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Ah, qu’il est bon de se sentir en sécurité ! Voilà ce que tout bon travailleur devrait se dire en son for intérieur en se laissant envahir la nuit venue par le sommeil réparateur d’une journée harassante de labeur.
Car oui, vraiment, en matière de sécurité, le gouvernement ne peut pas être taxé d’attentisme ou d’inaction. C’est le moins que l’on puisse dire ! Alors que Claude Guéant avait à peine eu le temps de le rêver et que déjà on l’accusait à l’envi de crime liberticide, voilà que Manuel Valls, son successeur au ministère de l’Intérieur, le fait dans le plus grand calme. Le nouveau ministre n’a pas seulement créé quinze zones de sécurité prioritaires, où les moyens policiers seront significativement renforcés, il a aussi remis sur le tapis législatif la question de l’arrestation préventive.
De quoi s’agit-il ? Il s’agit d’une idée qui avait germé suite à l’affaire Mohamed Merah à Toulouse, celle d’autoriser l’arrestation de quiconque dont le comportement pourrait laisser penser qu’il présenterait un risque pour la sécurité du pays. Pour étudier ce comportement alarmant, la police a le droit de surveiller les communications, de répertorier les pays visités, de garder trace de tous les sites internet visités. Rien de moins que la légalisation du délit idéologique. Vos idées sont... subversives ? Au trou ! Après tout, on ne sait jamais.
Avec de telles mesures, la France devrait rapidement être ramenée au calme. Mais aussi se couvrir de prisons !
On pourrait presque en rire si derrière tout cela ne se cachait des intentions qui nous conduisent plutôt à une sérieuse inquiétude. Bien sûr, il y a la crainte de la bourgeoisie de voir se développer le banditisme sur le terreau de la crise et le terrorisme sur celui des pressions impérialistes. La décomposition du système capitaliste conduit à un développement violent du chacun-pour-soi et d’une situation de moins en moins contrôlable. Il ne s’agit pas de nier que la bourgeoisie – véritable pompier pyromane – fait face à une vraie problématique sécuritaire et à de vraies menaces terroristes. Mais il n’y a pas que cela. Et pour s’en convaincre, il suffit simplement de s’intéresser à deux exemples voisins en Europe.
D’abord en Allemagne : là-bas existent depuis 1968 (sans doute un hasard), des lois d’urgence qui autorisent l’intervention de l’armée sur le sol national en cas de péril grave, et notamment des agissements d’insurgés armés et organisés. Jusque ici, ces lois étaient rangées bien haut sur les étagères. Un peu trop pour certains puisque la cour constitutionnelle a, le 17 août dernier, autorisé la Bundeswehr à exercer sur son propre sol dans des conditions pour le moins allégées : “en cas de situation exceptionnelle de nature catastrophique” (). D’habitude le droit est connu pour son attachement à la précision des termes. Là, les juristes vont pouvoir s’adonner à l’interprétation jusqu’au dégoût tellement la formule est floue !
Aurions-nous l’esprit assez tordu pour imaginer qu’une telle mesure soit prévue pour faire face à des luttes massives ? L’idée n’avait pas encore eu le temps d’être formulée totalement dans les esprits les plus aguerris que déjà la Cour répondait : non ! Sont exclus “les dangers pouvant émaner d’une foule qui manifeste”. Pourquoi tant d’empressement à le préciser ? Aurions-nous vraiment l’esprit tordu ?
Surtout que, deuxième exemple, d’autres pays ne prennent pas autant de gants. En Espagne, la bourgeoisie se remet avec peine des secousses ressenties autour de la place Puerta del Sol en 2011. L’homologue de Manuel Valls, Jorge Fernandez Diaz, en oublie carrément la langue de bois : désormais, le fait d’organiser par Internet des rassemblements protestataires sera qualifié de participation à une organisation criminelle (). Ceci pour, selon lui, mettre fin à une spirale de violence qui tourne à la guérilla urbaine. C’est qu’il a dû avoir très peur, le Monsieur, car déjà l’arsenal répressif et pénal de l’Espagne n’était pas parmi les plus laxistes sur le continent !
Qu’on se le tienne pour dit : émettre des idées remettant en cause la légitimité du pouvoir, ou même simplement chercher à les lire sur Internet, développer des contacts autour de ces idées, protester contre le pouvoir, chercher à s’organiser pour défendre ses intérêts et construire un rapport de force, tout cela peut nous conduire devant les juridictions pénales, en prison, sous les matraques de la police ou les flingues de l’armée. C’était déjà implicitement le cas, mais maintenant, c’est écrit noir sur blanc ! Ces mesures sont tout autant dirigées contre le banditisme ou le terrorisme que contre… la lutte de classe, elles en font même volontairement l’amalgame pour criminaliser par nature ceux qui refusent de laisser le système nous détruire sans réagir.
Si ces mesures doivent nous rendre conscients et lucides sur la détermination que mettra la bourgeoisie à s’affronter au développement des luttes, elles nous informent aussi, en négatif, de la menace que le prolétariat représente en perspective pour les intérêts du capitalisme. C’est une preuve de plus que l’avenir appartient bien à la lutte de classe.
GD, 26 septembre
() lemonde.fr
() legrandsoir.info