009 ont marqué le franchissement d'une nouvelle étape très importante et significative de l'enfoncement du capitalisme dans sa crise irréversible." (Ibid. point 11)
Cela dit, le Congrès a constaté qu'il n'y avait pas unanimité au sein de notre organisation et qu'il convenait de poursuivre la discussion autour d'un certain nombre de questions comme celles qui suivent.
L'aggravation de la crise en 2007 a-t-elle constitué une rupture qualitative et ouvert un nouveau chapitre menant l'économie à un effondrement rapide et immédiat ? Quelle est la signification de l'étape qualitative constituée par les événements de 2007 ? De façon plus générale, à quel type d'évolution de la crise faut-il s'attendre : à un effondrement soudain ou à un 'lent' déclin accompagné "politiquement" par les États capitalistes ? Et quels pays plongeront les premiers et qui seront les derniers ? La classe dominante a-t-elle une marge de manœuvre et quelles erreurs veut-elle éviter ? Ou, de façon plus générale, quand elle analyse les perspectives de la crise, la classe dominante peut-elle ignorer la possibilité de réactions de la classe ouvrière ? Quels critères la classe dominante prend-elle en considération quand elle adopte des programmes d'austérité dans les différents pays ? Sommes-nous dans une situation où toutes les classes dominantes peuvent attaquer la classe ouvrière comme cela a été fait en Grèce ? Pouvons-nous nous attendre à une reproduction des attaques à une même échelle (réduction des salaires jusqu'à 40 %, etc.) dans les vieux pays industriels centraux ? Quelles sont les différences entre la crise de 1929 et celle d'aujourd'hui ? Quel est le degré de paupérisation dans les grands pays industrialisés ?
L'organisation a rappelé que, très rapidement après 1989, elle a pris conscience et a prévu les changements fondamentaux sur le plan impérialiste et dans la lutte de classe qui avaient eu lieu avec l'effondrement du bloc de l'Est et des régimes dits "socialistes" 1. Cependant, sur le plan des conséquences économiques, nous n'avons pas prévu les grands changements qui ont eu lieu depuis. Qu'est-ce que l'abandon d'une certaine autarcie et des mécanismes d'isolement vis-à-vis du marché mondial de la part de régimes comme la Chine et l'Inde allait signifier pour l'économie mondiale ?
Évidemment, comme nous l'avons fait pour le débat mené il y a quelques années au sein de notre organisation à propos des mécanismes ayant permis le "boom" qui a suivi la Seconde Guerre mondiale 2, nous porterons à la connaissance de nos lecteurs les principaux éléments du débat actuel dès lors que celui-ci aura atteint un degré suffisant de clarté.
Sur la lutte de classe
Le Rapport sur la lutte de classe au congrès a tiré un bilan des deux dernières années (depuis le Printemps arabe, les mouvements des Indignados, de Occupy, les luttes en Asie, etc.) et des difficultés de la classe pour répondre aux attaques toujours grandissantes des capitalistes en Europe et aux États-Unis. Les discussions au congrès ont traité principalement des questions suivantes : comment expliquer les difficultés de la classe ouvrière à répondre "de façon adéquate" aux attaques croissantes ? Pourquoi n'évolue-t-on pas encore vers une situation révolutionnaire dans les vieux centres industriels ? Quelle politique suit la classe dominante pour éviter des luttes massives dans les vieux centres industriels ? Quelles sont les conditions de la grève de masse ?
Quel rôle la classe ouvrière d'Asie joue-t-elle dans le rapport de forces global entre les classes, en particulier celle de Chine ? Que pouvons-nous attendre de la classe ? Le centre de l'économie mondiale et du prolétariat mondial s'est-il déplacé en Chine ? Comment évalue-t-on les changements dans la composition de la classe ouvrière mondiale ? La discussion a repris notre position sur le maillon faible que nous avons développée au début des années 1980 en opposition à la thèse de Lénine suivant laquelle la chaîne de la domination capitaliste allait se rompre à son "maillon le plus faible" 3, c'est-à-dire dans les pays faiblement développés.
