Critique du livre "Dynamiques, contradictions et crises du capitalisme" : le capitalisme est-il un mode de production décadent et pourquoi ? (II)

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La surproduction, contradiction de base du capitalisme, est liée à l'existence du salariat. Ses déterminations seront mises à nu dans cette seconde partie de l'article afin de pouvoir répondre aux grandes questions qui font l'objet de désaccords importants avec le livre de Marcel Roelandts, Dynamiques, contradictions et crises du capitalisme[1] (identifiés MR et Dyn dans la suite de l'article): pourquoi augmenter les salaires des ouvriers ne résout pas le problème de la surproduction? D'où émane la demande extérieure à celle des ouvriers et quelles en sont le rôle et les limites? Existe-t-il une solution à la surproduction au sein du capitalisme? Comment caractériser les courants qui prônent la résolution des crises du capitalisme au moyen de l'augmentation des salaires? Le capitalisme est-il condamné à un effondrement catastrophique?

 

Existe-t-il une solution à la crise au sein du capitalisme ?

 

Les déterminations de la surproduction

La surproduction est la caractéristique des crises du capitalisme, par opposition aux crises des modes de production qui l'ont précédé et qui étaient, elles, caractérisées par la pénurie.

Elle résulte, en premier lieu, de la nature même de l'exploitation de la force de travail propre à ce mode de production, le salariat, qui fait que les ouvriers doivent toujours produire au-delà de leurs besoins. C'est cette caractéristique qu'exprime de la façon la plus fondamentale le passage suivant de Marx:

"Le simple rapport salarié-capitaliste implique que (…) la majorité des producteurs (les ouvriers) (…) Pour pouvoir consommer ou acheter dans les limites de leurs besoins, (…) doivent toujours être surproducteurs, toujours produire au-delà de leurs besoins."[2]

Cela suppose donc l'existence d'une demande extérieure à celle des ouvriers, cette dernière ne pouvant par essence jamais suffire à absorber la production capitaliste:

"On oublie que, selon Malthus, "l'existence même d'un profit sur n'importe quelle marchandise présuppose une demande extérieure à celle de l'ouvrier qui l'a produite", et que, par conséquent "la demande de l'ouvrier lui-même ne peut jamais être une demande adéquate" (Malthus, Principles … p.405)."[3]

C'est justement lorsque la demande extérieure à celle des ouvriers est insuffisante, que la surproduction se manifeste:

"si la "demande extérieure à celle des ouvriers eux-mêmes" disparaît ou s'amenuise, la crise éclate."[4]

La contradiction est d'autant plus violente que, d'un côté, le salaire des ouvriers est contraint au minimum social nécessaire pour reproduire leur force de travail et, de l'autre, les forces productives du capitalisme tendent à être développées au maximum:

"La raison ultime de toutes les crises réelles, c'est toujours la pauvreté et la consommation restreinte des masses, face à la tendance de l'économie capitaliste à développer les forces productives comme si elles n'avaient pour limite que le pouvoir de consommation absolu de la société"[5]

Pourquoi augmenter les salaires des ouvriers ne résout pas le problème de la surproduction?

Il existe différents procédés permettant à la bourgeoisie de masquer la surproduction:

1) Détruire la production en excédent, de manière à éviter que sa mise sur le marché ne tire vers le bas les prix de vente. C'est en particulier ce qui s'est passé dans les années 1970 et 80 avec la production agricole dans les pays de la Communauté économique européenne. Ce procédé présente pour la bourgeoisie l'inconvénient de révéler au grand jour les contradictions du système et de susciter l'indignation alors que les produits ainsi détruits font défaut, de façon vitale, à une partie importante de la population mondiale.

2) Réduire l'utilisation des capacités productives ou même détruire une partie de celles-ci. Une illustration de ce type de réduction drastique de la production avait été le plan Davignon mis en place dès 1977 par la Commission européenne pour réaliser la restructuration industrielle (avec des dizaines de milliers de licenciements à la clé) du secteur sidérurgique, face à la surproduction mondiale d'acier. Il s'était traduit par la destruction d'une grande partie du parc des hauts-fourneaux dans plusieurs pays européens et la mise à la rue de dizaines de milliers de sidérurgistes conduisant à des mouvements de lutte importants, notamment en France en 1978 et 1979.

3) Augmenter artificiellement la demande, c'est-à-dire générer une demande non pas tirée par des besoins en investissements devant être rentabilisés ultérieurement mais directement motivée par le besoin de faire tourner l'appareil productif. C'est typiquement le cas des mesures keynésiennes qui ont un coût assumé par l'État et qui, de ce fait, se répercutent nécessairement sur la compétitivité de l'économie nationale où elles sont appliquées. C'est la raison pour laquelle elles ne peuvent être mises en œuvre que dans des conditions permettant de compenser, grâce à des gains importants de productivité, la perte de compétitivité. De telles mesures peuvent tout aussi bien concerner l'augmentation des salaires que des programmes de travaux publics n'ayant pas une rentabilité immédiate.

Ces trois procédés, quoique différents dans la forme, ont exactement la même signification quant au développement du capitalisme et, dans le fond, ils peuvent se ramener au premier d'entre eux, le plus parlant, la destruction volontaire de la production. Cela peut paraître choquant, du point de vue ouvrier, d'entendre dire qu'une augmentation de salaire non justifiée par les besoins de la reproduction de la force de travail, revient à du gaspillage. Il s'agit bien évidemment de gaspillage du point de vue de la logique capitaliste (laquelle n'a que faire du bien-être de l'ouvrier), pour laquelle payer plus cher l'ouvrier n'augmentera en rien sa productivité.

MR, qui pense que le mécanisme à l'œuvre durant les Trente Glorieuses a été compris par peu de marxistes[6], n'a lui-même pas compris de Marx, ou pas voulu comprendre, que "le but de la production est la mise en valeur du capital et non sa consommation"[7] (Cité explicitement dans la suite de l'article), que cette consommation soit le fait de la classe ouvrière ou des bourgeois.

On peut appeler ce gaspillage "régulation", comme le fait MR sans reconnaître qu'il s'agit de gaspillage; cela lui permettra peut-être de rendre sa thèse plus présentable. Mais cela ne change en rien le fait que, dans une grande mesure, la prospérité des Trente Glorieuses est le gaspillage d'une partie des gains de productivité utilisés à produire pour produire.

D'où émane la demande extérieure à celle des ouvriers?

Pour MR, et contrairement à Rosa Luxemburg dont il critique la théorie de l'accumulation, la demande autre que celle de l'ouvrier peut parfaitement émaner du capitalisme lui-même, et non pas nécessairement de sociétés basées sur des rapports de production non encore capitalistes et qui ont longtemps coexisté avec le capitalisme.

Cette demande, selon Marx, n'émane ni des ouvriers ni des capitalistes eux-mêmes mais des marchés n'ayant pas encore accédé au mode de production capitaliste.

Dans son livre, MR mentionne l'opinion de Malthus à ce sujet: "Il est à noter que cette "demande autre que celle émanant du travailleur qui l'a produite" recouvre, sous la plume de Malthus, une demande interne au capitalisme pur puisqu'elle se réfère aux couches sociales dont le pouvoir d'achat est dérivé de la plus-value et non pas une demande extra-capitaliste selon la théorie luxemburgiste de l'accumulation" (Dyn p.27). Marx, soutenant en cela Malthus, est catégorique sur le fait que cette demande ne peut pas provenir de l'ouvrier: "La demande provoquée par le travailleur productif en personne ne peut jamais être une demande adéquate, puisqu'elle ne concerne pas la totalité de ce qu'il produit. Si tel était le cas, il n'y aurait pas de profit et par conséquent nul motif pour le capitaliste d'employer le travail de l'ouvrier."[8] Il est aussi explicite sur le fait que, pour Malthus, cette demande émane de "couches sociales dont le pouvoir d'achat est dérivé de la plus-value" mais, dans le même temps, il dénonce la motivation de Malthus qui est relative à la défense des intérêts du "clergé d'Église et d'État": "Malthus n’a pas intérêt à masquer les contradictions de la production bourgeoise; au contraire: il est de son intérêt de les souligner, d’une part pour prouver le caractère nécessaire des classes laborieuses (il l’est pour ce mode de production) et, d’autre part, pour démontrer aux capitalistes la nécessité d’un clergé d’Église et d’État bien gras, afin de créer une demande adéquate. […] Il souligne donc, contre les ricardiens, la possibilité d’une surproduction généralisée".[9] Ainsi, ce n'est pas parce que Malthus pense que la demande adéquate peut provenir des "couches sociales dont le pouvoir d'achat est dérivé de la plus-value" qu'il en est de même pour Marx. Au contraire, ce dernier est très explicite quant au fait que cette demande adéquate ne peut provenir ni des ouvriers ni des capitalistes: "La demande des ouvriers ne saurait suffire, puisque le profit provient justement du fait que la demande des ouvriers est inférieure à la valeur de leur produit et qu'il est d'autant plus grand que cette demande est relativement moindre. La demande des capitalistes entre eux ne saurait pas suffire davantage".[10]

