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Coup sur coup, la France vient de s’engager dans deux expéditions guerrières sur le sol africain en 2013: au Mali depuis le 11 janvier et dernièrement en Centrafrique depuis le 7 décembre. La première, c’était au nom de la lutte contre le terrorisme pour stopper l’avancée des djihadistes dans le Sahel ; la seconde sous prétexte humanitaire, afin de protéger les populations et de mettre fin au chaos et aux massacres perpétrés par les fractions rivales qui sévissent dans le pays depuis le coup d’État de mars dernier. Tous ces alibis ne sont qu’un tissu de gros mensonges !
D’abord, quelle est la réalité sur le terrain ? “Si la France n’était pas intervenue, si nos soldats n’avaient pas commencé à séparer les belligérants et à désarmer les bandes, les massacres, les carnages, en ce moment même, continueraient”, a déclaré François Hollande. Quelle hypocrisie ! Quel cynisme ! Le président a même eu le culot d’ajouter devant les cercueils des premiers soldats français, deux jeunes paras tués lors d’un “accrochage” près de l’aéroport de Bangui, face aux familles des victimes: “En cinq jours, ils (y) sont parvenus au-delà même de ce que nous pouvions espérer” ! Même si François Hollande plastronne dans son costume de chef de guerre que “l’honneur de la France était de s’engager sans la moindre hésitation” pour soi-disant “mettre fin à des crimes contre l’humanité”, ce nouveau déploiement militaire de l’impérialisme français n’a nullement mis un terme au chaos, aux massacres et aux atrocités de part et d’autre. En fait, depuis le lancement de “l’opération Sangaris” et l’arrivée des nouvelles forces françaises dans le pays, portant ses effectifs à 1600 hommes, avec l’aval d’une résolution du Conseil de sécurité de l’Onu, les combats et violences entre milices chrétiennes et ex-rebelles musulmans, au pouvoir depuis le mois de mars, non seulement perdurent mais se sont intensifiés en Centrafrique. Depuis lors, ils ont fait plus de 600 morts et provoqué le déplacement de 159 000 personnes supplémentaires (soit 710 000 au total). Le ministre français de la Défense Jean-Yves Le Drian a lui-même dû admettre que, depuis l’arrivée des nouvelles troupes d’intervention, “la spirale de l’affrontement s’est brutalement aggravée, ajoutant à la crise sécuritaire les prémices d’une crise humanitaire.” Fuyant les violences à Bangui, environ 45 000 personnes s’entassent près de l’aéroport dans des conditions d’hygiène dramatiques.
Mais, au-delà de ces faits, il s’agit de masquer que l’État français est directement responsable du déchaînement de la barbarie et n’a cessé de l’attiser pour assurer la sordide défense de ses propres intérêts impérialistes.
Quelles sont les vraies raisons de ces interventions militaires ?
Elles s’inscrivent tout d’abord dans une politique de froid calcul visant à préserver les bases et les positions géostratégiques menacées de la France sur le sol africain. Le nouveau Livre blanc français sur la défense, sorti en mai dernier, avait déjà montré un revirement dans la “politique africaine” de l’État français: plus question de fermer les bases militaires tricolores en Afrique ! Mais on y rappelait que “les accords passés avec certains pays africains offrent à nos forces armées des facilités d’anticipation et de réaction à travers plusieurs implantations.” Le processus de désengagement, entamé sous le gouvernement de M. Lionel Jospin (au niveau des effectifs), puis élargi lors de la présidence Sarkozy (révision des accords de défense, fermeture de certaines bases en Afrique) a été de fait suspendu sous la présidence Hollande, au nom des nouvelles menaces “terroristes” dans le Sahel.
