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"Surenchère militaire en Corée du Nord", "La Corée du Nord annonce qu’elle est en état de guerre avec le Sud", "La Corée du Nord menace de frapper les États-Unis", "Menace de guerre nucléaire"… les titres étalés à la Une des journaux ces dernières semaines ont de quoi donner des sueurs froides. Mais contrairement à la propagande que l’on nous sert matin, midi et soir, cette tension militaire palpable n’est pas le fruit des seuls cerveaux malades des dirigeants nord-coréens. Toute l’Asie du Sud-Est est prise dans cette spirale. Ainsi, par exemple, au cours des derniers mois, le Japon n’a cessé de se disputer avec la Chine le contrôle des îles Senkaku/Diyao et avec la Corée du Sud celui de l’île de Takeshima/Dokdo, à grands coups de déclarations belliqueuses et de campagnes nationalistes. D’ailleurs, pour réellement comprendre ce qui se déroule aujourd’hui en Corée, il est impératif d’étudier l’histoire moderne, très dense, des conflits qui ont ravagé l’Asie.
Les racines du conflit
Durant la Première Guerre mondiale, l’Asie orientale a été relativement épargnée. Mais au cours de la Seconde, la déflagration n’en fut que plus terrible : probablement plus de 20 millions de morts !1 Et la capitulation du Japon le 2 septembre 1945, si elle a signifié la fin de la Seconde Guerre mondiale dans le Pacifique, n’a en rien ouvert une période de "paix". Une guerre n’a fait qu’en chasser une autre : la nouvelle sera nommée "Froide". Dès 1945, alors que les ruines n’ont pas encore fini de fumer, l’Union Soviétique et les États-Unis entrent en conflit pour le contrôle de l’Asie. Telle est la cause réelle du largage des premières bombes atomiques sur Hiroshima et Nagasaki : alors que le Japon est déjà à genoux (Tokyo a été écrasé sous un tapis de bombes incendiaires pendant l’hiver 1944/1945), les États-Unis veulent démontrer toute leur puissance et bloquer l'avancée de leur nouvel ennemi numéro un, l’URSS. En Chine aussi, cette même confrontation fait rage. La Russie soutient l’Armée Rouge de Mao et les États-Unis, les troupes de Chiang Kai Shek. La Chine est ainsi le premier pays à être divisé en un territoire pro-russe (La République Populaire de Chine) et une partie pro-américaine (Taiwan). Aujourd’hui encore, ces deux nations dirigent l’une contre l’autre un arsenal militaire terrifiant.
L’histoire de la Corée s’inscrit en plein dans cette opposition frontale du bloc de l’Est et du bloc de l’Ouest. En 1945, après la défaite des occupants japonais, alors que les troupes russes se préparaient à occuper toute la péninsule coréenne, les États-Unis ont forcé la Russie à accepter une occupation conjointe de la Corée. La Corée fut ainsi divisée le long du 38e parallèle. La guerre de Corée de 1950-1953 a été un des premiers et des plus sanglants conflits de la Guerre Froide (Trois millions de morts, Séoul et Pyongyang rasés plusieurs fois). Le pays est depuis resté divisé et les armées n’ont cessé d’être en alerte.
L’escalade actuelle s’inscrit dans cette continuité. Ses racines plongent dans le découpage impérialiste, la fragmentation du monde en nations engagées dans des luttes à mort pour leur survie. La Corée n’est donc en rien une exception. L’ensemble de l’Europe a été divisée après 1945 en deux blocs (l’Allemagne est restée divisée jusqu’en 1989) ; le sous-continent indien a été découpé entre Pakistan, Bangladesh et Inde ; le Vietnam a été divisé ; en 1990, la Yougoslavie a été déchirée par de nombreuses guerres de sécession et est aujourd’hui fragmentée en Serbie, Bosnie, Croatie, Slovénie, Monténégro et Macédoine ; les territoires de l’ex-Empire ottoman au Moyen-Orient ont été morcelés en de nombreuses petites nations constamment en guerre avec, en plus, la fondation d’Israël au milieu de ce paysage qui a créé une autre zone de guerre permanente… Tout cela montre que la formation de nouvelles nations ne représente plus un progrès pour l’humanité mais engendre la mort et la désolation.