Même si les discussions n'ont pas mis en évidence de désaccords sur le rapport présenté (et qui est résumé par la partie lutte de classe de la résolution), nous avons estimé que l'organisation se devait de poursuivre la réflexion sur cette question, notamment en discutant du thème "Avec quelle méthode faut-il aborder l'analyse de la lutte de classe dans la période historique présente ?"
Sur les activités et la vie de l'organisation
Les discussions sur la vie de l'organisation, sur le bilan et les perspectives de ses activités et de son fonctionnement ont occupé une place importante dans les travaux du 20e congrès, comme ce fut toujours le cas dans les précédents congrès. C'est la manifestation du fait que les questions d'organisation ne sont pas de simples questions "techniques" mais des questions politiques à part entière qu'il est nécessaire d'aborder avec un maximum de profondeur. Lorsqu'on se penche sur l'histoire des trois internationales que s'est données la classe ouvrière, on constate que ces questions ont résolument été prises en charge par l'aile marxiste de celles-ci comme l'illustrent, parmi beaucoup d'autres, les exemples suivants :
- combat de Marx et du Conseil général de l'AIT contre l'Alliance de Bakounine, notamment lors du congrès de La Haye en 1872 ;
- combat de Lénine et des bolcheviks contre les conceptions petite-bourgeoises et opportunistes des mencheviks lors du 2e congrès du POSDR, en 1903 et par la suite ;
- combat de la Fraction de Gauche du parti communiste d'Italie contre la dégénérescence de l'Internationale communiste et pour préparer les conditions politiques et programmatiques du surgissement d'un nouveau parti prolétarien lorsque les conditions historiques en seraient données.
L'expérience historique du mouvement ouvrier a mis en évidence le caractère indispensable d'organisations politiques spécifiques défendant la perspective révolutionnaire au sein de la classe ouvrière pour que celle-ci soit capable de renverser le capitalisme et édifier la société communiste. Mais il ne suffit pas de proclamer l'existence des organisations politiques prolétariennes, il faut les construire. Alors que le but est le renversement du système capitaliste et qu'une société communiste ne peut être construite qu'en dehors de celui-ci une fois que le pouvoir de la bourgeoisie a été renversé, c'est dans la société capitaliste qu'il faut construire une organisation révolutionnaire. Cette construction se trouve donc confrontée à toutes sortes de pressions et d'obstacles venant du système capitaliste et de son idéologie. Cela veut dire que cette construction n'a pas lieu dans le vide, que les organisations révolutionnaires sont comme un corps étranger dans la société capitaliste que celle-ci cherche constamment à détruire. Une organisation révolutionnaire est obligée de se défendre en permanence contre toute une série de menaces provenant de la société capitaliste.
C'est une évidence qu'elle doit résister à la répression. La classe dominante n'a jamais hésité, lorsqu'elle le jugeait nécessaire, à déchaîner ses moyens policiers, voire militaires, pour faire taire la voix des révolutionnaires. La plupart des organisations du passé ont vécu longtemps dans des conditions de répression, elles étaient "hors-la-loi", beaucoup de militants étaient exilés. Cela-dit, cette répression ne les a pas brisés. Bien souvent, au contraire, elle a renforcé leur résolution et les a aidés à se défendre contre les illusions démocratiques. Ce fut par exemple le cas du Parti Social-démocrate d'Allemagne (SPD) durant la période des lois antisocialistes où il a bien mieux résisté au poison de la "démocratie" et du "parlementarisme" que pendant la période où il était légal. Ce fut également le cas du Parti Ouvrier Social-démocrate de Russie (et particulièrement de sa fraction bolchevique) qui a été illégal pendant la presque totalité de son existence.
L'organisation révolutionnaire doit également résister à la destruction de l'intérieur venant de dénonciateurs, d'informateurs ou d'aventuriers qui peuvent provoquer des dégâts souvent bien plus importants que la répression ouverte.
