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Les pays d’Afrique du Nord et du Moyen-Orient, durement touchés par les effets de la crise économique mondiale, ont également été secoués tout au long de 2011 par l'agitation sociale. Les événements qui ont suivi l’immolation de Mohamed Bouazizi ne sont pas, aujourd'hui encore, totalement effacés. Suite à ces événements, certains gouvernements de pays du sud de la Méditerranée ont été amenés à reculer, certains autres ont dû être remplacés. Ces mouvements, qui sont passés à l’histoire sous le nom de "printemps arabe", changent toute la configuration politique de l’Afrique du Nord et du Moyen-Orient. Face à cette situation, les bourgeoisies régionales, ou mondiales, essaient de rétablir l’équilibre politique.
Il est important de pouvoir analyser la situation en Égypte et en Syrie, deux pays où l’agitation sociale et les conflits perdurent, en y intégrant en particulier des évènements récents : en Égypte, l'exacerbation de l'agitation dans les rues suite à la provocation intervenue à l'occasion d'un match de football dans la ville de Port-Saïd de même que les manifestations contre le régime des Frères Musulmans ; en Syrie, la guerre qui s'installe. Doivent également être prises en compte les tensions impérialistes qui s'exacerbent et attirent l'attention du monde autant que les développements de la crise économique aux États-Unis et dans l’Union Européenne, notamment comme conséquence de la politique agressive de l’Iran, ainsi que des efforts de la Turquie pour devenir un acteur dans la région en choisissant de soutenir l’opposition dans la guerre en Syrie. Si des pays tels que l’Iran, la Turquie et Israël peuvent être caractérisés comme étant les principales puissances régionales, la situation au Moyen-Orient est également déterminée par la politique d'États impérialistes plus puissants : les États-Unis évidemment et, à côté de ceux-ci, la Chine et la Russie, du fait des rapports que ces deux pays entretiennent avec la Syrie et de leur influence en Égypte.
Lorsqu'on analyse les événements, il convient évidemment de les situer dans le cadre international, en prenant en compte la politique de la bourgeoisie et le niveau de la lutte de classe. Il faut également clarifier la nature d'événements de cette région faussement présentés comme des révolutions, en analysant quel y a été le rôle de la classe ouvrière et ce qu'il a signifié quant aux perspectives de développement de la lutte de classe au niveau international. Pour ce faire, la question de la révolution requiert une clarification à laquelle nous procéderons dans cet article sans cependant pouvoir entrer dans les détails.
Un constat s'impose : lorsque les événements ont explosé en Tunisie et se sont étendus à l’Égypte, les ouvriers y ont pris part, même si ce fut de façon limitée. La section en Turquie du CCI a publié un article dans la période où les événements ont eu lieu 1 comportant une analyse de l'importance numérique et de la forme de la participation des ouvriers à ce mouvement. Comme nous le savons, la classe ouvrière n’a pas été capable de prendre la tête du mouvement et de développer une lutte déterminée pour ses propres revendications.
Ennadha (le Parti de la Renaissance) dirigé par Rached Ghannouchi a gagné les élections à l’Assemblée Constituante Nationale qui ont eu lieu le 23 octobre 2011 en Tunisie. Ce parti a ses racines dans la même tradition que celle des Frères Musulmans en Égypte. A la suite des événements qui ont débuté en janvier 2011, l'espoir d'un changement pour la classe ouvrière en Tunisie s’est brisé avec l'arrivée de ce parti au gouvernement et la poursuite d’une exploitation de la force de travail des ouvriers aussi féroce qu'avant. Nous pouvons voir un processus similaire en cours en Egypte sous le gouvernement Morsi.
Pour être à même de voir de plus près ces événements et comprendre leur fondement, il est nécessaire d’analyser les positions des États impérialistes plus puissants ainsi que des impérialismes dans la région. Des pays tels que l’Iran, la Turquie et Israël peuvent être caractérisés comme les principales puissances régionales ; les États impérialistes plus forts qui doivent être pris en compte, à côté des États-Unis évidemment, sont la Chine et la Russie, spécialement en ce qui concerne leurs rapports avec la Syrie et les événements en Egypte.
Les tendances impérialistes de l’Iran et de la Turquie
L'Iran
L’Iran construit sa politique étrangère en fonction du fait qu'il se considère comme étant une puissance régionale au Moyen-Orient. Le facteur le plus déterminant de cette situation est qu'il est l’opposant à Israël le plus puissant de la région. Pour donner plus de poids à ses revendications, il s'efforce d'établir une unité politique, économique et même militaire basée sur l’identité chiite. Parmi les facteurs les plus importants de l'influence chiite dans la région, il y a le fait que le premier ministre d'Irak, Maliki, soit lui-même chiite et que la plus grande faction au pouvoir de l’Irak post-Saddam soit composée de Chiites. Il existe d'autres facteurs de cette influence : le Hezbollah au Liban et le Parti Baas 2, dominé par les Nosairi 3, qui ont gouverné la Syrie depuis 1963. L’Iran entend profiter de cette unité bâtie autour de l'identité sectaire chiite pour en prendre la tête contre Israël tout autant que contre les États-Unis.
L’économie de l’Iran est basée sur le pétrole et le gaz naturel, ce pays possédant 10 % des réserves mondiales de pétrole et 17 % des réserves de gaz naturel. L'État y détient 80 % des investissements économiques. De telles réserves de pétrole confèrent à l’Iran une marge de manœuvre bien plus importante que d'autres économies en développement dans la région.