L’échiquier impérialiste actuel
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La Chine
Le régime nord-coréen a été soutenu par la Chine dès ses premiers jours d’existence car elle y a vu la possibilité de constituer une zone "tampon" entre elle-même et le Japon. Aujourd’hui encore, derrière la Corée du Nord, se dresse le géant chinois. La Chine utilise l’attitude belliqueuse du régime de Pyongyang : les forces armées de ses adversaires (Corée du Sud, Japon et États-Unis) doivent se concentrer sur cette Corée du Nord belliciste et sont ainsi contraintes de délaisser un peu la Chine. Et l’idée d’une réunification des Corées du Nord et du Sud (sous domination sud-coréenne) et la perspective de base américaine près de la frontière chinoise ne peut que renforcer sa détermination. Mais une défaite du régime nord-coréen dans une confrontation militaire avec les États-Unis représenterait un affaiblissement significatif de la Chine. Elle doit donc essayer de "réfréner" la Corée du Nord, tout en la laissant les troupes américaines mobilisées contre elle. Il s’agit là d’un jeu dangereux à l’équilibre instable.
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La Russie
La Russie quant à elle, comme dans beaucoup d’autres zones de conflit depuis 1989, se retrouve dans une position contradictoire. D’un côté, elle a été une rivale de la Chine depuis les années 1960 (après l’avoir soutenue au début de la Guerre Froide), mais depuis la montée de la Chine en tant que "puissance émergente" au cours de la dernière décennie, la Russie a pris le parti de la Chine contre les États-Unis tout en voulant limiter sa montée en puissance. En ce qui concerne la Corée du Nord, la Russie ne veut pas que les États-Unis y accroissent leur présence.
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Les États-Unis
Les États-Unis n’ont jamais été prêts à laisser la Corée tomber dans les mains de la Chine et de la Russie. Dans la situation présente, ils sont de nouveau les défenseurs indéfectibles de la Corée du Sud et du Japon. Bien sûr, leur objectif majeur est de freiner la Chine. Jusqu’à un certain point, les menaces militaires nord-coréennes sont une justification bienvenue pour les États-Unis afin d'accroître leur arsenal de guerre dans le Pacifique (ils ont déjà déplacé plus d’armes à Guam, en Alaska et en Corée). Naturellement, ces armes peuvent être utilisées contre la Corée du Nord, mais aussi contre la Chine. En même temps, tout pays qui peut défier ou même directement menacer les bases américaines à Guam ou en Alaska – comme le prétend la Corée du Nord – contribue à un affaiblissement de la domination américaine. Ainsi, en plus de l’affaiblissement des positions de l’Oncle Sam par la Chine, les ambitions nord-coréennes de menacer les États-Unis avec des armes nucléaires ne peuvent être tolérées par ces derniers. La politique américaine de containment (ou endiguement) de la Chine contribue significativement à alimenter les tensions avec la Corée du Nord.
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Le Japon
Le Japon est dans une situation extrêmement complexe et pleine de contradictions. En tant qu’ennemi ancestral de la Chine, il se sent le plus menacé par elle et son allié, la Corée du Nord. En même temps, le Japon est en conflit avec la Corée du Sud à propos des îles Dokdo/Takeshima. Le dilemme est tout aussi cornélien avec les États-Unis : depuis la disparition du bloc russe après 1989, la Japon a eu comme objectif de desserrer l’étreinte américaine ; mais du fait de l’émergence de la Chine et des conflits répétés et de plus en plus aigus avec la Corée du Nord, le Japon n’a pas pu réduire sa dépendance vis-à-vis du pouvoir militaire des États-Unis. Si la Corée devait être réunie, le Japon aurait à faire face à un autre plus grand rival dans la région. Le Japon qui a occupé la Corée pendant plus de trois décennies aurait aussi –paradoxalement – à regretter de voir disparaître l’Etat-tampon Nord-coréen. L’accroissement récent des tensions avec la Chine et la Corée du Nord a été un heureux prétexte pour le gouvernement japonais afin d’accroître ses dépenses d’armement.