A ce propos, on ne peut que relever une mauvaise volonté évidente de MR pour fournir à ses lecteurs les moyens d'élargir le champ de leur réflexion lorsqu'il s'agit de rapporter le point de vue de Marx sur la nécessité d'une demande autre que celle émanant des ouvriers et des capitalistes. Sinon, comment expliquer qu'il n'ait pas évoqué le passage suivant où Marx explicite la nécessité de "commandes au loin", de "marchés étrangers" pour vendre les marchandises produites:

"Comment est-il possible que parfois des objets manquant incontestablement à la masse du peuple ne fassent l'objet d'aucune demande du marché, et comment se fait-il qu'il faille en même temps chercher des commandes au loin, s'adresser aux marchés étrangers pour pouvoir payer aux ouvriers du pays la moyenne des moyens d'existence indispensables? Uniquement parce qu'en régime capitaliste le produit en excès revêt une forme telle que celui qui le possède ne peut le mettre à la disposition du consommateur que lorsqu'il se reconvertit pour lui en capital. Enfin, lorsque l'on dit que les capitalistes n'ont qu'à échanger entre eux et consommer eux-mêmes leurs marchandises, on perd de vue le caractère essentiel de la production capitaliste, dont le but est la mise en valeur du capital et non la consommation."[11] (Souligné par nous)

Il est vrai que la citation ne nous donne pas plus de précisions permettant de mieux caractériser la nature de ces "marchés étrangers", de ces "commandes" qui sont passées "au loin". Ceci dit, celle-ci étant explicite quant au fait que la demande en question ne peut pas émaner des capitalistes eux-mêmes, car le but de la production est la mise en valeur du capital et non pas sa consommation, à partir de là il n'est pas interdit de réfléchir. La demande en question ne peut pas, non plus, émaner de quelque autre agent économique au sein du capitalisme qui vit de la plus-value extraite et redistribuée par la bourgeoisie. Qui reste-t-il en fin de compte dans la société capitaliste? Personne et c'est pourquoi il faut s'adresser aux "marchés au loin", c'est-à-dire non encore conquis par les rapports de production capitalistes.

C'est exactement ce que nous dit le Manifeste communiste lorsqu'il décrit la conquête de la planète par la bourgeoisie, poussée par le besoin de débouchés toujours plus importants:

"Poussée par le besoin de débouchés toujours plus larges pour ses produits, la bourgeoisie envahit toute la surface du globe. Partout elle doit s'incruster, partout il lui faut bâtir, partout elle établit des relations. (…) Par suite du perfectionnement rapide de tous les instruments de production et grâce à l'amélioration incessante des communications, la bourgeoisie précipite dans la civilisation jusqu'aux nations les plus barbares. Le bas prix de ses marchandises est la grosse artillerie avec laquelle elle démolit toutes les murailles de Chine et obtient la capitulation des barbares les plus opiniâtrement xénophobes. Elle contraint toutes les nations, sous peine de courir à leur perte, à adopter le mode de production bourgeois; elle les contraint d'importer chez elles ce qui s'appelle la civilisation, autrement dit: elle en fait des nations de bourgeois. En un mot, elle crée un monde à son image."[12]

Marx nous fournit une description plus détaillée concernant la manière dont s'effectue l'échange avec des sociétés marchandes non capitalistes, aussi variées soient-elles, grâce auquel le capital bénéficie à la fois d'un débouché et d'une source d'approvisionnement nécessaires à son développement: "dans le processus de circulation où le capital industriel fonctionne soit comme argent, soit comme marchandise, son circuit s'entrecroise – comme capital-argent ou comme capital-marchandise – avec la circulation marchande des modes sociaux de production les plus divers, dans la mesure où celle-ci est en même temps production marchande. Il importe peu que les marchandises soient le fruit d'une production fondée sur l'esclavage, ou le produit de paysans (Chinois, ryots des Indes), de communes rurales (Indes hollandaises), d'entreprises d'État (comme on les rencontre aux époques anciennes de l'histoire russe, sur la base du servage), ou de peuples chasseurs demi-sauvages, etc.: comme marchandises et argent, elles affrontent l'argent et les marchandises qui représentent le capital industriel; elles entrent dans le circuit du capital industriel tout autant que dans le circuit de la plus-value véhiculée par le capital-marchandise et dépensée comme revenu; elles entrent donc dans les deux phases de circulation du capital-marchandise. Ce qui caractérise par conséquent le processus de circulation du capital industriel, c'est l'origine universelle des marchandises, l'existence du marché comme marché mondial."[13]

La fin de la phase d'accumulation primitive a-t-elle modifié les relations du capital avec sa sphère extérieure?

MR reproduit également la deuxième partie de la citation ci-dessus du Manifeste communiste, mais en prenant soin de souligner que "tous les ressorts et limites du capitalisme dégagés par Marx dans Le Capital ne l'ont été qu'en faisant abstraction des rapports avec sa sphère extérieure (non capitaliste). Plus précisément, Marx analyse ces derniers uniquement dans le cadre de l'accumulation primitive, car il se réservait de traiter les autres aspects de "l'extension du champ extérieur de la production" dans deux volumes spécifiques consacrés, pour l'un, au commerce international et, pour l'autre, au marché mondial". (Dyn p.36. Souligné par nous)

Il poursuit en affirmant que, pour lui, les "marchés étrangers" n'ont plus continué à jouer un rôle important pour le développement du capitalisme, une fois achevée la phase d'accumulation primitive: "Cependant, une fois ses fondements cimentés par trois siècles d'accumulation primitive, c'est essentiellement sur ses propres bases que le capitalisme s'est déployé. En regard de l'importance et du dynamisme pris par la production capitaliste, la contribution de son environnement extérieur est devenue relativement marginale pour son développement." (Dyn p.38)

Le raisonnement de Marx démontre, nous l'avons vu, la nécessité d'un marché extérieur. La description qu'il fait de cette sphère extérieure dans le Manifeste communiste montre qu'elle est constituée de sociétés marchandes n'ayant pas encore accédé aux relations de production capitalistes. Marx n'explique évidemment pas dans le détail pourquoi cette sphère doit être extérieure aux relations de production capitalistes, cependant il fait clairement découler sa nécessité des caractéristiques mêmes de la production capitaliste. Si, comme MR, Marx ou Engels avaient pensé que, depuis la première publication du Manifeste, des modifications importantes étaient intervenues concernant les relations du capital avec sa sphère extérieure, les "marchés au loin" ayant de cessé de jouer le rôle qu'ils avaient eu jusque-là durant l'accumulation primitive, on peut penser qu'ils auraient ressenti la nécessité d'en rendre compte dans les préfaces des éditions successives du Manifeste[14], alors que l'un et l'autre ont été témoin, sur des périodes différentes, de la marche triomphante du capitalisme après la phase d'accumulation primitive. Or, non seulement cela n'a pas été le cas mais encore le livre III est commencé en 1864 et "terminé" en 1875. On peut penser qu'à cette date-là Marx avait acquis déjà suffisamment de recul par rapport à la phase d'accumulation primitive (de la fin du Moyen-Âge jusqu'au milieu du 19e siècle) et, pourtant, il poursuit dans cet ouvrage l'idée du Manifeste communiste en invoquant, "les commandes au loin", "les marchés étrangers".

MR persiste dans sa thèse, en prétendant qu'elle correspond à la vision qu'avait Marx: "C'est pourquoi, nous pensons comme Marx que "la tendance à la surproduction" ne provient pas d'une insuffisance de marchés extra-capitalistes, mais bien du "rapport immédiat du capital" au sein du capitalisme pur: "Il va de soi que nous n'avons pas l'intention d'analyser ici en détail la nature de la surproduction; nous dégageons simplement la tendance à la surproduction qui existe dans le rapport immédiat du capital. Nous pouvons donc laisser de côté ici tout ce qui a trait aux autres classes possédantes et consommatrices, etc., qui ne produisent pas, mais vivent de leurs revenus, c'est-à-dire procèdent à un échange avec le capital et constituent autant de centres d'échange pour lui. Nous n'en parlerons que là où elles ont une importance véritable, c'est-à-dire dans la genèse du capital" (Grundrisse, chapitre sur le capital, Éditions 10/18. p.226)." (Dyn p.38)

Ce que dit la citation de Marx, c'est que, pour l'examen de la surproduction, on peut laisser de côté le rôle joué par les classes possédantes dans leurs échanges avec le capitalisme car, de ce point de vue, elles n'ont plus qu'un rôle marginal. Or, les classes possédantes ici nommées sont celles qui subsistent de l'ancien ordre féodal. Ce que la citation ne dit pas, en revanche, c'est ce que MR veut lui faire dire, à savoir que les "marchés étrangers", des "commandes" qui sont passées "au loin" n'ont plus qu'un rôle marginal face à la surproduction. Or c'est bien cela qui est au cœur de la polémique.