Les contradictions internes au régime iranien demeurent insolubles, aucune solution n'étant en vue. La raison la plus fondamentale de celles-ci a pour origine la pression économique et politique croissante que la bourgeoisie exerce sur la classe ouvrière en vue de réaliser ses visées impérialistes. Le mouvement qui a eu lieu après les élections iraniennes de 2009 peut bien être décrit comme le début des événements sociaux qui ont constitué ce qu’on appelle le printemps arabe. Alors qu’on a tenté de faire passer ceux qui avaient gagné la rue et rempli la Place Valiasr pour des supporters de Mir-Hossein Mousavi, c’était en réalité la jeunesse ouvrière et au chômage qui s’affrontait aux forces répressives de la bourgeoisie (les Gardiens de la Révolution) dans les rues de Téhéran. Les événements qui ont eu lieu à la suite des 10èmes élections présidentielles peuvent bien avoir été déclenchés par la protestation contre le trucage des élections par Ahmadinedjad, cela n'empêche que le mécontentement qui portait sur différentes questions, était beaucoup plus profond et a commencé rapidement à prendre un caractère de classe. Par la suite, quand Mousavi, un réformiste bourgeois, a appelé à déserter la rue, ses efforts n’ont pas été pris au sérieux par les masses et on lui a même répondu avec des mots d’ordre tels que "Mort à ceux qui font des compromis" ! La plus grande faiblesse de ce mouvement spontané fut qu’il a manqué de revendications de classe et que les ouvriers, pour la plupart, participaient au mouvement en tant qu’individus. Les travailleurs remplissant les rues n’avaient pas fait surgir les organes qui auraient pu donner forme à leur identité de classe et leur permettre de s’exprimer politiquement. En fait, il n’y a eu qu’une seule grève, qui n’a concerné qu’une usine. 4 Le mouvement ouvrier a néanmoins encore un potentiel important en Iran et peut réapparaître dans une période d’instabilité ou dans des conditions économiques plus difficiles. L’expérience des luttes ouvrières en 1979 en Iran quand le Shah a été renversé recèle toujours des leçons importantes pour la classe ouvrière iranienne.
Il faut aussi analyser les rapports entre l’Iran et le capitalisme mondial et le rôle que ce pays joue en son sein. Nous pouvons dire que le partenaire le plus proche de l’Iran est la Russie. Un partenariat stratégique, basé en première instance sur l’armement et l’énergie nucléaire, existe entre les deux pays. À la différence de la Chine, la Russie est un producteur d’énergie et bénéficie jusqu’à un certain point des tensions au Moyen-Orient qui font monter le prix du pétrole. La construction d’usines nucléaires en Iran a suscité chez beaucoup l’idée de la possibilité pour le régime de fabriquer des armes nucléaires plutôt que de produire simplement de l’énergie nucléaire. Cela a eu pour conséquence une certaine distanciation de la Russie vis-à-vis de l'Iran sur la question de l’énergie nucléaire. Néanmoins l’Iran reste son plus gros acheteur d’armes et un partenaire stratégique. L’Iran a signé un accord sur l’énergie pour 20 ans avec son autre partenaire, la Chine. Les rapports entre ces deux pays reposent entièrement sur une base économique. La Chine achète 22 % du pétrole iranien 5, ce qui lui permet de s'approvisionner en sources énergétiques stratégiques. De plus, c'est avantageux pour l’économie chinoise, qui est basée sur des coûts de production bon marché, puisque le prix qui lui est concédé par l'Iran est très intéressant comparé à celui du marché mondial.
Les investissements dans le nucléaire, les efforts pour créer sa propre technologie d’armement et les manœuvres militaires récentes dans le Détroit d’Ormuz, tout cela montre que l’Iran veut associer sa puissance militaire à sa force économique. Cela veut dire être prêt à une guerre régionale ou internationale et avoir son mot à dire au Moyen-Orient grâce à sa force militaire. Les manœuvres dans le Détroit d’Ormuz peuvent être considérées comme un exercice pour s'affirmer contre les États-Unis, Israël et d’autres pays arabes, comme une démonstration de la puissance de l’armée iranienne dans le détroit d’Ormuz, stratégiquement important puisque lieu de transit de 40 % du pétrole mondial. Malgré les sanctions des États-Unis et de l’UE portant sur le pétrole iranien, l’Iran a réveillé d’autres rivalités inter-impérialistes en menaçant de fermer le détroit d’Ormuz. Le pétrole qui transite par cette voie constitue une alternative au pétrole iranien et russe, en d’autres termes, il en est un produit concurrent. D'où l’importance stratégique des pipelines russes au nord de la Mer Noire. La course à la domination stratégique basée sur le transport de pétrole joue un rôle clef dans ce qui se passe au Moyen-Orient.
Le fait que l’Iran ait des réserves significatives de pétrole et qu'il dispose de moyens de nuisance importants qui menacent l'acheminement du pétrole via le détroit d’Ormuz lui permet de trouver des alliés au niveau international. Ceci dit, alors que l’Iran semble être un État qui renforce son influence, la menace de mouvements sociaux en son sein a provoqué de nombreuses insomnies chez la bourgeoisie iranienne et ce n’est pas fini.
La Turquie
La Turquie est restée silencieuse au début des mouvements sociaux dans le monde arabe. Cependant, elle a fait en sorte de tirer le maximum de profit de la période d’instabilité créée par les événements en Afrique du Nord.
Un examen des relations passées entre la Turquie et la Syrie permet de mieux comprendre leurs relations actuelles. Avec sa politique de "zéro conflit" en politique extérieure initiée en 2005, la Turquie visait à accroître son influence politique et économique dans la région et, dans ce cadre, elle a essayé d’améliorer ses relations avec la Syrie, traditionnellement réduites. Ces deux États bourgeois, dont l'histoire commune est riche en contentieux, avaient pris, au cours des dix dernières années, certaines dispositions pour les résoudre. Parmi les contentieux en question, on trouve l'annexion par la Turquie de la province d’Hatay 6, l'approvisionnement en eau de la Syrie rendu plus difficile à cause de la construction des barrages sur le Tigre et l'Euphrate et le fait que, depuis longtemps, le PKK 7 a ses camps militaires en Syrie.