Enfin, et surtout, elle doit résister à la pression de l'idéologie dominante, en particulier celle du démocratisme et du "bon sens commun" (stigmatisé par Marx), et lutter contre toutes les "valeurs" et tous les "principes" de la société capitaliste. L'histoire du mouvement ouvrier nous a appris, à travers la gangrène opportuniste qui a emporté la 2e et la 3e Internationales, que la principale menace qui affecte les organisations prolétariennes est justement celle de leur incapacité à combattre la pénétration en leur sein des "valeurs" et des modes de pensée de la société bourgeoise.
De ce fait, l'organisation révolutionnaire ne peut fonctionner comme la société capitaliste, elle doit fonctionner de façon associée.
La société capitaliste fonctionne sur la base de la concurrence, de l'aliénation, de la "comparaison" des uns avec les autres, de l'établissement de normes, de l'efficacité maximum. Une organisation communiste requiert de travailler ensemble et de surmonter l'esprit de compétition. Elle ne peut fonctionner que si ses membres ne se comportent pas comme un troupeau de moutons, et ne suivent ni n'acceptent aveuglément ce que disent l'organe central ou d'autres camarades. La recherche de la vérité et de la clarté doit être un stimulant permanent dans toutes les activités de l'organisation. L'autonomie de la pensée, la capacité de réfléchir, de mettre les choses en question est indispensable. Cela signifie qu'on ne peut se cacher derrière un collectif mais prendre ses responsabilités en exprimant son point de vue et en poussant à la clarification. Le conformisme est un grand obstacle dans notre lutte pour le communisme.
Dans la société capitaliste, si on n'est pas dans la "norme", on est rapidement "exclu", transformé en bouc-émissaire, en celui qui est blâmé pour tout ce qui arrive. Une organisation révolutionnaire doit établir un mode de fonctionnement au sein duquel les divers individus, les personnalités différentes peuvent s'intégrer dans un grand tout unique, c'est-à-dire un fonctionnement qui développe l'art de mettre à contribution et d'intégrer la richesse de toutes les personnalités. Cela signifie combattre l'orgueil personnel et d'autres attitudes liées à la compétition tandis qu'on estime et attache de l'importance à la contribution de chaque camarade. Et, en même temps, cela signifie qu'une organisation doit avoir un ensemble de règles et de principes. Ceux-ci doivent être élaborés, ce qui est un combat politique en soi. Tandis que l'éthique de la société capitaliste ne connaît aucun scrupule, les moyens de la lutte prolétarienne doivent être en harmonie avec le but à atteindre.
La construction et le fonctionnement d'une organisation implique donc une dimension théorique et morale, les deux requérant des efforts constants et permanents. Toute faiblesse et tout affaiblissement des efforts et de la vigilance dans une dimension pave la voie de l'affaiblissement dans une autre dimension. Ces deux dimensions sont inséparables l'une de l'autre et se déterminent mutuellement. Moins une organisation fait d'efforts théoriques, plus vite et plus facilement peut se développer une régression morale, et la perte de la boussole morale à son tour affaiblira inévitablement les capacités théoriques. Ainsi, au tournant du 19e et du 20e siècle, Rosa Luxemburg avait déjà mis en évidence que la dérive opportuniste de la Social-démocratie allemande allait de pair avec sa régression morale et théorique.
Un des aspects fondamentaux de la vie d''une organisation communiste est son internationalisme, non seulement sur le plan des principes mais aussi au niveau de la conception qu'elle se fait de son mode de vie et de fonctionnement.
Le but – une société sans exploitation et qui produit pour les besoins de l'humanité – ne peut être réalisé qu'au niveau international et il requiert l'unification du prolétariat par-delà toutes les frontières. C'est pourquoi l'internationalisme a été le mot d'ordre central du prolétariat depuis son apparition. Les organisations révolutionnaires doivent être l'avant-garde, toujours adopter un point de vue international et lutter contre toute perspective "localiste".