La théorie de l'accumulation de Rosa Luxemburg à l'épreuve

Il revient à Rosa Luxemburg d'avoir mis en évidence que l'enrichissement du capitalisme, comme un tout, dépendait des marchandises produites en son sein et échangées avec des économies précapitalistes, c'est-à-dire pratiquant l'échange marchand mais n'ayant pas encore adopté le mode de production capitaliste. Rosa Luxemburg n'a pas fait que développer l'analyse de Marx, elle en a également fait la critique dans L'Accumulation du capital lorsque c'était nécessaire, en ce qui concerne notamment les schémas de l'accumulation dont certaines erreurs résultaient, selon elle, du fait que ceux-ci ne font pas intervenir les marchés extra-capitalistes, pourtant indispensables à l'accomplissement de la reproduction élargie. Elle attribue cette erreur au fait que, Le Capital étant une œuvre inachevée, Marx réservait à des travaux ultérieurs l'étude du capital en lien avec son environnement.[15]

MR critique la théorie de l'accumulation de Rosa Luxemburg. Pour lui, en effet, c'est de façon délibérée et justifiée d'un point de vue théorique que Marx écarte, dans sa description de l'accumulation au moyen de schémas, la sphère des relations extra-capitalistes: "Appréhender la place que Marx attribue à cette sphère dans le développement historique du capitalisme permet de comprendre pourquoi il l'élimine de son analyse dans Le Capital: non pas seulement par hypothèse méthodologique comme le pense Luxemburg, mais parce qu'elle représente une entrave dont le capitalisme a dû se débarrasser. Ignorant cette analyse, Luxemburg n'a pas compris les raisons profondes pour lesquelles Marx écarte cette sphère dans Le Capital". (Dyn p.36) Sur quoi MR appuie-t-il une telle affirmation? Sur l'argument que nous avons réfuté précédemment, selon lequel pour lui et Marx, les "marchés lointains" n'auraient plus joué qu'un rôle marginal dans le développement du capitalisme après sa phase d'accumulation primitive.

MR avance trois autres arguments venant, selon lui, étayer sa critique de la théorie de l'accumulation de Rosa Luxemburg.

1) "Pour Rosa Luxemburg, la force du capital dépend de l'importance de la sphère précapitaliste et l'épuisement de celle-ci annonce sa mort. Marx soutient une compréhension opposée: "Tant que le capital est faible, il cherche à s'appuyer sur les béquilles d'un mode de production disparu ou en voie de disparition; sitôt qu'il se sent fort, il se débarrasse de ses béquilles et se meut conformément à ses propres lois" (Le Capital, p.295. Éd. La Pléiade Économie II). Cette sphère ne constitue donc pas un milieu dont le capitalisme devrait se nourrir pour pouvoir s'élargir, mais une béquille qui l'affaiblit et dont il doit se débarrasser pour être fort et se mouvoir conformément à ses propres lois." (Dyn p.36) Cette conclusion est pour le moins hâtive et tirée par les cheveux.[16] Le Manifeste contient d'ailleurs une idée très proche de celle de la citation de Marx ci-dessus empruntée au Capital, mais exprimée de manière telle que, contrairement à ce que pense MR, elle permet d'affirmer que le milieu précapitaliste a constitué un terreau nourricier pour le capitalisme:

"La grande industrie a fait naître le marché mondial, que la découverte de l'Amérique avait préparé. Le marché mondial a donné une impulsion énorme au commerce, à la navigation, aux voies de communication. En retour, ce développement a entraîné l'essor de l'industrie. À mesure que l'industrie, le commerce, la navigation, les chemins de fer prirent de l'extension, la bourgeoisie s'épanouissait, multipliant ses capitaux et refoulant à l'arrière-plan toutes les classes léguées par le Moyen Âge."[17] (souligné par nous)

On voit ici que, alors qu'il crée le marché mondial et qu'il se développe, ce n'est pas le marché mondial que le capitalisme rejette mais bien les classes léguées par le Moyen Âge qu'il refoule à l'arrière-plan.

2) "Les meilleures estimations des ventes à destination du tiers-monde montrent que la reproduction élargie du capitalisme ne dépendait pas des marchés extra-capitalistes en dehors des pays développés: "En dépit d'une opinion très répandue, il n'y a jamais eu, dans l'histoire du monde occidental développé, de période au cours de laquelle les débouchés offerts par les colonies, ou même l'ensemble du tiers-monde, aient joué un grand rôle dans le développement de ses industries. Le tiers-monde dans son ensemble ne représentait même pas un débouché très important [...] on peut estimer que le tiers-monde n'absorbait que 1,3% à 1,7% du volume total de la production des pays développés, dont seulement 0,6 à 0,9% pour les colonies" (Paul Bairoch, Mythes et paradoxes de l'histoire économique, p.104-105). Déjà très faible, ce pourcentage l'est en réalité bien plus puisque ce n'est qu'une partie des ventes au tiers-monde qui est destinée à la sphère extra-capitaliste". (Dyn p.39)

Nous traiterons de cette objection plus globalement en prenant en compte également la suivante: "Ce sont les pays disposant d'un vaste empire colonial qui connaissent les taux de croissance les plus faibles, alors que ceux vendant sur les marchés capitalistes ont des taux bien supérieurs! Ceci se vérifie tout au long de l'histoire du capitalisme, et en particulier aux moments où les colonies jouent, ou devraient jouer, leur plus grand rôle! Ainsi, au XIXème siècle, au moment où les marchés coloniaux interviennent le plus, tous les pays capitalistes non coloniaux ont connu des croissances nettement plus rapides que les puissances coloniales (71% plus rapides en moyenne – moyenne arithmétique des taux de croissance non pondérée par les populations respectives des pays). Il suffit de prendre les taux de croissance du PIB par habitant durant les 25 années d'impérialisme (1880-I913), que Rosa Luxemburg définissait comme la période la plus prospère et dynamique du capitalisme:

1) Puissances coloniales: Grande-Bretagne (1,06%), France (1,52%), Hollande (0,87%), Espagne (0,68%), Portugal (0,84%);

2) Pays très peu ou non coloniaux: USA (1,56%), Allemagne (1,85%), Suède (1,58%), Suisse (1,69%), Danemark (1,79%) (Taux de croissance annuel moyen; source: www.rug.nl/ggdc/historicaldevelopment/maddison)." (Dyn p.39 et 40)

Notre réponse à ce qui précède tient en quelques mots. Il est faux d'identifier marchés extra-capitalistes et colonies car les marchés extra-capitalistes incluent aussi bien les marchés intérieurs que les colonies non encore assujetties aux relations de production capitalistes. Pendant la période 1880-1913, tous les pays cités ci-dessus bénéficient au minimum de l'accès à leur propre marché extra-capitaliste intérieur, voire à celui d'autres pays industrialisés. De plus, du fait de la division internationale du travail, le commerce avec la sphère extra-capitaliste peut également bénéficier, indirectement, aux pays ne possédant pas directement de colonies.

Quant aux États-Unis, ils sont l'illustration type du rôle que jouent les marchés extra-capitalistes dans le développement économique et industriel. Après la destruction de l’économie esclavagiste des États du Sud par la Guerre civile (1861-1865), le capitalisme s’est étendu au cours des 30 années suivantes vers l’Ouest américain selon un processus continu qu’on peut résumer ainsi: massacre et nettoyage ethnique de la population indigène; établissement d’une économie extra-capitaliste à travers la vente et la concession de territoires nouvellement annexés par le gouvernement à des colons et de petits éleveurs; destruction de cette économie extra-capitaliste au moyen de la dette, la fraude et la violence, et extension de l’économie capitaliste. En 1898, un document du Département d’État américain expliquait: "Il semble à peu près certain que tous les ans nous aurons à faire face à une surproduction croissante de biens qui devront être placés sur les marchés étrangers si nous voulons que les travailleurs américains travaillent toute l'année. L'augmentation de la consommation étrangère des biens produits dans nos manufactures et nos ateliers est, d'ores et déjà, devenue une question cruciale pour les autorités de ce pays comme pour le commerce en général."[18]. Suivit alors une rapide expansion impérialiste: Cuba (1898), Hawaï (1898 également), Philippines (1899), la zone du canal de Panama (1903). En 1900, Albert Beveridge (un des principaux partisans de la politique impérialiste américaine) déclarait au Sénat: "Les Philippines sont à nous pour toujours (...). Et derrière les Philippines, il y a les marchés illimités de Chine (...). Le Pacifique est notre océan (...) Où trouver des consommateurs pour nos surplus? La géographie apporte la réponse. La Chine est notre client naturel." Il n'est nul besoin des "meilleures statistiques" pour prouver qu'un atout ayant permis aux États-Unis de devenir la première puissance mondiale avant la fin du 19e siècle consiste dans le fait qu'ils ont pu disposer d'un accès privilégié à de vastes marchés extra-capitalistes.