L’occupation par les États-Unis, d’abord de l’Afghanistan et ensuite de l’Irak, a changé toute la politique de la région. Comme les États-Unis souhaitaient que la Turquie soit plus active dans la région, une série de mesures ont été prises pour améliorer ses relations avec la Syrie. De nombreuses visites entre États ont été organisées, dont une visite juste après l’assassinat du Premier Ministre libanais, Rafic Hariri, un opposant à la Syrie. La bourgeoisie turque a été la première à donner son soutien international au régime Baas, alors qu'il était isolé et se trouvait dans une situation délicate dans la région. Analysant la situation comme une occasion d’accroître son influence dans cette zone, la bourgeoisie turque a soutenu le régime d’Assad 8 dans cette phase difficile pour lui. Par la suite, les rapports entre les deux pays se sont encore améliorés à travers une série de visites et de gestes diplomatiques. Cette période a témoigné de la plus grande activité diplomatique entre les deux pays ayant jamais existé. Par la suite, le "Conseil de coopération stratégique à haut niveau", fondé en 2009, a conclu une série d’investissements communs et d’accords économiques, politiques et militaires. Ce conseil, qui a aboli l'obligation de visa entre les deux pays et décidé de manœuvres militaires communes, de l'établissement d’une union douanière et d'un marché libre, a représenté le plus haut point, historiquement, des relations entre la Syrie et la Turquie. Ces accords, en créant la possibilité pour la Turquie de s’ouvrir au monde arabe, donnaient aussi à la Syrie la possibilité de s’ouvrir sur l’Europe. La Syrie, un vieil ennemi de la Turquie, était devenue une amie. Ce rapprochement était supposé se baser sur "une histoire commune, une religion commune et une destinée commune". Cette relation a duré jusqu’à ce que la rébellion contre Assad commence. C’est à ce moment que la bourgeoisie turque a soudainement tourné le dos à Assad.
Quand les événements qui ont secoué le monde arabe ont atteint la Syrie, il s'est créé l’union arabe sunnite contre Assad. En soutenant directement ce mouvement, la Turquie mettait un terme aux "jours heureux" durant lesquels le premier ministre turc Erdogan et Assad passaient leurs vacances familiales ensemble. La formation du Conseil National Syrien à Istanbul et l'accueil en Turquie des officiers qui ont formé l’Armée libre syrienne montraient clairement que les opposants à Assad étaient ouvertement soutenus par la Turquie. Le motif de cette nouvelle politique était la volonté de la Turquie de maintenir sa position en tant que puissance ayant son "mot à dire" dans la région en soutenant les dissidents qui, semblait-il, allaient sûrement arriver au pouvoir, et ceci de façon à conserver avec le nouveau pouvoir le niveau des relations atteint sous l’ère Assad. Cependant, il est vite apparu qu’avec la Russie et le Chine qui défendaient ouvertement le régime syrien, Assad n’allait pas partir facilement. Alors la Turquie a changé son fusil d’épaule et a commencé à essayer d’accroître la pression internationale plutôt que d’attaquer le régime d’Assad directement. En vue de faciliter une opération possible de l’OTAN, la Turquie est devenue un participant actif de la Conférence des amis de la Syrie 9 et a agi de concert avec la Ligue Arabe. Tous ces développements démontrent que bien que la Turquie tende en général à mener une politique étrangère en tant qu'allié des États-Unis au Moyen-Orient, elle est capable de voler de ses propres ailes de temps en temps et d’avoir son mot à dire dans la politique des puissances régionales.
Par ailleurs, conformément à ses plans concernant le futur de la Syrie, en renforçant ses liens avec les Frères musulmans 10, qui représentent une bonne partie de l’opposition à Assad, la Turquie entend aussi renforcer ses liens avec des partis qui se rattachent aux Frères Musulmans en Égypte et en Tunisie, et qui font certainement partie du même réseau.
Par ailleurs, suite à la chute de Moubarak, la Turquie a fait des efforts pour améliorer ses relations avec l’Égypte. Elle s'est appliquée à jouer un rôle dans la structuration du nouveau régime. Souhaitant exporter son régime tout autant que son capital, la bourgeoisie turque tente de tisser des liens avec le Parti de la Justice et de la Liberté formé par les Frères Musulmans en Égypte via le Parti de la Justice et du Développement 11 au pouvoir en Turquie.
Lorsque le premier ministre turc Erdogan a adopté une attitude anti-Israël au cours de la crise dite "une minute" 12 et du raid israélien sur le Mavi Marmara, un bateau turc qui faisait partie de la flottille qui transportait des aides pour Gaza, il a gagné une certaine popularité dans le monde arabe. Dans le sillage de ces initiatives pro-arabes, Erdogan a effectué une tournée en Égypte, Tunisie et Libye, accompagné de 7 ministres et de 300 hommes d’affaire. Ces visites étaient entreprises sur la base du modèle islamique laïc du Parti pour la Justice et le Développement (AKP, Adalet ve Kalkinma Partisi, actuellement au pouvoir en Turquie) et le message le plus marquant adressé par Tayyip Erdogan en Égypte et en Tunisie était celui de l’Islam laïc, ou d’un État islamique mais laïc. La presse mondiale, qui suivait ces visites, avait présenté le modèle d’Erdogan comme une alternative aux régimes wahhabite saoudien ou chiite iranien. Et ce n’était pas par hasard ! Tayyip Erdogan avait insisté sur l’Islam laïc dans son discours en Tunisie en disant : "une personne n’est pas laïque, un État l’est". Les États-Unis ont spécifiquement affirmé qu’un pays musulman tel que la Turquie a un régime qui est également laïc et parlementaire. Conformément à ce que nous avons déjà analysé dans notre presse en langue turque 13, ce que ces évènements traduisent c'est que la Turquie est bien en train d’essayer de renforcer son influence au Moyen-Orient et en Égypte en exportant son propre régime contre le Wahhabisme saoudien et le régime iranien chiite.
