Au Québec, pour les ouvriers, les chômeurs, les précaires ou les étudiants, la lutte unifiée est la seule perspective

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Voici déjà près de quatre mois que les étudiants québécois sont mobilisés contre la hausse des frais de scolarité, mais pendant près de 3 mois au milieu d’un black-out quasi-unanime hors du pays. Cette augmentation de près de 80  % vient s’ajouter aux augmentations précédentes et, avec l’attitude répressive et provocatrice du gouvernement Charest, les étudiants en lutte, aux cris de “Manif chaque soir jusqu’à la victoire”, ne sont pas prêts d’accepter passivement une telle mesure. Alors que d’emblée, la plupart des médias traitait de la question sous l’angle très idéologique de “la popularité ou l’impopularité” de la grève au Québec  1, le mouvement quant à lui, a exprimé une tendance à se généraliser et à dépasser le secteur de l’enseignement.

Afin de mieux comprendre le contexte de ce mouvement rappelons les mesures similaires prises par le gouvernement ces dernières années et les conditions actuelles des étudiants.

Une austérité qui ne date pas d’hier…

Dans ces temps d’austérité imposés par la faillite historique du système capitaliste 2, l’augmentation des frais de scolarité, au même titre que toutes les mesures de réduction du déficit, n’a rien de bien nouveau ni de spécifique au Québec. En 1990, le deuxième gouvernement de Robert Bourassa brise le gel des frais de scolarité, établis depuis 1968 à 540 $ CAN par an, pour les élever à 1668 $ CAN par an (soit trois fois plus). Puis en 2007, c’est au tour du gouvernement de Jean Charest (centre-droit) de poursuivre dans ce sens avec une augmentation de 500 $ CAN sur 5 ans, amenant ainsi l’addition à 2168 $ CAN pour l’année scolaire 2011-2012. Avec de tels frais de scolarité (pourtant en deçà de la moyenne de scolarité aux Etats-Unis), bon nombre d’étudiants n’ont plus accès aux études supérieures. Dans ce pays, 80  % des étudiants travaillent et étudient à temps plein, alors même que la moitié de ces étudiants vit avec 12  200 $ par an (avec un seuil de pauvreté pour une personne seule de 16  320 $ en 2010 !).

… mais qui devient insupportable !

Dans le budget du Québec déposé le 18 mars 2011, le gouvernement Charest confirme donc son intention d’augmenter les droits de scolarité de 1625 $ sur 5 ans, les faisant passer à près de 4500 $ par année en 2016, si l’on ajoute les frais afférents exigibles par les universités. Suite à cette annonce, la réaction ne se fit pas attendre. Le 31 mars 2011, une manifestation rassemble quelques milliers d’étudiants à Montréal et, sur l’initiative de la FEUQ 3, un campement est érigé chaque fin de semaine devant les bureaux du ministère de l’Education.

Etait-ce une méthode de lutte adaptée, qui permette au mouvement de s’étendre en allant chercher la solidarité ? Rien n’est moins sûr. Toujours est-il que ce dernier ne connaîtra pas d’événement marquant pendant un an. Il faudra attendre le 22 mars 2012 pour qu’une manifestation étudiante surprenne par son ampleur. Entre 200 000 et 300 000 personnes y participent, rassemblant étudiants et travailleurs dans le centre de Montréal. Les revendications avancées s’inscrivent alors dans un mouvement historique bien plus large. Certains parlent alors de “Printemps érable” en référence aux révoltes dans les pays arabes. La base de la colère qui s’exprime est bien plus vaste que la seule augmentation des frais universitaire, et la solidarité avec le mouvement “Occupy” est clairement affichée. Ce mouvement montre que même dans un pays qui n’est pas réputé pour être le siège de mouvements sociaux d’ampleur, la mobilisation, poussée par des conditions de vie de plus en plus difficiles, gagne une partie croissante de la population. Le 7 avril, lors d’un cycle de conférences à Montréal, Gabriel Nadeau-Dubois, porte-parole de la Coalition large de l’association pour la solidarité syndicale étudiante (CLASSE) devait reconnaître l’ampleur du mouvement : “Notre grève, c’est pas l’affaire d’une génération, c’est pas l’affaire d’un printemps, c’est l’affaire d’un peuple, c’est l’affaire d’un monde. Notre grève, ce n’est pas un événement isolé, notre grève c’est juste un pont, c’est juste une halte le long d’une route beaucoup plus longue.” Pour le gouvernement de Charest, il est clair qu’il ne faut pas laisser les étudiants occuper la rue, au risque qu’ils parviennent à trouver la solidarité d’autres secteurs et que le mouvement prenne encore plus d’ampleur 4. C’est donc avec brutalité que ce gouvernement a fait passer une loi le 18 mai dernier, dite “loi 78” qui rend illégale toute manifestation non annoncée. Voici les grandes lignes de cette loi “spéciale”  5 : “Elle interdit tout rassemblement à moins de 50 mètres des établissements scolaires (c’est-à-dire, interdiction des piquets de grève devant les universités) ;

elle restreint le droit de manifester sans accord préalable avec la police : il faudra fournir huit heures avant, la durée, l’heure, le lieu ,le parcours et les moyens de transports (cette restriction est valable pour tous les regroupements de plus de 50 personnes) ;

elle prévoit de très lourdes amendes pour les organisateurs de piquets de grève : de 1000 à 5000 dollars (de 770 à 3860 euros) pour un individu seul et de 25 000 à 125 000 dollars (de 19 320 à 96 600 euros) pour une association d’étudiants, le double en cas de récidive.”