Par ailleurs, dans le rapport Pour une approche globale au Sahel, sorti en juillet 2013, l’ancien ministre socialiste de la Défense, Jean-Pierre Chevènement, et l’ex-président du Sénat, Gérard Larcher (UMP), recommandaient de concert de “ne pas réduire notre présence militaire en Afrique”, et “ne pas rétrécir aveuglément notre dispositif militaire, ni notre coopération structurelle”, mais de “profiter du nouveau contexte créé par l’opération Serval au Mali pour déplacer, en accord avec les États concernés, vers le Nord et l’Ouest le centre de gravité de nos implantations militaires en Afrique, renforcer notre stratégie d’accès et nous appuyer sur des échelons “légers” autour des zones de crise.” Ce rapport proposait parallèlement la consolidation de deux pôles autour de Dakar pour l’Afrique de l’Ouest, et, sur le même format, à Libreville, pour les États de l’Afrique centrale. Un autre volumineux rapport d’un groupe de travail présidé par un autre tandem de sénateurs Lorgeoux (de droite)-Bockel (de gauche), L’Afrique est notre avenir, présenté le 30 octobre dernier, élargit encore cette stratégie d’encerclement du continent par les bases de la Réunion au Sud et de Djibouti à l’Est. Mais les rapporteurs demandent aussi et surtout le maintien des points d’appui existants en Afrique, dessinant en creux une carte des intérêts français en Afrique: les trois bases de la côte occidentale encadrent la zone de l’Afrique francophone et le Golfe de Guinée, haut lieu de piraterie maritime, par lequel transite la majorité des approvisionnements en hydrocarbures et minerais africains ; tandis que les troupes à Djibouti, aux Émirats arabes unis et à la Réunion sont des moyens de contrôle des routes maritimes et pétrolières qui longent l’Est de l’Afrique en provenance des pays du Golfe et de l’Asie.
Et si le gendarme français retrouve le chemin de Bangui comme maintes fois depuis l’indépendance de ce pays en 1960 pour y rétablir son ordre néo-colonial, ce n’est nullement pour “permettre une amélioration de la situation humanitaire” ou à cause des “exactions extraordinaires” qui s’y déroulent. Car cela fait bientôt un an que les autorités françaises ferment les yeux sur les “actes abominables” se déroulant en Centrafrique et le silence était de mise jusqu’aujourd’hui à tous les étages du pouvoir français, grands médias compris. Le général François Bozizé (arrivé au pouvoir en 2003 par un coup d’Etat téléguidé par Paris) a été renversé fin mars 2013 par une coalition de groupes armés (la “Séléka”) soutenue en sous main par la France. En réalité, l’impérialisme français s’est servi de ces bandes armées pour se débarrasser de l’ancien “dictateur” qui échappait à son contrôle. La vraie raison du “lâchage” de l’ex-président Bozizé est la “trahison” de son maître français en allant “coucher” avec l’Afrique du Sud, rivale déclarée de la France derrière laquelle se cache à peine la Chine, l’autre redoutable concurrent en train de s’emparer des ressources pétrolières de ce pays. Pourtant, en fonction des “accords de défense” existant entre les deux pays (permettant, entre autres, la présence militaire française permanente en Centrafrique), Hollande aurait dû soutenir Bozizé qui avait fait appel à lui. Au lieu de cela, le président français a décidé de “punir” son “ex-ami dictateur” par tous les moyens y compris en facilitant l’avancée des bandes sanguinaires de la Seléka jusqu’au palais présidentiel entouré par ailleurs de centaines de militaires français.
