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Depuis le coup d’État militaire du 22 mars qui a mis le pays en lambeaux, le Mali baigne dans un chaos sanglant. Il est la proie de nombreux gangs et puissances impérialistes qui se disputent son cadavre. Tandis que des centaines de milliers d’habitants quittent leurs demeures pour tenter d’échapper aux massacres, d’autres, sur place, sont bastonnés systématiquement, abattues froidement, voire lapidés. Les habitants des villes et des campagnes vivent ainsi dans une misère et une insécurité effroyable que les forces armées sanguinaires se préparent encore à aggraver en généralisant les tueries au nom de la « libération » de la région Nord, entre les mains des groupes islamistes.
« Voilà une situation on ne peut plus claire : un coup d’État dans le Sud, une rébellion qui ne vise désormais qu’à installer un État théocratique d’un autre âge dans le Nord, AQMI et consorts qui narguent le monde entier, leurs chefs, parmi les plus recherchés de la planète, qui se baladent tranquillement à Tombouctou ou à Gao et dont les crimes en série les enverraient aussi sûrement à la CPI [Cour Pénale Internationale] que tous ceux qui attendent leur procès dans les geôles de Scheveninge, à La Haye.
A Bamako, le président de la transition, qui n’a pas grand-chose à se reprocher dans l’épreuve que traverse son pays, s’est fait lyncher pendant près d’une heure, devant des bidasses passifs, voire hilares, par des jeunes désœuvrés dont des politiciens, qui n’avaient aucune chance d’exister en dehors du chaos actuel, avaient savamment lavé le cerveau pour les inciter à commettre ce crime impardonnable. Le « sauveur de la nation », Amadou Haya Sango, chef d’une junte qui a arraché le pouvoir des mains d’un président sur le départ, ne sauve rien du tout. (…) Et ses troupes ne se privent pas de torturer, bastonner et emprisonner arbitrairement tous ceux qui n’adhèrent pas à la « cause ».
[Face au] Mali qui sombre chaque jour un peu plus, on nous explique que tous les ingrédients d’une véritable bombe à retardement sont réunis. Qu’une nouvelle Somalie, plus proche et plus inquiétante, est en gestation. Tout le monde clame sa détermination à ne pas laisser AQMI s’installer et son indignation face à une telle descente aux enfers ».1
Voilà la parfaite description d’un État à terre et de sa population prise en otage par les gangsters civils, militaires et islamiques. Fidèles à leur réputation barbare, ces derniers n’ont pas tardé à mettre en branle leur machine à mutiler, à lapider, à expédier dans « l’enfer islamique » tous ceux qui ne se conforment pas à leur « charia ».
Voici une illustration caractéristique de la mentalité et des méthodes de cette « tribu » d’un autre âge qui règne sur Gao : « Gao n’est plus très loin. Le drapeau noir des salafistes flotte sur le barrage dressé au bord de la route. Le jeune qui nous arrête, mon chauffeur et moi, n’a pas plus de 14 ans. Il s’énerve en entendant la musique que crachote le vieil autoradio de notre véhicule. « C’est quoi, ça ? hurle-t-il en arabe.
- Bob Marley.
- Nous sommes en terre d’Islam et vous écoutez Bob Marley ?! Nous sommes des djihadistes, nous ! Descendez de la voiture, nous allons régler ça avec la charia. »
Un chapelet dans une main, un kalachnikov dans l’autre, il me rappelle ces enfants-soldats croisés vingt ans plus tôt en Sierra Leone… Les enfants sont souvent plus féroces que les adultes. Nous nous empressions de l’assurer de notre fidélité à l’Islam, avant d’être autorisés à reprendre la route. (…) Venus d’Algérie ou d’ailleurs, tous se retrouvent au commissariat de police, rebaptisé siège de la « police islamique » : Abdou est ivoirien ; Amadou, nigérien ; Abdoul, somalien ; El Hadj, sénégalais ; Omer, béninois ; Aly, guinéen ; Babo, gambien… Il y a là toute l’internationale djihadiste ! Lunettes noires sur le nez, le bas du visage mangé par une barbe abondante, un Nigérian explique qu’il est un membre de la secte islamique Boko Haram, responsable de nombreux attentats dans le Nord de son pays. Il parle du Mali comme la « terre promise », fustige l’Occident et les « mécréants », et jure qu’il est ‘prêt à mourir’, si c’est la volonté de Dieu ».2
Ce que vivent les populations sous le « gouvernement » des diverses cliques maliennes, qui rivalisent en barbarie, est abominable. Mais, surtout, le monde bourgeois se fiche des souffrances des victimes en laissant pourrir sordidement la situation et en attendant cyniquement les monstrueux déchaînements qui se préparent.