Bien que, dès sa naissance, le prolétariat ait toujours cherché à s'organiser au niveau international (La Ligue des Communistes de 1847-1852 fut la première organisation internationale), le CCI est la première organisation à être centralisée au niveau international et où toutes les sections défendent les mêmes positions. Nos sections sont intégrées au débat international dans l'organisation et tous les membres – dans différents continents – peuvent s'appuyer sur l'expérience de toute l'organisation. Ceci veut dire que nous devons apprendre à rassembler des militants venant de milieux de toutes sortes, et à mener des débats malgré les différentes langues – tout cela constitue un processus passionnant et fructueux où la clarification et l'approfondissement de nos positions sont enrichis par les contributions de camarades de toute la planète.
Enfin, last but not least, il importe que l'organisation ait en permanence une claire compréhension du rôle qui lui revient dans le combat du prolétariat pour son émancipation. Comme le CCI l'a souvent souligné, la fonction de l'organisation révolutionnaire ne saurait être aujourd'hui "d'organiser la classe" ou même ses luttes (comme cela pouvait être le cas lors des premiers pas du mouvement ouvrier, au 19e siècle). Son rôle essentiel, tel qu'il est déjà énoncé dans le Manifeste Communiste de 1848, découle du fait "que [les communistes] ont sur le reste du prolétariat l'avantage d'une intelligence claire des conditions, de la marche et des fins générales du mouvement prolétarien", En ce sens, la fonction permanente et essentielle de l'organisation_ est l'élaboration des positions politiques et, pour ce faire, elle ne doit pas être complètement absorbée par les tâches d'intervention au sein de la classe. Elle doit faire preuve de "recul", d'une vue générale des questions et approfondir en permanence les questions qui se posent à la classe dans son ensemble et dans le cadre de sa perspective historique. Cela signifie qu'elle ne peut se contenter d'analyser la situation mondiale mais, de façon plus large, elle doit étudier les questions théoriques sous-jacentes, contrairement à la superficialité et aux distorsions de la société et de l'idéologie capitalistes. C'est une lutte permanente, avec une vue à long terme qui embrasse toute une série d'aspects qui dépassent de loin les questions qui peuvent se poser à la classe à tel ou tel moment de son combat.
Puisque la révolution prolétarienne n'est pas simplement une lutte pour "de couteaux et des fourchettes", comme le soulignait Rosa Luxemburg, mais la première révolution dans l'histoire de l'humanité où sont brisées toutes les chaînes de l'exploitation et de l'oppression, cette lutte comporte nécessairement une immense transformation culturelle. Une organisation révolutionnaire ne traite pas seulement de questions d'économie politique et de lutte de classe au sens étroit ; elle doit développer une vision des questions les plus importantes auxquelles est confrontée l'humanité, développer constamment cette vision et être ouverte et prête à faire face à de nouvelles questions. L'élaboration théorique, la recherche de la vérité, le désir de clarification doivent être une passion quotidienne.
Et, en même temps, nous ne pouvons remplir notre rôle que si la vieille génération de militants transmet l'expérience et les leçons de celle-ci aux nouveaux militants. Si la vieille génération n'a aucun "trésor" d'expérience ni aucune leçon à transmettre à la nouvelle génération, elle faillit à sa tâche. La construction de l'organisation requiert donc l'art de combiner les leçons du passé afin de préparer le futur.
Comme on peut le voir, la construction d'une organisation révolutionnaire est une tâche extrêmement complexe et nécessite un combat permanent. Par le passé, notre organisation a déjà mené d'importants combats pour la défense des principes que nous avons énoncés plus haut. Mais l'expérience a montré que ces combats étaient encore insuffisants et qu'ils devaient être poursuivis face aux difficultés et aux faiblesses résultant des origines de notre organisation et des conditions historiques dans lesquelles elle mène son activité :
"Il n'existe pas de cause unique, exclusive à chacune des différentes faiblesses de l'organisation. Celles-ci résultent de la combinaison de divers facteurs qui, même s'ils peuvent être liés entre eux, doivent être clairement identifiés :
- le poids de nos origines au sein de la reprise historique du prolétariat mondial à la fin des années 1960, et notamment celui de la rupture organique ;
- le poids de la décomposition qui commence à produire ses effets au milieu des années 1980 ;
- la pression de la "main invisible du marché", de la réification dont l'empreinte sur la société n'a fait que s'accentuer avec la prolongation de la survie des rapports de production capitalistes.
