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Nous avons reçu d'un lecteur de Clichy une lettre critique que nous publions intégralement, en la faisant suivre d'un bref commentaire de notre collaborateur. Notre impatient correspondant voudra bien nous excuser de n'avoir pu faire paraître sa lettre dans notre numéro précédent puisqu'elle nous est parvenue précisément au moment où ce numéro sortait de presse.
À propos de la période de transition
Après la publication dans Bilan du résumé du livre des communistes de gauche hollandais sur "Les fondements de la production et de la distribution communistes" par Hennaut, d'aucuns pouvaient penser que les réformistes de droite ou de gauche étaient définitivement désarmés et qu'ils n'oseraient plus broncher. C'était mal les connaître. En effet, dans le numéro qui publiait la fin du résumé, leurs critiques se firent entendre : les camarades hollandais ainsi que Hennaut ne résonnaient pas en marxistes. Ensuite, nous eûmes l'étude marxiste de Mitchell sur les "Problèmes de la période de transition". Cette étude avait, bien entendu, pour but de démontrer l'utopie antimarxiste de ceux qui croient que la révolution prolétarienne libérera réellement les travailleurs de l'exploitation sous toutes ses formes. Aussi ne faut-il pas s'étonner que Mitchell se soit évertué tout au long de son article à prouver avec forces citations que cette révolution ne servira qu'à faire changer de maître aux prolétaires qui la feront – tout comme dans les révolutions passées. Nous reconnaissons le point de vue traditionnel des réformistes de tout poil. D'ailleurs Mitchell a pris soin de nous avertir dans son "exposé introductif" que son travail traiterait les points suivants : "a) des conditions historiques où surgit la révolution prolétarienne ; b) de la nécessité de l'État transitoire ; c) des catégories économiques et sociales qui, nécessairement, survivent dans la phase transitoire ; d) enfin de quelques données quant à une gestion prolétarienne de l'État transitoire".
Une fois ces points énoncés, il était facile d'imaginer ce que serait l'article. En effet, Mitchell ne se gêne nullement pour affirmer, a priori, la survivance après la révolution "des catégories économiques et sociales qui, nécessairement (!) survivent dans la phase transitoire". Cette affirmation, à elle seule, suffisait grandement à tout esprit averti pour concevoir ce qui suivrait. Ce qui étonne le plus dans l'article de Mitchell, c'est l'abondance des citations qu'un marxiste révolutionnaire peut à tout instant retourner contre ce qu'il tente de prouver et de justifier. Il n'y a pas besoin de cinquante pages de Bilan pour réduite à néant l'argumentation savante du réformiste Mitchell. Tous ceux qui ont lu Marx et Engels savent que, pour ces derniers, la fameuse période de transition marque la fin de la société capitaliste et la naissance d'une société entièrement nouvelle dans laquelle l'exploitation de l'homme par l'homme aura cessé d'exister ; c'est-à-dire où les classes auront disparu et où l'État en tant que tel n'aura plus de raison d'être. Or, dans la société de transition telle que l'entendent Mitchell et tous les réformistes avérés ou non, l'exploitation du prolétariat subsiste et ce, de la même façon qu'en régime capitaliste : par le moyen du salariat. Il y aura dans cette société une échelle des salaires …. Tout comme actuellement ! Ce qui permet de socialiser (?) d'abord les branches les plus avancées de la production, puis, on ne sait pas quand ni comment, toute la production industrielle et agricole. Autrement dit, pendant la phase transitoire, une partie des travailleurs continueront à être exploités par des particuliers, les autres étant désormais exploités par l'État-Patron. Partant de ce point de vue, la phase supérieure du communisme correspondrait à l'étatisation intégrale de la production, au capitalisme d'État tel que nous le voyons fonctionner en Russie ! Le plus révoltant c'est qu'on ose s'appuyer sur Marx et Engels pour défendre un tel point de vue. On sait que Staline osa également, dans son discours du 23 juin 1931, s'appuyer sur Marx pour justifier l'incroyable inégalité des salaires qui règne en URSS et, tout comme Mitchell, en invoquant la qualité du travail fourni. Or Marx s'est expliqué clairement à ce sujet dans sa Critique du programme de Gotha. Est-il besoin de rappeler que, pour Marx, l'inégalité qui subsiste dans la première phase du communisme ne proviendra nullement, comme le pensent les Mitchell, de l'inégalité dans la rétribution du travail, mais simplement du fait que les ouvriers ne vivent pas tous de la même façon : "un ouvrier est marié, dit Marx, l'autre non ; l'un a plus d'enfants que l'autre, etc., etc. À égalité de travail et par conséquent à égalité de participation au fonds social de consommation, l'un reçoit effectivement plus que l'autre, etc… Pour éviter toutes ces difficultés, le droit devrait être non pas égal, mais inégal." Ceci est trop clair pour qu'il soit nécessaire d'insister.