La décomposition du Mali s’installe pour de bon
Après six mois de gesticulations et de marchandages entre brigands, une coalition hétéroclite de cliques maliennes vient de solliciter officiellement l’aide de la Communauté économique des États de l’Afrique de l’Ouest (Cédéao), cela « dans le cadre du recouvrement des territoires occupés du Nord et la lutte contre le terrorisme ». Selon Le Monde du 8 septembre 2012, Paris, qui préside le Conseil de Sécurité de l’ONU, a aussitôt annoncé l’organisation d’une conférence internationale sur le Sahel, le 26 septembre à New York en marge de l’Assemblée Générale de l’ONU, dont l’appui est nécessaire pour une intervention militaire au Mali. Et de fait, les pays de la Cédéao n’attendent que le « feu vert » du Conseil de sécurité pour envoyer au front quelques 3300 soldats. On sait aussi que depuis le début de l’occupation du Nord du pays par les islamistes, les grandes puissances, en particulier la France et les Etats-Unis, poussent en coulisse les pays de la zone à s’impliquer militairement au Mali en leur promettant financements et moyens logistiques.
En clair, après avoir embraser le Mali en soutenant ou armant directement les bandes qui assassinent, Français et Américains, avec leurs rivaux, s’apprêtent à se lancer dans une nouvelle aventure guerrière sous prétexte d’aider le Mali à retrouver son « intégrité territoriale » et au nom de la lutte contre le « terrorisme islamiste ».
Malheureusement pour la classe ouvrière et les opprimés de cette région, toutes les forces bourgeoises autour de l’ONU et de l’UA/Cédéao, qui clament hypocritement leur « détermination » et leur « indignation » pour mieux justifier une intervention armée, ne vont certainement pas lancer la soldatesque dans le but de leur épargner la descente aux « enfers ». En effet, qui peut croire que les impérialismes français ou américain s’indignent sincèrement face à la misère que subissent les masses prolétariennes de cette région ? Qui peut penser que ces chefs de gangs s’activent sérieusement contre AQMI et consorts dans le seul but d’établir la « paix » et la « sécurité » des « peuples » de cette zone ?