Ainsi, presque exactement 60 ans après la fin de la guerre de Corée en 1953, les mêmes forces s’opposent les unes aux autres ; l’Asie extrême-orientale est une zone de conflits permanents aux retombées mondiales.
Corée du Nord, Corée du Sud: deux régimes ennemis jurés de la classe ouvrière
Le régime de la Corée du Nord n’est pas venu au pouvoir suite à un soulèvement ouvrier mais seulement grâce à l’aide militaire de la Russie et de la Chine. Dépendant entièrement de ses patrons staliniens, le régime a orienté ses ressources vers le maintien et l’expansion de son appareil militaire. En conséquence de cette militarisation gigantesque, sur une population de 24,5 millions, le pays affirme disposer d’une armée de métier forte de 1,1 million d’hommes et de 4,7 millions de réservistes. Comme tous les ex-pays staliniens de l’Europe de l’Est, l’économie de la Corée du Nord n’a pas de produits civils concurrentiels à offrir sur le marché du commerce mondial. L’hypertrophie du secteur militaire signifie que durant les six dernières décennies, il y a eu des rationnements permanents de nourriture et des produits de consommation. Depuis l’effondrement du bloc russe en 1989, la production industrielle a chuté de plus de 50%. La population a été décimée par une famine au milieu des années 1990, famine qui apparemment n’a pu être stoppée qu’après des dons de nourriture par la Chine. Même aujourd’hui, la Corée du Nord importe 90% de son énergie, 80% des biens de consommation et approximativement 45% de sa nourriture de Chine.
Si la classe dominante n’a rien à offrir à sa population que la misère, la faim et la répression, allant de pair avec une militarisation permanente, et si ses entreprises ne peuvent en rien être compétitives sur le marché mondial, le régime peut seulement essayer de gagner "la reconnaissance" grâce à sa capacité de menacer et de faire du chantage au niveau militaire. Un tel comportement est l’expression typique d’une classe en ruine, qui n’a rien à offrir à l’humanité sinon la violence, l’extorsion et la terreur. L’attitude de menacer ses rivaux avec toutes sortes d’attaques militaires montre à quel point la situation est devenue imprévisible. Ce serait donc une erreur de sous-estimer le réel danger d’escalade dans la situation. La montée des tensions impérialistes ne sont jamais simplement des "bluffs" ou des "fanfaronnades" ou une "diversion". Tous les gouvernements dans le monde sont happés par la spirale du militarisme. La classe dominante n’a pas de contrôle réel sur le cancer du militarisme. Même s’il est évident que dans le cas d’une attaque de la Corée du Nord contre la Corée du Sud ou contre les États-Unis, cela mènerait à un affaiblissement considérable, si ce n’est pas à l’effondrement du régime tout entier et de l’État, nous devons savoir que la classe dominante ne connaît aucune limite à la politique de la terre brûlée. Le cas de la Corée du Nord montre qu’un État tout entier peut être prêt au "suicide". Même si la Corée du Nord est extrêmement dépendante de la Chine, la Chine ne peut pas être sûre d’être en mesure de "freiner" le régime de Pyongyang qui vient de montrer une nouvelle dimension de sa folie.
Avec ce régime nord-coréen si ouvertement va-t-en-guerre, le Japon, les États-Unis et la Corée du Sud peuvent facilement se présenter aujourd’hui comme "d’innocentes victimes". Il faut donc ici rappeler que l’histoire a maintes fois démontré à quel point les "grandes démocraties" n’étaient pas moins barbares que les pires dictatures !