On sait que, d'après Marx, "le salariat est la condition d'existence du capital", c'est-à-dire que si l'on veut tuer le capital, il faut abolir le salariat. Mais les réformistes ne l'entendent pas ainsi : la révolution consiste pour eux à faire passer progressivement tout le capital entre les mains de l'État afin que celui-ci devienne le seul maître. Ce qu'ils veulent c'est remplacer le capitalisme privé par le capitalisme d'État. Mais ne leur parlez pas d'abolir l'exploitation capitaliste, de détruire la machine étatique qui sert qui sert à maintenir cette exploitation : les prolétaires doivent faire la révolution uniquement pour changer de maître. Tous ceux qui conçoivent la révolution comme un moyen de se libérer de l'exploitation sont de vulgaires utopistes. Avis aux ouvriers révolutionnaires !
Réponse de Mitchell
Rien de plus pénible que de répondre à une critique qui prend la liberté de s'exercer contre une matière qu'elle ne s'est pas ou s'est imparfaitement assimilée et qui croit d'autant plus facilement pouvoir donner des formulations justes mais en réalité purement illusoires.
Rassurons immédiatement notre contradicteur sur notre pseudo "réformisme de gauche" : tout ce qu'il invoque contre nous pour justifier ce "réformisme" est précisément combattu dans notre étude de la manière la moins équivoque possible. Au surplus, il ne peut suffire que notre correspondant nous reproche "l'abondance" des citations, mais il lui faut prouver ce qu'il insinue, à savoir que ces citations ont une signification contraire à celle que nous leur donnons. S'il ne peut apporter cette démonstration, il lui est encore loisible, s'il aime les solutions faciles et simplistes, de contester le bien-fondé de certaines conceptions, par exemple des remarques de Marx quant à la nécessité de tolérer temporairement la rémunération inégale du travail dans la période transitoire. Il peut, dans ce cas, "répudier" Marx, mais non déformer sa pensée.
Sur la question de la rémunération du travail, puisque notre contradicteur est d'avis que Marx ne l'a pas développée comme nous l'affirmons, qu'il veuille donc recevoir toute la partie de notre travail où nous traitons de la mesure du travail (Bilan n° 34, pages 1133 à 1138) et toute la partie où nous traitons de la rétribution du travail, particulièrement à partir du bas de la page 1157 jusqu'au haut de la deuxième colonne de la page 1159 (n°35).
En outre, n'en déplaise au camarade, c'est Marx qui affirme la survivance d'une transition des catégories capitalistes comme la valeur, l'argent, le salaire puisque la période de dictature du prolétariat "porte encore les stigmates de l'ancienne société des flancs de laquelle elle sort" (Voir Critique du Programme de Gotha et page 1137 de Bilan).
D'autre part, sur le problème de l'État, comment peut-on nous poser en défenseurs du capitalisme d'État sur la base de ce que nous avons développé dans la deuxième partie de notre travail ? (Bilan n° 31, page 1035)
Si notre correspondant ne partage pas notre opinion sur cette question capitale, qu'il donne au moins la sienne et s'engage dans la voie de la critique positive.
Mitchell