A l’évidence, la réponse est : personne ! En vérité, nos grands barbares « démocrates » s’apprêtent à brûler toute la région simplement parce que leurs intérêts stratégiques et économiques y sont menacés directement par des groupes armés, empêchant de fait le « bon fonctionnement » des circuits économiques. D’ailleurs, c’est ce qu’il faut comprendre quand les autorités américaines et françaises parlent de « guerre contre les groupes terroristes » et pour la « sécurisation des zones d’approvisionnement des matières premières ». De même certains organes de la presse bourgeoise préparent les « opinions publiques » dans ce sens pour mieux justifier les massacres de masse : « Ce n’est plus une hypothèse, c’est une certitude : plus les jours passent, plus s’accentue la décomposition de cet État désormais éclaté, et plus le cauchemar stratégique, humanitaire et politique d’une somalisation du Mali hante l’Afrique de l’Ouest, le Maghreb et bientôt l’Europe. Même ceux qui, il y a deux mois, accordaient à la sécession du Nord quelques circonstances atténuantes par sympathie pour les revendications socio-économiques trop longtemps négligées des Touaregs, sont effarés par la mainmise brutale des groupes islamiques les plus intransigeants sur ce qui reste des populations de l’Alzawad. Comment accepter que le terrorisme et les trafics en tous genres trouvent un sanctuaire en plein Sahel, sous le couvert de la charia et la bannière d’un djihadisme dévoyé ? »3
En effet, de l’Algérie au Nigeria, de la Libye au Niger, du Soudan au Mali, du Tchad au Gabon en passant par la Côte d’Ivoire, toute cette partie de l’Afrique est bourrée des matières premières les plus recherchées dont le contrôle constitue un enjeu hautement stratégique. Donc, même s’ils savent parfaitement qu’ils vont y laisser des plumes, les divers charognards vont cyniquement entretenir le sanglant chaos. On sait que la France n’a jamais cessé d’intervenir militairement dans cette zone, notamment en Mauritanie et au Niger, en compagnie de troupes de ces pays pour protéger ses sociétés, comme AREVA qui exploite l’uranium nigérien. Les États-Unis ne sont également pas en reste comme le remarque à nouveau la revue Jeune Afrique : « Leur rôle [des États-Unis] est devenu encore plus vital depuis que le Nord du Mali est tombé entre les mains des islamistes et du Mouvement national pour la libération de l’Azawad. (…) La tension qui règne dans le nord malien incite aussi le Pentagone à renforcer sa présence en Mauritanie. (…) Actuellement, affirme le ‘Washington Post’, les Américains auraient débloqué plus de 8 millions de dollars pour rénover une base proche de la frontière malienne et mener des opérations de surveillance conjointes avec les forces mauritaniennes. Les deux autres points chauds qui incitent les États-Unis à mettre en branle leur dispositif sont le Nigeria, avec la montée en puissance de Bako Haram, et la Somalie (…). Devant le Congrès en mars dernier, le général Carter Ham (qui dirige l’Africom) a souligné : ‘Si nous ne disposons pas de bases sur le continent, nos moyens en RSR (renseignement, surveillance et reconnaissance) seraient limités et cela contribuerait à fragiliser la sécurité des États-Unis. (...) Lors de son passage devant les parlementaires, le général Carter Hom a aussi déclaré qu’il souhaitait pouvoir établir une nouvelle base de surveillance à Nzara, au Soudan du Sud. Là encore, ce projet s’explique par le contexte local. Les tensions entre le Soudan et son voisin méridional riche en hydrocarbures ne laissent pas indifférent Washington, qui doit assurer la sécurité des compagnies pétrolières présentes dans la région’ ».
On ne peut être plus clair : le grand gang américain et ses concurrents vont pulvériser toute la région du Sahel, à commencer par le Mali, dans le seul but de sécuriser (entre autres) les zones « riches en hydrocarbures ».
Le Mali n’est pas seulement un « Afghanistan africain » mais le visage du capitalisme moribond
Voilà un pays en décomposition totale qui ne peut offrir aucune perspective vivable à sa population et à ses enfants livrés à eux-mêmes, dont nombreux sont ceux qui, pour survivre, se laissent manipuler ou se font recruter de force par divers mafieux et autres trafiquants qui les transforment en soldats ou en mercenaires. Voilà comment de simples hommes victimes de la misère du capitalisme peuvent devenir, du jour au lendemain, des tueurs, des « apprentis bourreaux » d’une grande cruauté. Tous ces jeunes, chômeurs et éternels sans travail, tous ces « sans rien » se trouvent à la merci de tous les brigands criminels assoiffés de profits et de sang : « démocrates » civils ou militaires, putschistes, nationalistes indépendantistes, « djihadistes » et autres vrais « fous de Dieu ».
Amina (9 septembre)
1 Jeune Afrique du 14 juillet 2012.
2 Récit d’un journaliste de Jeune Afrique, 4 août 2012.
3 Jeune Afrique, 16 juin 2012.