La Corée du Sud n’est ainsi pas moins féroce que sa voisine du nord. En mai 1948, le gouvernement Rhee (soutenu par les États-Unis dans le Sud) a organisé un massacre de 60 000 personnes environ à Cheju, un cinquième des résidents de l’île. Pendant la guerre de 1950-1953, le gouvernement sud-coréen a assassiné avec la même intensité que les troupes du Nord. Pendant la période de reconstruction, sous Rhee ou sous Park Chung-Hee, quand des manifestations de colère ouvrières ou étudiantes explosaient, le régime recourait à la répression sanglante. En 1980, un soulèvement populaire à plus grande participation ouvrière à Kwangju a été écrasé. Aujourd’hui encore, la loi sur la Sécurité Nationale autorise le gouvernement à faire la chasse à toute voix critique du régime, en accusant n’importe qui d’être un agent de la Corée du Nord. Dans tant de grèves et de manifestations d’ouvriers ou d’étudiants ou même de "citoyens ordinaires" (voir par exemple Ssangyong ou "la manifestation des bougies allumées"), l’État sud-coréen a constamment utilisé la répression. Et la clique au pouvoir sud-coréenne est tout autant déterminée à utiliser des moyens militaires contre son rival du Nord. Récemment, Séoul a eu pour objectif de développer des armes nucléaires ! L’histoire le montre : aucun régime n’est meilleur qu’un autre ; les deux sont des ennemis jurés des travailleurs. Les travailleurs ne peuvent se ranger d’aucun côté.
L’accroissement récent des tensions en Asie cristallise les tendances destructives du capitalisme. Mais le conflit récent n’est pas qu’une simple répétition des conflits passés, le danger est devenu beaucoup plus grand pour l’humanité. Ce système pourrit sur pied : il est à la fois de plus en plus lourdement armé et de moins en moins rationnel. Des dictateurs fous contrôlant la puissance nucléaire aux grandes puissances face à face et prêtes à tout, le capitalisme est une véritable épée de Damoclès suspendue au dessus de nos têtes.
Mais le potentiel pour abatture ce système barbare et créer une nouvelle société, sans guerre ni classe sociale, demeure présent aussi. Au temps de la guerre de Corée et de la Guerre Froide, la classe ouvrière était défaite et incapable de relever la tête. Seul, un petit nombre infime de révolutionnaires de la Gauche Communiste défendait une position internationaliste. Aujourd’hui, le prolétariat en Asie du Sud-Est ne veut pas sacrifier sa vie dans l’avancée mortelle du capitalisme. Pour que l’humanité ne sombre pas dans la barbarie, la classe ouvrière doit rejeter le patriotisme et l’engrenage militariste. Non à "un front uni avec le gouvernement" ! Non à la guerre impérialiste ! La seule solution pour la classe ouvrière est de combattre résolument contre sa propre bourgeoisie, au Nord comme au Sud. Cette position internationaliste a déjà été défendue en 2006 à une Conférence de révolutionnaires. Trois groupes et sept personnes ont ainsi signé une "Déclaration internationaliste depuis la Corée contre la menace de guerre" qui s’achevait par ces deux points :
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"Affirmons notre entière solidarité envers les travailleurs de la Corée du Nord et du Sud, de Chine, du Japon, de Russie qui seront les premiers à souffrir en cas d'un déclenchement des affrontements armés.
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Déclarons que seule la lutte des ouvriers à l'échelle mondiale peut mettre fin pour toujours à la menace de la barbarie, de la guerre impérialiste et de la destruction nucléaire qui est suspendue sur l'humanité sous le capitalisme."
Les révolutionnaires doivent reprendre partout ce mot d’ordre.
D et P (17 avril)
1 Notamment à travers le terrible conflit sino-japonais entre 1937 et 1945.