Les différentes faiblesses que nous avons pu identifier, même si elles peuvent s'entre déterminer, relèvent, en dernière instance de ces trois facteurs ou de leur combinaison :
- La sous-estimation de l'élaboration théorique, et particulièrement sur les questions organisationnelles, trouve ses sources dans nos origines mêmes : l'impact de la révolte estudiantine avec sa composante académiste (de nature petite-bourgeoise) à laquelle s'est opposée une tendance qui confondait anti-académisme et mépris de la théorie, et cela dans une ambiance de contestation de l'autorité" [des militants plus anciens]. "Par la suite, cette sous-estimation de la théorie a été alimentée par l'ambiance générale de destruction de la pensée propre à la période de décomposition et à l'imprégnation croissante du "bon sens commun" (…).
- La perte des acquis est une conséquence directe de la sous-estimation de l'élaboration théorique : les acquis de l'organisation, que ce soit sur des questions programmatiques, d'analyse ou organisationnelles, ne peuvent se maintenir, notamment face à la pression constante de l'idéologie bourgeoise, que s'ils sont étayés et alimentés en permanence par la réflexion théorique : une pensée qui ne progresse pas, qui se contente de répéter des formules stéréotypées n'est pas seulement menacée de stagnation, elle régresse. (…).
- L'immédiatisme fait partie des péchés de jeunesse de notre organisation qui a été formée par de jeunes militants éveillés à la politique au moment d'une reprise spectaculaire des combats de classe et qui, pour beaucoup, s'imaginaient, que la révolution était déjà à portée de main. Les plus immédiatistes d'entre nous n'ont pas résisté et se sont finalement démoralisés, abandonnant le combat, mais cette faiblesse s'est également maintenue parmi ceux qui sont restés (…). C'est une faiblesse qui peut être fatale car, associée à la perte des acquis, elle débouche inexorablement sur l'opportunisme, une démarche qui vient régulièrement saper les fondements de l'organisation. (…)
- Le routinisme, pour sa part, est une des manifestations majeures du poids dans nos rangs des rapports aliénés, réifiés, qui dominent la société capitaliste et qui tend à transformer l'organisation en machine et les militants en robots. (…)
- L'esprit de cercle constitue, comme l'atteste toute l'histoire du CCI, et aussi celle de tout le mouvement ouvrier, un des poisons les plus dangereux pour l'organisation qui porte avec lui non seulement la transformation d'un instrument du combat prolétarien en une simple "bande de copains", non seulement la personnalisation des questions politiques -sapant ainsi la culture du débat- et la destruction du travail collectif au sein de l'organisation, mais son unité, notamment à travers le clanisme. Il est également responsable de la recherche de boucs émissaires sapant sa santé morale, de même qu'il est un des pires ennemis de la culture de la théorie par la destruction de la pensée rationnelle et profonde au bénéfice des contorsions et des commérages. De même, c'est un vecteur fréquent de l'opportunisme, antichambre de la trahison." (Résolution d'activités adoptée par le congrès, point 4)
Pour combattre les faiblesses et les dangers auxquelles s'affronte l'organisation, il n'existe pas de formule magique et il est nécessaire de porter nos efforts dans plusieurs directions. Un des points qui a fait l'objet d'une insistance particulière est la nécessité de combattre le routinisme et le conformisme en soulignant le fait que l'organisation n'est pas un corps uniforme et anonyme mais une association de militants différents qui tous doivent apporter leur contribution spécifique à l'œuvre commune :
"De façon à œuvrer à la construction d’une véritable association internationale de militants communistes où chacun doit pouvoir continuer à apporter sa pierre à l'édifice collectif, l'organisation rejette l’utopie réactionnaire du "militant modèle", du "militant standard", du "super-militant" invulnérable et infaillible. (…) Les militants ne sont ni des robots ni des "surhommes" mais des êtres humains ayant des personnalités, des histoires, des origines socioculturelles différentes. C'est seulement par une meilleure compréhension de notre "nature" humaine et de la diversité spécifique à notre espèce que la confiance et la solidarité entre les militants pourront être construites et consolidées. (…) Dans cette construction, chaque camarade a la capacité de faire une contribution unique à l'organisation. Il a aussi la responsabilité individuelle de le faire. En particulier, c'est la responsabilité de chacun d'exprimer sa position dans les débats, en particulier ses désaccords et questionnements sans lesquels l'organisation ne sera pas capable de développer la culture du débat et l'élaboration théorique." (Résolution d'activités, point 9)
Et, justement, le congrès a apporté une insistance toute particulière sur la nécessité de prendre à bras le corps, avec détermination et persévérance, l'effort d'élaboration théorique.