Mais l’impuissance du nouveau dirigeant du pays, Michel Djotodia, à asseoir son autorité sur ses anciennes “bandes rebelles” de la Séléka, coalition hétérogène où domine un ramassis de mercenaires, brigands, pillards et tueurs, a poussé la France à intervenir directement et militairement. En l’absence d’un commandement unifié, les exactions contre les populations civiles se sont multipliées. “Les bandes armées se livrent à des razzias et des massacres. Des villages sont brûlés, pillés. Les habitants sont tués ou sont en fuite dans la brousse”, constatait l’organisation Human Rights Watch. Et il est pour l’instant impossible de connaître le nombre de morts qu’a engendrés ce conflit. Le département d’Etat américain évoque même une situation “prégénocidaire”. Les membres de la Séléka sont essentiellement des musulmans, pratiquants ou non, alors que la population centrafricaine est composée à 80 % de chrétiens. Le conflit a cristallisé les sentiments d’appartenance religieux et, après les pillages de la Séléka, des groupes d’autodéfense chrétiens – les “antibalaka” (anti-machette en sango) qui avaient déjà été formés ponctuellement par l’ancien dirigeant Bozizé, se sont regroupés et s’en sont pris aux populations musulmanes, assimilées aux anciens rebelles. Elles sont accusées d’avoir profité de l’arrivée des troupes françaises pour se livrer à des représailles sanglantes. Dès lors, les clivages religieux ont alimenté un cycle de ripostes. “On assiste à des représailles ciblées à la fois contre des villages chrétiens et musulmans, et les civils en sont les premières victimes”, analyse un responsable de Human Rights Watch. Même s’il existait des conflits traditionnels, d’ordre tant économique que religieux, entre éleveurs nomades musulmans et paysans sédentaires chrétiens, cette situation est inédite dans un pays où les populations vivaient mélangées dans les mêmes quartiers et les mêmes villages.
L’engrenage sanglant du militarisme et du chaos
Ainsi, la France en voulant jouer les apprentis-sorciers est le premier responsable des massacres et de la barbarie avec la complicité active du gouvernement tchadien d’Idriss Déby ([1]). Elle trouvait un intérêt direct à mettre le pays à feu et à sang et elle est maintenant en train de s’enliser dans un bourbier où elle est contrainte de recourir à une militarisation encore plus large de la région en entraînant d’autres puissances et d’autres États dans un conflit de plus en plus incontrôlable. C’est le sens qu’il faut donner au projet de doubler les effectifs de la force interafricaine d’interposition mandatée par l’Onu pour atteindre 6000 hommes sur place et à sa sollicitation pour l’envoi de renforts de troupes au sein de l’Union Européenne. De plus, l’Elysée a prévu de demander à Bruxelles la création d’un “fonds de soutien pour les actions européennes”, afin de partager le lourd fardeau du financement des opérations militaires par les autres pays de l’UE.
L’opération Sangaris, censée rétablir la sécurité dans le pays et protéger les populations en désarmant milices et groupes armés avait été prévue pour six mois mais le président Hollande a déjà indiqué que “les troupes françaises resteraient en fait jusqu’à ce que les troupes africaines, puissent assurer elles-mêmes le maintien de l’ordre”. On sait ce que cela signifie : près d’un an après le début de l’opération Serval prétendue de courte durée, 2800 soldats français (sur les 4500 envoyés) sont encore au Mali où le quotidien continue à être régulièrement ponctué par des attentats, prises d’otages et assassinats.
En clair, l’État français n’a que faire du sort et des souffrances infligées aux populations centrafricaines, maliennes et autres. Il s’agit pour lui, simplement de défendre par tous les moyens les intérêts du capital national dans un des bastions de sa zone de domination impérialiste, le Sahel, région hautement stratégique et bourrée de matières premières, face aux autres requins impérialistes qui lui disputent son influence. Et il n’hésitera jamais à entraîner le continent africain dans de nouvelles horreurs pour cela.
Wim, 18 décembre
[1]) Le millier de militaires tchadiens déployé en République centrafricaine (RCA) dans le cadre de la force panafricaine fait preuve d’une certaine collusion sur le terrain avec les ex-Séléka, parmi lesquels se trouvent nombre de combattants du Tchad ou dont les parents en sont originaires. Avant l’indépendance, les deux pays n’en faisaient qu’un: l’Oubangui-Chari et la frontière de plus de 1000 km qui les séparent désormais reste à bien des égards artificielle. Il y a d’ailleurs 30 000 ressortissants tchadiens installés en Centrafrique et les Tchadiens, considérés comme les complices voire les promoteurs d’un pouvoir honni par a population majoritairement chrétienne, font figure de premières cibles pour tous ceux qui entendent régler leur compte.