Dans le même temps, les puissances impérialistes occidentales veulent que la région retrouve la stabilité dès que possible, de même qu'elles désirent la mise en place de régimes qui maintiendraient ouverts les marchés régionaux, et le modèle le plus approprié de tels régimes est celui de la Turquie.
La Syrie s'enlise dans la guerre
Lorsque l'agitation sociale en Tunisie a gagné l’Égypte, les commentateurs pensaient qu'il allait être très difficile, pour les régimes de type Baas, dont la Syrie, d'y résister. En fait, dans ce pays, la population révoltée et en détresse s'est littéralement fait happer par les camps en présence, pro ou anti Assad. On pouvait s’attendre à ce qu’Assad se retire quand il serait face à l’opposition, mais ça n’a pas été le cas. Assad a tenté d’interdire les manifestations qui avaient fait éruption dans la ville de Dera et s’étaient étendues à des villes telles que Hama et Homs ; il a répandu des fleuves de sang et continue à le faire. Cette situation ouverte avec les évènements du 15 mars 2011 se prolonge encore aujourd'hui et, même si on peut supposer qu'Assad sera finalement renversé, on ne peut dire quand et comment elle va connaître un terme.
Les groupes qui défendent le régime d’Assad autant que ceux qui s’y opposent dans ce pays se définissent eux-mêmes par leur identité ethnique ou religieuse. 55 % de la population syrienne est composée de musulmans arabes sunnites, alors que les arabes alaouites chiites en représentent 15 % et les chrétiens arabes, 15 % également. 10 % de la population sont constitués de kurdes sunnites et les 5 % restant par les druses, les circassiens et les kurdes Yesidi. Plus de deux millions de réfugiés palestiniens et irakiens résident aussi en Syrie 14. La majeure partie de l’opposition au régime d’Assad est constituée d’arabes sunnites. En ce qui concerne les kurdes, qui occupent une position clef par rapport à l’équilibre politique de la Syrie, une partie soutient Assad tandis que l’autre fait partie du Conseil National Syrien anti-Assad. Les autres groupes ethniques soutiennent le régime actuel parce qu’ils craignent pour leur avenir sous un régime différent. Les arabes Nosairi (alaouites), une autre couche importante, ont soutenu le régime Baas en place en Syrie depuis des années.
La première initiative contre le régime Baas s’était unie derrière le nom de Conseil National Syrien. Cette organisation, fondée à Istanbul le 23 août 2011, inclut tous les opposants au régime d’Assad, excepté une certaine fraction des kurdes 15. A la suite d’une division parmi les kurdes qui se trouvent dans la région de Syrie la plus stratégique pour la Turquie, l’Iran et le Sud-Kurdistan, une partie de ceux-ci a rejoint le Conseil. La majorité du Conseil est constituée d’arabes sunnites qui, comme nous l’avons dit, représentent la plus grande partie de l’opposition à Assad. Si nous gardons à l’esprit que la Syrie est le pays où les Frères Musulmans sont les plus forts, après l’Egypte, nous pouvons dire que ce sont eux qui mènent le mouvement contre le régime en place en ce moment. En réalité, ce n’est pas le premier soulèvement sunnite contre le régime. En 1982, les Frères Musulmans s’étaient dressés contre Hafez-El-Assad (le père de Bachar el Assad) dans une rébellion qui avait été écrasée dans le sang : il y avait eu entre 17 000 et 40 000 morts 16. Il est plus que probable que cette organisation, qui est au centre de l’opposition au régime Baas, viendra au pouvoir à la suite du renversement d’Assad. Une telle issue est favorisée par le fait que les partis revendiquant l'appartenance aux Frères Musulmans ont gagné les élections en Tunisie et en Égypte.
Le secrétaire général des Frères Musulmans en Syrie, Mohammad Riad al-Shafka, a dit dans une interview qu’ils pourraient coopérer avec des forces régionales et globales dans le cadre d’intérêts mutuels, en expliquant le point de vue de son organisation sur ce qu’il faudrait faire à la suite de la chute d’Assad. Dans la même interview, al-Shafka dit qu’ils ne peuvent faire de compromis avec Assad à aucune condition et qu’il faut renverser le régime, montrant par là que la guerre va devenir de plus en plus violente.
Le régime Baas est soutenu par des groupes ethniques et religieux à un niveau non négligeable comparé aux groupes de l’opposition. Le plus grand est celui des Nosairi. Le régime d’Assad est constitué socialement par cette secte. Toute l’élite, la structure militaire, la bureaucratie du régime sont constituées par les arabes Nosairi. En ce sens, les Nosairi ont une position privilégiée en Syrie. La fin du régime Baas les mettrait dans une situation difficile car les membres de cette secte ont détenu le pouvoir politique depuis si longtemps, en s'y maintenant par des méthodes totalitaires, que cela a créé des haines profondes et entraînerait une vague de persécutions animées par la vengeance. Pour cette raison, ils veulent empêcher Assad de démissionner, même s’il en avait envie. En ce qui concerne les chrétiens, les Druses, les circassiens et les yezidi, ils soutiennent le régime Baas par peur du fondamentalisme islamique des candidats les plus à même de remplacer Assad. Cependant, tout peut changer d’un jour à l’autre.