3) Voici un dernier argument présent dans le livre nécessitant un court commentaire: "La réalité est donc pleinement conforme à la vision de Marx, et exactement à l'opposé de la théorie de Rosa Luxemburg. Ceci s'explique aisément pour plusieurs raisons sur lesquelles nous ne pouvons nous étendre ici. Signalons rapidement qu'en règle générale, toute vente de marchandise sur un marché extra-capitaliste sort du circuit de l'accumulation et tend donc à freiner cette dernière. La vente de marchandises à l'extérieur du capitalisme pur permet bien aux capitalistes individuels de réaliser leurs marchandises, mais elle freine l'accumulation globale du capitalisme, car cette vente correspond à une sortie de moyens matériels du circuit de l'accumulation au sein du capitalisme pur." (Dyn p.40)

Loin de constituer une entrave à l'accumulation, la vente aux secteurs extra-capitalistes est un facteur qui la favorise. Non seulement ce qui est vendu à la sphère extra-capitaliste ne fait pas défaut à l'accumulation, grâce au dynamisme de ce mode de production qui, par nature, tend toujours à produire de façon excédentaire mais, de plus, elle permet à la sphère des relations de production capitaliste de recevoir des moyens de paiement (le produit de la vente) qui pourront, d'une manière ou d'une autre, accroître le capital accumulé.

L'examen des "arguments" de MR selon lesquels l'existence d'un important secteur extra-capitaliste n'avait pas constitué la condition de l'important développement du capitalisme, montre que ceux-ci ne sont pas consistants. Mais nous sommes évidemment disposés à prendre en compte toute critique concernant la méthode que nous avons employée dans notre propre critique.

Les limites du marché extérieur au capitalisme

L'existence en abondance de marchés extra-capitalistes dans les colonies a permis que, jusqu'à la Première Guerre mondiale, l'excédent de la production des principaux pays industrialisés ait pu être écoulé. Mais au sein de ces pays, il subsistait aussi à cette époque, en quantité plus ou moins importante, des marchés extra-capitalistes (la Grande-Bretagne a été la première puissance industrielle à les avoir épuisés) servant également de déversoir à la production capitaliste. C'est pendant cette phase de la vie du capitalisme que les crises furent les moins violentes. "Si différentes qu'elles fussent à maints égards, toutes ces crises cependant présentent un point commun: elles font figure d'interruptions relativement brèves d'un gigantesque mouvement ascendant qu'une vue d'ensemble pourrait considérer comme continu".[19]

Mais les marchés extra-capitalistes n'étaient pas illimités, comme le soulignait Marx: "Du point de vue géographique, le marché est limité: le marché intérieur est restreint par rapport à un marché intérieur et extérieur, qui l’est par rapport au marché mondial, lequel - bien que susceptible d’extension - est lui-même limité dans le temps."[20]. C'est à l'Allemagne que s'imposa en premier cette réalité.

La phase du développement industriel le plus rapide de ce pays se situe à une époque où le partage des richesses du monde était à peu près achevé et où les possibilités de nouvelles poussées impérialistes se faisaient de plus en plus rares. En effet, cet État arrivait sur le marché mondial à un moment où les territoires naguère libres de toute domination européenne étaient presque tous répartis et réduits au rang de colonies ou semi-colonies de ces mêmes États industriels plus anciens et qui formaient, précisément, ses concurrents les plus redoutables. La surproduction et la nécessité d'exporter à tout prix constituent des facteurs qui orientent la politique extérieure de l'Allemagne dès le début du 20e siècle (voir à ce propos les développements du Conflit du siècle, pp.51, 53 et 151). Les restrictions d'accès aux marchés extra-capitalistes furent la conséquence de la transformation de ceux-ci, par les plus grandes puissances coloniales, en véritables chasses gardées. Si bien que le seuil du 20e siècle est marqué par le renforcement des tensions internationales nées de l'expansion impérialiste qui aboutiront à la conflagration mondiale de 1914, lorsque l'Allemagne prit l'initiative d'une guerre en vue d'un repartage du monde et de ses marchés.

MR signale à ce propos la grande disparité des analyses au sein de l'avant-garde révolutionnaire pour expliquer l'entrée en décadence que marque l'éclatement du premier conflit mondial: "Si cette sentence historique [le capitalisme entraîné dans une spirale de crises et de guerres] était communément partagée au sein du mouvement communiste, les facteurs qui étaient censés l'expliquer, l'étaient beaucoup moins". (Dyn p.47) Il omet cependant de relever la grande convergence de Rosa Luxemburg et Lénine autour de l'analyse d'une guerre pour le repartage du monde, Lénine s'exprimant sur ce sujet de la manière suivante: "… le trait caractéristique de la période envisagée, c'est le partage définitif du globe, définitif non en ce sens qu'un nouveau partage est impossible - de nouveaux partages étant au contraire possibles et inévitables - mais en ce sens que la politique coloniale des pays capitalistes en a terminé avec la conquête des territoires inoccupés de notre planète. Pour la première fois, le monde se trouve entièrement partagé, si bien qu'à l'avenir il pourra uniquement être question de nouveaux partages, c'est-à-dire du passage d'un "possesseur" à un autre, et non de la "prise de possession" de territoires sans maître."[21]

Qui dit nécessité de repartage du monde pour les pays les plus mal lotis en colonies, ne dit pas insuffisance des marchés extra-capitalistes relativement aux besoins de la production. C'est une identification qui a trop souvent été faite. En effet, il existe encore, au début du 20e siècle, des marchés extra-capitalistes en abondance (dans les colonies et au sein même des pays industrialisés) dont l'exploitation est encore capable de faire faire des bonds en avant très importants au développement du capitalisme. C'est ce que met en avant Rosa Luxemburg en 1907 dans son Introduction à l'économie politique: "À chaque pas de son propre développement, la production capitaliste s'approche irrésistiblement de l'époque où elle ne pourra se développer que de plus en plus lentement et difficilement. Le développement capitaliste en soi a devant lui un long chemin, car la production capitaliste en tant que telle ne représente qu'une infime fraction de la production mondiale. Même dans les plus vieux pays industriels d'Europe, il y a encore, à côté des grandes entreprises industrielles, beaucoup de petites entreprises artisanales arriérées, la plus grande partie de la production agricole, la production paysanne, n'est pas capitaliste. À côté de cela, il y a en Europe des pays entiers où la grande industrie est à peine développée, où la production locale a un caractère paysan et artisanal. Dans les autres continents, à l'exception de l'Amérique du Nord, les entreprises capitalistes ne constituent que de petits îlots dispersés tandis que d'immenses régions ne sont pas passées à la production marchande simple. (…) Le mode de production capitaliste pourrait avoir une puissante extension s'il devait refouler partout les formes arriérées de production. L'évolution va dans ce sens."[22]

C'est la crise de 1929 qui viendra signaler l'insuffisance des marchés extra-capitalistes subsistants, non pas de façon absolue mais au regard de la nécessité du capitalisme d'exporter des marchandises en quantités toujours plus importantes. Ces marchés n'étaient pas pour autant épuisés. Les progrès de l'industrialisation et des moyens de transport réalisés dans les métropoles capitalistes rendirent possible une meilleure exploitation des marchés existants, si bien qu'ils purent encore jouer un rôle au début des années 1950, en tant que facteur de la prospérité des Trente Glorieuses.

Cependant, à ce stade, était posée, selon Rosa Luxemburg, la question de l'impossibilité même du capitalisme: "Cependant, cette évolution enferme le capitalisme dans la contradiction fondamentale: plus la production capitaliste remplace les modes de production plus arriérés, plus deviennent étroites les limites du marché créé par la recherche du profit, par rapport au besoin d'expansion des entreprises capitalistes existantes. La chose devient tout à fait claire si nous nous imaginons pour un instant que le développement du capitalisme est si avancé que sur toute la surface du globe tout est produit de façon capitaliste, c'est-à-dire uniquement par des entrepreneurs capitalistes privés, dans des grandes entreprises, avec des ouvriers salariés modernes. L'impossibilité du capitalisme apparaît alors clairement."[23] Comment cette impossibilité allait-elle être surmontée? Nous y reviendrons plus avant en examinant la question de l'effondrement catastrophique du capitalisme.