Pour le gouvernement en place, il s’agit de taper fort pour casser la mobilisation et pour rappeler aux manifestants qui fait la loi. Ces méthodes répressives ne sont pas sans rappeler la violence à laquelle se sont confrontés les manifestants espagnols ou grecs lors des grands mouvements ces derniers mois. En France, cela rappelle la violence dont la police avait fait preuve pour intimider les étudiants et lycéens qui manifestaient à Lyon en 2010. Elle n’avait pas hésité à les isoler pendant de longues heures sur la place Bellecourt pour finalement les relâcher un à un après identification 6. Cela ressemblait bien à une expérimentation de manœuvre d’intimidation, pour faire peur aux manifestants et casser leur combativité. Il est vraisemblable que ce soit ce même résultat que visait le gouvernement Charest avec sa loi 78.

Visiblement, les événements ne se sont pas tout à fait déroulés comme l’espérait la classe politique québécoise. Bien loin de “casser” le mouvement et de remettre les étudiants dans le rang, cette “mesure spéciale” a été reçue comme une provocation pour les manifestants, ce qui a eu pour effet d’amplifier et de radicaliser le mouvement. L’heure est donc à la contestation et aux “casserolades”.

Pour les manifestants québécois, il s’agit aujourd’hui de répondre spontanément à la provocation du gouvernement par… des manifestations provocatrices ! Et à ce jeu-là, l’Etat est très fort : “Près de 700 personnes ont été arrêtées dans la nuit de mercredi à jeudi à Montréal et à Québec au terme de manifestations jugées illégales par les services policiers. Parmi les 518 arrestations effectuées dans le cadre de la 30 manifestation nocturne consécutive dans la métropole, on compte 506 arrestations de groupe et 12 arrestations isolées, dont 14 en vertu du Code criminel et une en vertu du règlement municipal proscrivant le port d’un masque ‘sans motif raisonnable’.” (le Devoir, 25 mai 2012)

Quelles perspectives pour le mouvement ?

Il est clair que ce qui fait la force de ce mouvement c’est la combativité et la détermination dont fait preuve la jeune génération. Nous ne pouvons que soutenir cette combativité, tout comme l’extension qu’a connue le mouvement avec la présence en son sein des travailleurs d’autres secteurs. Dans un sens, le manque d’habileté et la brutalité de l’équipe Charest peuvent être un facteur de généralisation du mouvement et jouer en faveur des ouvriers en lutte. Toutefois, ce mouvement comporte de nombreuses faiblesses, et il devra éviter bien des pièges pour ne pas se scléroser derrière des revendications trop stériles.

Parmi ces pièges, il en est un de taille : l’illusion que l’on pourrait vivre dans un monde meilleur au sein du capitalisme ; l’illusion que l’on pourrait changer ce système d’exploitation à coups de réformes et par la voie “démocratique” 7. Cette illusion est clairement insufflée par les syndicats, dont la Classe en première ligne avec tout son discours sur la “désobéissance civile” 8. La loi 78 prévoit également une suspension des cours jusqu’au mois d’août dans les établissements en grève, sans annulation de la session, si bien qu’aujourd’hui il est difficile d’affirmer que le mouvement va continuer à se développer. Ce qu’en revanche on peut affirmer, à la lumière des différents mouvements ouvriers qui marquent l’histoire du capitalisme, c’est qu’il n’y a que la recherche de solidarité et l’extension la plus large possible vers toute la classe ouvrière qui puisse offrir un réelle perspective au mouvement. La solidarité avec le mouvement des indignés et “Occupy”, la tenue d’assemblées générales ouvertes à tous où les questions politiques sont débattues collectivement et sans s’en remettre à de soi-disant “professionnels de la lutte”, sont des étapes incontournables pour lutter efficacement contre ce système en pleine décomposition généralisée et pour offrir à l’humanité ce à quoi elle aspire : “un monde meilleur” !

Enkidu (26 mai)

 

1 Le 19 mai, le Parisien titrait : “Québec : les étudiants en grève sont déterminés mais l’opinion reste divisée”.

2 Pour bien comprendre cette notion de “faillite historique”, nous incitons nos lecteurs à consulter notre dossier spécial “crise économique”, disponible sur notre site web.

3 Fédération étudiante universitaire du Québec.

4 “Devant l’ampleur de la mobilisation, le gouvernement québécois tente de restreindre le droit de manifester.” Le Point, 18/05/12

5 D’après le site Rue89.

6 Voir nos articles : “Face à l’escalade répressive à Valence (Espagne)” de mars 2012 et le témoignage sur la manifestation du 19 octobre à Lyon, disponibles sur notre site internet.

7 Ce à quoi des indignés espagnols répondaient par : “Ils l’appellent démocratie mais ce n’est pas le cas !”, “C’est une dictature mais on ne la voit pas !”

8 “De son côté, Gabriel Nadeau-Dubois, président de la CLASSE, le syndicat le plus radical, a affirmé que le texte était tout simplement “anticonstitutionnel” et a appelé à la “désobéissance civile”” (le Point, 18/05/12).

 

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Lutte de classe