Les kurdes sont dans une position différente qui constitue, dans la situation actuelle, une carte maîtresse du régime d’Assad. Jusqu’en mai dernier, les kurdes syriens étaient obligés de vivre dans des conditions telles qu’ils n’avaient même pas de cliniques médicales officielles et leurs représentants politiques étaient emprisonnés par le régime Baas. Bien qu’ils se soient rebellés contre le régime de temps en temps, leurs mouvements avaient été écrasés ou s’étaient éteints d'eux-mêmes. Un exemple : les événements dans la ville kurde de Qamishlo en 2004 17. De même, les différentes puissances impérialistes ont parfois essayé de se servir des kurdes contre le régime Baas. Après le début des événements, Assad a changé d’attitude vis-à-vis des kurdes et a libéré leurs prisonniers politiques. Il a même déclaré qu’un gouvernement autonome kurde allait être fondé dans le nord. C'est à plusieurs titres que les kurdes sont si importants pour Assad. Onze partis kurdes ont formé l’Assemblée Nationale Kurde de Syrie avec le soutien de Massoud Barzani 18, président du Gouvernement de la Région du Kurdistan en Irak. Cela a poussé Assad à chercher un accord avec les Kurdes mais, du même coup, a aussi poussé certains kurdes à s’intégrer à l’opposition sunnite arabe. En réponse, Assad a amnistié le leader du Parti nationaliste kurde de l’Unité et la Démocratie (PYD) 19, Salih Muslim, lui permettant d’organiser des manifestations pro-gouvernementales et d’y parler. En bref, Assad a cherché à gagner de l’influence sur les kurdes et à diviser l’opposition ; il y a en partie réussi.
Toutefois, le Parti de l’Unité et de la Démocratie (PYD) a décidé de boycotter les élections du 26 février 2012 et a annoncé qu’il n’y avait rien pour les kurdes dans la nouvelle constitution. Par l’intermédiaire des représentants directs ou indirects de la bourgeoisie kurde syrienne hors de Syrie, le PDP et le PKK tentent de gagner de l’espace dans la région kurde de Syrie. Barzani veut exercer son pouvoir sur les kurdes syriens via l’Assemblée nationale kurde de Syrie. Le PKK détermine la politique des kurdes syriens grâce à ses relations avec le PYD et, en même temps, gagne un espace stratégique à la fois contre la bourgeoisie turque et ses propres rivaux kurdes, en particulier Barzani. Il semble que les kurdes, qui ont été oppressés par le régime Baas pendant des années, auront un rôle à jouer concernant l'avenir du régime en place.
Il faut aussi prendre en compte les rapports Syrie-Israël. Tout d'abord à propos du plateau du Golan 20, ensuite concernant la présence militaire et l’influence politique de la Syrie au Liban, deux causes de l'état de guerre entre ces deux États bourgeois pendant des années. Le début des événements en Syrie a compliqué les relations entre ce pays et Israël. On dit maintenant que les israéliens négocient avec le régime Baas, qu’ils combattaient auparavant, par peur de l’arrivée des Frères Musulmans au pouvoir. Israël voit d'un mauvais œil l'arrivée de régimes islamiques au pouvoir au Moyen-Orient et son attitude vis-à-vis du régime d’Assad a été significativement affectée par cette considération.
Il faut aussi analyser comment et à quel degré la classe ouvrière participe aux événements en Syrie. Naturellement, la classe ouvrière représentait une partie significative des masses dans la rue. Cependant le problème est que les ouvriers syriens ne sont pas parvenus à exprimer une réaction à la misère et l'oppression, contrairement à ce qu'on a vu en Tunisie ou en Égypte. Malheureusement, les ouvriers syriens s’expriment dans les événements selon leur identité ethnique ou de secte. Cela donne un éclairage sur quoi se fondent, depuis le début, les événements en Syrie. Le jour où les observateurs de la Ligue Arabe allaient arriver en Syrie, l’opposition a appelé à la grève générale. Cet appel a été largement ignoré, et un peu plus tard il y a eu un jour de grève générale, mais cependant encore sous l’influence de l’opposition. Cela a été décrit comme un acte de désobéissance : ceux qui voulaient voir le départ du régime d’Assad n’avaient aucune revendication de classe. De plus, la participation des employeurs et commerçants dans la grève a été aussi importante que celle des ouvriers, ce qui montre assez clairement la nature de cette grève. En fait, les ouvriers syriens ne se sont pas manifestés comme tels et se sont rangés du côté d’Assad ou de l’opposition en tant qu’individus.
Bien que Bachir el Assad ait déclaré qu’il y aurait des réformes et des élections, le nouveau referendum sur la constitution a été boycotté par l’opposition, ce qui indique que, soit le régime Baas va s’en aller, soit l’opposition va être éliminée après une guerre sanglante. Il semble en effet qu’il n’y ait pas le moindre espace pour une réconciliation entre les deux fractions bourgeoises. Par ailleurs, le soutien des russes et des chinois dont bénéficie Assad semble avoir bloqué la possibilité d’une intervention de l’ONU. Le fait que la Russie, avec ses bases militaires et ses fournitures d’armes, et la Chine avec ses investissements dans l’énergie, protègent la Syrie au niveau international est de toute évidence lié aux intérêts de ces deux États. En prenant en compte ces relations, nous pouvons dire que le départ d’Assad ne se fera pas comme celui de Muammar Kadhafi en Libye. En se basant sur la chute, un par un, des régimes analogues confrontés à des manifestations massives dans la région, on aurait pu penser que le régime d’Assad allait rapidement être mis en pièces. Il semble clair maintenant que, conformément aux souhaits de l’élite Nosairi, Assad ne va pas démissionner facilement et que l’intensité de la guerre civile va aller en croissant.
L'Égypte : un marché pour la force de travail à bas prix
A la suite du départ de Moubarak, on a annoncé que commençait une nouvelle ère pour l’Égypte. Cependant ce pays, où la classe ouvrière est une des plus importantes de l’Afrique du Nord et du Moyen-Orient, reste instable. La crise d’identité de la bourgeoisie n’est pas résolue et devient même plus intense après la provocation de Port-Saïd et les récentes manifestations contre Morsi.