Il n'existe pas de solution à la surproduction au sein du capitalisme

Du fait même qu'il n'est pas possible, sous le capitalisme, de résoudre les crises de surproduction en augmentant le salaire des ouvriers, ni d'augmenter indéfiniment la demande solvable extérieure à celle des ouvriers, la surproduction ne peut pas être dépassée au sein du capitalisme. En fait, elle ne peut réellement l'être que par l'abolition du salariat et donc le remplacement du capitalisme par la société des producteurs librement associés.

MR ne peut se résoudre à cette logique implacable et sans appel pour le capitalisme et ses réformateurs. En fait, il a beau citer Marx de différentes façons autour du thème "l'ouvrier ne peut constituer une demande adéquate", il a vite fait de l'oublier et d'entrer en contradiction avec cette idée de base selon laquelle "si la "demande extérieure à celle des ouvriers eux-mêmes" disparaît ou s'amenuise, la crise éclate". C'est ainsi qu'il en vient à faire résulter la crise de surproduction de la diminution de la masse salariale, ce qui n'est autre qu'une resucée des thèmes malthusianistes combattus par Marx: "la masse salariale dans les pays développés s'élève aujourd'hui en moyenne aux deux tiers du revenu total et a toujours représenté une composante majeure de la demande finale. Sa diminution restreint les marchés et aboutit à une mévente qui est à la base des crises de surproduction. Cette réduction de la consommation touche directement les salariés, mais indirectement aussi les entreprises puisque la demande se restreint. En effet, l'augmentation correspondante de la part des profits et de la consommation des capitalistes ne parvient que très partiellement à compenser la réduction relative de la demande salariale. C'est d'autant moins le cas que le réinvestissement des profits est limité par la contraction générale des marchés." (Dyn p.14)

Il est indéniable que la diminution des salaires, au même titre que le développement du chômage, ont un impact négatif sur l'activité économique des entreprises du secteur de la production des biens de consommation, en premier lieu celles qui produisent ce qui est nécessaire à la reproduction de la force de travail. Mais ce n'est pas la compression salariale qui constitue la cause de la crise. C'est justement l'inverse qui est vrai. C'est parce qu'il y a crise que l'État ou les patrons sont amenés à licencier et diminuer les salaires.

MR a complètement renversé la réalité. Sa problématique devient "si la demande des ouvriers eux-mêmes s'amenuise, la crise éclate". C'est ainsi que, pour lui, la cause ultime du krach boursier immédiatement antérieur au moment où le livre a été écrit (4e trimestre 2010) réside dans la compression de la demande salariale: "La meilleure preuve en est la configuration qui a mené au dernier krach boursier: comme la demande salariale était drastiquement comprimée, la croissance n'a été obtenue qu'en boostant la consommation (graphique 6.6) par une envolée de l'endettement (qui débute justement en 1982: graphique 6.5), une diminution du taux d'épargne (qui débute en 1982 également: graphique 6.4) et une montée des revenus patrimoniaux." (Dyn p.106). Cela revient ni plus ni moins à mettre sur le compte de la compression de la demande salariale l'ampleur actuelle de l'endettement.

De là à l'idée que la crise est le produit de la rapacité des capitalistes, il n'y a qu'un pas.

Ainsi, comme nous venons de le mettre en évidence et comme il est très clair pour quiconque aborde cette question sérieusement et avec honnêteté, MR défend sur la question des causes fondamentales des crises économiques du capitalisme une analyse différente de celle défendue en leur temps par Marx et Engels. C'est tout à fait son droit, et même sa responsabilité s'il l'estime nécessaire. En effet, quelles que soient la valeur et la profondeur de la contribution, considérable, qu'il a apportée à la théorie du prolétariat, Marx n'était pas infaillible et ses écrits ne sont pas à considérer comme des textes sacrés. Ce serait là une démarche religieuse totalement étrangère au marxisme, comme à toute méthode scientifique d'ailleurs. Les écrits de Marx doivent eux aussi être soumis à la critique de la méthode marxiste. C'est la démarche qu'a adoptée Rosa Luxemburg dans L'Accumulation du capital (1913) lorsqu'elle relève les contradictions contenues dans le livre II du Capital. Cela dit, lorsqu'on remet en cause une partie des écrits de Marx, l'honnêteté politique et scientifique commande d'assumer explicitement et en toute clarté une telle démarche. C'est bien ce qu'a fait Rosa Luxemburg dans son livre, ce qui lui a valu une levée de boucliers de la part des "marxistes orthodoxes", scandalisés qu'on puisse critiquer ouvertement un écrit de Marx. Ce n'est pas, malheureusement, ce que fait MR lorsque il s'écarte de l'analyse de Marx tout en prétendant y rester fidèle. Pour notre part, si sur cette question nous reprenons les analyses de Marx, c'est parce que nous considérons qu'elles sont justes et qu'elles rendent compte de la réalité de la vie du capitalisme.

En particulier, nous nous revendiquons pleinement de la vision révolutionnaire qu’elles contiennent, fermant résolument la porte à toute vision réformiste. Malheureusement, ce n’est pas le cas de MR dont la fidélité affichée aux textes de Marx, de même que ses petits tours de passe-passe, constituent justement le moyen de faire passer "en douceur" une telle vision réformiste. Et c’est là, incontestablement, l’aspect le plus déplorable de son livre.

Comment caractériser les courants qui prônent la résolution de la crise du capitalisme au moyen de l'augmentation des salaires?

Marx défendait la nécessité de la lutte pour des réformes, mais il dénonçait de toute son énergie les tendances réformistes qui tentaient d'y enfermer la classe ouvrière, qui "ne voyaient dans la lutte pour les salaires que des luttes pour les salaires" et non une école de combat où la classe forge les armes de son émancipation définitive. En fait Marx critiquait Proudhon qui ne voyait "dans la misère que la misère" et les trade-unions qui "manquent entièrement leur but dès qu'elles se bornent à une guerre d'escarmouches contre les effets du régime existant, au lieu de travailler en même temps à sa transformation et de se servir de leur force organisée comme d'un levier pour l'émancipation définitive de la classe travailleuse, c'est-à-dire pour l'abolition définitive du salariat".[24] Lorsque l'entrée du capitalisme en décadence a mis la révolution prolétarienne à l'ordre du jour et rendu impossible toute réelle politique réformiste au sein du système, une mystification majeure pour essayer de détourner le prolétariat de sa tâche historique a consisté à lui faire croire qu'il pouvait encore s'aménager une place au sein du système, en particulier en portant au pouvoir les bonnes équipes, les bonnes personnes, appartenant en général à la gauche ou à l'extrême-gauche de l'appareil politique du capital. En ce sens, depuis que la révolution prolétarienne est historiquement à l'ordre du jour, la défense de la lutte pour des réformes n'est plus seulement un travers opportuniste au sein du mouvement ouvrier, elle est ouvertement contre-révolutionnaire. C'est pourquoi une responsabilité des révolutionnaires est de combattre toutes les illusions véhiculées par la gauche du capital visant à faire croire à la possibilité de réformer le capitalisme, tout en encourageant les luttes de résistance de la classe ouvrière contre la dégradation de ses conditions de vie sous le capitalisme; celles-ci sont la condition pour n'être pas broyé par les empiètements incessants du capitalisme en crise et constituent une préparation indispensable pour la confrontation à l'État capitaliste.