"Le premier défi pour l’organisation est de prendre conscience des dangers auxquels nous sommes confrontés. Nous ne pouvons surmonter ces dangers par une "action de pompiers" (…) nous devons affronter tous les problèmes avec une démarche théorique et historique et nous opposer à toute analyse pragmatique, superficielle. Cela veut dire développer une vision à long terme et ne pas tomber dans la démarche empirique et "au jour le jour". L’étude théorique et le combat politique doivent revenir au centre de la vie de l’organisation, pas seulement en ce qui concerne notre intervention au quotidien, mais, plus important, en poursuivant sur les questions théoriques plus profondes, sur le marxisme lui-même, qui nous ont été posées au cours des dix dernières années dans les orientations que nous nous sommes données (…) Cela signifie que nous nous donnons le temps d’approfondir et de combattre tout conformisme dans nos rangs. L’organisation encourage le questionnement critique, l’expression de doutes et les efforts pour explorer les choses plus à fond.
Nous ne devons pas oublier que "la théorie n’est pas une passion du cerveau mais le cerveau d'une passion" et que lorsque cette "théorie s’empare des masses, elle devient une force matérielle" (Marx). La lutte pour le communisme ne comporte pas seulement une dimension économique et politique, mais également et surtout une dimension théorique ("intellectuelle" et morale). C’est en développant la "culture de la théorie", c'est-à-dire la capacité de placer en permanence dans un cadre historique et/ou théorique tous les aspects de l'activité de l'organisation, que nous pourrons développer et approfondir la culture du débat en notre sein, et mieux assimiler la méthode dialectique du marxisme. Sans le développement de cette "culture de la théorie", le CCI ne sera pas capable de "garder le cap" sur le long terme pour s’orienter et s’adapter à des situations inédites, d’évoluer, d’enrichir le marxisme qui n’est pas un dogme invariant et immuable mais une théorie vivante orientée vers l’avenir.
Cette "culture de la théorie" n'est pas un problème de "niveau d'études" des militants. Elle contribue au développement d'une pensée rationnelle, rigoureuse et cohérente (indispensable à l'argumentation), au développement de la conscience de tous les militants et à consolider dans nos rangs la méthode marxiste.