La raison la plus importante pour laquelle les événements en Afrique du Nord se sont étendus à l’Égypte était que le taux de chômage et le nombre de personnes vivant en dessous du seuil de pauvreté étaient très élevés, comme ils l’étaient en Tunisie. 20 % de la population égyptienne vit dans la pauvreté, plus de 10 % est au chômage, selon les chiffres officiels et plus de 90 % des gens au chômage sont des jeunes. Les chiffres officiels ne reflètent pas la réalité et les taux de chômage sont bien plus élevés étant donné que le chômage non-déclaré est très largement répandu dans des pays comme l’Égypte. L’économie égyptienne a déjà connu certains problèmes fondamentaux d’accumulation et s'est trouvée par la suite encore plus affaiblie par l’approfondissement de la crise mondiale, si bien que le chômage croissant a ouvert la voie à la chute de Moubarak. La bourgeoisie égyptienne a tenté de résoudre ce problème structurel d’abord avec la politique de la porte ouverte adoptée en 1974. Elle a choisi ainsi de combler les déficits créés par son propre capital avec des investissements étrangers. Cependant, du fait, entre autres, de son instabilité politique, elle n’a pas été capable d’améliorer beaucoup la situation. Aujourd’hui, les investissements en capitaux étrangers restent à un taux très bas, de l'ordre de 6 % du PIB de l’Égypte.
La situation de misère et de chômage ne s’est pas traduite par un mouvement de classe généralisé. Bien que les masses ouvrières se soient mises en mouvement, les travailleurs ne sont pas descendus dans la rue en tant que classe, avec leurs objectifs propres. Le mouvement s’est limité à des grèves d’environ 50 000 ouvriers et n’a pas réussi à imprimer une marque décisive de classe aux manifestations de la place Tahrir. Il n’a pas réussi non plus à sortir de la logique de pures revendications économiques couplées à des revendications bourgeoisies démocratiques.
Sur quelle politique économique va être fondée l’ère post-Moubarak ? Sans aucun doute, la bourgeoisie égyptienne va promettre un autre paradis d’exploitation à la classe ouvrière. Comme nous l’avons dit précédemment, l’économie égyptienne souffre de problèmes structuraux d’accumulation de capital. Pour une intégration complète dans l’économie mondiale, il faut en particulier l’extraction de plus-value. Le processus de bascule de la production agricole à la production industrielle, qui avait débuté sous l’ère Moubarak, va sans aucun doute continuer quand le nouveau rapport de force sera établi au sein de la bourgeoisie. Grâce à son potentiel en force de travail bon marché, la bourgeoisie va tenter de bâtir l’économie égyptienne sur l’exploitation intense de la force de travail. Les chances pour l’économie égyptienne d’attirer les investissements seront un peu meilleures parce qu’elle offrira de la main d’œuvre à bas prix sur le marché mondial. Mais, en même temps, beaucoup d'autres pays sont capables d'offrir une main-d'œuvre bon marché.
Le futur de l'Égypte dépend également des rivalités politiques au sein des forces bourgeoises dans ce pays. Lorsque les opposants au régime de Moubarak se sont emparés de la place Tahrir, la plupart des mouvements politiques bourgeois actuels n’existaient pas. Ils ont commencé à apparaître seulement quand le trône de Moubarak a été ébranlé. La plus grande structure politique dans l’Égypte post-Moubarak est sans aucun doute constituée par les Frères Musulmans. Une autre force significative est le mouvement salafiste radical qui a une influence croissante. L’armée également conserve encore un pouvoir majeur dans la vie politique en Égypte. Dans les premières élections après Moubarak, le Parti de la Justice et de la Liberté formé par les Frères Musulmans a obtenu un tiers des votes, suivi par les salafistes qui réussissaient à en obtenir 25 %. Des deux organisations islamistes, ce sont les salafistes les plus radicaux et une grande partie des votes en leur faveur émanent de la campagne. Les Frères Musulmans, eux, sont plus modérés et pragmatiques en matière d’économie et de politique. Ils ont même formé une alliance avec quelques partis laïcs aux élections. Ils démontrent en cela qu'ils constituent la force politique bourgeoise la plus à même de servir l'intérêt national dans un contexte économique extrêmement difficile et face à un prolétariat qui ne laissera pas sans réagir empirer ses conditions de vie. Les travailleurs sont capables, nous l'avons vu, de relever la tête quoique de façon ambiguë et par à-coups. La provocation de l'État, lors d’un match de football, a entraîné la mort de 74 personnes. En suscitant une confrontation entre les supporters de deux équipes, la police avait voulu se venger du groupe de supporters de l’équipe de football du Caire Al Ahly, lequel avait été très actif dans le mouvement qui a conduit à la chute de Moubarak et après. A cette fin, des hommes armés de bâtons et de couteaux avaient pénétré dans le stade et ensuite les barrières de celui-ci furent fermées. Beaucoup de scénarios ont été évoqués à propos de cette provocation et toutes les forces de la bourgeoisie ont essayé de tirer parti de la situation. A la suite de ces événements, on a entendu des voix demander que l’armée donne le pouvoir aux civils. Cependant, ce serait de la naïveté de ne pas voir que le motif réel de la provocation était la lutte pour le pouvoir. Le mot d’ordre des Ultras Ahlawy qui ont pris la tête du mouvement de protestation violente contre la provocation a des intonations très antisystème : "Un crime a été commis contre la révolution et les révolutionnaires. Ce crime n’arrêtera pas ni n’intimidera les révolutionnaires". Cependant, les revendications de celui-ci sont restées limitées et n’ont pas rencontré de véritable écho dans d’autres parties de la classe ouvrière 21. Il y a eu des appels à la grève générale contre la répression brutale de la manifestation par l’armée et parmi les revendications avancées, il y avait celui-ci : "le Conseil Militaire doit démissionner et justice pour les martyrs d’Égypte". Cette situation, qui se reflétait aussi dans les mots d’ordre dans la rue, montrait que rien n’a changé pour la classe ouvrière.