A ce sujet, il convenait, comme nous l'avons fait précédemment, de signaler les ouvertures béantes qu'offre au réformisme la théorie de MR. Son livre fait mention de son engagement politique. Qu'il nous soit permis d'en douter quelque peu au vu de ses accointances avec des représentants du "marxisme", eux aussi engagés politiquement, mais très clairement dans la défense de thèses réformistes. C'est pourquoi nous avons pensé nécessaire de relever l'hommage appuyé qu'il rend à la contribution de "certains économistes marxistes": "il existe trop peu de considérations sur l'évolution du taux de plus-value, les problèmes de répartition, l'état de la lutte de classe et l'évolution de la part salariale. Ce n'est qu'avec les travaux de certains économistes marxistes (Jacques Gouverneur, Michel Husson, Alain Bihr, etc.) que ces préoccupations reviennent quelque peu sur le devant de la scène. Nous les partageons et espérons qu'elles seront suivies par d'autres". (Dyn p.86)[25] Le premier, Jacques Gouverneur, qui "a fourni" à MR "de nombreuses clés pour approfondir le Capital" (Dyn p.8) est l'auteur d'un "document de travail"[26] au titre évocateur, "Quelles politiques économiques contre la crise et le chômage ?", où il plaide, contre les politiques néolibérales, pour le retour à des politiques keynésiennes assorties de "politiques alternatives" ("augmentation des prélèvements publics - essentiellement sur les profits - pour financer des productions socialement utiles, …"). Quant à Michel Husson, membre du Conseil scientifique d’Attac, qui "a beaucoup appris" à MR "par la rigueur et l'énorme richesse de ses analyses" (Dyn p. 8), écoutons ses réflexions pour lutter contre le chômage et la précarité: "C’est donc sur le terrain de l’emploi qu’il faut interroger les projets de gauche. Sur ce sujet, le programme du Parti socialiste est très faible, même s’il comporte des propositions intéressantes (comme tous les programmes) (…) plutôt que de vouloir augmenter la richesse, il faut en changer la répartition. Autrement dit, ne pas compter sur la croissance, et surtout en changer le contenu, ce qui est rigoureusement impossible avec la répartition des revenus actuelle. Cela veut dire, en premier lieu, dégonfler les rentes financières et refiscaliser sérieusement les revenus du capital." (Chronique du 6 mai 2001. www.regards.fr/nos-regards/michel-husson/la-gauche-et-l-emploi). Et, enfin, Alain Bihr, moins connu que ses prédécesseurs réformistes, s'il est moins marqué à droite que Husson, il n'est pas le dernier à apporter son soutien à la campagne visant à faire endosser par le libéralisme les ravages du capitalisme: "L’adoption de politiques néolibérales, leur mise en œuvre résolue et leur poursuite méthodique depuis près de trente ans auront donc produit ce premier effet de créer les conditions d’une crise de surproduction en comprimant par trop les salaires: en somme, une crise de surproduction par sous-consommation relative des salariés." Tous ces gens ont appris à MR, s'il ne le savait déjà, qu'à la racine des crises du capitalisme on trouve, non pas les contradictions insurmontables de celui-ci, mais les politique néolibérales, une mauvaise répartition des richesses et qu'en conséquence il faut faire appel à l'État pour mettre en place des politique keynésiennes, taxer les revenus du capital, augmenter les salaires, en un mot tenter de réguler l'économie.

MR semble également sympathiser avec l'idée, chère à Alain Bihr, selon laquelle le prolétariat serait en crise du fait de la crise du capitalisme et que la désyndicalisation serait une manifestation de cette prétendue crise de la classe ouvrière[27] lorsqu'il écrit: "la peur de perdre son travail détruit les solidarités ouvrières et le taux de syndicalisation s'inverse pour amorcer un déclin rapide à partir de 1978-79. Significatif de ce phénomène est l'isolement dans lequel restera la longue lutte menée par les mineurs anglais en 1984-85". (Dyn p. 84) Ce n'est pas là une mince contribution au discours de la bourgeoisie, lorsqu'on sait que le principal facteur de l'isolement et de la défaite des mineurs anglais a été le syndicat, et les illusions persistantes dans la classe ouvrière vis-à-vis de ses versions radicales, "à la base".

Le capitalisme est-il condamné à un effondrement catastrophique?

Arrivé à une certaine étape de son histoire, le capitalisme ne peut que plonger la société dans des convulsions croissantes, détruisant les progrès qu'il avait apportés à celle-ci auparavant. C'est dans ce contexte que se déploie la lutte de classe du prolétariat dans la perspective du renversement du capitalisme et de l'avènement d'une nouvelle société. Si le prolétariat ne parvient pas à hisser ses luttes aux niveaux élevés de conscience et d'organisation nécessaires, les contradictions du capitalisme ne permettront pas l'avènement d'une nouvelle société mais mèneront à "la ruine commune des classes en lutte", comme ce fut le cas de certaines sociétés de classes passées: "… oppresseurs et opprimés se sont trouvés en constante opposition; ils ont mené une lutte sans répit, tantôt cachée, tantôt ouverte, une guerre qui chaque fois finissait soit par une transformation révolutionnaire de la société tout entière, soit par la ruine commune des classes en lutte."[28]

Ce cadre étant posé, il nous importe de comprendre si, au-delà même de la barbarie croissante inhérente à la décadence du capitalisme, les déterminations économiques de la crise ont nécessairement pour conséquence, à un moment donné, une impossibilité pour le système de continuer à fonctionner en conformité avec ses propres lois, l'accumulation devenant ainsi impossible[29]. C'est effectivement le point de vue d'un certain nombre de marxistes et nous le partageons[30]. Ainsi, pour Rosa Luxemburg, "L'impossibilité du capitalisme apparaît alors clairement" dès lors que "le développement du capitalisme est si avancé que sur toute la surface du globe tout est produit de façon capitaliste" (cf. citations précédentes de l'Introduction à l'économie politique)[31]. Toutefois Rosa Luxemburg apporte la précision suivante: "Cela ne signifie pas que le point final ait besoin à la lettre d'être atteint. La seule tendance vers ce but de l'évolution capitaliste se manifeste déjà par des phénomènes qui font de la phase finale du capitalisme une période de catastrophes"[32]

De même, Paul Mattick[33], qui considère aussi que les contradictions du système doivent aboutir à un effondrement économique tout en pensant que ces contradictions s'expriment fondamentalement sous la forme de la baisse du taux de profit et non pas de la saturation des marchés, rappelle comment historiquement cette question a été posée: "De la polémique engagée à propos de la théorie marxienne de l'accumulation et des crises se dégagèrent deux points de vue antithétiques qui firent eux-mêmes l'objet de plusieurs variantes. Selon l'une, des barrières absolues s'opposent à l'accumulation, avec pour conséquence à plus ou moins long terme un effondrement économique du système; selon l'autre, c'était là un raisonnement absurde, la disparition du système ne pouvant avoir de causes économiques. Comme on se doute bien, le réformisme, ne serait-ce que pour se justifier, avait fait sienne cette dernière conception. Mais d'un point de vue d'extrême-gauche également, celui de Pannekoek notamment, l'idée d'un effondrement aux causes purement économiques était étrangère au matérialisme historique. (…). Les déficiences du système capitaliste telles que Marx les a décrites et les phénomènes de crise concrets qui résultent de l'anarchie de l'économie lui apparaissaient de nature à faire mûrir la conscience révolutionnaire du prolétariat et, au-delà, la révolution prolétarienne."[34]

MR ne partage pas cette vision d'un capitalisme condamné par ses contradictions fondamentales (saturation des marchés, baisse du taux de profit) à une crise catastrophique. À celle-ci, il oppose le point de vue suivant: "En effet, il n'existe pas de point matériel alpha où le capitalisme s'effondrerait, que ce soit un pourcentage X de taux de profit, ou une quantité Y de débouchés, ou un nombre Z de marchés extra-capitalistes. Comme le disait Lénine dans L'impérialisme stade suprême: "il n'y a pas de situation d'où le capitalisme ne peut sortir"[35]!" (Dyn p.117 et 118)

MR précise sa vision: "Les limites des modes de production sont avant tout sociales, produites par leurs contradictions internes, et par la collision entre ces rapports devenus obsolètes et les forces productives. Dès lors, c'est le prolétariat qui abolira le capitalisme, et pas ce dernier qui mourra de lui-même suite à ses limites 'objectives'. Telle est la méthode posée par Marx: "La production capitaliste tend constamment à surmonter ces limites [NDLR: la dépréciation périodique du capital constant s'accompagnant de crises du processus de production] inhérentes; elle n'y réussit que par des moyens qui dressent à nouveau ces barrières devant elle, mais sur une échelle encore plus formidable, de nouveau, et à une échelle plus imposante, dressent devant elle les mêmes barrières." (Le Capital, p.1032. Éd. La Pléiade Économie II). Nulle vision catastrophiste ici, mais développement croissant des contradictions du capitalisme posant les enjeux à une échelle chaque fois supérieure. Cependant, il est clair que si le capitalisme ne s'effondrera pas de lui-même, il n'échappera pas davantage à ses antagonismes destructeurs." (Dyn p.53)

On voit mal comment le prolétariat pourrait renverser le capitalisme si, comme MR n'a de cesse de vouloir le prouver dans son livre, toute l'histoire de ce système depuis la seconde moitié du 20e siècle dément la réalité de l'existence d'entraves au développement des forces productives.