Ce travail de réflexion théorique ne peut ignorer l’apport des sciences (et notamment des sciences humaines, telles la psychologie et l'anthropologie), l’histoire de l’espèce humaine et du développement de sa civilisation. C'est en particulier pour cela que la discussion sur le thème "marxisme et science" était de la plus haute importance et que les avancées qu’elle a permises doivent rester présentes et se renforcer dans la réflexion et la vie de l'organisation." (Résolution d'activités, point 8)
L'invitation de scientifiques
Cette préoccupation pour l'apport des sciences n'est pas nouvelle de la part du CCI. En particulier, nous avons rendu compte dans les articles sur nos précédents congrès de l'invitation de scientifiques qui ont contribué à la réflexion de l'ensemble de l'organisation en lui soumettant leurs propres réflexions dans leur domaine de recherche. Cette fois-ci, nous avions invité deux anthropologues britanniques, Camilla Power et Chris Knight, qui étaient déjà venus à de précédents congrès et à qui nous voulons, dans cet article, adresser de chaleureux remerciements. Ces deux scientifiques se sont réparti une présentation sur le thème de la violence dans la préhistoire, dans les sociétés qui ne connaissaient pas encore la division en classes. L'intérêt de ce thème pour les communistes est évidemment fondamental. Déjà le marxisme a dédié toute une réflexion sur le rôle de la violence. En particulier, Engels consacre une partie importante de "L'Anti-Dühring au rôle de la violence dans l'histoire. Aujourd'hui, alors qu'on s'apprête à célébrer le centenaire de la première guerre mondiale, un siècle qui a été marqué par les pires violences qu'ait connues l'humanité, alors que la violence est omniprésente dans la société et qu'elle s'étale au quotidien sur les écrans de télévision, il est important que ceux qui militent pour une société débarrassée des fléaux de la société capitaliste, des guerres et de l'oppression s'interrogent sur la place de la violence dans les différentes sociétés. En particulier, face aux thèses de l'idéologie bourgeoise suivant lesquelles la violence de la société actuelle correspond à la "nature humaine", dont la règle est "le chacun pour soi", ou domine nécessairement la "loi du plus fort", il importe de se pencher sur la place de la violence dans les sociétés qui ne connaissaient pas la division en classes, comme dans le communisme primitif.
Nous ne pouvons rendre compte ici des présentations très riches faites par Camilla Power et Chris Knight (qui vont être publiées en postcast sur notre site Internet). Mais il vaut la peine de souligner que ces deux scientifiques ont contredit la thèse de Steven Pinker selon laquelle grâce à la "civilisation" et à l'influence de l'État, la violence a reculé. Ils ont montré que dans les sociétés de chasseurs-cueilleurs existait un niveau de violence bien plus bas que dans les sociétés qui leur ont succédé.
La discussion qui a suivi la présentation de Camilla Power et Chris Knight a été, comme lors des autres congrès, très animée. Elle a en particulier illustré, une fois de plus, combien pouvait être enrichissant pour la pensée révolutionnaire l'apport des sciences, une idée dont Marx et Engels se sont faits les défenseurs il y a plus d'un siècle et demi.
Conclusion
Le 20e congrès du CCI, à travers la mise en évidence des obstacles qu'affronte la classe ouvrière dans le combat en vue de son émancipation, de même que sur les obstacles que rencontre l'organisation des révolutionnaires dans l'accomplissement de sa responsabilité spécifique au sein de ce combat, a pu constater la difficulté et la longueur du chemin qui est devant nous. Mais cela n'est pas pour nous décourager. Comme le dit la résolution adoptée par le congrès :
"La tâche qui nous attend est longue et difficile. Il nous faut de la patience, dont Lénine disait qu'elle était une des principales qualités du bolchevik. Il nous faut résister au découragement face aux difficultés. Celles-ci sont inévitables et il nous faut les considérer non comme une malédiction mais au contraire comme un encouragement à poursuivre et intensifier le combat. Les révolutionnaires, et c'est une de leurs caractéristiques fondamentales, ne sont pas des personnes qui recherchent le confort ou la facilité. Ce sont des combattants qui se donnent pour objectif de contribuer de façon décisive à la tâche la plus immense et la plus difficile que devra accomplir l'espèce humaine, mais aussi la plus enthousiasmante puisqu'elle signifie la libération de l'humanité de l'exploitation et de l'aliénation, et le début de sa 'véritable histoire'". (Résolution d'activités, point 16)
CCI
1 Cf. Revue internationale n° 60 (1er trimestre 1990) "Effondrement du bloc de l'Est : des difficultés accrues pour le prolétariat",
https://fr.internationalism.org/rinte60/prolet.htm
et Revue internationale n° 64 (1er trimestre 1991) "Texte d'orientation : Militarisme et décomposition",
2 "Débat interne au CCI : Les causes de la prospérité consécutive à la Seconde Guerre mondiale", dans les Revue internationale n° 133, 135, 136, 138 – 2008-2009.
3 Voir à ce sujet "Le prolétariat d'Europe occidentale au centre de la généralisation de la lutte de classe" dans la Revue Internationale n° 31 (/nation_classe.htm