En fait, ce mouvement s'est terminé dans la même confusion que les manifestations contre la prise des pouvoirs spéciaux par Morsi. Les protestations initiales contre Morsi, localisées essentiellement au Caire, fin 2012, ont été l’expression d’un mécontentement social largement répandu, tout autant que d’une méfiance profonde et grandissante vis-à-vis des solutions offertes par le nouveau gouvernement des Frères Musulmans. Mais les mouvements de protestation semblent avoir été dominés par l’opposition laïque, avec le danger que la classe ouvrière soit prise dans un conflit entre fractions bourgeoises rivales. La situation s’est encore compliquée avec la nouvelle de grèves dans le centre textile de Mahalla et d’une assemblée de masse qui déclarait "l’indépendance" de Mahalla vis-à-vis du régime des Frères Musulmans. Quelques rapports ont même parlé du "soviet de Mahalla". Mais ici, de nouveau, l’influence de l’opposition démocratique bourgeoise pouvait être perçue avec le chant de l’hymne national à la fin de l’assemblée, alors que l’appel à une "indépendance" symbolique reflétait un manque de perspective : les travailleurs qui combattent pour leurs propres revendications ont besoin avant tout de généraliser leur lutte aux autres ouvriers dans le reste du pays, pas de se retrancher derrière les murs du localisme. Néanmoins, la classe ouvrière en Égypte garde un grand potentiel de lutte et n’a subi aucune grande défaite de la part de ses ennemis de classe. Elle est loin d’avoir dit son dernier mot dans la situation.
Pour conclure…
Bien que nous ayons dit, au début de cet article, que nous n’allions pas aborder cette question en profondeur, nous ressentons néanmoins la nécessité de faire quelques commentaires sur la question de la révolution. La transformation sociale que nous appelons révolution n’est pas simplement un changement des gouvernements ou des régimes actuels, elle représente un changement complet à tous les niveaux de toute la structure économique, des moyens de production, lié à des changements des rapports de production et de la forme de propriété. Cela veut dire que la classe ouvrière affirme son pouvoir sous la forme de conseils ouvriers. Une telle transformation n’a cependant pas eu lieu à la suite des événements en Afrique du Nord. Ainsi, présenter ces mouvements comme des révolutions relève soit d’un manque de compréhension de ce qu’est la lutte du prolétariat soit traduit une approche idéologique bourgeoise de ce sujet.
Cela ne veut pas dire que ces mouvements n’ont pas eu de valeur pour la lutte de classe. Les événements en Afrique du Nord ont inspiré des centaines de milliers de prolétaires à travers le monde, de l’Espagne aux États-Unis, d’Israël à la Russie et de la Chine à la France. De plus, malgré toutes ses limitations, l’expérience de la lutte a été immensément importante pour la classe ouvrière en Égypte et en Tunisie.
Un des développements les plus significatifs des dernières années a été celui de conflits sociaux en Israël et en Palestine. Les manifestations de rue massives de l’été 2011 ont été la réponse à des problèmes sociaux tels que le logement ou les revendications par rapport à la vie quotidienne de plus en plus dure pour la majorité de la population israélienne, comme conséquence de l’économie de guerre et de la crise économique. Les manifestants s’identifiaient explicitement aux mouvements du monde arabe, criant des slogans comme "Moubarak, Assad, Netanyahu sont tous les mêmes" et réclamaient des logements accessibles pour les juifs et les arabes. En dépit des difficultés à poser la question épineuse de la guerre et de l’occupation, ce mouvement renfermait clairement des germes d’internationalisme 22. Il a eu un écho plus récemment avec les manifestations et les grèves contre l’augmentation du coût de la vie dans la bande de Gaza, où les travailleurs palestiniens, chômeurs, élèves et étudiants ont critiqué impitoyablement les autorités palestiniennes et se sont affrontés à la police palestinienne. Malgré toutes leurs faiblesses, ces mouvements ont réaffirmé que lutter sur un terrain social et de classe représente les prémisses de l’unification du prolétariat par-delà et contre les conflits impérialistes 23.
C’est plus une promesse pour le futur, le poids du nationalisme restant extrêmement fort et étant appelé à se renforcer parmi les populations israéliennes et palestiniennes du fait des récentes attaques militaires de Gaza. Ainsi, même si l'inspiration et l'expérience qui viennent de ces luttes sont en elles-mêmes de petites victoires, la situation concrète et immédiate du prolétariat en Afrique du Nord et au Moyen-Orient peut être décrite comme rien de moins que sinistre.
Des deux côtés du conflit entre le régime et l’opposition en Syrie, il y a des puissances bourgeoises locales mais aussi des puissances régionales et mondiales, avec leurs intérêts et leurs relations politiques. La réalité actuelle pousse les États-Unis, l’UE, Israël et la Turquie dans un camp, pendant que la Russie et la Chine semblent prendre position aux côtés de l’Iran et de l’Irak chiite. C’est la perspective générale mais toutes les forces en dehors de l’Iran et d’Israël peuvent changer d’attitude si leurs intérêts le requièrent. De plus, les ouvertures d’Israël à l’égard du gouvernement syrien montrent que même ces États peuvent être flexibles jusqu’à un certain point.