Ceci étant dit, s'il est tout à fait juste de dire que seul le prolétariat pourra abolir le capitalisme, cela n'implique en rien que le capitalisme ne pourra pas s'effondrer sous l'effet de ses contradictions fondamentales, ce qui évidemment n'est en rien équivalent à son dépassement révolutionnaire par le prolétariat. Nulle part dans son texte, MR ne démontre formellement une telle impossibilité. Au lieu de cela, il plaque sur la crise de la période de décadence des caractéristiques des crises telles que celles-ci se manifestaient à l'époque de Marx. De plus, pour décrire ces dernières, il ne s'appuie pas sur des citations de Marx relatives à la saturation des marchés, comme celle-ci: "dans le cycle de sa reproduction — un cycle dans lequel il n'y a pas seulement reproduction simple, mais élargie —, le capital décrit non pas un cercle, mais une spirale: il arrive un moment où le marché semble trop étroit pour la production. C'est ce qui arrive à la fin du cycle. Mais cela signifie simplement que le marché est sursaturé. La surproduction est manifeste. Si le marché s'était élargi de pair avec l'accroissement de la production, il n'y aurait ni encombrement du marché ni surproduction."[36]. MR préfère des passages où Marx traite uniquement du problème de la baisse du taux de profit. Cela lui permet de proclamer, en se couvrant de l'autorité de Marx, que le capitalisme récupérera toujours de ses crises. En effet, dans ce cadre, la dévalorisation du capital opérée par la crise est souvent la condition de la récupération d'un taux de profit permettant à nouveau la reprise de l'accumulation sur une échelle supérieure. Le seul problème c'est que faire découler la crise actuelle d'abord et avant tout de la contradiction "baisse du taux de profit", c'est passer à côté de la réalité qui a produit un endettement tel que nous le connaissons aujourd'hui. Il existe un autre problème à cette démarche et qui renvoie MR aux contradictions de ses constructions spéculatives, c'est que par ailleurs il affirme: "Il est totalement incongru d'affirmer – comme c'est trop souvent le cas – que la perpétuation de la crise depuis les années 1980 serait due à la baisse tendancielle du taux de profit". (Dyn p.82)

En fait, l'évolution même du capitalisme, déjà avant la Première Guerre mondiale, ne permettait plus de caractériser l'occurrence des crises comme un phénomène cyclique. C'est cette évolution que signale Engels dans une note au sein du Capital, où il dit: "la forme aigüe du processus périodique avec son cycle décennal semble avoir fait place à une alternance plus chronique, plus étendue (…) chaque facteur qui s'oppose à une répétition des anciennes crises recèle le germe d'une crise future bien plus puissante"[37]. Cette description par Engels du surgissement de la crise ouverte est une préfiguration de la crise de la décadence du capitalisme, dont la manifestation violente, généralisée et profonde n'a aucun caractère cyclique mais est préparée par toute une accumulation de contradictions, comme en ont témoigné les deux guerres mondiales, la crise de 1929 et des années 1930, la phase actuelle de la crise qui a été ouverte à la fin des années 1960.

Dire comme le fait MR, en s'appuyant sur des citations de Marx toujours relatives à la baisse du taux de profit, sorties de leur contexte, "Le mécanisme même de la production capitaliste élimine donc les obstacles qu'il se crée"[38], ne peut contribuer qu'à minimiser la profondeur des contradictions qui minent le capitalisme dans sa phase de décadence. Cela ne peut que conduire à sous-estimer la gravité de la phase actuelle de la crise, en particulier en reléguant au second plan les contradictions en question et en invoquant des sornettes selon lesquelles le capitalisme peut être régulé.

On pourrait nous objecter que les prévisions de Rosa Luxemburg se sont révélées inexactes puisque l'assèchement des derniers marchés extra-capitalistes conséquents dans les années 1950 n'a pas donné lieu à une "impossibilité" du capitalisme. C'est en effet à présent une évidence qu'à cette date le capitalisme ne s'est pas écroulé. Cependant, il n'a pu poursuivre son développement qu'en hypothéquant son avenir à travers l'injection de doses de plus en plus importantes de crédit irremboursable. Le problème insurmontable auquel est confrontée actuellement la bourgeoisie, c'est que, quelles que soient les cures d'austérité qu'elle fera subir à la société, en aucun cas celles-ci ne pourront améliorer la situation de l'endettement. Par ailleurs, les défauts de paiement et les faillites de certains acteurs économiques, y compris des États, ne pourront que favoriser une situation similaire chez leurs partenaires, accentuant les conditions de l'effondrement du château de cartes. Par ailleurs, ne pouvant relancer suffisamment l'économie au moyen de nouvelles dettes ou de la planche à billets, le capitalisme ne peut s'éviter une plongée dans la récession. Et, contrairement aux formules enchanteresses déroulées dans ce livre, cette plongée ne prépare pas, grâce à la dévalorisation du capital dont elle va s'accompagner, une future reprise. En revanche, elle prépare le terrain de la révolution.

Silvio (décembre 2011)

 


[1] Éditions Contradictions. Bruxelles, 2010.

[2] Marx. Matériaux pour l'"Économie" – "Les crises", p.484. Éd. La Pléiade Économie II.

[3] Marx. Principes d'une critique de l'économie politique, p.268. Éd. La Pléiade Économie II.

[4] Idem p.268.

[5] Marx, Le Capital. Livre III, section V, Chap.XVII, p.1206. Éd. La Pléiade Économie II.

[6] "Cette analyse des bases de la régulation keynésiano-fordiste n'a que très rarement été comprise dans le camp du marxisme. À notre connaissance, ce n'est qu'en 1959 qu'est énoncée, pour la première fois, une compréhension cohérente des Trente Glorieuses" (Dyn p. 74). MR reproduit à la suite un extrait d'article publié dès octobre 1959 dans le Bulletin intérieur du groupe Socialisme ou Barbarie. Effectivement le groupe Socialisme ou Barbarie a tellement compris les Trente Glorieuses qu'il achoppera sur le boom des années 1950 et, abusé par celui-ci, il remettra en cause les fondements de la théorie marxiste. Lire à ce propos, pour d'avantage d'explications, l'article "Le boom d'après-guerre n'a pas renversé le cours du déclin du capitalisme", dans la Revue internationale n° 147, https://fr.internationalism.org/rint147/decadence_du_capitalisme_le_boom_d_apres_guerre_n_a_pas_renverse_le_cours_du_declin_du_capitalisme.html. Paul Mattick est cité par MR pour la compréhension qu'il a également su développer du phénomène des Trente Glorieuses. Nous doutons réellement que l'auteur partage ce passage suivant de Mattick: "Les économistes ne font pas la distinction entre économie tout court et économie capitaliste, ils n'arrivent pas à voir que la productivité et ce qui est "productif pour le capital" sont deux choses différentes, que les dépenses, et publiques et privées, ne sont productives que dans la mesure où elles sont génératrices de plus-value, et non simplement de biens matériels et autres agréments de la vie". (Crise et théorie des crises, Paul Mattick. Éditions Champ libre. Souligné par nous.) En d'autres termes, les mesures keynésiennes, non productrices de plus-value, aboutissent à une stérilisation de capital.

[7] Le Capital. Livre III, section III.

[8] Marx, Le Capital livre IV, tome 3, 19e chapitre : "Malthus ; Critique par les Ricardiens de la conception de Malthus des "consommateurs improductifs"". p.60. Éd sociales.

[9] Marx; idem, pp.61 et 62.

[10] Marx, Le Capital livre IV, tome 2. p.560. Éd sociales.

[11] Marx, Le Capital. Livre III, section III: "La loi tendancielle de la baisse du taux de profit", Chapitre X: "Le développement des contradictions immanentes de la loi, Pléthore de capital et surpopulation".

[12] Marx. Le Manifeste communiste; "Bourgeois et prolétaires". P. 165. Éd. La Pléiade Économie I.

[13] Marx, Le Capital. Livre II, section I: "Le mouvement circulaire du capital", Chapitre II: "Les trois formes du processus de circulation", partie II: "Les trois circuits en tant que formes particulières et exclusives". p. 553. Éd. La Pléiade Économie II.

[14] Conformément à ce qu'ils firent dans la préface à l'édition de 1872 pour indiquer des insuffisances révélées par l'expérience de la Commune de Paris, et à ce que fit Engels dans l'édition de 1890 pour indiquer des évolutions intervenues au sein de la classe ouvrière depuis la première édition du Manifeste.

[15] Sur ces questions, nous recommandons la lecture des articles "Rosa Luxemburg et les limites de l'expansion du capitalisme", "Le Comintern et le virus du 'Luxemburgisme' en 1924" dans les Revue internationale n° 142 et 145.

[16] Nous reproduisons in extenso le contexte de la citation de Marx, où, en fait, celui-ci traite du rapport entre le capitalisme et la libre concurrence: "Le règne du capital est la condition de la libre concurrence, tout comme le despotisme des empereurs romains était la condition du libre droit de Rome. Tant que le capital est faible, il cherche à s'appuyer sur les béquilles d'un mode de production disparu ou en voie de disparition; sitôt qu'il se sent fort, il se débarrasse de ses béquilles et se meut conformément à ses propres lois. De même, sitôt qu'il commence à se sentir et à être ressenti comme une entrave au développement, il cherche refuge dans des formes qui, tout en semblant parachever le règne du capital, annoncent en même temps, par les freins qu'elles imposent à la libre concurrence, la dissolution du capital et du mode de production dont il est la base."

[17] Marx. Le Manifeste communiste; "Bourgeois et prolétaires". P. 163. Éd. La Pléiade Économie I.

[18] Cité dans Howard Zinn, Une histoire populaire des Etats-Unis, p. 344. Éditions Agone 2002.

[19] Fritz Sternberg, Le conflit du siècle. p. 75. Éditions du Seuil.

[20] Marx. Matériaux pour l'"Économie, p.489. La Pléiade, Économie II.

[21] L'impérialisme, stade suprême du capitalisme. "Le partage du monde entre les grandes puissances".

[22] Rosa Luxembourg, Introduction à l’économie politique, "Les tendances de l'économie mondiale". https://www.marxists.org/francais/luxembur/intro_ecopo/intro_ecopo_6.htm

[23] Suite de la citation extraite de l'Introduction à l’économie politique.

[24] Marx. Salaire, prix et profit; "La lutte entre le Capital et le Travail et ses résultats". Éditions sociales.

[25] Michel Husson est, d'après Wikipédia, un ancien militant du Parti socialiste unifié (PSU, social-démocrate), de la Ligue communiste révolutionnaire (LCR, trotskiste) dont il a fait partie du comité central. Il est membre du Conseil scientifique d’Attac et a soutenu la candidature de José Bové (altermondialiste) à l'élection présidentielle française de 2007. Alain Bihr, toujours selon la même source, se réclame du communisme libertaire et est connu comme un spécialiste de l'extrême droite française (en particulier du Front national) et du négationnisme.

[26] www.capitalisme-et-crise.info/telechargements/pdf/FR_JG_Quelles_politiques_Žéconomiques_contre_la_crise_et_le_chômage_1.pdf

[27]          Idée que nous avions déjà critiquée dans un article de notre Revue internationale n° 74, "Le prolétariat est toujours la classe révolutionnaire" (https://fr.internationalism.org/rinte74/proletariat)

[28]Marx. Le Manifeste communiste; "Bourgeois et prolétaires". Éd. La Pléiade Économie I.

[29]Lire à ce propos l'article "Pour les révolutionnaires, la Grande Dépression confirme l'obsolescence du capitalisme", Revue internationale n° 144. https://fr.internationalism.org/rint146/pour_les_revolutionnaires_la_grande_depression_confirme_l_obsolescence_du_capitalisme.html

[30] MR avance l'idée selon laquelle l'impossibilité économique objective du capitalisme contenue dans la vision luxemburgiste aurait été responsable de l'immédiatisme qui s'était manifesté au 3e Congrès de l'Internationale communiste où "le KAPD (scission oppositionnelle du parti communiste allemand) défend une théorie de l'offensive à tout prix en s'appuyant sur la vision luxemburgiste selon laquelle le prolétariat serait face à "l'impossibilité économique objective du capitalisme" et confronté à "l'effondrement économique inévitable du capitalisme... " (Rosa Luxemburg, L'Accumulation du capital)". (Dyn p. 54) Lorsque Rosa Luxemburg défend effectivement la perspective d'une impossibilité du capitalisme, une telle perspective ne s'applique clairement pas au futur proche. Mais il se trouve que justement l'auteur, ou ses proches, défendent frauduleusement une vision attribuant à Rosa Luxemburg une telle perspective pour l'immédiat, étant donné l'insuffisance des marchés extra-capitalistes relativement aux besoins de la production. C'est ce que nous explicitons dans la note suivante. Pour un aperçu plus juste des causes de l'immédiatisme s'étant manifesté dans le mouvement ouvrier par rapport à la perspective, nous renvoyons le lecteur à l'article "Décadence du capitalisme: l'âge des catastrophes". Revue internationale n° 143. https://fr.internationalism.org/rint143/decadence_du_capitalisme_l_age_des_catastrophes.html.

[31]"Pour une bonne explication et critique de la théorie de l'accumulation de Rosa Luxemburg" (Dyn p. 36), MR nous aiguille vers l'article suivant: "Théorie des crises: Marx – Luxemburg (I)" (https://www.leftcommunism.org/spip.php?article110). Sur le site recommandé, nous avons lu l'article "L’accumulation du capital au XXe siècle – I" (https://www.leftcommunism.org/spip.php?article223) et avons eu la surprise d'y apprendre que, selon Rosa Luxemburg, citée à partir de son ouvrage L'Accumulation du capital, "le capitalisme avait atteint "la phase ultime de sa carrière historique: l’impérialisme" car "le champ d’expansion offert à celui-ci apparaît comme minime comparé au niveau élevé atteint par le développement des forces productives capitalistes…". N'en croyant pas nos yeux, nous sommes retournés à l'ouvrage cité et c'est une autre réalité qui s'est offerte à nous. Ce qui pour Rosa Luxemburg est minime (comparé au niveau élevé atteint par le développement des forces productives capitalistes), ce n'est pas, comme le dit l'article, le champ d’expansion offert au capitalisme, mais les derniers territoires non capitalistes encore libres du monde. La différence est de taille puisqu'à l'époque les colonies contiennent une proportion importante de marchés extra-capitalistes vierges ou non épuisés, alors que de tels marchés n'existent effectivement que de façon beaucoup plus rare en dehors des colonies et des pays industrialisés. La restitution exacte de ce que dit réellement Rosa Luxemburg met en évidence le petit tour de passe-passe opéré par les amis de MR. Dans cette citation, nous avons souligné ce qui est reproduit dans l'article incriminé, et mis en caractères gras une idée importante écartée par l'auteur de l'article: "L'impérialisme est l'expression politique du processus de l'accumulation capitaliste se manifestant par la concurrence entre les capitalismes nationaux autour des derniers territoires non capitalistes encore libres du monde. Géographiquement, ce milieu représente aujourd'hui encore la plus grande partie du globe. Cependant le champ d'expansion offert à l'impérialisme apparaît comme minime comparé au niveau élevé atteint par le développement des forces productives capitalistes",  L'Accumulation du capital, III: "Les conditions historiques de l'accumulation", 31: "Le protectionnisme et l'accumulation", https://www.marxists.org/francais/luxembur/works/1913/index.htm

[32] L'Accumulation du capital, III: "Les conditions historiques de l'accumulation", 31: "Le protectionnisme et l'accumulation", https://www.marxists.org/francais/luxembur/works/1913/index.htm

[33] Pour davantage d'informations sur le positionnement politique de Paul Mattick lire l'article "Pour les révolutionnaires, la Grande Dépression confirme l'obsolescence du capitalisme" dans la Revue internationale n° 146. https://fr.internationalism.org/rint146/pour_les_revolutionnaires_la_grande_depression_confirme_l_obsolescence_du_capitalisme.html

[34] Paul Mattick. Crises et théories des crises. pp.136 et 137. Éditions Champ libre.

[35] NDLR: Ce passage est absent de la version de L'impérialisme stade suprême en ligne sur marxists.org (https://www.marxists.org/francais/lenin/works/1916/vlimperi/vlimp.htm). Par contre, il en existe un autre qui lui ressemble comme un frère correspondant également à des paroles de Lénine dans le Rapport sur la situation internationale et les tâches fondamentales de l'I.C: "Il n'existe pas de situation absolument sans issue" (). Cependant il n'est pas relatif à la crise économique mais à la crise révolutionnaire.

[36] Matériaux pour l'"Économie", "Les crises". p.489. La Pléiade - Économie II.

[37] Note d'Engels au Capital, livre III, section V: "Le capital productif d'intérêt", Chapitre XVII: "Accumulation du capital monétaire et crises", partie III "Capital monétaire et capital réel". p.1210. Éd. La Pléiade Économie II.

[38]La référence donnée par MR est la suivante, Le Capital, Livre I, 4e édition allemande; Éditions sociales 1983, p.694. Elle ne comporte pas d'avantage de précisions quant à la section du Livre considéré. Il n'existe pas l'équivalent évident de cette phrase en français sur marxists.org.

 

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