Cette description montre que les puissances régionales et mondiales se préparent à un conflit impérialiste sans merci. Ce qui arrive en Syrie aujourd’hui est à un niveau où les prolétaires se déchirent entre eux parce qu’ils sont divisés en sectes et ethnies. Il ne fait aucun doute que c’est la caractéristique que toutes les guerres vont prendre dans cette région. Par ailleurs, la formation d’un régime aux fortes tendances islamistes est plus que probable en Égypte et cela peut continuer à enflammer la situation dans la région et un autre virage peut se produire dans les forces bourgeoises en conflit. Néanmoins, alors que tous ces conflits qui ont lieu, ou vont avoir lieu, représentent la destruction pour la classe ouvrière, la potentialité reste intacte pour que soit détruit ce système parasite qui se nourrit de l’exploitation de la force de travail. La classe ouvrière a besoin d’une lutte internationale. C’est justement sur ce point que nous avons essayé de nous exprimer et de contribuer à la lutte de classe.
Ekrem (7 janvier 2013)
1 Voir l’article écrit par la section du CCI en Turquie à cette époque. https://en.internationalism.org/icconline/2011/04/middle-east-libya-egyp...
2 Le Parti arabe socialiste Baas, le parti au pouvoir en Syrie, a de nombreuses sections dans différentes régions du monde arabe et plonge ses racines dans la scission intervenue en 1966 dans le mouvement Baas qui a donné naissance à une faction dirigée par la Syrie et une autre par l’Irak.
3 Aussi connus aussi sous le nom d’alaouites, chiites alwi et ansaris, une secte quelque peu non orthodoxe qui dérive de l’Islam chiite. Les chiites se réfèrent aux arabes qui ont suivi Ali, le cousin et gendre du prophète Mahomet, quatrième calife de l’Islam. La principale division dans l’Islam se situe entre les disciples d’Ali (le chiisme) et la majorité des musulmans qui suivirent Mouawia (les sunnites), le premier calife de la dynastie des Omeyyades.
4 Les trois équipes de la plus grande usine en Iran, l’usine de voiture Khodro, ont toutes fait une heure de grève pour protester contre la répression étatique.
5 Comme en 2011, le pétrole iranien a représenté environ 11 % des besoins énergétiques de la Chine, ce qui n’est pas négligeable, (de plus, il représente aussi environ 9 % des besoins en énergie du Japon. La Corée du Sud et l’Europe sont , ou étaient, aussi les plus grands importateurs) Voir https://www.energybulletin.net/stories/2012-01-19/sanctioning-iranian-oi...
6 La Turquie a annexé la province du Hatay, y compris les villes d’Antakya (anciennement Antioche) et Iskenderun (Alexandrette) en 1938, précédemment syrienne, à la suite d’une série de manœuvres.
7 Partiya Karkeren Kurdistan, ou Parti Ouvrier du Kurdistan, un parti nationaliste kurde d’abord stalinien surtout actif en Turquie mais opérant aussi en Irak et au Kurdistan iranien.
8 Les dirigeants dynastiques du régime Baas en Syrie, la famille Assad, sont au pouvoir en Syrie depuis 1970. Hafez el Assad est resté au pouvoir jusqu’à sa mort en 2000 et son fils, Bachar el Assad, qui est encore au pouvoir lui a succédé.
9 P.sdfootnote-western { font-family: "Times New Roman",serif; font-size: 10pt; }P.sdfootnote-cjk { font-family: "Times New Roman",serif; font-size: 10pt; }P.sdfootnote-ctl { font-family: "Times New Roman",serif; font-size: 10pt; }P { margin-bottom: 0cm; direction: ltr; color: rgb(0, 0, 0); widows: 2; orphans: 2; }P.western { font-family: "Times New Roman",serif; font-size: 12pt; font-weight: bold; }P.cjk { font-family: "Times New Roman",serif; font-size: 12pt; font-weight: bold; }P.ctl { font-family: "Times New Roman",serif; font-size: 12pt; font-weight: bold; }A:link { color: rgb(0, 0, 255); } Une réunion des pays "amis de Syrie" pour soutenir l’opposition à Assad et à laquelle participèrent des représentants de celle-ci.
10 Un des plus vieux et plus grands mouvements politiques islamiste sunnite du monde : les Frères Musulmans ont été fondés en Egypte en 1928 en tant que parti fasciste. Aujourd’hui, les Frères Musulmans sont une partie modérée et libérale du mouvement islamique qui n’est interdit ni aux États-Unis ni en Grande Bretagne. L’organisation a été très populaire avec son mélange de charité et d’activisme populiste, elle existe dans tout le monde arabe et dans plusieurs autres pays occidentaux et en Afrique.
11 Un parti "musulman démocratique" populiste de centre-droit, comparable aux partis démocrates-chrétiens d’Europe.
12 Le Premier Ministre turc Erdogan a quitté le sommet de Davos en 2009, après avoir interrompu le modérateur en répétant sans cesse : "une minute", pour pouvoir s’exprimer contre l’israélien Shimon Peres.
13 Lire l'article en turc https://tr.internationalism.org/ekaonline-2000s/ekaonline-2011/kuzey-afr...
17 En mars 2006, pendant un match de football chaotique, une émeute s’est déclenchée quand quelques personnes ont commencé à agiter des drapeaux des kurdes séparatistes, saluant Barzani et Talabani, transformant le match en conflit politique. L’ameute a dépassé les grilles du stade et des armes furent utilisées contre la police et les civils non kurdes. Par la suite, au moins 30 kurdes furent tués et le service de sécurité reprit la ville.
18 Massoud Barzani est aussi le chef du Parti Démocrate du Kurdistan (PDK) et le fils de Moullah Barzani, leader de la guérilla peshmerga nationaliste kurde et précédent président du PDK,.
19 Partiya Yekîtiya Démocrate, ou Parti de l’Unité et de la Démocratie, un parti politique syrien kurde affilié au Parti Ouvrier Kurde (PKK)
20 Bien que reconnu internationalement comme territoire syrien, le plateau du Golan a été occupé et administré par Israël depuis la guerre israélo-arabe de 1967.